JALMALV, un engagement de 20 ans

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JALMALV, un engagement de 20 ans
JALMALV, un engagement de 20 ans
Première association créée en France pour favoriser l'accompagnement des malades en fin de vie, l’histoire de
JALMALV est née à Grenoble en janvier 1983, autour du Pr. René Schaerer, médecin cancérologue et de Janine
Pillot, psychologue exerçant dans son service.
« Il y avait alors, dans les années 80, tout un contexte ; la mort des malades, qui se vivait dans 70 % des cas à
l’hôpital, et non plus au domicile, soulevait de réelles difficultés : on parlait beaucoup de l'acharnement
thérapeutique, des grandes insuffisances dans la prise en charge de la douleur, de la question de la vérité dans
la relation de soin » déclare Paulette Le Lann, Présidente de la Fédération.
« Les médecins ne portaient guère d’intérêt à ces malades incurables qui représentaient pour eux, l’échec de la
médecine, les familles étaient tenues à l’écart » ajoute-t-elle.
Les conditions du mourir étaient devenues insoutenables et le malade en fin de vie était confronté à une triple
impasse : soit mourir dans un univers médicalisé où se pratiquait souvent l’acharnement thérapeutique, soir
mourir dans la douleur physique, la souffrance morale, seul et abandonné, soit mourir euthanasié pour échapper
à l’insupportable.
Les infirmières et les aides-soignantes, confrontées à ces situations exprimaient aussi leur souffrance de ne
pouvoir mener de front les soins curatifs et l’accompagnement. Faire évoluer l’institution hospitalière de
l’intérieur s’avérant très difficile, l’idée est venue de lancer un mouvement dans l’opinion publique : c’est ainsi
qu’est né JALMALV Grenoble.
La société elle-même portait un regard négatif sur la mort : la mort, on la cachait, on la taisait ; « Dans les
années 70-80, les signes de deuil avaient disparu, raconte Madame Le Lann ; les veillées du corps et
l’accompagnement par les voisins appartenaient déjà au passé, les corbillards étaient remplacés par des voitures
banalisées, tout était fait pour évacuer l’image de la mort qui est ainsi, peu à peu, devenue taboue ».
JALMALV décide alors d’agir pour faire évoluer les mentalités et les attitudes face à la mort et promouvoir les
soins palliatifs et l’accompagnement, alors totalement inconnus en France.
C’est à l’occasion d’un congrès en Suisse que Madame Le Lann découvre cette spécialité : « J’ai entendu le Pr.
Charles-Henri Rapin, gériatre à Genève, en parler, j’ai passé une dizaine de jours dans son service et en suis
sortie convaincue. Il fallait non seulement traiter la douleur des malades en fin de vie, les accompagner,
accompagner les familles et les soignants, mais aussi redonner à la mort, sa place dans notre société et recréer
des liens de solidarité autour des personnes en souffrance ».
Depuis, JALMALV a grandi : en 1987, une fédération a été créée, le mouvement compte aujourd’hui 120
associations et villes antennes et regroupe environ 1.800 bénévoles d’accompagnement qui se rendent
régulièrement dans les services, toujours plus nombreux.
Une loi votée en 1999 a fait des soins palliatifs et de l’accompagnement un droit pour toute personne dont l’état
le requiert.
A l‘initiative du Ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, cette loi a été suivie d’un plan de
développement des soins palliatifs, puis d’un second, et en 2005, une autre loi, la loi Léonetti est venue
réaffirmer et renforcer les droits du malade, précisant les modalités selon lesquelles il peut refuser des
traitements qu’il juge déraisonnables, comment il peut - avant la survenue de sa maladie - faire connaître ses
souhaits.
Cette loi réaffirme à nouveau l’obligation de développer les soins palliatifs et l’accompagnement dans notre
pays.
En dépit de ces avancées incontestables, JALMALV n’est pas au bout de ses peines. Si en 25 ans, les soins
palliatifs se sont développés, professionnalisés et placent désormais la France à un rang honorable, beaucoup
d’inégalités subsistent encore dans l’offre de soins.
En outre, comme la plupart des associations d’accompagnement, après une période de croissance, JALMALV
connaît une stagnation dans le recrutement de ses bénévoles. « Les nouveaux arrivants comblent à peine les
départs », relève Madame Le Lann.
«De plus, les nouvelles recrues semblent moins disponibles que les plus anciennes parce que très sollicitées par
ailleurs et désireuses de pouvoir disposer de temps personnel pour elles-mêmes et leurs proches, ce qui limite
le temps bénévole consacré à l’association », ajoute-t-elle.
