Juliette Méadel. Le dessein de Juliette

Transcription

Juliette Méadel. Le dessein de Juliette
POLITIQUES
Juliette Méadel. Le dessein de
Juliette
22 février 2013 à 21:06 (Mis à jour: 25 février 2013 à 11:01)
(Photo Roberto Frankenberg pour Libération)
PORTRAIT Avocate d’affaires et énarque, la nouvelle directrice du
think tank de gauche Terra Nova veut changer l’exercice du
pouvoir.
Par CÉCILE DAUMAS
Cheveux souples ramassés en chignon lâche, regard bleu malicieux,
elle sait qu’elle a du charme. Radieuse spontanéité mais démarche
hésitante. Ses traits sont à peine altérés par les derniers mois de sa
troisième grossesse. «La naissance est prévue le 2 avril. Je limite
mes déplacements», dit-elle, joyeusement fataliste, calée dans un
fauteuil d’une brasserie du XIVe arrondissement, à deux pas de chez
elle. Elle en veut quatre, à l’instar d’une Cécile Duflot ou de Ségolène
Royal dont elle a fait la campagne en 2007 en tant que conseillère,
pourvoyeuse d’idées. «Les enfants me donnent de l’énergie et me
font croire en l’avenir…»
Des «bébés Ségo», jeunes et jolies ambitieuses qui ont affûté leurs
armes auprès de Ségolène, puis épaulé François lors de la dernière
présidentielle, elle est celle qui a le moins pris la lumière. Pour
l’instant. Najat Vallaud-Belkacem, Fleur Pellerin ou Aurélie
Filippetti sont devenues ministres. A 38 ans, Juliette Méadel
pourrait y prétendre un jour. En attendant son heure, elle vient
d’être nommée directrice générale du think tank de gauche Terra
Nova, orphelin de son fondateur Olivier Ferrand, mort brutalement
l’été dernier à 42 ans. «Elle assure la continuité de Terra Nova et
son ancrage générationnel, dit Carole Ferrand, veuve de l’ancien
président. Qu’elle soit par ailleurs enceinte de son troisième enfant
aurait plu à Olivier…» Jeune et femme, avocate d’affaires et
énarque, haut fonctionnaire du Trésor rompue aux embrouilles
politiques, son CV incarne à la fois l’équation impossible de la
gauche et du marché, l’exigence paritaire et l’impérieuse nécessité
d’un renouvellement des élites. Devant un simple verre d’eau, elle
prépare la première université d’hiver de l’institution qui se tient
aujourd’hui à Paris. «L’objectif est de renouveler le contenu
programmatique de la gauche progressiste.» Ah… Langage techno
sûr de lui, elle a réponse à tout. Europe, déficit démocratique ou
GPA - elle y est favorable -, rien ne lui fait peur. Telle une NKM en
moins hautaine, elle dégage cette singulière énergie des femmes qui
se pensent «en mission», convaincues de la justesse de leur
engagement.
Portée par une redoutable puissance de travail, Juliette Méadel veut
«tout» : le pouvoir, les enfants, l’action politique - être élue - et
l’autorité intellectuelle - être experte. A peine débute-t-elle une
carrière d’avocate dans un cabinet d’affaires, qu’elle entame un DEA
de philosophie puis une thèse sur les marchés financiers.
Immobilisée au quatrième mois de sa première grossesse, elle en
profite… pour préparer l’ENA. Durant la dernière campagne
présidentielle, elle crée son propre think tank, intitulé L’avenir
n’attend pas. Impatience des hyperactifs… «Elle a toujours été ainsi,
précise sa sœur, Cécile, sociologue à l’Ecole des mines de Paris.
Boulimique de la vie, à mener 36 activités de front, elle déteste ne
rien faire. Son professeur de piano était une femme charismatique,
autoritaire. Ses excès d’exigence étaient à la mesure de Juliette.»
Fatigante, la petite dernière ? Sa franchise et ses faux airs de
madone lissent l’âpreté de son ambition. Ni Wonder Woman en
costume masculin ni chantre d’une féminité singulière qui verrait
les femmes diriger différemment, elle explique simplement qu’elle
bute sur l’organisation actuelle du pouvoir. «Les hommes s’appuient
sur des horaires extravagants pour écarter les femmes du pouvoir.
Je souhaite voir mes enfants entre 19 et 21 heures.» De la campagne
