IGAL2_2014_TheWire - géographie pratique et critique
Transcription
IGAL2_2014_TheWire - géographie pratique et critique
Licence 2 Géographie et Aménagement, parcours « Espaces et Sociétés » Avril 2014 Explorer la géographie des médias. La série télévisée The Wire Rapport réalisé par les étudiants de l’atelier « Géographie et Médias » Animé par P-O. Garcia et S. Leroux Sommaire Introduction ...................................................................................................................................... 4 SCÉNARISER. THE WIRE ENTRE RÉALITÉ ET FICTION Chapitre I. Soyez Réalistes: The Wire, entre fiction et documentaire ........................ 14 Chapitre II. Qui est donc l’Amérique ? ................................................................................... 30 Chapitre III. The Wire comme laboratoire: Ce que permet la géofiction. ................. 38 EXPLORER. DE LA MÉTAPHORE AUX SCIENCES SOCIALES Chapitre IV. All in The Game: regard géographique ......................................................... 48 Chapitre V. Baltimore hi-‐story : les liens entre Histoire et fiction dans The Wire .. 57 Chapitre VI. Ce que The Wire peut nous apprendre sur la société de surveillance 68 CRITIQUER. LA QUESTION DES INÉGALITÉS SOCIO-SPATIALES Chapitre VII. La marginalisation des quartiers dans The Wire et leur détermination des codes sociaux des personnages : Un monde d'inertie (clos). ... 84 Chapitre VIII. De The Wire à Baltimore: Le phénomène d’hyper-‐ghettoïsation ..... 93 Chapitre IX. Un héritage déshérité : La reproduction sociale ..................................... 101 AFFINER. DES PERSONNAGES ENTRE PAYSAGE, GROUPE SOCIAL ET HIÉRARCHIE Chapitre X. The Wire, les effets de lieu ................................................................................ 112 Chapitre XI. « Are you staying in your own place ?! » ..................................................... 122 Chapitre XII. Chain of command & Espaces liés ............................................................... 138 Table des figures ......................................................................................................................... 149 Table des tableaux ..................................................................................................................... 150 Introduction I. La démarche pédagogique « Fuck ! 30 heures d'atelier « géographe et médias ». Et si on essayait d'être innovants ? Mais qu'est-ce que ça veut dire innovant ? Et si on animait l’atelier en binôme ? Et-ce que ça serait plus sympa et plus efficace ? Et si on faisait faire aux étudiants ce qu’on a envie de faire nous ? Et si on se faisait 30 heures sur The Wire ? Et si on écrivait un bouquin ? Et si … » Tout a commencé par des conversations à l'emporte-pièce à la pause café, des suggestions, des hésitations et puis une envie improbable : faire rédiger à des étudiants un rapport de recherche... « Et si c'était possible ? » … Comment le ferions-nous ? Pour commencer, il s'agit de rappeler que cet atelier est proposé à des L2 lors de leur second semestre. C'est peut-être une lapalissade mais les étudiants de L2 ne sont ni des étudiants de L1, ni des étudiants de L3 et encore moins des étudiants de Master. Ils se trouvent à l'exact milieu de leur licence et nous pouvions donc supposer qu'ils étaient parvenus à un certain niveau. Supposition renforcée par le fait que l'un d'entre nous connaissait une partie d'entre eux et estimait qu'il était possible d'avoir un projet ambitieux. C'est pourquoi, pour cet atelier « géographie et média », nous nous sommes fixés des objectifs pédagogiques précis. Premier d'entre eux, avoir de l'ambition pour nos étudiants et leur proposer de partager un défi commun, celui de rédiger un rapport de recherche sur la série « The Wire » et sur ses dimensions géographiques. Les étudiants peuvent et doivent être mis (pas systématiquement mais régulièrement), dans des situations où on ne leur demande pas simplement d'enregistrer des connaissances mais au contraire de savoir les restituer voire de le co-produire. A ce titre, la rédaction d'un rapport de recherche sur la série The Wire nous semblait un objectif réalisable, du moins nous l'espérions. Et cela nous le semblait d'autant plus que cela nous passionnait et que nous espérions parvenir à transmettre cet intérêt. Néanmoins, il ne fallait pas non plus laisser les étudiants errer pendant 10 séances mais bien leur proposer une feuille de route leur permettant de partir d'un point de départ (peu de connaissances en géographie culturelle ou des médias, des connaissances à affiner sur le monde de la recherche...) et d'arriver à une fin (connaissances partagées, rédaction d'articles, rapport de recherche…). Cela a constitué le socle de notre deuxième objectif pédagogique : parvenir à transmettre du savoir et des compétences qui soient orientés en fonction d'un cadre précis et d'un but à atteindre. Nous nous sommes donc demandés quels étaient les besoins d'étudiants de L2 pour parvenir à réaliser ce projet. Comme souvent, ces besoins relèvent de plusieurs champs : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Un quatrième, le faire-savoir, s'est imposé à nous un peu plus tard. Du côté des savoirs. Nous pouvons noter que dès le départ, nous avons considéré que les étudiants seraient aussi des acteurs de leur apprentissage et que selon les thématiques de leur article, ils s'informeraient en partie par eux-mêmes. Nous avons aussi listé quelques briques de connaissances fondamentales pour qu'ils puissent avancer : des savoirs relatifs à la 4 géographie humaine et culturelle, d'autres relatifs aux médias en général et aux séries en particulier, et enfin une troisième série de savoirs liés au monde de la recherche (autour de la définition de ce qu'est un article scientifique). Du côté des savoirs-faire. Nous avons là-aussi commencé à lister un certain nombre de compétences indispensables à la réalisation de ce projet : savoir rédiger un article scientifique (forme et fond), trouver des ressources sur leur thème d'article, maîtriser des outils techniques (gestionnaire de ressource bibliographique – Mendeley, logiciel de montage vidéo élémentaire – Windows movie maker, logiciel de traitement de texte – Word avec des précisions pour la mise en page, le travail en mode plan, les niveaux de titre...). Du côté des savoirs-être. Il s'agissait de parvenir à créer une dynamique et une émulation pour continuer leur construction en tant qu'« étudiant » c'est-à-dire un individu sachant étudier (et oui une autre lapalissade!) et possédant donc une curiosité, une autonomie et une capacité de réflexion. Tout en ne doutant pas qu'ils ne partaient pas de rien mais qu'il fallait essayer d'entretenir et de stimuler ces points précis. Il fallait donc créer un cadre qui soit à la fois souple et stimulant mais qui, simultanément, les rassure et leur donne des lignes directrices, une forme de partition musicale mais avec le libre choix de l'instrument. Le tableau page suivante montre la grille de progression que nous leur avons proposée au début du semestre. Le contenu de l'atelier était donc précis dès le départ et maintenant que nous sommes arrivés à la fin de l'exercice nous pouvons entamer une démarche critique et réflexive sur son déroulé. Nous pouvons observer des retours de natures différentes : des points positifs, des étonnements et des points négatifs. Le résultat global a dépassé nos attentes. Il y a dans ce dossier des articles de grande qualité qui montrent une certaine finesse d'analyse. Nous avons aussi été plus que satisfait de la qualité de l'investissement des étudiants. Rappelons tout de même qu'il fallait au minimum regarder les 5 saisons et produire à intervalles rapprochées des « papiers ». Autre point positif, celui du déroulé des séances. Le cadre proposé a permis de créer une ambiance de travail très satisfaisante. Pour nous et a posteriori, cela constitue une preuve que notre idée de départ n'était pas totalement dénuée de sens. Il y a aussi eu des événements inattendus. Le travail demandé pour les encadrants a été très important. La relecture systématique et régulière des textes écrits par les étudiants demande une grande rigueur. Mais elle relève aussi d'un grand plaisir car c'est en relisant les « papiers » que nous avons pu avoir de bonnes discussions avec chacun d'entre eux et leur proposer les directions à prendre pour passer du dossier à l'article scientifique. Autre surprise, les étudiants nous ont assez rapidement dit que personne ne prenait vraiment au sérieux cet atelier, ni les autres étudiants, ni, il faut bien l'avouer, une partie des enseignants. D'où la nécessité pour nous et pour eux de faire-savoir le travail produit grâce à la mise en place d'une réunion publique. Toutefois, il y a quelques points négatifs. Le calendrier des séances a beaucoup bougé et a montré quelques limites au fur et à mesure que nous avancions. Nous leur avons demandé beaucoup de travail (les capsules vidéos n'étaient pas forcément nécessaires, nous aurions dû éditer des tutoriels pour certains outils techniques...). Les encadrants ont aussi été victimes d'un « effet boomerang », la quantité de travail demandée aux étudiants a nécessité des 5 relectures constantes et régulières qu'il n'a pas toujours été aisé de tenir sur l'ensemble du semestre. Nous tenions enfin à souligner le plaisir que nous avons eu à suivre ce groupe et à voir s'écrire sous nos yeux un rapport de recherche qui plus est en un peu moins de trois mois ! II. Calendrier des séances Séances Pilot Episode 2 Episode 3 Date A rendre 24/01 31/01 07/02 Episode 4 14/02 Episode 5 21/02 XXXX XXXX 28/02 07/03 Episode 6 14/03 Episode 7 21/03 Episode 8 28/03 XXXX Episode 9 Season final ? 04/04 11/04 18/04 Saison Atelier The Wire et géo ? S01 S02 S03 S04 - S05 - 1 p. : « The Wire et la géo » Contenu du rapport – répartition en équipe 1p. sur thème de recherche Ressources documentaires 1 : les séries 1p. thème/ressources séries Ressources documentaires 2 : la géographie 1p. thème/ressources géo Travail libre + conception pastilles vidéos RAPPORT INTERMEDIAIRE Présentation des chapitres intermédiaires + bilan méthodologie Pastilles vidéo (5 minutes) Travail libre CHAPITRE FINAL RAPPORT FINAL Présentations chapitres Préparation évènement ? 6 III. La question initiale Le pari de départ était donc de faire discuter The Wire et la géographie. Il s’agissait de s’emparer de ces deux mondes, de les mettre en relation et de les faire vivre le temps d’un atelier. Nous disposions de 3 mois, à peine le temps de visionner les 60 heures de la série posément, pour s’emparer de l’objet, le problématiser, trouver des moyens d’instruire ces problèmes et d’en rendre compte en respectant la forme universitaire. Nous avons fait le choix de travailler sur un objet culturel du quotidien, tellement banal qu’il en est presque devenu invisible pour les sciences sociales. Mais pourquoi ne pas travailler sur des objets plus nobles ? Pourquoi ne pas travailler sur un objet dont le caractère géographique est mieux défini, dont les contours sont plus stables ? Et bien précisément pour ces deux raisons. D’abord parce que la saisie d’objets nouveaux n’est pas réservée aux chercheurs professionnels, et qu’il apparaît important d’apprendre aux étudiants à débusquer le caractère géographique de ces objets scientifiquement flous qui font pourtant partis de notre quotidien. Cependant, nous étions conscients que des travaux sont actuellement en cours sur la question des séries télévisées. Bertrand Pleven réalise par exemple une thèse sur cet objet au laboratoire Géographie-Cités à Paris. En ce qui concerne The Wire en particulier, nous notons l’organisation (médiatisée) en 2012 d’un colloque à Nanterre intitulé : « The Wire : a fiction in the ghetto. Race, Classe et Genre dans les séries télévisées ». Enfin, des auteurs venant d’autres disciplines, tel que le philosophe Grégoire Chamayou, l’auteur de la Théorie du Drone (2013), développent une approche spatiale de The Wire. L’objectif de la recherche n’était donc pas de s’approprier des cadres théoriques, des manières de faire et de penser préexistantes, mais bien de s’en fabriquer de nouveaux qui nous soient propres, au risque bien-sûr de reproduire du déjà-vu sans le savoir. Cette posture de recherche exploratoire (qui est aussi une posture pédagogique) nous semble offrir les conditions de possibilités minimales de la production de savoirs innovants. En effet, en nous mettant en condition d’un non-savoir initial (tel que le propose Jacques Rancière dans son Maître Ignorant), les parties-prenantes de la recherche étaient devenues sans le savoir les victimes d’une injonction à produire leur propre savoir. En tant qu’animateurs et coordinateurs, nous proposions tout de même un argumentaire de base que nous reproduisons ci-dessous tel quel. Il nous semble cependant important de revenir avant sur un postulat de la recherche qui n’était pas verbalisé au départ, mais qui l’a nourrie : c’est le fait qu’une des originalités de The Wire est de faire de Baltimore l’objet central de son propos, voire un quasi-personnage comme le propose Audrey Collomb (chapitre V). Ce postulat permettait d’abord de légitimer la saisie de The Wire par des géographes (on ne fait ni de la sociologie, ni des cultural studies) et ainsi de permettre aux parties-prenante de ne pas reproduire le complexe d’infériorité de la discipline. Il permettait ensuite de proposer un regard qui déclenche, nourri et relance l’imagination lorsque l’on est perdu dans son « terrain » (les 60 heures de la série). Nous n’avons pas abordé de front ce postulat, nous ne l’avons pas testé comme une hypothèse, mais il s’avère central dans la démarche. IV. Argumentaire de départ Les séries télévisées Les médias font partie de notre quotidien. En un peu plus d’un demi-siècle, la télévision a littéralement envahi les foyers, non seulement aux Etats-Unis, où l’on est passé de 0,02% de foyers en 1946 à 64% en 1955 et bien plus aujourd’hui, mais aussi dans le monde entier. Aujourd’hui, la télévision est même totalement dépassée par les nouveaux médias. En 2012, les étasuniens ont pour la première fois passé plus de temps devant des écrans mobiles que devant la télévision. Et pourtant, les médias, leurs contenus, la façon dont ils s’insèrent et modifient les relations sociales, est un champ peu exploré en sciences sociales, et encore moins en géographie. Ce paradoxe entre l’importance d’un phénomène social et sa non prise en compte scientifique est surprenant. L’objet de cette recherche est de combler cet espace. Pour justifier cette recherche, nous présentons d’abord l’articulation entre la géographie et la notion de médias. Ce sera l’occasion de préciser notre approche et de resserrer notre problématique. Puis nous présentons brièvement le choix de notre objet de recherche, soit la série The Wire. Après avoir fait un point méthodologique, notamment en détaillant ce que nous entendons par « recherche exploratoire », nous présentons le calendrier de travail. ARGUMENT 1 : GEOGRAPHIE ET MEDIAS ? Le cadre de cette recherche, le point commun entre les parties prenantes est leur discipline d’origine : la géographie humaine. Un des objectifs est d’ailleurs de tester la capacité de la géographie à se saisir d’objets nouveaux et a priori peu compatible avec elle. Au sein de la géographie, il existe plusieurs approches, plusieurs manières de faire, et l’une d’entre elle paraît être plus pertinente pour se saisir des médias. C’est la géographie culturelle, que l’on peut définir comme « la prise en compte par la géographie des faits de culture ou l’approche par la culture des réalités géographiques » (Lévy et Lussault, 2003). On voit qu’il existe deux grandes façons de faire de la géographie culturelle. La première est d’étudier la distribution, la localisation dans l’espace des faits de culture. Par exemple, le même produit, peut s’appeler pain au chocolat ou chocolatine, et ce phénomène est cartographiable. On pourrait étudier de la même façon la distribution et la diffusion des religions dans le monde. Nous privilégions une autre approche, qui consiste à observons la façon dont les objets culturels parlent de, décrivent, reflètent des réalités géographiques. Autrement dit, nous nous intéressons à la façon dont on peut faire parler des objets culturels en termes géographiques (Musset, 2012 ; Cosgrove, 1998 [1984]). 8 L’autre élément de départ de cette recherche est « les médias ». On peut définir minimalement un medium (medias au pluriel) comme un moyen de transmission d’un message, d’une information, entre un émetteur et un récepteur. Défini de cette façon, la relation entre géographie et médias devient très (trop ?) vaste. On pourrait par exemple étudier la façon dont les médias maltraitent la géographie (cf. Newsweek), ou encore comment s’organise dans l’espace les infrastructures médiatiques et les enjeux qui en découlent (cf. NSA et programme d’espionnage QUANTUM). On pourrait aussi étudier les idéologies qui circulent à la télé (corps du paysan (rural) dans l’amour est dans le pré), ou bien le traitement médiatique de problème géographiques (le changement climatique, la réforme territoriale). On peut le constater la relation entre les deux termes est très vaste, et il n’est pas possible de se saisir d’un éventail si large d’enjeux dans le cadre de cette recherche. C’est pourquoi nous devons resserrer notre problématique, en revenant sur la question départ, qui était d’aborder un objet, une réalité géographique, à partir d’un objet culturel. Nous décidons donc de partir d'un objet. Nous choisissons de se focaliser sur les séries télévisées, que l’on définit comme « un ensemble composé d’œuvres qui possèdent entre elles une unité et forment un tout cohérent ». Plus précisément, dans le domaine audiovisuel, c’est « une suite de feuilletons, de films, d’émissions liés par une unité de genre, de forme, de sujet ou de personnages » (Winckler, 2012). Précisons tout de même que si la télévision est historiquement le support qui accueille et conditionne pour une part la série (Sepulchre, dir., 2011), la série la déborde largement aujourd’hui. En effet, on constate un découplage entre la video, medium central de communication en ce début de 21ème siècle, et ses supports. Internet, les grands agrégateurs de vidéos, qu’ils soient légaux (youtube, dailymotion, les replay des chaînes de télévisions, ou encore les chaînes en lignes tel Netflix), ou illégaux (streaming – dpstream.net, allostreaming et torrent – piratebay, cpasbien), font partis du quotidien de nos contemporains. Nous désignerons donc dorénavant notre objet d’étude par le terme série. Six critères valident ce choix ; la légitimité sociale, universitaire et disciplinaire, coupler l’intérêt scientifique et individuel, avoir accès à la donnée, et investir un champ peu exploré. D’abord, (1) la série est un véritable phénomène de société, qui ne peut plus être considéré comme de la sous-culture. La série « Game of Throne » est par exemple la vidéo la plus téléchargée illégalement en France en 2013. Et l’histoire des séries nous apprend qu’elles peuvent être très réflexives, critiques, et qu’elles ne sont pas seulement des produits destinés à « vendre du temps de cerveau disponible » à Mc Donald, comme le disait un responsable de TF1 il y a quelques années. Nous considérons donc qu’il existe une légitimité sociale à ce type d’étude. Ensuite, (2) l’université commence à se saisir de cet objet. Il existe une bibliographie, francophone et anglophone, dont l’exploration est partie intégrante de la recherche. Plus particulièrement, la série The Wire, notre objet spécifique, a été à la fois l’objet d’un cours de géographie urbaine à Harvard, et d’un séminaire interdisciplinaire à Paris en 2012. C’est donc un champ de recherche émergent, encore peu balisé. 9 (3) Le véritable pari est disciplinaire. La géographie sera-t-elle capable de produire des savoirs pertinents ? Quel genre d’approche peut-elle proposer ? Pour nous faciliter la tâche, nous travaillons sur la série The Wire, dont l’aspect géographique est plutôt évident. (4) Une bonne recherche est une recherche où l’on peut coupler intérêt personnel et scientifique. Nous considérons que ce croisement est porteur de dynamique collective et d’innovation scientifique. Etant une équipe de jeunes chercheurs pétris de cette culture, nous en avons tous une plus ou moins grande pratique. (5) De plus, l’accès à la donnée est facilité par son type (des épisodes dématérialisés et en en DVD, des livres). Nous n’aurons ainsi aucun problème d’accès aux données, il ne reste qu’à la traiter. (6) Enfin, on peut envisager trois types de recherches, l’exploration d’un champ, l’affinement du modèle, et sa critique lorsqu’il est bien balisé. Nous favorisons le premier type, dans la mesure où il favorise la découverte. La question des séries étant très peu balisée en géographie, il faut inventer des manières de comprendre et de faire. C’est ce qui est passionnant dans la recherche. Nous allons donc étudier de quelle façon un objet culturel tel qu’une série fait parler des réalités géographiques. Nous présentons maintenant notre objet spécifique, la série The Wire. ARGUMENT 2 : LA SERIE THE WIRE Les séries représentent un discours sur la réalité, et notamment sur le lieu d’où elles sont produites. Le générique de la série Weeds est ainsi clairement une critique du mode d’habiter des banlieues bourgeoises étasuniennes. Il en montre comment l’uniformité du plan et de l’habitat correspond à une uniformisation des modes de vies. L’émetteur du message transmet un discours géographique. Mais les récepteurs sont aussi actifs. Ils s’approprient les séries dans leur vie, parfois comme grille d’analyse du monde. L’anthropologue Didier Fassin nous apprend que les policiers de la BAC de Paris citent très régulièrement la série The Shield, qui parle d’une équipe de choc de la police de Los Angeles dont la définition de la morale est bien particulière… D’une façon personnelle, on se rappelle avoir vu le fond d’écran d’une adolescente qui représentait les héroïnes de la série Gossip Girls, qui raconte les frasques de la jeunesse dorée New-Yorkaise et leur problèmes de mise en scène d’ellemême. Ce discours peut être plus ou moins en décalage avec le réel. Il peut être plus ou moins congruent avec la réalité des rapports sociaux. La série Stargate SG1 ne raconte par exemple pas la vie de vrais gens. Julie Lescaut a peu de rapport avec la réalité. Dans beaucoup de séries policières françaises, on parle par exemple de « mandat de perquisition », alors que ça n’existe pas dans le droit français… Il n’est pas question ici de traiter simplement des fantasmes et des discours véhiculés dans les séries, mais aussi du « vrai monde » dont elles parlent. Dans cette perspective, la série The Wire nous paraît la plus appropriée. Elle est créée par David Simon, et diffusée entre 2002 et 2008 sur la chaîne HBO. David Simon, ancien journaliste, a co-écrit la série avec Ed Burns, ancien policier de la criminelle de 10 Baltimore. La série s’inspire de deux livres, Baltimore, une année au cœur du crime (2012 [1991]) et The Corner (2012 [1997]. The Corner a par ailleurs été adapté dans la mini-série éponyme diffusée en 2000. Ce premier constat nous conduit à formuler l’hypothèse que The Wire se situe à la frontière du journalisme, de l’ethnographie et de la fiction. Cette frontière est selon nous riche à explorer. La trame principale de la série, son arc narratif majeur, consiste en des policiers qui mettent sur écoute un gang de dealer de la ville de Baltimore. On y suit des policiers, des trafiquants, des travailleurs, des politiciens, des drogués. Traitement égal des gagnants et des perdants. Au fil des saisons, on traverse plusieurs lieux et aspects de la ville de Baltimore. Saison 1 : la lutte contre la drogue à Baltimore. Saison 2 : Les dockers de Baltimore. Saison 3 : La réforme (drogue, politique, utopie) Saison 4 : l’éducation, les enfants. Saison 5 : le journalisme. Réalité et fiction. UNE RECHERCHE EXPLORATOIRE La démarche est exploratoire. Il s’agit d’une recherche courte (3 mois), dans laquelle il faudra dans le même temps découvrir l’objet et l’analyser. Comme disait le poète, il nous faudra donc trouver notre chemin en marchant. La pédagogie est exploratoire. Nous souhaitons réduire au maximum le rapport sachant-apprenant. Les étudiants-chercheurs produisent eux-mêmes le savoir. C’est le principe de l’atelier de recherche. 11 V. Contenu du rapport La première partie, « Scénariser », traite des rapports entre réalité et fiction. Dans son article Yoann Demeure fait parler la série à partir de la catégorie du réalisme. Il montre qu'à rebours des showrunners mainstream, David Simon puise dans son expérience de journaliste pour décrire, mettre en scène et dénoncer des réalités sociales. Pour Antoine Jobard, la série pousse le réalisme assez loin pour permettre de dégager les logiques territoriales structurant la ville de Baltimore, et notamment la dichotomie formel/informel. Romain Fagay complète la réflexion en montrant que ce réalisme peut être interprété comme un point de départ à partir duquel David Simon met en place une géofiction expérimentale. Il peut ainsi proposer des utopies urbaines aux problèmes sociaux et territoriaux de Baltimore. Dans la deuxième partie « Explorer », les articles s'attachent à saisir les liens entre la géographie et The Wire à partir de points de vues particuliers. Amélie Faure propose une lecture originale des rapports sociaux dans la série. A partir de la métaphore du jeu, elle y montre un plateau (Baltimore), des règles précises, et des joueurs qui respectent ou non les règles. Au travers de l’histoire des Etats-Unis et de Baltimore, Audrey Collomb étudie plusieurs dimensions de la série The Wire : la population afro-américaine, le port de Baltimore et le syndicalisme américain. Son objectif est de mettre en parallèle le scénario (fictif) de la série et la réalité historique dans le but de montrer leur proximité. Enfin, Miguel karam montre, avec Michel Foucault, la pertinence du modèle panoptique dans l'appréhension des dispositifs sécuritaires contemporains. On ne pouvait pas étudier The Wire sans poser la question des inégalités sociospatiales. C'est l'objet de la troisième partie, « Critiquer ». Camille François montre d'abord que le Corner, se trouve être à la fois l'espace le plus visible de la stigmatisation urbaine et politique, et comment ce lieu est aussi construit par le discours et l'action politique. A sa suite, Clément Hémond se détache de The Wire pour donner à voir le phénomène d'hyperghettosiation qui touche certaines villes étasuniennes. Il l'explique par une accumulation de marginalités (classe, race, environnement urbain). Enfin, à partir des exemples de la famille et de l'école, Chloé Descos et Thomas Foin nous montrent toute la pertinence du concept de reproduction sociale, à la fois comme outil de compréhension des institutions du Baltimore fictionnel, mais aussi comme concept propice à des ressorts scénaristiques ! La quatrième et dernière partie, « Affiner », est l'occasion de se détacher d'une lecture territoriale de The Wire pour se focaliser sur la question des personnages. Dorine Grasso met en relation les lieux, les personnages et le travail de réalisation de David Simon. Grâce à son approche sensible et à la notion d'effet de lieu, elle questionne le réalisme de la série. Zoé Maserati, quant à elle, s’interroge sur la mobilité des personnages de la série « The Wire ». Elle montre par exemple que certains personnages s'affranchissent d'un monde inaltérable en proposant quatre idéaux-types d'évolution dans les espaces interstitiels. Enfin, l'article de Cendrine Hoarau traite de l'impact de la fameuse chain of command sur les personnages. On peut y lire que les lieux d'actions assignés, la capacité à être mobile, mais aussi les caractéristiques de l'environnement urbain de chaque personnage sont déterminés par sa place dans la hiérarchie. Chaque article est accompagné d’une capsule vidéo d’environ 5 minutes. Il est recommandé pour le lecteur de les visionner avant lecture 12 1 Scénariser. The Wire entre réalité et fiction Chapitre I. Soyez Réalistes: The Wire, entre fiction et documentaire Yohan Demeure Résumé: The Wire fait figure d’analyse des quartiers américains déshérités. Peut-on qualifier cette série de réaliste ? S’approcher de la réponse amène à redéfinir le réalisme, la fiction et le documentaire et à apporter nombre d’éléments relatifs à la réalisation de la série au sens large. Mots clés : Réalisme / fiction / documentaire / humanisme Une série pas comme les autres, diffusée par une chaine TV pas comme les autres, voici The Wire. Cette série fût diffusée entre 2002 et 2008 par la chaine câblée payante américaine HBO (Home Box Office), disponible également au Canada (HBO Canada). Une chaine réputée pour son investissement dans la création de séries de qualité telles que Sex in the city, les Sopranos, Treme ou encore Oz. Comprendre pourquoi The Wire est passé d’un succès télévisé relatif à un succès complet pour les critiques: The Wire est une véritable fresque où les temporalités, le rapport à autrui, les problèmes sociétaux, les dynamiques policières, les institutions politiques et juridiques sont en lien avec l’espace géographique. La série a pour but de démontrer et de dénoncer les dysfonctionnements et la décadence du milieu urbain à travers notamment les dérives des individus et des institutions. The Wire représente une analyse de l’Amérique des quartiers déshérités. Divers éléments mettant en exergue le réalisme de la série seront parcourus, apportant chacun une forte empreinte sociologique en lien avec la géographie. Il s’agit d’une part de la démarche de David Simon incarnée par son expérience personnelle, le choix de son équipe réalisatrice, et la position prise par la chaine câblée HBO. D’autre part il sera pertinent d’apporter des précisions quant à la réalisation cinématographique de The Wire, en décrivant les personnages, mais aussi détailler la démarche concernant le casting et la notion de héros, ainsi que le scénario, la présence du pessimisme, la dimension d’intimité et la question des émotions, tandis que la capsule vidéo apportera des précisions sur la réalisation de base (jeux de lumière, cadrage, plans), mettant également en avant des échantillons de contenu alimentant le réalisme. Enfin, établir définitivement le lien avec la série rend indispensable le fait de redéfinir le réalisme et la fiction d’un point de vue littéraire, ainsi que le genre documentaire. La capsule vidéo sera un appui visuel quant à la dimension réaliste de The Wire. 14 L’ équipe réalisatrice de cette série a donc mis un point d’honneur à lui donner une dimension sociologique. De quelle façon The Wire s’approprie des attributs de réalisme, de fiction, ainsi que de certaines spécificités du genre documentaire? En quoi Baltimore est révélatrice d’une réalité vécue par bon nombres de villes américaines? I. La démarche initiale de David Simon Le choix de Baltimore relève t’il d’une affaire personnelle? Le choix de Baltimore fait par David Simon prend source dans sa bonne connaissance de la ville et de ses spécificités, tandis qu’il trouve des similitudes entre son passage au Baltimore Sun et l’expérience d’Ed Burns à la brigade criminelle, surtout au niveau des relations avec la hiérarchie policière. C’est d’ailleurs par volonté policière que le thème de la corruption n’est que très peu abordé dans la série ; on peut y voir un élément révélateur de la dimension réaliste que les réalisateurs ont choisit de donner à la série. Il s’agit ici de s’attaquer à tous les pans de la société qui peuvent être critiquables (Cizeau, 2011). Figure 1 - Localisation de Baltimore, Maryland, USA Capture Google Map et carte du comté de Baltimore disponible sur LennHarley.com « Il s’agit de devenir quelqu’un après avoir grandi dans un milieu où l’on vous dit chaque jour que l’on est personne. » Propos de l’acteur Lance Reddick incarnant Cédric Daniels, à propos du personnage Stringer Bell et de sa volonté de sortir du milieu de la drogue puis d’entrer dans la légalité. Rappelons que Baltimore (ville indépendante du comté de Baltimore) est une ville déshéritée au taux de chômage de près de 50 %. Particulièrement criminogène, on y compte en moyenne 300 meurtres par an. La montée en flèche des homicides est le résultat de la prolifération du crack entre la fin des années 80 et le début des années 90, relayée par 15 l’arrivée de l’héroïne dans les années 2000, faisant indéniablement de Baltimore un centre de pauvreté et de criminalité. (page Wikipédia faite par la ville de Baltimore et bonus DVD The Wire saison 4 : « c’est la réalité» ). Baltimore est la ville américaine pratiquant le plus la ségrégation. En effet, un nombre important de quartiers ne sont pas bien intégrés, traduisant des fractures socio-spatiales « à tous les coins de rue ». La ville est ainsi composée de petites « îles quartier » à la richesse très aléatoire, dont parfois les habitants ne sortent jamais ; un encloisonnement partiel qui rend la ville intéressante tandis que la fuite des populations aisées vers les « suburbs » alimente le déclin du centre-ville. Les jeux de pouvoir des différentes institutions, ainsi que le parallèle qui est fait avec ceux des organisations criminelles, font penser à une forme de géopolitique locale: dans un espace donné, différents acteurs, alliés ou ennemis autour d’un intérêt, d’une ressource, d’un pouvoir, d’un territoire, ou d’une frontière, réelle ou imaginaire. Il se trouve qu’en traitant des problèmes internes aux institutions politiques, judiciaires et policières, David Simon prouve en quelque sorte que la criminalité, dont le sommet le plus visible est la guerre de la drogue, véritable problème de santé publique, ne s’attenue pas, les processus étant fortement ralentis, sabotés ou falsifiés. « C’est l’œuvre d’années de déclin et d’abandon » Keiffer Mitchell, Conseiller de la ville de Baltimore. Figure 2 - Nombre de morts par arme à feu/100 000 habitants aux Etats-Unis Sources : The Guardian, july 2012. Cette approche de Baltimore par sa criminalité au sens large, pourrait être adaptée, en prenant en compte les spécificités locales, à un nombre conséquent de grandes villes de type nord-américain (Detroit, la Nouvelle-Orléans, Saint-Louis, Los Angeles). En effet, ceci n’aurait jamais été possible avec une série policière classique de type NCIS ou Les experts. 16 La motivation la plus importante dans le choix de Baltimore réside dans la volonté du scénariste de se rapprocher un maximum des réalités de la ville et de ses processus mettant en mouvement les personnes, dans l’espoir de changer l’imaginaire des téléspectateurs tout en tempérant fortement les capacités de la série à avoir une réelle influence sur les décisions politiques déjà prises dans le passé, ou à prendre potentiellement dans le futur. Dans la vidéo « David Simon - L'impact de la série "The Wire" », le scénariste s’explique : Figure 3 - David Simon discutant avec des acteurs « J’aurais aimé pouvoir dire que ça a eu un impact important ou que les choses se sont améliorées, car les problèmes ont été mis en avant. Mais une émission de télévision reste une émission de télévision, donc je la traite comme telle. J’ai l’impression que si j’attendais de mes histoires qu’elles aient ce genre d’impact, j’aurais sûrement besoin d’une bonne recette pour que cela n’entraine pas leur propre perte au bout d’un moment. Le mieux que tu puisses faire, c’est raconter une histoire, faire valoir ce que tu crois correct et légitime, et puis te barrer… Parce que si tu y réfléchis bien, l’une des principales revendications de The Wire est de mettre fin à la guerre de la drogue, et cette guerre continue de manière tout aussi agressive maintenant que le jour ou nous avons commencé à tourné The Wire. Si la série avait pu avoir la moindre intention, c’était de modérer l’interdiction des drogues… et ça a échoué, donc… Peut être y a-t-il quelques personnes de plus à être d’accord avec ce point de vue grâce à The Wire mais il y a toujours une opposition à ce que cela ait un effet politique, malheureusement ». L’équipe réalisatrice David Simon, créateur de « The Wire », devient journaliste dés 1983 et sa prise de poste au Baltimore Sun, quotidien généraliste créé en 1837. En s’intéressant de près aux crimes, son inspiration lui permet d’écrire deux livres documentaires : Homicide: A Year on the Killing Streets en 1991 et The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood en 1997. Ces derniers seront adaptés en séries (Homicide / The Corner). A savoir que The Corner peut être interprété comme un prélude à The Wire. L’équipe de showrunners formée par David Simon intègre une dizaine de personnes ayant un vécu, une expérience singulière de la rue ou de grandes connaissances concernant les institutions politiques judiciaires et policières (Laurent, 2010). Cette série a notamment été coécrite avec Ed Burns, ancien inspecteur de la brigade criminelle et des stups de Baltimore, dont la carrière a servie de base à sa création. Ils ont également collaboré ensemble sur les séries The Corner, et Generation Kill. David Mills, aujourd’hui écrivain de séries TV, a un passé de journaliste, notamment pour le Washington post où il a reçu un prix Pulitzer. George Pelecanos est un écrivain de romans policiers se déroulant dans sa ville natale : Washington. On prête à ses romans une dimension de témoignage social et un aspect très cinématographique quant à la précision des descriptions. Il 17 est aussi le scénariste de Treme produit par HBO, qui raconte les aventures de plusieurs musiciens à la Nouvelle-Orléans après le passage de l'ouragan Katrina. Dennis Lehane est également écrivain de romans, dont l’intrigue prend source dans sa ville natale : Boston. Mystic river deviendra son roman le plus célèbre à la suite de l'adaptation excellente et très fidèle qu'en fera Clint Eastwood en 2003. Richard Price est un scénariste-producteur-écrivain américain d’origine juive, natif du Bronx à New York. Il a été producteur du très bon film Clockers réalisé par Spike Lee en 1995 et scénariste de l’adaptation cinématographique de Shaft en 2000, dont le rôle principal est incarné par Samuel L.Jackson. William F. Zorzi est un scénariste ayant travaillé comme journaliste pour le Baltimore Sun pendant une vingtaine d’années, couvrant la plupart du temps les sujets concernant la politique, par son irréprochable connaissance de l’administration locale. On lui prête une réputation d’incorruptible, n’ayant jamais accepté de présents des personnages politiques interviewés (Maillet, 2009). Ainsi, le réalisme de la série est fortement dû à la collaboration des membres, dont chacun de leur apport est essentiel et complète les connaissances de David Simon. Cette équipe est créditée d’une certaine sensibilité, un humanisme sans lequel il aurait été résolument impossible de réaliser une série d’une telle envergure sociologique. L’authenticité du contenu de The Wire est donc pleinement garantie. HBO : la chaine des séries réalistes Il est dit de The Wire qu’elle requiert un coût intellectuel quant à son accroche par le téléspectateur, à tel point que certains sont découragés par sa trame narrative. En réalité, la plupart des séries diffusées par HBO présente un niveau scénaristique, cinématographique et sociologique qui en fait la chaine câblée américaine la plus plébiscitée aux Etats-Unis. La législation en vigueur dans ce pays concernant les majors fait que la diffusion des séries est assujettie a une certaine forme de censure du contenu, ou encore aux obligations horaires de la publicité. Ce n’est pas le cas de HBO qui jouit d’une liberté par son accès réservé aux abonnés, lui donnant l’occasion de proposer un véritable discours social, fait très rare à la télévision américaine. L’éducation, le chômage, le monde du travail, ou encore le rapport à l’autre, aucun sujet n’est tabou. Il est possible de se rendre compte que cette chaine répond finalement à une demande de la part d’une partie des téléspectateurs, d’un contenu cinématographique d’un certain niveau narratif. Née en 1972, HBO prend une ampleur sans précédant dans les années 2000, avec des bénéfices lui permettant de financer des projets de séries, et des achats de pilotes pour lesquelles peu de chaines se serait risquées. Ainsi, outre The Wire, HBO a fait naître des séries telles que Oz, Sex and the City, Les Sopranos, Band of Brothers, Illuminée, Hung ou encore True detective (Rania Hoballah, 2012). Oz, une série réaliste sur le monde carcéral En ayant visionné The Wire, il a été possible de me rendre compte qu’il était assez pertinent de regarder dans la foulée cette autre série HBO qu’est Oz. Une démarche 18 potentiellement faisable, imaginant comme point de départ la vie d’un hypothétique criminel parcourant la ville de Baltimore dans The Wire, se retrouvant finalement dans le pénitencier d’Ozwald, lieu où se déroule l’histoire de OZ. Ainsi, il aurait été possible d’avoir une vue d’ensemble de la vie d’un délinquant (en partant du principe qu’il ne meure pas directement dans la rue), de sa naissance à son issue finale, en passant par ses activités dans la rue, son arrestation, son jugement puis son incarcération et enfin sa vie dans la prison. Cette série est similaire sur bien des points à The Wire en termes de réalisme. Au delà de l’ambiance générale teintée de pessimisme et de fourberie de la bureaucratie, le public peut y distinguer une forte personnalité des personnages, des acteurs charismatiques, une violence verbale et physique, la présence d’armes, de drogue, d’argot dans les propos, de gens intègres ou malhonnêtes, tandis que l’homosexualité ainsi que des démonstrations d’homophobie et de sexisme sont visibles. Il est possible de citer également l’intimité dévoilée d’une partie des personnages, ainsi que leur évolution visible, soit vers le haut (réussite ou amélioration du quotidien ou sortie de prison réussie), soit vers le bas (mort, condamnation, sortie de prison se soldant par un échec). A l’instar de la qualité de héros endossée par la ville de Baltimore dans The Wire, on pourrait suggérer que le héros de OZ est Emerald City, quartier de sécurité de la prison faisant l’objet d’un programme expérimental de re-sociabilisation et de réinsertion des détenus les plus violents. II. Les apports au réalisme de la réalisation cinématographique de The Wire Les personnages de la série Le casting semble avoir voulu réunir des acteurs de genre, c'est-à-dire incarnant des rôles spécifiques. Par exemple, le style vestimentaire, l’attitude, et la couleur de peau constituent des paramètres pris en compte dans le choix des acteurs. L’acteur doit le plus possible ressembler à son personnage afin d’éviter tout jeu d’acteur trop prononcé, ou encore un travail pour corriger l’apparence de base de l’acteur. Ainsi, aucune star ne fait partie du casting de la série. 19 Figure 4 - Une série aux multiples personnages La série ne comporte pas vraiment de héros au sein des personnages, bien qu’une partie d’entre eux apparaisse comme sortant du lot, en premier lieu par le fait qu’ils soient présents pratiquement tout au long des saisons de la série. Cette distinction peut être faite aussi par leur temps de présence dans les épisodes, la façon et l’intensité dont ils sont montrés dans leur intimité (Mc Nulty, Kima ou encore Avon et D’Angelo Barcksdale) ou encore l’évolution de l’importance de leur présence qu’on leur attribue au fil des saisons (McNulty perd beaucoup d’intérêt narratif dans la saison 4 puis revient au tout premier plan dans la saison 5). En aucun cas l’on retrouve le schéma classique des séries et films, où l’on peut très souvent distinguer un ou deux personnages principaux, puis une somme de rôles secondaires. Figure 5 - Snoop, un personnage complexe Il est à mon sens important de dire que The Wire intègre des phénomènes sociaux contemporains qui tendent vers une inédite acceptation par une importante partie de la société. Ainsi, le personage inspirant la peur incarné par Omar est homosexuel tandis que Snoop pourrait être qualifiée d’androgyne, son corps de femme se dissimulant sous son apparence physique et ses attitudes masculines. Un des buts de la série est effectivement de donner une définition de chaque acteur de ce monde, quel qu’il soit. La véritable qualité de héros est endossée par la ville de Baltimore elle-même, tandis que tous les personnages de la série évoluent en son sein. C’est pour cette raison que sont cultivés les concepts d’antihéros et de « héros en demi teinte ». En ayant assimilé ce fait, il est plus aisé de comprendre pourquoi l’histoire ne s’est pas construite autour d’un ou deux personnages principaux mais plutôt autour d’un espace géographique dans lequel évoluent une pléiade de personnages (Simon, 2012). 