Regards croisés sur les signes précoces de rechute des sujets

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Regards croisés sur les signes précoces de rechute des sujets
L’Encéphale (2011) 37, 207—216
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Regards croisés sur les signes précoces de rechute
des sujets schizophrènes夽
Relapse in schizophrenia: An exploratory study of the joint conceptions of
patients, parents and caregivers
M. Koenig a,∗,c, M.-C. Castillo a, I. Urdapilleta b, P. Le Borgne c, J.-H. Bouleau c
a
Laboratoire de psychopathologie et de neuropsychologie (EA 027), université Paris-8, 2, rue de La Liberté,
93526 Saint-Denis cedex, France
b
Laboratoire de psychologie sociale (EA 351), université Paris-8, 2, rue de La Liberté, 93526 Saint-Denis cedex, France
c
Hôpital de jour—François-Villon, 10, rue de l’Éclipse, 95800 Cergy Saint-Christophe, France
Reçu le 9 septembre 2009 ; accepté le 15 avril 2010
Disponible sur Internet le 14 août 2010
MOTS CLÉS
Alliance
thérapeutique ;
Détection précoce ;
Prévention ;
Rechute ;
Schizophrénie
Résumé La prévention des rechutes est devenue l’un des enjeux majeurs de toute prise en
charge à long terme des patients schizophrènes. Les stratégies psychosociales de détection
des signes avant-coureurs de rechute s’avèrent pertinentes car elles permettent d’intervenir
précocement sur le processus de rechute afin de le stopper ou d’en limiter les conséquences.
L’objectif de cette recherche était d’étudier les contributions apportées par chacun des acteurs
inclus dans ce type de stratégie. Nous avons ainsi réalisé une étude qualitative et exploratoire
auprès de dix parents de sujets schizophrènes, dix patients schizophrènes et dix soignants
dans l’objectif de mieux comprendre la manière dont ces trois groupes définissent les éléments de la rechute. L’analyse de contenu réalisée par le logiciel Alceste a dégagé différentes
classes de discours mettant en exergue les conceptions variées d’une rechute, notamment
la nature des signes précoces identifiés. Nos résultats étayent l’importance d’une alliance
thérapeutique entre la triade patients/parents/soignants, en mettant en avant la complémentarité de leur rôle et de leur expertise dans l’identification de la « signature de rechute » des
patients. L’application de notre étude concerne la mise en place d’un dispositif de prévention
des rechutes respectant les spécificités de chacun.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
夽 Une partie des résultats de cette recherche a été présentée de manière résumée et sous forme de communication affichée au
congrès de l’Encéphale (Paris, 22—23—24 janvier 2009).
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Koenig).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2010.06.002
208
KEYWORDS
Early detection;
Prevention;
Relapse;
Schizophrenia;
Therapeutic alliance
M. Koenig et al.
Summary
Introduction. — The question of the course of schizophrenia relapses, is of considerable interest
in different clinical and social areas such as prognosis, quality of life, therapeutic relationship,
psychoeducation, rehabilitation and so on. The more the schizophrenic relapses, the higher the
level of handicap. Although there is a widespread agreement that it is essential to detect early
signs of relapses in order to prevent them, there still remain theoretical and methodological
difficulties in identifying these signs because they are personal, heterogeneous and not always
specific to psychosis. That is why the notion of ‘‘relapse signature’’ seems relevant by taking
into account differentiated and personal assessment of early signs of relapse. This implies the
consideration of the different visions of relapse given by patients, parents and caregivers.
Objective. — We propose a qualitative study of the joint appraisal of patients, patients’ parents
and medical staff. The aim of this study is to regroup the expertises in order to further our
understanding of the early signs of relapse. We assume that patients and parents are able
to describe signs that are not considered as pathological symptoms, but refer to a personal
manner of initiating the relapse process. This should then help in designing early intervention
and provide reinforced therapeutic alliance and more positive responses to psychoeducation
programs.
Method. — We have interviewed 30 subjects divided in three groups: 10 schizophrenic patients,
10 caregivers (including physicians, psychologists and nurses) and 10 parents of schizophrenics.
The patients met the following criteria: patients with a diagnosis of schizophrenia (DSM IV criteria), under neuroleptic treatment, and stabilized. The mean duration of illness was 15 years.
The patients as well as caregivers were recruited in two external hospital structures. All the subjects gave their written consent for this study and its methods. We did not recruit parents who
were not living with their schizophrenic child or who did not see or have frequent contact with
him or her for this study. We conducted a semistructured interview and analysed the transcripts
of the narratives provided by our three groups on the definition of relapse and early signs of
relapse. Recorded interviews were processed using the Alceste Method, a computer program of
textual analysis that identifies the word patterns most frequently used by the subjects. Alceste
creates classes of words using a hierarchical descending classification. The description of each
class is presented in the form of a word list (with the value of the word’s Chi2 association in
this class). We assessed the awareness of problems using the 8-Q.
Results. — The three groups described relapses as a distressed, even traumatic experience. This
experience is shared by the patients’ siblings who sometimes mention violent situations and
difficulties at home. The analysis showed that each group uses a compartmentalized universe of
speech. This raises the question of the communication and the sharing of information between
the different groups. Parents who didn’t live the relapse of their children and the caregivers gave
prepsychotic or psychotic symptoms of relapse. Conversely, parents who had lived relapse(s) of
their children gave nonspecific and very personalized signs of relapse (e.g., ‘‘When she relapses,
our daughter eats much more cheese than usually’’). The patients with a low level of awareness
of his/her problem were able to describe early signs of relapse. They described mood and sleep
disturbances. This is an unexpected result and calls for a debate on the need or not to have
good insight in order to follow a psychoeducation program.