En dépit de ces obstacles, JALMALV ne manque pas de projet : « 20 ans après, notre double objectif, à savoir
accompagner les personnes en souffrance, confrontées à la maladie grave et contribuer à faire évoluer les
mentalités dans ce domaine, tout cela reste tout à fait d’actualité ! » précise Madame Le Lann. « Nous avons
encore beaucoup à faire en direction de nouveaux publics – les personnes en coma dépassé, les personnes
âgées, les malades atteints d’affections dégénératives chroniques - mais aussi dans des milieux où ne nous
sommes pas présents et qui restent à investir, notamment le milieu carcéral, le monde psychiatrique ». Il nous
faut rester à l’écoute des nouveaux besoins qui émergent de notre société en constante mutation. Par ailleurs,
l’évolution des mentalités suppose aussi des actions de communication en direction de nos concitoyens pour
promouvoir les soins palliatifs et l’accompagnement et susciter des débats publics autour de ces problématiques
de fin de vie. C’est toute la dimension militante de notre engagement à JALMALV ».
Soins palliatifs : le retard français à peu près comblé
A partir de Grenoble où il était oncologue, Le Dr René Schaerer, avec d’autres, a été à l'origine d'une véritable
lame de fond, d'un mouvement d'opinion qui a été suivi par l'ensemble de la classe politique et qui, en termes
de soins palliatifs et d'accompagnement aux mourants, a permis à la France de passer d’une totale indigence à
un rang relativement honorable par rapport aux autres pays occidentaux.
« Dans mon CHU, avec Janine Pillot, psychologue en cancérologie, nous avons découvert au cours des années 70
que nous ne savions rien faire pour les malades en fin de vie », se souvient-il.
« En fait, la mort nous faisait peur ou nous laissait démunis et ce sont les infirmières, excédées de se livrer à un
acharnement thérapeutique qu’elles désapprouvaient, de délivrer des traitements disproportionnés ou inutiles
qu’elles n’approuvaient pas qui m’ont fait prendre conscience de la nécessité de prendre le problème à bras le
corps », raconte-t-il.
Des réunions ont été organisées qui faisaient salle pleine et au cours desquelles les infirmières ont affirmé leur
volonté d’« accompagner » les malades.
« Nous avons commencé à regarder ce qui se faisait ailleurs et découvert en Grande-Bretagne le travail de Cicely
Saunders – une femme qui avait été infirmière et assistante sociale avant de devenir médecin. Elle avait créé à
Londres le premier hospice de soins palliatifs, le Saint Christopher’s Hospice, et était déjà devenue un chef de
file en ce domaine puisque son centre avait été pris pour modèle dans des centaines d’autres établissements du
pays et inspirait maintenant jusqu’au Canada », explique le Dr Schaerer.
« Avec des moyens simples et bon marché, elle avait mis au point un savoir-faire qui soulageait 90 % des
personnes en phase terminale. Elle nous a fait redécouvrir l’usage de médicaments qu’on ne savait plus manier,
en particulier la morphine prise par voie orale pour soulager la douleur », précise-t-il.
Le Dr Schaerer s’aperçoit rapidement que corriger les carences qu’il a constatées dans sa propre pratique et
dans son service, se heurte à « l’entité monumentale » que constitue l’hôpital public : la mort n’intéresse pas et
l’on refuse le projet en brandissant l’image d’un « mouroir ». Par ailleurs, « créer un établissement de soins
palliatifs indépendant est une impossibilité financière et administrative », dit-il.
C’est précisément parce qu’ils font le constat de ces résistances, de l’importance des soins palliatifs et de la
nécessité de changer les mentalités et de provoquer un courant d’opinion favorable que Janine Pillot et lui créent
en 1983 l’association.
« Nous voulions faire comprendre au public que le mort est un vivant jusqu’à son dernier souffle, qu’il conserve
jusqu’au bout son statut de sujet », souligne-t-il.
Les conférences qu’ils organisent sont pleines à craquer. De ville en ville, le mouvement fait tache d’huile. En
1986, l’Etat décide de prendre en charge l’aspect hospitalier des soins palliatifs par une circulaire imposant la
création d’unités spécialisées, et des centaines de bénévoles encadrés commencent à travailler en partenariat
avec les soignants.
« De la gauche à la droite, tout le monde suivait. Les parlementaires avaient compris que le courant que nous
représentions correspondait à une attente profonde de la population, lassée d’une médecine devenue trop
technique qui ne voulait pas laisser sa place à un mourir naturel », constate le Dr Schaerer.