20 Le scénario L’ambiance générale profondément noire de la série inspire le drame, le pessimisme, et donne un gout d’inachevé. Les cinq saisons abordent chacune un thème différent articulant des intrigues multiples parcourant les phénomènes socio-spatiaux-économiques et politiques constituant les rapports entre la population de la ville et son espace géographique. L’histoire débute sur une petite mise sur écoute d’un gang en lien avec la drogue, confiée à des policiers sans moyens qui va peu à peu mettre à jour les dessous d’une société américaine dans laquelle une grande partie de la population lutte chaque jour pour garder la tête hors de l’eau, chacun à sa manière. L’enquête principale de la saison 1, bouclée sans être allée jusqu’au bout, écourtée par la tentative de l’équipe (volonté de Lester principalement) de travailler sur des malversations financières d’ordre politique pouvant mettre en cause une partie de la bureaucratie. L’intégralité de la série constitue long arc narratif qui fait son unité, cependant la deuxième saison est une saison qui constitue un arc narratif à elle seule. Divers arcs sont à déceler dans The wire, se trouvant au sein de l’arc principal et s’étalant sur une saison ou plusieurs, ou seulement dans une partie d’une des saisons, et qui s’imbriquent par moment. Pour en citer quelques uns : Kima et sa compagne, autour de leur vie à deux, puis après l’arrivée du bébé (saison 1 à 4), l’enquête sur les prostituées retrouvée dans le container (saison 2), la campagne de Carcetti (saison 2 et 3), l’ascension de Michael dans l’organisation de Marlo (saison 4), le programme de re-sociabilisassion d’élèves difficiles du collège Tilghman (saison 4). Figure 6 - Bubbles poussant son caddy La vie de Bubble (saison 1 à 5) : ses va-et-vient entre la drogue, son commerce informel, la prise en main de Sherod, son sevrage,ses activités au refuge des SDF et les déboires avec l’homme qui l’agresse en permanence. La vie de ce personnage représente un arc narratif secondaire mais aussi long que la série elle même. D’ailleurs il serait tout à fait possible de réaliser un long métrage en reprenant l’histoire de Bubble. Pessimisme, intimité et émotions Les personnages sont à peu près montrés dans leur intégralité, par le biais de leur vie intime et non seulement par leurs activités dans la rue, qu’ils soient policiers ou trafiquants. Par exemple la relation entre McNulty et son ex-femme à propos de leurs enfants, ou encore une scène d’habillage du matin mettant en scène D’Angelo Barcksdale sur fond musical. Nous sont assez souvent montrées des scènes qui peuvent paraitre insignifiantes au premier abord, impliquant des individus lambdas, mais qui en réalité permettent de comprendre que la vie suit son cours dans la cité, et que cette dernière est loin d’abriter 21 seulement des délinquants ou criminels (scènes montrant des enfants qui jouent dans la cour de la cité, une dame qui étend son linge, ou encore l’effervescence générale autour du match de basketball entre la westside et l’eastside). The Wire permet au téléspectateur de pouvoir s’identifier à un personnage, ou de ressentir envers lui de la compassion, de la haine, de l’espoir (Carcetti élu maire), de la déception (Stringer couchant avec la femme de D’Angelo pendant qu’il est en prison) ou encore de la peine (situation de Randy ou assassinat de Bodie à la fin de la saison 4). Le degré de visibilité de la vie des personnages (intime et professionnelle), ainsi que leur personnalité souvent forte, atypique et spéciale permet d’avoir assurément un avis prononcé sur chacun des personnages, au moins pour ceux qui sont montrés intégralement. En effet, il y a intrusion dans l’intimité d’une partie des personnages seulement : par exemple, le téléspectateur détient beaucoup plus d’éléments sur McNulty ou Kima que sur le Major Valchek ou encore Rhonda, qui n’est observée dans son intimité seulement par sa relation houleuse avec McNulty, puis idyllique avec Daniels. Capsule vidéo : scènes alimentant le réalisme Ma capsule vidéo vise à démontrer que la réalisation technique de base ainsi que des éléments du contenu narratif contribuent grandement au réalisme de la série. Pratiquement sans dialogue, cet assemblage vidéo met en exergue certains éléments qui m’ont donné à penser que l’immersion dans la série se fait aussi d’une part, par la façon dont sont montrés les faits, et l’importance de la nature de ces ceux-ci. Cette capsule met donc en évidence des jeux de lumière, des effets de caméra (plans, cadrages) donnant parfois plus de suspens ou plus de sens et d’intensité au message délivré. La capsule démontre l’apport de la bande son sur l’ambiance ainsi que les différences de tempo (incarnées par les longueurs). La capacité policière à prendre certains éléments en compte est mise en avant ainsi que le caractère aléatoire de la concentration de l’activité. Je voulais aussi montrer la présence des saisonnalités, de l’humanisme et le charisme des personnages, de scènes de vie quotidiennes et l’importance du mobilier urbain. Montrer que le téléspectateur est susceptible de se retrouver dans une scène ou de s’identifier à un personnage me paraissait important, de même que le fait que l’on nous montre des choses que l’on ne souhaiterais pas vraiment observer dans une série TV et enfin l’absence totale d’une quelconque idéalisation. Saison 1 « Batteur de rue » rappelle en quelques secondes que nous sommes dans une ville défavorisée, où le musicien ne peut pas toujours se payer un instrument. Bunk & McNulty avec Brodie sur le canapé montre la place centrale de la cité Franklin, avec un élément de mobilier urbain se trouvant être un lieu atypique de deal et de surveillance, vraiment utilisé dans la vraie vie. Distribution sous la pluie, met en exergue l’adaptation des dealers lorsque la météo s’en mêle : file indienne et distribution hyper rapide aux consommateurs. Bubble et les chaussures de Sydnor traite de l’infiltration du quartier par Sydnor comme consommateur, 22 avec les conseils avisés de Bubble, lui faisant remarquer la « propreté » de ses semelles. Il lui explique alors que les gens du quartier marchent constamment sur des capsules de drogue. Autour de maman montre trois enfants jouant autour de leur mère, tous reviennent d’achats, mais il fait nuit, et la voiture de McNulty qui s’arrête à proximité d’eux, leur fait accélérer le pas. Les « enfants » vont à l’école est une scène où l’on peut voir un groupe d’écoliers sur le chemin de la connaissance, suivis de Pooh et Wallace sur le chemin du « travail ». Ici, deux réalités se côtoient. D’Angelo a du style ! est une scène montrant D’Angelo se préparant un matin, sur un fond musical, moment de la vie de tous les jours auquel chacun peut s’identifier. Omar comin’ yo !! prouve la crainte inspirée par Omar à la population du quartier, se traduisant par la fuite des habitants dans les bâtiments, tous dans l’attente d’une accalmie. Ville morte ? montre le match de Basketball entre l’eastside et la westside rend les rues du quartier désertes, telle une ville morte. Le canapé, lieu atypique de la cité, élément de mobilier urbain réel, servant vraiment de lieu de deal, et Omar, personnage le plus charismatique de la série et préféré du président Obama. Saison 2 Car Burn est une scène où la voiture de Ziggy est brulée par les hommes de Proposition Joe. Les plans de la scène contribuent à un certain suspens quant au devenir de la voiture. Enterrement : D’Angelo mort, cette scène donne un aperçu de la réalité des enterrements, importants pour la population afro-américaine, et fréquents, suscitant par ailleurs une adaptation marketing des commerçants (Fleuriste et la commande spéciale de Bodie ). Sunny day ! implique les temporalités des saisons sont visibles dans The Wire, ainsi le cadrage ayant une perspective partant du bas vers le haut, met en évidence un ciel bleu. A savoir que Baltimore est une ville particulièrement ensoleillée pour une ville de la côte nordest américaine. 23 Enterrement de D’Angelo Barcksdale Saison 3 Demolition permet de comprendre, grâce à une mise en scène solennelle, comment “tout un monde” s’écroule. Starsky & Hutch : cette scène de poursuite avec fond musical est un clin d’œil aux séries des années 70’s, rocambolesques et qui peuvent paraitre ridicules de nos jours. D’ailleurs, le fond musical illustre très bien le pittoresque de cette scène (Herc et les autres policiers menés en bateau par un gamin dans les petites ruelles). Cela montre aussi la connaissance parfaite, même des plus jeunes, de leur environnement urbain. Temps mort permet de saisir l’importance d’Avon Barcksdale, que seul son passage sur le terrain fait stopper un match de Baseball. Omar burn himself : après la mort de Brandon, Omar cherche à se faire du mal dans sa période de deuil. Je voulais vraiment montrer qu’un personnage qui peut se montrer impitoyable peut laisser sortir ses sentiments: on oublie un temps son rôle de criminel. Enfin, un policier boit, fait la fête et ceci se trouve être une réalité puisque ce sont finalement des gens comme les autres. La vie, le quotidien peuvent rendre les gens drogués ou alcoolique. L’excès est le but de Bunk & McNulty to the Irish Pub. Saison 4 Bubble & drug : un drogué qui se pique est une scène bien réelle qui ne sera que très rarement visible à la télévision. Bubble et Prez se croissant au collège est une scène qui montre deux personnages en rédemption, cherchant à aider la jeunesse. Ancien flic et junkie se croisent dans le collège dans un étonnement réciproque, sans un mot. Les enfants vont à l’école montre nos quatre adolescents suivis dans la saison 4 lors de leur rentrée scolaire. Sur le chemin, Duquan qui faisait l’objet de moqueries auparavant est intégré dans le groupe, comme pour dire: « c’est la rentrée, nous sommes tous dans la même galère ». First school day ! est une scène se déroulant au collège où les couloirs, la cafeteria, le hall d’entrée sont vides juste avant la sonnerie de la rentrée affichant la préparation du personnel. Le signe de croix de l’assistante du Principal laisse songeur : elle prie pour que rien de grave n’arrive dans l’enceinte du collège. Cette séquence a pour vocation de prouver que des longueurs sont présentes dans la série, servant à alimenter le réalisme. Messe : cette scène met en évidence que la messe du dimanche matin est quelque chose d’important dans le quartier, à tel point 24 que cet événement fait l’objet d’un cessez le feu théoriquement inscrit dans la morale de chaque membre de gang. Des scènes toutes chargées de vie et d’authenticité, certaines n’ayant pas directement de rapport avec la trame narrative, voici ce que j’ai voulu montrer. Il était important pour moi de titrer chaque partie de ma capsule, et d’en expliquer les subtilités. III. The Wire, documentaire ou fiction réaliste? Que sont le réalisme et la fiction ? Le réalisme « Le réalisme conclut à la reproduction exacte, sincère du milieu social de l’époque où l’on vit… » Duranty, 1856. « Le réaliste, s’il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. » Maupassant, préface de Pierre et Jean. Le réalisme est un courant littéraire qui apparait à la deuxième moitié du XIXe siècle donnant au roman la vocation de décrire la réalité sans l’idéaliser. Les histoires, le milieu, l’ apparence physique des personnages et leurs actes sont vraisemblables, décrits avec objectivité et précision. Le réalisme est donc teinté de pessimisme puisqu’il dénonce les injustices de la société, tentant d’en faire prendre conscience le lecteur. Ainsi, l’on pourrait citer quelques ouvrages du genre : La comédie humaine de Balzac, Germinal de Zola, ou encore Les misérables de Victor Hugo. Ces œuvres traitent de la misère sociale, de la condition ouvrière, de la lutte des classes, ou de l’omniprésence de l’argent dans les sociétés post révolution industrielle. The Wire entre tout à fait dans le cadre du réalisme, décrivant précisément la réalité sociale des années 2000 de Baltimore en abordant la criminalité sous la quasi-totalité de ses caractéristiques. Sont mis en scène des personnages réels, vivant vraiment à Baltimore pour une partie d’entre eux, dans des décors souvent fréquentés (ex : une maison peut se révéler être réellement la maison de quelqu’un). Cependant, la série relève tout de même de la fiction. Malgré cela, The Wire se contente de faire forte allusion à la réalité sans en montrer la totalité à l’écran. Il est ici aisé de ponter l’évidente différence entre le réalisme et la réalité : pour aller plus loin, il faudrait montrer la réalité elle-même, par des scènes insoutenables, alors que certaines sont déjà très dures à regarder et assimiler. Il semblerait que la vraie vie est encore plus violente. The Wire reste une fiction car ce n’est évidement pas du direct ! 25 The Wire est donc une série noire, similaire au roman noir, genre littéraire apparaissant sous la plume de Dashiell Hammett aux Etats-Unis dans les années 1930 au cours de la grande dépression (Obione, 2011). Fiction « Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable; Il doit régner partout, et même dans la fable: De toute fiction l'adroite fausseté Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité » Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711) Selon la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexical, la fiction est une construction imaginaire consciente ou inconsciente se constituant en vue de masquer ou d'enjoliver le réel. The Wire, malgré sa dimension réaliste, reste néanmoins une fiction. Peut ‘on parler de « fiction réaliste » ? En effet, si l’on reprend la définition de la fiction par le CNTL, il est possible de comprendre que The Wire est une fiction non par une volonté de dissimuler le réel, mais pour d’autres raisons. The Wire est une fiction car le contenu à l’écran n’est pas la réalité prise sur le fait, mais est une transposition d’une certaine réalité vécue par des milliers de personnes. La fiction relève également du fait qu’il est impossible de cartographier les différents lieux de Baltimore fréquentés par les personnages, dans le cas où on utiliserait l’intégralité de la toponymie présente dans The Wire. De plus, la série est t’elle une construction imaginaire ? Pas totalement. Disons qu’elle a été créée à partir d’expériences véritables de l’équipe réalisatrice, l’imagination entrant en compte au niveau du scénario, de l’articulation des arcs narratifs, ou encore la relation entre les personnages. A partir de ce raisonnement, il est possible de démontrer que la fiction est alimentée par une somme de détails lui donnant une dimension réaliste (casting, scénario, détails propres à la réalité des rues de Baltimore). Une comparaison pourrais être faite entre The Wire et les tragédies grecques. Basées sur des croyances antiques, ces dernières contaient des histoires mêlant morts et trahisons, constamment influencées par la colère et la violence des dieux. Dans The Wire, les « dieux » pourraient être les institutions postindustrielles et postmodernes qui dictent leur loi, sans oublier les lobbys, pour qui il est rentable de laisser faire l’existence d’un sous prolétariat. Le lien est fait entre réalisme et la fiction mais dans tous les cas on pourrait qualifier The Wire de « roman visuel ». (bonus DVD The Wire saison 4 : « c’est la réalité» ). Le genre documentaire On qualifie le genre documentaire de « cinéma du réel », genre multiforme alimentant les grilles de programmes des chaines TV. Le documentaire est populaire car informatif, dans une société où une partie de la population est en quête de repères et de décryptages. Puisant ses racines dans l’histoire du cinéma, son évolution s’est faite en grande partie grâce à la 26 télévision et il apparait maintenant clair que les frontières avec d’autres genres audiovisuels paraissent floues. (INA, 2013) Il convient de dire selon moi, qu’un véritable documentaire sur l’univers de la criminalité aussi parlant, objectif et démonstratif serait objectivement difficile à réaliser avec les vraies personnes concernées, en pleine action et dans leur quotidien. Par exemple, en me mettant dans la peau du réalisateur d’un potentiel documentaire à caractère sociétal, il serait possible pour moi d’interviewer tous les corps de police, personnels de justice, délinquants et criminels, et enfin individus lambdas, mais le plus souvent sortis de leur activité « en direct ». Il peut y avoir de l’action et un sens du direct dans une telle réalisation, mais cela apparaitrait plutôt comme un reportage. Ainsi le contenu serait assujetti à une forme de contrôle et de prise de position, à l’instar des reportages sur la délinquance de type « Envoyé spécial » ou « 90’ enquêtes » visant à stigmatiser un type d’individu et orchestrer une crainte, dénuée finalement de tout contenu purement objectif, informatif et ludique. Cependant, certains programmes télévisuels font figure d’exception à ce sujet aux Etats-Unis. En France s’est posée la question du régime de visibilité concernant les jeunes de cité, qui n’ont été rarement montré autrement que par leur aspect négatif. Effets de montages, scènes coupées, contenu occulté lors de reportages, dans le but de stigmatiser ces jeunes de banlieue, leur enlevant tout humanisme et intelligence. En effet, The Wire permet de comprendre que les membres de gang, représentant la « branche violente » des habitants de quartier défavorisés, ne sont pas des êtres violents et écervelés. Par exemple, il est possible de citer la discussion entre Pooh et Bodie (saison 2), à propos des températures chaudes en avance sur la saison, qu’ils associent naturellement au réchauffement climatique. Vendre de la drogue, tenir une arme n’empêche pas de se cultiver ou de se tenir au courant de l’actualité scientifique par exemple. Le système que cherche à mettre en place Stringer dés l’incarcération d’Avon (saison 2) montre aussi une certaine intelligence quant à la volonté d’organiser les activités du gang comme une entreprise commerciale puis réinvestir les bénéfices dans l’immobilier, passant petit à petit de l’illégalité à la légalité. La mise en place de la « coopérative » est aussi révélatrice de la volonté d’organiser les affaires en concertation avec les autres gangs représentant les différentes parties de la ville. Ces pratiques se confrontent parfois avec les réalités et codes des trafiquants bien que la tentative initiale de Stringer apparait comme originale et sortant des sentiers battus. La population afro-américaine des Etats-Unis pourrait être comparée à la population maghrébine en France, bien que l’on en soit à la quatrième génération contrairement aux afroaméricains qui sont ancrés dans la société depuis des siècles, leurs ancêtres déplacés par le commerce triangulaire à l’époque coloniale. Cependant, ces deux populations ont comme point commun l’« intégration » dans le schéma social qui est exigée d’eux dans leur pays respectifs, alors qu’ils sont présents depuis assez longtemps pour les considérer comme français ou américains à part entière. En France, la question de l’intégration culturelle pose la question des traditions puis de l’Islam mais concerne de moins en moins les plus jeunes et les nouvelles générations donc cela ne doit plus représenter une justification de la marginalisation 27 dont cette population reste encore aujourd’hui victime, population issue des anciennes vagues d’immigration, et non de l’immigration actuelle. The Wire récupère donc des attributs du genre documentaire, avec une vocation informative sur les pratiques mais aussi la nature humaine des populations des quartiers. Ainsi, cette série reste objective et n’intègre aucunement la notion de stigmatisation dans son contenu : elle expose les stéréotypes, puis les démonte ensuite. Figure 7 - Extrait de "envoyé spécial" sur la Villeneuve à Grenoble Le reportage « envoyé spécial » sur la Villeneuve de Grenoble, diffusé sur France 2 le 26 septembre 2013 a fait l’objet de vives réactions de la population locale. IV. Conclusion The Wire intègre définitivement des aspects géographiques, ne serait-ce que par l’appropriation de l’espace par les individus. La dimension sociologique portée par le réalisme permet de comprendre les problématiques induites dans une zone géographique donnée. Ici Baltimore, où géopolitique locale, criminalité, pauvreté, drogue, condition policière, condition ouvrière et du sous-prolétariat, carriérisme, corruption, éducation, adoption, se mêlent pour former une fresque qui fait l’objet d’études universitaires de premier plan à l’Université de Nanterre, après un colloque à Harvard ainsi que des recherches sociologiques à l’Université de Duke (Caroline du Nord) et au Middlebury Collège (Vermont). Ces démarches universitaires permettraient de comprendre la société américaine d’un point de vue pertinent puisqu’elle aurait comme point de départ les problèmes vécus par des populations en marge, les disfonctionnements chroniques des institutions et par extension les parts d’ombre de l’être humain. (Molénat, 2010). Baltimore incarne un héros impersonnel dans lequel entrent en scène les personnages, se révélant un environnement idéal pour traiter des dysfonctionnements sociétaux, qui a connu dans son passé un essor, puis un abandon des pouvoirs publics. Facilement transposable à d’autres villes, l’étude de The Wire fait figure d’analyse multi-scalaire. Entre le divertissement et le reportage, intégrant un fort réalisme tout en restant une fiction, The Wire existe en qualité d’instruction sur la vie vécue par des millions de personnes aux Etats-Unis dont on ignore tout. Elle s’oppose donc à Hollywood, plus importante place de l’industrie cinématographique du monde qui serait dans l’incapacité de montrer une telle population avec autant de réalisme. De toute manière, il apparait peu crédible de penser 28 qu’Hollywood puisse s’intéresser à cette population autrement que par son aspect négatif, pouvant potentiellement alimenter des films d’action où la trame narrative serait d’un niveau moindre. David Simon regrette notamment que The Wire ai été trop souvent réduite à l’appellation « série policière » par les journalistes, ce qui traduit le manque de déterminisme de ceux-ci à approfondir l’analyse de la série et y voir le contenu qui est à des années lumières de concerner seulement les dynamiques policières. V. Bibliographie Cizeau, T. (2011). The Wire au coin de la rue. Quand une série télévisée fait de la sociologie, 1–4. Esquenazi J.P. (2010). Les séries télévisées L'avenir du cinéma ? ARMAND COLIN - Partie 3 / chapitre 7 / point N°1 : « Les séries évolutives » INA. (2013). E-dossier : Le documentaire , un genre multiforme, 1–8. Laurent, S. (2010). Les ghettos américains sur écoute. Et si la fiction était plus juste que les sciences sociales ? Esprit, Novembre(11), 20–31. doi:10.3917/espri.1011.0020 Maillet, A. (2009). The Wire: une série TV comme terrain d’étude. Nouveaux Mondes Mondes Nouveaux. Molénat, X. (2010). The Wire : quand la fiction surpasse la réalité. Sciences Humaines, 12–14. Obione, M. (2011). THE WIRE, UNE SÉRIE HORS NORMES. Rania Hoballah. (2012). La méthode gagnante de HBO. Metrofrance.com. Retrieved from http://www.metronews.fr/culture/la-methode-gagnante-de- hbo/mlco!m4yaMZ7rNowzI/ Simon, D. (2012). Baltimore, la cité de David Simon. Retrieved from http://www.cinematraque.com/2012/11/baltimore-la-cite-de-david-simon/ Sitographie Site officiel HBO / The Wire The Wire / Sur écoute, HBO, visionnage des 5 saisons / 60 épisodes (Intégrale en coffret) Diffusion d’origine 2 juin 2002 – 9 mars 2008 « C’est la réalité », bonus issu du DVD de la quatrième saison de The Wire 29 Chapitre II. Qui est donc l’Amérique ? Antoine Jobard Résumé : La fiction The Wire expose une analyse très descriptive de la société urbaine de Baltimore. Une analyse anticonformiste qui entraine une vision tout autre de ce que peut être une ville américaine. Une réalité que l’on peut qualifier à partir de l’expression favorite du sénateur Davis, personnage intrigant de la série The Wire : « Shiiiiiiiiiii’t ». Mots clés : fiction, réalité, systèmes, crises, société urbaine. « Quel est donc l’américain, ce nouvel homme ? »1. L’américain d’aujourd’hui se pose toujours la question2. Car l’Amérique est plus que jamais le pays du melting pot appelée plus communément outre-Atlantique « Salad bowl ». Il faut savoir que les Etats-Unis d’Amérique est le pays qui accueille le plus d’immigrants chaque année, environ 700 000 personnes par an. Un pays donc attractif, un pays qui fait rêver tant par ces mythes fondateurs que par son statut de première puissance mondiale. Un rêve Américain transposé dans beaucoup de séries télévisées étasuniennes. Cependant, The Wire détermine une toute autre projection du modèle américain. Une projection de la société urbaine qui fait l’objet de nombreuses études sociologiques notamment dans les universités américaines les plus prestigieuses. Certains scientifiques, comme le sociologue William Julius Wilson3 estime que The Wire traduit mieux que les textes scientifiques les problèmes sociaux et les inégalités qui en résultent. Aussi, ce travail tentera de comprendre en quoi le modèle The Wire est-il devenu une base d’étude de la sociologie urbaine, mais également, comment une fiction peut-elle suppléer une analyse scientifique ? Ces différentes questions et problématiques qui définissent cet essai seront traitées en trois temps. Tout d’abord, il semble indispensable de faire un détour technique concernant la construction de la série. Un détour dans lequel nous aborderons dans une humble globalité la réalisation de cette fiction. Ensuite, nous tenterons de comprendre comment la complexité fictionnelle de The Wire rend compte des réalités sociales et urbaines d’une ville américaine capable d’intéresser le monde de la science. Enfin, nous établirons une projection de ces réalités à travers une analyse de la société urbaine telle que The Wire la transpose. 1 Citation de l’écrivain Michel de Crèvecœur, XVIIIe siècle. a jusque dans les années 90 pensé être un Blanc avec des racines européennes, jusqu’à ce qu’un drapeau américain dont les rayures traditionnelles blanches furent remplacées par du noir, du brun et du jaune dans la une du Times Magazine. (Ronald Koven, Dinah Louda, Etats-Unis, peuple de culture). 3 William Julius Wilson, professeur de sociologie à Harvard, il consacre depuis 2010 un séminaire à la série « et à sa contribution à la compréhension des inégalités urbaines ». 2 L’américain 30 I. The Wire, Une série emprunte de réalisme. The Wire est dirigé par David Simon, ancien journaliste de la rubrique police du « Baltimore Sun4 ». Une carrière de journaliste qui a duré 12 ans dont une année tout entière, plongée en immersion dans la police de Baltimore. Il en a tiré un livre intitulé « Homicide: A Year on the Killing Streets » et traduit en français sous le titre « Baltimore ». The Wire est également codirigé par Edward Burns, ex-inspecteur de la brigade criminelle des stupéfiants de Baltimore reconverti en professeur des écoles dans les quartiers-est dévastés par la misère, comme l’un des personnages principaux de la fiction, « Pryzbylewski ». Deux passés et deux expériences professionnelles que ce duo projette donc directement dans cette série télévisée. David Simon construit un esthétisme très journalistique de l’univers de Baltimore. Esthétisme que l’on retrouve dans la narration de l’histoire. Chaque arc narratif expose un fait. Autour de ce fait s’articulent des conséquences qui sont-elles même narrées de manière très descriptive. Nous entrons dans la fiction de The Wire comme dans un journal de société. Un journal de société qui nous permet de suivre l’actualité que nous offre The Wire sur Baltimore. Cette construction narrative ne peut se détacher de l’éthique du journaliste. Une Ethique longuement présenté tout au long de la saison 5 à travers une immersion dans le journal du Baltimore Sun. Cette immersion nous donne une approche très précise du métier de journaliste. Le journaliste doit rapporter des faits sur ce qui ce passe dans la société. Cependant, le journaliste se doit de rapporter des faits qui ne s’éloignent pas de la réalité. Il doit rapporter des faits vérifiables dont la source à une importance capitale. Une éthique que l’on retrouve dans la construction de The Wire en deux points. Tout d’abord, dans le choix des personnages. En effet, tous les personnages de The Wire, comme le dit David Simon dans une interview accordée au journal Libération en 2008, puisent leurs origines de la réalité. Fran Boyd, ancienne toxicomane qui aujourd’hui s’occupe de jeunes qui veulent décrocher de la drogue, a par exemple inspiré le personnage d’une mère au foyer toxicomane, incapable d’élever ces enfants, le jeune Dre et son grand frère Michael (Mike). Fran Boyd vit aujourd’hui avec Donnie Andrews, un ex-braqueur de dealers dont le parcours a directement inspiré le personnage d’Omar Little, le « Robin des Blacks » de The Wire. Plus encore, certains acteurs incarnent des rôles similaires à leur quotidien. En effet, certains sont d’anciens dealers des quartiers est et ouest de Baltimore à l’image de « DeAndre McCullough », ex-ado dealer qui tenait un second rôle dans la série The Wire et dont la vie avait fortement inspiré le caractère de certains personnages, a été retrouvé mort d’une overdose en aout 2012. Felicia Snoop Pearson, qui incarne un des porte-flingues de Marlo Stanfield dans la série, a été interpellé dans le cadre d’une enquête pour trafic de drogues. Des noms qui viennent rejoindre la déjà longue liste des visages de Baltimore pour qui la fiction et la réalité se mélangent de façon troublante. Unis. 4 The Baltimore Sun est un journal quotidien de la ville de Baltimore dans l'État du Maryland aux États31 Figure 8 - Le "Wire Tour" sources : http://wikitravel.org/en/The_Wire_Tour Une éthique journalistique qui s’inscrit également dans le choix de tournage de The Wire. En effet, un véritable travail de reconstitution a été fait par l’équipe directrice de la série. Un travail de reconstitution qui n’est pas sans rappeler l’ancien travail d’Edward Burns. Une reconstitution réaliste comme le souligne François Huguet dans son Blog intitulé « Un Wire tour à Baltimore ». Un Wire tour qui nous plonge dans 54 lieux de tournages, et qui débute par les quartiers du West Side, une sorte de « ghetto tourism tour ». Comme dans The Wire, le deal et la misère sont omniprésents avec une population majoritairement noire. Beaucoup de portes sont scellées avec des plaques de contreplaquées qui rappellent la spécialité de Chris et de Snoop, deux porte-flingues de Marlo Stanfield, qui faisaient disparaitre leurs victimes dans ce type de planque. Il y a également la soupe populaire où travaille Bubbles dans la saison 5. Un Wire tour qui se poursuit devant la Tilghman Middle School, lieu d’expérimentation du professeur Pryzbylewski, de l’ancien major Colvin et du sociologue John Hopkins dans la saison 4. Une caméra de surveillance de la police de Baltimore flotte en face de l’entrée de l’école. Un Wire tour qui se termine sur les docks de Baltimore, lieu de tournage de la saison deux. En somme, nous observons à travers cette construction une volonté de réalisme poussée à l’extrême. Une construction qui jusque-là n’avait jamais été tenté par une série télévisé. II. The Wire, une docufiction sur la crise générale de la société urbaine. Chaque série télévisée à pour objectif premier de divertir le public. Cependant pour The Wire, l’objectif est tout autre. En effet, la construction technique précédemment décrite entraine le propos général de la fiction dans des réalités très précises, des réalités qui ne prennent que très rarement la lumière dans de telles proportions, des réalités qui dérangent. 32 Un fait particulièrement intéressant pour appuyer ce point de vue est l’observation dans The Wire d’un système territorial en crise, celui de la société urbaine. Une notion de crise que nous allons donc développer dans cette partie. Tout d’abord, la crise est sociale. La première approche qui est faite de cette crise s’observe dans les quartiers ouest de Baltimore. Un espace urbain qui se divise entre misère sociale et trafic de drogues. Les notions de criminalité, de précarité et de violence en tous genres (meurtres, drogues, prostitution) définissent la vie de ces quartiers marginalisés de la société urbaine. Au centre de cette réalité s’observe le quotidien des classes sociales les plus démunies, notamment celui des toxicomanes. Un monde de 7 à 77 ans qui lute chaque jour pour se fournir en drogue. Certains parviennent à récolter de l’argent à l’aide de petits travaux « au noir » à l’image d’un personnage récurent de la fiction, Bubbles, qui met en place un petit commerce ambulant où l’on peut trouver les produits de première utilité. D’autres se servent dans la maigre pension familiale attribuée pour nourrir et habiller leurs enfants. Un constat de misère sociale qui subit un élargissement géographique dans la saison 2. Cette décadence sociale est symbolisée par le déclin du monde ouvrier du port de marchandise de Baltimore. Un déclin, qui a pour conséquence de plonger dans un profond désarroi économique une part importante de cette population, notamment la plus jeune. Une population que l’on retrouve une bonne partie du temps dans les bars, dans l’attente d’un travail. Une population qui franchit également les limites de la légalité pour survivre. En effet, nous constatons que le port est une véritable porte d’entrée pour l’économie informelle. Les dockers laissent passer de la drogue ou de la contrebande en contrepartie d’une compensation financière. Une rentrée d’argent qui permet à une minorité de dockers de vivre correctement à court terme. Une autre partie de cet argent est directement reversée aux politiciens dans l’optique d’augmenter les chances de votes pour la réhabilitation du quai à grain. Un quai à grain dont la survie conditionne l’avenir des dockers et du monde ouvrier de Baltimore. Une modernisation couteuse et en concurrence avec un nouveau modèle, le modèle machiniste d’Amsterdam, dont les nouvelles technologies permettent d’augmenter la productivité et de réduire aussi les accidents de travail de 60%. Une crise industrielle laquelle vient s’ajouter la crise économique de 2008, celle des subprimes (titres hypothécaires à haut risque). En effet, aux États-Unis, les créanciers ont fait des prêts, sans une certaine garantie que les emprunteurs détiennent la capacité financière de les rembourser. Au moment où la crise se déclenche, l’endettement des ménages entraine alors des faillites, puis la baisse du prix des maisons qui font suite aux nombreuses saisies. Une crise économique mondiale projetée dans la saison 5, avec des personnes touchés par celle-ci, les sans domicile fixe. Un monde oublié qui survit dans des bidonvilles situés sous les grandes artères de communication de la ville. Certains travaillent, mais la majorité n’en est pas capable et sombre dans l’alcoolisme. D’autres semblent trop marginalisés psychologiquement pour s’insérer dans la normalité de la société. Cette projection faite dans The Wire du déclin de la société urbaine de Baltimore transpose une critique virulente des pouvoirs et institutions publiques en place. Une projection critique de la gouvernance articulée autour de deux principaux points : tout d’abord, la corruption. Une corruption omniprésente qui détermine que le réel pouvoir est l’argent. 33 Corruption que l’on retrouve chez les plus hauts fonctionnaires présents dans The Wire à l’image du sénateur Davis. Un sénateur qui pousse le vice jusqu’à soutirer de l’argent à l’un des barons de la drogue, Stringer Bell. Une corruption présentée plus tard sous la forme de clientélisme quand ce même sénateur, accusé de détournement de fonds, parvient à convaincre le jury de son innocence en mettant en avant son rôle dans la vie quotidienne de ses électeurs, rôle qui consiste notamment à assumer certaines dépenses de première nécessité. D’autre part, nous retrouvons cette corruption dans le traitement des chiffres. Une dogmatique des statistiques constantes qui expose plusieurs réalités. La première est celle de la forte criminalité qui fait partie intégrante des rues de Baltimore. Une criminalité exposée dans The Wire à travers le travail de la police. Mais une réalité de la criminalité qui est constamment modulée. En effet, dans The Wire, les chiffres et leurs utilisations proposent différentes réalités selon la conjoncture. C'est à dire, comme l’explique Laurent Mucchuelli dans un article intitulé « délinquance et statistique », que l'utilisation de la statistique est interprétée par une stratégie, et que cette stratégie élaborée par une pensée forte, est établie comme un support d'information fiable et indiscutable5. Une pensée forte omniprésente, construite autour des problèmes d’insécurité que l’on retrouve fortement exposé pendant toute la campagne électorale durant les saisons 3 et 4. Un débat sur l’insécurité qui oppose le maire sortant, Royce, et son principal concurrent dans la course au titre de maire, Carcetti. Le deuxième homme, président du conseil municipal à ce moment de la série, expose une augmentation de l’insécurité dans les rues de Baltimore et exige des mesures rapides et efficaces pour limiter la hausse de la criminalité. Une baisse qui doit donc s’effectuer coûte que coûte et qui va se faire à travers une falsification des statistiques. Une manipulation instiguée par la mairie Royce et dirigée par le préfet de police Burell. Un détournement de la réalité statistique qui aura pour effet, dans la lecture des chiffres, une baisse de la criminalité. Une diminution que le maire Royce diffuse dans l’opinion publique, glorifiant une politique des plus efficaces. Des pratiques où la clarté et la transparence ne font donc pas partie de la déontologie. Réalités qui laissent perplexe lorsque que l’on sait que ces faits se situent dans un pays qui dénonce ce type de pratiques antidémocratiques, à savoir la corruption et la nontransparence des chiffres. Ce constat des failles systémiques que l’on observe dans The Wire sur la société urbaine apporte à cette fiction une dimension artistique plus proche de la docufiction que de la série américaine traditionnelle. En effet, jamais une vision du contexte politique, économique et sociale d’une entité américaine n’avait été projetée de manière aussi profonde dans une série télévisée. Une vision qui expose un équilibre territorial des plus fragiles, bien loin de l’image habituelle que l’on se fait de la société américaine. 5 Laurent Mucchielli : Sociologue, directeur de recherches au CNRS. Blog : Délinquance, justice et autres questions de société. 34 III. The Wire: Un objet pour les sciences sociales. Cet état des lieux fait par The Wire de la conjoncture sociale, économique et politique de l’acteur principal, « Baltimore », expose une approche très critique du système américain par excellence, le capitalisme concurrentiel. Une réalité qui en souligne une autre, moins visible, celle de l’organisation de la société urbaine. En effet, comme le dit David Simon dans une interview accordé au journal The Observer en 2013, « There are now two Americas ». Une affirmation qui exprime le fait que l’Amérique est désormais divisé en deux catégories, d’un côté les riches et de l’autre les pauvres. Une affirmation que l’on peut projeter dans The Wire à travers cet organigramme réalisé sur la base de l’intégralité de la série. Figure 9 - The Wire, des logiques territoriales hiérarchisées T Sources : Jobard, 2014 Cet organigramme place au centre de la société urbaine de Baltimore deux systèmes : celui du monde formel et celui du monde informel. Deux mondes dont les organisations apparaissent très hiérarchisés dans The Wire. Des hiérarchies qui imposent des règles et 35 logiques territoriales différentes mais qui finalement structurent le fonctionnement d’une totalité, la société urbaine de Baltimore. Une société que l’on peut diviser en deux parties. Tout d’abord, celle qui se structure autour d’une politique traditionnelle dont le pouvoir à comme légitimité une base institutionnelle représentée par les trois pouvoirs historiques : législatif, exécutif et judiciaire. Une politique dont nous avons exposé précédemment les limites systémiques à travers différents exemples qui montrent que ce système à de plus en plus de mal à assumer les moyens de sa reproduction. Ce fait nous plonge dans l’autre partie qui constitue la société urbaine de Baltimore, celle marginalisée par la précédente, la société informelle. Une société qui se caractérise à travers son économie souterraine et qui s’observe à différentes échelles. Une économie souterraine dont le principal individu dans The Wire est le trafic de drogues. Dans The Wire, ce trafic se structure dans un premier temps dans le ghetto du West-Side, puis, sur toute la ville de Baltimore. Ce trafic nous est présenté comme également présent dans d’autres villes, à l’image de dealers NewYorkais venus tenter leur chance à Baltimore. Une économie souterraine qui se situe également dans la projection des grands réseaux de prostitution. Un réseau d’envergure internationale qui achemine par conteneur des filles venues de l’est de l’Europe pour alimenter les boites de prostitution de la région de Baltimore. Une économie qui génère de très gros profits dont ne profite finalement, souvent de manière éphémère, qu’une petite minorité d’acteurs. En somme, les frontières sont claires entre les deux systèmes. Deux systèmes qui exposent des limites sociales fortes et dont les dommages collatéraux font parties intégrante de la narration de The Wire. Une réalité inquiétante qui se heurte dans la série à quelques visions humanistes, notamment au sein de la police avec l’inévitable inspecteur Mc Nulty, l’un des plus fervents dissidents des politiques présentent dans The Wire. Des personnages qui, quelque soit le système, sont éjectés du jeu s’ils n’acceptent pas les règles en place. Une réalité que l’on constate autant dans le monde formel que celui de l’informel, avec cependant une petite nuance, les conséquences peuvent être plus sordide dans le monde informel. Des règles du jeu dans lesquelles apparaissent cependant quelques individus situés dans les interstices (cf article Zoé Maserati). Des individus qui font figure de zones tampon entre ces deux mondes. Nous pouvons prendre comme exemple la religion qui apparait dans The Wire comme l’un des principaux médiateur de ces deux systèmes. Nous pouvons aussi distinguer le système éducatif comme une institution qui se situe dans The Wire dans l’entre deux. Un système d’une part délaissé économiquement et moralement par les pouvoirs publics et qui se trouve, d’autre part, confronté à l’éducation que le monde informel imprime sur la jeune population. Un entre deux ou le journalisme apparaît comme la seule population capable d’appréhender et de projeter une réalité objective et globale de ce qui se trame dans cette société urbaine. IV. Conclusion Une chose est sûre, The Wire est un ovni du monde du 8ème art. Un ovni parce que cette série réinvente les structures traditionnelles de la série télévisée et casse des stéréotypes 36 ancrés depuis une 60e d’années. Une nouvelle réalisation qui expose au téléspectateur pendant plus de 60 heures une docufiction dont l’acteur principal est la société urbaine de Baltimore. Une projection qui n’est pas très douce avec celui-ci, bien au contraire. The Wire expose une vive critique de la société contemporaine, et plus encore, la société Américaine. Cette critique se structure sur les conséquences sociales, politiques et économiques que le système en place, le capitalisme concurrentiel, mais également ceux qui le dirigent, imprime sur la société urbaine. Visions critiques déjà fortement analysées par le monde scientifique, notamment dans le droit à la ville (Lefebvre, 1968). Des faits qui permettent de répondre à la première question qui déterminait cet essai, en quoi The Wire est-il devenu une base d’étude de la sociologie urbaine ? Cependant, pouvons-nous dire pour autant que cette fiction parvient à remplacer une analyse sociologique scientifique ? A cette question, la réponse restera nuancée. Le fait est que The Wire utilise des bases scientifiques dans la construction de sa fiction telle que le travail de reconstitution par le terrain. Des bases auxquelles viennent s’ajouter différents facteurs énoncés précédemment. Cependant, la tragédie qui fait partie intégrante de The Wire, tragédie que l’on comprend par la continuité de la trame dramatique à l’issue de la saison, ne confère-t-il pas une vision trop déterministe de l’objet urbain. Une vision dans laquelle finalement n’apparait que très peu le monde de la middle class. L’une des rares visions qui en est projetée expose d’ailleurs une toute autre esthétique de l’objet urbain. Un espace où l’herbe parait plus vert et pousse au sein de petits jardinets bien entretenus, un fait que l’on peut observer à l’épilogue de la saison 4 depuis le domicile de l’ancien major « Bunny Colvin ». -Bibliographie : Œuvre collective, Peuple et culture, Etats-Unis, 2e édition, 2004, 224 pages. LEFEBVRE, H. [1968]. Le droit à la ville, Economica, 2e édition, 1973, Paris, 164 pages. Simon, David, « There are now two Américas. My country is a horror show. World news / The Observer.[09/12/2013] The Wire : Quand la fiction surpasse la réalité. Cairn.info, Ed. Sc. Humaines, 2010. -Internet http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2008/11/17/l-amerique-de-the-wire-est-le-preambule-aubordel-d-aujourd-hui_960330 http://www.laurent-mucchielli.org/index.php?pages/Liens http://www.urbain-trop-urbain.fr/un-wire-tour-a-baltimore/#note2 http://nuevomundo.revues.org/55673 http://www.archyves.net/html/Blog/?p=4646 http://fr.wikipedia.org/wiki/Baltimore, [2008] 37 Chapitre III. The Wire comme laboratoire: Ce que permet la géofiction. Romain Fagay Résumé : L’article démontre en quoi la série « The wire » est une géofiction plutôt qu’un documentaire et permet de donner une vision riche de Baltimore. Il sera possible de voir au travers de l’article que la fiction dans « The wire » correspond à la vision de David Simon qui tente d’apporter son lot de réponses face aux problèmes sociaux de la ville. Mots clefs: géofiction, experiences, utopie, Diagnostic / Solution Il est courant de dire que « The wire » est une œuvre réaliste. A rebours de cette évidence, c’est à travers un regard géographique original que nous allons poser une hypothèse contre-intuitive sur la série « The wire ». En effet, l’objectif est de démontrer en quoi « The wire » est une fiction et plus précisément une géofiction plutôt qu’un documentaire ou une série réaliste. La série de David Simon, co-écrite avec Ed Burns et diffusée sur HBO de 2002 à 2009 est une série qui aborde la criminalité, la lutte des gangs de drogue, la contrebande, l’éducation, les luttes politiques et les médias dans la ville de Baltimore, une ville au nord-est des Etats-Unis située dans l’état du Maryland. Elle est composée de 5 saisons de 12 à 13 épisodes de 58 minutes. De plus, « The wire » impressionne par sa volonté de reproduire fidèlement la ville de Baltimore dans ses moindres recoins, là où beaucoup de choses se passent. Son réalisme proche du documentaire lui a permis d’être acclamé par la critique et lui vaut d’être considérée comme la meilleure série de tous les temps (Sérisier, 2008). Défaillance dans le souci du détail ou volonté de David Simon à nous montrer sa vision de la ville, on constatera tout de même que quelques éléments de la trame scénaristique sont purement fictionnels et ne peuvent correspondre à la réalité de Baltimore. En cela, nous verrons que la série, dans un cadre réel, tente d’apporter son lot de réponses face aux problèmes sociaux et cela par l’intermédiaire de la géofiction. C’est pourquoi à travers l’article, il nous sera possible de voir en quoi la géofiction dans la série « The wire » permet de donner une vision riche de la ville de Baltimore. L’article se compose en 3 parties. La première définit ce qu’est une géofiction, la suivante tente de démontrer en quoi « The wire » en est une et la dernière partie traite du « diagnostic » et des « solutions » apportés par David Simon. 