Conclusion. — This study insists on the complementarity of different conceptions of all persons
involved in schizophrenic relapse in order to identify as accurately as possible the ‘‘relapse
signature’’ of patients. According to us, and in order to promote suitable subjective data to
increase insight, compliance and therapeutic alliance, psychoeducation programs should rely
on these personal criteria rather than propose systematic programs. Then the relapse signature
could be the first step to the appropriation of the course of illness and control of psychotic
symptoms by schizophrenic patients.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Introduction
Il existe un consensus autour de l’importance clinique
des épisodes de rechutes dans la schizophrénie. Leur
fréquence, leur nature et leur intensité ont une valeur pronostique car constituent des éléments péjorant l’évolution
du trouble. Il s’avère ainsi primordial de cerner leurs
caractéristiques et de faire de leur prévention l’un des
objectifs majeurs de la prise en charge des patients schizophrènes. Durant ces 30 dernières années, le regard sur
les patients et leur entourage s’est profondément modifié. Les patients sont aujourd’hui considérés comme des
Regards croisés sur les signes précoces de rechute des sujets schizophrènes
sujets acteurs de leur prise en charge thérapeutique [20]
et la notion d’alliance thérapeutique a été reconnue
comme fondamentale dans l’amélioration de l’observance
thérapeutique [11] et de la qualité de vie du patient
schizophrène [13]. De même, la famille est désormais
considérée comme « alliée plutôt qu’interférente ou coupable » [5] et certains ont avancé l’idée de la considérer
comme co-thérapeute [31]. De ces nouvelles conceptions
découlent des stratégies thérapeutiques d’information du
patient et de sa famille telle que la psychoéducation. Notre
étude se situe au cœur de ce contexte théorico-clinique
et vise à développer des éléments de compréhension
des rechutes schizophréniques en prenant en compte les
contributions apportées par la triade patients/parents de
patients/soignants.
Revue de la littérature
La rechute : un processus variable et
multidimensionnel
On considère que 35 % des patients schizophrènes présentent un nombre important de rechutes et connaissent
ainsi une détérioration progressive et marquée du cours
de leur pathologie [15]. Cependant, la définition et le
repérage des rechutes soulèvent un certain nombre de difficultés.
La rechute est couramment décrite comme la
« réémergence ou l’aggravation des symptômes psychotiques » (i.e., idées délirantes et hallucinations)
[3,19]. Les études sur les rechutes utilisent des échelles
d’évaluation psychiatrique classiques (Brief Psychiatric
Rating Scale [BPRS] ; Positive and Negative Syndrome
Scale [PANSS]) pour mesurer l’intensité et la nature
des symptômes et s’appuient également sur les évaluations cliniques des praticiens. Si ces pratiques ont
une place essentielle dans les décisions de réajustement de traitement ou d’hospitalisation, utiliser
des critères standardisés et opérationnels faciliterait la communication professionnelle et scientifique
[21].
Aujourd’hui, la multiplication des recherches sur
l’évolution de la schizophrénie a permis de se dégager
d’une vision dichotomique et réductrice de la rechute en
termes d’absence ou de présence. La rechute se conçoit
désormais comme un continuum, un phénomène évolutif, multidimensionnel et présentant une grande variabilité
interindividuelle [16] du point de vue de sa durée, de son
intensité, du nombre et de la nature des symptômes qui y
sont associés. L’intervention précoce vise à ralentir ou éviter ce phénomène [30]. Le modèle récent de Birchwood et
Spencer [3] en décrit trois phases : la première se caractériserait par des modifications cognitives, la deuxième par
des éléments de dysthymie et la troisième par l’avènement
de symptômes prépsychotiques ou psychotiques. Le développement ou la réversibilité de ce processus dépendraient
de facteurs internes spécifiques à chaque patient (i.e. la
vulnérabilité, les capacités d’adaptation et de résilience)
et externes (i.e. l’entourage du patient, le(s) stress et les
événements de vie) selon le modèle vulnérabilité — stress
[32].
209
Les stratégies de détection et d’intervention
précoce
Les tenants des stratégies de détection et d’intervention
précoce postulent que la rechute est un processus qu’il est
possible de prédire et ainsi rendre réversible sur la base
de signes précurseurs et prônent une intervention pharmacologique et/ou thérapeutique la plus précoce possible. La
« décompensation psychotique » est en effet précédée par
un ensemble de manifestations dont l’intensité s’accentue
au fur et à mesure que le processus avance. Il s’agit
d’aider le patient avant que les symptômes grandissants ne
deviennent source de stress excessifs et donc que la rechute
« sérieuse » n’ait lieu [14,30].
Les signes précoces de rechute peuvent être définis
comme des expériences subjectives, pensées et comportements inhabituels du patient survenant dans la phase
précédant la rechute psychotique. Dans la littérature, la
question est de définir un seuil entre signes précurseurs
et symptômes signant déjà l’entrée dans la rechute. Or
cette distinction n’est pas si aisée à établir car ces signes
sont hétérogènes, de nature très générale (e.g., inquiétude,
agitation, méfiance), ou encore se manifestent sous forme
de comportements particuliers (e.g., port de vêtements
spécifiques, coiffures flamboyantes). Ils peuvent être non
spécifiques à la psychose (e.g., dépression, troubles obsessionnels) comme relevant de symptômes psychotiques (e.g.,
hallucinations, automatisme mental) [30]. Dès lors, se pose
la question de la prédictibilité de ces signes précoces en
termes de rechute. Plus globalement, la détection précoce,
qu’elle concerne la première décompensation ou la rechute,
soulève des questions éthiques [7]. En effet, la prédictibilité
des signes précoces pose la question du seuil à partir duquel
il est pertinent de considérer les signes comme des marqueurs possibles de psychopathologie ultérieure. Les signes
précoces sont prédictifs d’une rechute schizophrénique dans
seulement 50 à 60 % des cas [3], ce qui rend nécessaire une
prudence quant à la nature de l’intervention précoce (et
tout particulièrement du point de vue de la prescription d’un
psychotrope).
