La lutte contre les mutilations génitales féminines
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La lutte contre les mutilations génitales féminines
Division 43 Santé, éducation, protection sociale Projet sectoriel Appui aux initiatives pour l’abandon des mutilations génitales féminines La lutte contre les mutilations génitales féminines Défis et perspectives pour les programmes de santé Première partie: Une selection d’approches Division 43 Santé, éducation, protection sociale Projet sectoriel Appui aux initiatives pour l’abandon des mutilations génitales féminines La lutte contre les mutilations génitales féminines Défis et perspectives pour les programmes de santé Première partie: Une selection d’approches Publié par: Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (GTZ) GmbH Postfach 51 80 65726 Eschborn Internet: http://www.gtz.de Responsable: Dr. Inge Baumgarten Division 43 Santé, éducation, protection sociale Projet sectoriel: Appui aux initiatives pour l’abandon des mutilations génitales féminines (MGF) Telefon: +49 (61 96) 79 15 78 Telefax: +49 (61 96) 79 71 77 E-mail: [email protected] Internet: http://www.gtz.de/fgm Texte: Dr. Claudia Kessler Bodiang Traduction: Service linguistique de la GTZ C. Isner-Kaeuffer Impression: Universum Verlagsanstalt, 65175 Wiesbaden Novembre 2002 TABLE DES MATIÈRES Table des matières Table des matières i Liste des abréviations ii Liste des encadrés iii Préface iv Introduction 1 1. La situation actuelle et la nécessité de changement 3 2. Les différentes approches 8 2.1 L'approche axée sur les droits de l’être humain 9 2.2 L'approche juridique 10 2.3 L'approche sanitaire 12 2.4 L'approche ‘religieuse’ 15 2.5 La formation des acteurs de la santé pour en faire des acteurs du changement 16 2.6 La formation et la reconversion des exciseuses traditionnelles 19 2.7 La mise en place de nouveaux rituels 20 2.8 Les activités d'IEC et les campagnes de changement comportemental 22 2.9 L'approche basée sur le développement social intégral 24 2.10 L'approche basée sur la recherche 27 3. Recommandations 29 4. Conclusions 33 Annexe 1 Éléments susceptibles d'être inscrits dans un programme de formation à l'intention des agents de santé Éléments du programme 34 34 Annexe 2 Changement comportemental 36 Bibliographie 39 i LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Liste des abréviations BMZ Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement) DBC Diffuseur (de services de planification familiale et de santé reproductive) opérant au niveau communautaire EDS Enquête démographique et de santé UE Union européenne AGF Ablation génitale féminine MGF Mutilation génitale féminine GTZ Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit GmbH (Coopération technique allemande) CIPD Conférence internationale sur la population et le développement, le Caire, 1994 CIAF Comité inter-africain de lutte contre les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants IEC Information, Éducation, Communication CN Comité national ONG Organisation non gouvernementale PATH Programme for Appropriate Technology in Health (Programme d’aide technique adaptée aux services de santé) AT Accoucheuses traditionnelles USAID Agence américaine de coopération OMS Organisation mondiale de la santé ii PREFACE Liste des encadrés Encadré 1 : Consensus international contre les MGF Encadré 2 : Approches choisies Encadré 3 : Application de la réglementation pénale au Burkina Faso Encadré 4 : Position de l’OMS concernant la médicalisation des MGF Encadré 5 : Dilemme des agents de santé dans leur rôle de chef de famille Encadré 6 : Évaluation des efforts de reconversion au Mali Encadré 7 : Nouveau programme d'entrée dans l'âge adulte au Kenya Encadré 8 : Messages IEC les plus couramment utilisés Encadré 9 : L’approche Tostan au Sénégal Encadré 10 : Enquête sur la déviance positive iii LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Préface La mutilation génitale féminine (MGF), également connue comme la circoncision féminine (CF), ou ablation génitale féminine (AGF), est une appellation générique pour désigner plusieurs pratiques traditionnelles faisant intervenir l’ablation des organes génitaux féminins. De par le monde, quelque 130 millions de femmes sont touchées et chaque année deux millions de fillettes et de jeunes femmes subissent des mutilations de ce genre. De nombreuses activités de coopération ont été axées sur la lutte contre cette pratique, officiellement reconnue comme une violation des droits de l’être humain et déjà interdite par la loi dans de nombreux pays. Les MGF sont un sujet emblématique des droits de l’homme et de la femme. La ministre fédérale allemande de la Coopération économique et du Développement, Mme Heidemarie Wieczorek-Zeul, est résolument déterminée à mettre fin aux mutilations génitales féminines ; elle veut que la coopération au développement apporte sa contribution en renforçant le rôle des femmes dans la société. Depuis 1999, la GTZ œuvre au nom du ministère de la Coopération économique et du Développement (BMZ) à la promotion et à l’encouragement d’initiatives visant l’abandon des MGF dans les pays partenaires. La collaboration étroite avec des organisations non gouvernementales nationales et internationales, des groupes de pression et des projets de Coopération technique permet de tenir compte d'aspects étroitement interconnectés comme la santé, la législation, l'éducation et la politique féminine dans les activités de soutien aux initiatives locales visant à mettre fin aux MGF. La présente publication commence par passer en revue les informations relatives à la situation actuelle, à la typologie et à la fréquence des MGF dans le monde. Elle donne ensuite un vaste aperçu, illustré d’exemples, des approches retenues au plan international en montrant comment celles-ci sont mises au point et adaptées de manière à correspondre aux réalités locales. Cet aperçu présente un grand nombre d’approches et de méthodes possibles de lutte contre les MGF, tout en reconnaissant qu’il n’existe pas de solution unique susceptible de convenir à toutes les situations, à tous les pays ou à tous les groupes cibles. L’identification et l’évaluation de l’approche choisie dans chaque cas serviront de base à une comparaison de la tâche accomplie avec d’autres et permettront de cataloguer ces résultats pour l’avenir. iv PREFACE Nous espérons que l'expérience décrite dans la présente publication servira non seulement à enrichir le débat entre le personnel des programmes de santé et ceux qui y collaborent, mais aussi à encourager d'autres programmes à prévoir dans leurs activités, et dans le cadre d'une approche exhaustive, des mesures visant à éradiquer les MGF. Prof. Dr. Rolf Korte Division 43 Santé, éducation, protection sociale Dr. Inge Baumgarten Projet sectoriel « Appui aux initiatives pour l'abandon des mutilations génitales féminines » v INTRODUCTION Introduction Au cours de la dernière décennie, la question des mutilations génitales féminines (MGF) est devenue une préoccupation de la communauté internationale. Les organisations féminines et d'autres groupes d'action jouent un rôle de plus en plus important dans la lutte contre une pratique traditionnelle qui est une menace pour la santé et une violation des droits humains de millions de femmes. Aujourd'hui, la solidarité internationale nous dicte d'apporter notre soutien à cette lutte, selon des modes culturellement adaptés et ouverts. La Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (GTZ) GmbH (Coopération technique allemande) a décidé de se joindre aux efforts internationaux déployés par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les gouvernements africains ainsi que les agences et les ONG nationales et internationales œuvrant au développement. En tant qu'acteur important dans le domaine de la santé reproductive, la GTZ entend contribuer à la lutte contre cette pratique. La présente brochure a pour objectif d'encourager les collaborateurs des projets appuyés par la GTZ à inclure la question des MGF dans leurs programmes et de les mettre en mesure de mieux assumer leur rôle de conseillers techniques. Les informations générales fournies par la brochure aideront le lecteur dans sa réflexion et ses débats. Les approches et les solutions potentielles aux MGF sont aussi diverses que les causes du phénomène qui sont dictées par le contexte. C'est la raison pour laquelle l'une des façons de réussir réside dans l'adoption de stratégies et de programmes conçus, mis en oeuvre et contrôlés localement. Dans le même temps, les années ont permis de tirer de nombreux enseignements communs, lesquels seront examinés tout au long du présent document. Les expériences passées ont démontré que les interventions doivent être menées à différents niveaux : du niveau international à celui de la collectivité locale, en passant par l'engagement et la participation active des gouvernements. La contribution au dialogue sur les politiques internationales et la coopération technique bien documentée proposée aux gouvernements partenaires constituent toutes les deux des facteurs essentiels justifiant le soutien apporté dans ce domaine. Cependant, la brochure ne s'attardera pas beaucoup sur ces aspects, dans la mesure où la définition des politiques, la coordination, le réseautage et la défense des intérêts sont des facteurs importants qui doivent être traités séparément. Au lieu de cela, nous nous pencherons ici de plus près sur deux questions spécialement importantes dans ce contexte : les aspects juridiques et l'intégration des activités de lutte contre les MGF. L'accent sera mis sur les approches visant le niveau communautaire. C'est à ce niveau que les activités liées aux MGF sont les plus différentes des autres stratégies de santé reproductive. Depuis les campagnes de lutte contre le VIH/SIDA, la coopération multisectorielle et l'attention accordée aux aspects sociaux et comportementaux sont devenues des interventions prioritaires dans le secteur de la santé. Cependant, plus que les autres composantes de l'offre de santé reproductive, la question des MGF souligne l'importance de la dimension sociale et culturelle. Cet aspect contraindra probablement les collaborateurs des projets de santé à explorer des domaines jusque 1 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES là inconnus et à s'engager dans des formes nouvelles de coopération intersectorielle. Cette question requiert une approche globale tenant compte de tous les aspects du développement, y compris des questions de genre ainsi que du développement social, politique, juridique, sanitaire et économique de la collectivité. Dans ce cadre, le présent document a pour but d'élargir l'horizon des professionnels de la santé. La brochure commence par une présentation des différents types de MGF et de la répartition géographique de cette pratique dans le monde. Cette présentation est suivie d'un bref aperçu historique des différentes phases de l'intervention internationale dans le mouvement anti-MGF. Suivent une présentation du consensus international actuel et une discussion du rôle des projets de santé. Afin de permettre aux collaborateurs des projets de s'impliquer activement dans l'abolition des MGF, diverses approches actuellement en usage sont ensuite présentées. L'évaluation des expériences est suivie d'une discussion des succès et des échecs. Des exemples précis sont également présentés et des recommandations sont faites sur la base des enseignements tirés. Après la conclusion, l'Annexe 1 établit la liste des éléments susceptibles d'être inclus dans un programme de formation sur les MGF à l'intention des agents de santé. L'Annexe 2 présente deux concepts de changement comportemental ('Étapes vers l'adoption de comportements' et 'La voie vers le changement de comportement'). La présente brochure n'a pas pour objectif de traiter des conséquences sanitaires et des complications occasionnées par les MGF. Nous n'explorerons pas non plus les raisons de la pratique des MGF dans un contexte socioculturel donné. Tous ces aspects ont déjà été traités dans d'autres publications. Le lecteur qui souhaite obtenir de plus amples informations sur ces questions est invité à se référer au document intitulé « Liste de publications, sites web, et vidéos sur les mutilations génitales féminines (MGF) » qui fait partie des publications de la GTZ sur les MGF. La première des deux parties de cette publication ne traite pas dans le détail du rôle que les projets de santé peuvent jouer dans ce domaine. Ce niveau de détail est laissé à la seconde partie qui analyse quelques projets choisis appuyés par la GTZ en se référant au contexte pertinent du pays, et examine les activités de lutte contre les MGF en cours et l'intégration potentielle accrue des activités liées aux MGF. Ces études de cas sont suivies de recommandations générales à l'intention des projets de santé appuyés par la GTZ qui leur indiquent comment intégrer au mieux les mesures liées aux MGF. La méthodologie retenue pour cette première partie consiste en une revue de la littérature publiée et de la littérature grise complétée par l'expérience propre de l'auteur. L'Organisation Mondiale de la Santé a élaboré de nombreux documents pertinents traitant de questions similaires. Il s'agit, toutefois, d'études volumineuses et difficile à absorber par la plupart des professionnels dans les pays concernés, occupées par la gestion quotidienne des projets. Plutôt que de dupliquer des publications existantes, la présente brochure vise à faire une brève synthèse des questions les plus pertinentes et de les présenter dans un format pratique pouvant être utilisé dans le contexte des projets. Le lecteur qui souhaite obtenir des informations plus détaillées peut consulter la liste des références utilisées dans l'élaboration du présent texte. 