Mais entre la fondation de Jalmalv et l’arrivée dans les services des premiers bénévoles, il s’est tout de même
écoulé cinq ans : « Il a fallu mettre au point le projet, la formation et la sélection des bénévoles car, en ce
domaine, la bonne volonté ne suffit pas. Il y avait le risque de recruter des personnes fragiles qui auraient pu
être nocives pour les malades et les soignants, ou elles-mêmes exposées à une épreuve trop lourde », soulignet-il.
En 23 ans, la situation a certes bien changé et évolué favorablement. Mais tout n’est pas réglé pour autant : « La
résistance à créer des unités de soins palliatifs reste forte, il y a des régions de France qui sont notoirement
sous-équipées et les pouvoirs publics privilégient souvent la création d’unités mobiles de soins palliatifs, plutôt
que l’ouverture de véritables services », constate le Dr Schaerer.
Moins coûteuses, ces unités vont de service en service mais ne sont évidemment pas chargées des soins. « Elles
donnent des conseils qui ne sont pas toujours suivis à la lettre et avec le savoir-faire nécessaire », regrette le
fondateur de Jalmalv. « Elles ont eu cependant l’avantage de rejoindre les malades et leurs familles là où ils
étaient pris en charge et de répandre l’esprit des soins palliatifs dans l’ensemble de notre système de soins ».
Le bénévolat, un engagement exigeant
Le bénévole d’accompagnement témoigne par sa présence, du maintien du statut social de la personne qu’il
accompagne. Son action est un engagement fort, qui non seulement contribue au maintien social d’une personne
fragilisée mais témoigne aussi d’une société solidaire, d’une humanité pérenne.
« Pour faire de l’accompagnement il faut être dans le désir d’aller vers l’autre, pour l’autre, en sachant que la
bonne volonté ne suffit pas ». souligne Marie-Odile de Vaugrigneuse, Présidente de l’Association Jalmalv-Ile de
France.
Nous proposons à toute personne qui vient nous voir de prendre un temps de réflexion pour mûrir sa motivation.
De même, il est demandé aux personnes qui viennent de subir un deuil ou de traverser une épreuve comme la
maladie grave d’un proche, de laisser passer quelques mois avant de s’engager : « la personne qui vient de
traverser un deuil n’est pas perméable à l’écoute de l’autre ». explique Paulette Le Lann, Présidente de la
Fédération JALMALV.
« Le bénévolat d’accompagnement n’est pas un engagement banal, aussi nous proposons une formation qui va
participer à clarifier et renforcer les motivations des candidats » précise Madame Le Lann.
Après un entretien avec une psychologue, la formation est étalée sur six à neuf mois. « Il y a d’abord un temps
de sensibilisation, réparti sur trois ou quatre journées en trois mois, puis une formation initiale de six à huit
journées sur six mois au cours de laquelle chacun pourra repérer ses ressources et ses limites, développer ses
capacités d’écoute, partager sa réflexion, cerner la spécificité du bénévolat d’accompagnement JALMALV,
mesurer ce que recouvre la fonction du bénévole d’accompagnement et forger son sentiment d’appartenance au
groupe. Après la formation, le bénévole s’il confirme son engagement, sera accompagné dans un service par un
bénévole chevronné », explique-t-elle.
La formation permanente qui est proposée ensuite va répondre aux besoins spécifiques des bénévoles à partir
de leurs questionnements et de leur expérience.
L’accompagnement des malades graves ou en fin de vie est une tâche exigeante, qui demande que le bénévole
soit soutenu dans sa confrontation à des situations impliquantes. Un groupe de parole permet aux bénévoles
d’avoir une démarche de recul pour partager leurs vécus dans les situations d’accompagnement. Ce groupe a
aussi une fonction de « protection » sécurisante, par la régularité des rencontres avec des pairs et par
l’assurance d’être écouté et reconnu dans son individualité.
Les bénévoles sont présents au domicile ou à l’hôpital une demi-journée par semaine.
« Le bénévolat d’accompagnement s’exerce dans la durée, l’important, c’est la régularité », rappelle la Présidente
de Jalmalv-Ile de France.
« Il arrive que les personnes malades prennent le bénévole pour confident et lui livre des choses qu’il ne dirait à
personne d’autre », raconte-t-elle en soulignant l’importance de la confidentialité.
« L’accompagnement est toujours respectueux des convictions religieuses et philosophiques des malades et de
la manière dont elles sont exprimées », précise encore Madame de Vaugrigneuse.
Le bénévole fait partie d’une équipe dans une fonction de témoin : être simplement quelqu’un pour quelqu’un.