La valeur prédictive d’un signe précurseur de rechute
dépend de trois dimensions : sa sensibilité (i.e. le pourcentage d’épisodes psychotiques qui ont été précédés par ce
signe), sa spécificité (i.e. le pourcentage de patients qui
n’ont pas rechuté et qui ont pourtant présenté ce signe)
et l’incidence des taux de rechutes dans la population
de patients [12]. Nous l’avons vu, il existe d’importantes
différences interindividuelles dans la nature des signes
précoces de rechutes et de façon plus générale, dans la
manière dont se déroule un épisode de rechute. Ainsi,
puisque chaque patient a sa propre manière de rechuter,
identifier sa « signature de rechute » [27,12], c’est-à-dire
ses signes individuels de rechutes, pourrait alors constituer la clé de l’intervention précoce [3,27]. Cela implique
un suivi personnalisé et appelle la contribution de différents acteurs. En effet, impliquer les soignants, les
patients et leurs proches dans le recueil de ces signes
tout en maintenant un suivi clinique classique permettrait d’obtenir une validité prédictive supérieure à celle
obtenue par des études centrées sur des critères diagnostiques plus stricts (e.g., signes psychotiques ou non)
[12,30].
210
Les acteurs de la détection
Les patients
Pour diagnostiquer une rechute, il est nécessaire de
s’appuyer sur une autoévaluation par les patients schizophrènes de l’intensité de leurs symptômes et de la gêne
qu’ils provoquent. Comme le spécifient Spencer et al. [26],
une rechute est aussi déterminée par le souci, la détresse
et les risques qu’elle entraîne chez le patient. Toutefois, là
encore, certaines difficultés sont à noter : tout d’abord, la
non-compliance au traitement constitue l’un des principaux
facteurs de déclenchement d’une rechute [18]. Ensuite,
l’absence d’insight étant une caractéristique décrite par
de nombreux auteurs [1,8], les sujets schizophrènes sont-ils
à-même de repérer des changements dans les temps précédant leurs rechutes ? Plus le niveau d’insight d’un patient
est bas, plus celui-ci éprouverait des difficultés à identifier des signes précoces de rechute et, par conséquent, plus
il aurait besoin de se fonder sur une aide extérieure [29].
Enfin, la méconnaissance de la maladie est commune à de
nombreux patients. Bien qu’aujourd’hui la grande majorité
d’entre eux soit informée de leur diagnostic depuis la loi du
4 mars 2002, rien n’indique que la connaissance du diagnostic s’accompagne obligatoirement d’une intériorisation et
appropriation de la connaissance des différents symptômes
du trouble.
Les parents
La diminution des temps d’hospitalisation [21] mais aussi la
difficulté à disposer de structures adaptées pour les patients
atteints de schizophrénie placent la famille au premier plan
de la prise en charge de leur enfant au sortir de l’hôpital
[28]. La participation des familles à des stratégies psychosociales de prévention des rechutes permet de diminuer le
taux de rechute du patient [15,17,19,21,23]. À ce titre, des
programmes psychoéducatifs [4,25,27] sont spécifiquement
dédiés à l’identification des « signes d’alarme » de rechute.
Les soignants
Enfin, les équipes soignantes jouent un rôle crucial dans
l’élaboration et la mise en œuvre de l’intervention précoce
[27,28].
Objectifs
La littérature fait état de l’efficacité des programmes
de détection précoce des rechutes lorsqu’ils font intervenir les soignants, les patients et leur famille. Toutefois,
peu d’études se sont consacrées à la perception propre
que possèdent ces différents acteurs d’une rechute. Dans
cette optique, nous proposons une étude exploratoire dont
l’objectif est de spécifier la manière dont les patients
schizophrènes, les parents de patients et les soignants
conçoivent la rechute et décrivent les signes avantcoureurs. Il nous semble que mieux connaître le sens
donné par chacun à la rechute permettrait d’objectiver
et d’éclairer les modalités d’une alliance thérapeutique
entre ces trois acteurs dans le cadre de la prévention
des rechutes. Compte-tenu de la carence des données de
la littérature relatives à notre objet d’étude et conformément au caractère exploratoire de notre recherche,
M. Koenig et al.
nous ne formulerons pas d’hypothèses spécifiques concernant nos résultats. Nous souhaitons spécifier l’existence
d’éventuelles différences intergroupes et intragroupes en
tenant compte de certaines caractéristiques propres aux
patients et parents.
En ce qui concerne les patients, nous explorons leur perception de la rechute en fonction de leur degré d’insight. Au
sein de la littérature, cette variable est présentée comme
étant inversement proportionnelle aux habiletés à détecter
des signes avant-coureurs de rechute. Par cette recherche,
nous souhaitons étudier ce lien qui nous a semblé procéder
davantage d’une impression clinique que de travaux validés
scientifiquement.
En ce qui concerne les parents, nous interrogeons leur
capacité à repérer des signes précoces de rechute en lien
avec leur expertise d’un vécu (ou non) des phases de
rechutes de leur enfant.
Méthodologie
Population
La population de notre étude se compose de 30 sujets, répartis en trois groupes : un groupe de dix sujets schizophrènes,
un groupe de dix soignants et un groupe de dix parents de
sujets schizophrènes. Les patients et les soignants ont été
recrutés dans deux hôpitaux de jour de la région parisienne
(l’hôpital de jour « Crescendo » à Sarcelles, 95200 ; l’hôpital
de jour « François Villon » à Cergy Saint-Christophe, 95800).
Le groupe des patients est composé de huit hommes et
de deux femmes dont l’âge moyen est de 35 ans. Quatre
patients ont un niveau bac ou un diplôme d’études supérieures, quatre ont un niveau d’études secondaires et deux
n’ont pas accédé au lycée. L’ancienneté de la maladie des
patients est en moyenne de 13,7 ans ; ces derniers ont en
moyenne rechuté 4,8 fois1 .