2 LA SITUATION ACTUELLE ET LA NECESSITE 1. DE CHANGEMENT La situation actuelle et la nécessité de changement L'OMS estime que 130 millions de fillettes et de femmes sont touchées par les MGF dans le monde, deux millions de fillettes supplémentaires étant menacées de subir une forme ou une autre de cette pratique chaque année.1 Cette pratique traditionnelle préjudiciable est aujourd'hui considérée par la plupart des organisations internationales ainsi que par de nombreuses parties prenantes africaines, comme une violation des droits humains de la femme. Elle est aujourd'hui interdite dans la plupart des pays européens, soit par une législation spécifique sur les MGF, soit par les procédures pénales ou criminelles à l’encontre des atteintes à l'intégrité physique de la personne. Comme nous le verrons plus loin, un grand nombre de gouvernements africains ont également adopté des législations interdisant cette pratique. Plusieurs types d'« opérations » sont pratiquées dans le but de modifier l'anatomie normale de l'appareil génital féminin externe. Quatre types sont généralement identifiés, conformément à la classification de l'OMS : Type I : excision du prépuce, avec ou sans excision partielle de la totalité ou d’une partie du clitoris ; Type II : excision du clitoris avec excision partielle ou totale des petites lèvres ; Type III : excision de la totalité ou d’une partie de l’appareil genitale externe et suture/rétrécissement de l’ouverture vaginale (infibulation) ; Type IV : Diverses pratiques non pratiques non classées telles que la ponction, le percement ou l’incision du clitoris et/ou des lèvres, l’étirement du clitoris et/ou des lèvres, la cautérisation par brûlure du clitoris et des tissus environnants, la scarification des tissus qui entourent l’orifice vaginal (« angurya ») ou l’incision du vagin (« gishiri ») ; l’introduction de substances ou d’herbes corrosives dans le vagin pour provoquer un saignement ou pour le resserrer et toute autre pratique entrant dans la définition des mutilations sexuelles féminines citée plus haut.2 Comme nous le disions plus haut, nous ne traiterons pas ici des complications physiques et psychologiques des MGF. Les preuves de l’immense souffrance et des conséquences néfastes sur la santé des femmes concernées constituent une forte motivation pour que les projets appuyés par la GTZ dans les pays concernés s'impliquent et commencent à contribuer à la transformation des comportements et à la promotion de modes de vie et de pratiques culturelles plus sains. Afin d’aider les projets à se situer, nous traiterons d'abord de la répartition géographique des MGF en Afrique et ailleurs. Les MGF se pratiquent essentiellement dans 28 pays, don’t la plupart en Afrique subsaharienne, mais nullement dans la totalité des pays d'Afrique. Les taux de 1 2 OMS 1998 OMS 1999 3 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES prévalence varient d'un pays à l'autre et aussi à l'intérieur d'un même pays (voir Tableau en page suivante). À l'intérieur d'un même pays, la répartition de la pratique suit les découpages ethniques. Alors que l'excision avec infibulation, de Type III, est principalement pratiquée dans la Corne de l'Afrique (Éthiopie, Somalie, Soudan et pays limitrophes), ce sont les interventions de Type I, II et IV qui ont la plus forte prévalence dans la plupart des autres pays. En dehors de l'Afrique, les MGF sont courantes au Yémen (taux de prévalence : 23%)3. De petites minorités en Inde et en Indonésie adhèrent également à de telles pratiques. De plus en plus, des immigrants en Europe, originaires de pays où les MGF ont encore cours, ont importé cette pratique dans leur pays d'accueil dans le monde industrialisé. Estimations de la fréquence des MGF4 Pays Bénin Burkina Faso Cameroun République centrafricaine Tchad Côte d'Ivoire République démocratique du Congo Djibouti Égypte Érythrée Éthiopie Gambie Ghana Guinée Guinée-Bissau Kenya Libéria Mali Mauritanie Niger Nigeria Sénégal Sierra Leone Somalie Soudan Togo Ouganda République unie de Tanzanie Total 3 4 4 OMS 2001a OMS 1998 Population féminine 2 730 000 5 224 000 6 684 000 1 767 000 3 220 000 7 089 000 22 158 000 254 000 28 769 000 1 777 000 2 087 000 496 000 8 784 000 3 333 000 545 000 13 935 000 1 504 000 5 485 000 1 181 000 4 606 000 64 003 000 4 190 000 2 408 000 5 137 000 14 400 000 2 089 000 10 261 000 15 520 000 Prévalence 50 70 20 43 60 43 5 98 97 90 85 80 30 60 50 50 60 94 25 20 40 20 90 98 89 50 5 10 Nombre 1 365 000 3 656 800 1 336 800 759 810 1 932 000 3 048 270 1 107 900 248 920 27 905 930 1 599 300 24 723 950 396 800 2 635 200 1 999 800 272 500 6 967 500 902 400 5 155 900 295 250 921 200 25 601 200 838 000 2 167 200 5 034 260 12 816 000 1 044 500 513 050 1 552 000 136 797 440 LA SITUATION ACTUELLE ET LA NECESSITE DE CHANGEMENT D'un point de vue historique, les premiers cas de circoncision féminine remontent au cinquième siècle avant Jésus-Christ. Certains auteurs soutiennent que la circoncision féminine a été pratiquée, au fil des siècles, par de nombreuses civilisations sur tous les continents.5 En Afrique, les efforts initiaux visant l'abandon de cette pratique remontent au début du vingtième siècle. Ce sont pour l'essentiel les missionnaires et les autorités coloniales qui ont tenté d'abolir la tradition qui était perçue comme arriérée, cruelle et contraire aux principes chrétiens. Au Soudan, par exemple, la première loi interdisant la circoncision féminine remonte à 1946. Ces premiers efforts ont été perçus par les communautés africaines comme autant d'actes de l'impérialisme colonial ; non seulement elles ne sont pas parvenues à réduire le nombre de femmes touchées par le phénomène, elles ont au contraire provoqué un vaste mouvement de résistance qui s'est traduit par la recrudescence de la pratique. Autre conséquence, la pratique est devenue secrète, tombant même dans la clandestinité dans certains pays. Au cours des années 1960 et 1970, la question a été de nouveau posée par des féministes européennes et américaines de manière souvent très émotionnelle. Elles ont décrété que l'ablation génitale féminine était une forme de discrimination à l'égard des femmes visant à contrôler la sexualité féminine et à perpétuer l'oppression de leurs sœurs dans le sud. Les premières approches élaborées pour s'attaquer au problème étaient principalement axées sur les conséquences néfastes pour la santé et appelaient à l'abandon immédiat de la pratique. À leur tour, ces tentatives ne sont pas parvenues à provoquer un changement notable car elles étaient perçues comme imposées par des pays étrangers à la culture et au mode de pensée des peuples concernés. Pendant très longtemps, conscients du caractère culturel sensible du problème, le personnel d’organismes d'entraide ainsi que de nombreuses agences de développement ont été réticents à aborder la question de la circoncision féminine. Le respect du relativisme culturel et les enseignements tirés de l'histoire ont appris aux organisations internationales à ne pas s'immiscer dans les traditions les plus ancrés des pays partenaires. Dans le même temps, cependant, les femmes africaines se sont de plus en plus organisées visant à atteindre des objectifs économiques, politiques et sociaux communs. Les contacts avec le reste du monde et la conscience croissante de la souffrance qui leur était imposée par les diverses formes d'ablation génitale féminine ont conduit certains de ces groupes à réclamer l'abolition de cette pratique dans leurs propres pays. Au cours des cinq dernières années, les MGF sont devenues l'un des thèmes les plus débattus par ces groupements féminins. En 1994, La Conférence CIPD tenue au Caire en 1994 et la quatrième Conférence mondiale sur les femmes tenue l'année suivante à Beijing étaient arrivées à point nommé pour aider à mûrir la réflexion sur la manière d'aborder l'abolition de ce que l'on appelle depuis la 'Mutilation Génitale Féminine' (MGF). Un consensus international anti-MGF s'est ainsi dégagé, appuyé d'une part par de nombreux pays africains et, d'autre part, par les principales organisations internationales comme l'OMS, les Nations Unies et de nombreuses organisations bilatérales et non gouvernementales. La question est de plus en plus reconnue comme un problème de santé et des droits fondamentaux de l’être humain, 5 Toubia 1994 5 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES que ce soit par les gouvernements, la communauté internationale ou, de plus en plus, par les associations professionnelles de la santé. La MGF est une violation de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard les femmes (CEDAW 1979) et de la Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. 'Il est vivement conseillé aux gouvernements d'interdire la mutilation génitale féminine où qu'elle existe et d'appuyer vigoureusement les efforts des organisations non gouvernementales et communautaires et les institutions religieuses pour éliminer ces pratiques.' Programme d'action de la CIPD, 1994 Encadré 1 : Consensus international contre les MGF Au cours de la dernière dizaine d'années, d'une affaire privée, la MGF est devenue une question reconnue, faisant partie intégrante du développement économique et social des pays. L'engagement intellectuel tout autant que l'engagement financier pour éliminer cette pratique se sont intensifiés.6 Il est aujourd'hui admis que les MGF ne peuvent pas être envisagées sous le seul angle de la santé. L'Égypte, ainsi que de nombreux autres pays, ont connu l'échec de nombreux programmes qui, pour convaincre les gens d'abandonner cette tradition, ont exclusivement axé leurs efforts sur les conséquences et les risques pour la santé. Les chefs d'équipes et les collaborateurs des projets de santé doivent, cependant, prendre conscience du fait que l'ablation est pratiquée de plus en plus par des professionnels de la santé dans des structures de soins (voir 2.3). Cette médicalisation montre à quel point la pratique est liée à la prestation de services de santé. Des messages IEC erronés, un personnel médical mal payé, une conduite non conforme à l'éthique, des services de santé de mauvaise qualité, ce ne sont là que quelques uns des facteurs explicatifs de cette tendance. Ainsi, la médicalisation s'avère être l'une des raisons pour lesquelles les projets qui collaborent avec le secteur de la santé dans les pays concernés doivent s'intéresser aux MGF. La mutilation génitale féminine n'est pas et ne doit pas être considérée comme un problème distinct de nature culturelle. La MGF est aujourd'hui considérée comme faisant partie d'un vaste ensemble de questions liées au développement comme, par exemple, les questions de l'éducation des filles et la prévention des mariages précoces. À ce titre, le moyen le plus efficace de combattre la MGF consiste à l'inscrire dans une approche globale, dans le cadre plus général de la santé féminine, des droits de l'être humain et des questions économiques et sociales. En s'inscrivant dans ce cadre multisectoriel, les projets intervenant dans le secteur de la santé peuvent jouer un rôle important et occasionner des changements de comportement effectifs, se traduisant en définitive par l'abandon de la coutume par les communautés. 