Le noma de l`enfant en milieu hospitalier de Bobo
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Le noma de l`enfant en milieu hospitalier de Bobo
LE NOMA DE L’ENFANT EN MILIEU HOSPITALIER DE BOBO-DIOULASSO : ASPECTS EPIDEMIOLOGIQUES, CLINIQUES ET PRISE EN CHARGE TALL F. (1), KI-ZERBO G. (2), OUEDRAOGO I. (3), GUIGMA Y. (4) INTRODUCTION Le noma, ou cancrum oris, du grec «dévorer», est une affection connue depuis l’antiquité et désignée sous ce nom par Lund en 1762 [1]. En Afrique, ENWONWU, CLAVEAU, GUIGMA ont, parmi d’autres, contribué à la connaissance des facteurs étiologiques et des formes cliniques de cette affection [2, 3, 4, 5, 6]. Parmi les facteurs incriminés dans la pathogénie du noma, la malnutrition protéino-calorique, les carences en vitamines, les infections (en particulier la rougeole et l’infection par le VIH) sont les plus souvent cités. Ces affections, par leur expression stomatologique et leurs conséquences sur l’état général, font le lit de la gangrène caractéristique [2, 5, 6, 7]. Les endémies parasitaires et la mauvaise hygiène participent au faisceau de déterminants du noma [6]. ENWONWU insiste sur le rôle de la première dentition et des parodontopathies comme primum movens de la maladie. Le rôle des germes anaérobies ou d’associations poly-microbiennes incluant, Fusobacterium necrophorum, Bacteroïdes fragilis, Borrrelia vincenti, Fusiformis fusiformis, est souligné par de nombreux auteurs [1, 8, 9]. Clinique Le noma débute par une macule douloureuse de la muqueuse du rempart alvéolaire qui aboutit à une phlyctène puis une ulcération à bords dentelés tapissée d’un enduit grisâtre à fond dur et saignant. Il s’ensuit une infiltration œdémateuse de la région faciale en regard avec fétidité de l’haleine, douleurs, difficultés de l’alimentation et de la phonation, adénite locale. L’enfant est 1. Professeur - Service de Pédiatrie, CHNSS de Bobo-Dioulasso Faculté des Sciences de la Santé, Université de Ouagadougou, 03BP 7021 (Burkina Faso). 2. Maître-Assistant - Service de Médecine Interne, CHNSS de BoboDiou lasso - Faculté des Sciences de l a S anté, Uni versi té de Ouagadougou 03BP 7021 (Burkina Faso). 3. Interne - Service de Chirurgie Maxillo-faciale, CHNSS 01. BP 676 Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). 4. Chirurgien - Chef Service de Chirurgie Maxillo-faciale, CHNSS BP 676 Bobo-Dioulasso (Burkina Faso). fébrile, prostré et présente des troubles digestifs. A la phase d’état, l’inflammation locale est manifeste et limitée par un sillon noirâtre délimitant la perte de substance à venir. Rapidement, les tissus nécrosés à l’intérieur du sillon d’élimination chutent, mettant à nu, à travers un cratère à bords taillés à l’emporte-pièce, l’os sous jacent. Enfin, à la chute de l’escarre, une ouverture béante donne dans la cavité buccale [2, 10, 11]. Les formes cliniques sont localisées, étendues ou complexes atteignant le maxillaire supérieur, le sinus maxillaire, la pyramide nasale, l’orbite. L’atteinte faciale bilatérale n’est pas exceptionnelle. Le diagnostic différentiel ne se pose qu’au stade de début. Le lymphome de Burkitt débute par l’os alvéolaire et respecte les muqueuses, il n’y a pas de sillon d’élimination. Les autres causes d’ulcération faciale (syphilis, leishmaniose cutanéo-muqueuse) surviennent dans un contexte épidémiologique différent. Il en est de même pour les tréponématoses endémiques [12, 13]. Les principales séquelles du noma sont les pertes de substance et la constriction permanente des mâchoires. Le traitement médical repose sur les antibiotiques en diverses associations (pénicilline G, métronidazole, aminosides, lincosanides), irrigation des zones nécrosées, l’élimination des séquestres. La rééquilibration hydro-électrolytique et nutritionnelle est également essentielle [10, 2, 14]. Les objectifs de la chirurgie sont de : * supprimer les rétractions cicatricielles ; * restaurer les plans cutanés et musculaires ; * combler les communications bucco-nasales ; * rétablir une denture satisfaisante. MALADES ET METHODES Nous avons étudié rétrospectivement les dossiers d’enfants âgés de moins de 15 ans et hospitalisés pour noma évolutif ou au stade de séquelles dans les services de pédiatrie et de chirurgie maxillo-faciale du Centre Hospitalier National Sanou Souro (CHNSS) de Bobo- Odonto-Stomatologie Tropicale 2001 - N°96 