38 I. Qu’est-ce qu’une géofiction ? Introduction à la géofiction Il convient premièrement d’essayer de définir ce qu’est une « géofiction ». Par définition, la géographie est la science décrivant les phénomènes physiques et humains de la surface de la terre. La géographie régionale étudie un espace bien déterminé et la géographie humaine (au sens strict) est la science de l’organisation actuelle de l’espace terrestre par l’Homme. Elle s’intéresse aux problèmes de l’habitat et de la population (Le petit larousse, 2009). Dès lors, la « géofiction » serait le fait de « créer » un monde géographique fictionnel, c'est-à-dire un monde imaginaire et irréel pouvant s’inspirer de la réalité (cf : définition de « fiction », Larousse). Cette notion peut prendre la forme d’un élément symbolique de la réalité comme une planète, un pays, une ville, une rue, un élément urbain, etc… et est représenté à travers différents supports (Cartes, jeux vidéo, films, dessins animés, dessins, récits, littérature…) et c’est à nous de savoir si ce que l’on nous présente correspond bel et bien à la réalité. Le géographe ayant travaillé sur la géofiction est A. Musset, directeur d’étude à l’EHESS. Géographe spécialiste de l’Amérique latine et des études urbaines, il a travaillé sur les relations ville-environnement dans une perspective historique. Dans le domaine de la géographie des représentations, il s’intéresse aux villes imaginaires et de science-fiction comme Coruscant, la planète-ville de Star Wars. La préface de l’ouvrage par Roland Lehoucq nous dit qu’« analyser » ces menaces virtuelles qui renvoient aux apocalypses imaginaires, permet d’en tirer des enseignements sur les dysfonctionnements qu’elles révèlent sur notre monde réel perçu comme toujours plus vulnérable en dépit de son développement technique. En effet, en imaginant ces apocalypses, la science-fiction nous montre notre monde de manière différente et nous incite à réfléchir à ce qu’il devrait être pour éviter les erreurs qui pourraient entraîner sa disparition (Musset, 2012). Cependant, A. Musset ne va pas aussi loin dans sa définition de la géofiction et ne détaille pas assez son concept. Geopoeia, qui est un site d’échange d’information sur la « Creative Counterfactuality », consiste en la création (ou construction) de variantes fictionnelles de parties ou d’aspects du monde comme nous le connaissons par la géofiction des mondes et des langues. Ce site nous donne un supplément d’information pertinent sur cette « géofiction ». En effet, la « géofiction » met l’accent sur l’histoire, la culture, la politique, la société, etc… et se caractérise en deux types : la « géofiction interactive » et la « géofiction expérimentale » (geopoeia, 2014). La géofiction interactive La géofiction interactive est une géofiction de « jeux ». Les différents pays, territoires et lieux font partie d’interactions. Ces interactions peuvent prendre la forme de relations diplomatiques, sous formes d’échanges commerciaux, de rivalités, de tensions géopolitiques, de guerres, etc… On retrouve par exemple la série « Game of Thrones » (Le trône de Fer) qui est une adaptation cinématographique du roman de George R. R. Martin. C’est une série fantaisie médiévale créée et diffusée par HBO (Home Box-Office). Elle met en scène des 39 territoires gouvernés (Winterfell, The Wall, King Landing, Lannis Port, Asshai…) où les tensions géopolitiques font rage (Propos inspirés de B. Pleven). La série tend à montrer que le jeu du pouvoir prend forme par de la géopolitique, des conflits, des guerres, des échanges…Et tout cela est actuellement mis en scène par 3 saisons (la quatrième sera diffusée au printemps 2014). Dans un univers fantaisie médiévale, l’imaginaire géographique est facilement possible et visible. Et ceci est une vision fictive de George R. R. Martin. On pourra également citer comme géofiction de « jeux » les MMORPG (massively multiplayer online role playing game), les jeux de gestions et stratégies comme les séries « Age of empire » ou « Total war » (“Allocine,” 2014, “HBO’s official website,” 2014, “Jeuxvideo.com,” 2014). La géofiction expérimentale L’autre variante est la géofiction « expérimentale ». Son but est d’inventer (en utilisant de la connaissance scientifique disponible) ce que serait l’apparence d’un monde (ou un pays, une ville, un espace…) si on changeait certains aspects. Par exemple des planètes dont le même côté reste toujours vers le soleil, ou encore un monde affecté par une congélation totale de la surface terrestre à cause d’une tentative de réduction du réchauffement climatique (Snowpiercer, 2013) qui impose aux humains de vivre en perpétuel mouvement dans un train qui parcourt le tour de la terre, une ville comme Londres contrôlée par un dictateur (V for Vendetta, 2006), ou encore une planète ayant épuisé ses ressources naturelles et provoquant la destruction de son noyau terrestre (Man of steel, 2013). Les œuvres géofictives dans le cinéma peuvent prendre la forme d’une « Uchronie » qui repose sur une réécriture de l’Histoire à partir d’un évènement du passé comme le film Watchmen (2009) qui se passe dans des Etats-Unis alternatifs de 1985 où les super-héros font partie du quotidien durant la période de tensions entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique. On retrouve également le film V for Vendetta ou encore Inglorious Basterds (2009) où l’histoire se passe durant la seconde guerre mondiale en France (“Allocine,” 2014). Un autre exemple de géofiction expérimentale est la série vidéo ludique « ANNO » qui projette le joueur dans le futur de notre monde et celui-ci est responsable de la « gestion » de la terre après une brusque montée des eaux. En incarnant les choix et valeurs des écologistes ou des industriels, le jeu simule les impacts à la fois humains mais aussi environnementaux (“Jeuxvideo.com,” 2014). Finalement, beaucoup d’œuvres culturelles de fiction sont « interactives » mais peu sont « expérimentales ». Après une courte partie sur la fiction et les séries télévisées américaines, nous verrons en quoi « The Wire » est une géofiction interactive mais aussi expérimentale. II. « The wire » et la géofiction Le potentiel fictionnel des séries télévisées américaines L’avantage des séries est qu’elles prennent le temps d’installer l’histoire. Selon Dubs, a l’instar des films, les séries ont des normes spécifiques mais différentes. Elle nous apprend que les séries se structurent en saisons qui comportent chacune généralement 10 à 25 épisodes 40 d’une durée variable suivant le type de séries auxquelles nous avons affaire. Ce « temps long » permet de donner à voir non seulement un maillage fin et subtil de la réalité, de nos vies ordinaires mais aussi à développer des éléments fictifs. « On y voit les caractères des personnages évoluer, les situations problématiques se multiplier, les événements se succéder, les aspects sociétaux, etc… ». Le format « long » qui permet aux séries d’avoir un « réservoir » infini autorise bien souvent le déploiement dans le réalisme des personnages et de leurs questionnements mais également la finesse et l’originalité des intrigues qui porte couramment sur des grands thèmes souvent rebattus : l’amour, le bien, le mal, la vie, la mort, la guerre, la société, etc... (Dubs, 2010). De plus, le pilote de la série, c’est-à-dire le premier épisode, sert à situer l’action et les personnages de l’œuvre. C’est « lui » qui va permettre d’enclencher la production des épisodes suivants qui composent la série et donc le récit qui est beaucoup plus vaste et long qu’un film. C’est pour cela que la série « The wire » constitue un réel support dans un cadre de recherches en sciences sociales car son format permet le développement du héros principal (Baltimore) et son histoire à la fois en terme de réalisme mais également de fiction. Qu’est ce qui fait de « The wire » une géofiction ? La série « The wire », pour revenir à elle, se situe entre le réel et la fiction. On y retrouve clairement de la « géofiction expérimentale » car la série ouvre de « nouvelles possibilités » et produit « des utopies fécondes » (P. Mangeot, The wire, reconstitution collective, p. 115). En effet, de nombreux éléments dans « The wire » sont purement fictifs et ne sont qu’une vision de l’auteur, une création narrative qui permet « d’accentuer le drame » et « d’en dire plus sur le monde » (David Simon). Tout cela donne une vision riche de la ville Baltimore car ces créations d’utopies dans la série participent à l’élaboration d’un monde géofictif qui ne pourrait correspondre totalement à sa réalité. David Simon lui-même insiste sur le fait que « The wire » reste avant tout une fiction, une histoire plutôt qu’un documentaire où une production journalistique (“lexpress.fr,” 2014). Un tableau mettant en avant les caractéristiques de la série peuvent faciliter la compréhension de notre propos. Comme il a été dit précédemment, « The wire » peut être vu comme une géofiction « interactive » mais aussi « expérimentale ». Le tableau ci-dessous n’est pas exhaustif mais synthétique et reprend seulement les éléments fictifs significatifs. 41 Tableau 1 - Entre géofiction interactive et expériementale Interactive - « The game » entre les gangs, la police, les domaines publics et politiques (cf chapitre d’A. Faure) - Le rapport au pouvoir - Le contrôle des territoires par les gangs ainsi que les différentes interactions. - La ville de Baltimore en elle-même. - La gestion de la ville par les pouvoirs publics - La Co-Op Expérimentale - Les expériences menées par Colvin : Hamsterdam et la classe spéciale (voir Capsule vidéo) - Les méthodes d’apprentissage scolaire par l’enseignant « Prez » - Le personnage « Omar » joué par Michael K. Williams, « Stringer Bell » (Idris Elba), « Bubbles » (Andre Royo), « James Macnulty » (Dominic West) - Les méthodes policières illégales de Mcnulty pour résoudre ses enquêtes. Ce côté « expérimental » permis par la série constitue le principal sujet de cet article car on peut y voir un « laboratoire géant », « une expérimentation sociale » (K. Aarons & G. Chamayou, The wire, reconstitution collective, p. 67). On explore, virtuellement et avec une très grande liberté, les modalités, les enjeux, les conséquences et les limites des projets mais aussi le rôle des personnages et comment et pourquoi ils interagissent dans l’espace de Baltimore. Quel autre format ou médium permet cela ? (Amélie Flamand, metropolitiques.eu, 2011) III. Du « diagnostic » à la « solution » apportés par David Simon Comme le disent A. Musset et R. Lehoucq, analyser et réfléchir à ces éléments fictionnels permet d’en apprendre plus sur une entité qui est, dans « The wire », Baltimore et d’en tirer des solutions et des réponses face aux problèmes sociaux réels. Une étude de cas se fera donc sur un élément fictionnel de la saison 4 : « La classe spéciale ». En effet, le cas « Hamsterdam », très connu, a fait l’objet de nombreuses études en science sociales, c’est pourquoi il est préférable de porter l’étude sur un sujet nouveau et inédit. Le choix de ce cas d’étude semble pertinent dans la mesure où l’on retrouve de la « science-fiction ». En effet, comme le dit David Simon, il est peu probable de retrouver un jour à Baltimore ce genre d’expérimentation. L’objectif de ce travail est donc de décrire et d’analyser cette expérience de manière géographique. Etude de cas : « la classe spéciale » (saison 4) L’expérience de la « classe spéciale » apparaît dans la saison 4. Elle est à l’initiative d’un psychologue du nom de Parenti qui cherche à trouver des solutions aux problèmes sociaux en innovant plutôt que d'y répondre par la prison, la répression ou la rééducation par 42 rapport au milieu de la drogue (Capsule). Il demande à un ancien Major de police nommé Colvin de l’aider à mener ce projet en tant que superviseur et agent de liaison opérant dans l’environnement urbain. En outre, le psychologue cherche à cibler un groupe bien précis d’individus dans une tranche d’âge de 19 à 21 ans. Colvin lui fera prendre conscience qu’avec cette tranche d’âge, il est trop tard pour concrétiser son projet. C’est pourquoi ils vont créer une classe spéciale regroupant 10 cas difficiles du collège Edward Tilghman afin de les étudier et pouvoir mener à bien le projet. L’objectif étant de fournir un programme scolaire adapté à leur situation, notamment par une singularisation des élèves (P. Mangeot, p110) et permettrait « théoriquement » selon Parenti d’aider et éviter à ces jeunes délaissés par le système scolaire de tomber dans la délinquance ou le réseau de la drogue. Par cela, on voit que le diagnostic apporté par David Simon est que le niveau scolaire de Baltimore est très faible et l’enseignement peu efficace ce qui constitue un enjeu social important pour la ville. Cette inefficacité scolaire est d’autant plus accentuée par les élèves difficiles qui perturbent les cours. Dans la capsule nous montrant les scènes de la classe spéciale, il est possible de voir le personnage de Namond (Julito McCullum) perturber la classe de Pryzbylewski et ainsi, ralentir la formation des autres élèves. David Simon nous dit à travers les propos de Colvin qu’il y a deux catégories d’élèves : ceux qui se plient et ceux du coin de la rue. Les seconds cités (incluant Namond) ne peuvent pas rester « tranquilles » en classe contrairement aux premiers. Implicitement, on comprend que l’échec du milieu scolaire est l’une des causes et du maintien du milieu de la drogue. Pour l’auteur, cet aspect négatif de la société doit avant tout être corrigé et amélioré. C’est en cela que la fiction apparaît. Elle donne une solution afin de corriger l’un des défauts de la société. Ici, en touchant directement le milieu scolaire. Le livre « The wire : reconstitution collective » nous donne beaucoup d’informations sur le côté fictionnel de « The wire » et de cette classe spéciale qui permettent d’avancer notre propos. Le fait de créer une classe spéciale regroupant tous les cas difficiles permettrait, selon le discours de David Simon et Ed Burns, d’être une solution pour favoriser l’éducation dans le milieu scolaire. En effet, les propos de P. Mangeot nous indiquent que la philosophie de l’expérience repose sur la ségrégation. La géofiction, dans ce cas, a alors été de créer un espace dérogatoire, une zone franche où la loi commune du milieu scolaire et de l’enseignement est suspendue (Burdeau, Vieillescazes, Aaron, Chamayou, & Mangeot, 2011). Dès lors, le fait que cette classe s’inscrit et induit à la création d’un espace fictif, on peut affirmer que David Simon a créé un espace géofictionnel ressemblant fortement à un espace réel et qui correspond à notre imaginaire de ce type d’espace. Il ne faut pas non plus oublier que la série est tournée en décor réel. De ce fait, la classe a-t-elle été aussi tournée dans le même cas ? Cela est une question assez difficile à répondre dans la mesure où le décor utilisé pour la classe en impose par son réalisme. Des chaises, des bureaux, un tableau, des étagères, des poubelles, des affiches, tels sont les éléments associés à la représentation d’une salle de classe et qui sont visibles dans les scènes. Donc si dans la description de l’espace, le côté fictionnel est absent, c’est bel et bien dans son aspect immatériel, utilitaire et philosophique qu’il se trouve. En effet, le lieu fait penser à une sorte de cachot, une prison comme le signalent les élèves et Colvin qu’il cite lui-même comme le « mitard ». Une fois le 43 rapprochement effectué, force est de constater qu’il est impossible de localiser cette salle dans l’école autrement que dans les sous-sols et renvoie à une image négative. L’ambiance est sombre car la salle ne possède pas de fenêtres à l’inverse de celle de Prez. Donc à la fois, on retrouve cet aspect très réaliste et aussi un aspect lié à une toute autre utilisation que celle de la prison, symbole parfait de l’exclusion permettant de mettre les individus à l’écart des autres. Aussi, la prison n’est pas seulement un lieu d’enfermement et de mise à l’écart. Ses fonctions vont jusqu'à la correction, la rééducation ainsi que le contrôle. C’est pourquoi le replacement social, la resocialisation et la nécessité d’un personnel spécialisé qui forment l’objectif de cette expérience mettent en évidence la similitude entre un centre pénitencier et cette salle de classe qui n’est pas sans rappeler le contraire des objectifs que voulait à tout prix éviter Parenti. De plus, il est possible de constater un lieu regroupant diverses fonctions. Pour celles qui sont liées à l’extérieur, la salle de classe permet d’être un lieu de l’illégalité, un lieu qui permet de cacher à l’extérieur l’expérience réalisée mais également d’empêcher les élèves d’en sortir (voir la scène où Colvin explique à Namond, après avoir insulté une enseignante, qu’il ne peut changer d’attitude que pour retourner dans la classe et non être exclu et retourner dans la rue ce qui serait le cas en temps normal). Les fonctions liées à l’intérieur sont de faire évoluer les enfants et leur donner un enseignement spécifique en expérimentant des activités différentes hors normes, celles de la rencontre et du regroupement d’individus « ciblés » ainsi que lieu d’interactions. Par cela, le duo Colvin-Parenti aura participé à l’élaboration d’un espace géofictif d’autonomie temporaire dont la condition même est l’invisibilité (P. Mangeot) ce qui renforce son côté illégal et qui justement ne peut exister qu’en cela. On pourra donc dire que fiction et illégalité sont des notions très liées dans le domaine expérimental. C’est exactement le même principe que l’expérience Hamsterdam (saison 3) sur un mode plus spectaculaire car on retrouve une zone spéciale avec une législation localisée qui consiste à remplir un espace vide pour en vider un autre avec une logique de transvasement. Le but étant de déplacer le trafic afin d’assurer la tranquillité. S’en trouve dès lors une Géographie de la séparation où l’on sépare les élèves perturbateurs des élèves capables de suivre les cours normaux que l’on met dans une salle inexploitée auparavant (K. Aarons & G. Chamayou). Cependant la géofiction de la classe ne se limite pas à l'exclusion, elle peut évoluer, s'adapter et ainsi ouvrir de nouveaux horizons. En effet, au fil des épisodes, le lieu qui s’apparentait à une zone close d’enfermement change de caractère pour devenir ainsi un lieu refuge, un espace normalisé et de sécurité pour les enfants. On y voit un lieu permettant au groupe d’apprendre, de parler, d’échanger, etc. comme par exemple la scène où Namond, debout en marchant, explique sa vision de la société aux enseignants de manière décontractée. De plus, les thèmes de conversation sont différents et abordent les thématiques de la rue ce qui permet d’attirer l’attention des élèves et maintenir une cohésion de groupe stable. Au final, le lieu marginalisé devient un lieu utopique, c'est-à-dire un lieu où les enfants difficiles, n’aimant généralement pas l’école, apprécient d’y aller. Voilà ce que propose David Simon par l’intermédiaire de cette géofiction en nous montrant les différents aspects de cette expérience fictive et de ses aboutissants 44 positifs. Une fois le projet stoppé (de force), aucun des élèves retournés dans leur ancienne salle de classe ne perturbent les cours et Namond, lui, qui était destiné à tomber dans le milieu de la drogue, continuera ses études en se faisant adopter par Colvin et donnera une conférence sur le SIDA en Afrique devant un large auditoire (saison 5). Namond est donc celui qui fait vivre cette utopie dans le reste de la série. Et qui la justifie en tant que « solution ». Pour revenir au cas de la « classe spéciale » et non à l’espace de la classe, celle-ci évolue et c’est elle qui fait évoluer l’espace. En effet, tout le long de la saison, les comportements évoluent et passent de comportement de rébellion, vis-à-vis des enseignants et des encadrants, à des comportements plus disciplinés. La « classe spéciale » permet alors d’instaurer un climat de confiance entre les différents individus qui occupent l’espace et conforte le positif cette expérience. On notera que la « classe » de cette série est et reste avant tout une idée de la classe par David Simon, une utopie qui se rapporte non seulement aux groupes d’individus, à l’aspect social mais également à l’espace matériel, comme nous avons tenté de le montrer. Il est dès lors possible d’affirmer que sous différentes modalités, chaque utopie, comme celles présentes dans « The wire » se rapportent à l’espace et participent à construire de la géofiction expérimentale. Enfin comme le dit Mangeot, si « The wire » relève bien de l’expérimentation, c’est parce qu’en rendant possible au sein d’une fiction des expériences qui n’ont aucune chance d’exister dans l’espace réel auquel la série tente de ressembler, elle rend possible une transformation des pratiques dans la réalité (Burdeau et al., 2011). C’est en cela que « The wire » constitue un support pertinent pour des études et analyses dans différentes sciences sociales. Rien d’étonnant de voir que cette série est devenue un sujet d’étude dans plusieurs universités. Il y a là une confiance dans les pouvoirs de la fiction et c’est ce en quoi milite le géographe Alain Musset. IV. Conclusion : « The wire » : laboratoire d’expérimentation Si l'originalité du propos consiste à aborder la série « The wire » à travers la géofiction et ses ressortissants fictifs, c’est dans le but de démontrer que « The wire » est une géofiction expérimentale en plus d’être interactive et que par cela, elle nous donne une vision riche de Baltimore. On entend par « riche » que la géofiction permet à cette œuvre d’aller au-delà de la simple description et de la représentation fidèle de la ville. En effet, la géofiction permet d’apporter beaucoup plus d’informations car elle permet de moduler la réalité et l’espace ce qui participe à la création d'un monde alternatif qu'il est possible d'étudier. Beaucoup d’éléments fictifs sont visibles dans « The wire » et font de cette série un véritable « laboratoire d’expérimentation » comme l'a montré l'exemple de la « classe spéciale » qui a mis en avant trois phases : exclusion, autonomie et utopie. Ce cas aura permis de déceler une faille sociale dans le milieu de l’éducation et s’impose comme un diagnostic et une solution pour parer aux faiblesses de la société imaginée par David Simon. 45 Pour clore notre propos, on citera une réplique du film « The dark knight rises » de Christopher Nolan où le commissaire Gordon dit au policier Blake : « Il arrive un stade, où tout bascule, où les structures te trahissent. Les règles ne sont plus des armes mais des entraves » et c’est ce problème que tentera de résoudre le film en créant un justicier traquant le crime, la corruption et le terrorisme au-delà de la légalité. C'est aussi ce problème qui est posé à David Simon dans sa quête de réalisme. En effet, les lois ne suffisent plus à recadrer une population marginale, ce qui rend les moyens légaux obsolètes afin de lutter contre la délinquance. De son statut de fiction, il a pu intégrer diverses solutions illégales qui ne conviendraient pas à la société réelle. V. Bibliographie Allocine. (2014). Retrieved from http://www.allocine.fr/ Burdeau, E., Vieillescazes, N., Aaron, K., Chamayou, G., & Mangeot, P. (2011). The Wire : Reconstitution collective (p. 182). Prairies Ordinaires. Dubs, D. (2010). Ce que les séries nous apprennent…. Implications-Philosophiques.org. Retrieved from http://www.implications-philosophiques.org/semaines-thematiques/philosophie-des-series/ce-que-lesseries-nous-apprennent/ geopoeia. (2014). Géofiction et Mondes Construits. geopoeia.net/. Retrieved from http://www.geopoeia.net/wiki/Géofiction_et_Mondes_Construits HBO’s official website. (2014). Jeuxvideo.com. (2014). Retrieved from http://www.jeuxvideo.com/jeux/pc/00040475-anno2070.htmhttp://www.jeuxvideo.com/jeux/pc/00040475-anno-2070.htm Le petit larousse. (2009). lexpress.fr. (2014). Retrieved from http://www.lexpress.fr/culture/tele/david-simon-the-wire-est-une-serieexigeante-il-faut-s-accrocher_1176800.html Musset, A. (2012). Le syndrome de Babylone : géofictions de l’Apocalypse (p. 355). Paris : A. Colin. Sérisier, P. (2008). The Wire – Réparer une injustice. Lemonde.fr. Retrieved from http://seriestv.blog.lemonde.fr/2008/02/03/the-wire-reparer-une-injustice/ 46 2 Explorer. De la métaphore aux sciences sociales Chapitre IV. All in The Game: regard géographique Amélie Faure Résumé : Cet article traite du thème du jeu dans la série « The wire ». En effet, cette thématique est abordée tout au long des épisodes de chacune des saisons. D’un point de vue plus géographique, on constate que Baltimore sert de terrain de jeu, ce qui permet la pratique de « The Game » par tous ses joueurs. Mots clés : « The Game », « le jeu », « terrain de jeu », « Omar : le grand joueur », « géographie social », « fiction & réalité ». La série the Wire, est une série dont les thèmes de chacune des saisons émanent de faits réels. Cependant, the Wire est une « série » et non un « documentaire ». Malgré la volonté de représenter une partie de la réalité dans la ville de Baltimore, the Wire reste une fiction. Où notamment la mise en scène de la vie des Baltimoriens peut faire penser à une pièce de théâtre. Dans ces représentations de la vie quotidienne des habitants et à travers les différentes saisons et différents épisodes de la série, on constate un champ lexical omniprésent de « the Game » : du jeu. Au fur et à mesure de la découverte de la série, mes observations se sont principalement concentrées sur le rôle ainsi que cette omniprésence du jeu dans « The Wire ». Plutôt qu’étudier directement la série ou encore comprendre comment s’interprète la géographie à travers l’ensemble des saisons, j’ai préféré me pencher sur « le jeu », qui m’a dès le départ beaucoup intrigué. Grâce à cette étude, je souhaite découvrir l’aspect géographique de la série uniquement à travers le thème du jeu. On pourrait essayer de comprendre « le jeu », en relevant dans chaque épisode tous ses champs lexicaux qui le font ressortir tout au long de la série. Cependant une fois que j’ai fini de regarder la série dans son intégralité, j’ai trouvé plus intéressant de sélectionner et regrouper les principaux éléments du jeu de « The Wire » dans deux grandes parties. Je vais donc réaliser mon étude en me posant principalement une question à laquelle je vais essayer d’y répondre : comment étudier l’aspect géographique de la série « The Wire », à travers la thématique du jeu ? Ma démarche, a tout d’abord été de définir qu’est-ce qu’un jeu d’un point de vue général, ainsi que comprendre le rôle et la signification des éléments qui englobent « le jeu », et qui « font » à eux tous « le jeu ». Cette mise au point sur « le jeu », sans même commencer à parler de « The Wire », m’a paru essentielle. Analyser « le jeu » dans « The Wire », ne peut se faire, sans comprendre la signification et l’interprétation qu’implique « le jeu ». 48 Ensuite, j’ai appliqué cette grille d’analyse du jeu sur la série. En étudiant en premier le terrain de jeu qui est ici Baltimore, ce qui fait davantage ressortir l’importance de la géographie dans « The Wire » même à travers de « son jeu ». Puis deuxièmement en scrutant sous tous ses angles un grand joueur de la série, avec toutes ses caractéristiques propres au jeu : ici Omar qui est « all in the game ». Et dans une dernière partie, je vais conclure en répondant à la problématique, en mettant en avant l’aspect géographique de la série à travers la thématique du jeu. I Le jeu: Qu’est-ce qu’un jeu ? Selon CAILLOIS, il existe deux types idéaux de jeux : Agôn et Aléa, Agôn (compétition) : Jeux faisant intervenir l’idée de compétition (un gagnant, un perdant) les joueurs sont à égalité de chances au départ (parfois existence d'un handicap pour équilibrer). Cette égalité n'est jamais totale (soleil, terrain, qui joue le premier?…). Ce qui motive le joueur, c'est de se prouver à lui-même qu'il est fort (et pas seulement, battre l'autre). Pouvoir narcissique. Ce désir de s'affirmer va conduire à (pour être plus fort): Entraînement, Effort, Volonté de vaincre. On joue toujours pour gagner. Beaucoup de gens sont bloqués, car il y a trop de paraîtres dans une partie. Si on accorde trop d'importance au jeu, on s'effondre quand on perd. Aléa (jeux fondés sur le hasard) : jeu fondé sur une décision qui ne dépend pas des joueurs, il peut être une source de valorisation chez certains enfants. L'arbitraire du hasard constitue le ressort unique du jeu. Il s'oppose à l'Agôn. Il n'y a plus nécessité d'entraînement, d'effort, de désir de vaincre (insolente dérision du mérite). Le vrai jeu de hasard est celui où le gain est proportionnel au mérite. L'Aléa a un rapport avec la mort (exemple de la roulette russe). (Callois, 2014) En réalité, le jeu se situe sur une ligne entre 2 pôles : le hasard et la compétition. Grille d’étude « du jeu ». a) Règles du jeu. Les règles : possibilités et contraintes qui doivent être respectées par les joueurs. On appelle règle de jeu l'ensemble des principes qui régissent les conditions de déroulement d'un jeu jusqu'à sa fin. Les règles des jeux traditionnels sont transmises par oral ou par écrit. Les règles du jeu modernes sont généralement rédigées par l'auteur ou par l'éditeur du jeu. En fonction du type de jeu (jeu de société, jeu de rôle, jeu d'extérieur, etc.), la règle comprend différents aspects : l’ambiance du jeu à adopter, la liste du matériel nécessaire au jeu, cependant, le jeu a bien une règle conventionnelle, mais le matériel n'est pas soumis à une liste limitative, le but du jeu, le nombre et profile de ses joueurs, la situation initiale, un placement prédéterminé de ses joueurs et objets, condition de fin de partie, élimination des adversaires, fin d’une course… b) Le Terrain de jeu. Pour qu’il y ait l’exercice du jeu, il faut que le jeu soit associé à un terrain. Un territoire peut être propice et source d’inspiration d’un nouveau jeu, ce territoire aura alors une nouvelle fonction : le terrain de jeu, avec des limites et mobiliers en adéquation au jeu par 49 exemple le jeu « cache-cache ». Ou alors le jeu peut s’approprier un territoire, et l’adapter à ses pratiques, en le modelant à sa façon avec des frontières et limites mises en place par exemple le terrain de football. Quand on décompose le terme « terrain de jeu » : on constate que la préposition « de » qui sépare « terrain » et « jeu » met l’accent sur l’appartenance du terrain, ou autrement dit territoire, au jeu. S’il n’y a pas de terrain, il n’y a pas de jeu, et sans jeu, il n’y a pas de terrain. On peut alors définir le terrain de jeu comme étant une surface d’un territoire, aménagé en fonction de ses domaines d’activités, occupé par ses joueurs. c) Joueurs. Les joueurs sont des personnes, qui tout d’abord « jouent » à un jeu. S’il n’y a pas de jeu, il n’y a pas de joueurs, et inversement. Dans un jeu, il y a obligatoirement plusieurs joueurs, qui souvent sont en interactions, en opposition (ex. : jeu de dames), ou en clan (ex. : gendarmes et voleurs)... Le joueur s’il joue le jeu, a obligatoirement des ennemies, et peut avoir des alliés. Il trouve aussi son propre intérêt personnel à la participation au jeu : illustration avec le jeu du « loup garou ». Les joueurs sont classés dans des catégories souvent hiérarchisées, et dans l’évolution du jeu, le joueur change de catégorie. S’il atteint ses objectifs, il monte en grade, s’il perd, il descend en grade (ex. : jeu d’échec). Pour être un joueur, il faut tout d’abord entrer dans le jeu. Il existe plusieurs alternatives à ce sujet, tout dépend « des règles » du jeu par exemple : il faut faire « double six » pour commencer à jouer dans le jeu « des petits chevaux ». Le seul moyen de ne plus faire partie du jeu, est que le joueur soit mis hors-jeu. On peut aussi différencier différents types de joueurs, en s’attardant sur leur manière de jouer. Le « bon joueur » est une personne qui accepte et applique les règles du jeu de bonne foi. Le « mauvais joueur » lui joue au jeu, et adopte ses règles quand sa position est favorable. Mais lorsqu’il perd par exemple, le joueur remet en cause la validité des règles, et ne les applique plus. Le « mauvais joueur » peut-être qualifié d’opportuniste. d) Stratégies, triches, codes. La participation au jeu engendre l’action et réaction dans le jeu. Pour agir, il existe plusieurs moyens, qui peuvent être élaborés par les règles du jeu, et aussi élaborés par les joueurs du jeu. Si un joueur se sert, ou met en place des moyens d’action, et donc d’évolution dans le jeu, c’est qu’il y trouve un intérêt quel qu’en soit la nature (jeu de poker par exemple). Pour gagner en puissance dans le jeu, les joueurs peuvent s’allier et former une équipe, mais uniquement s’ils trouvent un objectif commun (jeu du loup-garou). Ainsi, à plusieurs, les joueurs sont plus forts notamment grâce au sentiment d’appartenance, qui donne davantage de confiance aux joueurs, et grâce au soutien et à l’identification de chacun à un même groupe avec les codes d’appartenance. Cependant, les membres du groupe, en plus de l’objectif commun, ont secrètement des buts. Le fait d’entrer dans un groupe est le résultat d’une stratégie préalable de chacun des joueurs du groupe. L’union de ces joueurs leur donnera davantage de prise en considération de la part des autres joueurs. Tout comme l’importance et le rôle du clan dans le jeu. Malgré que les stratégies soient souvent réfléchies et appliquées en groupe, il est possible qu’elles soient élaborées par une seule personne : un joueur solitaire. Dans certains cas, les stratégies peuvent être autorisées par les règles du jeu, tout comme contraire à ses règles. Dans ce cas on peut parler de triche. Mais perdre, gagner et tricher sont pourtant des éléments que l’on retrouve dans le jeu. Même si l’entrave aux règles n’est pas explicitement acceptée dans le jeu, la triche fait implicitement partie du « jeu » dans son sens populaire. Dans le jeu, on retrouve souvent des messages codifiés, tout comme des codes liés à la gestuelle de la corporelle, ceux-ci émanent soient d’une stratégie ou d’une forme de triche, qui a pour but de déstabiliser ses adversaires en les excluant des interactions à l’intérieur d’un groupe. 50 La raison de la mise en place de stratégies et de tricheries, est l’amélioration de la place qu’occupe une personne ou un groupe à l’intérieur du jeu auquel il joue. Les joueurs les plus téméraires sont les plus stratégiques et tricheurs. e) Le but ultime : rêver de gagner ? Chacun a ses propres rêves… Pourquoi jouer à un jeu ? Les joueurs ont des motivations différentes, certain diront que le but et tout d’abord de participer au jeu, et que gagner le jeu n’est pas le plus important. Et d’autres affirmeront qu’ils participent au jeu, uniquement dans le but de gagner le jeu. Cependant que signifie gagner ? Les règles du jeu informent les joueurs à ce sujet. Mais nous avons déjà vu qu’au sein des joueurs, il existe des catégories, des types des groupes différents de joueurs. Alors en fonction de ces diversités de joueurs, le terme « gagner » peut différer. Certes, quand un joueur entre dans le jeu, c’est pour tout d’abord participer au jeu. Mais s’il décide, d’y participer, c’est qu’il a quelque chose à gagner, sinon il ne ferait pas partit de la partie. Ce sont donc les motivations diverses de chacun des joueurs qui les poussent à prendre l’initiative de jouer à un jeu. Dans l’intérieur profond des joueurs se cachent des rêves. S’ils arrivent à les atteindre, ils auront gagné au jeu auquel ils ont décidé de jouer. Pour savoir quels sont les joueurs qui ont gagné, et ceux qui ont perdu, il suffit de connaitre les motivations de chacun qui les ont poussés à participer au jeu. Pour certains monter en grade peut signifier gagner, pour d’autres « retourner le jeu » signifie gagner. Les règles du jeu sont uniquement claires sur l’objectif final du jeu, qui est de gagner. Cependant, elles ne prennent pas en compte la valeur de « gagner », pour le jeu que chacun des joueurs joue au sein des règles du jeu. Donc la notion de « gagner » diffère en fonction des rêves de chaque joueur. Mais, une foi qu’un joueur a atteint son objectif, il peut s’en fixer un autre. Il aura donc gagné la bataille, mais pas la guerre. Mais comment gagner la guerre, si les bataillons ne s’en finissent plus ? Être satisfait savoir gagner au point de se retirer du jeu est-il réellement possible ? Même si les rêves poussent à agir, un rêve peut-il devenir réalité ? Mais au final qu’est-ce que le joueur gagne ? À quoi le joueur rêve-t-il ? Comment savoir où et comment s’arrêter ? Gagner ne serait-il pas rêver ? II « The Wire » & le jeu. Il est essentiel d’étudier la ville de Baltimore, pour comprendre « The Game ». Car c’est à l’intérieur même de la ville que tout se passe. La ville est le berceau de « The Game ». Nous allons faire une brève description de ce comté, pour mieux comprendre pourquoi Baltimore est propice à « The Game ». Baltimore : terrain de jeu. a) Description sommaire de la ville de Baltimore Pour comprendre en quoi Baltimore est le terrain de jeu de « the Game » il faut savoir que la ville est une vaste aire urbaine indépendante, c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucun autre comté, ce qui peut expliquer sa distinction socioculturelle par rapport aux autres villes des États-Unis. La ville est donc considérée comme un comté à part entière, cette limite géographique pose alors les limites de la table de jeu de « the Game » à Baltimore. Comme la ville est complètement autonome, cela lui facilite à se représenter comme étant son propre terrain, avec ses propres règles. 51 La culture de Baltimore est principalement caractérisée par une culture très populaire, pour ses 8,2 millions d’habitants. En effet cette culture est facteur de la participation importante de joueurs au jeu de « the Game », car sa culture souffre de nombreux problèmes notamment la pauvreté. Cette caractéristique influe fortement aux diverses pratiques illégales sur ses habitants. Une personne ne trouvant pas de travail et ayant des problèmes financiers est plus incitée à se tourner vers l’argent facile, même s’il est illégal. Ce sont ces pratiques qui fondent les bases du jeu de « the Game », avec le trafic d’armes, de drogues, les meurtres, délinquance, etc. Car elle est connue pour être la ville qui connait le plus d’homicides entre AfroAméricains aux États-Unis, avec d’importants problèmes budgétaires dans le domaine de l’Éducation, qui influe beaucoup sur la délinquance dès le plus jeune âge. Elle est aussi reconnue pour son importance portuaire où « the Game » est toujours présent, car il représente le lieu principal d’arrivée et de sortie des marchandises illégales. Sans cette culture populaire au sein de Baltimore, « the Game » serait probablement beaucoup moins présent dans « the Wire ». Car quand on naît dans la ville de Baltimore on vit au sein de « The Game ». Ses habitants fond donc partie du jeu de « the Game », même si certains restent des joueurs passifs, ils y contribuent à leurs manières. b) le tour de « The Wire » à Baltimore. Pour mieux comprendre le jeu de « the Game » que l’on découvre dans la série « The Wire », il serait intéressant d’arriver à se projeter directement dans le décor de la série, et plus précisément dans les 54 lieux de tournage situé dans Baltimore. De nombreuses agences de tourisme, qui ont rapidement compris que le tournage de la série au sein de comté pourrait attirer une nouvelle sorte de touristes, très acclamée par la télévision HBO, les touristes souhaitant vivre à l’intérieur de la série à travers le parcours de la ville. Pour ce faire, ces agences ont créé un parcours retraçant les plus importants lieux de tournage de la série. Ce serait un tour 54 miles de long entraînement (87 km) au-delà de 54 lieux de tournage. Cette carte ci-dessous appelée « The Wire Tour » est la carte retraçant le parcours proposé par les agences de tourisme. On peut aussi l’interpréter d’une autre manière : cette carte représente la table de jeu, le terrain de jeu de « The game », dans « the Wire » à Baltimore. On peut y voir les limites de « the Game », ainsi que les différents parcours possibles à emprunter, pour se retrouver au cœur du jeu. À travers cette carte on peut donc visualiser à quoi pourrait ressembler le plateau de jeu de « the Game ». 52 Figure 10 - The Wire Tour : Baltimore comme terrain de jeu Source : Wikitravel, 2014 c) la ville comme cadre dans « the Game ». Comme nous venons de le voir, il existe de nombreux problèmes sociaux dans la ville, qui ne font qu’augmenter, notamment le trafic de stupéfiants, les meurtres, l’éducation, la délinquance, la corruption. On peut se demander pourquoi tous ces problèmes sociaux en masse sont rassemblés à Baltimore. Nous n’allons pas y répondre, car ce thème est déjà traité par Audrey, mais on peut quand même se demander si la politique, ou encore l’aménagement et l’urbanisme de la ville n’y joueraient pas un rôle. Les personnes à problèmes ne décident pas de se rassembler à Baltimore, mais c’est la ville qui créer une atmosphère propice à ces problèmes sociaux. Ce ne sont pas les élèves qui sont fautifs du manque d’éducation, mais c’est la ville qui n’investit pas assez dans l’éducation. Tant par la construction de nouvelles infrastructures propice à une ambiance agréable de travail et tant par la qualité d’enseignement. Pourquoi y a-t-il autant de trafic de stupéfiants, comparé aux comptés voisins ? Surement d’une part à cause du manque d’emploi, et aussi à cause des infrastructures de quartiers qui sont propices aux squats, avec ses vieux immeubles délabrés par exemple. C’est la ville, à travers ses mobiliers urbains : cours au milieu d’îlots d’immeubles, de petites ruelles sombres, des squats, qui finissent par ressembler à Amsterdam. C’est la politique et l’aménagement ancien de la ville de Baltimore qui sont facteur de tous ces problèmes sociaux. Il ne faut pas remettre en cause l’individu, mais la ville. Tous ces exemples en tant que différentes perspectives, prises ensemble, elles nous montrent que Baltimore peut être assimilé en tant que terrain de jeu. Ses habitants ne décident pas par eux-mêmes de jouer au jeu de « The Game » dans. Par leur place existante dans les limites de la table du jeu, c’est-à-dire par leur position dans le terrain de jeu et plus précisément dans la zone géographique du comté de Baltimore, ils y jouent implicitement ou explicitement parce qu’ils se trouvent sur ce terrain de jeu et qu’ils n’ont pas le choix. On peut donc affirmer que la ville tant par ses caractéristiques géographiques humaines et sociales est propice au jeu de « The Game » « in the Wire ». C’est pourquoi la qualification de Baltimore en tant que terrain de jeu semble être justifiée. 