6 6 USAID 1999 LA SITUATION ACTUELLE ET LA NECESSITE DE CHANGEMENT La plupart des organisations internationales de coopération, dont la GTZ, se sont engagées à se joindre à cet effort mondial visant à intégrer les MGF dans les activités en cours tout en accordant la plus grande attention aux aspects culturels et en veillant à la bonne conception des activités. Le moment est donc venu pour que les projets de santé appuyés par la GTZ examinent la possibilité d'introduire des activités antiMGF dans leurs cadres stratégiques. Il va de soi que la décision de s’engager dans la lutte contre les MGF dans un contexte donné doit émaner des partenaires du projet et de la communauté locale elle-même. Dans les communautés où les MGF sont traditionnellement pratiquées, de nombreux militants et acteurs dans les secteurs du développement et de la santé estiment que le changement est nécessaire. Cependant ils ne savent pas toujours comment réaliser une transformation sociale de cette envergure. Dans ces cas, les assistants techniques pourraient organiser des débats documentés et venir en aide aux décisions d'abandon des MGF. Toutefois, ils ne doivent en aucun cas les imposer. Pour pouvoir jouer ce rôle, les conseillers doivent être au courant de toutes les expériences tentées dans le passé et savoir ce qui est susceptible de réussir et ce qui, souvent, ne réussit pas. 7 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES 2. Les différentes approches Au bout d'une vingtaine d'années d'efforts concertés et d'expériences dans le domaine des MGF, d’abondantes informations sont disponibles et peuvent être évaluées en termes d'impact, de faiblesses et d'enseignements. Le présent chapitre passe en revue la littérature publiée et « grise », mais se réfère principalement à la communication du Dr. Nahid Toubia au Symposium sur l'ablation génitale féminine organisé en 1999 aux États-Unis7 et à une étude récente de l'OMS « FGM programmes to date : what works and what doesn’t » (Les programmes MGF à ce jour : succès et échecs) 8 Ces informations sont complétées par l'expérience propre de l'auteur. Au cours des quelques dernières années, plusieurs approches différentes ont été testées et mises en application. Dans ce qui suit, nous nous proposons de présenter une sélection des approches les plus couramment utilisées. Comme nous l'avons déjà dit dans l'introduction, les interventions doivent s'opérer à plusieurs niveaux : au niveau international du dialogue stratégique et du financement ; au niveau de l'engagement et de la participation active des gouvernements et de leurs divers ministères dans les pays concernés ; au niveau communautaire. L'assistance et l'engagement aux deux premiers niveaux sont essentiels pour faire avancer la question. La définition claire de la politique à suivre, la coordination de tous les acteurs concernés et le plaidoyer doivent être considérés comme des conditions préalables pour pouvoir intervenir avec succès au niveau communautaire. Exception faite des aspects juridiques et de l'intégration des MGF dans les autres activités de santé, les interventions au deuxième niveau ne sont toutefois pas spécifiques aux MGF et devront donc être opérées comme pour la plupart des autres questions de la santé reproductive. C'est pour cette raison que les approches présentées ci-dessous seront pour l'essentiel axées sur les interventions au niveau communautaire, niveau auquel les activités anti-MGF diffèrent le plus des autres stratégies de santé reproductive et où des programmes bien conçus peuvent avoir un grand impact et induire des changements majeurs. La structuration des approches est quelque peu artificielle, dans la mesure où la plupart des programmes ont eu recours à des approches multiples. 7 8 8 USAID 1999 OMS 1999 LES DIFFÉRENTES APPROCHES Selection d’approches 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. L'approche axée sur les droits de l’être humain L'approche juridique L'approche sanitaire L'approche 'religieuse' La formation des agents de santé pour en faire des acteurs du changement La formation et la reconversion des exciseuses traditionnelles La transformation des rites de passage Les activités d’IEC et les campagnes de changement comportemental L’approche basée sur le développement social intégral L'approche basée sur la recherche Encadré 2 : Approches Chacune de ces approches est brièvement décrite et évaluée dans le contexte des expériences nationales. Comme nous allons le voir dans les conclusions, les résultats les plus prometteurs ont été obtenus lorsqu’on a eu recours à des stratégies faisant intervenir simultanément plusieurs approches différentes et examinant le problème dans son ensemble et de manière globale. 2.1 L'approche axée sur les droits de l’être humain Dans les pays du Nord, le débat sur les mutilations génitales féminines est étroitement lié à la question des droits de l'être humain. Aux États-Unis et dans l'Union européenne, des discussions sont en cours pour déterminer si les femmes qui fuient l'Afrique pour échapper aux MGF et aux violences physiques peuvent prétendre au droit d'asile. Au sein du Parlement européen, 318 députés sur 626 ont signé un projet de résolution dénonçant les MGF.9 La ministre allemande de la Coopération économique et du Développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, a déclaré dans une interview que l'Allemagne considérait les MGF comme une violation des droits humains à l'intégrité physique. La priorité pour l'Allemagne réside dans la collaboration avec les pays concernés afin de les aider à mettre fin à cette forme de violence. Cependant, la Ministre est également disposée à envisager des raisons spécifiquement féminines à l'octroi du droit d'asile.10 La CIPD de 1994 a constitué une étape importante dans l'inscription des droits reproductifs et sexuels à l'ordre du jour des programmes internationaux de santé. Aujourd'hui, les MGF sont internationalement considérées comme une violation des droits de la femme. La plupart des programmes établissent un lien entre la sensibilisation aux MGF et la question des droits de la personne humaine et se réfèrent aux conventions internationales (comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention sur les droits de l'enfant et la Convention de lutte contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes) et les utilisent en tant qu’instruments de pression et de militantisme engagé. 9 10 WE! 2001 Tkalec 2000 9 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Au Sénégal, l'organisation non-gouvernementale, Tostan, a inclus l’ enseignement sur les droits de l’être humain, notamment les droits de la femme et de l'enfant, dans ses programmes intégrés de formation à base communautaire (voir 2.9). Il s'est avéré que la sensibilisation des femmes à leurs droits avait pour effet de les aider à se réapproprier ces droits. Dans le cas du programme Tostan, l'introduction de la question des droits de l’être humain dans les classes de femmes n'a pas rencontré de résistance majeure de la part de la communauté et ce dans la mesure où la question faisait partie d'un ensemble plus vaste d'informations sur la santé, l'hygiène et d'autres thèmes traités avec délicatesse et selon un mode culturellement adapté. L'argument des droits de l’être humain, qui a sa place parmi les autres raisons invoquées pour plaider contre les MGF, perd de son efficacité lorsqu'on en fait un argument central, isolé de la discussion. À moins de les « traduire et de les faire coïncider avec la réalité », les arguments qui semblent pertinents d'un point de vue européen peuvent s'avérer trop abstraits pour de nombreuses personnes concernées. De nombreux Égyptiens, par exemple, ne se voient pas comme des acteurs participant activement à la scène internationale et ne se sentent pas concernés par des arguments fondés sur les conventions internationales ou s'en sentent exclus. 11 2.2 L'approche juridique Parmi les pays africains ayant adopté une législation interdisant les MGF figurent le Burkina Faso, la République centrafricaine, Djibouti, l'Égypte, le Ghana, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Soudan, la Tanzanie et le Togo. Dans le monde industrialisé, l'Australie, la Belgique, le Canada, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis ont interdit cette pratique par voie légale.12 Au Danemark, en Allemagne, Finlande, Italie, Pays-Bas, Autriche, Suisse et France, et dans la plupart des autres pays européens, les MGF constituent une infraction à la loi punie conformément aux dispositions relatives aux sévices corporels et au mauvais traitement des enfants.13 L’adoption d'une législation anti-MGF constitue l'un des aspects les plus controversés des mouvements de lutte contre les MGF. L'un de ses avantages les plus importants réside dans le fait que la législation anti-MGF sert de plate-forme légale officielle aux activités des projets, offrant la protection de la loi aux femmes et, en dernière analyse, décourageant les exciseuses et les familles qui ont peur d'être poursuivies. Elle permet aussi aux professionnels de la santé de justifier leur engagement dans la lutte anti-MGF en leur donnant une raison officielle pour rejeter la médicalisation de la pratique ou pour refuser de se plier à la demande de réinfibulation après l'accouchement. D'un autre côté, les lois ne peuvent pas changer les traditions. Les craintes de voir les MGF sombrer dans la clandestinité en raison des dispositions légales, de les voir se pratiquer en secret et de voir les complications ne pas être signalées de peur des poursuites, se justifient par l'expérience de nombreux pays. Au Sénégal, plusieurs Tkalec 2000 Center for Reproductive Law and Policy (CRLP) 2000 13 Leye et al. 1998 11 12 10 LES DIFFÉRENTES APPROCHES femmes et hommes à qui la question a été posée ont vigoureusement confirmé leur intention de poursuivre la pratique secrètement, si besoin est.14 Dans ce même pays, où les MGF ne sont pratiquées que par certains groupes ethniques qui sont déjà en conflit avec le pouvoir central, la promulgation de lois pour l'abandon de cette tradition contribue à exacerber les tensions internes. La promulgation de lois pour lutter contre une pratique traditionnelle à laquelle un grand nombre de personnes sont attachées est hautement controversée. Dans la plupart des pays africains, l'application des lois anti-MGF reste faible. En 1999, les cas de poursuites judiciaires ne sont connus qu'au Burkina Faso (36 cas rapportés), au Ghana (2 cas) et au Sénégal (1 cas).15 Il est difficile d'établir un équilibre entre l'application de la loi, la sensibilisation des populations et le dialogue et il existe un risque réel d'aliéner les communautés en faisant appel à la loi pour protéger les filles et les femmes.16 Le Burkina Faso, dont le Comité national pour l'abandon des MGF (CNLPE) est très actif, a recours à des approches très diverses pour atteindre cet objectif. Le comité national éduque le public en matière de législation et utilise les annonces du service public pour demander à la population de dénoncer anonymement les cas imminents de MGF. Grâce aux liens étroits que le comité entretient avec le gouvernement, le ministère de la Défense a autorisé la sensibilisation de tout le personnel militaire et de leurs familles aux effets préjudiciables des MGF. Par conséquent, 60 membres de la police militaire et de la police nationale ont reçu une formation visant à en faire un comité de soutien. À ce jour, on compte parmi les résultats obtenus grâce à la participation de la police l'identification de 328 exciseuses sur tout le territoire, le suivi de leurs activités, l'interruption de 35 excisions au moment où elles étaient pratiquées, suite à une dénonciation par la population, et la sensibilisation aux effets nocifs des MGF, décrivant l'excision comme une pratique criminelle et non culturelle. Avec le soutien international, le comité national a également mis en place une permanence téléphonique qui, avec les dénonciations faites par la communauté, constitue l'ossature de l'application de la loi. Pour la plupart, les dénonciations faites à la permanence téléphonique sont le fait des jeunes. Apparemment, de nombreuses personnes raccrochent avant d'avoir indiqué le lieu où se déroule l'excision dénoncée par peur d'être persécutées. En 1998, M. Issa Kabré, chef de la police militaire de Ouagadougou affirmait : « L'histoire d'une exciseuse permettra d'illustrer mon propos : En 1986, il lui a été notifié de ne plus pratiquer l'excision, cette notification lui a été renouvelée en 1991. Parce qu'elle avait continué à pratiquer l'excision, le CN lui a dispensé une formation en 1995. Dans un entretien télévisé, elle a promis d'abandonner la pratique et d'éduquer ses pairs et la communauté. En 1997, elle a été arrêtée pour excision et condamnée à la prison. Vous pouvez éduquer les exciseuses jusqu'au jour de leur mort, mais elles ne cesseront que si elles ont peur des répercussions ». (Source : OMS 1999) Encadré 3 : L'application de la loi au Burkina Faso 14 15 16 Kessler Bodiang et al. 2000 OMS 1999 OMS 2000a 11 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES L'encadré qui décrit l'application de la loi au Burkina Faso illustre quelques-unes des stratégies utilisées dans ce domaine. Dans le même temps, le Burkina Faso fait état de difficultés considérables pour gagner la confiance de la population. Dans certaines régions, l'application de la loi a occasionné des tensions entre les éléments actifs des programmes et la population qu'ils sont censés servir. Les professionnels de la santé sont appelés à jouer un rôle important en conseillant les responsables gouvernementaux pertinents sur l'opportunité de la promulgation ou non d'une législation anti-MGF. Sur le terrain, leur rôle consiste à expliquer à la population la signification d'une telle législation. En informant et en éduquant leur communauté sur les dangers de la pratique et les moyens possibles de l'abandonner, ils peuvent favoriser la compréhension et des changements comportementaux judicieux et donc plus durables que les changements suscités par crainte de la répression. 