Le noma de l’enfant… Dioulasso de 1987 à 1996. Une enquête supplémentaire au domicile des malades a été menée de septembre 1997 à janvier 1998. Des données socio-démographiques (âge, sexe, niveau socio-économique, antécédents), psychosociales (impact de l’affection sur l’enfant et sa famille), cliniques et paracliniques ont été recueillies. cartilagineuses 22,3 % intéressaient le maxillaire inférieur (27,3 %), le maxillaire supérieur (24 %) et la columelle (5 cas). Des atteintes atypiques ont été retrouvées : . plancher de l’orbite avec fonte de l’œil ; . atteinte labio-mentonnière (2 cas) ; . atteinte sous-mentonnière (1 cas) ; . atteinte de la cloison nasale associée à une lésion de la lèvre supérieure (1 cas). RESULTATS Fréquence hospitalière et profil épidémiologique A propos du noma séquellaire Huit cas ont été recensés dont : . 3 localisations externes étendues ; . 3 constrictions permanentes des maxillaires ; . 2 atteintes hémi-faciales complètes. Les atteintes internes ont concerné le palais et le plancher buccal, l’os nasal, la columelle, les maxillaires supérieurs et inférieurs, l’orbite. Les 59 cas de noma représentent 3,84 % des hospitalisations en chirurgie maxillo-faciale et 1,5 ‰ des hospitalisations en pédiatrie. Le nombre moyen de cas annuel est de 5,9 avec des extrêmes de 1 et 17. Le sex-ratio est de 58 % en faveur des filles. L’âge moyen des malades est de 4 ans avec des extrêmes de 1 et 14 ans. La tranche d’âge de 1 à 5 ans représente 80 % des cas. Le niveau socio-économique est bas dans 98 % des cas. La répartition selon l’appartenance ethnique épouse les données démographiques nationales et le profil habituel de recrutement de l’hôpital. L’accessibilité géographique d’une structure sanitaire était «facile» (<6 km de distance) dans 52,5 % des cas. Aspects paracliniques La vitesse de sédimentation était accélérée (>40 mm) dans 91 % des cas. La leucocytose était supérieure à 10000/mm3 dans 50 % des cas. Une anémie avec taux d’hémoglobine inférieur à 8 g/dl existait dans 43 % des cas. La sérologie VIH était positive dans 6 % des cas et une anergie tuberculinique a été notée dans 73 % des cas. Facteurs associés et itinéraire thérapeutique Une malnutrition et une mauvaise hygiène dentaire sont retrouvées dans les antécédents dans 75 % des cas. Une parasitose intestinale, une rougeole, un paludisme sont signalés dans 25 % des cas. Un traitement traditionnel utilisant entre autres des applications de végétaux, bouse d’animaux, a été pratiqué dans 95 % des cas. 86,4 % des cas étaient des noma évolutifs à l’admission et 13,6 % des lésions séquellaires. Le délai moyen de consultation était de 18 jours avec des extrêmes de 5 et 56 jours. Traitement et évolution Une mono antibiothérapie a été pratiquée dans 35,3 % des cas, une bithérapie dans 41,2 % des cas et plus de 2 antibiotiques ont été utilisés dans 23,5 % des cas. Les pénicillines ont été utilisées dans 53 % des cas. Une transfusion sanguine a été nécessaire dans 20 % des cas et une réhydratation parentérale dans 13 %. Un régime hyperprotidique et hypercalorique a été prescrit dans 84 %. Des soins locaux à base d’antiseptiques ont été utilisés dans tous les cas. 39 % des patients ont séjourné moins d’un mois ; 37 % ont séjourné entre 1 et 2 mois. 17 % des patients ont eu une durée d’hospitalisation de 3 à 4 mois. 7 % sont sortis après plus de 4 mois d’hospitalisation. Le traitement chirurgical a été possible dans 60 % des cas. 19,4 % des interventions ont été réalisées au Burkina et 80,6 % en Suisse et en France. Une moyenne de 2,87 interventions par malade a été nécessaire avec des extrêmes de 1 et 11 interventions. Le devenir des cas de noma évolutifs a été : . guérison sans séquelles majeures (29,6 %) ; Aspects cliniques A propos du noma évolutif (51 cas) 82 % des malades avaient un mauvais état général et 42 % avaient une fièvre dépassant 38°C. Une malnutrition a été observée dans 75 % des cas. La topographie des lésions était la suivante : . joues 31,4 % . lèvres 27,8 % . commissures labiales 24,3 % . pyramide nasale 7,8 % Les topographies jugales, labiales et commissurales représentaient 83,4 % des atteintes. Les atteintes ostéo- 22 Odonto-Stomatologie Tropicale 2001 - N°96 Le noma de l’enfant… . guérison avec séquelles majeures (56,8 %) ; . décès (13,6 %). dans notre étude NGONI trouve 90 % de séropositifs VIH dans sa série de noma à Brazzaville [7]. Impact psychosocial et économique Le taux de guérison de 76,5 % du noma évolutif est appréciable, mais reste inférieur aux 92 % de EKSTEIN en Tu rquie [19]. La létalité globale est de 11,86 %. ADEKEYE et coll. ne déplorent aucun décès sur 13 cas de noma évolutif [20]. 