53 Mais nous rencontrons un réel paradoxe quant à la place de la ville de Baltimore dans « The Game »« in the Wire », car en plus que Baltimore soit le terrain du jeu de « The Game », elle est aussi un personnage à part entière de la série et donc de « The Game ».En effet, la série the Wire, ne parle pas d’un personnage, ou d’un joueur en particulier, car il n’existe pas UN personnage principal proprement dit. En réalité ce sont tous les différents types d’acteurs de la vie à Baltimore qui nous sont présentés dans la série. On peut alors dire que la ville de Baltimore est le personnage principal de la série. Tous les thèmes explorés dans les saisons et épisodes sont axés sur la vie dans la ville de Baltimore, car la série est uniquement accès autour de Baltimore. Il parait donc aussi légitime d’affirmer que Baltimore peut aussi être considéré comme LE personnage principal de la série, en plus de son statut de terrain de jeu. Omar le grand joueur Après avoir compris la place et le rôle de la ville dans le jeu « The Game » dans la série, nous allons nous attarder sur l’étude des joueurs de « The Game ». Il serait trop fastidieux, long et complexe d’étudier le rôle de chaque joueur au sein du jeu, alors nous avons choisi d’étudier un joueur très particulier : Omar. Il serait à notre avis, l’individu le plus intéressant et significatif parmi tous les joueurs de « the Game », car selon nos observations Omar est le plus grand joueur de « The Game ». Il est même le personnage préféré de Barack Obama. Nous allons donc tenter de comprendre en quoi ce joueur se distingue tant des autres. (Potte-Bonneville, 2011) a) Portrait Figure 11 - Omar Little, le grand joueur Source : the crazy jogger, 2014 Omar est un gangster homosexuel, terrifiant et intransigeant. Il braque les dealers et en fait sa profession de foi. Omar est le joueur le plus charismatique par sa prestance, sa cicatrice au milieu du visage. Il est connu et redouté par tous les autres joueurs, et quand il débarque avec son fusil, tout en sifflotant, les joueurs de « The Game » fuient. Ils sont conscients que si Omar dédaigne se montrer, c’est qu’il est en train de mettre en application une de ses stratégies les plus improbables. Dans « The Game », Omar représente les imprévus et problèmes aux yeux des « Gamers ». Il n’est donc pas beaucoup aimé, mais il est très respecté, car Omar est le seul joueur solitaire qui ne dépend de personne, il n’appartient à aucun groupe fixe, mais il arrive toujours à ses fins. 54 b) Le Joueur solitaire Avoir le statut de joueur solitaire dans le jeu de « the Game » comporte à la fois des avantages et inconvénients. Omar est maître de son propre jeu, il n’a aucune contrainte d’échelons dans la hiérarchie que l’on trouve habituellement dans un clan de joueur. Il n’a donc aucun compte à ne rendre à personne. Au sein du monde basé sur le jeu « The Game », constitué de règles, tel un révolutionnaire, Omar fait ce qu’il veut. Grâce à cela, il tient une place dans le jeu « the Game », dont personne n’est à la hauteur. Il atteint ses propres objectifs, en agissant d’une manière qui lui est propre. C’est ainsi qu’il continue d’évoluer et qu’il réussit à garder sa place au sein du jeu. Cependant, jouer à « The Game » en solitaire comporte de nombreux risques. Étant l’un des plus redoutés, il est la cible numéro 1 des autres joueurs. Il a donc beaucoup d’ennemis, et peu de soutien. Mais ne dit-on pas que les ennemis de nos ennemis sont nos amis ? Et Omar n’ayant pas un groupe de référence définit, quand les clans se fondent la guerre, l’un d’entre eux décide toujours de collaborer temporairement avec Omar, même s’ils savent qu’un jour il pourra se retourner contre eux. Le fait qu’il soit solitaire présente aussi d’autres avantages : il peut facilement se cacher, espionner, être de partout à la fois sans qu’on le remarque. Il a de l’avance sur tous ses ennemis, il sait tout, rien ne lui échappe, on ne le voit pas, tel un fantôme. C’est ce qui lui permet de mener à bien ses stratégies. Il sait que beaucoup souhaitent sa mort, car il représente une grande menace pour « the Game », alors s’il se montre à découvert, c’est qu’il applique une de ses nombreuses stratégies, ruses ou triches. Son apparition n’est jamais anodine… c) « Jouer » pour le plus téméraire Ce jeu dangereux ne peut qu’être joué parfaitement que par Omar le grand joueur de « The Game ». Mais quels sont les enjeux de ce jeu si dangereux ? L’élaboration de toutes stratégies ou triches, de la part d’Omar quel qu’elles soient, comportent des risques. Cependant si elles sont quand même mises en application, cela signifie qu’il y a des chances qu’elles aboutissent. Un joueur n’est jamais sûr du jeu auquel il joue, il faut prendre en compte le rôle du hasard. Il est conscient que la chance peut fortement jouer en faveur de certains joueurs, mais que ces prises de risques peuvent aussi les mettre en grande difficulté, voir perdre et le mettre hors-jeu. Le stratège Omar arrive à ses fins, ses stratégies sont faites de succès. Mais parfois son jeu dangereux, lui fait beaucoup perdre. En s’attaquant à ses ennemies, en les humiliants, Omar peut aussi en subir de fortes conséquences. S’ils n’arrivent pas à se débarrasser d’Omar, ses ennemies tentent de le dissuader de continuer d’occuper sa place spéciale dans le jeu « The Game », en éliminant le peu de proches d’Omar. Omar est conscient qu’il peut mourir d’un moment à un autre, mais il sait aussi que ses frasques peuvent agacer et peuvent être vecteur vengeance sur son entourage. Le meurtre sanglant de son petit ami illustre bien les risques encourus par le grand joueur Omar. Jouer à un jeu, sans adopter ses normes, tout en voulant gagner, est très compliqué. Et cela n’est possible que si l’on n’est seul dans le jeu et dans sa vie. On ne doit pas avoir de proches, d’amis, ainsi personne ne peut vous atteindre. Soit l’on gagne tout, soit on est mis hors jeu. Mais au moins, il n’y a rien à perdre, mais tout à gagner. Conclusion L’existence omniprésente du jeu « The Game » dans la série « The Wire », nous présente le fonctionnement des interactions entre les individus qui jouent, il nous montre donc le fonctionnement social à l’intérieur d’une ville, ici Baltimore. « The Game » met aussi en 55 avant l’importance de la place de la géographie qui influe sur le bon déroulement du jeu. Avec Baltimore comme terrain de jeu, avec ses limites et frontières qui parfois, peuvent être fictives, mais restent connues par tous les joueurs, vu leur importance. La notion d’espace et de terrain dans le jeu « The Game » dans la série « The Wire » est alors essentielle. « The Game » nous montre le fonctionnement de la société Baltimorienne à travers son terrain de jeu et ses découpages de terrain, qui peuvent être illustrés par exemple par différents quartiers qui ont chacun une fonction qui leur est propre. Ceux-ci sont donc attitrés comme sous-terrain du jeu à une classe de joueurs donnée. Par exemple les dealers qui restent dans leurs quartiers d’appartenance en bas des immeubles. « The Wire » met donc l’accent sur l’importance de l’acquisition et l’appartenance d’un bout de terrain du jeu dans « The Game ». Mais paradoxalement, le jeu propose aussi le nonrespect de ces normes spatiales, en empruntant les chemins ou parcours à risques, que seuls les plus grands joueurs sont en capacité d’en tirer des avantages et profits. « The Wire » nous démontre donc que les déplacements des individus en fonction de leur classe, groupe d’appartenance, sur un espace, un terrain donné, met en place des interactions qui forment des normes sociales et géographiques et en font le jeu « The Game » dans la série « The Wire ». C’est pour toutes ces diverses raisons que nous venons de présenter, que la série qui a connu un grand succès, et qui est même la série préférée du président des États-Unis : Barak Obama, est et doit forcément être assimilée à sa géographie. Le fonctionnement avec les déplacements et interactions des Baltimoriens à l’intérieur de leur terrain : le comté uniquement formé de la ville de Baltimore. Callois, R. (2014). Approches théoriques du jeu. Retrieved from http://www2.aclyon.fr/etab/ien/ain/bourg2/IMG/pdf/Approches_theoriques_du_jeu.pdf Potte-Bonneville, M. (2011). The Wire reconstitution collective (pp. 147–168). Les prairies ordinaires. THE CRAZY JOGGER. (2014). Retrieved from http://thecrazyjogger.tumblr.com/post/2450068370/omar-little-one-of-my-favcharacters-ever wikitravel. (2014). Retrieved from http://wikitravel.org/en/Baltimore/Inner_Harbor 56 Chapitre V. Baltimore hi-story : les liens entre Histoire et fiction dans The Wire Audrey Collomb Résumé : au travers de l’histoire des Etats-Unis et de Baltimore, cet article étudie plusieurs dimensions de la série The Wire : la population afro-américaine, le port de Baltimore et le syndicalisme américain. Son objectif est de mettre en parallèle le scénario (fictif) de la série et la réalité historique dans le but de montrer leur proximité. Mots clés : série-ville, racisme, syndicalisme, histoire The Wire est une série qui a pour personnage principal la ville de Baltimore. En effet, cette dernière se situe au cœur d’une grande partie des passages de la série, que ce soit au niveau du décor (The Wire a été tournée en décors réels dans des blocks de Baltimore, dans la saison 1), au niveau des dialogues (comme dans la phrase dite par Carcetti le maire de la ville à sa femme, Jen dans la saison 5 à l’épisode 8 (51,30 minutes) : « Mais si je perds, Jen, Baltimore n’a rien du tout »), ainsi que dans le scénario (car si The Wire ne se passait pas à Baltimore, le scénario de la série aurait certainement été différent). La série est présentée de façon géographique ce qui donne à la ville de Baltimore une identité forte et universelle, car elle réussie à concentrer tous les problèmes auxquels sont confrontées les grandes métropoles américaines (taux de chômage élevé, accès à l’éducation, montée de la criminalité…) sur son territoire. Ceci fait de Baltimore la ville des villes, c’est-à-dire qu’elle arrive à être un personnage universel. De plus, par ce caractère universel, le scénario de The Wire, qui a été écrit pour la ville de Baltimore, pourrait être adapté à d’autres villes américaines ou mondiales. Comme Baltimore est le personnage principal, The Wire peut alors être définit comme une série-ville (Jean-Marie Samocki). Une série-ville est donc une série, où une localité, fait office de personnage principal, c’est-à-dire que l’action se déroule dans ce lieu et que la série tourne autour de celle-ci (des références à cette ville sont faites, le spectateur voit des endroits cette dernière,…). Mais contrairement à d’autres séries télévisées, les auteurs n’ont pas voulu dresser un portrait idéalisé de cette métropole, mais plutôt de faire un portrait au plus proche de la réalité de la ville. Fondée le 30 juillet 1729, Baltimore se situe dans l’Etat du Maryland (sur la côte Est des Etats-Unis) et possède un statut administratif particulier. En effet, elle est indépendante (c’est-à-dire qu’elle n’appartient plus au comté de Baltimore auquel elle appartenait) depuis 1851. Le comté de Baltimore est relativement peu peuplé avec 805 029 habitants. Le Nord de ce dernier est essentiellement rural avec un terrain relativement vallonné et recouvert de forêts. 57 Figure 12 : carte de l’Etat du Maryland (nationalatlas.gov) Légende :en jaune le comté de Baltimore en fuchsia la ville de Baltimore Baltimore avait 620 961 habitants en 2010 (city of Baltimore Department of planning, 2010), ce qui en fait la 21ème ville des Etats-Unis en terme de population, et cette dernière est majoritairement afro-américaine (64% de la population de Baltimore est afro-américaine), contrairement à celle du comté de Baltimore qui avait une population à 64% blanche la même année. Par ailleurs, elle possède un port important (15ème port des Etats-Unis en 2011 au niveau du trafic de bateaux) qui exporte et importe des marchandises du monde entier. La série comporte cinq saisons. Celles-ci, montrent aux spectateurs l’évolution de la ville au travers des différents thèmes qui y sont abordés tels le trafic de drogue, les docks, le monde politique, l’éducation et la presse. Ces thèmes montrent les différents aspects de cette ville mais aussi, plus largement, ceux de grandes métropoles américaines ou mondiales. Cependant, la série comporte certains non-dits, qui n’empêchent pas la compréhension de la série, mais qui par l’intermédiaire d’un niveau d’analyse supplémentaire, permettent de mieux comprendre l’histoire des personnages et de la ville. Ainsi, en quoi la connaissance de l’histoire de Baltimore et des Etats-Unis nous permet-elle de mieux comprendre certains passages de la série The Wire ? Pour dissiper ces non-dits, cet article traitera de quelques sujets abordés de manière succincte dans la série. Tout d’abord, cet article abordera l’historique de l’arrivée des populations africaines aux Etats-Unis (dans les Etats du Maryland et de Virginie), puis dans une sous partie, la question de leur ségrégation à l’intérieur du pays sera traitée. Ensuite, dans deux sous-parties, le port et le syndicalisme américain seront étudiés en s’appuyant sur des passages de la saison 2 de la série qui est consacrée à ces thèmes. En étudiant le thème de l’histoire de Baltimore, d’autres axes de recherches auraient pu être abordés comme la presse, la politique, l’éducation…. Mais le choix de l’étude de la population afro-américaine et des docks a été fait car la population afro-américaine se retrouve au cœur de toutes les saisons et aussi car la saison 2 est une saison particulière à l’intérieur de la série. En effet, les personnages de cette saison ne sont présents que dans celleci contrairement à d’autres personnages. De plus, la saison 2 fait état de l’industrie aux Etats 58 Unis, qui est aujourd’hui en déclin et ceci permet aux spectateurs de replonger dans l’histoire du pays. Afin de répondre à cette problématique, un bref historique des Etats-Unis sera d’abord fait, afin de replacer les faits dans leur contexte de base. Ensuite, afin de vérifier si les informations trouvées sur l’histoire de Baltimore et des Etats-Unis sont vraies, une transposition entre ces dernières, la situation actuelle de la ville et la série sera faite. I. Historique de l’arrivée des populations africaines et leur ségrégation aux Etats-Unis. L’Est des Etats-Unis a été le théâtre de l’arrivée des colons européens au 17ème siècle. L’Etat du Maryland, ainsi que celui de Virginie (qui sont des Etats limitrophes) sont des régions qui ont accueilli les premiers colons qui arrivaient d’Europe pour « coloniser » le Nouveau Monde. Ces terres étaient très prospères mais les colons manquaient de main d’œuvre pour pouvoir produire l’ensemble des denrées alimentaires nécessaires à leur survie. C’est pourquoi, les Européens allèrent chercher de la main d’œuvre en Afrique, au début du 17ème siècle, afin de répondre à cette demande. C’est ainsi que démarra la « traite des noirs » en transformant cette main d’œuvre en esclaves au service des Blancs. De plus, les épreuves qu’ils subirent durant le voyage, les affaiblissaient à la fois physiquement et moralement, ce qui permettaient aux colons de les réduire en esclavage plus facilement. Jusqu’en 1800, « 10 à 15 millions d’esclaves ont été transportés aux Amériques, sans doute le tiers des individus capturés en Afrique » (ZINN, 2006). Pourtant, au 17ème siècle, l’esclavage n’est pas encore réglementé ou légalisé. Cependant, on remarque des différences de traitement entre les serviteurs blancs et les serviteurs noirs. Ensuite, dans certains Etats comme le Maryland, les châtiments à donner aux esclaves noirs étaient même inscrits dans la loi dès les années 1660. Ainsi, dans cet Etat, une loi de 1723 proposer « de couper les oreilles aux esclaves qui frapperaient les blancs, et pour des crimes plus sérieux de recourir à la pendaison, à l’écartèlement et à l’exposition des cadavres en public » (ZINN, 2006). De plus, dans cet Etat, les esclaves représentaient environ un tiers de la population en 1750. L’esclavage fut aboli par le 13ème amendement de la Constitution des Etats-Unis, le 18 décembre 1865. Cette abolition fait suite à la guerre de Sécession (1861-1865) qui avait pour cause principale l’esclavagisme qui régnait dans les plantations de coton du Sud du pays. Malgré cette abolition, les afroaméricains ne furent pas considérés par les Américains comme citoyens à part entière des Etats-Unis et un racisme anti-noir se développa. La forte présence d’une population afro-américaine dans la ville de Baltimore est due à cet esclavage, mais elle vient aussi des populations venues du Sud des Etats-Unis pour travailler sur les chantiers navals et les usines locales, car les conditions de vie étaient moins bonnes dans le Sud que dans le Nord du pays. La part de la population afro-américaine dans la ville est passée de 23,8% en 1950 à plus de 46% en 1970 (Sérisier, 2012), du fait d'un besoin de main d'œuvre. Même si une majorité de la population est afro-américaine, la ville n’échappe pas au racisme. En outre, il est présent de manière historique aux Etats-Unis et c’est un des pays où le racisme est le plus présent. En effet, ce caractère raciste est visible tout au long de la série que ce soit au niveau de l’attitude des policiers ou au niveau de celle des 59 habitants de la ville (comme on peut le voir dans la conversation entre Carcetti lors de sa campagne électorale dans la saison 4 épisode 6 et un habitant de la ville qui parle de « négros »). On parle ainsi de racisme ordinaire. Figure 13 : racisme ordinaire (cf. séquence 1 de la capsule vidéo) Durant des siècles les populations afro-américaines ont été victimes de la ségrégation, de lynchage et d’humiliation de la part de la population blanche et ces faits ne font pas seulement partis de la mémoire des afro-américains, ils font encore partis de leur vécu. Ensuite, par sa taille, Baltimore est la 20ème ville des Etats-Unis. Elle se dresse à la pointe de l’arc de la Rust Belt (qui est l’ensemble des agglomérations qui constituaient le fleuron des industries (textiles, automobiles,…) du pays au 20ème siècle). Mais la crise des années 1980-1990 a entrainé ces agglomérations dans une lente agonie, telles les villes de Baltimore, Détroit ou Cleveland. Cette lente agonie c’est traduite par la perte d’une partie de leur population. Baltimore est passée de 733 000 habitants en 1993 à moins de 621 000 en 2010 (Sérisier, 2012). Cette agonie de Baltimore, se manifeste aussi par un taux de chômage extrêmement important, s’élevant à 50% de chômeurs (Drucker, 2012). Ce taux de chômage élevé contribue au développement d’une économie informelle, qui peut se traduire par le développement du trafic de drogues. Ainsi, la série The Wire révèle aux spectateurs cet aspect de la ville au travers des cinq saisons, en lui montrant le trafic de drogues dans la ville (du simple dealer de drogues, au chef de gang, en passant par le blanchiment de cet argent « sale »), mais aussi les junkies qui consomment cette drogue (surtout de l’héroïne dans la série). Cette économie informelle devient donc un moyen de subsistance pour les populations victimes de ce chômage et leur permet de vivre dans un confort qu’ils ne pourraient avoir sans celle-ci. Comme le spectateur peut le remarquer avec la mère de Namond BRICE (qui est la femme de Roland BRICE dit ''Wee-Bey'', un des trafiquants de drogue de la série) qui vit dans une maison plutôt cossue, disposant de tout le confort. De plus, le revenu médian de Baltimore est 30% plus bas que dans le reste des Etats-Unis (Breës, 2012). Ce chômage 60 touche principalement les populations afro-américaines, qui sont les moins qualifiées et qui travaillaient dans les industries qui ont été touchées par la crise. Le développement de ces industries a été du à la présence d’un port important qui permettait d’exporter les marchandises fabriquées, principalement vers l’Europe. Au travers de cette première partie, la connaissance de l’histoire de Baltimore a permis de voir pourquoi la population afro-américaine est si présente dans la ville, ainsi que le racisme qui est présent aux Etats-Unis et qui conduit à la ségrégation des afro-américains. Cette approche historique peut aussi être appliquée à d’autres sujets abordés dans la série comme ceux du port et du syndicalisme. De ce fait, dans une seconde partie, le port et le syndicalisme américain seront abordés à la fois de manière historique pour remettre dans le contexte de l’époque, mais aussi au travers de ce qui se passe actuellement à Baltimore. II. Le port et le syndicalisme américain. Cette partie sera découpée en deux sous-parties. La première traitera du port de Baltimore en commençant par son histoire et ensuite ce qu’il est devenu aujourd’hui. La deuxième sous-partie sera consacrée au syndicalisme américain et plus particulièrement aux syndicats de dockers de la même manière que la première sous-partie. Le port. Durant la période du 19ème siècle, le port de Baltimore était le deuxième point d'entrée pour les migrants européens (Italiens, Irlandais, Allemands, Polonais…) sur le sol américain. Ainsi, la série montre aux spectateurs un caractère réaliste puisqu’elle nous expose différents personnages avec des origines différentes comme par exemple, Mc Nulthy (qui est un des policiers et qui est d’origine irlandaise), le Grec (qui est le chef d’un groupe de mafieux dont personne ne sait son vrai nom et sa vraie nationalité), le personnage de Spiros (qui est le bras droit du Grec et qui change de nom et de nationalité au cours de la série et dont le spectateur ne sait pas non plus son vrai nom et sa vraie nationalité), ou encore Frank SOBOTKA (qui est le chef syndicaliste des dockers et qui est d’origine polonaise). Le port de Baltimore a été renommé Helen Delich Bentley Port of Baltimore en 2006, lors de son 300ème anniversaire. Il porte désormais le nom d’une ancienne députée républicaine du Maryland, Helen Delich Bentley qui a exercé de 1985 à 1995. Le port de la ville est surtout un port axé sur le transport de passagers et de véhicules, mais aussi axé sur l’industrie des chantiers navals et des produits manufacturés. Les bateaux qui transitent par ce dernier sont essentiellement des rouliers, c’est-à-dire des navires utilisés pour transporter des véhicules à l’aide de plusieurs rampes d’accès. On les distingue ainsi, des autres navires de charge qui ont leurs marchandises chargées à l’aide de grues. 61 Figure 14 - Le port de Baltimore avec ses containers Dans la saison 2 de la série qui a pour thème central le port de Baltimore, on peut voir au travers de différents passages le déclin de ce port industriel. En effet, dans de nombreux passages de la saison (comme dans l’épisode 3 à la 40ème minute, dans l’épisode 4 à la 10ème minute…), on constate que les dockers se plaignent de ne pas avoir assez de travail car il n’y a plus assez de bateaux qui transitent par le port. Figure 15 : crise de l'emploi (cf. séquence 2 de la capsule vidéo) 62 Dialogues entre Franck SOBOTKA et son neveu Nicky SOBOTKA (qui travaille au chargement et déchargement des marchandises sur le port), épisode 4 de la minute 13,25 à la minute 13,40 : F.S : « Alors Nicky ? Tu bosses aujourd’hui ? N.S : J’assemble dans l’équipe de Big Roy F.S : Bravo petit. C’est la famille qui doit être contente. N.S : C’est le premier jour en deux semaines, tu parles ». Cette baisse de la quantité de travail s’accompagne d’une diminution du nombre de dockers. Cette dernière est due à la containerisation et à l’informatisation des chargements et déchargements, qui induisent une diminution du nombre de personnes devant travailler sur le port. La containerisation est née dans les années 1920 aux Etats-Unis, mais l’utilisation commerciale qu’on lui connait aujourd’hui, ne date que de la fin des années 1950. De nos jours, ce mode de transport représente 80% des échanges internationaux. Cette informatisation est montrée plusieurs fois dans la saison 2, comme le spectateur peut le voir avec les mouvements des containers sur les écrans informatiques, dans l’épisode 5 de la 46,20 min à la 47 min (cf. la séquence 2 de la capsule vidéo). 63 Mais la diminution de la quantité de travail et du nombre de dockers est aussi due à la position géographique particulière de la ville qui ne se situe pas directement sur la façade atlantique, mais dans la baie de Chesapeake. Ensuite, comme le dit Frank SOBOTKA dans la saison 2 épisode 1 à la 11ème min (« Si le canal est dragué, ça veut dire qu’on bosse tous », « le canal c’est la solution »), le canal qui permet aux bateaux d’accéder au port de Baltimore n’est pas assez profond pour permettre aux gros bateaux de venir récupérer et déposer des marchandises dans le port, ce qui induit une baisse du trafic de marchandises. Par ailleurs, depuis les années 1980, la taille des navires transportant des containers à plus que doubler. Comme le port de Baltimore ne s’est pas adapté, ceci a engendré une diminution du trafic de navires de marchandises, du fait de l’incapacité des bateaux à accéder au port. Au travers de ce port et de cette saison, le spectateur est plongé dans l’univers des syndicats américains et plus spécialement des syndicats de dockers. Le syndicalisme américain. Durant le 19ème siècle de nombreuses grèves secouèrent les Etats-Unis. Elles avaient pour motifs principaux la réduction des heures de travail et l’amélioration des conditions de travail. Les syndicats de travailleurs sont nés dans les années 1860 aux Etats-Unis. En 1864, il y avait 200 000 travailleurs syndiqués (ZINN, 2006) qui constituaient des fédérations nationales dans certains secteurs et publiaient des journaux. La National Labor Union est la première fédération nationale de syndicats aux Etats-Unis. Cette fédération n’intégrait pas les afro-américains, c’est pourquoi, ces derniers ont formé leur propre syndicat. Par la suite, la National Labor Union va se résoudre à tenir compte des femmes et des afro-américains en affirmant lors de sa convention de 1869 qu’il « n’existait pas de distinction de couleur ou de sexe dans le domaine des droits du travail ». Malgré cette affirmation, les afro-américains ne furent que très rarement intégrés dans des syndicats et s’ils voulaient faire parti de l’un d’entre eux, ils devaient le créer. La diabolisation des syndicats est une vieille tradition aux Etats-Unis, même si ces derniers possèdent un faible taux de syndiqués et si leur poids historique est faible. En effet, le syndicalisme américain a été marqué par trois phases successives qui sont, la répression, l’encouragement et la surveillance. Avant les années 1930, les syndicats étaient réprimés par 64 la justice et les patrons usaient de stratagèmes pour empêcher leurs employés de se syndiquer. Depuis les années 1950, le nombre de salariés syndiqués n’a cessé de décroitre dans le pays. Dans les années 1980, le taux de syndicalisation était de 20% aux Etats-Unis, il n’est plus que de 11,4% en 2010 contre 7,8% en France, selon le rapport de l’OCDE. Cependant, malgré cette baisse du taux de syndicalisation, « les syndicats bénéficient encore d’un fort soutien dans le pays. Les attaques qu’ils subissent depuis 2010 réveillent même plutôt leurs sympathisants» (selon Robert Bruno, professeur à l’université de l’Illinois, spécialiste des syndicats). Dans la série, le syndicat des dockers de Baltimore est l’International Brotherhood of Stevedores, a time tested union (Corporation d’arrimeurs, un syndicat à l’épreuve du temps). Mais ce syndicat n’existe que dans la série. Cependant, au niveau des dockers de Baltimore, il y a un syndicat qui partage leur histoire. En effet, l’ILA (International Longshoremen’s Association) a été créée en 1892 à Chicago. Ce syndicat représente les débardeurs des EtatsUnis. Contrairement à d’autres ports du pays (comme New York ou Boston), les débardeurs de Baltimore étaient en majorité des immigrés polonais. Cette information peut faire écho aux origines polonaises de la famille SOBOTKA dans la série The Wire. Dans les années 1930, environ 80% des débardeurs du port de Baltimore étaient polonais ou d’origine polonaise. Durant ces années, le port jouissait d’une réputation internationale en matière de manutention rapide. Le port fonctionnait sous un système de « gang » (selon Helen Delich Bentley) qui était presque affranchi de corruption, de grèves sauvages et d’arrêts de travail constants contrairement aux autres ports de la côte Est, ce qui en faisait un exemple. Pour mettre en place ce système, les polonais eurent recours aux hommes les plus qualifiés. Ces hommes travaillaient tous pour la même société ce qui donnait priorité au groupe. Quand, ils ne travaillaient pas pour leur société, les membres du « gang », travaillaient pour d’autres groupes ce qui rendaient le travail plus efficace. Dans cet environnement du front de mer, les membres du gang fonctionnaient telle une unité et chacun d’entre eux savaient où se trouvaient les autres à n’importe quel moment. Ainsi, dans la série, le spectateur peut retrouver cet esprit d’unité. En effet, chacun des dockers fait du trafic de marchandises en les faisant disparaître des écrans grâce aux télécommandes d’enregistrement des containers. De plus, quand les policiers arrivaient dans le port, les dockers se prévenaient entre eux par des sifflements (cf. les premières secondes de la séquence 2 de la capsule vidéo). Dans la saison 2 (avec The Grainary), ainsi que dans la saison 5 (avec New Westport), par l’intermédiaire de la construction de nouveaux lotissements sur le port, le spectateur voit la réhabilitation de ce dernier. Cependant, après des recherches nous avons découverts que ces deux quartiers n’existaient que dans la série. Cependant, dans la ville de Baltimore, des quartiers du port ont été réhabilités depuis plusieurs années, tels les quartiers de Harborplace sous le mandat du maire William Donald Schaefer ou encore le Inner Harbor East sous les mandats des maires Kurt Lidell Schmoke et Martin Joseph O’Malley. Ceci donne un nouveau souffle à la ville, car par sa faible profondeur le port ne peut accueillir de grands navires, ce qui induit une perte économique pour la ville. C’est pourquoi, la ville se tourne désormais vers la mise en valeur de son patrimoine maritime en se tournant vers le développement touristique. En effet, ces réhabilitations n’ont pas servi qu’à construire des habitations, elles 65 ont permis la construction du National Aquarium (qui est un aquarium public situé dans le quartier de l’Inner Harbor) ou encore du Baltimore Convention Center (qui est un centre d’exposition et de congrès). III. Conclusion Ainsi, ces différents sujets abordés dans la série et traités selon l’histoire de Baltimore et des Etats-Unis, permettent aux spectateurs d’avoir un niveau d’analyse supplémentaire. De ce fait, ils peuvent comprendre les différents choix qu’a pu faire David SIMON (le créateur de la série) pour mettre en scène sa série et ses personnages. En effet, les personnages sont afroaméricains car ils font référence à la situation actuelle de la ville, ce qui est expliquée par le passé industriel de celle-ci et par le fait que l’Etat du Maryland ait accueilli les premiers colons. Au travers de cette population afro-américaine, les spectateurs voient le racisme ordinaire qui sévit aux Etats-Unis. Ensuite, par le taux de chômage élevé, les spectateurs comprennent désormais pourquoi le trafic de drogues est le thème central de la série. Par ailleurs, au niveau des docks, la connaissance de l’histoire de Baltimore et des Etats-Unis permet en effet de mieux comprendre la saison, car de nombreux passages sont sous non-dits. En effet, que ce soit au niveau de l’explication de la nationalité des différents personnages de la saison, du caractère particulier du syndicat (entre légalité et illégalité), ou encore au niveau du déclin industriel du port et de la ville de Baltimore, la connaissance de cette histoire permet donc de voir le côté réaliste de la série de manière encore plus frappante. Ce caractère réaliste se manifeste aussi par le choix qu’a fait David SIMON en prenant Baltimore comme ville personnage. En effet, comme le montre cet article, le moindre détail de la série est précis et fait référence à une réalité historique que ce soit au niveau de la métropole ou au niveau du pays. L’analyse de la série sous l’angle de l’histoire des Etats-Unis et de la ville pourrait donc se faire pour les autres thèmes de la série (la politique, la presse, l’éducation, la police aux Etats-Unis…) qui n’ont pas été abordés dans cet article et ainsi de révéler encore plus de sousentendus, ce qui permettrait de regarder la série avec toutes les cartes en main pour comprendre de manière approfondie, l’intégralité de The Wire. bilbiographie Ahl, N. C. (n.d.). La série télévisée, un genre urbain. Boquet, Y. (2011). Territoire en mouvement Baltimore dans la compétition interportuaire aux États-Unis : entre déclin et stratégie de niche. Territoire En Mouvement, 10, 21. Retrieved from http://tem.revues.org/1115 Breës, G. (2012). De Baltimore à la Nouvelle-Orléans. Bruxelles Capitale. Retrieved from http://www.bruxelles-capitale.org/de-baltimore-a-la-nouvelle-orleans city of Baltimore Department of planning. (2010). 2010 Census Baltimore : 2000 to 2010 Changes. Baltimore. Drucker, M. (2012). Baltimore: les damnés de la drogue. L’Express. Retrieved from http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/baltimore-les-damnes-de-ladrogue_1181495.html 66 Harris, P. (2011). Les syndicats boucs émissaires de la crise. The Guardian. Retrieved from http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/13/les-syndicats-boucs-emissairesde-la-crise Hedland, P., Kelang, P., Bay, R., & Tx, C. C. (2012). WORLD PORT RANKING 2011 (p. 1). Repères. Etats-Unis. Syndicats. (2011). Libération. Retrieved from http://www.liberation.fr/economie/2011/10/31/reperes-etats-unis-syndicats_771442 Sérisier, P. (2012). The Wire ou les frontières invisibles de Baltimore. L’Express. Retrieved from http://www.lexpress.fr/culture/tele/the-wire-ou-les-frontieres-invisibles-debaltimore_1162048.html#cUbFhTJWU2V1D989.99 ZINN, H. (2006). Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours (p. 811). DL 2006. 67 Chapitre VI. Ce que The Wire peut nous apprendre sur la société de surveillance Miguel Karam Résumé : En partant des différents génériques et épisodes de The Wire en passant par le pouvoir disciplinaire de Foucault et le panoptique de Bentham, ce chapitre traitera de la vidéosurveillance et de la mise sur écoute vues dans la série tout en essayant de comprendre si elles réussissent à former des êtres humains disciplinés. Mots-clefs : Surveillance, écoute, Foucault, panoptique, discipline, technologie Probablement la fiction américaine la plus foucaldienne qui existe, celle qui révèle le plus sur les technologies et les techniques de discipline et de punition contemporaines… et pour l’occasion la série préférée de Barack Obama ! Diffusée de 2002 à 2008, The Wire plonge au fil de cinq saisons dans le monde passionnant de la drogue dans la ville de Baltimore au travers des yeux de différents acteurs institutionnels (la presse, la police, etc.) mais aussi des habitants des quartiers. Vingtième ville des États-Unis par sa taille et cité portuaire de la côte est, Baltimore est un ancien centre industriel dévasté par la crise des années 1980-1990. La série est quant à elle filmée durant les années 2000, après les attentats du 11 septembre… et avant la révolution des réseaux sociaux. Alors que le gouvernement américain est en pleine guerre contre le terrorisme, les policiers de Baltimore font tout leur possible pour gagner la guerre contre la drogue. Ils mettent en place, malgré le manque de financement dont ils souffrent, un système de vidéosurveillance et de mise sur écoute dans l’espoir de trouver plus de suspects et résoudre des enquêtes. « The Wire » veut littéralement dire « le fil » en anglais. Du premier épisode jusqu’au dernier, l’histoire tisse une toile dans laquelle nous retrouvons les outils de vidéosurveillance, les individus et les institutions. Ces derniers sont tous reliés par des fils qui nous permettent de nous faufiler derrière les portes fermées des institutions de la ville de Baltimore pour essayer de comprendre comment elles manipulent les différents personnages dans le but final de les discipliner. La série ne se focalise pas sur une institution particulière mais sur tout un tissu institutionnel maintenu lui aussi par des fils. D’ailleurs, The Wire démontre clairement comment le pouvoir disciplinaire de nos jours se fait avec une prolifération sans précédent des techniques panoptiques, pénétrant dans les réseaux, avec ou sans fil(s), via lesquels les individus communiquent. Les institutions de Baltimore prouvent que les théories de Foucault sur le pouvoir et la discipline restent d’actualité. En même temps, la série montre clairement comment les formes et les fonctions du pouvoir ont évolué depuis la révolution disciplinaire du XIXème siècle. Le système 68 correctionnel cherche toujours à former des individus dociles puis les contrôler. Toutefois, Baltimore est loin de Jeremy Bentham et son panoptique6. Le chapitre suivant portera sur le thème de la surveillance dans The Wire. Nous nous sommes appuyés sur une propre analyse personnelle en plus d’articles universitaires et journalistiques dans le domaine de l’audiovisuel. En partant des différents génériques et épisodes de la série, notre étude nous conduira au contexte de la surveillance dans la série de David Simon. I. En quoi le titre et le générique sont révélateurs des rapports sociaux de surveillance mis en visibilité dans The Wire ? Le générique de The Wire, comme la série, est loin d’être ordinaire. Une séquence de crédits de 90 secondes qui change avec chaque saison pour montrer son thème central : le trafic de drogues pour la saison 1, l’activité portuaire pour la saison 2, la politique et l’administration pour la saison 3, l’école et les élections pour la saison 4 et la presse pour la saison 5. Le contenu change mais pas la chanson-thème. En fait, c’est la même chanson de Tom Waits mais interprétée par un artiste différent d’un genre différent : des Blind Boys of Alabama au légendaire Steve Earle. Et si pour la plupart des séries télévisées, le générique n’est qu’un enchaînement d’images avec une musique entraînante dans le fond, pas forcément en relation avec le contenu du programme, The Wire fait exception. Les images sont prises hors de leur contexte et placées dans un ordre qui n’a de sens que si l’on regarde la série de près. Même les protagonistes sont absents du générique, contrairement aux séries « classiques », comme il n’y a pas de héros principal mais plusieurs qui font avancer l’histoire. (Sérisier, 2011) Le son et les images créent des mini-courts métrages qui portraient les victimes et agresseurs de chaque saison, les stratégies juridiques et politiques, les projets criminels, les dispositifs de surveillance et des instruments mortels. Tout sur un fond de paroles quasi-biblique sur la délivrance religieuse et la difficulté de résister à la tentation et au péché : When you walk with Jesus He’s gonna save your soul You got to keep the devil You gotta keep him Down in the hole […] Hold on to Jesus’ hand We’ll all be safe from Satan when the thunder starts to roll (Waits, 2014) 6 Bâtiment [prison, maison de correction] qui est aménagé de telle sorte que d'un point de l’édifice on puisse en voir tout l’intérieur. (Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) 69 Le générique de la première saison met en scène la police ainsi que des images de crime qui représentent parfaitement les rues de Baltimore. Manquant de suspense, de glamour ou même d’actions, il ne fait qu’annoncer l’atmosphère de la série : patiente, lente, longue et persistante… avec autant de temps que de respect consacrés à la police qu’aux bandes criminelles. Ces dernières sont d’ailleurs montrées comme des professionnels formés grâce aux puissants Avon Barksdale et Stringer Bell. Les deux parties sont dépendantes quoi qu’il en soit, malgré leurs rapports complexes. Depuis le début, la séquence de crédits prépare le terrain pour des combats de coqs des deux côtés au milieu d’équipements de surveillance archaïques. (Dignan, 2006) Heureusement que ces outils entrent dans le 21ème siècle plus la série progresse. Tout au long du générique des instruments de surveillance de la police apparaissent. Nous apercevons autant de machines que d’hommes : téléphones portables, cabines à pièces, ordinateurs, numéros s’affichant sur un écran, statistiques, appareils photos, boutons, fils, câbles et autres outils d’enquêtes et de mise sur écoute. Sur écoute, comme le nom de la série en version française. La capture la plus mémorable – qu’on retrouve dans le générique des cinq saisons – reste la scène culte où Bodie lance un rocher sur une caméra de sécurité mise en place par le Housing Department pour surveiller la cour. Ce n’est qu’une preuve de l’audace des trafiquants de drogue et de la limite des moyens dont disposent les autorités de Baltimore, mais aussi un rappel que chaque monde est conscient des tactiques de l’autre. Figure 16. Scène dans laquelle Bodie lance un rocher à une caméra de sécurité Mais cette mécanique est-elle efficace ? Des éléments utiles pour résoudre les enquêtes sont-ils recueillis ? L’action se déroule en quelle année ? Plusieurs questions que le 70 téléspectateur peut se poser au bout d’une minute trente. En quelque sorte, le générique prouve qu’il est impossible de gagner la guerre contre la drogue avec de simples instruments de vidéosurveillance mais que ces derniers peuvent la limiter. Notons qu’à la fin de chaque générique, une épigraphe apparaît, souvent un bout de phrase ou une citation dite par l’un des personnages durant l’épisode. Ceci se répète les cinq saisons. La séquence d’ouverture de la deuxième saison se distingue par l’introduction du sexe : du regard aguicheur d’une jolie blonde au vernis rouge cerise appliqué aux ongles d’une femme; de la main d’un homme déboutonnant la veste d’une femme de manière séduisante aux visages des prostituées européennes regardant fixement leurs passeports confisqués. On parle souvent de sexe dans The Wire, des scènes plutôt explicites y sont même montrées. Figure 17. Extraits du générique de la saison 2 Mais si nous regardons un peu plus loin que les images sexuelles de la séquence nous découvrirons que d’autres thèmes de la saison deux sont fréquents : les problèmes personnels et familiaux, la trahison, l’échec, la corruption, l’alcoolisme : mort de Frank Sobotka, la femme de D’Angelo Barksdale qui le trompe avec Stringer Bell qui va ordonner la mort du jeune homme en prison, McNulty esclave de son addiction et incapable de gérer sa vie que lorsqu’il met la bouteille de côté, entre autres. Des caméras de vidéosurveillance sont montrées, des points de vue provenant de ces caméras aussi, des empruntes, des numéros sur des écrans… et pareil pour le reste des saisons. Un thème récurrent, comme le titre de la série nous laisse deviner. Dans chaque épisode, nous retrouvons constamment des références aux équipements d’observations et les personnages passent beaucoup de temps à déchiffrer les informations obtenues grâce aux écoutes téléphoniques. Quelques exemples dans le premier épisode de la troisième saison : « J’ai vu […] s’approvisionner en came », « Il n’a pas approché un téléphone », « Un seul appel sur le portable », « Leurs conversations ne nous ont permis […] », « […] les mettre sur écoute », « J’ai bien observé vers Ashland hier », « On cache un micro au bon endroit au bon moment », « Tiens, écoute ça », « Et après, ça voulait dire 71 quoi ? » et plein d’autres références en un seul épisode. Dans cette saison, la communauté (au sens américain du terme) est au centre : Tommy Carcetti veut faire de Baltimore un meilleur endroit pour vivre, Hamsterdam voit le jour avec des policiers qui servent plus d’arbitres régulant la vente de drogue qu’autre chose, un religieux au service de la population, etc. Le générique montre la destruction des tours de logement qui a eu lieu au début de la troisième saison à travers des images de plans, chantiers de construction et cérémonies d’ouverture. Beaucoup d’argent circule entre les mains aussi : l’immobilier est aussi lucratif que le trafic de drogue, surtout hors la loi, non ? D’autant plus que nos flics7 vont après des cibles plus difficiles qu’Avon Barksdale et Stringer Bell... La saison trois étant celle de la politique, qui dit politique dit chiffres. Nous en apercevons à plusieurs reprises dans la séquence d’ouverture comme la silhouette de Valcheck devant une présentation PowerPoint avec des graphes sur le taux de criminalité par exemple. Figure 18. Extraits du générique de la saison 3 Saison quatre. Des jeunes voix (Ivan Ashford, Markel Steele, Cameron Brown, Tariq Al-Sabir et Avery Bargasse) qui chantent « Way Down in the Hole » aux images d’enfants debout devant un camion de crème glacée ou jouant aux dés, cette saison se concentre sur les enfants des rues qui risquent la mort ou la prison à l’Ouest de Baltimore. Nous voyons de jeunes enfants, qui n’ont même pas 10 ans, imiter les signaux de gangs entre eux, jouer avec une roue de voiture, d’autres enfants qui regardent passer un car scolaire, un miroir convexe utilisé pour surveiller les élèves dans les couloirs et des graffiti sur les murs de la ville devant lesquels des enfants passent. 7 Nous préférons employer le mot « flic » pour être fidèles parfaitement à la série. 72 Figure 19. Extraits du générique de la saison 4 La presse domine la saison cinq : caméras de journalistes, impressions de nouveaux numéros de quotidiens, titres et Unes de journaux aux arrêts de bus, images des journaux télévisés, articles de journaux lus dans la rue, les bureaux, partout, un journaliste prenant notes, un autre filant des notes. Toujours les mêmes images de câbles et de fils, d’instruments d’écoutes et de surveillance et la scène mythique avec Bodie. Il était nécessaire pour nous de s’étaler sur les génériques de toutes les saisons et ce qu’elles montrent avant de plonger dans le monde de la vidéosurveillance de la série ellemême. 