2.3 L'approche sanitaire La formule qui consiste à charger des personnes d'autorité (docteurs, infirmières et sage-femmes, éducateurs et autres professionnels) d'attirer l'attention de la population sur les risques de santé associés aux diverses formes de mutilation génitale féminine est une formule qui a été testée pendant les 15 à 20 dernières années. Le principal message véhiculé par ces campagnes est que la MGF est dangereuse et doit être abandonnée dès que possible. On partait de l'hypothèse que la perspective sanitaire pouvait servir de point de départ pour aborder aisément un problème aussi délicat que les MGF. L'approche sanitaire a été la plus populaire des approches mises en œuvre par l'Égypte ainsi que par la communauté somalienne, d'abord dans son pays d'origine et, plus tard, dans les pays ayant accueilli des réfugiés somaliens. Cette approche a présenté l'infibulation comme étant principalement un problème de santé et a tenté de faire abstraction de ses connotations religieuses et culturelles.17 ‘Les aspects sanitaires sont notre principal argument, c'est ce qui fait que les gens nous écoutent. La santé est de loin le problème le plus important en Afrique et il est plus facile de s'identifier à quelque chose que tout le monde accepte et comprend.’18 Les complications à court et à long termes sont parfois dramatiques et sont souvent perçues comme étant liées aux régions où l'excision de Type III accompagnée d'infibulation est courante. Dans les communautés où l'on pratique des formes d'ablation moins invasives, les conséquences très graves à long terme sont moins fréquentes et la population a donc moins tendance à les associer à l'opération. Les campagnes de lutte contre les MGF doivent prévoir des éléments permettant de se faire une idée de l'appareil génital féminin et des changements opérés par les différentes formes d'ablation génitale féminine. Ces éléments permettront d'évoquer les complications médicales à court, moyen et long termes. Mais, comme nous le verrons plus loin dans les recommandations, la confrontation aux conséquences médicales et corporelles des MGF ne doit être envisagée que dans le cadre d'une 17 18 12 Hosken 1993 Mother and Child Health Care-FGM Project 2000 LES DIFFÉRENTES APPROCHES stratégie IEC plus vaste qui traite également des troubles psychologiques et sexuels et qui se penche de plus près sur les aspects sociaux, économiques, culturels et historiques. Le recours à cette approche simpliste axée seulement sur les complications a été à l'origine de nombreux problèmes. D'abord, elle a amené les gens à faire une association directe entre la pratique et les soins médicaux et, par conséquent, à recourir plus souvent aux docteurs dont certains sont mêmes des défenseurs convaincus de la pratique. Elle a aussi amené les gens à douter de la nocivité de la pratique, étant donné que certaines femmes excisées n'ont pas souffert de complications. Elle a eu également pour conséquence la médicalisation accrue des MGF (l'opération étant effectuée par des professionnels de la santé dans des structures sanitaires), et ce dans la mesure où de nombreux parents pensent pouvoir éviter les complications en confiant l'opération de leurs filles aux cliniques et hôpitaux. Cette tendance s'explique par le souhait des parents de réduire les effets néfastes des MGF et de leur peur bien fondée de la transmission du VIH/SIDA si ce sont des exciseuses traditionnelles qui effectuent l'opération. De nombreux professionnels de la santé soutiennent la poursuite et la médicalisation de cette pratique. Il est également établi que l'excision est devenue une source de revenu pour les professionnels de la santé et le personnel auxiliaire des hôpitaux. Dans le passé, certaines organisations locales ont envisagé la médicalisation comme une stratégie possible pour leurs programmes et ont également encouragé des formes moins radicales de MGF. De toute évidence, la médicalisation pose un problème éthique dont les effets sont aussi bien positifs que négatifs :19 Effets positifs : La procédure se déroule dans des conditions d'hygiène. La procédure peut se dérouler sous anesthésie. On peut utiliser les analgésiques et le vaccin antitétanique. Effets négatifs : 19 La médicalisation des MGF ne résout pas les problèmes à long terme (telles que les complications médicales, sexuelles et psychologiques et les problèmes liés aux droits de l’être humain, etc.). La médicalisation donne des raisons aux professionnels de la santé pour commencer à pratiquer les MGF. La médicalisation ne décourage pas les exciseuses traditionnelles et ne leur fait pas abandonner la pratique. Leye 1998; PATH 1997 13 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES En Égypte, par exemple, les fillettes d'aujourd'hui risquent trois fois plus d'être excisées par des médecins (55%) que leurs mères (17%).20 Sous la pression des dirigeants religieux, le ministre égyptien de la Santé de l'époque, le Dr. Ali Abd el Fattah, a autorisé en 1994, quelques jours à peine après la clôture de la CIPD, que la mutilation génitale féminine soit pratiquée une fois par semaine dans les établissement publics par un personnel médical formé. En 1996, deux fillettes ont trouvé la mort suite à des MGF : l'une d'elle pratiquée par un barbier et la deuxième par un médecin. Le nouveau ministre de la Santé a renversé la décision de son prédécesseur et une décision en justice de 1997 a confirmé le droit et le devoir du ministre de la Santé à interdire une pratique préjudiciable.21 Un article du Cairo Times montre qu’aujourd'hui encore le problème demeure entier. Le 18 juillet 1999, une fillette de onze ans est morte dans un hôpital suite à des complications dues à un anesthésique qui lui avait été administré en vue d'une opération d'ablation génitale. La veille, une fillette de douze ans a failli mourir d'hémorragie alors qu'on l'excisait dans une clinique privée.22 L'argument selon lequel une forme moins invasive de l'opération pratiquée par un personnel ayant reçu une formation médicale offre une sécurité accrue est un argument souvent invoqué dans les pays où les MGF sont une pratique courante ainsi que par certains dans les pays occidentaux. Dans les pays où les MGF sont pratiquées par des communautés éduquées ou des personnes disposant de suffisamment de moyens pour faire effectuer l’intervention dans un hôpital, la médicalisation s'est beaucoup développée ; par exemple, dans la communauté Kisii au Kenya où le taux de prévalence dépasse les 90%. À Djibouti, la politique officielle a consisté à promouvoir des formes moins radicales de MGF, pratiquées dans des cliniques. Il s'agissait là d'une première étape qui devait déboucher sur l'éradication totale de la pratique. Toutefois, les grands-mères se sont plaint parce que la procédure était inachevée et ont donc par la suite fait ré-infibuler les fillettes.23 La GTZ souscrit à la position de l'OMS selon laquelle la médicalisation ne doit en aucun cas être envisagée comme solution au problème. Les projets de santé appuyés par la GTZ sont appelés à faire connaître la position de l'OMS décrite plus bas. L'OMS a condamné toutes les formes de la pratique, appelé à son abolition et déclaré explicitement qu'aucune forme de MGF ne devait être pratiquée par un professionnel de la santé dans quelque cadre que ce soit, y compris dans les hôpitaux et autres établissements de santé. (Source : OMS 1998) Encadré 4 : Position de l'OMS concernant la médicalisation des MGF La MGF consiste en l'ablation d'organes corporels sains dans le but de respecter une coutume traditionnelle qui n'a aucune justification sanitaire. Deux des principes les 20 21 22 23 14 Kishor/Neitzel 1996 Abd el Salam 1999; OMS 1999 Digges 1999 Dorkenoo 1994 LES DIFFÉRENTES APPROCHES plus importants de la déontologie médicale sont de ne pas faire de mal et de préserver à tout prix les organes corporels en état de fonctionnement, à moins qu'ils ne soient porteurs d'une maladie très grave. Ce serait contre l’éthique des professionnels de la santé de porter atteinte à un corps sain pour éviter un comportement humain plus destructeur. Il n'y a donc aucune justification médicale pour pratiquer les MGF. 2.4 L'approche ‘religieuse’ « L'approche chrétienne » revêt, sans conteste, un caractère historique. Différentes églises, plutôt du côté protestant que du côté catholique, se sont attaquées aux MGF dans leurs tentatives missionnaires de « sauver les païens » des « mauvaises » traditions. Au Kenya, les Kikuyus qui enregistraient traditionnellement un taux de prévalence élevé, sont un exemple à citer dans ce contexte. Aujourd'hui, ils ont pratiquement abandonné cette pratique suite à de nombreux sermons et interventions de prêtres au niveau des communautés. Les principaux messages dans ce cas sont : « Dieu nous a créés entiers », ou « nous n'avons pas le droit de détruire ou de changer le corps que Dieu nous a donné », ou « notre corps est le temple de l'âme ». L'Église Adventiste du Septième Jour a récemment collaboré avec PATH dans le district de Nyamira au Kenya au sujet des MGF. Les représentants des organisations religieuses entretiennent un réseau étoffé au niveau communautaire et sont prêts à participer à titre bénévole aux interventions de lutte contre les MGF. En leur qualité de personnalités importantes dans la communauté, leur opinion constitue une forme de directive pour les membres de cette communauté et s'avère extrêmement précieuse lorsqu'un conflit éclate entre les parents et leur fille qui ne souhaite pas être excisée, par exemple. Les dirigeants religieux viennent en deuxième position (35%) après l'éducation (38%) parmi les facteurs ayant contribué à la récente évolution positive de la pratique chez les Massaï du district de Transmara (Enquête de référence du district de Transmara, 2000), avant même les agents de santé (16%) et d'autres facteurs comme les mariages interethniques et la migration.24 Les églises chrétiennes ne sont pas les seules à avoir participé à la réduction de la pratique des MGF. Dans les régions où la population est en majorité musulmane, les motifs religieux constituent souvent l'une des principales raisons pour lesquelles les parents maintiennent la tradition de « l’excision » de leurs filles. Étant donné que l'Islam ne fait pas des MGF une pratique recommandée, affirmation corroborée par le fait que quelques-uns des pays les plus pieux ne les pratiquent pas, il est essentiel d'informer les dirigeants religieux musulmans et de les impliquer dans toute stratégie visant à transformer le comportement de la population en matière de MGF. Dans de nombreux pays africains musulmans, les dirigeants religieux se sont engagés dans la campagne de lutte contre cette pratique traditionnelle néfaste. 24 GTZ 2000 15 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES 2.5 La formation des acteurs de la santé pour en faire des acteurs du changement Avant d'aborder les questions liées à la formation, il nous faut comprendre les différents modes selon lesquels les acteurs de la santé sont confrontés à la question des MGF : Les professionnels dans leur relation avec la communauté Les agents de santé villageois, qui appartiennent eux-mêmes à la communauté en tant que pères, mères, oncles ou tantes, jouent un rôle important dans la décision d'exciser ou non les membres de la famille de sexe féminin. Parfois, les agents de santé de sexe féminin sont elles-mêmes excisées. Au Mali, les filles des professionnels de la santé sont apparemment exposées au même risque d'ablation que toutes les autres fillettes du pays.25 Au Sénégal, les agents de santé qui ont appelé à l'abandon de l'ablation génitale féminine ont été soumis à des pressions considérables de la part de leurs familles étendues et de leurs communautés, les appelant à respecter les traditions et à faire exciser leurs propres filles. De nombreux professionnels de la santé sont convaincus de la nécessité de préserver la tradition des MGF et sont donc peu enclins à jouer un rôle dans les campagnes visant l'abolition de la procédure. L'encadré 5 décrit le dilemme auquel peuvent être confrontés les agents de santé en défendant leurs responsabilités professionnelles alors qu'ils appartiennent à une société traditionnelle. Une sage-femme somalienne décrit le dilemme auquel sont confrontés de nombreux agents de santé : ‘Qu'elles soient opérées ou non, les filles sont des victimes. Je ne peux pas sacrifier mon enfant. Dans un cas comme dans l'autre, elle souffre. Qu'est-ce que je suis censée faire? En tant que sage-femme, je suis consciente des conséquences néfastes de cette pratique pour la santé. En tant que mère, je sais comment l'enfant souffre lorsque ses amies se moquent d'elle, l'insultent et l'excluent. Comment mettre fin à ces opérations lorsqu'on sait que si nos filles ne sont pas circoncises, elles ne trouveront pas de mari et le reprocheront à leur mère : de toutes les manières, leurs vies seront gâchées.' (Source : Hosken 1993) Encadré 5 : Le dilemme des agents de santé en tant que chefs de familles Dans certains cas, les agents de santé étrangers à la communauté où ils travaillent appartiennent à un groupe ethnique qui ne pratique pas les MGF. Ils peuvent éprouver des difficultés à comprendre et à accepter les raisons qui motivent cette tradition et peuvent être tentés de recourir à des 25 16 Diop 1998 LES DIFFÉRENTES APPROCHES approches susceptibles de déboucher sur un conflit ouvert avec la communauté où ils travaillent. Les professionnels de la santé jouent un rôle important dans la médicalisation et peuvent être sollicités pour ré-infibuler des femmes après l’ accouchement Nous avons pu voir plus haut la tentation de médicaliser les MGF. Dans les pays où l'excision de Type III accompagnée d'infibulation est la règle, les femmes et leurs maris sollicitent souvent une ré-infibulation après la naissance du bébé. Les professionnels de la santé sont appelés à traiter les complications des MGF Ils sont parfois confrontés aux complications très graves des MGF, le plus souvent juste après la procédure d'ablation ainsi qu'au cours de l'accouchement. Les femmes enceintes infibulées nécessitent un traitement spécial pendant la grossesse, l'accouchement et la phase post-partum. Elles subissent des incisions césariennes inutiles, dans la mesure où les agents de santé peuvent redouter un accouchement vaginal du fait d'un manque de formation ou de traitement approprié. Ce n'est que récemment que des informations concernant les complications sanitaires des MGF26 ainsi que des directives concernant les soins obstétricaux et gynécologiques à prodiguer aux femmes ayant subi des MGF ont été publiées.27 Des complications très graves peuvent survenir dans n'importe quel pays où les MGF sont pratiquées, notamment les pays où les formes les plus graves sont courantes. Dans le passé, la formation au traitement clinique des complications des MGF laissait à désirer. Les professionnels de la santé n'ont donc souvent pas les compétences requises pour traiter ou conseiller les femmes concernées. Dans le même temps, il n'y a souvent pas de centres spécialisés, ce qui signifie que dans la plupart des pays concernés il n'est pas possible d'accéder aux services de haut niveau requis. Les professionnels de la santé jouent un rôle important en conseillant les femmes et les couples Les acteurs de la santé sont bien placés pour conseiller les femmes qui souffrent de problèmes psychologiques ou sexuels liés aux MGF. Ils sont appelés à conseiller aux femmes et à leurs maris de ne pas recourir à la réinfibulation après l'accouchement et à recommander aux familles de ne pas faire subir de MGF à leurs filles. Là aussi, il leur manque souvent les connaissances et les compétences de base requises pour qu'ils puissent donner de bons conseils. 