Les patients répondaient aux critères d’inclusion suivants :
• le diagnostic de schizophrénie porté par des praticiens
psychiatres selon les critères du DSM-IV-R, quelle que soit
la forme clinique du trouble ;
• les patients stabilisés, sous traitement neuroleptique.
Il nous a en effet semblé que les sujets non stabilisés
pouvaient se trouver dans une phase floride du trouble
rendant compliqué ou impossible le recueil des données
de recherche.
Les critères d’exclusion étaient les suivants :
• les patients présentant une forme dysthymique du trouble
ou une instabilité de l’humeur au moment de l’entretien
(évaluation réalisée par des praticiens psychiatres) ;
• les patients ayant bénéficié de programmes psychoéducatifs ou de thérapies cognitivo-comportementales. En
écartant un éventuel biais d’apprentissage des signes de
1 Ces informations sont issues du dossier médical des patients. La
rechute était attestée selon le critère d’une réhospitalisation en
psychiatrie.
Regards croisés sur les signes précoces de rechute des sujets schizophrènes
rechute, ce critère d’exclusion permet de nous situer au
plus près de la perception subjective des patients ;
• les patients ayant rechuté dans les six derniers mois ;
• les patients de langue maternelle non française.
Afin de refléter au mieux la composition d’une équipe
soignante en psychiatrie, notre échantillon de soignants
se constitue de cinq infirmiers, de deux cadres infirmiers,
d’un ergothérapeute, d’un psychologue et d’un psychiatre.
Ont été exclus les soignants ayant une expérience professionnelle dans le secteur psychiatrique inférieure à cinq
ans. Nous avons rencontré les parents de notre étude par
l’intermédiaire de l’antenne du Val d’Oise de l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (UNAFAM)
et avons retenu les parents dont l’enfant a été diagnostiqué
schizophrène. Ont été exclus les parents ne vivant pas avec
leur enfant ou n’ayant pas de contact régulier avec celui-ci
(au minimum, une fois par semaine).
Les parents de notre échantillon n’étaient pas ceux des
patients recrutés car notre objet d’étude ne consistait pas
en une comparaison des perceptions de chacun des acteurs
des signes de rechutes chez un même patient. Cela aurait
engagé par ailleurs la question du secret professionnel dans
la mesure où l’annonce du diagnostic de schizophrénie aux
parents nécessiterait l’accord préalable des patients de
notre échantillon (car tous sont majeurs).
Déontologie
Après avoir été informés des modalités de la recherche, les
sujets de l’étude ont lu et signé un formulaire de consentement éclairé.
Outils d’évaluation
L’entretien semi-directif
Nous avons réalisé des entretiens individuels semi-directifs
auprès de ces sujets. Les entretiens d’une durée comprise
entre 20 minutes et une heure ont été enregistrés et
retranscrits dans leur intégralité. L’entretien semi-directif
comportait 14 questions et était organisé selon deux principaux thèmes : les conceptions du processus de rechute
et la prévention des rechutes. Nous développerons uniquement les résultats relatifs au premier thème (voir guide
d’entretien de ce thème en annexe 1). Le processus de
rechute : nous avons exploré la conception et le vécu de
la rechute en recueillant le discours de nos trois groupes sur
les causes, les signes avant-coureurs (par exemple : « Vous
souvenez-vous avoir perçu des signes annonçant la (les)
rechute(s) de votre enfant ? »), les moyens adoptés face
à l’avènement d’une rechute ainsi que les conséquences
perçues.
Le questionnaire de conscience des troubles
Nous avons mesuré le niveau de conscience des troubles
des patients avec l’échelle d’insight Q8 [6]. Cette échelle
de passation se présente sous forme de questions semiouvertes, ce qui assure une cohérence avec notre approche
qualitative. Le score total de cette échelle permet de situer
les sujets selon trois différents niveaux de conscience des
troubles : la non-conscience (score compris entre 0 et 2),
211
la conscience médiocre (score compris entre 3 et 5) et la
bonne conscience du trouble (score compris entre 6 et 8). Ce
questionnaire a précédé les items de notre entretien semidirectif pour tous les patients. Les réponses des patients ont
été cotées par deux juges psychologues.
Traitement des données
Le logiciel d’analyse lexicale Alceste [24] effectue de
manière automatique et systématisée une analyse textuelle
et repose sur l’hypothèse psycholinguistique selon laquelle
les structures sémantiques liées à la distribution des mots
dans le texte n’est pas due au hasard. Ainsi, le logiciel identifie dans un texte les mots les plus fréquemment utilisés
et constitue des classes de discours. Le texte est segmenté
en unités de contexte, en fonction des variables choisies
par les chercheurs. Pour cette étude, les variables déterminées sont le groupe d’appartenance du sujet (patients,
parents, soignants), les thèmes (2 : les conceptions et la prévention des rechutes) et les questions (14). Lors de l’étape
suivante, le logiciel découpe l’ensemble du corpus en n segments (séquences de dix à 20 mots), les « unités de contexte
élémentaire (UCE) » dont la taille est d’environ de dix à
20 mots. Alceste regroupe ensuite l’ensemble des formes
susceptibles d’appartenir à une même famille2 (cette opération dénommée lemmatisation donne lieu à des formes
réduites, par exemple famille et familial(e), sont regroupés dans l’analyse et donc pris en compte comme un
même terme pour établir le Chi2 ). Lors de l’étape suivante, Alceste croise dans un tableau de contingence les
UCE et la présence/absence des formes réduites. Il réalise ainsi une classification descendante hiérarchique. Enfin,
chacune des classes constituées se présente sous forme
d’une liste de mots avec, pour chaque mot, sa fréquence
et la valeur du ␹2 d’association du mot à cette classe.