73 II. Instrumentalisation de la technologie : comment est déployée la technologie de surveillance dans The Wire ? Figure 20. Affiche de la première saison de The Wire On note sur cette figure le slogan « Listen carefully »(Écoutez attentivement), ce qui fait penser aux écoutes téléphoniques En cette ère hyper connectée, il est courant de dire que nous sommes suivis de partout, dans la vie réelle comme dans la vie virtuelle. Tout clic est enregistré et dans un nombre croissant d’espaces publics nous ne sommes plus surpris par une caméra nous scrutant. Si cela réconforte certains, d’autres s’inquiètent d’une atteinte à la vie privée. La série de David Simon traite, entre autres, de l’utilisation de technologies de vidéosurveillance et d’écoute téléphonique par la police – d’où son titre, « Sur écoute » en français. Au fil des épisodes, une bande de policiers enquête sur les activités illicites des délinquants de la ville de Baltimore grâce à de minutieuses écoutes. Une information qui sort de la bouche de D’Angelo Barksdale au téléphone par exemple parcoure tout un chemin. Elle passe par la WiFi via des fils et des câbles avant que des ondes physiques ne se forment sur l’écran des ordinateurs de la police, créant ainsi des archives sauvegardées ou pas grâce aux boutons « oui » ou « non ». Toutes ces informations retenues seront par la suite analysées, passées au juge, etc. Nous plongeons dans le quotidien de flics, trafiquants de drogue, fonctionnaires, etc. qui utilisent chacun de son côté des appareils d’enregistrement. Ces derniers sont souvent représentés comme des outils inadaptés qui révèlent la corruption d’une bureaucratie souffrant déjà d’un manque de moyens : appareils photos datés, ordinateurs en mauvais état, obsession de faire du chiffre… L’une des raisons probables pour lesquelles les technologies de surveillance sont vouées à l’échec dans la série est qu’elles sont considérées avant tout comme appartenant au sommet de la hiérarchie. Les administrations publiques, les entreprises, les hiérarchies au sein 74 de la police comme des gangs et la politique politicienne décident, seules, de qui a accès aux équipements et aux informations qu’ils fournissent. Et comme les autorités et les institutions souffrent de moyens de financement voire parfois de corruption, la technologie de surveillance – malgré sa puissance – est condamnée à l’être aussi… Dans la première saison, les policiers sont particulièrement investis sur le terrain avant la mise en place du système d’écoute. Ils observent dans leur camionnette ou des toits, ils sont aidés par Bubbles, leur indic qui leur file des informations ou qui leur facilite de reconnaître les suspects en leur mettant une casquette rouge sur la tête, etc. Leurs ordinateurs sont énormes et fonctionnent mal, avec des logiciels ressemblant plus au vieux Windows 97 qu’à ce que l’on puisse imaginer une police avoir. (Howell, 2010) Tout cela les bloque souvent dans leur enquête sur le réseau de drogue d’Avon Barksdale. De plus que pour avoir un nouvel agent dans leurs rangs ou pour l’installation d’un nouveau système technologique, ils doivent passer par plusieurs étapes auprès de leurs supérieurs sans être sûr d’obtenir ce qu’il y a de mieux. Prez, par exemple, est loin d’être qualifié pour être policier, aveuglant un adolescent brutalement avec son pistolet alors qu’il était ivre lors d’une tournée dans les Franklin Terrace Towers même pas autorisée par son lieutenant. Au milieu de tout cela, (un quasi) Big Brother est bel et bien vivant à Baltimore. Plusieurs scènes dans la série ont été filmées des yeux de caméras de surveillance ce qui fortifie le sentiment troublant que nous sommes constamment surveillés. Cet effet transmet aussi, en quelque sorte, l’oppression engendrée par le panoptique. Cependant, malgré la présence de tous ces outils de surveillance, la police n’est point omniprésente parmi les criminels et le panoptique clairement pas en marche. En effet, combien la police a-t-elle eu du mal à obtenir des informations sur Barksdale lors de la première saison ? Est-il normal qu’un délinquant puisse briser une caméra de surveillance en plein jour ?! N’a-t-il pas peur des conséquences que son acte illégal puisse engendrer auprès des autorités ? Serait-il au courant que cet appareil accroché au mur n’est pas réellement lié au pouvoir de la police ? Cette scène n’est qu’une preuve de la facilité avec laquelle le panoptisme est subverti par la délinquance à Baltimore. (McMillan, 2008) Nous assistons à son acte du point de vue de la caméra, impuissante devant ce rocher. Cet appareil n’a du pouvoir que lorsqu’on accepte sa présence ou qu’on l’ignore. Il est partout, des établissements publics aux bureaux en passant par les écoles, les lieux publics et les casinos. Par contre, il ne garantira jamais une discipline de la part des individus peu importe son efficacité et son développement technique. Les gangs de Baltimore, par exemple, sont conscients que le panoptique est en marche dans leur ville et qu’ils doivent être surveillés à tout moment. Ce n’est pas pour rien que Wee-Bey rappelle à D’Angelo dans la voiture de ne pas parler d’« affaires » dans la voiture. Ils sont constamment contraints d’éviter de discuter de leur activité criminelle même dans leurs propres véhicules de peur d’être écoutés. Ils vont même jusqu’à s’y adapter avec un langage secret, des codes, des téléphones jetables, des touches changées dans les cabines téléphoniques publiques, etc. Dans un contexte différent, au milieu de la deuxième saison, frustrés par les limites de la surveillance sur les toits, Herc et Carver achètent un micro espion, « un truc qui résisterait aux marasmes du crime urbain moderne ». (Wright, 2003) Ils le cachent à l’intérieur d’une vieille balle de tennis abandonnée sur le bord de la route. Dispositif efficace qui pousse Herc, 75 tout satisfait, à dire : « La technologie, c’est quand même bandant ». Cependant, les choses ne vont pas tarder à tourner mal : en pleine conversation avec Nick Sobotka, le trafiquant de drogue Frog trouve la balle de tennis, commence à jouer avec puis la balance au-dessus d’un immeuble avant que le micro ne soit détruit par un camion sur la route (Carver n’arrivant pas à sauver la balle que les deux policiers testaient et n’avaient toujours pas payé !). La plupart des gens semble accepter cette surveillance omniprésente comme une composante nécessaire pour préserver la sécurité dans nos sociétés, mais selon Bodie, ces gens sont « simplement stupides ». (Virgo, 2002) D’autant plus que dans The Wire, les caméras de sécurité semblent être établies dans le but de créer une sorte de panoptique (souvent attribuée à la vidéosurveillance), mais sans aucune poursuite, punition ou correction. Contrairement à d’autres séries américaines comme CSI et Law & Order qui présentent le système judiciaire comme étant efficace, intelligent, à la recherche constante des vérités dans le respect des égalités et de la justice, The Wire critique les institutions, leur pseudo-pouvoir et leurs mensonges. Elles fonctionnement mal et elles sont plus fragmentées les unes que les autres. Dans Surveiller et punir, Michel Foucault montre que le pouvoir des sociétés modernes est due à une organisation spécifique de la discipline. Le système judiciaire est passé de la monarchie absolue à un réseau d’institutions fonctionnant selon une logique de pouvoir disciplinaire. Pour établir une justice, il est désormais nécessaire de passer par une série de méthodes et de procédures qui visent à non seulement prouver la culpabilité d’un criminel mais à rechercher aussi ses motifs, le comprendre psychologiquement et essayer de l’aider à se réintégrer. Ainsi, prouver la culpabilité d’un individu ne s’arrête plus à l’acte commis mais à la compréhension de certains traits de personnalité qui l’ont poussé au crime. Un juge ne suffit plus, une série d’experts scientifiques l’accompagnent donc : médecins légistes, psychologues et statisticiens, entre autres. Dans The Wire, le système judiciaire fragmenté de la ville de Baltimore est montré du doigt mais différemment de nos séries policières habituelles. Les crimes, homicides et stupéfiants dans chaque saison ne sont pas représentés comme des cas isolés par épisode, bien au contraire. Avec les locaux de la police locale, ses commissariats, la médecine légale, les bureaux des procureurs, les tribunaux, un puzzle du pouvoir disciplinaire se construit. À ce dernier s’ajoutent, avec chaque nouvelle saison, de nouvelles institutions – faisant partie du pouvoir disciplinaire régnant : le port, les lieux de travail, l’administration, le système scolaire et le journal local. Les criminels ne sont donc pas les seuls acteurs impliqués dans les relations de pouvoir dont Foucault parlait. D’ailleurs, en commentant la première saison de sa série, David Simon a souligné que The Wire était tout simplement à propos de la ville américaine et comment ses habitants y vivent ensemble mais aussi « des effets qu’ont les institutions sur les individus, et comment, que vous soyez un flic, un docker, un trafiquant de drogue, un politicien, un juge ou un avocat, vous êtes finalement contraint de faire des compromis et respecter l’institution à laquelle vous êtes affilié. » (Kois, 2004) 76 Pour regarder des enquêtes policières résolues en 45 minutes chrono, il vaut mieux changer de chaîne ! Ici les institutions ne partagent ni les mêmes valeurs ni les mêmes idéologies ; la bureaucratie, les rivalités personnelles, les hiérarchies, les questions budgétaires et les questions de protocole les empêcher de travailler ensemble efficacement pour avancer. Combien de fois le lieutenant, le major et le préfet ont-ils recalé les policiers qui leur présentaient des preuves pour mener des arrestations de trafiquants de drogues ? Vérité et justice sont sacrifiées au profit de rapports infinis, de coupes budgétaires forçant l’arrêt de certaines enquêtes et de règlements empêchant la surveillance. Dans la saison cinq, McNulty et Freamon, tournant souvent dans un cercle vicieux en menant des enquêtes vu le manque de preuves, n’ont pas hésité à user de méthodes pas forcément légales pour résoudre l’affaire de Stanfield. Dans son cours au Collège de France en 1976 intitulé « Il faut défendre la société », Michel Foucault avait déclaré qu’il n’y avait pas « de relations de pouvoir sans constitution corrélative d'un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir... Ces rapports de “pouvoir-savoir” ne sont donc pas à analyser à partir d'un sujet de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système de pouvoir ; mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connaît, les objets à connaître et les modalités de connaissance sont autant d’effets de ces implications fondamentales du pouvoirsavoir et de leurs transformations historiques. En bref, ce n’est pas l’activité du sujet de connaissance qui produirait un savoir, utile ou rétif au pouvoir, mais le pouvoir-savoir, les processus et les luttes qui le traversent et dont il est constitué, qui déterminent les formes et les domaines possibles de la connaissance. » Ce cycle de pouvoir / savoir est complètement inversé dans The Wire où nous assistons plutôt au contraire. La police est incapable de bouger vu le manque de connaissances qu’elle a, surtout dû au manque de moyens duquel elle souffre. Encore pire : à Baltimore, il n’y a jamais une seule vérité, mais plusieurs… et contradictoires ! Le meilleur exemple est celui des statistiques de la police de Baltimore, que ce soit dans la série ou dans la vie réelle. Même si parfois véridiques, elles sont souvent utilisées pour prouver tout et n’importe quoi. On peut même se poser des questions sur l’origine des données qui les ont produites. (Fuggle, 2009) D’un autre côté, The Wire nous permet aussi de plonger dans la géographie urbaine de Baltimore. Sa population, sa criminalité, ses pouvoirs, son éducation et son économie sont mises en scènes. Clairement fracturée entre quartiers blancs et quartiers afro-américains, Baltimore montre qu’il existe deux Amériques avec différents niveaux de vie et différents niveaux de villes, des populations stigmatisées et une fausse démocratie où tout le monde est surveillé. Les personnages sont présentés dans leur environnement. Les gangs s’approprient les espaces collectifs et publics sans que ceci ne semble gêner les habitants des pavillons. Tout au long de la série nous découvrons les immeubles, les rues, les arrière-cours mais aussi un strip club (Orlando’s), un restaurant (Little Johnnie’s) et un parc (Collington Square). La séparation et les inégalités ne sont pas que sociales donc, elles sont spatiales aussi. Dans ce ghetto où des rapports entre les groupes dans la police, au sein des gangs et entre les deux apparaissent de plus en plus au fil des épisodes s’ajoute une hiérarchie dans l’espace. 77 Néanmoins, tous ces acteurs sont connectés virtuellement par le système d’écoutes téléphoniques et des technologies de surveillance mis en place. C’est grâce à ces technologies de communication que la narration dans la série avance d’ailleurs : les analyses et suppositions des détectives, en particulier celles de Freeman et Prez, constituent des liens, des ficelles ou même des nœuds entre les scènes. Baltimore est aussi un terrain de guerre (contre la drogue) où la pauvreté règne, un espace sous vidéosurveillance continue avec un système éducatif et une presse en panne. D’ailleurs, le « jeu » (« the game ») du trafic de drogues domine la série : tous les personnages, des voyous au maire, y participent ! Baltimore ainsi que présentée dans The Wire montre le tissu urbain d’une société capitaliste avec toutes ses contradictions sociales et politiques et le développement inégal de son territoire ; comment la disparition des emplois ouvriers et de la classe moyenne pousse les jeunes à se lancer dans le trafic de drogues ; comment les enfants sont toxicomanes dès leur plus jeune âge ; comment la police ne s’intéresse finalement qu’aux chiffres ; comment la violence et le désespoir animent le quotidien des habitants ; comment l’organisation des quartiers est complexe et hostile à l’État et ses institutions libérales. L’impact du capitalisme néolibéral américain ou postfordiste urbanisée se fait visible et rappelle les problèmes de « développement » rencontrés dans des pays des Suds par exemple. III. En quoi la surveillance dans The Wire est-elle révélatrice de la société de surveillance actuelle ? Dans le spectacle de HBO, la technologie a des limites. Dix ans plus tard, la surveillance électronique constitue une arme de taille dans la guerre contre le crime organisé. La preuve est le récent scandale des écoutes téléphoniques américaines, mis au grand jour par Edward Snowden, 2ème personnalité de l’année 2013 selon le magazine Time. Une sorte de voyeurisme règne dans The Wire et nous spectateurs en sommes le piège : en ayant la possibilité d’observer d’autres personnes en train elles aussi d’observer. La série reconnait le pouvoir des technologies de surveillance qui donnent à ses utilisateurs la possibilité de scruter la vie des autres tout en reproduisant ce même pouvoir envers nous spectateurs, avec un certain voyeurisme multicouche, qui nous permet d’accéder aux mondes secrets, de la police aux gangs. 78 Figure 21. Photos promotionnelles de la série La première représente des ondes sur un écran lors d’une écoute téléphonique alors que la seconde représente un téléphone mobile Et si certains n’ont pas été surpris par le scandale de la NSA, c’est peut-être parce que depuis des années, un grand nombre de séries télévisées était basé sur des scénarios d’espionnage, d’écoutes et de vidéosurveillance. Durant la dernière décennie, plusieurs fictions reflétant nos angoisses actuelles par rapport à la data et l’invasion de notre vie privée dans les espaces public, virtuel, partout, au nom de la sécurité nationale, ont vu le jour. La technologie « PRISM8-esque » est sans doute un moyen rapide voire justifié pour résoudre des crimes et stopper le terrorisme mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. Le créateur David Simon s’est récemment prononcé sur la collecte de données effectuée par la NSA sur son blog personnel, comparant le scandale des écoutes américaines à la surveillance de la police de Baltimore publiphones, minutieusement décrite dans la série de HBO. Dans The Wire, flics et trafiquants de drogue sont au premier plan alors que la surveillance se trouve loin derrière à partir de la deuxième saison, malgré le nom de la série. L’une des caractéristiques les plus notables de cette surveillance est sa médiocrité: images de mauvaise qualité prises avec des caméras de sécurité datées et de longues observations sur le terrain. Le processus compliqué de la surveillance est exposé : de la recherche d’accusés à la difficulté des poursuites, sans compter les obstacles juridiques et administratifs. La puissance de la technologie et sa capacité terrifiante d’invasion est montrée au fil des épisodes. Dans une autre série du même genre, 24, des agents combattent des attaques terroristes visant les États-Unis grâce à des gadgets d’espionnage financés par le gouvernement. La surveillance y est représentée par des satellites, des fibres optiques et des écrans clignotant de partout… mais aussi comme étant la seule solution à tous les problèmes d’insécurité. À un moment donné, un agent dans la série, Jack Bauer, coupe le doigt d’un homme mort et envoie un scan de l’empreinte digitale au siège du CTU. Il détourne aussi un satellite pour diffuser une opération terroriste directement sur son écran. Abondante, puissante, raffinée, sans limite, la technologie de surveillance est la seule voie à prendre dans 24. The Wire et 24 se ressemblent en quelque sorte : les deux sont acclamées par la critique, exposent des réalités politiques contemporaines (la guerre contre le terrorisme et la 8 Programme de surveillance mis en place par les USA pour suivre l'activité en ligne d'un très grand nombre de personnes par la collecte de courriels, fichiers, photos, le contenu des communications audio et vidéo (Le Monde) 79 guerre contre la drogue), mettent en lumière la crainte croissante de la société de technologie de surveillance et l’incertitude quant à notre capacité à la maîtriser… mais elles sont aussi fondamentalement différentes. L’une est basée à Los Angeles, l’autre à Baltimore ; l’une montre la toute-puissance et l’omniprésence des satellites et des fibres optiques tandis que l’autre concerne les écoutes téléphoniques et les appareils d’enregistrement en mal, dans un cadre de bureaucratie et de corruption. Mais contrairement à 24 qui accorde peu d’attention aux coûts de la technologie de surveillance, The Wire compte chaque centime… et si la première série perçoit les outils de sécurité nationale comme des matériaux de confiance, la seconde les voit d’un tout autre œil. Figure 22. Par manque de moyens, deux personnages de la série, McNulty et Dozerman, sont obligés d’espionner sur le terrain pour recueillir plus d’informations et de preuves Bien que pas forcément « optique », la surveillance électronique dans The Wire fonctionne selon les principes de base de la panoptique et nous apprend beaucoup de choses sur les criminels disciplinés. La caméra ne les empêche pas de continuer leur trafic de drogue. Pourtant, elle fabrique un comportement attendu de leur part : ils se comportent avec une certaine discipline devant elle. Les citoyens de Baltimore, comme ceux de n’importe quelle ville moderne, sont susceptibles d’être observés par des outils électroniques mis en place par des institutions puissantes à tout moment, parfois sans en être au courant. Et si le panoptique de Bentham fut conçu pour les prisons – espaces d’incarcération et exclusion – la surveillance dans The Wire franchit l’ensemble de la société. De toute façon, le panoptique n’a jamais été à la hauteur de ce que l’on souhaitait. Des criminels organisés réussiront toujours à contourner, manipuler et s’approprier ses techniques. Grâce à un langage spécial, ils sont en capacité d’avertir leur entourage des raids inattendus de policiers, de cacher leurs drogues dans les buissons ou les pneus de voitures en stationnement afin d’éviter toute accusation. Aujourd’hui cela va plus loin avec le scandale de la NSA: la vie privée, réelle et virtuelle, sont menacées. En s’adaptant à la surveillance institutionnelle, les organisations criminelles doivent s’inventer leur propre discipline, ou plutôt une contre-discipline aux institutions. C’est là que le « crime organisé » se distingue de la simple délinquance. La preuve avec Stringer Bell qui regroupe les trafiquants de drogue dans une salle de conférence durant la saison 3 par 80 exemple. La surveillance, de la police à Baltimore et ailleurs, produit des délinquants professionnels voire « disciplinés ». Foucault disait que la prison n’était pas qu’un simple répresseur de délinquance ou d’illégalismes, mais aussi un redistributeur des illégalismes. The Wire prouve la même chose pour la vidéosurveillance et la mise sur écoute. De nos jours, les criminels prouvent qu’ils ont une logique derrière ce qu’ils font, qu’ils planifient en avance toutes leurs actions, qu’ils sont systémiques… à la fois initialement produits puis reproduits en permanence par la panoptique des institutions disciplinées. IV. Conclusion David Simon ne cherche pas à résoudre les problèmes de Baltimore. Lui qui était journaliste d’investigation à The Baltimore Sun et qui suivait les affaires criminelles, il tâche à nous montrer tout ce qui ne va pas avec le système plutôt que de nous offrir une alternative ou une issue. Ce qu’il nous présente dans The Wire traite de la discipline et des processus au sein des institutions pour produire une population docile, peu importe le «coût humain». Et au final, la série montre plus les échecs de la discipline panoptique que ses succès. Par contre, Simon répond à une question capitale de nos sociétés urbaines postindustrielles : la surveillance n’est pas la solution pour lutter contre la délinquance. The Wire reconnaît les failles du système capitaliste/étatsunien/baltimorien, mais elle reconnaît aussi qu’il n’y a pas de moyen facile pour y remédier. Le mieux qu’on puisse faire est, comme dit la chanson-thème, d’essayer de garder le diable en bas du trou… « C'est probablement la seule fiction télévisée, dit David Simon, qui affirme ouvertement que notre système politique et social n'est plus viable, que notre nation, malgré sa richesse, a spectaculairement échoué à intégrer les classes défavorisées et à trouver des solutions à ses problèmes. Nous sommes devenus un pays qui ne "peut pas". » (Allusion au « Yes we can ! » de Barack Obama) (Rigoulet, 2008) 81 3 Critiquer. La question des inégalités socio-spatiales Chapitre VII. La marginalisation des quartiers dans The Wire et leur détermination des codes sociaux des personnages : Un monde d'inertie (clos). Camille François Résumé : Cet article traite dans un premier temps des codes sociaux « ghettoïsés » des personnages tels qu'ils transparaissent dans la série The Wire. S'en suit une explication de leur espace vécu (territoire) et son impact sur ces mêmes codes sociaux. Ce territoire est cloisonné, voir marginalisé comme évoqué dans la troisième partie où l'on observe le traitement spécifique de ce quartier dans la classe politique de The Wire. Mots clés : Marginalisation, codes sociaux, ghettoïsation, cloisonnement. La croissance constante de l'importance des médias depuis la seconde partie du 20ème siècle force la géographie à s'emparer, à travailler et à décrypter ce qu'il en retourne. Cette croissance a permis à de nouveaux genres de voir le jour : les séries télévisées, feuilletons (ou pas), que le public voit évoluer et suit de manière fréquente. La série The Wire s'inscrit dans ce cadre. Elle est issue du troisième âge d'or des séries et la célèbre chaîne câblée américaine HBO en est le distributeur. Cette chaîne câblée permet de toucher un public correspondant à la volonté réaliste, à un contenu complexe qui guida les ambitions des réalisateurs de la série. Ainsi, nous pouvons dans un premier temps considérer que les auteurs n'avaient pas de restrictions vis à vis du public qu'ils comptaient toucher, ils ont donc une grande liberté dans l’œuvre qu'ils souhaitent réaliser. De plus, il est important de souligner l'important travail d'investigation des créateurs de la série David Simon et Ed Burns, qui ont par ailleurs écrit des livres sur le sujet et créés une autre série grâce à leur travail d'investigation journalistique mené sur le terrain pendant plusieurs années, notamment aux cotés des forces de police de la ville de Baltimore. Nous prendrons donc The Wire comme objet d'étude géographique. La géographie sociale est un outil de décryptage de l'espace, qui étudie le rapport entre sociétés et espace. C'est sur cette base que nous avons choisi d'étudier la série The Wire, sur les relations dans cette série de l'homme à son espace vécu. Nous tenterons de répondre à la question géographique suivante, en considérant The Wire : En quoi les comportements des personnages de The Wire sont-ils symboliques d'un espace clos, ghettoïsé, dans lequel ils évoluent ? Les ressources à ce sujet sont multiples, la série comme support nous nous servirons également du livre « The Corner » pour analyser cette série, et du travail de concepts par d'autres géographes. « The Wire » a la spécificité d'avoir une empreinte géographique concrète tant la relation homme/espace est forte. Mais cet espace pour chacun des personnages est défini, déterminé, borné, marqué, les codes comportementaux et sociaux le 84 sont tout autant, c'est ainsi que les auteurs de la série veulent nous montrer Baltimore et ses protagonistes, et c'est ainsi que nous tenterons de l'étudier. Pour ce faire, l'argumentaire suivra un déroulé en trois temps, dans une première partie nous observerons les codes comportementaux «ghettoïsés» des personnages de The Wire, en quoi leur comportements et codes sociaux sont régis et emprunts du territoire où ils évoluent. La deuxième partie s’intéressera de manière plus précise au terme de «Corner» si souvent utilisé dans la série et nous essayerons de voir en quoi est-ce un espace stigmatisé et spécifique, nous tenterons de conceptualiser ce territoire avec d'autres concepts déjà étudiés. Dans un troisième temps nous observerons l'animation politique concernant ces quartiers et en quoi cette animation spécifique est un symbole de marginalité. I. L'espace clos des personnages de The Wire Les personnages de The Wire sont complexes. La volonté de réalisme des réalisateurs a fait qu'il n'y ait pas réellement de « héros », ni de manichéismes. Chaque protagoniste est traité d'une manière quasi identique, une neutralité de point de vue est instaurée afin que le téléspectateur doivent de fait, se poser des questions. On ne lui donne pas un contenu déjà déterminé et sur mesure avec des bons, des méchants, des scénarios déjà tracés, prévisibles. Les personnages de The Wire et leurs codes comportementaux ne doivent pas apporter de jugement de valeur, ce sera à chaque personne de se retrouver dans les traits de tel ou tel personnage. Ainsi, lorsque l'on évoque les codes sociaux «marginalisés», «ghettoïsés» des personnages, le terme de marge n'est pas exact, puisque tous les personnages sont jugés de manière égale, il n'y pas de marginalité, ou que des marginalités qui forment un tout. Une toponymie importante est développée pour désigner ces lieux stigmatisés situés au plus bas du système hiérarchique des places qui composent la métropole. Ces espaces stigmatisés sont représentés dans The Wire, mais pas jugés ni traités comme tel. Il semble nécessaire de définir brièvement ce que l'on entend par «codes comportementaux». Le terme de code comportemental est du domaine de la psychologie, et il est définit en trois parties Le premier aspect est le langage de la personne qui est issu d'une première phase de socialisation primaire, puis d'une socialisation secondaire (en dehors du cercle familiale de petit enfance). Le deuxième trait de caractère considéré comme faisant parti des codes comportementaux est l''attitude en la présence d'autres personnes, règles de politesses, mœurs courant, etc... Là aussi d'une socialisation primaire et secondaire. Le troisième volet s’intéresse aux vêtements, à l'apparence physique générale, esthétique. Cette caractéristique-ci est du ressort de l'individu en lui-même, et de sa place dans l'espace et dans le temps, cette phase là est secondaire (Cours de Psychologie sociale, UPMF). 85 La série The Wire s'empare pleinement de ces codes comportementaux, ce sont les premières choses que l'on remarque chez les personnages. Ils évoluent au cours du temps mais l'on ne peut pas regarder cette série sans chercher le fond du comportement de tel ou tel personnage. Ceux-ci sont clairement cloisonnés, enfermés, comme déterminés par leur milieu : Les personnages travaillant ou résidant dans les quartiers « aisés » ne sont quasiment que représentés dans des espaces clos : bureaux au Central Business District, le palais de justice, l'intérieur des habitats (Chez Daniels, chez l'adjoint Rhonda Pearlman, chez McNulty). On ne les voit pas dans la rue dans leurs quartiers respectifs. Il n'y a pas d’interactions entre personnage «aisé » de la série et un « figurant de son milieu social » ; en dehors des cercles familiaux ou professionnels. Le « dress-code » est significatif : même Jimmy McNulty le flic rebelle respecte celuici la majeure partie du temps. Les femmes aisées portent elles aussi le tailleur. Le langage utilisé par ces gens aisés est lui plus familier, voir vulgaire parfois, cependant il reste correcte au niveau de la prononciation (peu ou pas d’abréviation, mot exprimés d'une manière correcte) de plus même un personnage « vulgaire » est capable, lorsque la circonstance l'y oblige, de formuler des phrases avec un vocabulaire riche. A contrario, les gens des quartiers sont montrés de manière quasi-constante dans la rue, leur espace n'est pas cloisonné à un bâtiment, mais à un type de quartier (typologie d'habitats, espace très délimité par les gangs). Ces gangs se servent du territoire, ils sont les personnes dans la série qui s'emparent le plus de l'espace qui les entour. Celui-ci est délimité de manière précise pour faciliter le business. L'importance du terme même n'est pas à démontrer. Les habitats sont bas, collés les uns aux autres, faits de brique rouge : c'est le quartier ouvrier typique de la révolution industrielle. Pour les gens de ces quartiers, la rue est leur espace de vie propre, c'est la parfaite représentation du « street life, thug life » de la culture hip-hop américaine. Rien ne sera facile dans la vie du Corner, et il faut savoir se débrouiller si tu veux pouvoir gagner des sous, trouver de la dope, un peu de nourriture, un endroit où dormir, etc... Divers types de personnes vivent dans ce quartier. Les « zombies » sont représentatifs d'une addiction sans limite aux injections de drogue par intraveineuse. Ils vivent, bougent, se lèvent pour l’héroïne ou le crack. Ils sont appelés comme ça dans le quartier tout simplement parce que leur démarche évoque des films d'épouvante. Ces zombies s'habilleront d'une manière rudimentaire, avec juste ce qui leur permettra de survivre. Le zombie peut également est symbole de l'aliénation, où la personne n'a plus possession de son corps, l'addiction a pris le dessus sur son libre arbitre. Les guetteurs, rabatteurs du trafic qui fait fureur au centre des « Corners » sont des enfants. Ce choix est stratégique : leur âge les préservera de toutes poursuites judiciaires. Mais leurs habits sont plutôt normaux pour des enfants, même si la plupart ont déjà adopté le style de vêtement amples des quartiers américains. Le langage est un « urban language » simple, abrégé. Les règles entre amis sont celles du quartier : honneur, débrouille, fraternité parfois. Avec les autres il faut montrer que l'on n'est pas quelqu'un qui pourra se faire avoir par le quartier, vivre ici est dur et mieux vaut être craint que craindre. 86 Les plus riches trafiquants pratiquent également le quartier, mais rarement en dehors de leurs voitures de luxe. Eux sont bien habillés, mais toujours avec le look « gangsta » approprié. Il existe une exception qui n'en est pas vraiment une : Stringer Bell. Stringer est le bras droit d'Avon Barksdale, un grand patron du trafic avant son arrestation. Stringer lui, tente de sortir du business, ou plutôt de financer des activités légales comme la promotion immobilière avec de l'argent sale, ou encore divers boutiques un peu partout dans la ville. Stringer se considère comme un homme d'affaire et non plus un truand. Au fur et à mesure que Stringer s'insère dans la « business society » américaine, il changera son comportement ainsi que ses habits pour être plus propice au milieu. Mais encore une fois, le réalisme de la série le fera mourir brutalement alors que sa « transition » sociale était terminée. C'est également cette manière là dont David Simon nous dépeint les Etats-Unis, un monde impitoyable où il est dur de s'imposer. The Wire met en exergue l'importance du milieu sur les codes comportementaux de l'homme. Les «quartiers» sont comme ça et fabriquent des nouvelles générations vouées à vivre dans les mêmes conditions. Cependant, l'importance de la démarche des auteurs c'est qu'ils ne jugent pas s'il y a une bonne ou une mauvaise situation. Que ce soit les dockers, les sous-fifres des réseaux de drogues, les enquêteurs de la brigade criminelle, les chefs corrompus ou les politiciens avares, tous sont dans la société et participent à leur manière de façon consciente ou non à la reproduction de ce système. Il n'y a pas de parti pris quant au bon moyen d'action, au bon coté à prendre. Les gangs doivent défendre leur territoire, contre les policiers, contre les gangs rivaux, contre le temps … Tous vivent dans un territoire qu'il leur est destiné et duquel il leur sera difficile de sortir. II. Le Corner, un espace stigmatisé et spécifique « Le Corner se justifie lui-même selon ses propres critères. Qu'il détruise tout ce qu'il touche n'a que peu d'importance, pourvu que l'espace d'un instant, les travailleurs des corners aient une position et un but. C'est une crise existentielle qui trouve son origine non seulement dans les conflits raciaux – que le corner a su dépasser à la longue - , mais dans le désastre insoluble qu'est la Rust Belt américaine, ce lent séisme qui démantèle les lignes d'assemblage, dévalue le travail physique et sabre les grilles de salaires […]. Tout ceci n'évoque rien pour ceux à qui prospère l'âge postindustriel. » (Simon & Burns, 1997, p.110) Comme nous le montre la citation ci-dessus, le Corner est un espace spécifique. La traduction littérale serait « intersection », « coin de rue ». Le terme de « Corner » est bien plus connoté que cela dans la littérature de David Simon & Ed Burns (réalisateurs de la série et auteurs du livre « The Corner »). Le Corner est représenté comme un espace propice au développement d'activités illicites. Le fondement du Corner est au croisement d'une triple dynamique : histoire de l'urbanisation de la côte Est, l'histoire du peuplement ouvrier et l'histoire du déclin industriel. Pour reprendre l'histoire depuis le début, ces quartiers ont tout du quartier typique ouvrier. Habitat moyen/bas de 3 étages maximum, faits de brique rouge. L'entrée dans 87 l'habitat se fait souvent par une porte surélevée de quelques marches, qui donne sur la rue. Ces marches, on squatte dessus, elle sont l'interface entre la rue et chez soit. Il y a donc toutes les raisons du monde de s'en emparer, ainsi la série nous montrera souvent les dealers, ou les petits du quartier posés sur ces marches, à discuter. Figure 23 - Baltimore, une ancienne cité industrielle Source : Google Street Elles sont un élément important dans la vie du quartier. Ces quartiers, pour la plupart construits au 19ème siècle, sont assez ressemblants dans l'aspect à la plupart des quartiers industriels de l'époque. Les maisons sont collées les unes aux autres, une arrière cours est souvent présente et reliée à la rue sous forme de cul de sac. Les rues sont grandes, larges, il en est de même pour les trottoirs. Pour le reste, la ville de Baltimore est une ville typique américaine : quelques grands axes, desquels partent les petites rues. Pas de disposition en étoile, mais un maillage urbain rectiligne. Ces quartiers bâtis pour les ouvriers des années 1850 (à l'époque Baltimore est la seconde ville du pays en terme de population) sont désuets. De plus, avec une population composée à 65% par des afro-américains, et proche des 90% dans certains quartiers, en plus de la paupérisation évidente que subit cette ville, on peut se demander si elle ne devient pas lentement un immense ghetto. Ces ghettos n'étaient pas prévus au moment de la construction de ces quartiers. On peut le voir par la courbe démographique de Baltimore, qui montre bien que lors de la première moitié du 19ème siècle, cette ville a dû répondre à un accroissement exponentiel de sa population. De plus, ces quartiers « ghettos » dans la série (et le livre) sont concentrés dans Baltimore Ouest, mais ils sont en fait très proches du centre ville. Aujourd'hui cette ville perd des habitants, elle est une des rares dans ce cas aux États-Unis. 88 Figure 24 - Le Corner, un espace ghettoïsé Source : Google Street Alors que la fin du 20ème montrait les plus grandes avancées en terme de transport maritime, le port de Baltimore qui faisait la richesse de cette ville se retrouve quasiment hors jeu. La paupérisation grandissante de cette population au fur et à mesure que le taux de chômage augmente, que les salaires baissent, que les coups portés aux ouvriers sont de plus en plus violents (à l'image de l'administration Reagan 1981/1989) ainsi que le développement des drogues (crack, héroïne) dans son acheminement et dans leur fabrication entraînent un commerce illicite de plus en plus important. D'autant plus que dans la structure du Corner en lui-même, le trafic est facilité. En effet, les culs de sacs des petites rues, la proximité de l'habitat sur l'espace public, les terrains vagues, les grandes avenues permettant de voir au loin la police arriver, la grande commodité des trottoirs ; tous ces facteurs permettent un développement conséquent et facile du deal. Toutes les conditions sociales et économiques sont ainsi réunies pour faire du « Corner » un espace spécifique. Peut-on cependant parler de stigmatisation ? Rien n'est moins sur, étant donné que le « Corner » n'est en fait que la résultante logique de toutes les conditions extérieures. De plus, comme nous l'avons vu précédemment, l'ambition n'était pas de créer des ghettos, mais bien de répondre à une déferlante démographique. Les sciences sociales ont déjà analysé ce type d'espace. Le sociologue Loïc Wacquant évoque par exemple pour les caractériser le terme de « marginalité avancée » qu'il définit comme ci-après : « Ces espaces peuvent être qualifiés de marginalité avancée, c'est à dire un nouveau régime de relégation sociospatiale et de fermeture excluante qui s'est cristallisé dans la ville postfordiste sous l'effet du développement inégale des économies capitalistes et de la désarticulation de l’État providence, selon des modalités variant en fonction dont ces deux forces pèsent sur la classe ouvrière et sur les catégories éthnoraciales résidant dans les régions inférieures de l'espace social et de l'espace physique » (Wacquant, 2006). Cette citation correspond au « Corner » tel que nous l'avons précédemment défini. Le Corner est donc devenu un espace à part, une marge. Il est stigmatisé non pas dans la façon même de pratiquer de le Corner, ni même dans la typologie du bâti ou de l'habitat, mais simplement dans l'esprit général. Nous verrons ainsi dans la prochaine partie l'agitation 89 politique autour de cet espace, et en quoi l'animation particulière dont il est l'objet fait de lui un espace stigmatisé. III. L'animation politique spécifique autour des « quartiers » dans The Wire The Wire a la spécificité de mettre en lumière le Corner. Cet espace que nous avons précédemment défini comme un espace marginal, délaissé, est emprunt dans The Wire d'une réelle importance. Cette importance sera telle que ces espaces stigmatisés de Baltimore seront mis au centre de la campagne politique des différents candidats à la nouvelle place de maire. Les saisons 3 et 4 de la série The Wire sont alors placées sous le signe de la campagne politique de Carcetti, jeune homme politique blanc aux dents longues dans une ville noire. Il est conseiller municipal sous le mandat du maire Clarence Royce, maire noir peu scrupuleux. Alors que Royce brigue une seconde mandature pour laquelle il est le grandissime favori, Carcetti accumule les preuves et mobilise les médias ainsi qu'une équipe solide autour de lui pour porter une autre voix que celle du maire sortant. Alors que plusieurs affaires secouent la mairie (comme l'assassinat de témoins, le mécontentement grandissant de la communauté afro-américaine qui se sent délaissée), Carcetti s'empare des frustrations pour porter son projet politique. Il mise la carte de l'alternance, on donne au début peu de chance à ce candidat blanc au look « bon chic bon genre » qui mise tout sur la protection des témoins, la lutte contre le grand banditisme. Il a pour cheval de bataille la sécurité, la restauration des quartiers. Il veut recréer du lien social. Pour cela il utilise des méthodes rhétoriques politiques courantes et la dénonciation des agissements de la présente mairie. Il va jusqu'à inciter un de ses amis noirs pour qu'il se présente contre Royce, afin de diviser l'électorat noir. Il s'attire le soutien de révérends noirs, d'une chargée de communication venant de Washington... Ces gens croient en lui, il est charismatique, a de l'éloquence et a une bonne capacité d'adaptation à tous types de situation. La campagne de Carcetti mise beaucoup sur les quartiers défavorisés et la lutte contre la délinquance, cela montre une nouvelle fois la marginalisation qui est faite de ces quartiers : il ne sont pas traités comme des quartiers comme les autres, ils sont spéciaux, on utilise pour eux un vocabulaire spécial. La campagne se fait sous forme de réunions publiques où tous les habitants sont conviés pour évoquer leur mécontentement. Carcetti est incisif, dénonciateur vis à vis de la politique menée dans ces quartiers qu'il juge comme «laissés à l'abandon ». Il ne veut plus de politique du chiffre pour la police qui doit, sous l'ordre du maire, avoir un recul de la criminalité de x% / semestre. Carcetti veut que la police agisse dans une optique durable de lutte concrète et profonde contre les trafics. Carcetti gagne finalement l'élection et devient maire de Baltimore. Il essaye dans un premier temps de faire appliquer sa politique, les réalisateurs ne font pas de lui un « méchant », mais plutôt un homme droit et honnête cherchant à faire le bien autour de lui comme il peut. Cependant, très vite, la désillusion gagne le nouveau maire : il se rend compte que la ville marche sur les subventions de l'Etat du Maryland, et le gouverneur exige des 90 baisses chiffrées de la criminalité pour accorder ces subventions. La politique du chiffre est donc obligatoire. De plus, Baltimore ne produit que très peu de richesse et la mairie est globalement endettée, il ne peut donc pas lancer de politique de grands travaux, ni de rénovation des quartiers existants (car trop peu d'investisseurs se portent garants des projets proposés). Il ne peut pas non plus renforcer le programme de protection des témoins qui l'animait tant, par manque de moyens. Les « magouilles » politiques, que Carcetti dénonçait sous la mandature Royce, deviennent un recours obligatoire. Il doit se compromettre auprès du vénal sénateur Clay Davis, auprès du gouverneur afin d’accéder à des fonds supplémentaires. Malgré cela, sa marge de manœuvre est minorée, et sa politique est globalement un échec. La création de lien social passe par une police de proximité visible, là encore les fonds à mobiliser ne peuvent pas l'être. L'échec de Carcetti sera significatif dans le déroulement de la série puisque celui-ci n'en fera plus parti à partir de la saison 5. Rien ne change en profondeur, et tout dans The Wire va dans ce sens. Le rythme lent de la narration est significatif de ce qu'il exprime, tout semble se reproduire, comme un éternel recommencement, une lente machine qui reproduit sans cesse les conditions de vies, les conditions sociales, les conditions de misères. La culture des quartiers de Baltimore est fortement empreinte de la culture hip/hop américaine. Pour transposer cela à la culture hip/hop française (inspiré des événements américains et des mouvements hip/hop afroaméricains des années 1990), le groupe IAM écrivait cela dans la chanson « Demain c'est loin », où il exprime la vie dans ces quartiers comme une vie au jour le jour, sans forcément de lendemain (IAM, 1997). La débrouille est la chose la plus importante qui compte. Cet extrait est assez représentatif de l'échec de Carcetti malgré sa bonne volonté, et de l'inertie globale de The Wire. « Les élus ressassent 'rénovation' ça rassure, Mais c'est toujours la même merde, derrière la dernière couche De peinture, feu les rêves gisent enterrés dans la cour A douze ans conduire, mourir, finir comme Tupac Shakur9 ». IV. Conclusion The Wire est une série empreinte d'une réalité frappante. Cette série mobilise énormément de concepts géographiques, sociologiques, psychologiques, politiques tout simplement parce qu'elle veut être la plus réaliste possible. Ce réalisme peut décevoir, dans le sens où cette série n'est pas « extraordinaire », elle ne met pas en scène des personnages incroyables, des gens au sens de l'humour pointu, ou aux compétences paranormales. Cependant cette série est réelle, elle représente, grâce au travail de terrain de ses réalisateurs, une réalité de vie pour certaines populations à un moment donné. Nous avons vu au cours du projet, que le territoire dans lequel évoluait les protagonistes est un espace clos, cloisonné. Cet espace cloisonné ne l'est pas de fait, mais il l'est devenu dans des cadres économico9 Référence au rappeur américain « 2Pac » assassiné dans un règlement de compte, symbole de la dure réalité du monde de la rue. 91 sociologiques précis, à des moments de l'histoire donnés. La stigmatisation de ces espaces spécifiques en est la résultante, c'est-à-dire que parce que ces « Corners » sont devenus spéciaux au fur et à mesure de la désindustrialisation, ils sont à présent traités dans l'esprit générale comme des espaces spéciaux. Le territoire et ses composantes sociologiques reproduisent ce modèle et les populations qui y vivent. Les politiques n'ont plus le contrôle de ces espaces, ils sont à présent concentrés sur la promotion des territoires compétitifs et non plus sur la réduction des inégalités entre les territoires. Par conséquent nous pouvons dire que The Wire nous dépeint un monde cloisonné, reproduisant son inertie, un monde lent et antipathique où les codes sociaux, les mœurs et la misère sociale se reproduisent sans cesse. L'amélioration des conditions de vie ne peut donc pas venir d'en-haut, mais nous pouvons penser qu'après des générations « sinistrées », les habitants de ces quartiers changeront eux-mêmes les données, peut-être en outrepassant les droits des citoyens, les pouvoirs politiques et judiciaires. Malheureusement, nous pouvons penser que sans un « empowerment », rien ne changera car ces quartiers délaissés ne sont pas la priorité d'hier ni d'aujourd'hui, ils ne seront certainement pas la priorité de demain. Bibliographie IAM. (1997). Demain c’est loin, in L’école du Micro d’argent. Baltimore's history – Baltimorecountymd.com Cours UPMF – Info-Com / Psychologie Simon, D., & Burns, E. (1997). The Corner. Hiver-Printemps. Broadway Books. Simon, D. (1991). Homicide A year in the killing streets, Houghton Mifflin. Bureau de recensement des Etats-Unis (2012), Largest US cities by population Wacquant, L. (2006). Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etat. Paris: la Découverte. 92 Chapitre VIII. De The Wire à Baltimore: Le phénomène d’hyper-ghettoïsation Clément Hémond Résumé : Notre article traite du phénomène d’hyper-ghettoïsation. En partant de The Wire nous irons chercher des concordances dans la réalité de Baltimore. Ce processus de marginalisation est poussé à l’extrême et redondant selon trois dimensions : la pauvreté et la précarité des populations, leur appartenance à la minorité afro-américaine et leur concentration dans des quartiers extrêmement dégradés. Mots clés : Géographie urbaine, Marginalité, Hyper-Ghettoïsation, Baltimore. Dans cet article, nous allons nous demander en quoi un objet culturel du quotidien peut être révélateur de réalités géographiques avec, en l’occurrence, une série « télévisée » objet faisant désormais partie du quotidien de nombreuses personnes. La série que nous avons choisit n’est pas une série ordinaire puisqu’il s’agit de The Wire : une série américaine réalisée par David Simon, ancien journaliste, et Ed Burns, ancien policier à Baltimore, et produite par HBO (une chaine privée) entre 2002 et 2008. Elle est caractérisée par un souci du réalisme très fort à telle point qu’on pourrait la qualifier de réalisme social au même titre que certaines des œuvres de Balzac ou Zola (cf. article de Yohan Demeure). D’un point de vue géographique, The Wire offre de nombreuses possibilités d’études. En effet la série se veut au plus proche de la réalité et touche à de multiples domaines mais le sujet d’étude qui nous parait le plus intéressant et le mieux observable dans la série est celui de la répartition spatiale des différentes populations en fonction de leur niveau de vie, de leur origine et de leur genre « ethnique ». L’étude de ces phénomènes nous amène à sortir de la série pour étudier le phénomène de ghettoïsation ou plutôt d’hyper ghettoïsation dans la ville de Baltimore. Au sein de cet article nous allons ainsi tenter de décrire, d’analyser puis de confronter à la réalité et de comparer à d’autres situations certains des phénomènes géographiques visibles dans The Wire et déclinables dans la réalité de Baltimore : La marginalisation, processus d’altération d’une population en la faisant autre, en la plaçant en périphérie de la norme, est l’amorce du phénomène de ghettoïsation c’est à dire de la marginalisation poussée à l’extrême d’une population selon un critère spécifique et d’hyper-ghettoïsation, même phénomène porté sur de multiples critères (Wacquant 2005). 