26 27 OMS 2000b Toubia 1999; Mwangi-Powell 2001 17 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Les professionnels de la santé sont des leaders d'opinion Comme c'est le cas pour d'autres comportements entraînant des risques pour la santé, les acteurs de la santé jouent un rôle important dans tout effort d’IEC et dans toute campagne visant à induire des changements de comportement, organisée en vue de lutter contre les MGF dans les communautés. Comme pour l'expérience malienne28 citée plus haut, l'expérience a cependant montré que la formation des professionnels de la santé en matière d'IEC et de MGF peut ne pas avoir les effets escomptés, considérant le nombre de sessions d'éducation sanitaire que ceux-ci organiseront par la suite dans la communauté. D’insuffisantes compétences de communication par rapport à l'objectif de changement comportemental ainsi que la surcharge chronique de travail ont pour effet que les professionnels de la santé, comme les docteurs et les infirmiers, consacrent peu de temps à l'éducation sanitaire au niveau communautaire. Ils peuvent cependant jouer un rôle essentiel en organisant la formation et en supervisant les activités d'éducation sanitaire organisées à l'intention des agents de santé communautaires, des volontaires IEC, des prestataires de services à base communautaire (SBC), des pairs éducateurs dans les groupes de jeunes et de femmes, des éducateurs et des dirigeants religieux, pour n'en citer que quelques uns. Coordonnés et supervisés par des professionnels de la santé, tous ces volontaires para-médicaux et non-médicaux peuvent jouer un rôle central pour faire parvenir des messages anti-MGF aux populations de régions isolées et changer les attitudes par le biais de contacts interpersonnels répétés. Dans les pays où le gouvernement ou le ministère de la Santé ont adopté des politiques et des stratégies appropriées pour éliminer les MGF, y compris la condamnation explicite de la médicalisation, il est plus facile pour les agents de santé de justifier leur rôle en tant qu'acteurs du changement auprès des communautés au sein desquelles ils travaillent. Cela les aide aussi à refuser les demandes de MGF médicalisées et de ré-infibulation. Pour qu'ils puissent jouer leur rôle dans de bonnes conditions, les acteurs de la santé à tous les niveaux de la hiérarchie, y compris le personnel para-médical et les volontaires, ont besoin d'une formation appropriée, adaptée à leurs besoins spécifiques. L'OMS a fait de la formation anti-MGF à l'intention des acteurs de la santé une stratégie prioritaire.29 Toutefois, de nombreux pays subsistent où les programmes de formation des professionnels de la santé et des acteurs sociaux ne traitent pas des MGF. Il s'agit là d'une conséquence négative de l'absence encore répandue d'intégration des activités anti-MGF dans les programmes des départements ministériels concernés. Dans le même temps, il existe déjà de nombreux programmes de formation consacrés aux MGF qui sont plus ou moins complets et plus ou moins adaptés au niveau et au contexte spécifiques des personnes formées. L'Annexe 1 présente quelques uns des aspects susceptibles d'être traités par ces programmes. Il est essentiel que les 28 29 18 Diop 1998 OMS 1997 LES DIFFÉRENTES APPROCHES programmes existants soient mis à disposition et partagés afin, d'une part, d'éviter les double-emplois et, d'autre part, d’œuvrer à l'amélioration continue de ces programmes. 2.6 La formation et la reconversion des exciseuses traditionnelles Il importe de rappeler que les agents de santé (notamment les accoucheuses traditionnelles, AT) jouent souvent un rôle important en tant qu’exciseuses traditionnelles ou « modernisées ». Le chapitre 2.5 souligne l'importance de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la santé à cette question. L'éducation des exciseuses traditionnelles quant aux risques sanitaires associés à l'ablation et/ou leur reconversion à l’aide des projets générateur de revenus sont des formules qui ont été testées au cours des cinq à dix dernières années dans divers pays (Mali, Éthiopie, Sénégal, Ouganda, Kenya, Burkina Faso, etc.) D'une manière générale, ces stratégies de reconversion comportent l'une ou plusieurs des phases suivantes. 30 Identifier les exciseuses et les informer de diverses questions liées aux MGF. Former les exciseuses pour en faire des acteurs du changement et les motiver à informer la communauté et les familles qui sont susceptibles d’en demander des effets nocifs des MGF. Les orienter vers de nouvelles sources de revenu et les doter de moyens, de matériel et de compétences afin de les aider à gagner leur vie. L’ONG américaine, « Population Council » a réalisé une étude au Mali visant à évaluer les stratégies de reconversion utilisées par diverses ONG. Les résultats de cette étude montrent que les stratégies de reconversion des exciseuses seules semblent peu efficaces en raison du nombre peu élevé de reconversions. Cela s'explique probablement par le fait que la praticienne fait partie de la communauté et, en tant que telle, sa reconversion dépend de la sensibilisation de la communauté à laquelle elle appartient. Au Mali, aucune campagne de sensibilisation à l'intention du grand public n'a accompagné la stratégie axée sur les exciseuses. Lorsque les exciseuses locales 'ont été soustraites du marché', d'autres sont venues les remplacer parfois d'aussi loin que le Burkina Faso. Souvent, au sein de la communauté, les femmes interviewées ignoraient l'existence d'exciseuses reconverties. D'autres ont estimé qu'il était impossible que les exciseuses mettent fin à leur activité traditionnelle, dans la mesure où elles obéissent à des règles fixes et n'ont donc aucun pouvoir de décision propre. Ces femmes sont convaincues, conviction d'ailleurs confirmée par certaines exciseuses, que les couteaux qui avaient été déposés devaient être des copies des instruments utilisés pour la circoncision, car les sanctions sociales contre celles qui se retirent d’une tell tradition seront trop lourdes. Les activités génératrices de revenus offertes aux praticiennes traditionnelles ont certes permis à certaines d'entre elles d'arrêter momentanément la pratique. Mais l'évaluation montre clairement que, dès que ces activités ont cessé, les 30 Population Council 1998; OMS 1999 19 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES exciseuses sont revenues à leur rôle initial. Dans certaines régions, les évaluateurs ont découvert que les femmes « reconverties » attendaient avec impatience l'aide financière des ONG participantes. (Source : Population Council 1998) Encadré 6 : Évaluation des efforts de reconversion au Mali Pour la plupart, les expériences signalées n'ont pas eu les résultats désirés. L'expérience malienne décrite dans l'encadré montre que si, dans le meilleur des cas, ces efforts aident un petit nombre de praticiennes à abandonner la pratique, ils n'ont pas d’ effet sur la demande. Par conséquent, lorsque ces stratégies ne sont pas accompagnées de campagnes de sensibilisation à grande échelle s'adressant à l'ensemble de la communauté, les familles partent à la recherche d'autres prestataires. Parce que l'excision est un acte lucratif, les praticiennes traditionnelles reprennent vite la pratique. Dans certains cas, comme en Éthiopie31, les projets générateurs de revenus destinés aux exciseuses ont attiré des femmes qui ont plus tard avoué n'avoir jamais excisé de filles. Il a été également remarqué que le fait d'axer les efforts sur les exciseuses amplifie en fait leur importance au lieu d'attirer l'attention sur la nocivité de leurs activités profesionnelles et sur la nécessité combattre ces actes. Par ailleurs, les programmes générateurs de revenus et de crédit à l’égard des exciseuses nécessitent des moyens à long terme qui doivent souvent être pris sur d'autres projets. 2.7 Le développement de rites modifiés Dans le cadre d'une approche relativement récente, de nouveaux rites ont été élaborées pour remplacer les cérémonies traditionnelles avec ablation. Les rites initiatiques sont pratiqués dans de nombreuses sociétés traditionnelles partout dans le monde ; en règle générale, ils confirment la maturité et l'entrée dans la communauté des adultes. Ils comprennent les enseignements traditionnels consacrés au rôle que l'adolescente est appelée à jouer, y compris les aspects liés à la sexualité et à la maternité. Dans certains cas, les fillettes sont séparées du reste de la communauté pendant des jours ou des semaines et reçoivent les enseignements dans la forêt ou dans des lieux spécialement désignés. Généralement, ces rites donnent lieu à des festivités qui peuvent durer et auxquelles participe l'ensemble de la communauté. Étant donné que les sociétés accordent une grande importance à ces cérémonies d'entrée dans l'âge adulte, l'abandon de tels rites et l'interdiction des MGF peuvent être à l'origine de conflits sociaux considérables. 'Il est beaucoup plus intéressant de développer de nouvelles activités capables de remplacer les coutumes préjudiciables que d'interdire totalement ce qui a été fait dans le cadre de la tradition. La nouvelle possibilité offerte aujourd'hui consiste à en changer le contenu, d'arrêter les mutilations tout en préservant le principe positif'.32 31 32 20 OMS 1999 Hosken 1993 LES DIFFÉRENTES APPROCHES Les nouvelles formules de « célébration initiatique saine », de « circoncision sans ablation » ou de « circoncision avec des mots » sont des stratégies mises au point au Kenya (par MYWO, voir encadré 7), en Ouganda (projet REACH du FNUAP) ou en Gambie (en collaboration avec la Fondation Heinrich Böll). L'approche basée sur les rites modifiés est manifestement une option seulement dans les sociétés ou l'excision fait partie de l'initiation. En fait, de plus en plus les MGF sont pratiquées à un âge très précoce et ne sont donc pas toujours directement liées aux cérémonies d'entrée dans l'âge adulte. En Somalie l'opération elle-même n'est pas accompagnée d'une cérémonie ou d'un rituel initiatique.33 Dans la région de Kolda, au sud du Sénégal, les rites initiatiques qui préparent les adolescentes à leur rôle futur de femmes accompagnaient les cérémonies d’excision. Etant donné que l'intervention est aujourd'hui pratiquée sur des fillettes âgées de 0 à 5 ou 7 ans, il est clair que, dans cette société au moins, l'éducation sexuelle et la passation des secrets traditionnels propres à la vie de femme n'ont plus lieu.34 Dans pareil cas, le développement de nouveaux rites n'est probablement pas une priorité stratégique. Le fait de donner une nouvelle vie aux formes d'enseignement traditionnelles et positives et de les mettre en harmonie avec l'éducation moderne en matière de vie de famille peut, cependant et dans tous les contextes, renforcer la crédibilité d'un programme de lutte contre les MGF. Dans certaines régions, les rites d’initiation modernisés tels que ceux décrits ci-dessus sont suivis par les filles aussi bien que les garçons. Parfois, une période de service communautaire vient s'ajouter à la pratique. Les nouveaux rites ont été couronnés de succès lorsqu'ils ont été élaboré en étroite collaboration avec les communautés concernées et accompagnés d'éléments stratégiques complémentaires. Les résultats préliminaires montrent que les nouvelles cérémonies sont bien reçues et qu'elles ont un impact positif dans la mesure où elles ont permis de réduire le nombre d'ablations chez les jeunes filles initiées à l'âge de l'adolescence. Reste à déterminer si cet effet initial peut s'inscrire dans la durée et quels types de rituels donnent les meilleurs résultats. Au Kenya, le nouveau programme d'entrée dans l'âge adulte fait partie de plusieurs stratégies de programmes utilisées par l'Organisation Maendeleo Ya Wanawake (MYWO) visant à éliminer