Plus un mot a un Chi2 important plus il est représentatif
de sa classe. Par exemple, on peut voir dans le tableau
3 (relatif à la question 11) qui présente la classe 2 (soit
21,74 % des UCE) et caractérise le discours des soignants
(*S, ␹2 = 53,71 %) que les mots qui représentent le plus la
classe, c’est-à-dire ceux dont le ␹2 est le plus important
sont décompens+, (␹2 = 36,76), traitement (27,30), stabiliser (24,31), etc. Ainsi, les mots de la classe sont ceux qui
la discriminent des autres classes. Notons que la constitution des classes ne donne en aucun cas une interprétation
des données. Le logiciel fournit une « photographie » lexicale
d’un texte. Dès lors, l’interprétation des classes de discours
implique de fréquents retours aux énoncés ou séquences
discursives du corpus général pour comprendre le contexte
d’apparition des mots les plus fréquents.
Résultats
L’analyse fait apparaître quatre classes de discours mettant en exergue des différences intergroupes et intragroupes
dans la conception du processus de rechute chez les sujets
de notre échantillon. Le corpus comporte 805 UCE, dont
2 Par exemple, les formes agressif, agressive, agressives, agressivité sont regroupées sous la forme réduite agressi+f.
212
M. Koenig et al.
Tableau 1 Termes représentatifs de la classe 1 (160 unités
de contexte élémentaire [UCE] [33,13 % UCE]).
Formes
Chi2
Fois
50,14
*P (patients)
Dormir
44,45
31,25
*U (parents)
Sentir
Sortir
Étais
24,67
22,21
21,65
20,52
*Q13
Prendre
Cachet+
Forme+
An+
Semaine+
Aller
Avais
21,5
20,52
18,51
18,38
16,83
15,99
15,93
14,94
Description par les patients (*P) et les parents (*U) des signes
avant-coureurs de rechute (*Q. 13 : « Vous souvenez-vous avoir
perçu des signes annonçant la ou les rechutes ? »). + : Signifie que
le mot est présent sous sa forme réduite et est ainsi représentatif
de l’ensemble des termes appartenant à sa même famille.
483 ont été prises en compte dans l’analyse (60 % des UCE
totales).
Conception des patients et des parents
L’analyse de nos résultats a permis d’isoler deux classes de
discours (classes 1 et 3) qui regroupent les verbalisations des
patients et des parents de notre échantillon.
La première classe de discours isolée par le logiciel
Alceste représente le discours des patients (␹2 = 44,45) et
des parents (␹2 = 24,67) ayant vécu au moins une rechute
(n = 6) (ou celle de leur enfant, n = 6) autour de la question 13 : « Avez-vous perçu des signes avant-coureurs de
rechute » ? (␹2 = 21,5). Cette classe comprend 33,13 % des
UCE classées : les mots la caractérisant et les Chi2 associés
sont présentés dans le Tableau 1.
Ces patients et parents ont une conception similaire de
la rechute : ils établissent une distinction entre les signes
précoces et les manifestations de la rechute avérée.
Le terme « sentir » (␹2 = 24,67) renvoie à une anticipation
plutôt intuitive de ces épisodes aussi bien chez les patients
(« ben, je me sens pas bien, je me sens angoissé, stressé,
ça fait bizarre, comme effet »), que chez les parents (« on
sent que ça remouline, son cerveau se met à nouveau à
fonctionner en circuit fermé »). Certains parents évoquent
des signes précoces extrêmement précis : « on le voit venir
quand elle fait des excès de fromage » ; « il a le regard
fixe » ; « il semble saoul alors qu’il n’a pas bu ». De façon
plus inattendue, après avoir consulté le corpus général des
entretiens, il apparaît que les patients qui sont le plus à
même de rapporter des signes avant-coureurs de la rechute
sont ceux n’ayant pas conscience de leur trouble (score au
Q8 < 3 ; n = 4). Ils relèvent des signes de nature dysthymique,
soit sur un versant dépressif (« j’étais triste, dépressif »),
soit sur un versant hypomane (« je rigolais tout le temps
et j’étais bien »). Notons à ce titre la diversité interindividuelle et l’homogénéité intraindividuelle de la nature des
signes évoqués par les patients. De même, les patients associent fréquemment une rechute à des troubles du sommeil
(« dormir » [␹2 = 31,25]) : « c’est quand je n’arrive pas à me
rendormir, je ressasse » ; « avant ça, j’avais du mal à dormir »). Ainsi, ces patients et parents évoquent des signes
de rechute non spécifiques à la psychose : l’expérience leur
confère une certains expertise, se traduisant par le repérage
de manifestations précoces « individuelles ». En revanche, la
majorité des patients (quatre sur six) ayant une conscience
de leur trouble bonne ou modérée (score au Q8 > 3 ; n = 6)
expriment des difficultés à comprendre la notion de rechute
(« une rechute, je peux pas vous dire, j’ai jamais été bien »)
et ne parviennent donc pas à identifier de signes avantcoureurs. L’occurrence élevée des verbes d’action au sein
de cette classe (« sortir » ; « prendre » ; « aller ») témoigne
d’une démarche active adoptée par les patients pour faire
face à l’avènement d’une rechute. Les moyens envisagés
semblent initialement dirigés vers la prise de médicaments
(« je prends un cachet [␹2 = 18,51] et je m’endors »), mais
pas toujours de façon adaptée, comme l’exprime ce parent :
« ben,des fois il en prend 12 en un soir quand il se sent trop
malade ».
La rechute « avérée » est décrite par l’intermédiaire d’un
discours notoirement plus factuel. Les sujets restent essentiellement centrés sur un axe temporel (an : ␹2 = 18,38 ;
semaine : ␹2 = 15,99), dans lequel les rechutes apparaissent
comme une scansion de la maladie, une répétition (« chaque
fois, je suis allé à l’hôpital »). Le mot « fois » (␹2 = 50,14) est
le mot le plus représenté dans cette première classe. Il renvoie pour les patients à la rechute, bien située dans le temps
(auxiliaires « être » et « avoir » à l’imparfait) et décrite avec
précision : « la dernière fois, ma dernière rechute c’était au
printemps ». Les patients semblent donc assez bien identifier les rechutes (voire leurs mécanismes) : « chaque fois que
je pète un câble, ça entraîne une rechute au niveau psychique ». Ils dénotent en cela une faculté d’observation et
un certain recul par rapport à l’épisode, rapportant parfois
d’ailleurs, mais avec distance, des éléments cliniques assez
douloureux : « jusqu’ici, j’ai chuté tous les dix ans, une fois
[. . .] je me suis pendu ». Pour les parents, le mot « fois » renvoie également à des épisodes de rechute, bien distincts.