91,5 % des familles ignoraient tout de la maladie. La chute de l’escarre a été l’événement marquant dans le vécu de la maladie. Les problèmes financiers, l’image dévalorisante offerte par l’enfant, la superstition sont les préoccupations les plus souvent avancées et entraînent parfois des attitudes de démission et de résignation. Chez l’enfant, les séquelles fonctionnelles à type de sialorrhée, difficultés d’ingestion d’aliments, de phonation entraînent une anxiété, un repli sur soi et une culpabilisation. Le coût de la prise en charge hospitalière au Burkina pour une durée de séjour moyenne de 43 jours a été de 255 000 F CFA* dont 95 000 F CFA pour les médicaments, la nourriture, la chambre et le régime enrichi et 160 500 F pour la chirurgie réparatrice. En Europe, le coût moyen du traitement était de 5 500 000 F CFA pour chaque enfant. Les complications intercurrentes de la malnutrition, de l’anémie, de la rougeole sont responsables en partie de l’évolution défavorable [18, 19]. Il faut y ajouter le délai à la consultation. En effet, plus de 66 % des décès sont survenus dans les deux premières semaines après l’admission. 8,5 % des patients sont sortis sans avis médical avec un risque majeur de complications. Le nombre moyen d’intervention de 2,87 par enfant est considérable. Cette chirurgie est lourde en toutes ses étapes de préparation, d’anesthésie et de technique. Sur les 29 enfants opérés, seuls 9 ont présenté une bonne évolution de la greffe. Les suites opératoires immédiates sont bonnes et aucun décès n’a été déploré. Par contre, 58,6 % des enfants ont subi une rétraction de la greffe à terme. DISCUSSION Malgré la perte d’information liée au caractère rétrospectif de cette étude, et le nombre limité de cas nous pouvons tirer de cette étude les commentaires suivants. CONCLUSION Les 59 cas de noma recensés en 10 ans sont sans doute une sous-estimation de la prévalence réelle de cette pathologie. TEMPEST a recensé 250 cas de noma en 4 ans à Ibadan [9]. * Le noma est une réalité persistante et préoccupante dans le contexte hospitalier à Bobo-Dioulasso. * La pauvreté, l’insécurité alimentaire, le manque d’accès à l’éducation, aux soins restent des déterminants majeurs de cette pathologie. * La première enfance est de très loin la tranche d’âge la plus touchée. * Le diagnostic est tardif et surtout fait au stade de séquelles souvent complexes. * Les atteintes jugales prédominent dans les formes cliniques * Une guérison au prix de séquelles fonctionnelles et esthétiques est obtenue dans 80 % des cas. * Les suites opératoires immédiates sont satisfaisantes mais les rétractions, les lâchages, les fibroses, et le retard à la reconstruction sont liés à la croissance des enfants. * L’impact psychosocial est lourd et l’itinéraire thérapeutique facteur supplémentaire de rupture de l’équilibre familial. * La létalité reste préoccupante pour une affection éminemment évitable. La tranche d’âge des 1-5 ans prédomine. REYNAUD rapporte le même pourcentage entre 2 et 6 ans [15]. Dans notre contexte, le sevrage, des enfants a lieu entre 18 et 36 mois. C’est également l’âge des remaniements inflammatoires bucco-dentaires, de la malnutrition et de la rougeole qui a été retrouvée dans les antécédents proches de 25 % de nos cas [5]. Selon l’O.M.S., le noma est un bon indicateur de pauvreté [4]. La fréquence de la malnutrition protéino-calorique est de 80 % selon NGONI à Brazzaville [7]. Le noma séquellaire étendu avec constriction permanente des mâchoires domine l’évolution chez nous comme dans d’autres études [5, 16, 17, 18]. Les perturbations biologiques non spécifiques de l’hémogramme et la vitesse de sédimentation reflètent le contexte infectieux. La sérologie VIH n’a pas été systématique 23 Odonto-Stomatologie Tropicale 2001 - N°96 Le noma de l’enfant… Il convient donc de mener une politique multi-sectorielle de développement communautaire en renforçant les connaissances, les apports alimentaires, l’accès aux vaccinations et aux soins. A cet égard, l’hygiène buccodentaire