les MGF dans sept districts kenyans. Il s'agit de l'élément qui a le mieux réussi dans la mesure où il fait partie d'une stratégie plus vaste. De nombreux travaux de recherche quantitative et qualitative ont précédé la mise au point de nouvelles cérémonies d'entrée dans l'âge adulte. Des activités de proximité et de mobilisation sociale avec des éducateurs pairs ont permis de sensibiliser la population aux effets nocifs des MGF. Le programme a ensuite été formalisé, élaboré et mis en oeuvre en étroite collaboration avec les membres de la communauté et les diverses parties prenantes (dont les mères et les filles, les chefs communautaires et les pères), ce qui a eu pour effet de susciter un fort sentiment d'appropriation. Les craintes et l'opposition à l'égard du programme ont été adressées et des solutions ont été recherchées, là aussi avec l'appui de 33 34 Hosken 1993 Kessler Bodiang et al. 2000 21 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES la communauté. Un programme a été finalement mis au point bannissant la mutilation des organes génitaux, mais respectant les autres rituels traditionnels et la passation d'informations, y compris une célébration finale basée sur le consensus auquel on était parvenu. Le premier programme de rites de passage a été réalisé en 1996. Il prévoyait deux phases : une semaine d'isolement des initiés et la cérémonie d'entrée dans l'âge adulte. Les mères ont décidé de soumettre leurs filles à une semaine d'instructions, d'orientations et de conseils intensifs sur les compétences modernes liées à la vie de famille (dont l'estime de soi, la prise de décision, l'hygiène personnelle, la conception et la prévention de la grossesse, la prévention des MST/SIDA, ainsi que de nombreux autres aspects) et aux valeurs traditionnelles (relations avec les parents, les anciens et les pairs, le mariage, enseignements religieux, etc.). Cette première semaine a été suivie de la cérémonie d'entrée dans l'âge adulte qui comporte des festivités, des cadeaux et la remise de diplômes. Au moins 500 personnes ont participé à cette cérémonie qui a été organisée dans les locaux du chef de district. La cérémonie a été largement couverte par les médias. Rapidement, le programme a gagné en force et en popularité, à la fois au sein de la communauté où il a vu le jour et en dehors, à mesure que le nombre de familles participantes augmentait. Les femmes ont bien défendu le programme et ont encouragé les hommes à s'y joindre. Pour participer au programme, la règle de base était que les deux parents devaient y consentir. Depuis le mois d'août 1998, près de 500 filles ont été initiées par le programme dans deux districts (Tharaka Nithi et Kisii), de loin plus que le nombre de filles excisées. Aucune des filles ayant participé au programme n'a jusqu'ici changé d'avis et ne s'est fait exciser plus tard. Afin d'inscrire le projet dans la durée, 10 personnes, pour la plupart des mères ayant participé à la première cérémonie initiatique, ont reçu une formation pour devenir des formatrices en éducation à la vie de famille. Depuis, le groupe s'est constitué en organisation non-gouvernementale. (Source : OMS 1999) Encadré 7 : Le nouveau programme d'entrée dans l'âge adulte au Kenya 2.8 Les activités d'IEC et les campagnes de changement comportemental Pour la plupart, les programmes qui traitent des MGF sont dotés d'une composante IEC (Information, Éducation, Communication). Un grand nombre de supports IEC (y compris des modèles anatomiques) ont été produits dans le but d'illustrer ces activités. Le « Media/Material Clearinghouse » de Johns Hopkins pour la Population (www.jhuccp.org/mmc) présente un choix de supports dans sa livraison d'octobre 1998 intitulée « What's New? » (Quoi de neuf?). Plusieurs autres organismes travaillant dans le domaine tiennent des listes similaires de supports disponibles. L'OMS a réalisé une enquête auprès de 85 agences visant à établir les principaux messages d'IEC de lutte contre les MGF généralement utilisés. La liste ci-dessous les classe par ordre de fréquence dans les réponses. 22 LES DIFFÉRENTES APPROCHES y Les MGF ont des conséquences néfastes pour la santé des femmes et des enfants. y Les MGF sont une pratique traditionnelle nocive. y La pratique des MGF avec le un instrument partagé peut favoriser la propagation des infections par le VIH/SIDA. y Les MGF constituent une violation du droit de la femme et de la fille. y Les MGF ne sont pas requises par l'Islam. y Les femmes non excisées peuvent se marier. y Les MGF n'empêchent pas la promiscuité. y Les MGF réduisent le plaisir sexuel de la femme. y Les MGF sont contraires aux enseignements de la religion chrétienne. y Étant donné que l'excision se pratique à un très jeune âge, elle ne peut plus être considérée comme un rite de passage. y Les MGF limitent les chances des filles de poursuivre leurs études. (Source : OMS 1999) Encadré 8 : Messages IEC les plus couramment utilisés Les campagnes d'IEC classiques sont axées sur la sensibilisation par l'information, la motivation et l'éducation. Malheureusement, l’élaboration d'un grand nombre des stratégies et des messages utilisés ne s'est pas basée sur la recherche locale (voir aussi 2.10) ; elle n'a pas été non plus correctement prétestée. L'absence d'une véritable diversité des messages, tenant compte des différents publics cibles, l'incapacité à traiter des problèmes tels que la sexualité féminine, ainsi que des rumeurs qui ont circulé à propos des femmes non excisées ; ce sont là quelques-uns des points faibles les plus fréquemment constatés dans les campagnes passées. L'examen des expériences passées montre clairement que les messages prêts à l'emploi n'ont qu'un impact limité et, dans certains cas, peuvent même produire l'effet inverse. Les approches qui tiennent compte du contexte et des motivations des pratiques, qui ont été élaborées en collaboration avec les populations cibles et qui traitent aussi des mythes locaux et des rumeurs se sont avérées bien plus efficaces. Les programmes efficaces de « communication pour le changement » sont non seulement basés sur la recherche locale (voir 2.10), mais, dans le même temps, ils ont recours aux leaders d'opinions locaux et à des personnes ressources pour parler à la communauté. Parmi ces personnalités, les leaders religieux jouent un rôle éminemment important dans de nombreux pays. Dans les régions islamiques où les MGF sont pratiquées, la plupart des gens sont intimement convaincus qu'ils respectent un commandement religieux. Comme le montrent les résultats de la recherche réalisée par le projet 'FANKANTA' avec le concours de la GTZ dans le sud du Sénégal, les leaders religieux eux-mêmes souvent ne connaissent pas la position de l'islam à l'égard des MGF.35 Abordés avec la délicatesse requise et activement intégrés aux activités du projet, les imams de la région de Kolda ont joué un rôle crucial dans le changement d'attitude de la population à l'égard de diverses questions de santé reproductive. 35 Kessler Bodiang et al. 2000 23 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Lorsque des programmes d'IEC sont élaborés, il est nécessaire de mettre l'accent sur la jeunesse et d'en faire le groupe cible prioritaire. Les fillettes et les adolescentes non seulement risquent d'être excisées mais, lorsqu'elles sont interviewées, elles montrent qu'elles sont plus ouvertes à la discussion, moins attachées à la tradition et plus prêtes au changement. Les jeunes hommes doivent participer pour pouvoir changer d'attitude en ce qui concerne la nécessité d'épouser des filles excisées. Parmi les exemples de stratégies utilisées pour atteindre les jeunes figurent l'introduction des MGF dans les programmes scolaires dans le cadre de l'éducation sur la vie familiale, l’organisation d'activités extra-scolaires à l'intention des jeunes, l’encadrement de jeunes filles et de jeunes hommes pour assurer une formation par les pairs et l’information des jeunes par le biais des programmes de la radio et de la télévision. L'expérience a montré que ces programmes restent dans la majorité superficiels, qu'ils manquent de continuité dans l'appui qui leur est accordé et qu'ils nécessitent la formation continue des jeunes ayant accédé à la formation initiale.36 Comme c'est le cas pour n'importe quel autre sujet, les volontaires formés en vue d'apporter une assistance à la communauté ont besoin d'un soutien, d'une supervision et de motivation continus afin de pouvoir continuer leurs activités avec succès. Lorsqu'ils sont bien conçus, les programmes d'IEC peuvent sensibiliser la population et induire des changements d'attitude, mais en règle générale, ils ne sont pas suffisants pour provoquer des changements de comportement. En effet, ces derniers nécessitent une communication et des interventions spécifiques visant le changement comportemental (voir Annexe 2), y compris le renforcement des compétences (par exemple, comment résister à la pression lorsqu'on vous demande de faire exciser votre fille) ainsi que le renforcement du soutien communautaire pour consolider le changement. Il s'agit d'éléments importants de l'approche Tostan décrite ci-dessous. 2.9 L'approche basée sur le développement social intégral Il est généralement admis qu'à elle seule la législation ne suffit pas pour occasionner le changement, et ce tant que les gens n'ont pas changé d'attitude à l'égard des femmes. Dans le même temps, le fait de restreindre le problème des MGF à la seule dimension sanitaire n'a pas permis de réaliser les résultats escomptés. Cette question nécessite une approche globale qui s'attaque à tous les aspects du développement, y compris les questions liées au genre ainsi qu'au développement social, politique, juridique et économique de la communauté. Les MGF sont souvent pratiquées par respect des traditions de la société et par conformisme. La décision d'abandonner la mutilation des filles n'est donc qu'en partie une décision individuelle, car il s'agit avant tout d'une question de changement social. Tostan, une ONG citée plus loin dans l'Encadré 9, compare une communauté qui est sur le point d'abandonner la pratique à un public qui a pris l'habitude de rester debout tout au long d'un concert. Certaines personnes peuvent comprendre l'avantage de s'asseoir pendant le spectacle. Mais, tant que tout le monde ne s'est pas assis, les changements individuels n'auront pas l'effet souhaité ; ils ne font 36 24 OMS 1999 LES DIFFÉRENTES APPROCHES qu'occasionner des problèmes aux personnes qui ont changé, dans la mesure où elles ne pourront plus rien voir. Les personnes et les familles qui ne souhaitent plus faire pratiquer une ablation à leur fille devront faire face à des problèmes similaires. Tant que le reste de la communauté est déterminé à poursuivre la pratique, elles seront confrontées à des sanctions. Les parents et leurs filles sont parfois stigmatisés et parfois les filles ne trouvent pas de mari. Comme c'est le cas dans le sud du Sénégal, des femmes proches de la famille profitent parfois de l'absence des parents de la fille pour procéder à l'ablation sans leur consentement. Ainsi, le changement peut survenir plus facilement lorsque l'ensemble de la communauté a fait sienne la question et décide d’un commun accord de suivre un processus de prise de conscience visant l'abandon de la tradition. Le changement au niveau de l'ensemble de la société ne peut survenir que suite à un processus qui implique la communauté dans un processus d'apprentissage et de prise de décisions basé sur le consensus. L'apprentissage intégré suppose l'intégration des MGF dans une offre d'apprentissage plus vaste. Le programme Tostan, par exemple, vise principalement les femmes, mais comporte des modules consacrés à des compétences en matière d'identification et de résolution des problèmes, le renforcement du droit des femmes, l'hygiène, la santé et d'autres sujets pertinents pour la communauté. Un autre exemple de cette approche a déjà été présenté plus haut, à savoir l'enseignement dispensé dans le cadre du programme kenyan de rite de passage nouveau ciblant les jeunes filles et les garçons. Ce cours a entre autre traité des questions suivantes:37 être responsable de ses propres décisions et faire face à la pression des pairs ; fréquentations, sorties, mariage ; hygiène personnelle ; contraception, grossesse et prévention des MST/SIDA ; 37 l'estime de soi : faire face à la critique ; MGF, mariage précoce, relations hommes femmes, et renforcement du droit des femmes, y compris les droits de la fillette ;. respect de la communauté et du rôle des aînés. USAID 1999 25 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Tostan, terme qui signifie « percée », est une ONG dont le siège est à Thiès au Sénégal. Elle a démarré avec des actions d'alphabétisation des femmes et des programmes informels d'éducation pour le développement communautaire. Ses programmes étaient principalement dirigés vers la femme rurale. La formation, qui n'était pas spécifiquement axée sur les MGF, reposait sur l'approche globale d'apprentissage intégré décrite plus haut. Elle comportait des modules consacrés à l'hygiène et à la santé, en mettant l'accent sur la santé de la mère et de l'enfant, dont les MGF. La formation a permis de renforcer la position des femmes en s'appuyant sur des techniques participatives. Les femmes étaient encouragées