Ils décrivent des comportements propres à l’état de crise,
donc des symptômes bruyants : « la deuxième fois il a pris un
couteau, il a fait peur au chat [. . .], il délirait déjà » ; « [la
tentative de suicide] la première fois, il avait pris un produit
pour nettoyer le frigo ». Le discours des patients et parents
se caractérise ici par un engagement émotionnel pauvre
voire inexistant. Ces modalités discursives, caractéristiques
de l’alexithymie, pourraient ainsi refléter un vécu traumatique des épisodes de rechute, l’association entre discours
alexithymique et stress post-traumatique étant une donnée
connue dans la littérature [10].
La troisième classe comprend 22,36 % des UCE classées et
regroupe principalement le discours des parents (␹2 = 30,01),
autour de la question 16 « En avez-vous parlé » ? (␹2 = 44,52).
Les mots caractérisant cette classe et les Chi2 associés sont
présentés dans le Tableau 2.
Cette classe est centrée autour de la cellule familiale restreinte (parents et fratrie) et montre l’impact des rechutes
Regards croisés sur les signes précoces de rechute des sujets schizophrènes
Tableau 2 Termes représentatifs de la classe 3 (108 unités
de contexte élémentaire [UCE], [22,36 % des UCE]).
213
Tableau 3 Termes représentatifs de la classe 2 (105 unités
de contexte élémentaire [UCE] [21,74 % des UCE]).
Formes
Chi2
Formes
Chi2
*Q16
Frère+
Sœur+
Enf+ant
44,52
39,08
36,88
34,05
*U (parents)
Ma
Papier+
Entendre
Fils
Père+
Boulot+
Argent
Maison+
Fille+
30,01
22,82
21,1
20
19,54
17,54
17,54
17,54
16,91
16,91
*S (soignants)
Décompens+
Traitement+
Stabilis+er
Socia+l
Manifestation+
Pati+ent
Arret+
Déli+rer
53,71
36,76
27,3
24,31
23,88
21,87
20,65
20,37
19,12
*Q11
Facteur+
Famille+
Arrêt+er
Relation+
18,19
18,19
17,7
17,2
16,93
Q22
15,99
Classe centrée sur la cellule familiale restreinte (parents,
enfants et fratrie) lorsqu’il s’agit de parler de la maladie (*Q. 16 :
« Avez-vous parlé de votre [variante : cette] rechute ? Si oui, à
qui ? »).
dans l’environnement immédiat. Pour les parents, la famille
représente le lieu d’expression privilégié d’éléments faisant
craindre une rechute : « oui, j’en parle avec son frère et sa
sœur » ; « j’en parle pas spécialement aux soignants, [. . .] je
rappelle mes filles ». Les parents associent la rechute aux
soucis et contraintes du quotidien (« papiers », « argent »,
« boulot ») ainsi qu’au lieu de vie (« maison »). La « maison »
(␹2 = 16,91) est décrite comme refuge, abri (« quelqu’un qui
est en crise, si on sait ce que c’est, s’il prend ses médicaments, s’il est bien entouré, il peut peut-être rester à
la maison »), mais aussi comme terrain d’élaboration de la
rechute (« il se fout au lit, il abandonne tout quoi, [. . .]
donc là il se met direct à la maison ») et enfin comme lieu
d’expression de la crise (« il y a eu des périodes à l’hôpital
qui ont été aussi problématiques que celles qu’on a à la maison [. . .], c’est des crises, c’est l’agressivité, bris d’objets,
des insultes »). Le pronom possessif « ma » (␹2 = 22,82) est
majoritairement utilisé par les patients et associé à des
personnages familiaux féminins. Ces derniers sont à la fois
décrits comme des personnes de confiance à qui les patients
communiquent en priorité leur mal-être (« je parle qu’à ma
mère »), mais également des personnes placées au cœur des
conflits familiaux (« ma sœur et ma nièce, elles cherchaient
à me taper »). Pour les patients, l’évocation des épisodes de
rechutes est souvent associée à l’expression d’un sentiment
d’échec dans la construction d’une vie familiale : « quand
j’ai voulu me fiancer [. . .] quand j’ai eu mon fils, à
chaque moment de ma vie, j’ai pas réussi à être heureux
[. . .] ».
Conception des soignants
Le discours des soignants est représenté dans l’analyse de
notre corpus général par deux classes (classes 2 et 4) isolées par Alceste. La seconde classe regroupe le discours des
soignants autour de la question 11 (␹2 = 18,19 : « comment
Discours des soignants (*S) autour de la définition de la rechute
(*Q. 11 : « Comment définiriez-vous une rechute ? »).
définiriez-vous une rechute concernant la schizophrénie ? »)
(Tableau 3).