93 En d’autres termes nous tenterons de voir s’il existe des fractures spatiales au sein de la ville de Baltimore ? Et en quoi conduisent-elles vers une Hyper-Ghettoïsation progressive de certains quartiers plutôt que d’autres ? De l’univers de The Wire et accessoirement celui de The Corner, série du même auteur traitant plus spécifiquement de l’univers de la drogue et du ghetto à Baltimore Ouest avec le même souci du réalisme, à la réalité de Baltimore il n’y a qu’un pas. Nous nous demanderons alors s’il existe une concordance dans la nature la localisation des ghettos de The Wire et ceux de Baltimore ? Pour tenter d’apporter des réponses à nos interrogations nous répartirons notre travail sur trois parties : Nous nous demanderons ainsi quelle est la répartition spatiale de la population de Baltimore en fonction de son niveau de vie. Puis, nous nous interrogerons sur une possible concordance avec la répartition spatiale de certaines minorités dans la ville. Et enfin nous vérifierons si les zones ainsi formées ce retrouvent dans un certain type d’habitat ou non et si elles concordent avec les quartiers les moins pourvurent en moyens d’aménagement et d’entretiens. Pour ce faire nous partirons systématiquement d’observations faite à partir de la série : captures d’écrans, capsules vidéos que nous prendrons le temps d’analyser en détail, pour les confronter à la réalité de Baltimore et nous nous étendrons enfin à de brèves comparaisons avec d’autres villes étatsuniennes. I. Répartition spatiale des habitants de Baltimore selon leur classe sociale En visionnant la série on comprend dès le début du premier épisode que les populations de Baltimore Ouest mais aussi, un peu plus tard dans la série et dans une moindre mesure, celles de Baltimore Est et Sud-Est, à proximité du port, vivent dans des quartiers dit « défavorisés ». Elles sont regroupées entre populations pauvres notamment issues du prolétariat et du sous prolétariat ou Lumpenprolétariat (Marx 1845) et se retrouvent ainsi concentrées entre populations en situation plus ou moins précaire. Cette précarité s’explique en bonne partie par un taux de chômage particulièrement important touchant à la fois les travailleurs du milieu ouvrier et les dockers (S2E3), mais aussi et surtout les populations sans diplômes ni qualifications et donc bien souvent les populations les plus jeunes qui rencontrent de nombreuses difficultés ne serait-ce que pour trouver un « petit boulot » temporaire. Cette précarité sociale s’explique aussi par un taux d’échec scolaire particulièrement élevé ne permettant que difficilement une ascension sociale pour ces populations. (Cf. article Chloé Descos & Thomas Foin). La précarité sociale et économique de ces populations et le taux de chômage élevé endémique à ces quartiers en font des cibles faciles pour tout une série d’activités informelles, comme la récupération de matériaux divers et notamment des métaux, ou la vente ambulante de produits manufacturés divers, comme Bubbles et son Magasin ambulant (S4E2), ou même 94 de nourritures ou de friandises, etc. On voit ainsi apparaître une véritable économie informelle très diversifiée et omniprésente, permettant au plus démunis de survivre grâce à un microsalaire. La série nous expose ce phénomène, qu’on peut observer dans de nombreuses villes du Sud comme à Mexico, à Antanarivo, à Bombay ou encore à Bangkok, mais au beau milieu de Baltimore. On observe dans le même temps l’émergence d’activités informelles illicites au sein de ces populations comme le commerce de drogues, parfois accompagné de sa consommation, mais aussi la prostitution, la criminalité organisée et toute la violence qui en découle. La spirale de la dégradation d’un quartier qui accompagne le développement de ces activités en fait progressivement un quartier difficile à mauvaise réputation et où seules les populations n’ayant pas les moyens de le quitter se trouvent forcées à y rester. La fragilité accrue de ces dernières est un véritable terreau pour les activités hautement rémunérées bien qu’illicites, comme la vente de drogues, notamment chez les jeunes hommes. Figure 25 - Carte du revenu médian par quartiers à Baltimore entre 2005 et 2009 Source : American Community Survey et l’Université de Standford (Rond Jaune : Baltimore Downtown) Ces tendances illustrées par la série semblent se confirmer au regard de la carte cidessus du revenue médian par quartiers à Baltimore sur laquelle on voit clairement apparaître deux zones de revenus très faible autour du centre ville : une à l’Est et l’autre à l’Ouest. 95 Les différentes catégories socioprofessionnelles sont donc bien réparties de manière inégale dans la ville de Baltimore. La marginalisation de ces populations les plus pauvres par les classes supérieures ainsi que le déficit de services publiques qui touchent progressivement ces quartiers sensibles sont l’esquisse du phénomène de ghettoïsation, véritable cercle vicieux de la dégradation urbaine. II. Répartition spatiale des habitants de Baltimore selon leur appartenance « ethnique » Ainsi l’Est et l’Ouest de la ville se dégagent en tant que quartiers pauvres et précaires. Toutes fois cela n’est pas suffisant pour faire de ces derniers des « ghettos » à proprement parlé sans que l’on observe la concentration d’une population d’un certain genre « ethnique ». Comme nous pouvons le constater tout au long de la série, l’Ouest de Baltimore, qui correspond aux territoires contrôlées par Avon Barksdale puis Marlo Stanfield et l’Est de Baltimore contrôlé par Proposition Joe dans la série, sont des zones à forte majorité afroaméricaines voire parfois exclusivement afro-américaines (S3E11). On observe également au cours de la saison 2 des quartiers à majorité Polonaise dans les quartiers ouvriers près du port bien que la population y soit tout de même trop métissée pour en faire de véritable Ghettos. Figure 26 - Répartition de la population de Baltimore selon le genre ethnique en 2000 Source : Bureau du recensement américain et du recensement de 2000 à Baltimore (en Bleu : Afroaméricains ; Rouge : White-European ; Vert : Asiatiques ; Jaune : Hispaniques/Latino ; un point correspond à 25 personnes ; Rond Jaune : Baltimore Downtown) 96 Ces tendances semblent être vérifiées avec une certaine précision dans la ville de Baltimore. En effet la carte précédente de la répartition « ethnique » de la population à Baltimore d’après le Bureau du recensement américain nous montre bien deux zones à très forte proportion d’afro-américains à l’Ouest et à l’Est de la ville, qui se recoupent avec les zones aux revenus les plus faibles et aux populations les plus précaires décrites dans la première partie, à l’exception des quartiers à proximité du port au Sud-Est. On aborde donc ici le phénomène d’hyper-ghettoïsation où les populations résidant au sein de ces quartiers se retrouvent marginalisées au prisme de plusieurs caractéristiques à savoir : par leur niveau de vie ainsi que par leur couleur de peau ou leur appartenance « ethnique ». Les limites entre les quartiers « blancs » et les quartiers « noirs » sont parfois floues. Il existe en effet des quartiers très métissés à Baltimore notamment au sein de la classe moyenne. Cependant, on observe majoritairement des limites franches entre quartiers à majorité ethnique différentes, notamment au sein des zones les plus précaires qui restent très peu métissées à tel point qu’il est aisé de dessiner plusieurs blocs de couleurs différentes sur la carte. On peut alors parler de ségrégation spatiale entre populations « Noires » et « Blanches » et s’interroger sur leurs raisons d’être. Figure 27 - Répartition de la population selon le genre ethnique en 2000 à Philadelphie (gauche) et Détroit (droite) Source : bureau du recensement américain. On observe le même phénomène pour ces deux autres villes des Etats-Unis : Detroit et Philadelphie, deux villes post-industrielles au taux de chômage élevé comme à Baltimore et à l’histoire et la morphologie urbaine extrêmement proche pour Philadelphie ; à savoir : une véritable ségrégation spatiale entre quartiers « Afro-américains » et quartiers « Blancs » notamment dans le cas de Detroit. 97 A tel point qu’on est en droit de se demander si cette répartition ne résulte pas de volontés urbanistiques ou politiques tant les limites sont parfois nettes et précises. Et on peut constater que le même phénomène est visible pour toutes les grandes villes américaines. III. Démographie et Qualité de l’environnement urbain dans les quartiers les plus défavorisés Mais le phénomène qu’hyper-ghettoïsation ne se réduit pas à la concentration de population en situation précaire et issue d’une catégorie ethnique particulière en effet l’environnement urbain contribue en bonne partie à la mise en place du phénomène d’hyper ghettoïsation. Comme nous avons pu l’observer à plusieurs reprises dans la série les quartiers les plus défavorisés de Baltimore, les Ghettos, baignent dans un environnement urbain très dégradé : terrains vagues, bâtiments abandonnés, poubelles non ramassées, rues non nettoyées, etc. Il faudra par exemple attendre l’intervention directe de Thomas Carcetti, maire tout récemment élu, pour réveiller plusieurs des services d’entretiens de la ville et les contraindre à faire leur travail dans ces quartiers laissés pour compte (S3E11). De plus, en raison de la désindustrialisation qui toucha la ville dans les années 70-80 plus d’un tiers de la population a quitté la ville. Entre 1950 et 2010 la population du district de Baltimore est passée de près de 950 000 habitants à 620 000 habitants selon les sources officiels du bureau du recensement. (Cf. Article Audrey Collomb) Cette énorme perte de population, doublée de caisses publiques de plus en plus vides, explique le nombre de maisons abandonnées ainsi que le manque d’entretiens par les habitants restant des terrains abandonnés et le manque d’intervention des services publics dans certaines rues. Dans la série les maisons abandonnées sont omniprésentes à telle point que les réalisateurs ont développé plusieurs intrigues exclusivement autour de ces dernières comme le projet Hamsterdam du Commissaire Calvin (S3E5) ou bien les « cadavres dans les maisons » lorsque que le bras droit de Marlo Stanfield, Chris Partlow profite du nombre incalculable de maisons abandonnées ou condamnées pour y cacher les cadavres des ennemis de Marlo qu’il doit abattre (S4E11). Enfin, les maisons abandonnées servent également de refuges pour les Junkies, de planques pour Omar ou pour les Dealers ou même pour les policiers lors des écoutes. 98 Figure 28 - Prises de vue Googlemap de Baltimore 1706 North Castle Street (East Side) & 1017 Lanvale Street (West Side) Figure 29 - Prise de vue Googlemap de Baltimore 1036 &1017 West Fayette Street (West Side) Malheureusement, la réalité de Baltimore s’approche beaucoup de celle de The Wire : le nombre de bâtiments abandonnés y est impressionnant et l’entretien des quartiers pauvres laisse à désirer. Comme le montre ces captures d’écrans réalisées au hasard sur Google Earth des rues des Baltimore Est & West sur lesquelles on voit de nombreux bâtiments abandonnés parfois en état de ruines, en plein milieu des grandes avenues de la ville. Cela illustre bien l’importance de ce phénomène qui ne touche presque qu’exclusivement les quartiers à proximité du centre ville, c'est-à-dire les quartiers les plus touchés par la paupérisation de la ville constitués de petits immeubles en brique R+1-R+2, et non pas les quartiers résidentiels des classes moyennes ou aisées. On retrouve ainsi les « Ghettos » décrit dans les deux parties précédentes. IV. Conclusion Comme nous avons pu le constater tout au long de notre étude les limites entre The Wire et la réalité de Baltimore sont floues. Le phénomène d’hyper ghettoïsation c'est-à-dire la concentration de marginalisation d’une population dans un espace donné, s’explique donc à Baltimore par la concentration des populations en situation de précarité économique et sociale accrue dans des quartiers de plus en marginalisés par les autres populations. Notamment en raison du développement 99 d’activités informelles et illicites pour palier au manque d’argent des populations les plus précaires. De plus, cette marginalisation se double du fait ces populations, se retrouvent stigmatisées de par leur appartenance ethnique et sont concentrées au sein de quartiers « afroaméricains ». Cela est vrai dans le cas de Baltimore, mais l’est également pour des quartiers « hispaniques » ou « asiatiques » dans d’autres villes américaines telles que Los Angeles ou San Francisco. Enfin, dans le cas de Baltimore, l’hyper ghettoïsation est aggravé par une démographie et des finances publiques en chute libre ainsi que le nombre très élevé de maisons abandonnées et le déficit de services publics qui en découle. Toutes fois ces différents facteurs ne suffisent pas à eux seuls à expliquer la complexité du phénomène d’Hyper-ghettoïsation visible dans la série. Dès lors, il serait intéressant et nécessaire d’étudier les clivages non plus au niveau spatial mais plutôt au niveau social : culture, éducation, style vestimentaire, musiques, langage, sports, etc. pour espérer mieux cerner ce phénomène et comprendre les diverses fractures que présentent à la fois la Baltimore de The Wire et la Baltimore réelle ainsi que d’autres villes des Etats-Unis et du monde. (Cf. article de Camille François) Il serait également intéressant de chercher à comprendre comment de telles répartitions des populations les plus pauvres ou des populations ‘afro-américaines’ ont étés mises en place et perdurent encore aujourd’hui. 100 Chapitre IX. Un héritage déshérité : La reproduction sociale Chloé Descos et Thomas Foin I. Introduction: Baltimore, ville déshéritée, semble enfermée dans un cercle vicieux, où se joue une auto reproduction. En effet, comme le montre la série, Baltimore est livrée à elle-même et ne bénéficie d’aucune aide extérieur. De plus ce phénomène est accentué par les grandes instances de socialisation : la famille et l’école. Ces institutions sont censées construire l’identité personnelle des individus par le biais des normes (principe posé comme idéal à suivre et à accomplir pour se réaliser. Il est intériorisé par l'individu par la socialisation) et des valeurs (comportement social à suivre pour se conformer aux valeurs. Il est inculqué par la socialisation). Dès lors l’analyse portera sur la reproduction sociale dans « The Wire » à travers ces deux grandes instances de socialisation. Figure 30 - Des adolescents entre école et ghetto (saison 4) II. La famille, berceau du destin Comment définir la famille ? Selon G.P MURDOCK « La famille est un groupe social caractérisé par la cohabitation, la coopération et la procréation. Elle inclut des adultes des deux sexes, dont deux au moins entretiennent des relations sexuelles socialement approuvées, ainsi qu’un ou plusieurs enfants, enfantés ou adoptés, issus de cette union ». Cette définition sera la base de cette étude, elle permettra dans un premier temps de montrer en quoi la famille est une vectrice de reproduction sociale, dans un second dans te définir la ou les familles et enfin dans un troisième temps de montrer ses limites. 101 Une instance de reproduction sociale La reproduction sociale permet, pour chaque individu, de se construire une identité personnelle, mais cette identité de soi n’a de signification qu’en référence aux dynamiques des relations entre les divers groupes sociaux. En somme, l’identité sociale repose sur l’appartenance à tel ou tel groupe social. Il y a donc un double processus, dans un premier temps l’individu doit s’identifier ou doit être associé à un groupe social, puis dans un second temps le groupe permettra la construction identitaire de l’individu en lui inculquant des normes et valeurs. La première institution qui joue ce rôle chez l’individu est la famille: « La famille constitue l'instance principale de socialisation et son action s'avère primordiale pour la structuration ultérieure de la personnalité. C'est en effet dans le cadre du milieu familial que se forge le système de dispositions à partir duquel seront filtrées toutes les autres expériences de la vie sociale. Cette action prépondérante de la famille s'explique par trois facteurs essentiels : d'abord elle intervient dès le plus jeune âge de la vie au moment où la personnalité de l'enfant est la plus malléable ; ensuite elle est particulièrement intense en raison des contacts quotidiens entre enfants et parents ; enfin elle se déroule dans un climat affectif qui rend l'enfant particulièrement réceptif aux apprentissages nouveaux. » (Jean Etienne, Francoise Bloess, Jean Pierre Noreck, 1995) Cet acteur de la reproduction sociale est très présent dans la série. En effet, l’étude de la famille Barksdale montre un schéma répétitif, les jeunes comme D’Angelo sont prédisposés à intégrer le milieu de la drogue, ils hériteront du territoire conquis par Avon. Que ce soit son oncle ou sa mère, D’Angelo doit apprendre les règles de la rue pour que plus tard il puisse faire honneur à sa famille et que les liens du sang soient préservés. C’est un véritable héritage que la famille doit transmettre aux descendants. La notion d’héritage de Bourdieu est essentielle, en effet, la famille va transmettre de génération en génération un capital culturel (culture, usage du langage,…), un capital économique (matériel et financier), un capital social (relation). Il définit ce processus sous le terme d’habitus, c’est à dire les manières de percevoir, de ressentir et de dire qu'un individu reçoit de sa famille et de son milieu social. C'est donc en fonction de cet habitus que tout homme agit dans la société. (Claude Dubar, 2011) La famille de Wee Bey illustre très bien ce processus (voir capsule vidéo). En effet avant que Namond ne soit adopté par Colvin, l’adolescent vivait chez sa famille biologique, son père (bras droit et ami d’Avon) est emprisonné dû à des affaires de drogues et sa mère vivait une vie paisible grâce à l’aide du gang Barksdale. Namond, tout comme D’Angelo, devait suivre les traces de son père, sa mère l’encourageait dans cette voie au détriment d’une scolarisation. Lors de la capsule vidéo, on voit Wee Bey, son fils Namond et sa mère au parloir de la prison. S’en suit alors un discours en faveur de Namond, on peut voir clairement que son père l’incite à arrêter l’école pour prendre sa relève (cf capsule video). Dès le lendemain l’adolescent est au coin de la rue entrain de dealer. Cela s’observe également dans les familles recomposées listées dans le tableau précédemment étudié. L’exemple de Bubble et Sherrod illustre également cette reproduction sociale qui a pour vecteur la famille. Bubble tente de reconstruire une identité sociale à Sherrod en lui apprenant à compter et à lire, mais également en lui racontant ses expériences personnelles pour l’empêcher de tomber à son tour dans la dérive. 102 La famille apparaît donc clairement comme une instance primordiale de reproduction sociale, mais comme toutes instances elle connaît des limites. La famille, mais laquelle ? D’après la définition G.P MURDOCK la famille peut être de diverses formes (nucléaires, élargies, reconstituées, monoparentales, homoparentales…) mais elle est avant tout un groupe social où les individus cohabitent et coopèrent. Dans la série The Wire la famille semble être une instance de socialisation primordiale allant au-delà de la simple coopération et cohabitation entre individus. En effet si l’on prend le « clan » Barksdale la famille représente un idéal à protéger, rien ne doit l’atteindre. Avon Barksdale qui incarne un baron de la drogue des premières saisons détient la place de chef de famille. De ce fait sa famille, qu’elle soit proche ou élargie, lui doit respect et « obéissance », en contrepartie A.BARKSDALE garantit de les protéger. Pour cette famille les liens du sang vont donc bien au-delà de toutes autres institutions sociales, ils sont en quelque sorte une forme de privilège garant d’une protection (sociale, économique…). A de nombreuse reprises A. BARKSDALE aide financièrement sa famille, il assure également aux jeune comme D’ANGELO (son neveu) une place au sein du gang donc une source de revenu pour celui-ci. Cependant la famille ne repose pas uniquement sur ces liens, si l’on reprend l’étude de J.KELLERHALS sur « la sociologie de la famille », la parenté repose sur trois piliers : Ceux à connotation biologique (exemple : liens du sang), ceux à connotation juridique (exemple : droit, devoir…), ceux à connotation sociale (exemple : affinité). « The Wire » reprend un à un ces piliers, le tableau ci-dessous nous les détails à travers quatre familles recomposées. 103 Tableau 2 - Le rôle des piliers de la parenté dans The Wire Les adultes dans la société Les adolescents dans la société Bubble et Sherrod Colvin et Namond Bubble est un junkie multi récidiviste qui tente de s’en sortir. Colvin est un ancien colonel de la brigade criminel, reconverti dans le milieu scolaire. Sherrod est un jeune à la rue non scolarisé. Lien affectifs entre l’adulte et l’adolescent Bubble s’identifie à Sherrod et tente de le remettre dans le droit chemin. Il le réinscrit dans le milieu scolaire et lui trouve un toit. Sort final des adolescents Sherrod finit par mourir (de la drogue) dû à un manque d’attention de Bubble. Liens de parenté Social Namond tente de suivre le parcours de son père dans le milieu de la drogue Lors d’un programme scolaire spécifique dont Colvin est le mentor, il se lie d’amitié avec Namond. Il décide alors de le prendre en charge. Namond est finalement adopté par Colvin et sa femme. Il change alors de vie et devient un enfant modèle. Social et juridique Prez et Duquan Prez est un ancien de la police mais après plusieurs conflits internes il devient professeur dans un collège. Duquan est un jeune livré à lui-même qui ne s’identifie pas au milieu de la rue Prez ayant pitié de Duquan, il lui vient en aide et lui apporte un soutien matériel (vêtements, fournitures scolaires) et affectif. Malgré l’aide de Prez, Duquan finit à la rue, quitte l’école et commence à se droguer. Social Carver et Randy Carver est un policier de la brigade criminel qui montera en grade au fil des épisodes. Randy est un jeune précédemment adopté, sans problèmes. Randy est au cœur de conflits entre gangs et police. Il perd alors sa famille d’accueil, c’est là que Carver décide de le prendre en charge pour le protéger. Carver finit par placer Randy dans un orphelinat où celui-ci y passera son adolescence et deviendra un « caïd ». Social et juridique L’analyse de ce tableau permet de faire plusieurs constats. Tout d’abord ce tableau montre que les liens de parenté peuvent être de diverses formes, mais que la stabilité de la famille repose avant tout sur les liens à connotation sociale. Il ne peut y avoir une construction identitaire à travers celle-ci, si l’affinité et la confiance manquent entre les individus. Donc le pilier commun à toutes les familles reste les liens sociaux entre membres. Viennent ensuite se greffer les liens de sang ou juridique. 104 Ensuite les relations de parenté qui reposent sur les liens du sang (famille Barksdale) ne garantissent pas plus d’harmonie et de confiance que si celles-ci reposaient sur des liens juridiques et sociaux. La confiance que gagne Colvin auprès de Namond engendre une coopération et une cohabitation entre eux très forte. Colvin décide notamment de « socialiser » Namond en lui inculquant des valeurs et des normes pour le réintégrer dans la vie sociale, par exemple Colvin l’emmène au restaurant et l’accueille sous son toit. Cependant, les liens à connotation biologiques semblent être une certaine garantie pour la vie future. Si l’on compare le « clan » Barksdale à Bubble et Sherrod ou Carver et Randy, on voit que le lien du sang offre une certaine stabilité à la famille et lui offre un certain pouvoir décisionnel. En effet malgré les efforts de Bubble et Carver pour sauver « leur » adolescent on voit que ceux-ci se heurtent à un problème, ils n’ont pas la capacité, le pouvoir de les réintégrer dans la société. En sommes quel que soit le lien de parenté, la famille semble être une instance de premier ordre où se construit chaque individu. Dès lors il est possible de faire ressortir une forme de reproduction à travers celle-ci. Les limites Selon Tajfel : « l’individu tente d’accéder à une identité sociale positive, ou de maintenir celle-ci, en s’efforçant de demeurer au sein du groupe qui lui permet de l’obtenir. Quand ce n’est pas possible et que cette identité sociale est insatisfaisante, l’individu, s’il le peut, quitte son groupe pour en rejoindre un autre plus gratifiant pour lui » (Vinsonneau, 1999) La famille n’assure pas toujours son rôle d’instance de socialisation, du moins les individus ne s’identifie pas toujours à elle. Si l’on reprend l’exemple de D’ANGELO, neveu d’A.BARKSDALE, qui est destiné à reprendre le gang de son oncle, apparaît les limites de cette institution. Pour illustrer ce fait voici le dialogue entre D’ANGELO et une avocate : -‐ D’ANGELO BARKSDALE: “Ya’ll don’t understand man. Ya’ll don’t get it. You grow up in this shit. My grandfather was Butch Stamford. Know who Butch Stamford was in this town? All my people, man, my father, my uncles, my cousins, it’s just what we do. You just live, with this shit, until you can’t breathe no more. I swear to God, I was courtside for eight months, and I was freer in jail than I was at home.” -‐ RHONDA PEARLMAN: “What are you looking for?” -‐ D’ANGELO BARKSDALE: “I want it to go away.” (Leverette, Ott, & Buckley, n.d.) Ici, D’ANGELO avoue que le milieu de la drogue et celui des gangs ne sont pas fait pour lui, il ne s’identifie pas à sa famille. Il veut quitter tout ça et recommencer une nouvelle vie, se construire une nouvelle identité détachée de son passé. Il dit notamment que c’est lorsqu’il était en prison qu’il se sentait réellement libre. Malheureusement il n’est pas aisé de quitter ce monde, il sera assassiné alors qu’il tentait de s’en sortir. Lors du second passage de la capsule vidéo, on peut voir Duquan accompagné de son ami Michael, qui en arrivant chez lui voit ses affaires empilées devant sa maison avec un avis d’expulsion accroché à la porte. Dans ce cas, ce n’est pas l’individu qui s’oppose à cette 105 instance, mais c’est l’instance qui impose sa réalité. Duquan n’a alors pas le choix, il doit se trouver un nouveau groupe pour se construire une nouvelle identité. Comme le montre le tableau c’est avant tout Prez qui jouera ce rôle. La famille est donc une instance de socialisation de premier plan, qui lorsque elle est stable, permet à l’individu de se construire une identité sociale qui lui permettra par la suite de s’identifier à tel ou tel groupe social. Cependant, comme toute instance, la famille connaît des limites, l’individu doit alors se détacher de celle-ci (de manière volontaire et forcée) pour soit s’en trouver une nouvelle, soit se construire par le biais d’une nouvelle institution. III. L’école : « Une démocratisation désenchantée » (Bourdieu) L’école, un outil de reproduction sociale Après avoir montré que la famille est une instance de socialisation en défaillance, qu’elle ne joue pas son rôle de socialisant en inculquant les normes, les valeurs et un comportement social permettant de vivre en société, nous allons nous intéresser à l’école et son rôle dans la construction d’un avenir. Selon Durkheim (XIXème), l’école à un rôle de socialisation car elle contribue à l’élaboration de la personnalité sociale. L’école homogénéise la société en transmettant des normes et des valeurs (la laïcité, le respect, la tolérance,…) sans différencier les individus. Elle a pour but de préparer les élèves à vivre en société. Elle a une visée égalitaire (Fillou Jean Claude, 1993). Mais au XXème siècle, Bourdieu apporte une nouvelle conception de l’école. Pour lui, l’école est un outil de reproduction d’inégalités sociales. En effet, les fils d’ouvriers auront tendance à rester dans cette catégorie socioprofessionnelle, les fils de cadres, cadres (Troget, 2012). Dans « The Wire », ces deux approches se confrontent. Nous avons choisi de nous focaliser sur la saison quatre, illustration frappante du système scolaire et de son échec dans les quartiers défavorisés. Nous suivons dans cette saison la classe de 3°A du collège Edward Tilghman dont le professeur principal (Prezbelewski) ancien policier, débute comme professeur. Nous verrons comment un système scolaire inadapté fabrique de la reproduction sociale. Des théories problématisent l’échec scolaire dans les milieux défavorisés comme le résultat des jeunes issus de ce milieu. Or, dans « The Wire », David Simons réfute ces théories et montrent comment le système scolaire reproduit les inégalités, ce ne sont plus les élèves des quartiers qui seraient responsable de leur échec scolaire mais bien le système. Le premier épisode nous met immédiatement dans l’ambiance. En premier lieu, l’échec vient du personnel, des professeurs n’ont ni qualification, ni expérience dans le milieu éducatif, c’est notamment le cas pour Prezbelewski, professeur de mathématiques qui n’aura pas de diplôme avant « l’an prochain ». Il est engagé par le collège pour « manque de personnel » (épisode 1, 22minutes), ce à quoi Marcia Donnelly, la principale adjointe, répond « Pour l’abattoir c’est par ici ». Le mot « abattoir » est fort en sens et annonce la couleur à Prezbelewski, une épreuve difficile, il va devoir s’attendre au pire. Le vocabulaire employé tout au long de cette saison, nous montre que pour les professeurs, l’école semble être plus un lieu de « survie » 106 (épisode 8) que d’épanouissement professionnel. De plus, avant la rentrée scolaire, les professeurs assistent à une réunion dont le seul but est de les motiver, les convaincre qu’ils sont capables d’enseigner, en répétant « Je suis compétent et sympathique ». Lorsque les collègues de Prez racontent leurs « mésaventures » avec certains élèves (cf vidéo séquence deux), celui-ci parait totalement abasourdi et désemparé devant de tels méthodes et de tels comportements. Son appréhension grandissante pour la rentrée se ressent lors d’une réunion en comité restreint avec les autres professeurs de la 3°A qui leurs conseil de « gardez les fenêtres fermées, ça les endort, ce qui est plutôt une bonne chose » (épisode 2, 47min). Le manque de qualification des compétences professeurs va de pair avec une ambiance chaotique dans les classes (cf vidéo séquence deux). Effectivement, dès le début de la rentrée, Prezbewlski n’arrive pas à obtenir le calme et l’intention de ces élèves, c’est donc Randy, qui crie un « Shut up » afin d’amener le silence dans la classe, calme qui ne dure que quelques minutes (épisode 3). Tous les moyens sont bons pour les élèves de détourner l’intention du cours et de trouver des sujets de débats qui n’ont pas lieu d’etre en cours. Prez est sans cesse interrompu par des insultes, « André va baiser cette pute », « la ferme », « ta gueule salope », aura des difficultés à se faire entendre. Les élèves s’insultent, se lancent des papiers mais ils voient cela comme un jeu. Ce sont eux qui font les règles et qui décident de quoi ils parlent (ancien métier de Prez, des sportifs,…), les professeurs n’ont aucun contrôle, ni autorité sur les élèves « va te faire foutre Prezbo, enculé d’estropié aux grandes dents » (réplique de Namond épisode 5). Prez le renvoi de cours et lui donne une retenue, cela ne semble pas déranger Namond qui réplique « sortez vos matraque et tabassez moi » pour lui ce n’est qu’un jeu, il veut montrer qui est aux commandes, acquérir un statut dans l’école avec un comportement déviant qu’il pourra retranscrire dans la rue. Le manque d’autorité de Prez se traduit aussi par le nom que lui donnent ces élèves : Mister P. Cependant, la fin de l’épisode 3 (séquence 2 de la vidéo), est la scène la plus révélatrice des difficultés que rencontre ce collège à maitriser le comportement des élèves. Tout commence par une dispute qui éclate entre deux élèves, une qui ébloui l’autre grâce à sa montre et le soleil. Cette altercation prendra une ampleur démesurée lorsque « la victime se jette sur sa camarade, lui taille la joue, l’inonde de coups et l’insulte. Prez est totalement impuissant face à cette situation. Mais le problème de discipline n’est pas uniquement dans la classe de Prez, il est partout. On le voit notamment dans l’épisode 3, quand la cloche sonne la fin des cours, c’est le chaos dans le couloir, les élèves poussent les adultes, se lancent des boulettes de papiers, se bousculent entre eux. On peut ici faire un parallèle avec la rue et la prison. En effet, la prison est la sanction d’un comportement « déviant » considéré par la société, et va à l’encontre du « vivre ensemble ». La prison est donc une sanction dissuasive qui doit permettre aux prisonniers de ne plus reproduire des actions qui vont à l’encontre de la vie en société. Mais à Baltimore, la prison n’est pas vue comme une sanction mais plutôt comme une étape dans l’acquisition d’un statut. La prison est la retenue de la rue. Comment peut-on apprendre à des élèves à se forger un avenir, prétendre inculquer des valeurs et des normes si les professeurs n’ont aucune compétence, ne savent pas comment réagir face à une situation ? Les élèves profitent des faiblesses et testent les professeurs en jouant à la loi du plus fort. Le collège n’est qu’un entrainement du comportement qu’ils 107 doivent avoir dans la rue afin de gagner le respect des leurs. Au final, une fois sorti de l’école, ils savent à peine compter (cf conclusion). Ainsi, l’école est un outil de reproduction sociale. Une école, mais laquelle ? Cependant, le collège va mettre en place des moyens afin de tendre vers une vision Durkheimienne et donc aller dans le sens d’une égalité. La difficulté avec ces élèves c’est qu’ils ne voient aucune utilité à l’apprentissage scolaire, il faut donc trouver des méthodes pour les intéresser et prendre des exemples concrets qui peuvent leur servir dans la vie de tous les jours. Pour Prez, le meilleur moyen d’enseigner aux élèves est « d’apprendre sans qu’ils aient l’impression d’apprendre ». Il va donc faire travailler les élèves en groupe de façon beaucoup plus ludique. Il apprend que les parties de dés est un jeu courant dans la rue. Pour étudier les probabilités, il va mettre à profit cette information, les faire jouer, parier de l’argent (billets de Monopoly) afin qu’ils s’identifient au mieux aux lois de la rue qui sont les seules lois qu’ils suivent. Même, si cette méthode d’enseignement est loin d’être celle imposée et approuvée par le système scolaire, elle semble fonctionner. Une expérience est mise en place par Colvin, ancien agent de police, à la tête du projet Amsterdam (saison 3). Pour tenter de limiter une accumulation trop importante du retard scolaire Colvin va différencier les « Corner kids » (gamin des rues) et les « Stud kids ?» (gamins des porches). Les premiers sont considérés comme des élèves appartenant à la rue et suivant les règles de celle-ci, des futurs dealers. Alors que les gamins des porches sont capables de rester assis pendant le cours. Le principe de cette expérience est d’extraire des classes les corners kids (les 10 élèves de troisième considérés comme les plus gros fauteurs de trouble) et de les rassembler afin que les stud kids ne subissent pas et ne soient pas entrainés dans le comportement déviant de leur camarade. Dans ce groupe, les professionnels (psychologues, professeurs) ne vont pas chercher à enseigner le programme scolaire imposé. Le but ici est de leur apprendre d’avoir un comportement convenable, une bonne éducation et de voir si cet apprentissage peut leur permettre d’échapper à la reproduction sociale. Ainsi, tout le monde est gagnant, les professeurs peuvent donner leurs cours dans une ambiance plus calme et permettre aux élèves d’apprendre dans de meilleures conditions. Pour ces élèves isolés dont le système scolaire est clairement inadaptés, cette expérience est une façon de leur montrer que l’école n’est pas présente uniquement pour les apprendre à lire, compter,… mais à leur inculquer des valeurs qui leur permettront de construire leur avenir. Les élèves transgressent délibérément les règles afin de se faire renvoyer de l’école quelques jours. Or, un des principes de cette expérience c’est que les élèves ne peuvent plus se faire virer, leur présence est obligatoire même si ils poussent leur comportement à l’extrême. Ils vont ainsi comprendre au fur et à mesure qu’il ne sert à rien de ne pas adopter le comportement que l’on attend d’eux. Ainsi, on suit leur évolution au fil des épisodes, leur comportement s’améliore nettement, ils vont davantage leur apprendre à avoir confiance aux autres, faire des travaux en groupe, bref créer un « vivre ensemble ». Colvin considère cette expérience comme un « entrainement pour la rue » (épisode 8) sans danger, tout est donc permis. Cette expérience est l’exemple le plus frappant pour montrer l’inadaptation du système scolaire au milieu défavorisée qui n’ont que pour repère les lois de la rue, où on leur apprend la loi du plus fort et que l’école n’est pas nécessaire pour devenir un bon dealer, il 108 suffit simplement de savoir se faire respecter, ce que nous montre les « corners kids » en jouant les caïds au sein du collège, ils cherchent à gagner le respect, a montrer qui est le plus fort afin de reproduire ce comportement dans la rue. Grâce à cette expérience, Colvin souhaite une égalité des chances, aider ces élèves à se construire un avenir différent que de celui de leur parent. Pour terminer, à la fin de la saison, les élèves doivent passer un test (qui correspond au brevet en France) afin de voir les compétences qu’ils ont acquis. Les subventions que l’Etat donne aux écoles dépendent du résultat de ce test, des mauvais résultats traduiraient une inefficacité des professeurs, et donc une baisse de ces dernières. Le système scolaire oblige donc à respecter un programme. Mais étant donné que les élèves du collège Tilghman n’ont pas le niveau nécessaire pour réussir ce test, l’école va mettre en place un système d’enseignement au test, « on n’enseigne pas les maths, on enseigne le test ». A l’approche de cet examen, le but n’est plus d’apprendre aux élèves à réfléchir, mais de leur apprendre les résultats du test afin que le collège puisse garder les subventions de l’Etat dont il ne peut se passer. Se pose alors le problème de la vision Durkheimienne, comment tendre vers une égalité si les subventions ne reviennent qu’aux collèges où la réussite est déjà acquise ? L’école est donc un facteur de reproduction sociale dans la mesure où les élèves une fois sorti du système scolaire pour la plupart finiront dealer. Défendre l’’idée qu’une des valeurs du système scolaire est l’égalité des chances, c’est-à-dire que toute la population quelques soit son origine social ai une connaissance commune semble utopique. Le processus de reproduction est accentué par le manque d’expérience du personnel qui a des difficultés à se faire respecter et qui arrive dans un milieu que souvent il ne connait pas. N’ayant pas de repère stable, ils se rattachent aux lois de la rue et considère le collège comme un entrainement du futur. Pour eux, le futur n’est pas de trouver un emploi stable, devenir cadre ou avoir une profession élevée, ils ne veulent que gagner le respect des autres, faire partie du trafic de drogue et pouvoir faire vivre les siens. Une mobilité sociale ascendante semble donc difficile. Cependant, certains élèves (Namond) semble échapper à cette fatalité grâce notamment à des expériences et de nouvelles méthodes qui s’opposent aux méthodes habituelles afin d’éviter une reproduction sociale. Le système renforce d’autant plus les inégalités que les résultats des tests procurent des subventions, plus les résultats sont bons, plus les écoles vont toucher des subventions. Or comment peut-on légitimer ce principe de récompense alors qu’on est à la base même de l’inégalité ? En obligeant à suivre le programme et à ne pas s’adapter au public et aux conditions de celui-ci, le système scolaire est donc facteur de reproduction sociale. IV. Conclusion: La reproduction sociale est un ressort scénaristique présent dans de nombreuses séries de façon implicite. D’après cette étude, la famille et l’école sont des instances de premier ordre agissant sur la construction de soi. Les processus de reproduction social se mettent alors en place pour transmettre des normes et des valeurs. Cependant, la volonté de l’individu à se 109 construire une nouvelle identité montre que le milieu d’origine n’est pas totalement déterministe. Lorsque ces instances n’assurent plus leur rôle d’agent de socialisation, des institutions secondaires prennent le relais. Dans cette série, le gang sera la principale référence de ces jeunes adolescents qui s’identifient davantage à la rue qu’aux institutions étatiques et familiales. Bibliographie Claude Dubar. (2011). La socialisation (p. 65). Fillou Jean Claude. (1993). Emile DURKHEIM. Perspectives : Revue Trimestrielle D’éducation Comparée, XXIII, 305–322. Jean Etienne, Francoise Bloess, Jean Pierre Noreck, J. P. R. (1995). Dictionnaire de sociologie. Hatier. Leverette, M., Ott, B. L., & Buckley, C. L. (n.d.). It’s not TV. Watching HBO in the posttelevision era. Routledge. Troget, V. (2012). Bourdieu et l’école : la démocratisation désenchantée. Vinsonneau, G. (1999). Inégalités sociales et procédés identitaires (pp. p34–35). 