« Malheureusement, faute de candidats, nous ne pouvons répondre à la demande croissante des institutions
hospitalières et du domicile quant à la présence de bénévoles d’accompagnement » ajoute la Présidente de
Jalmalv-Paris Ile de France.
Les équipes mobiles de soins palliatifs :
exaltantes mais peu demandées
Paradoxalement, alors que la tendance est à la multiplication des ouvertures d'équipes mobiles de soins
palliatifs, les gestionnaires hospitaliers ne cessent d'observer, ce que dans leur langage fleuri ils qualifient de
"déficit par rapport aux postes ouverts". Responsable depuis cinq ans de l'équipe mobile de soins palliatifs
opérant à Bichat-Claude Bernard, le Dr Dominique Poisson témoigne de "la richesse immense de son travail"
mais constate, le déficit en médecins formés à cette discipline.
"D'une manière générale, constate-t-il, les soins palliatifs progressent, mais de façon déséquilibrée. Ainsi, on
assiste à un déficit en lits de soins palliatifs (lits en Unités de soins palliatifs) qui seuls peuvent prendre en
charge les malades aux situations les plus délicates, alors que le nombre d'équipes mobiles, sans lits propres
mais aidant à la prise en charge des malades, progresse. S'ajoute une nouvelle notion, qui rend confuse ce qui
est annoncé au public, celle de lits "identifiés" de soins palliatifs. Des lits censément réservés à cet effet dans
les services aigus, généralement comptés parmi les "lits de soins palliatifs", alors qu'ils n'en sont pas réellement
et ne sont pas assortis des moyens correspondant.
Composée de deux médecins, trois infirmières et une psychologue, l'équipe va de service en service, à la
demande, pour voir les malades et examiner avec les équipes soignantes comment soulager au mieux les
symptômes, évaluer les traitements et leurs éventuelles modifications, suggérer les mesures d'accompagnement
qui pourraient être prises, peser le bien-fondé d'un retour au domicile ou l'envoi dans un service de soins
palliatifs, et discuter des décisions difficiles et des demandes d'aide à mourir... Elle aide aussi à soutenir les
familles en difficulté et les équipes soignantes confrontées à la souffrance. Une équipe de bénévoles JALMALV
participe activement à l'accompagnement des malades suivis par l'équipe.
"Auprès des soignants, je n'ai qu'un rôle de conseil, mais comme les patients le savent, j'ai avec eux des
rapports profondément humains, parfois d'une richesse immense", affirme le praticien, venu aux soins palliatifs
et à l'accompagnement des mourants en commençant comme bénévole avant de reprendre un poste de médecin.
Cet intérêt humain, partagé par son équipe, explique sans doute l’unité de celle-ci et son assez grande
stabilité. Et ceux qui sont partis, à l'exception d'une infirmière qui n'a pas supporté, sont restés dans le monde
des soins palliatifs.
Pourtant, les personnes malades que l'équipe mobile est amenée à voir souffrent tous de maladies graves et
évolutives qui menacent leur vie. Quotidiennement, ses cinq membres sont confrontés à la douleur et à la mort :
"Nous prenons la souffrance de plein fouet et même si nous sommes habitués à la recevoir, il est impératif d'en
parler, lors des groupes de parole que nous organisons régulièrement, pour éviter de nous épuiser
psychiquement, et aussi, pour nous éviter de construire des défenses qui nous rendraient blasés ou
indifférents", souligne le Dr Poisson.
"Par les réductions de la durée du séjour des patients et la tarification à l'activité, qui font que moins longtemps
le patient reste dans un service mieux l'hôpital est rémunéré, toute l'organisation de la médecine tend à une
meilleure rentabilité. La rationalisation financière de l'hôpital pousse à renvoyer le patient chez lui ou dans un
autre établissement le plus vite possible, ce qui a des effets néfastes pour les patients que notre équipe est
amenée à suivre. Cette réduction du temps de séjour à l'hôpital fait que le médecin dispose de moins en moins
de temps pour s'occuper des malades", avance-t-il.
"Ce que nous faisons n'a rien à voir avec la médecine noble et scientifique que nous avons apprise et qui doit
guérir, aussi la période de fin de vie d'un malade est-elle ressentie par de nombreux soignants comme un
échec", reconnaît-il, avant de nuancer : "Dans certains services où nous intervenons, tout a été fait par les
équipes soignantes pour faciliter une prise en charge commune des malades et de leurs proches ; c'est alors
comme si nous en faisions partie; nous travaillons vraiment la main dans la main".