auprès de Ségo, elle a acquis la conviction que le «top-down» ne
marche plus. Comprendre : il est urgent de développer la
démocratie participative, de cesser d’imposer les réformes d’en haut.
En attendant de changer les règles du jeu, elle travaille le soir dans
son lit, ordinateur sur les genoux. S’adapte et compose.
Ainsi ne tiendra-t-elle pas seule les manettes de Terra Nova. A
l’image du journal le Monde, dont les actionnaires ont choisi un duo
homme - femme pour le diriger, le think tank a opté pour un tandem
«chabada-bada». A François Chérèque, l’ex-numéro 1 de la CFDT, la
présidence, autorité morale et carnet d’adresses fourni. A Juliette
Méadel, la direction générale, manches trois fois relevées pour faire
tourner la fabrique à idées. «Une pêche d’enfer, énorme capacité de
travail», n’en revient pas l’ancien leader syndical. Qui remarque
aussi que la nouvelle directrice peut être autoritaire. «Elle ne laisse
pas sa place au voisin. Il ne faut pas l’embêter.»
Elle n’en est pas à son premier tandem «générationnel». Tel un
Emmanuel Macron, jeune secrétaire général adjoint à l’Elysée,
parfois raillé dans les médias pour son respect intéressé des vieux
«barons» de la politique, elle a compris un fait décisif : dans une
société bloquée, l’ascension passe aussi par une forme d’allégeance
aussi décomplexée que réaliste aux ténors. «Durant la campagne de
Ségo, elle était toujours fourrée avec Jean-Louis Bianco, se
souvient un journaliste. Elle a cette capacité à se retrouver dans le
sillage de celui qui compte.» Mais, rétorque Juliette Méadel,
l’ancien secrétaire général de l’Elysée des années Mitterrand est
devenu un ami. «Le seul politique que j’ai invité à mon mariage en
2007», précise-t-elle, coupant court à toute stratégie utilitariste. Lui
voit en elle «un espoir de la nouvelle génération». Mais, convient-il,
«je ne suis pas très objectif».
Tous les caciques du PS ne nourrissent pas la même tendresse à son
égard. «Une arriviste comme le PS en compte tant», cingle le
sénateur Gaëtan Gorce dont la motion portée avec elle au dernier
congrès du PS à Toulouse a tourné au psychodrame. Elle entre au
bureau national du parti, secrétaire national chargé de l’industrie,
il reste KO debout. Kill Bill de la politique ? «Je ne voulais pas être
la petite jeunette qui passe pour la secrétaire, il a voulu me
poignarder dix fois.» Ex-monsieur élections au PS, Christophe
Borgel s’en amuse encore. «Elle n’a pas froid aux yeux. Après des
années de domination politique par les hommes, c’est un bon
rééquilibrage, non ?» C’est auprès de sa famille qu’ elle trouve
réconfort et soutien sans faille. Un père haut fonctionnaire, exdirecteur de cabinet d’Edith Cresson, une mère enseignante
militante associative dans le XIVe, une grande sœur qui la conseille,
et… un mari «compréhensif qui la soutient», analyste financier
dans une grande agence de notation. Une tribu «gauche unie» qui
se réunit à Noël dans la maison familiale près de Gardanne. «J’ai
besoin de cette stabilité.»
Hollandaise estampillée ségoléniste, la voici dans les réseaux
deuxième gauche de Terra Nova. A deux reprises, elle a échoué à
trouver une «circo» aux législatives, victime de règlements internes
du PS.A un Borgel qui cite Mitterrand («Un grand parcours en
politique, c’est bien plus souvent des grandes circonstances que de
grandes qualités. Mais il faut aussi avoir les qualités pour saisir les
circonstances, voyez ce pauvre Rocard !»), la fan des Demoiselles
de Rochefort préfère la maxime du président Hollande. «A la fin, ce
sont toujours les gentils qui gagnent.» Photo Roberto
Frankenberg
En 6 dates
17 avril 1974 Naissance à Paris. 1981 Election de François
Mitterrand. Sur les épaules de sa mère, rue Soufflot. 1985 Première
audition de piano. 2007 Conseillère lors de la campagne de
Ségolène Royal 2011 Sortie de l’ENA. 2013 Directrice générale de
Terra Nova.

Documents pareils