110 4 Affiner. Des personnages entre groupe social et hiérarchie paysage, Chapitre X. The Wire, les effets de lieu Dorine Grasso La réussite d’une série passe inévitablement par la création de personnages à forte identité. Un spectateur va ainsi pouvoir s’attacher à un personnage, s’en amuser ou encore le détester ; dans tous les cas, il n’en restera pas indifférent. C’est pourquoi nous pouvons affirmer qu’une série, c’est avant toute chose, des personnages. Le jeu des acteurs incarnant ces derniers, met en scène le scénario pour lequel il représente une réelle utilité. « The Wire » n’échappe pas à cette spécificité qui différencie les séries et films des documentaires ; bien au contraire, « The Wire » c’est un point de vue. Le point de vue d’un réalisateur incorporant l’ensemble de ses expériences journalistiques et personnelles, nécessitant une mise en scène. Dans The Wire, le réalisateur préfère se focaliser sur la qualité du jeu d’acteur plutôt que sur des mises en scènes extravagantes que l’on aperçoit bien trop dans le milieu des séries télévisées. Or, nous nous demandons en quoi « The Wire » serait une série intéressante à traiter, géographiquement parlant. Les notions d’environnement physique et d’environnement sensible sont ici abordées. Elles permettent de distinguer les choix formels relatifs à une scène (un lieu par exemple) et les choix d’ordre sensible (un fond musical, la beauté d’un paysage, une expression…). L’environnement physique définit l’ensemble des éléments naturels, artificiels dans lequel se déroule la scène ; il s’agit du milieu, du cadre de vie. Tandis que l’environnement sensible fait appel aux éléments subjectifs d’une scène ; il s’agit de tout ce qui n’est pas matériel, que l’on ne peut toucher. En quoi l’analyse des rapports entre émotions et type d’environnement (sensible ou physique), peut-elle apporter un regard constructif sur la série ; y a-t-il une corrélation entre jeu d’acteur et effets de lieu? Pour répondre à cette double question, nous allons procéder dans un ordre particulier. Il s’agit de saisir d’abord qui réalise pour pouvoir ensuite comprendre comment il réalise. Une fois en possession de ces informations, nous pourrons relever la place particulière qu’occupe l’environnement sensible dans la réalisation de cette série. Cette analyse nous permettra également de remettre en question la neutralité du réalisateur. I. L’objectif sensible de David Simon Outre la précision de ce jeu d’acteur, dans sa série, le réalisateur David SIMON utilise parfaitement les deux différents environnements cités précédemment. Il les combine de sorte à donner une véritable identité aux scènes ; mais ses méthodes employées étant multifonctionnelles, elles attribuent également une identité propre à chaque personnage. Dans cette série, un même personnage peut d’ailleurs être le sujet principal le temps de quelques épisodes ou d’une saison entière, puis se retrouver au second plan l’épisode suivant. Il en est 112 de même avec leur identité ou du moins leur personnalité versatile, que David SIMON choisit de modifier tout au long des 5 saisons constituant la série (comportement irresponsable du personnage de Jimmy McNulty qui devient un père de famille tout ce qu’il y a de plus respectable, pour ensuite revenir à ses vieux démons, par exemple). Pour comprendre ce changement souhaité par le réalisateur, il faut s’intéresser à l’objectif visé par ce dernier lors de la conception de « The Wire », ainsi qu’à sa propre histoire. Pour ce faire, il est intéressant de visionner la première partie « The Wire, pourquoi ? », de la capsule correspondant à ce chapitre. David SIMON admirait quelques journalistes du New York Times, qui ne se mettaient jamais en avant dans leurs articles. Luimême n’avait aucune envie de le faire et ne projetait pas pouvoir le faire un jour. Il lit également depuis tout petit des pièces de Shakespeare, sur les conseils de son père, ce qui lui apporte un véritable bagage culturel. Il est également fasciné par les histoires de quelques journalistes qui écrivaient sur les gangsters et joueurs ; en un mot la pègre du New York des années 1920 et 1930. Des histoires qui n’étaient que difficilement plausibles, mais que David SIMON trouvait absolument géniales. Ses références étant essentiellement une littérature romanesque et un journalisme criminel, le réalisateur se créé une série sur-mesure lui permettant d’exprimer à la fois toute la palette de son talent, ainsi que ses opinions personnelles profondes. En effet, David SIMON accuse délibérément « le pays des hommes libres » -à savoir les Etats-Unis- d’être le théâtre d’une division profonde et visible entre riches et pauvres, qui, petit à petit, fait sombrer les Etats-Unis dans l’abomination (ou pour reprendre ses termes, dans un « spectacle terrifiant »). Ces propos acerbes à l’intention de son pays ne reposent pas sur une simple spéculation de sa part; il eut réellement l’occasion de mûrir sa réflexion. Du début des années 1980 jusqu’au milieu de la décennie suivante, David Simon travaille comme reporter au Baltimore Sun, suivant comme une ombre la police criminelle de la ville. Un quotidien sordide qu’il raconte « avec la minutie d’un sociologue et la sensibilité d’un grand romancier », notamment dans la série « The Wire ». Il fait une critique acerbe du capitalisme et d’un monde globalisé mesuré par le soucis de profit, qui accentue progressivement les inégalités sociales. « Il est désormais évident qu’il y a deux Amériques. J’habite l’une d’elles, qui fait partie de l’Amérique viable (…) On a plongé dans l’avidité (…) Le mot « socialisme » est un mot sale dans mon pays. The Wire parlait de gens de peu de valeur, qui ne sont plus nécessaires, comme peut-être 10 ou 15 % de mon pays, à la marche de l’économie. » David SIMON au festival des idées dangereuses, à Sydney Décembre 2013 Il y a beaucoup de contenu politique dans « The Wire », et c’est cette implication de la part du réalisateur qui permet à la série de démontrer une certaine affection pour l’être humain ; cependant le débat derrière l’organisation de ces êtres humains est traité de manière moins affectueuse. Pour SIMON, la seule manière de faire du bon boulot, est de suivre les gens dans ce qu’il appelle ce « jeu truqué ». Dans sa réalisation de The Wire, le spectateur se 113 rend compte progressivement que les personnages sont bien souvent débordés par les évènements et qu’ils font de mauvais choix, des écarts de conduite ; ce qui en fait manifestement des êtres humains. Leur point de vue a de l’importance et si le réalisateur arrive à se mettre à leur place ou à épouser leur point de vue, tout en révélant au spectateur les failles de chaque personnage ; il tient là, une histoire qui a du sens. Cet engagement politique et cette prise de position est en contradiction avec le sentiment de neutralité que ressent le spectateur lors du visionnage de la série. Effectivement, des dealers de drogue aux consommateurs, en passant par les ouvriers et les fonctionnaires de police ; tous font l’objet d’une mise en avant de la part du réalisateur. Les points de vue de chaque personnage sont montrés, ce qui les rend attachants car humains. Le spectateur s’immisce dans leur quotidien, voit tout aussi bien leurs défauts que leurs qualités, ce qui crée une certaine proximité entre le spectateur et le personnage. David SIMON ne rajoute pas de superflu ou d’excentricité complètement loufoque, comme le font généralement les réalisateurs de séries TV (séries policières comme les experts par exemple, dont la perception de la police scientifique est totalement faussée par une mise en scène trop importante); « ils sont humains, voilà tout ». Pour David Simon et Ed Burns (anicien policier de Baltimore et co-créateur de la série), The Wire doit rendre compte aux spectateurs de la multiplicité des rapports sociaux de classes, de races, qui composent une ville, un quartier, une institution (scolaire, policière, judiciaire…), un couple. Car « The Wire, presque seule en cela parmi les séries contemporaines, aura su se passer de la figure du héros individuel ». En effet, les auteurs ont veillé à ce que les spectateurs ne s’identifient pas (ou peu) aux personnages. En présentant de nombreuses figures, en modifiant leur importance entre les épisodes et entre les saisons, en ayant recours à la mise à mort de personnages qui deviennent charismatiques au fil des épisodes ou en montrant les aspects négatifs de personnages pour lesquels on peut manifester de l’empathie, les réalisateurs empêchent l’identification prolongée des spectateurs aux personnages. On pourrait donc croire à un regard neutre de la part du producteur, s’il n’avait pas cet engagement politique qui le pousse d’ailleurs à créer le scénario de « The Wire ». Tout est orienté vers son point de vue. Le spectateur s’en rend véritablement compte à partir de la saison 4, et cela va crescendo jusqu’à la fin de la série, lorsque SIMON traite des personnages politiques. Il s’agit peut-être là du seul point, avec le jeu d’acteur et la présence d’un scénario, qui différencie « The Wire » d’un documentaire. Pour rappel, un documentaire est une production audiovisuelle représentant la réalité de façon non fictive, qui informe et propose une analyse d'un sujet. II. Traduire une émotion David SIMON utilise donc différentes méthodes pour traduire son point de vue, et cela passe par l’envie de dégager des émotions lors de chaque scène clé. Il existe plusieurs angles « d’attaques » pour libérer une émotion ; le travail du dialogue (le choix des mots, 114 l’intonation,…), le jeu d’acteur (expressions faciales utilisées, gestes, posture…), la méthode de réalisation (prise de vue, effets de lumière, fond sonore, utilisation de codes romanesques…) ou encore le choix du décor (lieu, éléments physiques, couleurs…). Tout cela est indispensable à la création d’identité de personnages d’une part, mais également à la mise en scène de différents effets de lieu. Cette dernière notion consiste à dire, entre autres choses, que la situation spatiale d’individus, révèle leur organisation sociale et leur comportement en société. La problématique de l’effet de lieu fait l’objet d’un chapitre entier dans le premier manifeste de la « Géographie sociale » (Frémont, Chevalier, Hérin, Renard, 1984). Dans l’introduction du chapitre, les auteurs posent successivement trois questions : « Dans l’organisation des sociétés humaines, existe-t-il un ‘effet de lieu’ ? l’espace intervient-il comme facteur explicatif et isolable de l’organisation sociale? Et de quelle manière ? » Ils considèrent que la question de l’effet de lieu participe à l’importance de l’espace dans les faits sociaux et préconisent « d’examiner à toutes les échelles, les rapports géographiques, c’est-àdire les rapports entre les hommes et les lieux. » Aujourd’hui, la prise en compte de la part explicative de l’espace dans les faits sociaux se fait naturellement en géographie. Le terme employé, désignant ce phénomène n’est autre que « géographie humaine ». Dans le champ du social, les effets de classe ne sont jamais détachés de l’espace, au contraire, ils s’y inscrivent avec force et suscitent des représentations qui en retour peuvent durcir les rapports de classe. Il faut prendre en compte l’inscription spatiale de groupes sociaux. Dans cette perspective, Pierre Bourdieu (La misère du monde,1993) énonce la constatation que la position dominante ou dominée des groupes dans la société, est confortée par des « effets de lieu. Méthodes de réalisation Paradoxalement, à la création de la série, le showrunner qu’est David SIMON ne possédait aucun bagage technique concernant les choix de réalisation. Il se concentrait uniquement sur l’émotion que dégageait la scène et se plaçait donc parfois en spectateur. « Je n’ai jamais pris de cours de réalisation, je ne sais pas faire la différence entre un objectif et l’autre, et je n’ai aucune idée de là où il faut placer les lumières. Je me fie essentiellement à ce que je vois à l’image ». Le moteur de SIMON est le réalisme ; il souhaite qu’une image, une scène ait l’air réelle. Il précise alors un point important dans la recherche d’une réalisation réaliste : la position de la caméra doit être judicieuse. La caméra ne doit jamais en savoir plus que l’un des personnages de la scène. Si elle est en avance sur ce qui va se passer, il s’agit alors, d’une annotation éditoriale. Ce qui différencie The Wire des autres séries est donc l’envie, de la part du réalisateur, de traiter le téléspectateur comme quelqu’un d’intelligent. Ce dernier doit en effet patienter, observer et analyser pour finalement comprendre ce dont l’histoire et les personnages parlent. C’est d’ailleurs peut-être à cause de ce point, que la série n’eut pas le succès qu’elle méritait ; le téléspectateur n’étant pas habitué à devoir réfléchir pour comprendre une série télévisée. Un exemple se trouve dans une scène de la saison 4. Alors 115 que David SIMON était absent du tournage ce jour là, son remplacent omet un détail contredisant alors sa vision. Dans cette scène de la saison 4, Snoop et Chris [les bras droits de Marlo Stanfield, le caïd du deal de drogue des dernières saisons, ndlr] viennent de tuer un agent de sécurité et ont laissé son corps dans une maison abandonnée. On les voit marcher le long des maisons, et Snoop tient le badge de l’agent, comme un souvenir. Chris lui arrache des mains, et le jette dans l’herbe. Si le remplacent du réalisateur s’était tenu à la logique filmique de The Wire, voici à quoi la scène aurait dû ressembler : Chris prend le badge, un plan le montre en train de regarder ce badge, puis il le jette dans l’herbe. Fin. Or, dans la version diffusée, Chris prend le badge, il le jette dans l’herbe et là, un rapide plan montre le badge dans l’herbe, pour qu’on comprenne bien de quoi il s’agit. C’est une erreur. Pourquoi la caméra va-t-elle dans l’herbe ? De quel personnage est-ce le point de vue ? La caméra aurait dû suivre le regard de Chris ; pas celui d’une caméra extérieure, qui sous-entend presque que le badge va être retrouvé par quelqu’un d’autre, que ça va devenir une preuve. La gestion de la lumière faisant également partie des choix de réalisation, David SIMON admet ne pas attacher d’importance au fait que le téléspectateur soit amené à ne voir qu’une moitié du visage d’un personnage, lors d’un scène trop sombre. Du moment que la scène se déroule la nuit ou alors dans un bar plongé dans la pénombre, la lumière perçue à l’écran doit être la même que celle, présente dans les conditions de tournage. Le jeu d’acteur De même que la réalisation doit suivre au plus près la ligne du réalisme, le jeu des acteurs est le point essentiel par lequel passe la volonté du réalisateur, de traduire une émotion. En effet, si l’on fait abstraction de l’environnement physique de la scène, les expressions utilisées par les acteurs ; ajoutées à l’absence d’éléments de distraction (comme une ambiance sonore par exemple), sont les premières images que le téléspectateur est amené à observer. C’est donc cette précision que nous allons traiter dans cette partie. La meilleure illustration possible de mes propos passe par un tableau comparatif entre dialogue et jeu d’acteur, propres à une seule et même scène. Nous allons ainsi pouvoir, dans un premier temps, mesurer la corrélation entre une citation de personnage et son influence sur les expressions des personnages environnants. Alors qu’il est difficile de prouver le réalisme des dialogues au sein d’une série télévisée, puisque scénarisés, l’objectif de ce tableau comparatif est d’abord d’examiner la pertinence des rapports entre le choix des dialogues et le jeu d’acteur, principalement l’expression des regards. Cela nous donnera un premier aperçu de la méthode par laquelle David Simon fait passer sa volonté de traduire une émotion. Le sujet de ce tableau est une scène de l’épisode 7, saison 1 (30’-36’). Il s’agit du monologue interprété par le personnage Whalone, toxicomane, lors d’une réunion aux narcotiques anonymes. 116 Figure 31 - La relation entre les discours et les expressions Ici, les citations sont poignantes et leur puissance est décuplée par l’observation de leur impact sur les expressions des personnages environnants. Ainsi, dans certaines de ces images, nous pouvons facilement transposer le jeu de regard des acteurs avec nos propres expressions, lors de situation amorçant une expression similaire. La deuxième capture d’écran transmet un sentiment de compassion par exemple, devant un homme désespéré de se sortir des griffes de sa maladie. Une phrase comique au milieu d’une atmosphère pesante et le caractère de la scène se voit complètement changé l’espace d’un instant. C’est cette proximité entre la série et la réalité, qui est illustrée dans la deuxième partie de la capsule vidéo relative à ce chapitre. En effet, un montage fut réalisé à partir de deux vidéos différentes. L’une est la scène de The Wire abordée plus haut dans le tableau ; l’autre partie est un témoignage du footballeur argentin mondialement connu, Diego MARADONA, ancien toxicomane. Le montage révèle, que le discours que peut tenir une personne réellement existante ; même s’il n’est pas le même que celui, présent dans la scène étudiée précédemment ; est complémentaire du jeu des personnages. Chaque vidéo est une réponse à l’autre, chaque vidéo est l’amorce de l’autre. Voilà une occasion de prouver une fois de plus, 117 la méthode de réalisation réaliste de David SIMON, passant principalement par l’émotion se dégageant du jeu des acteurs. La transposition d’images réelles et fictionnelles est étonnamment concomitante ; l’interaction entre environnement physique de la scène (méthode de réalisation) et environnement sensible (jeu d’acteur, émotions transmises) en est significative. L’alternance de rythmes permet à la personne regardant ce montage, de se rendre compte de cette concomitance. L’absence de musique dans la capsule, est fidèle au réalisme du réalisateur dans la série. III. Illustration de la notion d’effets de lieux, par l’analyse de scènes Maintenant que l’on a confirmé la corrélation entre jeu d’acteurs et dialogue, et que l’on a relevé le réalisme des émotions transmises par les personnages ; nous pouvons aborder la question des effets de lieu. Ce terme consiste à dire qu’un lieu possède une identité favorisant bien souvent une même émotion. Peu importe la scène, le lieu fait que sa structure reste la même, ce qui engendre une émotion en majorité semblable. Pour illustrer cette hypothèse, nous allons passer par l’analyse des plusieurs scènes se déroulant dans un même lieu. Le choix s’est porté sur le bar, qui est, dans la réalité comme dans cette fiction, un lieu d’échanges et de mixité sociale. Figure 32 - Faire la fête à Baltimore Dans cette scène de l’épisode 10, saison 1, l’on constate des visages aux expressions « ouvertes ». De nombreux sourires viennent égayer la scène qui est réalisée principalement en gros plans. Ici, le personnage de Kima (avec le berret sur la tête), raconte une anecdote ; elle revient sur l’événement qui lui a donné envie d’entrer dans la police. Un retour dans le passé à la fois drôle aux regards des expressions engendrées, mais également attendrissant. L’atmosphère de la scène est chaleureuse, les autres personnages sont attentifs à son discours. 118 Figure 33 - Kima, son histoire, et l'ambiance chaleureuse Dans la scène suivante, extraite de l’épisode 1, de la saison 2, nous pouvons très rapidement repérer la mise en place d’un « scénario » ; une routine due au lieu. Ici, les ouvriers d’un certain âge racontent le fonctionnement des docks lorsqu’ils commençaient à travailler. Les plus jeune écoutent attentivement, tout en y ajoutant quelques petites blagues. L’atmosphère est exactement la même que celle de la scène précédente, avec la différence que les personnages présents étant de nombreux hommes, le rythme de la scène est plus soutenu. Figure 34 - Une soirée dans le bar des dockers La dernière scène que nous allons analyser confirme une fois de plus la présence d’une même routine. Le personnage de McNulty partant de la police, un « pot de départ » lui est organisé. Dans cette série, lorsque les policiers enterrent l’un de leur collègue, ils l’allonge sur la table de billard dans le bar, racontent des anecdotes à son propos et chantent une chanson. Ici, le départ de Jimmy McNulty est considéré comme une mort, puisqu’il quitte la police. Figure 35 - l'enterrement de Mc Nulty (1) 119 Ambiance une fois de plus, chaleureuse ; avec des visages souriant venant ponctuer le discours du chef de la police criminelle. Figure 36 - L'enterrement de McNulty (2) Nous pouvons, après analyse de trois scènes se déroulant dans un même lieu, affirmer que la série The Wire comporte bel et bien des effets de lieu. Le bar étant un exemple parmi d’autres nous aurions pu tout à fait prendre un angle de rue où dealent les « corner boys », le canapé orange de la saison 1 (lieu de deal également), les planques de polices tout au long de la série ou encore le bureau du maire dans les saisons 4 et 5. Les exemples sont multiples, mais la trame des scènes se déroulant dans un unique lieu, est la même. IV. Conclusion En conclusion, après avoir analyser les rapports entre émotions et le type d’environnement, nous pouvons apporter un regard plus critique sur la réalisation de la série. En effet, de premier abord, il semble au téléspectateur que la série fait preuve d’un réalisme non contestable et non contesté dans ce chapitre ; il peut trouver également qu’elle a été réalisée de façon neutre par David Simon. Or, prenant en compte ses positions politiques ainsi que son vécu en tant que journaliste du Baltimore Sun exposées dans la première partie ; une telle neutralité se révèle impossible. Le réalisateur veut certainement ouvrir les yeux du téléspectateur. Il fait une critique des séries télévisées policières en rajoutant toujours des tonnes, et faussant ainsi le regard du public. Son intention en réalisant cette série, était aussi de révéler ce qui se passe réellement dans les rues de Baltimore aujourd’hui et certainement dans d’autres villes touchées par le trafic de drogues. En ce sens, The Wire ne peut être réalisée de façon neutre, mais fait néanmoins preuve d’un réalisme déconcertant. Deuxièmement, il paraît clair que les émotions d’une scène jouaient un rôle majeur lors de la réalisation des scènes. Que ce soit par la méthode de réalisation ou part le jeu des acteurs, l’environnement sensible d’une scène est maîtrisé jusqu’à ce qu’il coïncide au mieux à des scènes du réel. Ces deux points (réalisation et jeu d’acteur) relevés dans la deuxième partie du chapitre, sont entre autres choses, ce qui constitue un effet de lieu. Il existe bien une corrélation entre le jeu d’acteur et ces effets de lieu présents dans la série, puisque ces derniers composent principalement l’environnement sensible d’une scène comme celle du « bar ». Les expressions du visage mais également les choix de dialogue (et donc celui du 120 réalisateur) donnent un trame à des scènes comme celle-ci ; la présence d’un modèle insinue que celui-ci sera répété dans d’autres scènes se déroulant en un même lieu. C’est ainsi que les effets de lieu apparaissent dans The Wire. La série étant très complexe au regard du téléspectateur, ces effets de lieu peuvent également servir de « pauses » dans le visionnage de la série. Ces scènes, puisque répétées, sont plus simple à comprendre. Elles n’en sont néanmoins pas inutiles, puisqu’elles se trouvent dans la continuité du scénario de The Wire. Il semblerait qu’effets de lieu et environnement sensible d’une scène soient le choix de David SIMON, pour servir une série réaliste sur un quotidien se déroulant dans les rues de Baltimore. Sources www.theguardian.com http://www.youtube.com/watch?v=DNttT7hDKsk http://www.youtube.com/watch?v=1CYKN9nxtZY http://geographie-ville-en-guerre.blogspot.fr/2012/03/effets-de-lieu-pierre-bourdieu.html http://eps.revues.org/3609 121 Chapitre XI. « Are you staying in your own place ?! » Zoé Maserati Résumé : L’article s’interroge sur la mobilité des personnages de la série « The Wire ». Ces derniers se distinguent dans deux groupes sociaux (les dealers et les policiers). Ils se définissent par des codes sociaux liés aux espaces géographiques. Ces deux groupes rivaux fantasment l’un sur l’autre, entre poursuites et fuites. Ces interactions vont engendrer des affranchissements des limites des territoires assignés. Mots-clés : Mobilités, territoires assignés, codes sociaux, reproduction sociale, interstices, affranchissement. Un grand nombre de personnes, qu’on soit simple connaisseur ou grand fan, dit que « The Wire » est une série qui parle d’une ville. Ainsi, ce monde essaie de comprendre la place de la ville dans « The Wire ». Toutefois, une ville, tout comme une série, ce sont des personnages et des gens. On peut donc se demander quelle géographie des personnages existe dans « The Wire » ? Les géographes peuvent-ils s'emparer d'objets culturels pour traiter des grandes problématiques de la géographie ? Ces questions prennent part à notre recherche exploratoire sur la série TV « The Wire ». Elle est l'objet d'étude de notre recherche portant sur le lien entre géographie et médias. Notre but est d'aboutir à une approche géographique des médias, en particulier en ce qui concerne les séries TV. Ce qui relie ces deux ensembles est la géographie humaine. Notre objectif principal va être de tester la capacité de la géographie à s'emparer de nouveaux objets d'étude, qui semblent a priori incompatibles avec elle. On propose pour cela de se baser sur la définition de la géographie culturelle proposée par Lévy et Lussault dans leur Dictionnaire de la géographie de 2003 : l'approche par la culture des réalités géographiques. On s'intéresse à la façon dont on peut faire parler des objets culturels en termes géographiques. Notre média, la série « The Wire », représente donc un discours sur la réalité. « The Wire » se déroule dans la ville de Baltimore, dans laquelle de nombreux personnages vivent et s'approprient du territoire. Leurs déplacements permettent aux spectateurs de visualiser les différents endroits de la ville, bien qu'il nous soit difficile de représenter une carte des lieux de Baltimore en suivant l'intrigue de la série car la construction de chaque épisode passe d'un lieu à un autre sans transitions. Il nous est montré successivement que des parties de la ville sans liens spatiaux (du Central Business District à la cité, en passant par le port...). La série « the Wire » est produite par la chaîne américaine câblée HBO. Elle est payante, ce qui lui permet de s'affranchir des contraintes liées aux besoins financiers, notamment par la diffusion de « temps de cerveau disponible » (Le Lay, 2004). Ainsi financée par ses abonné-e-s, elle est en mesure de proposer des contenus de qualité, qui donnent à penser, dépassant le cadre du divertissement oisif. Ainsi, la série « The Wire » peut s'emparer 122 des réalités géographiques de Baltimore. En effet, la série réalisée par David Simons et Ed Burns dresse un univers, une fresque sociale et politique de la ville de Baltimore et de ses habitants. La trame narrative de la série TV « The Wire » consiste en des policiers qui mettent sur écoute un gang de dealer de la ville de Baltimore. On y suit des policiers, des travailleurs, des politiciens, des drogués. Le traitement est égal entre les gagnants et les perdants. Au fil des saisons, on traverse plusieurs lieux et divers aspects de la ville de Baltimore. Des saisons 1 à 5, les lieux varient des quartiers de la cité, aux dockers sur le port, le Central Business District avec les politiciens, l'école avec les collégiens puis les bâtiments de presse avec les journalistes. Le groupe de recherche ayant choisi d'adopter une approche géographique du média « The Wire », il semble que l'étude des personnages et de leurs rapports à l'espace de la ville, soit une approche intéressante. Nous axerons notre réflexion sur la relation entre les personnages aux espaces géographiques de la ville de Baltimore, ainsi que sur l'analyse des éléments d'ordre sociologique qui les définissent. Cette réflexion s'avise dès l'épisode pilot de « The Wire » dans lequel les identités propres des personnages sont cadrées et mises en scène. Le but du pilot dans une série TV est de présenter les différents personnages, de donner les repères et de répondre aux questions « Qui est qui ? et « qui fait quoi ? ». Si l'on part de la définition des séries TV proposée par Martin Winckler : « « Les séries télévisées sont une suite de feuilletons, de films ; d'émissions liés par une unité de genre, de forme, de sujet ou de personnages » (Winckler, 2012), les personnages font partie intégrante de la série. Ils en constituent l'intrigue. Suivant cette voie, dans l'épisode pilote ; c'est-à-dire le tout premier d'une série (le lancement), les créateurs présentent les personnages. Ils leur donnent à chacun ou chacune un rôle, ce qui implique également un espace assigné. Par exemple, « tu es flic, tu passeras la majeure partie de ton temps à l'intérieur, dans un commissariat », « tu es dealer, tes activités se passeront à l'extérieur, dans la rue ». En quoi les personnages de la série « The Wire » via leur mobilité peuvent s'affranchir de leur espace assigné ? Pour traiter cette problématique, notre réponse s'organisera autour de quatre points. Dans un premier temps, nous aborderons la question des deux mondes clos : les dealers versus les policiers. Puis, nous analyserons à l'intérieur d'un groupe social, celui des dealers, les normes et les codes d'appartenance à une même communauté. Dans la deuxième partie, nous traiterons de déterminisme social ; c’est-à-dire des schémas sociaux qui se reproduisent. Enfin, dans un quatrième point, nous proposerons une hypothèse explicative à la problématique : les personnages sont mobiles et s'affranchissent de leur territoire assigné en fonction de leurs compétences spatiales. 123 I. Deux mondes clos : les policiers versus les dealers Les policiers Dès l'épisode « pilot », sont présentés deux groupes sociaux : les dealers et les policiers. Chacun fonctionne en autonomie tout en fantasmant l'autre. Les flics ont une connaissance des dealers uniquement liée à leur objectif de les arrêter. Quant aux dealers, ils pensent connaître les tactiques et techniques des policiers dans les enquêtes menées contre eux mais ce n'est pas le cas, ils n’en ont que des représentations. Le constat de départ est le suivant : les dealers ont pour but de vendre la drogue dans la rue (aux « corners ») et d'écouler les stocks. Les policiers ont pour objectif d'arrêter les trafiquants. Tout cela consiste quelque peu en un jeu du « chat et de la souris » mais cela serait assez caricatural de résumer la série « The Wire » uniquement à cela. Il faudra réfléchir aux rapports d'acculturation des deux groupes sociaux. Nous y reviendrons plus loin (partie III). Nous verrons comment on observe et nous sont montrés ces deux groupes sociaux et leurs normes. Premièrement, les personnages ont des rôles assignés et des identités propres. Celles-ci sont visibles par l'appartenance à un groupe social, observable grâce à plusieurs paramètres : les vêtements, les lieux dans lesquels les personnages évoluent ainsi que leur manière de se comporter. Les deux groupes sociaux (policiers et dealers) se distinguent par leur « costume ». Parlons d'abord des policiers. Tous et toutes ont une plaque avec leur matricule de police. C'est le minimum qu'ils doivent avoir sur eux. En effet, nous remarquons que les flics plutôt en bas de la « chain of command » ne portent pas l'uniforme avec le képi, la chemise ornée de galons et médailles, la cravate, etc. Il est intéressant de relever que plus les policiers sont haut placés dans la hiérarchie, plus ils portent l’uniforme. C'est une marque de supériorité qui indique la subordination. Nous pensons aux commissaires, colonels, sergents de police tels que Rawls, Burrel, Jay Landsman ou encore Cedric Daniels. Ainsi, l'élément distinctif principal et minimum de la communauté des flics est la plaque matricule. Cependant, dans la série « The Wire », il arrive que les policiers patrouillent en civil dans les projects (ce sont des quartiers construits pour les populations très pauvres. Ils sont généralement le terreau propice au développement de la délinquance, du trafic de drogue et de la criminalité), dans ce cas, leur matricule n'est pas visible. Mais cela n'empêche pas de les distinguer des dealers, car leurs marques d'appartenance à leur groupe social s'étendent également aux lieux qu'ils fréquentent. Quand ils sont en civil et patrouillent dans les projects, ils sont en voiture. Cette dernière leur permet de garder une barrière physique de séparation avec le monde des dealers, bien que ce soit un espace d'appropriation éphémère, qui disparaîtra dès lors qu’ils sortiront de leur voiture. De plus, les dealers, par expérience, ont appris à reconnaître les flics en civil car ils ont intégré des manières de se comporter en étant flics. Cela persiste malgré les apparences vestimentaires qui changent et veulent être effacées. Cela se résume autour d'un concept formalisé par le sociologue Pierre Bourdieu, celui « d’habitus » (Bourdieu, 1972). Ce concept définit une manière d'être, une allure générale, une tenue, une disposition d'esprit, dont il est difficile de se détacher quand le personnage de la série TV appartient à un groupe social (et 124 qu'il est caractérisé par celui-ci). Plus précisément, Bourdieu définit « l'habitus » comme le fait de se socialiser dans un peuple traditionnel, donc d'évoluer dans un « système de dispositions réglées ». Celui-ci permet à un individu de se mouvoir dans le monde social et de l'interpréter d'une manière qui lui est propre et également commune aux autres membres de la catégorie sociale à laquelle il appartient. Ainsi, en appliquant ce concept à « The Wire », nous pouvons en déduire que les policiers acquièrent un capital social commun. Ces mêmes critères d’analyse, les vêtements, les lieux et l’habitus, s’appliquent bien évidemment aux dealers, et permettent de décrire leur groupe social. Ils se traduisent d’abord par un style vestimentaire XXL (j'approfondirai cette idée dans la deuxième sous-partie en parlant de la sociologie des codes vestimentaires), ils pratiquent l'espace des projects et des « corners » et zonent sur les perrons des habitations. Leur « habitus » leur fait appartenir à la communauté des dealers, ils grandissent avec et dans cette communauté. Nous pensons à l'exemple de Bodie, épisode 13 saison 4 « ça fait un bail que je fais ça. Je suis là dedans depuis mes 13 ans » (cf. capsule vidéo). Ces deux mondes clos (que représentent les dealers et les policiers) sont mis en scène par l'usage des décors mais aussi par la réalisation des épisodes dans des lieux qui existent réellement à Baltimore. Les groupes sociaux évoluent dans des espaces de vie correspondant à leur capital social. Par exemple, pour les dealers, qui ont une façon de vivre plutôt « posée », ils jouent, vivent et zonent sur des canapés installés dans des lieux de passage donc publics. Ainsi, le commerce de stupéfiant est à la vue de tous : il est intégré à la ville de Baltimore, et plus précisément au sein des projects. Le canapé, qui a une image de détente et de repos représente le mode de vie des dealers. Concernant les policiers, ils jouent dans le commissariat (ou dans la rue mais dans des voitures de police ; cf. capsule vidéo), qui est un espace hiérarchisé. Celui-ci représente donc le côté strict lié au métier de policier, notamment le maintien de l'ordre. Nous avons observé et relevé un certain nombre de normes qui régissent les groupes sociaux des dealers et des policiers, mais cependant, nous allons voir que ceux-ci sont soumis à des « plaquages » de représentation, dans une perspective stratégique. Les policiers et les dealers, bien distincts par des codes sociaux, se cherchent et se repoussent. Les flics ont l'objectif d'arrêter les dealers et ces derniers fuient la police. Ainsi, chaque groupe social a un prisme d'analyse pour reconnaître la cible recherchée ou fuie. Dans une situation donnée, pour choisir rapidement s'il faut s'enfuir ou rester, les dealers analysent les éléments sensibles des policiers. De même, les flics, reconnaissent ce qui semble être un « dealer », afin de l'arrêter. Ils se comportent en plaquant des représentations intégrées mentalement pour agir. De cette manière, que ce soit les dealers ou les flics, les personnages des deux mondes clos ratent ou captent des signes d'analyses qui ne sont pas toujours justes. Les dealers Maintenant que nous avons vu la façon dont se perçoivent les deux groupes sociaux (dealers et policiers), nous allons dans cette partie suivante, nous focaliser sur l'intérieur d'un 125 groupe social, celui des dealers. On analysera les normes et les codes d'appartenance à cette communauté en particulier. Les personnages sont définis dans leur identité et leur territoire par des codes sociaux, et notamment les vêtements. L'exemple marquant dans « The Wire » est le port du T-shirt blanc XXL par les dealers, ce même T-shirt vendu par Bubbs dans les rues pour gagner quelques dollars de subsistance. Figure 37 - Bubbles vends des t-shirt blancs XXL (saison 3) Dans les cinq saisons, les trafiquants en ont qu'ils soient noirs ou blancs. Cependant, les dealers dans les quartiers projects que l'on voit dans la saison 2 (axée sur les dockers) adoptent aussi le style XXL des dealers des pavillons mais cela surprend. Ils passent pour des caricatures des « gangsters » des ghettos. Ils s'approprient une personnalité et donc une identité qui n'est a priori pas la leur. Nous n'avons pas vraiment d'informations sur la situation familiale de ces dealers (blancs). Sont-ils dans le besoin financier, au point que les jeunes aillent dealer dans la rue ? Est-ce juste une facilité pour gagner de l'argent rapidement ? Nous pouvons émettre l’hypothèse que c’est une façon de s’insérer dans le système économique de Baltimore, ville en crise, dans laquelle un certain nombre d’habitants subsiste grâce au milieu illégal de la drogue. Il n’y a « aucune chance que le trafic de drogue y soit jamais démantelé, devenant le seul système économique possible » (Aarons et al., 2011) Ces personnages adoptent le style vestimentaire XXL (casquette, hoodies, T-shirt blanc et Timberland) des trafiquants aux « corners ». Cela leur permet d'intégrer une communauté bien définie par des signes distinctifs. Revenons sur le hoodie. Ce vêtement est important pour les dealers car sa large capuche permet de dissimuler leur visage lors de rondes policières afin de n'être pas reconnu. Par cet exemple, on pense également au changement de coiffure de Namond. Nous allons recontextualiser la situation de ce jeune, afin de mieux comprendre l’exemple utilisé. C’est un des collégiens dans la saison 4. Il vit dans le quartier des projects, tout près des « corners » où les deals sont effectués. Il est inscrit à l’école, dans une classe aménagée pour les élèves « indisciplinés ». Son père, Wee-Bey (appartenant au clan des dealers Barksdale) est en prison, suite aux arrestations à la fin de la saison 1. Sa mère veut qu’il reprenne la place de 126 son père dans le trafic de drogue afin d’honorer la hiérarchie que son père avait atteint. Ainsi, elle l’incite fortement à dealer. D’où le fait que sa mère veuille lui couper ses cheveux longs pour qu'il ne soit plus repérable de loin par les flics. Il se fait finalement des tresses africaines. On retranscrit ici le dialogue de la scène en question (saison 4, épisode 12. Cf. la capsule vidéo) : « - Donut, tu trouves ça bien ? - Pourquoi tu les rabats ? - Pour que la police me repère pas direct. - Et maintenant, ça sera : « hé va là-bas et attrape le ptit négro avec les tresses » Ce dialogue entre Namond et Donut montre que rien ne change malgré le changement d'apparence physique. Si un personnage a été dealer à un moment de sa vie (que cela représente quelques mois ou des années), il sera toujours identifié comme tel par les policiers. Ces derniers se souviennent des « faciès ». Les identités sont intégrées dans les esprits des flics. Nous avons à présent décrits les caractéristiques des deux groupes sociaux, à la fois, l’un par rapport à l’autre mais aussi à l’intérieur de chacun. Ces personnages vivent et grandissent avec leurs codes sociaux. Tel que nous venons de le voir, ils semblent installés dans une identité qui ne changera pas. Dans la suite, nous allons vérifier si ces personnages peuvent avoir des perspectives de développement différentes de celles de leur milieu social assigné. II. Mécanismes de reproduction sociale et système social inaltérable Maintenant que nous avons évoqué les codes sociaux des dealers (le style vestimentaire) et leurs rôles sociaux assignés, interrogeons-nous sur la possible influence de leur milieu social sur ce que deviennent les personnages, surtout concernant les dealers. Existe-il un phénomène de reproduction sociale dans « The Wire » ? On définit ce concept par la transmission des positions sociales, des façons d'agir ou de penser, d'une génération à une autre, dans une certaine proportion, du fait d'une faible mobilité sociale (Bourdieu & Passeron, 1964). Interrogeons l'affirmation suivante : « Tu habites dans un ghetto/une cité, tu deviendras dealer ». En d'autres termes, est-ce que le milieu social influe sur le devenir des personnages ? Pour ce faire, nous établissons un tableau d’analyse centré sur quatre personnages de la saison 4. Celle-ci est axée sur l'éducation et donc met en lumière les enfants dans les cités. Nous étudions les cas des frères Mike et Bug, ainsi que ceux de Namond et Dukan. On se réfèrera au tableau d’analyse mais nous allons expliquer quelques éléments plus précisément, afin d’apporter des réponses claires à notre interrogation sur le déterminisme social. On se questionne sur les contraintes qu’ils rencontrent dans leur évolution, ainsi que sur les possibilités de « sortir du schéma de reproduction sociale ». 127 Tableau 3 - La Reproduction Sociale dans The Wire Personnages Mike Bug Namond Dukan Contraintes Mère toxicomane et père absent → livrés à eux-mêmes. Père : Wee-Bey en prison (clan d'Avon Barksdale) et mère qui ne veut pas perdre l'honneur du clan/de la « famille », le pousse à dealer. Opportunités de sortir du schéma de reproduction sociale Le club de boxe mené par Cutty, reconverti en coach. Son grand frère, Mike qui s'occupe de lui. « La classe spéciale » menée par Colvin principalement. Colvin devient un guide pour lui, lui montre qu'il a un grand potentiel. Il lui redonne confiance. Parents invisibles. Mère complètement dépassée par les Pryzbylewski lui achète des fournitures événements (droguée, nombreuses scolaires, lui lave ses vêtements. Lui expulsions du foyer dues aux non propose un espace à l'école où il peut payements du loyer) avoir un minimum d'hygiène. Par conséquent, en manque de repères et sentiment d'infériorité. Les deux premiers personnages ont une mère toxicomane, qui est complètement dépassée par la vie et n'est plus en mesure de s'occuper de ses enfants. Namond, lui a son père (Wee-bey) en prison pour trafic de drogue (clan Barksdale, arrestations fin de la saison 1) et sa mère qui veut voir honorer le caractère de « soldat » de son mari en son fils. Namond est obligé par sa mère de dealer dans la rue pour pérenniser le clan Barksdale, grandement affaibli par l'Organisation (surtout Proposition Joe et Marlo Stanfield). En même temps, Namond est placé dans une classe expérimentale constituée d'élèves les plus difficiles et pertubateurs (cf. article Romain Fagay). Dans celle-ci, il manifeste d'abord une attitude très rebelle et progressivement il s'y plaît et prend ses marques. Ses instructeurs, Colvin compris, voient en lui de grandes capacités à poursuivre des études. Confronté à la violence de la rue, il ne veut plus dealer (il en a jamais vraiment eu l'envie, contraint par sa mère), il refuse de poursuivre la vente de drogues sur le « corner ». Il ne peut retourner chez lui. Quelque peu perdu, il va voir Colvin. Celui-ci va discuter avec son père, qui l'encouragera à faire des études (saison 4, épisode 13, cf. capsule vidéo). Cet exemple montre les difficultés à s'affranchir de son milieu social pour un jeune y ayant toujours vécu. Le personnage de Mike, dont la mère est toxicomane, désire quant à lui se sortir de la drogue. Il va souvent s'entraîner à la salle de boxe de Cutty, mais il est rattrapé par son milieu familial plongé dans la drogue. En effet, à la fin de la saison 4 (l’épisode 13), Marlo lui a offert un studio pour qu'il soit indépendant de sa mère, mais en échange, il doit dealer sur les « corners »...rien n'est gratuit. Le même schéma s’applique à Dukan, qui a une vie familiale compliquée. Il n'a même pas la possibilité de se changer chez lui, de se laver et faire des 128 lessives. Dès lors, l'ancien flic et à présent professeur (dans la saison 4) Pryzbylewski, s'en charge. Grande est sa déception quand il le voit dans les rues en train de dealer à la fin de la saison 4 (cinq dernières minutes de l'épisode 13). Son milieu l'a rattrapé. Avec les exemples que nous venons de développer, nous pouvons tirer des conclusions sur les conditions qui offrent le plus de chance de sortir de son milieu social. Sur les quatre personnages analysés, seul Namond arrive à échapper au milieu de la drogue et de la délinquance. En effet, on voit dans la saison 5 donnant une conférence sur le SIDA en Afrique. Il semble faire des études supérieures. Sa réussite est grandement liée au soutien et à l’accompagnement de Colvin, l’ayant adopté. En effet, il s’est beaucoup démené pour développer ses capacités et son talent. Et cela, jusqu’à aller discuter avec son père en prison pour qu’il incite Namond à faire de grandes études (cf. capsule vidéo). En revanche, les autres personnages (Mike, Bug et Dukan) n’ont pas été accompagnés autant que l’a fait Colvin pour Namond. Ils ont été aidés ponctuellement par des adultes (Cutty et Pryzbylewski) mais cela n’a pas été concluant. Ils ont fini par retomber dans le milieu de la drogue. Cette analyse concernant le déterminisme social peut découler sur des potentielles mesures politiques : pour sortir les collégiens du milieu de la délinquance, il faut déployer des moyens d’accompagnement conséquents et sur le long terme, et pas seulement ponctuels. Notre analyse nous permet d’affirmer un certain engagement politique de la série « The Wire ». Libre aux spectateurs de saisir ce regard politique. Le déterminisme social dans « the Wire » met en avant la misère sociale irrémédiable des habitants dans une ville en crise. Puisque nous abordons l’idée de contenu politique dans « the Wire », parlons de l’idée de cycle inaltérable, ou plutôt immuable, dans la série. La série, à travers ses cinq saisons dresse une fresque sociale et politique d’une ville en crise (Sérisier, 2008). Nous pouvons d’ailleurs partir sur l’idée que Baltimore est le personnage principal de « The Wire ». Ainsi, cette ville est manipulée par de nombreuses institutions (la police, les politiques, les gangs), elle est aussi au centre du jeu de pouvoir. Ces acteurs territoriaux tentent d’améliorer sa condition. Pensons à l’obsession des statistiques de la criminalité des commissaires de police (notamment Burrel), au projet Hamsterdam mené par Colvin, l’opiniâtreté de McNulty, qui veut vraiment changer les choses dans les cités, les promesses du maire Carcetti, le projet de la classe expérimentale au collège, etc. Tous ces exemples ont levé des espoirs de changement dans la ville de Baltimore mais à la fin de la série, on voit que finalement rien n’a changé car les mêmes schémas se reconduisent d’années en années, bien que les chefs des organisations criminelles aient été arrêtés. Cela est déjà remarquable d’une saison sur l’autre. Donnons quelques exemples probants : le canapé au milieu de l’espace public de la cité est toujours là dans la saison 2 malgré les arrestations. Il a juste changé de couleur. On constate, malgré les espoirs annoncés par le maire Carcetti, que les changements dans le domaine politique, sont inexistants. « Etre déçu par une classe politique qu’on découvre rongée par l’arrivisme trahit une erreur de perspective : celle qui consiste à croire dans l’existence d’un lieu de pouvoir effectif et situable, auquel il faudrait accéder pour agir enfin. Le cas échéant, Baltimore peut, bien en effet, attendre encore deux ans. Or un tel lieu est voué à se dérober toujours. Derrière le 129 fauteuil du maire, il y a bien le bureau du gouverneur d’Annapolis, dans l’escalier duquel Carcetti s’impatiente » (Aarons et al., 2011). En même temps que les personnages politiques gravissent les échelons de la « chain of command », les cellules de pouvoir se déplacent, toujours plus haut. De ce fait, les changements annoncés n’ont jamais lieu. Cette absence de changement « révolutionnaire » au sein de la ville de Baltimore, n’empêche pas toutefois les variations au sein des personnages mêmes, qui se jouent et s’affranchissent des limites de leurs territoires assignés. III. Interstices : Idéaux-types et compétences spatiales Maintenant que nous avons analysé le processus de reproduction sociale auquel les personnages de « The Wire » (les collégiens, les dealers) sont soumis, nous allons voir que leurs espaces assignés par le pouvoir (la « chain of command ») et la détermination sociale, laissent une place aux interstices ainsi qu'au potentiel d'affranchissement de territoires (Lussault, 2009). Nous allons étudier plusieurs personnages qui usent de leur mobilité et s'affranchissent de leur espace assigné grâce à leur fonction et leurs actions. Notre méthode sera de décrire un personnage et d'en tirer des éléments pour un « idéal-type » (Weber, 1992). L’idéal-type permet au sociologue de saisir les relations entre les phénomènes concrets et leur signification. Nous établissons quatre formes « d'idéaux-types » qui vont définir et analyser les personnages affranchis et mobiles : les passeurs, les infiltrés, les indics et « l'électron libre ». Pour cela, nous proposons dans la suite, un tableau synthétique de ces « idéauxtypes ». Nous allons expliquer ce tableau plus en détail, puis en tirer des conclusions. Notre tableau s’organise en cinq colonnes : « l’iddéal-type », le nom des personnages, l’espace et le territoire, les caractéristiques sociales ainsi que les compétences spatiales. 130 Tableau 4. "Idéal-type" n°1 : les passeurs « Idéal-type » Nom(s) Espace/Territoire Caractéristiques sociales Compétences spatiales Jimmy McNulty Commissariat de police La rue Les interstices Rebelle contre la « chain of command » Sensible Volonté d’acculturation des groupes sociospatiaux (policiers/dealers) Ancien flic, qui a été licencié « L’œil d’un flic » quant à l’observation. Anciens réflexes du métier Pryzbylewski Passeurs Commissariat de police à l’école Colvin Commissariat de police à l’école en passant par la rue (projet Hamsterdam) Carver Commissariat de police (bureau « paperasse ») Patrouille en voiture Ancien flic S’affranchit de la « chain of command » avec le projet Hamsterdam (saison 4) Volonté d’aider les jeunes de l’école à se sortir du schéma de reproduction sociale Grande attention aux enfants. Respecte la « chain of command » bien qu’elle soit parfois injuste concernant les enfants. Connaissance du territoire de Baltimore grâce à son ancien métier de policier. Capacité à créer du lien social avec le groupe opposé (les dealers). Capacité à adapter son discours selon l’espace dans lequel il se trouve. Capacité à dialoguer avec les collégiens, grâce à sa jeunesse à proximité. La première catégorie « d’idéaux-types » est les passeurs. Ils sont au nombre de quatre : Jimmy McNulty, Pryzbylewski, Colvin et Carver. En matière de mobilité, les passeurs ont une forte capacité à acculturer les deux groupes sociaux, que sont les dealers et les policiers. Tous trois ont comme point commun d’exercer ou d’avoir exercé le métier de flic. Commençons par le cas de Jimmy McNulty. C'est le premier personnage qui veut acculturer un groupe social (les policiers) à un autre (les dealers). Dès le premier épisode, il est étiqueté comme un « petit fouille merde » (notons la scène du pilot avec les deux « fuck » de son supérieur hiérarchique) par ses supérieurs, bien que par son opiniâtreté, il est efficace dans les résolutions d'enquêtes. Il est également le premier à s'affranchir de la « chain of 131 command ». Il ne respecte pas les ordres de ses supérieurs. C'est un personnage au fond de lui désabusé par la situation de décrépitude de la ville de Baltimore. Il se bat contre sa hiérarchie pour poursuivre les écoutes sur le long terme, le major Rawls et le préfet de police Burrel, eux veulent du rapide, des arrestations en masse, pour faire baisser les taux de criminalité (et par delà, faire remonter leur côte de popularité). Ils donnent beaucoup d'importance aux statistiques, lesquelles mobilisent de nombreuses réunions (quasiment une par épisode dans les saisons 3 et 4). Il n'hésite pas à franchir le territoire des dealers pour recueillir plus d'informations. D'ailleurs, il a des liens d'amitiés avec certains dealers, qu'il connaît bien car ils sont depuis des dizaines d'années dans la drogue : avec Bodie (il mange avec lui, lui porte caution dans les épisodes 11 et 13 (cf. capsule vidéo), Poot et Omar. Un portrait s’apparentant à un éloge funèbre est prononcé par son supérieur hiérarchique, Sergent Jay Landsman. Il retranscrit très bien les caractéristiques du personnage (cf. capsule vidéo). Ensuite, le deuxième passeur est Pryzbylewski. Celui-ci est un ancien flic, licencié pour avoir tuer par erreur un autre policier. Il s’est reconverti en tant qu’enseignant au collège de Baltimore. Il croit en les capacités de ses élèves, il va se démener pédagogiquement pour les intéresser et leur apprendre un maximum de choses. Le fait qu’il soit devenu enseignant, l’a fait passer d’un groupe social à un autre, car les collégiens sont quotidiennement confrontés au monde des dealers puisque ces derniers vendent dans leurs quartiers d’habitation. Sa compétence spatiale lui permettant de s’affranchir de son territoire assigné est son « œil de flic » qui s’illustre dans l’observation de son environnement. Il a gardé les anciens réflexes du métier de policier (cela confirme au passage notre idée développée dans la première partie, sur les normes intégrées dans chaque groupe social). Par exemple, dans l’épisode 12 de la saison, il part de chez la mère adoptive de Randy, il va entrer dans sa voiture, il fait nuit. Il remarque qu’au bout de la rue, il y a une voiture garée parmi les autres, mais en observation. (flics en civils ou dealers). Un citoyen lambda ne l’aurait pas forcément relevé. Le troisième passeur est Colvin. Lui aussi est un ancien flic, licencié pour son projet de légalisation de la drogue (Hamsterdam : une zone franche où le trafic et la consommation de drogue seront de fait tolérés par la police) dans une friche urbaine dans Baltimore. Son but était de rétablir la tranquillité dans les quartiers, en déplaçant le trafic. Il a voulu déplacer le monde illégal et violent de la drogue loin des habitants de Baltimore, qui se plaignent des nuisances engendrées. Il mène « une expérimentation d’assainissement social par des procédés de géographie politique » (Aarons et al., 2011). Son ancien métier de flic lui a permis d’avoir une large connaissance de l’espace de la ville de Baltimore et ses usagers. Ainsi, il a la capacité à créer du lien social avec le groupe opposé (les dealers) ainsi qu’adapter son discours, en fonction de l’interlocuteur (personnel de l’école ou jeune collégien intégré dans le circuit de la drogue). Ces compétences spatiales lui permettent de s’affranchir également de son territoire de base qui lui est assigné. 