Le discours de cette classe est centré sur la qualification médicale voire « académique » d’une rechute, comme
en témoigne la prévalence du terme « décompensation »
(␹2 = 36,76). Ce terme est donc employé comme équivalent de celui de « rechute » mais marque davantage un
enchaînement de faits et de situations conduisant à la
recrudescence des symptômes. En effet, la décompensation
est déclinée en deux univers de discours : l’un concernant la principale cause de la décompensation : l’ « arrêt »
(␹2 = 20,37) du « traitement » (␹2 = 27,30). Le second univers de discours évoque les « facteurs » (␹2 = 18,19) plus
psychologiques caractérisant à la fois les causes et conséquences d’une rechute. Sont ainsi évoqués des événements
de vie, soit négatifs (« une agression »), soit positifs (« un
patient qui va se marier ou un patient qui va avoir un
enfant »). De même, le terme « social » (␹2 = 23,88) renvoie à l’exposé des conséquences de la rechute : « quand
[le patient] est gêné dans sa vie quotidienne, sociale » ;
« ils sont trop délirants et ça envahit tout l’espace
psychique et social ». La dégradation des « relations »
(␹2 = 16,93) avec la famille est également évoquée. Les
soignants semblent ainsi témoigner d’une conception
cyclique de la maladie, entre « décompensations » et phases
de stabilisation (« stabiliser » : ␹2 = 24,31) « ce sont des gens
qui ont été stabilisés et qui se remettent à flamber au
niveau du délire (␹2 = 19,12 »). Enfin, après avoir consulté
le corpus général des entretiens, nous avons remarqué
que le discours des parents dont l’enfant n’a pas rechuté
(n = 4) comportait des caractéristiques comparables à celui
représenté au sein de cette classe. Leur conception d’une
rechute est ainsi sensiblement la même que celle des
soignants : évocation des symptômes positifs du trouble :
« une rechute c’est l’arrêt du traitement et la réapparition
des symptômes, des délires, des voix qu’il entend [. . .] ».
Ces parents envisagent ainsi la rechute à la lumière
214
M. Koenig et al.
Tableau 4 Termes représentatifs de la classe 4 (110 unités
de contexte élémentaire [UCE], [22,77 % des UCE]).
Formes
Chi2
*S (soignants)
Pati+ent
Médecin
Entretien+
Écout+er
73,78
68,76
55,21
48,89
34,63
*Q. 15
Essay+er
Attitude+
Ressentir
Collègue+
Action
Revoir
Diagnostic+
On
Intervenir
33,29
25,48
22,79
20,6
20,6
17,29
17,13
17,13
16,09
16
Discours des soignants (*S) autour de la question *Q. 15 :
« Comment avez-vous réagi ? [à la rechute] »).
du premier épisode du trouble de leur enfant. La quatrième classe regroupe le discours des soignants autour
de la question 15 (␹2 = 33,29 : « Comment avez-vous réagi ? »)
(Tableau 4).
Les mots de cette classe font référence, parfois de
manière stéréotypée, à la stratégie d’équipe déployée et
partagée par les différents professionnels de santé lors
de la perception d’une rechute. Les soignants relatent
ainsi une sorte de « code de conduite » à tenir face à
une rechute, notamment le partage de l’information au
sein de l’équipe, et mettent en avant des termes renvoyant à des actes médicaux (entretien, traitement). Ils
placent le médecin (␹2 = 55,21) en première ligne, comme
responsable de la décision à prendre « le médecin voit le
patient en entretien et il décide s’il faut l’hospitalier ou
pas ». « Patient » (␹2 = 68,76) et « médecin » sont les mots
les plus représentés dans cette classe de discours : « en
général, on voit avec le médecin, déjà avec des entretiens, et s’il y a nécessité de réajuster avec lui pour
aider le patient à prendre le traitement [. . .] » ; « on en
parle avec le médecin qui s’en occupe ». Les soignants
se positionnent comme relais de l’information « c’est un
travail d’équipe aussi, donc il faut leur transmettre les
informations à l’équipe [. . .], on en parle avec les collègues, oui ». Ils adoptent une position d’observation (voire
de passivité) : « en premier lieu, on observe et ensuite
on retranscrit principalement au médecin ». Le terme
« essayer » (␹2 = 25,48) renvoie à la prudence dans le contact
avec le patient tout en poursuivant l’objectif de recueillir
des données sur les circonstances de la rechute (« ben,on
essaie de s’entretenir avec le patient, savoir pour quelles
raisons il a cette attitude là », « on va essayer de savoir
s’il y eu des difficultés familiales le week-end »). Les
termes les plus représentés après ceux de « patient » et
« médecin » expriment une certaine retenue et se situent
du côté de la relation (« entretien », ␹2 = 48,89 ; « écouter »,
␹2 = 34,63 ; « revoir », ␹2 = 17,13). Ainsi, nous remarquons
que la plupart des soignants reste dans des généralités et
expriment peu d’anecdotes ou d’illustrations. Nous notons
également l’absence de termes renvoyant aux familles :
la triade évoquée est constituée des patients-médecinssoignants.
Discussion
Au terme de notre analyse discursive portant sur les conceptions du processus de rechute dans nos trois groupes
(patients, parents et soignants de sujets atteints de schizophrénie), trois points nous semblent importants.
La description d’une rechute est pour nos trois groupes
empreinte d’un vécu extrêmement négatif, voire traumatique pour les patients et parents. Les sujets rapportent des
scènes de violence et des conflits familiaux et relatent les
échecs de la vie liés à la pathologie en général. La rechute
semble alors représenter une sorte de « condensateur » des
aspects négatifs du trouble. Ces éléments viennent étayer
l’importance fondamentale de la prévention des rechutes
dans toute prise en charge du trouble schizophrénique.
Notre analyse a mis en évidence certaines différences
intergroupes dans l’évocation des moyens utilisés face à
l’avènement d’une rechute. Les classes de discours réalisées par Alceste reflètent en effet des univers relativement
cloisonnés : les patients et parents expriment un recours
exclusivement familial lors de la perception des signes de
rechute, les sujets ne font pas appel aux professionnels de
santé. De la même manière, face à la recrudescence de
symptômes, les soignants se mobilisent et montrent une
cohérence de la démarche de soin sans mentionner un quelconque recours à l’environnement familial du patient. Ce
constat soulève les difficultés rencontrées par chacun des
acteurs à nouer une alliance thérapeutique à des moments
critiques de l’évolution du trouble.