à transmettre ce qu'elles avaient appris à leurs maris, aux autres habitants du village ainsi qu'aux villages environnants. Cette approche a permis d'améliorer la communication à l'intérieur des couples concernant des sujets demeurés jusque là tabous, tels que la santé et la sexualité féminines ; elle a également permis de recueillir l'intérêt et le soutien de l’opinion publique aux initiatives pour le changement introduites par les participantes aux cycles de formation. Les petits projets communautaires peuvent aller de l'amélioration de la propreté dans le village à la construction d'un dispensaire pour le village et ses effets sur les activités génératrices de revenus. L'une des conséquences de ces programmes a été la décision prise par certaines communautés d'abandonner les MGF et de proclamer publiquement leur volonté de mettre fin à la pratique. Malicounda a été le premier village à faire une telle déclaration publique en 1997. Depuis cette date, plus de cent villages ont fait de même. Outre les déclarations publiques, Tostan a eu recours à une campagne médiatique relativement agressive pour assurer la couverture des déclarations des villages. Au plan national, cette action a permis l'émergence d'un mouvement militant pour l'abolition des MGF (en 1999, une loi anti-MGF a été adoptée au Sénégal), mais aussi, dans le même temps, d'une forte opposition essentiellement due à un petit nombre de dirigeants politiques et religieux. Cela a également valu à Tostan d'être internationalement reconnue et d'accroître le financement de ces programmes. (Source : Tostan, Population Council 1999) Encadré 9 : L'approche Tostan au Sénégal Une fois parvenues à une décision commune, les communautés en viennent à la déclaration publique qui constitue une autre étape importante sur la voie du changement. Cette approche a été appliquée efficacement par Tostan au Sénégal, mais elle est également pratiquée dans d'autres pays, comme le Kenya, par le biais de l'approche de MYWO basée sur les rites modifiés(voir encadré 7). Viser le changement de la société plutôt que le changement de l'individu constitue une stratégie très prometteuse. Toutefois, pour réussir, cette intervention a besoin d'un apport supplémentaire de ressources humaines. La principale faiblesse de l'expérience Tostan dans le passé réside dans l'absence d'un suivi et d'une évaluation systématique et concis. Les résultats obtenus sont impressionnants, mais doivent être quantifiés en termes d'effectifs de population ou de nombre de jeunes filles protégées plutôt qu'en termes de villages (dont certains sont très petits et géographiquement très proches). Un suivi sur le long terme est nécessaire pour s'assurer que les déclarations publiques sont effectivement suivies d'un abandon massif de la pratique traditionnelle. 26 LES DIFFÉRENTES APPROCHES 2.10 L'approche basée sur la recherche Dans le passé, les programmes ont parfois échoué parce que leur approche était perçue comme étant importée ou directive. De nombreux programmes, comme Tostan, ont été critiqués parce qu'il leur manquait des éléments aussi importants que le suivi et l'évaluation de leurs activités. Il importe de développer des stratégies fondées sur une connaissance approfondie du contexte local. Il importe aussi d'inscrire l'évaluation à un stade très précoce du programme. Les quatre étapes suivantes sont par conséquent essentielles au succès de tout programme :38 réaliser des recherches de base (quantitatives et qualitatives) ; intégrer le suivi du processus de mise en œuvre ; gagner des nouvelles informations par le biais des recherches opérationnelles ; réaliser une évaluation en bonne et due forme basée sur des indicateurs de référence. Jusqu'ici, la recherche de base a eu essentiellement recours à des approches quantitatives. Dans de nombreux pays comme l'Égypte, la République Centrafricaine, la Côte d'Ivoire, l’Erythrée, le Kenya, le Mali, le Soudan, la Tanzanie et le Yémen les questions relatives aux MGF ont été intégrées aux enquêtes nationales démographique et sanitaire. Au Kenya, PATH a non seulement réalisé de nombreuses recherches qualitatives avant d'élaborer l'approche consacrée aux rites modifiés de passage, mais a commencé en 1991/92 par plusieurs études quantitatives de prévalence au niveau des districts. Pour l'essentiel, les recherches réalisées sur le thème des MGF dans le cadre du secteur de la santé ont jusqu'ici revêtu un caractère quantitatif. Cependant la recherche quantitative, qui ne peut fournir que des informations limitées, doit faire face à des problèmes de fiabilité des données liés à la subjectivité des personnes interrogées. Seule la recherche qualitative nous permettra de bien comprendre les valeurs, les croyances, les pratiques et les règles d'interaction d'une communauté donnée. Il s'agit là d'éléments essentiels nécessaires à l'élaboration d'une stratégie au niveau local. Souvent, les agents de santé n'ont pas les compétences requises pour réaliser des recherches qualitatives. Lorsqu'ils ont reçu une formation dans ce domaine, les agents de santé peuvent mieux comprendre le contexte culturel des MGF et seront plus motivés pour participer aux activités anti-MGF. Ils apprennent aussi à être plus à l'écoute de la communauté. Il s'agit là d'une question qui est censée aller de soi, mais qui ne fait malheureusement pas partie de la pratique quotidienne de nombreux professionnels de la santé. Dans la deuxième partie de la présente brochure, nous présentons l'expérience acquise par le projet « FANKANTA » qui bénéficie d'un appui de la GTZ au sud du Sénégal, comme un exemple de l'utilisation de la recherche opérationnelle pour l'élaboration de stratégies. 38 OMS 2000a 27 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES De même, le projet kenyan anti-MGF soutenu par la GTZ a développé une vaste expérience dans le domaine de la recherche opérationnelle. Des indicateurs et des outils de suivi et d'évaluation ont été mis au point et sont actuellement utilisés dans les interventions. Un thème nouveau et intéressant a vu le jour, celui de la recherche consacrée aux personnes qui se distinguent de manière positive de la norme communautaire. L'enquête, réalisée par le projet égyptien ‘Enquête sur la Déviance Positive’ qui bénéficie d'un soutien de l'USAID a étudié le cas de personnes ayant abandonné la pratique de l'ablation génitale de leurs filles. Le projet s'est également intéressé aux exciseuses qui ne pratiquent plus l'opération et aux dirigeants communautaires qui s'opposent ouvertement à la pratique. L'enquête a examiné les caractéristiques qui ont permis à ces personnes d'être différentes et de résister à la pression sociale les poussant au conformisme. Grâce à des entretiens avec les déviants positifs, l'enquête est partie à la recherche de solutions qui existent déjà dans la communauté. En Égypte, l'entretient a permis de montrer que les facteurs émotionnels et psychologiques sont plus importants que les facteurs religieux et médicaux pour déterminer la résistance à l'ablation génitale. (Source : USAID 1999) Encadré 10 : Enquête sur la déviance positive Pour être en mesure d'évaluer l'impact d'une stratégie donnée à une étape ultérieure, la recherche de base doit déboucher sur des indicateurs mesurables. Les indicateurs d'impact les plus évidents sont la prévalence de femmes et de filles excisées et le nombre de complications dues aux MGF. Dans les pays où les questions liées aux MGF sont intégrées à l'EDS, l'information initiale peut être collectée sans effort supplémentaire notable. Les complications dues à l'excision peuvent également être systématiquement consignées dans le système national d'information sanitaire. Cependant, l'évolution de ces indicateurs peut être très lente et seules les complications constatées par les services de santé seront signalées. Dans le passé, de nombreux programmes se sont contentés de suivre les indicateurs du processus, c'est-à-dire qu'ils ont compté de manière classique le nombre de séances de formation ou de réunions d'IEC. Les indicateurs plus utiles qui donnent des informations précoces sur l'impact sont cependant axés sur la transgression des tabous et du silence qui entoure les MGF, sur le nombre de familles qui consentent à ne plus faire exciser leurs filles, ainsi que sur le nombre de garçons qui se déclarent prêts à épouser des filles non excisées. Le suivi du changement au sein des familles et des communautés rassemblera des informations plus utiles que le simple suivi des activités et la couverture des programmes.39 39 28 OMS 2000a RECOMMANDATIONS 3. Recommandations Des recommandations peuvent être formulées sur la base de l'expérience décrite cidessus et des enseignements qui en ont été tirés. La liste ci-dessous n'est pas exhaustive, mais fait référence aux principaux points traités par le chapitre 2. Ces recommandations sont conformes à celles formulées par l'OMS dans divers documents publiés sur le sujet.40 Elles comprennent quelques-unes des conditions préalables mentionnées ci-dessus comme, par exemple, la prise en compte des activités anti-MGF.  Est-ce qu'il faut recourir à une approche verticale et/ou intégrée? Dans le secteur de santé, de préférence, le problème des MGF doit être intégré aux programmes de santé reproductive. Dans les pays concernés, tous les programmes de formation consacrés à la santé reproductive et à d'autres problèmes de santé (cycles de formation initiale, continue et complémentaire) devraient prévoir un module consacré aux MGF (voir Annexe 1). Dorénavant, les MGF devront faire partie intégrante des programmes des départements ministériels concernés. Cela permettra d'atteindre un grand public et d'inscrire ces programmes dans la durée. Le ministère de la Santé, mais aussi les ministères de l'Éducation, de l'Information, de la Famille et des Affaires Sociales sont les mieux placés pour intégrer cette question à leurs programmes. Dans le même temps, les services civils comme les services des droits de la femme, les services de l'immigration, les institutions religieuses et, bien évidemment, les ONG devront eux aussi intégrer les MGF à leurs programmes pertinents.  Comment utiliser l'approche juridique Les droits de l'homme et les conventions internationales ne sont probablement pas des thèmes auxquels un grand nombre des communautés concernées peuvent s'identifier. Pour que l'appropriation se fasse dans de meilleures conditions, les arguments fondés sur les droits doivent être intégrés à une offre complète d'information présentée aux communautés sous un format compréhensible et adapté aux conditions locales. La prise de conscience des droits de la femme et de l'enfant peut aider les femmes à se réapproprier leurs droits et à introduire le changement. La promulgation de lois anti-MGF doit aller de pair avec l'éducation de la communauté. L'adoption de politiques et de stratégies gouvernementales appropriées pour l'élimination des MGF peut s'avérer plus efficace que les tentatives de décréter le changement. Le changement des croyances intervient grâce au dialogue et à l'information plutôt que par la législation. Lorsqu'une législation est promulguée, elle doit être présentée à toutes les communautés comme une mesure positive et non comme un châtiment.  40 La médicalisation est-elle une option à proposer? OMS 1999; OMS 2000a 29 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Les MGF ne doivent pas être institutionnalisées ; aucune forme de MGF ne doit être pratiquée par les professionnels de la santé dans quelque contexte que ce soit. La médicalisation doit être prohibée et les professionnels de la santé doivent être activement découragés de pratiquer de telles opérations.  Quels types de messages doit-on utiliser dans les interventions antiMGF? Les messages à caractère sanitaire doivent être complets et traiter également des problèmes mentaux et sexuels ; ils doivent nécessairement s'inscrire dans le cadre d'un programme qui traite aussi de questions sociales et économiques et de questions liées à la relation hommes-femmes et au développement.  Comment mieux impliquer les agents de santé dans les interventions antiMGF? L'OMS recommande d'accorder une attention spéciale à la formation des acteurs de la santé et du personnel paramédical à tous les niveaux- des obstétriciens/gynécologues, pédiatres, infirmiers et sage-femmes jusqu'aux agents de santé communautaires et aux diffuseurs opérant au niveau communautaire. Il convient de les sensibiliser et de les convaincre de la nécessité de s'engager les premiers dans la campagne de lutte contre les MGF. Ils doivent recevoir une formation complète à la fois pour traiter les complications des MGF et pour empêcher ces dernières. La formation axée sur les compétences et l'intérêt accordé aux compétences liées au changement comportemental sont des éléments essentiels des programmes d'élimination des MGF. Les mécanismes de soutien aux femmes ayant subi des MGF doivent prévoir des activités de conseil non seulement concernant les problèmes médicaux, mais aussi psychologiques et conjugaux. La formation ne doit pas s'arrêter aux personnels de santé proprement dits, mais s'étendre aux travailleurs sociaux communautaires opérant en dehors du système officiel de la santé. Cette catégorie de personnes peut comprendre les dirigeants communautaires, les enseignants, les leaders religieux, les groupes de femmes, les femmes commerçantes, les jeunes pairs éducateurs, les guérisseurs traditionnels et bien d'autres. La formation doit être adaptée au pays et aux divers groupes cibles.  