132 Figure 38 - Carver prend soin de Namond Le quatrième passeur est Carver. C’est un policier qui fait beaucoup de patrouilles en voiture, aux alentours des « corners ». De ce fait, il connait bien les dealers, qui pour certains, sont présents dans ces espaces, depuis plusieurs années. Par exemple, dans la saison, à l’épisode 13, lorsque Namond est en difficulté, car il ne peut rentrer chez lui (sa mère l’obligerait à dealer, ce qu’il refuse), Carver l’arrête pour une banalité. Cependant, personne de sa famille ne vient le chercher au commissariat (obligatoire puisqu’il est mineur). Carver est obligé de l’emmener à la prison des délinquants juvéniles (réputée très violente). Namond refuse d’y aller. Alors Carver, allant à l’encontre des règles, l’autorise à passer la nuit sur la banquette du commissariat et le couvre de sa veste. Grâce à sa jeunesse, il a un dialogue plus facile avec les jeunes collégiens. Tableau 5. "Idéal-type" n°2 : l’infiltré « Idéal-type » L’infiltrée Nom Espace/Territoire Caractéristiques sociales Kima Greggs Le terrain Le bureau (la « paperasse ») Aime l’action du terrain. Indépendante. Compéten ces spatiales Tête brûlée : elle fonce dès qu’il faut y aller. Maîtrise du terrain limitée. ex : inversion des panneaux indicateurs (saison 1) La deuxième catégorie « d’idéal-type » est l’infiltré, incarnée par Kima Greggs. Elle aime le terrain, l’action. Faire des papiers administratifs au commissariat l’ennuie. C’est par cette caractéristique sociale qu’elle est amenée à jouer le rôle de l’infiltrée à de nombreuses reprises. Elle a la capacité de passer inaperçu dans le groupe social des dealers, car elle a compris leurs mécanismes sociaux. On pense à une scène importante, à la fin de la saison 1 lorsqu’elle est infiltrée dans une voiture avec les dealers mis sur écoute. Ils ont rendez-vous pour réceptionner une livraison de drogue. Mais, les choses ne se passent pas comme prévues. 133 Kima est suivie grâce à un micro par ses collègues qui sont en voiture quelques rues plus loin. Cependant, ils entendent des coups de feu mais ils ne parviennent pas à retrouver sa trace car les dealers ont inversé les panneaux indicateurs, afin de brouiller les pistes. En revanche, la maîtrise du territoire des « corners » (leur compétence spatiale) leur permet de se repérer, alors que les policiers sont déroutés face à ce simple geste d’inversion des panneaux. Tableau 6. "Idéal-type" n°4 : l'indic « Idéal-type » Nom Espace/Territoire Caractéristiques sociales L’indic Regianl « Bubbles » Cousins Squats Sous-sol de sa sœur Instabilité : un « camé » Volonté de fer Grand cœur Compétences spatiales Maîtrise de l’espace entier de la rue, liée à son errance et l’absence de domicile fixe. Capacité à se trouver un toit, notamment les logements vides. Le troisième « idéal-type » est l’indic, incarné par le personnage de Bubbs. Celui-ci étant un « camé » qui essaye d’arrêter (et qui y parviendra à la fin de la série), pratique constamment l’espace de la rue, puisqu’il n’a pas de domicile fixe. C’est donc un allié de poids pour les policiers, qui le payent pour qu’il donne des informations observées dans le monde des dealers. À force, il se lie d’amitié avec Kima et McNulty qui l’aident à s’en sortir et jouent le rôle de confident parfois. Son errance dans la rue quotidienne lui permet d’en connaître beaucoup sur le fonctionnement du monde des dealers. Il développe d’ailleurs une technique subtile pour indiquer aux policiers qui est le chef du moment dans le milieu. Il fait essayer des chapeaux aux dealers (rouge pour le chef, noir pour les subordonnés). C’est d’un grand renseignement pour l’enquête des policiers. Tableau 7. "Idéal-type" n°5 : "l'électron libre" « Idéal-type » « Electron-libre » Nom Omar Espace/Territoire Caractéristiques sociales Baltimore Vengeance « Robin des bois » de la cité (braquage réapprovisionnement « came » alors qu’il se ne drogue pas Compétences spatiales Capacité à disparaître. Maîtrise de l’intégralité du territoire des ghettos (recoins, « corners », interstices) 134 Le dernier « idéal-type » est « l’électron libre », dont le meilleur exemple est Omar. Ce personnage est particulièrement complexe à cerner puisqu’il baigne dans le monde des dealers, nous le qualifierons tout de même d’indépendant. En effet, il n’est rattaché à aucun clan. Il agit seul ou seulement accompagné d’un entourage restreint (de trois à quatre personnes). Il se caractérise par un important sentiment de rancune (quand son copain, Brandon est assassiné par le clan Barksdale). On peut aussi le qualifier, dans une certaine mesure de « robin des bois » des ghettos de Baltimore, dans la mesure où il est craint par tous les dealers mais à la fois respecté cf. capsule : « Omar is coming yo »). Il est acclamé par les enfants quand il passe dans le quartier car il commet des braquages lors des réapprovisionnements de drogue. Cependant, il ne se drogue pas, il cherche juste à enrayer la mécanique des clans des dealers. Comme les chefs de gang qui veulent « sa peau » (Stringer Bell, Avon Barksdale et Marlo Stanfield), nous sommes surpris par sa grande capacité à disparaître dans Baltimore et réapparaître. Il s’infiltre dans des interstices. Il est aussi très fort pour se sortir de situations risquées. Par exemple, menacé de mort par trois armes et en discutant, il en sort vivant et même avec un trait d’humour, en demandant à Proposition Joe : « Dis où est ma tocante Joe ? » (saison 4, épisode 13). Figure 39 : Omar en infériorité de taille et menace par une arme De plus, quand Omar se fait « pincer » dans la saison 4 pour un meurtre qu’il n’a pas commis mais dont il est accusé (par le clan Marlo Stanfield), McNulty l’aide pour sa libération, en faisant travailler ses contacts. Il a également un grand cœur sensible, on le voit pleurer à plusieurs reprises, notamment quand il apprend l’assassinat de son copain ainsi que celui de son ami Butchie. Par cette méthode des « idéaux-types », en constituant un tableau synthétique des personnages interstitiels, cela permet de nous rendre compte que les personnages sont loin d'avoir des espaces assignés, ils ont une grande capacité de mobilité dans les différents espaces de la ville de Baltimore, particulièrement pour les flics qui par leur métier engrange une forte expérience du territoire de la ville de Baltimore. Cela leur permet de s’affranchir de leur espace de base délimité par leur statut de policier. Leurs compétences spatiales acquises 135 par cette connaissance des espaces permettent l’acculturation des deux groupes sociaux. Les policiers et les dealers ne sont pas enfermés dans des mondes clos. Au contraire, par le jeu du « chat et de la souris » qui s’immisce entre eux, ils sont amenés à franchir les limites des territoires assignés. Ils ont une plus grande facilité d’insertion dans le monde rival. Conclusion: Initialement, on s’est questionné sur les potentialités et les modalités d’affranchissement des espaces assignés pour les personnages de la série « The Wire ». Notre étude nous a permis de distinguer deux degrés de mobilités pour les personnages de la série. Premièrement, nous avons distingué deux groupes sociaux (les policiers et les dealers) qui se définissent par des codes sociaux propres à chaque monde. Ces deux groupes sociaux sont rivaux, s’installant dans un jeu du « chat et de la souris », chacun fantasmant l’un sur l’autre, entre poursuites et fuites. Ce schéma amène les policiers et les dealers à se côtoyer, en s’insérant dans l’espace de chacun. Il y a ici, un premier franchissement d’espace lié à l’exercice de leurs activités (arrestations et deals sur les « corners »). Ainsi, bien que chaque groupe social a ses codes sociaux respectifs qui les assignent à un territoire, le jeu des poursuites et des fuites crée de nombreuses interactions entre les espaces de la ville de Baltimore. Ces interactions sont renforcées par certains personnages, qui en fonction de leurs caractéristiques sociales, développent des compétences spatiales, leur permettant d’acculturer plus ou moins fortement les deux groupes sociaux (dealers et policiers). D’autre part, en s’interrogeant sur la notion de reproduction sociale, nous avons établi un deuxième degré de mobilité : la mobilité sociale. Elle évalue la potentialité des personnages à se sortir de leur milieu social. La rupture du schéma de reproduction sociale est possible qu’en développant des mesures d’accompagnement personnalisé et sur le long terme, auprès des jeunes collégiens. Sans le développement de ces mesures politiques, les personnages ont de grandes difficultés à avoir une mobilité sociale. Notre recherche exploratoire a permis de mettre en avant l’originalité de la série « The Wire ». David Simons et Ed Burns ne réalisent pas seulement une série télévisée, ils dressent toute une fresque sociale et politique d’une grande ville des Etats-Unis, Baltimore. La série télévisée va au-delà du divertissement, elle permet de comprendre la complexité des mécanismes politiques et des enjeux de pouvoir, liés notamment à la gestion des espaces géographiques. Ainsi, « The Wire » est plus qu’une série télévisée, nous avons démontré qu’elle pouvait être l’objet d’une recherche exploratoire, portant sur les objets culturels de la géographie. Bibliographie Aarons, K., Burdeau, E., Chamayou, G., Mangeot, P., Porte-Bonneville, M., Samocki, J.-M., & Vieillescazes, N. (2011). The Wire : Reconstitution collective (p. 182). Prairies Ordinaires. Bourdieu, P. (1972). Esquisse d’une théorie de la pratique (p. 269). Editions du Seuil. Bourdieu, P., & Passeron, J.-C. (1964). Les héritiers : les étudiants et la culture (p. 192). Les Editions de Minuit. 136 Le Lay, P. (2004). “Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.” Retrieved from http://fr.wikipedia.org/wiki/Temps_de_cerveau_humain_disponible Lussault, M. (2009). De la lutte des classes à la lutte des places (p. 220). Grasset & Fasquelle. Sérisier, P. (2008). The Wire - Une grande histoire s’achève. Retrieved from http://seriestv.blog.lemonde.fr/2008/03/18/the-wire-une-grande-histoire-sacheve/ Weber, M. (1992). Essai sur la théorie de la science (p. 478). Presses Pocket. Winckler, M. (2012). Petit éloge des séries TV (p. 128). Folio. Retrieved from http://www.amazon.fr/Petit-éloge-séries-Martin-Winckler/dp/2070448096 137 Chapitre XII. Chain of command & Espaces liés Cendrine Hoarau Résumé : L’étude porte sur l’utilisation de l’espace par les personnages en fonction de leur statut dans la hiérarchie. Elle est basée sur les deux groupes majeurs de la première saison, les trafiquants de drogue (la rue) et la police. Une approche sociologique des types de lieux fréquentés ainsi que la mobilité des protagonistes sera décrite et analysée. Enfin le rapport des personnages à la ville sera approfondi en fonction des différents niveaux hiérarchiques des groupes. Mots clés : hiérarchie, espace, dominant-dominé The Wire est une série américaine qui dépeint la ville de Baltimore des années 2000, où le thème de la hiérarchie est récurrent. En effet, dès le pilote on remarque que les personnages sont ancrés dans une chaîne de commandement. Si un personnage va à l’encontre de son statut quo, il s’en trouve sanctionné. Dans un premier temps, c’est le neveu d’Avon Barcksdale, à la tête du trafic de drogues, D’Angelo, qui se fait renvoyer dans les blocs, échelon inférieur aux tours, après avoir commis un meurtre. Par la suite, McNulty, inspecteur de police désinvolte, se fait remettre en place par son supérieur hiérarchique ; « Question de hiérarchie inspecteur » lui lancera Daniels, suite à une remarque déplacée. En insistant sur l’omniprésence de la hiérarchie dans les groupes dès le premier épisode, le réalisateur pose ainsi le cadre de la série. Dans la saison 1, les deux groupes qui ressortent sont la police et les trafiquants de drogues. On remarque que chacun a ses spécificités territoriales. Les policiers travaillent sur le terrain, dans les rues de Baltimore mais aussi dans les bureaux. Le quartier général des dealers est la cité Franklin, mais certains travaillent également dans d’autres lieux, comme l’Orlando’s, la boîte de nuit du clan Barcksdale. Si chaque groupe à un rapport à l’espace qui lui est propre, il en est de même pour chaque personnage à l’intérieur de celui-ci. L’espace utilisé par ceux-ci dépend fortement de ceux qui sont à la tête de la chaine de commandement. La fonction qui leur est donc affiliée au sein du groupe définit la part du territoire qu’ils peuvent et/ou doivent s’approprier. Lorsqu’un personnage ne respecte pas l’ordre établi, son statut initial perd de la valeur ainsi que l’espace auquel il est affecté, comme c’est le cas pour D’Angelo. Baltimore est le principal terrain d’action des protagonistes, ville où les rapports de pouvoir entre dominants et dominés bornent l’espace des personnages et traduit un rapport différent à la ville en fonction du statut des personnages dans la hiérarchie. Ce raisonnement portera davantage sur la première saison, où la hiérarchie est beaucoup plus marquée. L’analyse sera ainsi focalisée sur les collectifs majeurs de ce début de série. En conséquent, l’utilisation de l’espace par les personnages dans le milieu de la police et de la rue (des trafiquants de drogue) sont l’objet de l’étude. Si chaque acteur à son 138 terrain de jeu, quels liens peut-on établir entre le statut des personnages dans la « chain of command » et leur rapport à l’espace ? Que reflètent-t-ils ? Figure 40 - Scène du Nugget Dans un premier temps, une approche sociologique de l’utilisation de l’espace par les personnages en fonction de leur statut dans la hiérarchie sera abordée de manière descriptive, d’abord pour la rue puis pour la police. Le type de lieu fréquenté par les protagonistes sera ensuite analysé grâce à un tableau récapitulatif. Dans un second temps, la même démarche sera reprise pour décrire et analyser la mobilité des personnages. Puis, dans une dernière partie, le rapport à la ville des personnages sera étudié en fonction des niveaux de hiérarchie des deux groupes afin de distinguer les convergences et les divergences du milieu utilisé par les personnages de la série. I. Situation des personnages La situation des personnages correspond à leurs lieux de fréquentation. Pour comprendre la relation entre espace et statut des personnages dans la hiérarchie, il faut d’abord décrire quels types de lieux chacun occupe. Cette description relève d’une approche sociologique de leur situation dans la ville. Celle-ci sera traitée hiérarchiquement par rapport à la place qu’ils tiennent dans la chain of command, du dominant au dominé. Afin de faire ressortir les distinctions entre les niveaux hiérarchiques, un tableau sera établi pour faciliter l’analyse. Les dealers Les personnages de ce groupe sont en charge du trafic de drogues dures responsable de la criminalité à Baltimore. Le clan Barcksdale est composé du baron de la drogue, Avon Barcksdale, qui contrôle le West Baltimore en début de série à l’aide de son bras droit, Stringer Bell. Le neveu d’Avon, ‘Dee’, établi la connexion entre le niveau supérieur de l’organisation et l’échelon inférieur, composé des dealers, entre autres de Bodie, Poot et Wallace. L’East side de Baltimore est géré par Proposition Joe. Il fait ensuite partie de la Co- 139 Op, alliance de trafiquants de drogues dont l’intérêt est la promotion immobilière et la réduction de la criminalité, incluant Stringer Bell et par la suite Marlo Stanfield. Avon Barcksdale semble ne fréquenter que certains lieux spécifiques pour se couvrir à la fois de la police et des autres trafiquants qu’il redoute. Dans la saison 1, il fréquente son bureau situé au premier étage de l’Orlando’s qu’il partage avec son acolyte Stringer Bell. Une des rares fois où on le voit à l’extérieur est quand il assiste au match de basket où s’affrontent les quartiers Est et Ouest de la ville. Il passe la saison 2 à la prison de Jessup. Dans la saison 3, après avoir purgé sa peine, Stringer lui offre un appartement de haut standing dans les hauteurs d’un grand building qui semble se trouver dans le centre urbain de Baltimore, loin du Westside. Cependant, outré d’apprendre qu’il n’a plus le contrôle sur Franklin Terrace, Avon préfère retourner dans son quartier. Stringer Bell, le bras droit d’Avon Barcksdale, fréquente plusieurs lieux. Dans l’épisode 1 on le voit au tribunal lors du procès de Dee et au contact des dealers dans les blocks. Par la suite, on s’aperçoit qu’il travaille avec Avon au premier étage de l’Orlando’s et prend en parallèle des cours d’économie à l’université de Baltimore. Ces cours lui permettent de gérer à côté de ses activités des petits commerces dans la ville tels qu’une papeterie, une entreprise de pompes funèbres et une société de développement de propriété nommée B&B. Dans la saison 2, il se rend en prison voir Avon et dans le même temps installe son bureau dans un autre local situé au premier étage d’une église, c’est l’endroit où se déroulent les réunions de la Co-Op avec les autres trafiquants de Baltimore. C’est un personnage multilocalisé. Proposition Joe apparait pour la première fois lors du match annuel de basket-ball. Il entreprend ses négociations dans un local où il à son bureau. Il fait également partie de la CoOp dans la saison 2 et se réunit donc fréquemment dans le local de l’église. Même s’il ne fait pas tout de suite partie de cette concertation, Marlo Stanfield, qui arrive seul à la tête du trafic dans après la mort de Stringer Bell et l’emprisonnement d’Avon, doit sa réussite au fait qu’il fasse régner sa loi dans les rues du West Baltimore. Dans la saison 3 on le voit essentiellement au contact des jeunes dealers qu’il essaye de ranger de son côté. D’Angelo est un personnage assez particulier dans le sens où aucun lieu ne semble lui être réellement attitré. Comme son mentor Stringer, il est multi-localisé. Dans la saison 1 on le voit aussi bien dans son appartement où il habite avec sa femme et son enfant que dans un motel avec sa maitresse Shardene. Il a souvent affaire à la police, de ce fait il passe plusieurs fois à l’interrogatoire. Quand ce n’est pas le cas, c’est la police qui vient lui rendre visite dans les blocks. Dee peut accéder à des lieux privilégiés tels que le bureau de son oncle. Dans la saison 2, il se retrouve en prison avec son oncle, lieu où il victime d’un meurtre. Bodie, Poot et Wallace, ses plus fidèles compagnons, travaillent avec lui dans les blocks. Ils passent quasiment toute leur journée sur le fameux canapé orange à guetter les clients. 140 La police La police de Baltimore est organisée en fonction du statut des personnages dans la hiérarchie. A la tête du département il y a Ervin Burell, le préfet de police. Le major William Rawls dirige la brigade criminelle constituée du segrent Jay Landsman, et principalement des inspecteurs Leaster Freamon, Jimmy Mcnulty et Bunk Moreland. Cedric Daniels est le lieutenant de la brigade des stupéfiants, composée de Shakima Greggs, Prez, Carver et Herc, tous initialement inspecteurs. Ervin Burrell n’est vu quasiment que dans des bureaux ou des réunions. Il en est de même pour le major Rawls, sauf pour cas de force majeure par exemple dans la saison 2 quand Kima est touchée. Le lieutenant Cedric Daniels, lui, fréquente, divers lieux. Dans la saison 1, quand il ne travaille pas dans son bureau au sous-sol avec les inspecteurs de police, il est sur le terrain dans les rues de West Baltimore. On l’aperçoit également dans une soirée mondaine avec sa femme, avec qui il vit dans les deux premières saisons. De plus, il est souvent convoqué dans le bureau de ses supérieurs, et dans la saison 3, il est toujours en contact avec eux lors de réunions de personnel. Le sergent Jay Landsman, rarement sur le terrain, reste la plupart du temps cantonné dans les bureaux de la brigade criminelle du West Baltimore. L’inspecteur Jimmy McNulty est quant à lui présent sur plusieurs fronts. Souvent sur le terrain au contact des dealers, il travaille également dans le sous-sol où il est affecté dans la saison 1. On l’aperçoit dans le premier épisode au tribunal, où il se rend assez fréquemment pour voir le juge Phelan. Par ailleurs, on le voit dans son petit appartement mais également chez le procureur Rhonda Pearlman avec qui il a une liaison. McNulty sort souvent au bar avec Bunk après quoi ils finissent leurs soirées près des rails du train. Dans la saison 2 l’inspecteur est affecté à la brigade maritime, il passe donc la plupart de son temps sur les docks ou dans le nouveau local de l’équipe dirigée par Daniels avec qui il travaille par la suite. Lester Freamon, inspecteur très méthodique, passe beaucoup de temps dans les locaux où il est affecté avec son équipe mais il est également présent sur le terrain quand il le faut. Shakima Greggs travaille en collaboration avec les inspecteurs de la brigade criminelle. Elle est souvent sur le terrain en compagnie de ses coéquipiers ou dans les locaux du sous-sol dans la saison 1 puis les nouveaux locaux dans la saison 2. Dans la saison 1, elle se rend sur le toit de l’Eglise pour observer le clan Barcksdale. Comme McNulty et Daniels on peut suivre sa vie privée jusque dans l’appartement où elle habite avec sa copine. Leurs camarades, Prez, Carver et Herc la suivent sur le terrain. Contrairement à Freamon, ils passent beaucoup plus de temps sur le terrain que ce qu’ils ne devraient. Désireux de monter en grade pour devenir sergent, les deux derniers suivent en parallèle des formations. 141 On peut répertorier les lieux de fréquentation des personnages en fonction de ce qu’ils symbolisent. Ainsi le tableau ci-dessous les classe en quatre colonnes. Le type de lieu décisionnel peut-être caractérisé par la salle de réunion de la Co-Op du côté de la rue et par les bureaux des hauts-gradés dans la police. Le terrain de jeu représente les rues de Baltimore, notamment le quartier Franklin dans la saison 1. Les lieux de négociation sont assimilés aux locaux où se retrouvent les chefs de groupe comme celui où est entreposé Proposition Joe. Enfin les lieux de représentation sont des espaces où le personnage en question s’impose de par son pouvoir, le terrain de basket-ball en étant un. Tableau 8 Situation des personnages en fonction du type de lieu dans la saison 1 de The Wire Grâce à ce tableau on peut relever des points communs entre les deux groupes. Les personnages affiliés à une étoile représentent les dominants, ceux qui sont en haut de la hiérarchie, à un carré ceux qui sont en bas. Avec un triangle, ce sont deux personnages qui ont des lieux de fréquentation atypique. On remarque qu’on peut faire un parallèle entre les deux ensembles. En effet, les leaders de la rue et de la police fréquentent tous des lieux décisionnels sauf Marlo Stanfield, personnage qui reste principalement sur le terrain. Ils vont tous dans des lieux où ils pourront être vus et asseoir leur pouvoir. Seulement certains d’entre eux se rendent sur des lieux de négociation, et ce sont d’ailleurs les seuls à pouvoir y accéder. Une minorité se rend sur le terrain, où ils sont vulnérables. Les personnages dominés, en bas de la hiérarchie, fréquentent tous uniquement des lieux où ils pratiquent leurs activités et plus particulièrement le terrain. Enfin, D’Angelo et Jimmy McNulty fréquentent des lieux qu’ils ne sont pas censé fréquenter de par leur statut dans la hiérarchie. Ceci leur permet d’être visualisés comme 142 ayant un statut différent, voire supérieur de celui qu’ils ont réellement. D’Angelo en a le bénéfice uniquement par le lien familial qui le lie à son oncle, alors que McNulty se permet une certaine liberté dans sa démarche d’inspecteur, ce qui n’est pas toujours apprécié par ses supérieurs qui le recadrent souvent. Ces deux électrons libres sont souvent dans un rapport de force avec le niveau hiérarchique supérieur qui cherche à les contrôler pour ne pas qu’ils renversent l’ordre établi. Ce sont donc des dangers potentiels pour les deux organisations, c’est d’ailleurs pourquoi Dee se fera tuer par son clan et McNulty envoyé dans la brigade maritime. Après avoir décrit et analysé la situation des personnages des deux groupes, on remarque déjà une relation entre le rapport à l’espace des personnages et les différents niveaux hiérarchiques. Afin de compléter cette approche sociologique des lieux fréquentés par les protagonistes, nous nous focaliseront sur la mobilité de ceux-ci en reprenant la même démarche. II. Mobilité des personnages Analyser la mobilité des personnages permet de connaître leur degré de liberté dans la ville, celle-ci étant relative à la hiérarchie qui impose ou non une utilisation de l’espace plus ou moins étendue. Les dealers Stringer Bell est un des personnages les plus mobiles. En effet on le voit souvent en voiture, et comme il fréquente plusieurs lieux du fait de ses nombreuses activités, il ne peut faire autrement. Au contraire, Avon Barcksdale est beaucoup moins mobile. Il se déplace le moins possible pour être le moins visible possible. Marlo Stanfield circule presque constamment dans les rues du quartier West pour montrer qu’il est là et que personne n’a intérêt à mal faire son travail. D’Angelo est très mobile dans la saison 1 étant donné qu’il à une situation privilégiée. En revanche, ses camarades Bodie, Poot et Wallace ne le sont pas du tout puisqu’ils sont chargés de rester uniquement dans les blocks. D’ailleurs dans la saison 2 on se rend compte que Bodie n’est jamais sorti du département de Baltimore, en effet, il ne comprend pas que la radio ne capte plus dans la voiture et avoue ne s’être jamais aventuré en dehors du territoire sur lequel il vit. La police Ervin Burrell et Rawls ne se déplacent pas beaucoup ou en tout cas que dans certains lieux spécifiques qui semblent se trouver uniquement dans le centre des affaires. Cedric Daniels, même s’il est lieutenant, prend son travail à cœur et au lieu de simplement ordonner à ses inspecteurs d’aller sur le terrain, s’y rend également, il effectue un véritable travail d’inspecteur tout en ayant un statut supérieur. Jay Landsman n’est lui quasiment pas mobile, il 143 se contente de dire aux inspecteurs de se rendre sur le terrain, s’y rendre semble être une contrainte pour lui. On le voit d’ailleurs presque tout le temps manger, son immobilité est donc physiquement remarquable. Jimmy McNulty est, avec Stringer Bell, un des personnages les plus mobiles. En effet, il travaille essentiellement sur le terrain, et se déplace même en dehors de son travail. Il sera d’autant plus mobile lorsqu’il sera affecté à la brigade maritime. Sa collègue Shakima Greggs est également très mobile lors de son travail sur le terrain. Lester Freamon suit son équipe sur le terrain mais n’est pas pour autant aussi mobile que les autres inspecteurs. Prez est privé de terrain dans la saison 1, sa mobilité en est donc affectée, mais Carver et Herc se rendent fréquemment dans les rues du West Baltimore pour dérober des informations auprès des jeunes dealers. Pour analyser la mobilité des personnages en fonction de leur statut dans la hiérarchie, on peut également dresser un tableau. Elle est classée selon leur degré de pouvoir et le type de mobilité, c’est-à-dire si elle est contrainte ou choisie. La mobilité de Proposition Joe n’étant pas assez visible à travers la série, son analyse sera donc écartée par manque de valeur ajoutée. Degré de pouvoir Tableau 9 Mobilité des personnages Faible Elevé Contrainte Bodie Poot Wallace Prez Shakima Carver Herc Freamon Avon Burrell Rawls Landsman Daniels Type de mobilité Choisie D’Angelo McNulty Stringer Marlo Affiliés à une étoile, les personnages se trouvant en haut de la hiérarchie dans le monde de la rue ont une mobilité choisie majoritairement. Ils sont libres d’exercer et de contrôler leur activité sur le territoire et ce parce qu’ils se le sont approprié. Seul Avon est contraint dans ses déplacements mais c’est un choix stratégique pour ne pas se faire repérer par la police, cette dernière va d’ailleurs mettre plusieurs épisodes à découvrir son visage. 144 Les hauts-gradés de la police eux sont contraints d’exercer une fonction décisionnaire dans leur bureau et négociatrice lors de réunions c’est pourquoi ils ne semblent pas ou peu mobiles. Cependant Daniels l’est beaucoup plus de par sa mission, mais est tout aussi contraint. Jay Landsman semble quant à lui, vouloir se déplacer le moins possible préférant dévorer son sandwich, ingurgiter son soda tout en reluquant un magazine de charme. En ce qui concerne les inspecteurs et dealers des blocs, en bas de la chain of command, ils sont contraints par leur statut dans la hiérarchie qui ne leur permet pas d’aller où bon leur semble. Ils doivent accomplir les tâches qui leur sont données sans essayer de faire autrement. Lorsque Herc, Carver et Prez se rendent à Franklin Terrace de nuit alors qu’ils n’en sont pas autorisés, ils s’en trouvent sanctionnés, et la mobilité de Prez en a été affectée puisqu’il est condamné à rester dans le local du sous-sol pendant que ses collègues sont sur le terrain. Enfin on retrouve également dans ce tableau les deux électrons libres que sont D’Angelo et McNulty. Ces derniers ont quasiment quartier libre dans Baltimore, le premier par privilège et le second par impertinence. De ce fait ils sont très mobiles, ils vont au-delà des limites posées par leur statut dans la hiérarchie. Dès le pilote, McNulty en fait les frais alors qu’il se rend voir le juge Phelan par qui il se fait embobiner. Cette affaire lui coûte presque sa place au sein de police. Figure 41 - Scène des échecs Enfin, après avoir décrit et analysé la situation des personnages et leur mobilité en fonction de leur statut dans la chain of command qui nous permet de relever plusieurs liens, il nous reste à voir les espaces concrets de la ville qu’occupent les membres des deux groupes. Ainsi, l’analyse du cloisonnement du lieu fréquenté, sa verticalité dans la ville, sa centralité et l’étendue de l’espace utilisé par les protagonistes nous permettront d’avoir plus de clés pour pouvoir répondre à la problématique. 145 III. Chain of command et espaces liés On peut regrouper les personnages en fonction de leur place dans la chain of command. Ainsi trois groupes se dégagent. Les dominants constituent pour cette analyse un groupe commun ainsi que les dominés. Les personnages ayant un statut hiérarchiquement faible dans la chain of command mais se détachant de leur catégorie par privilège ou par choix sont classés dans un même groupe nommé « Electrons » parce qu’ils sont presque perpétuellement en mouvement dans la ville. Dans le tableau ci-dessous, d’autres aspects de l’occupation de la ville sont analysés afin de pouvoir dégager d’autres possibilités de relation entre statut des personnages et rapport à l’espace. Tableau 10 - Chain of command et espace liés Dominants Rue Police Electrons Rue Police Dominés Rue Police Fermé Cloisonnement Verticalité de la ville Centralité Etendue de l’espace utilisé Ouvert Supérieur Inférieur Centre Quartiers Vaste Restreint Les dominants sont les protagonistes qui se trouvent en haut de la chain of command. Pour la rue, ils correspondent à Avon Barcksdale, Stringer Bell, Proposition Joe et Marlo Stanfield. Ceux de la police sont Ervin Burrell, William Rawls, Cedric Daniels et Jay Landsman. De par ce tableau, on constate que les dominants de la rue occupent des espaces très divers. Stringer et Marlo sont souvent à l’extérieur sur le terrain, ce qui correspond à l’échelon inférieur de la ville. Cependant ils fréquentent également des lieux de décision et de négociation de même que Proposition Joe et Avon, se retrouvant à un niveau supérieur de la ville, comme par exemple le premier étage de la boîte de nuit ou de l’Eglise. Les commerces du clan Barcksdale semblent se trouver dans le centre, de ce fait le leadership de la rue ne reste pas cantonné dans les quartiers West ou Est de Baltimore, bien qu’ils y exercent leur activité. Du fait que leur trafic concerne une bonne partie de la ville, l’espace qu’ils utilisent est assez vaste, cependant des personnages comme Marlo ou Avon sont très attaché à leur quartier et restreignent donc leur mobilité. A la tête de la police, les personnages au fort pouvoir ne sont vus eux presque exclusivement dans des espaces fermés, dans des bureaux ou salles de réunion, ceux-ci se trouvant généralement en hauteur de la ville et principalement dans le centre des affaires. Du fait de leur position hiérarchique, ils contrôlent un espace de la ville qui est vaste même si les affaires de la série dans la saison se trament majoritairement dans le West side. 146 Les électrons sont D’Angelo et McNulty. Leur utilisation de l’espace est particulière et ne correspond pas à celle qu’ils devraient avoir s’ils s’en tenaient à leur place dans la chain of command. En effet, les deux utilisent chaque type d’espace ce qui reflète la liberté qu’ils s’accordent ou qu’ils se font accorder. Pour McNulty, Baltimore est un terrain de jeu, il se créé ses propres règles ce qui énerve d’ailleurs ses supérieurs. Il travaille à la fois dans les rues de Baltimore et dans la saison 1 dans un local sous-terrain, au niveau inférieur de la ville et se rend également dans les bureaux de la brigade criminelle et chez le juge Phelan, en hauteur de la ville. D’Angelo, lui profite du lien familial qui l’uni à Avon pour parcourir la ville sans être pour autant recadré. Il occupe la verticalité de la ville, en effet il exerce dans les blocs avec les jeunes dealers et grâce à son accès privilégié se rend dans les lieux décisionnaires en hauteur. L’étendue de l’espace qu’ils occupent est à la fois vaste par leur grande mobilité et restreinte par leur activité, dans la saison 1 D’Angelo est assigné aux blocs et dans la saison 2 l’inspecteur mène une enquête sur les docks, espace limité. Les dominés sont, dans la rue, Bodie, Poot et Wallace. Dans la police ce sont Bunk, Leaster Freamon, Shakima Greggs, Prez, Carver et Herc. Concernant la rue, les personnages se localisent dans les blocs, espace ouvert, à un niveau inférieur de la ville. A Franklin Terrace, les dealers des blocs travaillent en extérieur, dans un espace ouvert, à un niveau bas de la ville. Ils ne sortent pas ou exclusivement du quartier comme c’est le cas pour Bodie dans la saison 2 lorsqu’il se rend à Philadelphie. De ce fait ils occupent un espace très restreint de la ville. Les inspecteurs quant à eux, occupent des espaces très diversifiés du fait de leur forte mobilité. L’espace qu’ils utilisent est cloisonné lorsqu’ils sont dans leurs locaux ou bureaux et ouverts dans les rues de Baltimore. Ces espaces correspondent à différents niveaux de la ville, en hauteur sur le toit de l’Eglise dans la saison 1 et dans les bureaux de la police et à un niveau inférieur sur le terrain. Ils jonglent entre centre et quartiers de par leur devoir de répondre aux exigences de leurs supérieurs. L’espace qu’ils utilisent est à la fois vaste par leur mobilité élevée et restreinte par le quartier qu’ils surveillent. A première vue, on aperçoit déjà par la façon dont les croix sont disposées dans le tableau qu’il existe des convergences et des divergences entre les deux groupes étudiés. Les barons de la rue étant recherchés par les inspecteurs de police, cela se retrouve dans la manière dont ils occupent l’espace puisque leur rapport aux espaces de la ville est identique. Cependant même s’ils occupent des lieux vraisemblablement identiques, ils se retrouvent rarement au même endroit du fait que les uns sont poursuivis par les autres. Néanmoins il y a un endroit où les deux cohabitent sans confrontation. Le terrain de basket qui marque une véritable pause, une sorte de mi-temps entre les deux adversaires où chacun cesse d’exercer son activité. Si les dominants de la rue et les dominés de la police semblent avoir un rapport identique à la ville, c’est le contraire pour les policiers hauts-gradés qui cherchent à réformer les activités des dealers dans les rues de Baltimore. Les deux sont rarement en contact ce qui se ressent dans l’espace qu’ils occupent respectivement, qui semble contrasté. C’est d’ailleurs par leur divergence que le rapport de force qui s’établi entre ces deux est visible. En effet l’antagonisme des espaces qu’ils fréquentent est tellement fort 147 que lorsqu’ils sont en contact, un conflit éclate. Une exception réside dans la saison 3, lors du projet Hamsterdam instauré par le major Colvin où cette fois-ci les dealers de rue cohabitent avec ceux qui veulent la réformer. Enfin on remarque que les croix du tableau concernant les électrons forment un parallèle. Ainsi D’Angelo et McNulty, bien qu’appartenant à deux groupes différents ont le même rapport à la ville qui est très diversifié. Ils sont à la fois adversaires et compagnons de jeux. Les rapports humains qui les animent semblent plus apaisés et complices que ceux qui animent les personnages entre les deux autres catégories. Cela se ressent d’ailleurs lorsque D’Angelo meurt et que Mcnulty est le seul à défendre le fait qu’il ne puisse se suicider et cherche à découvrir qui en est à l’origine. A travers le tableau on voit qu’ils constituent chacun une passerelle entre ceux qui se trouvent en haut de la chain of command et ceux qui sont en bas. IV. Conclusion En conclusion, l’approche sociologique de l’utilisation de l’espace par les personnages de la rue et de la police a permis de dégager des relations entre le type de lieu fréquenté et le niveau hiérarchique des protagonistes. Ceux qui se trouvent à la tête de la hiérarchie de la rue et de la police fréquentent des lieux décisionnels, de négociation et de représentation. Contrairement à eux, les personnages ayant un faible pouvoir dans la hiérarchie sont presque exclusivement sur le terrain de jeu. L’étude de la mobilité permet de confirmer, voire de renforcer la relation trouvée dans la première partie. En bas de la chain of command, la mobilité des personnages est contrainte du fait qu’ils dépendent des ordres de leurs supérieurs. Ce sont ainsi des pions, par référence à l’épisode 3 de la saison 1. Les détenteurs d’un pouvoir plus élevé, voient également leur mobilité contrainte du fait de leur devoir décisionnel qui se déroule généralement dans des lieux précis. De ce fait sur la question de la mobilité, le statut des personnages dans la chain of command semble également affecter leur utilisation de l’espace. Cependant, d’Angelo et McNulty sont deux exceptions à ce lien. En effet, ce sont des protagonistes qui évoluent plus librement dans la ville et qui peuvent d’ailleurs être qualifiés d’éléments perturbateurs. De par leur rapport à la ville différent des autres membres de leur catégorie, ils démontrent que leur place dans la chain of command a peu de conséquences sur leur utilisation de l’espace. Enfin, la dernière partie démontre qu’en fin de compte ce sont majoritairement les rapports de force entre les différents groupes et au sein même des groupes qui influent sur la situation et la mobilité des personnages. 148 Table des figures Figure 1 - Localisation de Baltimore, Maryland, USA ............................................................ 15 Figure 4 - Une série aux multiples personnages....................................................................... 20 Figure 8 - Le "Wire Tour" ........................................................................................................ 32 Figure 9 - The Wire, des logiques territoriales hiérarchisées ................................................... 35 Figure 10 - The Wire Tour : Baltimore comme terrain de jeu ................................................. 53 Figure 11 - Omar Little, le grand joueur .................................................................................. 54 Figure 12 : carte de l’Etat du Maryland (nationalatlas.gov) ................................................... 58 Figure 13 : racisme ordinaire (cf. séquence 1 de la capsule vidéo).......................................... 60 Figure 15 : crise de l'emploi (cf. séquence 2 de la capsule vidéo) ........................................... 62 Figure 16. Scène dans laquelle Bodie lance un rocher à une caméra de sécurité ................... 70 Figure 17. Extraits du générique de la saison 2........................................................................ 71 Figure 18. Extraits du générique de la saison 3........................................................................ 72 Figure 19. Extraits du générique de la saison 4........................................................................ 73 Figure 20. Affiche de la première saison de The Wire ............................................................ 74 Figure 21. Photos promotionnelles de la série ......................................................................... 79 Figure 22. Par manque de moyens, deux personnages de la série, McNulty et Dozerman, sont obligés d’espionner sur le terrain pour recueillir plus d’informations et de preuves ....... 80 Figure 23 - Baltimore, une ancienne cité industrielle .............................................................. 88 Figure 24 - Le Corner, un espace ghettoïsé .............................................................................. 89 Figure 25 - Carte du revenu médian par quartiers à Baltimore entre 2005 et 2009 ................. 95 Figure 26 - Répartition de la population de Baltimore selon le genre ethnique en 2000 ......... 96 Figure 27 - Répartition de la population selon le genre ethnique en 2000 à Philadelphie (gauche) et Détroit (droite) ............................................................................................... 97 Figure 28 - Prises de vue Googlemap de Baltimore................................................................. 99 Figure 29 - Prise de vue Googlemap de Baltimore .................................................................. 99 Figure 30 - Des adolescents entre école et ghetto (saison 4).................................................. 101 Figure 31 - La relation entre les discours et les expressions .................................................. 117 Figure 32 - Faire la fête à Baltimore ...................................................................................... 118 Figure 33 - Kima, son histoire, et l'ambiance chaleureuse ..................................................... 119 Figure 34 - Une soirée dans le bar des dockers ...................................................................... 119 Figure 35 - l'enterrement de Mc Nulty (1) ............................................................................. 119 Figure 36 - L'enterrement de McNulty (2) ............................................................................. 120 Figure 37 - Bubbles vends des t-shirt blancs XXL (saison 3) ................................................ 126 Figure 38 - Carver prend soin de Namond ............................................................................. 133 Figure 39 : Omar en infériorité de taille et menace par une arme .......................................... 135 149 Table des tableaux Tableau 1 - Entre géofiction interactive et expériementale ...................................................... 42 Tableau 2 - Le rôle des piliers de la parenté dans The Wire .................................................. 104 Tableau 3 - La Reproduction Sociale dans The Wire ............................................................ 128 Tableau 4. "Idéal-type" n°1 : les passeurs .............................................................................. 131 Tableau 5. "Idéal-type" n°2 : l’infiltré.................................................................................... 133 Tableau 6. "Idéal-type" n°4 : l'indic ....................................................................................... 134 Tableau 7. "Idéal-type" n°5 : "l'électron libre"....................................................................... 134 Tableau 8 Situation des personnages en fonction du type de lieu dans la saison 1 de The Wire ........................................................................................................................................ 142 Tableau 9 Mobilité des personnages ...................................................................................... 144 Tableau 10 - Chain of command et espace liés ...................................................................... 146 150