Enfin, le traitement Alceste des corpus a mis en évidence
certaines différences intergroupes et intragroupes dans la
conception d’une rechute et plus spécifiquement, des signes
avant-coureurs. Les soignants (n = 10) ainsi que les parents
dont l’enfant n’a pas rechuté (n = 4) semblent concevoir la
rechute en termes de décompensation ou de « crise » et rapportent des signes de rechute de nature psychotique (ou
prépsychotique pour les soignants). Contrairement à cela,
les parents dont l’enfant a rechuté (n = 6) ont développé
une expertise accrue du trouble les conduisant à repérer
chez leur enfant des signes précoces extrêmement précis et
non spécifiques à la psychose. Ils rapportent des manifestations individuelles qui ne sont pas encore des symptômes
cliniques. De façon inattendue, les patients qui n’ont pas
conscience de leur trouble (n = 4) repèrent des signes précoces de rechute, par exemple, des signes de nature
dysthymique, qui rappelons-le, précèdent l’avènement des
symptômes prépsychotiques dans le processus de rechute
selon Birchwood et Spencer [3]. Ce constat vient témoigner de la multidimensionnalité du concept d’insight, telle
que le spécifie Amador et al. [1] qui ont introduit la distinction entre la conscience, c’est-à-dire la reconnaissance
de signes et symptômes et l’attribution de ces signes ou
symptômes à un trouble mental. Au vu de nos résultats,
l’insight n’est pas une condition nécessaire à la participation
des patients aux stratégies d’identification précoce, contrairement à ce qu’avancent certains auteurs (voir à ce sujet
Regards croisés sur les signes précoces de rechute des sujets schizophrènes
l’article de Van-Meijel et al. [29]). Enfin, il apparaît que les
patients de notre échantillon ayant une conscience bonne
ou médiocre de leur trouble, bien qu’ayant déjà rechuté, ne
parviennent pas à identifier des signes précoces de rechute.
Ils expriment une conception continue de l’évolution de
leur pathologie et éprouvent des difficultés à repérer des
phases d’amélioration ou d’aggravation. Ce constat vient
alors étayer la pertinence des stratégies psychoéducatives
proposées par certains auteurs [22] qui consisteraient en
une reconstruction détaillée des différentes phases de la
maladie, de la décompensation à la stabilisation, voire
à la rémission. Plus globalement, l’outil psychoéducatif
s’avère pertinent au regard de l’alliance thérapeutique et
de la prévention des rechutes. D’une part, la transmission
d’information personnalisée aux patients et à leur entourage place ces derniers comme de véritables partenaires de
soins ; l’alliance thérapeutique s’en trouve par conséquent
renforcée [22]. Une de nos précédentes études explorant
le vécu des patients de l’annonce diagnostique va également dans ce sens [9]. D’autre part, la psychoéducation, en
ce qu’elle a pour objectif de stimuler chez les patients des
capacités de reconnaissance et de contrôle des symptômes
de leur maladie, permet de diminuer le taux de rechutes
[2,4,17,19]. Toutefois, notre étude vient interroger la pertinence d’une partie des techniques s’attachant à transmettre
aux patients et aux familles la nature des signes de rechutes
schizophréniques en termes sémiologiques. Cet aspect standardisé nous semblerait pouvoir être modulable afin d’éviter
un biais dans l’identification subjective et personnalisée des
signes de rechute.
Limites de notre étude
La taille restreinte de l’échantillon ne nous permet pas
d’énoncer des généralités mais en tant qu’étude exploratoire elle ouvre des pistes de réflexion.
Le fait de pouvoir interroger conjointement les parents
et soignants d’un même patient ainsi que celui-ci n’a pas
été possible dans cette étude mais pourrait constituer une
piste pour une recherche ultérieure.
Conclusion
Les patients schizophrènes, les parents de sujets schizophrènes et les soignants, possèdent une appréhension
différente mais complémentaire du processus de rechute.
La contribution de chacun de ces protagonistes s’avère
ainsi fondamentale dans l’établissement de la « signature de
rechute » du patient, constituée de signes spécifiques et non
spécifiques à la psychose [15,27]. Au vu de notre analyse discursive, il nous paraît important que chaque sujet impliqué
dans l’alliance thérapeutique conserve son expertise spécifique, c’est-à-dire son langage propre. En plus de favoriser
une identification personnalisée, cela permettrait d’éviter
toute « mise en concurrence » entre les acteurs. Ainsi, il nous
semble pertinent de repenser un dispositif de prévention
des rechutes intégrant les signes donnés par les parents et
patients. En effet, s’ils peuvent ne pas apparaître comme
des symptômes de rechutes aux yeux des soignants, ils sont
pourtant pourvus d’une valeur prédictive pour les acteurs
qui les identifient.
215
Remerciements
Nous tenons à remercier les hôpitaux de jour « Crescendo »
et « François Villon » ainsi que « L’UNAFAM 95 », pour leur
précieuse collaboration.
Nos remerciements vont également à l’ensemble des
sujets ayant participé à cette étude pour leur disponibilité
et leur générosité dans le partage de leur expérience.
Annexe 1. Guide d’entretien semi-directif
La formulation des questions a été adaptée aux différents
groupes des sujets de notre étude.
Exemple :
• « Comment définiriez-vous une rechute concernant votre
trouble ? » [patients]
• « Comment définiriez-vous une rechute concernant le
trouble de votre enfant ? » [parents]
• « Comment définiriez-vous une rechute concernant la
schizophrénie ? » [soignants]
Q. 11 Comment définiriez-vous une rechute concernant
votre trouble ?
Q. 12 Avez-vous déjà rechuté, si oui, combien de fois ?
Q. 13 Vous souvenez-vous avoir perçu des signes précédant la (les) rechute(s) ?
Q. 14 Si oui, lesquels ?
Q. 15 Comment avez-vous réagi ?
Q. 16 En avez-vous parlé ? À qui ?
Q. 17 Pourquoi ?
Q. 18 Quelles sont les causes des rechutes ?
Q. 19 Quelles en sont les conséquences ?
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