reste un domaine d’intervention prioritaire. Toutes ces actions en amont sont de nature à réduire l’incidence hospitalière du noma. Au niveau de référence supérieur, le renforcement des ressources humaines et du plateau technique et la coordination des efforts de prise en charge humanitaire en partenariat s’imposent. Enfin une amélioration du recueil de données fiables est nécessaire pour mieux évaluer la charge socio-sanitaire de cette affection. RESUME Le noma est une affection mutilante sévissant surtout chez l’enfant dans les pays en développement. Sa pathogénie est multifactorielle et ses conséquences physiques et psychosociales sont souvent très marquées. Méthodologie : dans le but d’évaluer les aspects épidémiologiques, cliniques, et le traitement du noma à BoboDioulasso, nous avons étudié les dossiers d’enfants hospitalisés entre 1987 et 1996 dans les services de pédiatrie et de chirurgie maxillo-faciale. Au cours de cette période 59 enfants ont été admis pour noma. Une enquête complémentaire en milieu familial a été menée entre septembre 1996 et janvier 1998. Résultat : la prévalence hospitalière est de 1,5/1000. 81 % des cas sont âgés de 1 à 5 ans. Il existe une prédominance féminine. Le contexte socio-économique est marqué par la pauvreté, la malnutrition, les maladies infantiles et le recours initial aux thérapeutiques traditionnelles. L’atteinte jugale (31,3 %) prédomine, suivie par les lésions labiales et commissurales. Le taux de guérison après traitement est de 79,66 % avec cependant des séquelles fonctionnelles et esthétiques. La létalité hospitalière est de 11,86 %. Des problèmes évolutifs post-chirurgicaux sont fréquents et dus à la croissance des enfants. L’impact psychosocial est significatif et pose des problèmes de réinsertion familiale et sociale. Conclusion : l’information, l’éducation, la promotion de la santé, l’organisation et le renforcement des ressources disponibles sont nécessaires pour réduire la charge socio-sanitaire du noma au Burkina Faso. Mots clés : Noma, enfants, épidémiologie, facteurs associés, séquelles, prise en charge, Burkina-Faso. SUMMARY Cancrum Oris (Noma) in children hospitalized at Bobo-Dioulasso hospital : epidemiology, clinical features, and management A retrospective study covering ten years (1987-1996) was conducted to assess the epidemiology, clinical features and management of cancrum oris (noma) in children from Burkina Faso. Fifty nine (59) children were admitted with cancrum oris at the paediatrics and maxillo-facial surgery units of BoboDioulasso, the second town of Burkina Faso. The hospital prevalence of noma is 1.5/1000. 81 % of the cases were in the 1 to 5 years age group and 58 % were females. Predisposing factors include poverty, lack of immunization, malnutrition, bad oral hygiene, measles and parasitic diseases. The cheek was involved in 31 % of the cases. Cure was obtained in 80 % of patients after medical and surgical treatment. However, many sequels were observed. Post operative outcome is complicated by the children’s growth and often results in retractions, recurrence of ulcers or constriction. Psychological and social problems are associated. Management is difficult in our setting because of the lack of information, cost of the treatment and the absence of well-equipped plastic surgery units. Key words : Cancrum oris, children, risk factors, sequel, plastic surgery, Burkina Faso. 24 Odonto-Stomatologie Tropicale 2001 - N°96 Le noma de l’enfant… BIBLIOGRAPHIE 1 - ENWONWU C.O. Noma : a neglected scourge of children in sub-saharan Africa Bulletin of the W.H.O. 1995, 73 (4) 541-5. 2 - CLAVEAU A.M. Le Noma Encycl. Méd. Chir. ORL. Editions Techniques. Paris. 1992 , 20 - 376. 10. 3 - GUIGMA Y. Le noma ou gangrène de la joue. Communication IIèmes Journées Scientifiques du Houet - BoboDioulasso 28 mars-3 avril 1993. Livre des résumés : p 29. 4 - World Health Organization A disease such as Noma should not exist. Contact Noma 1990, 10 : 8 p. 5 - COSTINI B, LAROQUE G, DUBOSCQ J.E., MONTANDON D. Noma ou cancrum oris ; aspects étio-pathogéniques et nosologiques. Méd. Trop. 1995, 55 (3) : 263-73. 6 - ENWONWU C.O. Orofacial gangrene (cancrum oris) in third world countries. Rapport OMS Nashville. 1991, 19 p. 7 - NGONI B.G. ; MANGA M., NGOMA M., MPONA L. NZINGOULA S. 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