Que faire pour les exciseuses? Bien qu'il faille intégrer les exciseuses aux activités des programmes, il ne faut pas que la recherche de nouvelles sources de revenu devienne la stratégie principale du changement. Étant donné que les exciseuses obtiennent leur rôle de la communauté, si celle-ci décide d'interdire les MGF, les exciseuses ne pourront plus pratiquer l'excision. En tant que complément aux activités de changement social destinées à l'ensemble de la communauté, les activités nouvelles génératrices de revenus destinées aux exciseuses peuvent, toutefois, permettre de recueillir leur soutien tout en leur accordant une forme de compensation pour la perte de leurs revenus et de leur prestige. Il convient d'encourager la communauté à définir des rôles nouveaux pour les exciseuses.  30 Comment préserver les éléments importants de la pratique traditionnelle? RECOMMANDATIONS Les stratégies d'intervention qui donnent lieu à un vide culturel doivent être évitées. Le cas échéant, il convient d'encourager de nouveaux rites de passage pour les jeunes filles. Ces rites doivent être élaborés en étroite collaboration avec les communautés concernées et doivent être accompagnés d'éléments stratégiques complémentaires.  Comment renforcer l'efficacité des campagnes de sensibilisation? Pour la conception des projets, il importe de bien connaître l'environnement socioculturel et le contexte dans lequel certains comportements ont lieu. Par conséquent, les supports et les stratégies d'IEC doivent reposer sur des travaux de recherche et doivent cibler des publics et des communautés spécifiques et ne doivent pas être produits en masse. Les stratégies traditionnelles en matière d'IEC qui utilisent des messages prêts à l'emploi doivent laisser la place à une communication effective et des interventions visant le changement comportemental. Toutes les parties prenantes importantes et la communauté dans son ensemble doivent être impliquées dans la conception et la mise en oeuvre des éléments de la campagne.  Quel est le rôle des jeunes? Les jeunes, qui ont un potentiel de changement considérable, constituent l'un des groupes cibles prioritaires des campagnes anti-MGF. Les mutilations ne peuvent pas être abordées de manière isolées, mais il convient de les traiter dans le contexte de la santé reproductive. L'éducation consacrée à la vie de famille constitue un élément important de l'éducation sexuelle des adolescents et de leur éducation en matière de santé reproductive. Les rites modifiés peuvent offrir d'opportunités idéales pour dispenser une éducation sur la vie de famille dans les communautés rurales.  Comment le changement peut-il survenir dans une communauté? L'abandon de la pratique des MGF requiert un changement non seulement au niveau des personnes, mais surtout au niveau de l'ensemble de la société. L'apprentissage intégré qui sert de base à la prise de décision consensuelle au niveau communautaire peut s'avérer efficace pour apporter le changement. Il importe d'analyser à quel niveau la population cible se situe sur l'échelle du changement comportemental (voir annexe 2) et de la rejoindre à ce niveau afin de répondre au mieux à ses besoins et décider de manière participative des mesures à venir. Il est recommandé d'utiliser des stratégies basées sur le renforcement des droits de la communauté et du consensus et sur des modes de prise de décision collectifs.  Quel est le rôle de la recherche? La recherche axée sur le contexte local et impliquant la communauté elle-même est un important pré-requis pour la mise au point de toute stratégie anti-MGF, y compris les campagnes d'information et l'élaboration de supports pédagogiques et d'IEC. Il convient de recueillir et d'analyser des informations de référence aussi bien quantitatives que qualitatives. Après leur formation, les agents de santé doivent s'impliquer activement dans la conception, la mise en œuvre et l'interprétation des recherches réalisées au niveau local.  Comment déterminer à quel stade on se trouve? Le processus ainsi que l'évaluation de l'impact doivent être considérés comme prioritaires par les programmes de lutte contre les MGF. Dans un environnement en 31 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES mutation, comme celui des efforts internationaux de lutte contre les MGF, la documentation scientifique de l'impact du programme et la description du processus qui mène vers les résultats observés revêtent une très grande importance. Il sera plus facile d'amener les différents acteurs à partager leurs expériences et mettre en réseau leurs actions s'il est possible de se référer à des recherches solides et à leurs résultats. 32 CONCLUSIONS 4. Conclusions Au cours des quelques dernières années, un nombre croissant d'organisations de développement ont inscrit la question des mutilations génitales féminines dans leurs programmes. Après des décennies d'investissement dans des tentatives qui n'ont pas eu de résultats prometteurs, il peut être fait état aujourd'hui de quelques expériences réussies, combinant différentes approches. Le présent document a permis de décrire et de discuter quelques-unes des approches actuellement utilisées dans ce domaine. Par ailleurs, la deuxième partie de la publication a permis d'examiner quelques projets de santé choisis, bénéficiant de l'appui de la GTZ et d'en analyser l'approche vis-à-vis de l'ensemble des problèmes liés aux MGF dans le cadre spécifique d'un pays donné. Nous espérons ainsi donner au lecteurs des éléments supplémentaires qu'ils pourront utiliser pour améliorer les stratégies de lutte contre les MGF. Toutefois, ce qui a pu réussir dans un contexte précis, ne sera pas nécessairement une bonne solution dans un autre contexte. Ce qui, là aussi, souligne la nécessité d'adopter des approches basées sur la recherche, mises au point localement avec un apport important de la part de la communauté elle-même. Tous ceux qui travaillent dans le cadre d'un programme de santé ou y collaborent sont appelés à développer des idées, tester de nouvelles approches et diffuser et partager les résultats avec les autres, en étroite collaboration avec la communauté dans laquelle ils ou elles travaillent. Pour les communautés tout autant que pour les gouvernements, les agences internationales de développement et les organismes qui collaborent avec elles comme les organisations non gouvernementales sont des partenaires dans le dialogue sur les MGF et se doivent d'accorder une assistance technique effective dans ce domaine. Cependant, toute personne travaillant dans ce domaine se doit aussi d'examiner et de remettre en cause ses propres hypothèses, croyances et pratiques et d’œuvrer à acquérir une compétence culturelle, c'est-à-dire à voir les choses du point de vue de la communauté plutôt qu'à travers le filtre de son propre contexte culturel.41 Comme pour l'épidémie du VIH/SIDA, la mutilation génitale féminine ne peut pas être abolie en investissant seulement dans le secteur de la santé. La collaboration intersectorielle est une condition préalable essentielle à tout progrès dans ce domaine. Le secteur de la santé peut, cependant, jouer un rôle très important dans ce cadre élargi. Les programmes de santé bénéficiant d'un soutien de la GTZ sont par conséquent fortement encouragés à inscrire la campagne de lutte contre les MGF dans leurs activités. Le moment est venu pour tous les projets de santé bénéficiant d'un soutien de la GTZ et opérant dans l'un des pays concernés d'évaluer la situation des MGF dans le pays partenaire et de développer ou renforcer leurs interventions afin de contribuer efficacement à la lutte. La seconde partie de la présente brochure a pour objet de montrer le rôle spécifique des projets de santé et, plus particulièrement, les domaines d'intervention potentiels liés à la mutilation génitale féminine dans les projets de santé en cours bénéficiant du soutien de la GTZ. 41 OMS 2000a 33 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Annexe 1 Éléments susceptibles d'être inscrits dans un programme de formation à l'intention des agents de santé Il existe, de par le monde, divers modules de formation aux MGF destinés aux acteurs de la santé. Le Comité inter-africain de lutte contre les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants (CIAF) fait partie des organisations ayant mis au point de tels programmes de formation. S'ils sont partagés et mis à la disposition des autres organisations ou institutions intéressées, ces programmes peuvent être d'un apport considérable en aidant à éviter les doubles-emplois et le gaspillage des ressources. Toutefois, le principe essentiel qu'il convient d'appliquer pour la mise au point d'un module de formation est que le contenu, le format et la durée du cycle de formation doivent être spécifiques au groupe cible et au contexte. C'est pour cette raison que nous ne donnons pas de programme complet et nous limitons à une liste d'éléments quiselon le contexte, peuvent être inclus dans un tel programme. Il ne s'agit évidemment pas d'une liste exhaustive. Quelques éléments d’un curriculum Quelles sont les pratiques traditionnelles positives et celles nocives et quelles sont leurs fonctions dans la communauté ? Types de MGF Répartition des différentes formes de MGF, aux plans international et national La question des droits de l'homme et la situation juridique, aux plans international et national ; les politiques et les stratégies gouvernementales officielles ; la question de la médicalisation Pourquoi les MGF sont-elles un problème de santé? Le rôle des agents de santé dans la campagne de lutte contre les MGF 34 Connaître les raisons de la pratique et comprendre le contexte socioculturel, historique et religieux Appareil reproducteur et urinaire féminin (anatomie et physiologie normales), avec des images et des dessins d'organes génitaux normaux et excisés Effets et complications immédiats et à long terme sur la sexualité, la psychologie et l'accouchement, ainsi que les conséquences de la réinfibulation pour la santé Questions psycho-sexuelles traitant des mythes et des rumeurs qui prévalent dans la communauté Directives relatives au traitement des complications des MGF ANNEXE 1 Directives relatives à l'examen gynécologique des femmes ayant subi des mutilations génitales Directives relatives au traitement prénatal des femmes ayant subi des mutilations génitales Directives relatives à l'accouchement des femmes ayant subi des mutilations génitales, y compris les conseils décourageant la ré-infibulation Directives à l'intention des personnels de soins pédiatriques Stratégies d'éducation sanitaire, y compris les compétences en matière de conseils et de communication visant le changement comportemental, apprendre comment vaincre la peur du sexe et de la sexualité Comment mettre au point des plans d'action Changement social et cartes mentales Etc. 35 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Annexe 2 Changement comportemental Les théories simplistes qui voient dans l'éducation sanitaire un instrument pour susciter le changement chez des personnes qui ont compris le message se sont révélées fausses. On reconnaît aujourd'hui que le changement de comportement est un processus complexe qui nécessite plusieurs étapes ou stades : de l'information à la multiplication du nouveau comportement. Les deux modèles suivants : 'La voie vers le changement comportemental'42 et 'Les étapes de l'adoption de comportements'43 présentent ce processus. La voie vers le changement comportemental 42 43 36 OMS 1999 Izett/Toubia 1999 ANNEXE 2 STAGE 1: PRECONTEMPLATION Existing knowledge, beliefs, and attitudes  Direct experiences, new information, societal changes ÉTAPE N° 1: AVANT LE PROJET Connaissances, croyances et attitudes existantes  Expériences directes, nouvelles informations, changements de société STAGE 2: CONTEMPLATION Growing awareness or interest Questioning knowledge and beliefs ÉTAPE N° 2: SENSIBILISATION Conscience ou intérêt accrus Remise en cause des connaissances et des croyances  Affirmation positive des nouvelles connaissances ou expériences  Confusion entre l'information, l'anxiété et la culpabilité  Réduction de la capacité à prendre des décisions  Positive affirmation of new knowledge or experience  Confusing information, anxiety, or guilt  Reduced decision-making power STAGE 3: PREPARATION Changing attitudes Decision to act  Increased decision-making power ÉTAPE N° 3: PREPARATION Changement d'attitude Décision d'agir  Renforcement de la capacité à prendre des décisions STAGE 4: ACTION Making a public statement  Negative pressure from social network  Positive support from social network ÉTAPE N° 4: ACTION Déclaration publique  Pression négative du réseau social STAGE 5: MAINTENANCE Handling reactions Challenging opposition  Non-supportive societal environment  Supportive societal environment  NEW BEHAVIOR ÉTAPE N° 5: MAINTENANCE Gérer les réactions Faire face à l'opposition  Environnement social hostile  Soutien positif du réseau social  Environnement social favorable  Nouveau comportement 37 LA LUTTE CONTRE LES MUTILATIONS GENITALES FEMININES Les étapes de l'adoption de comportements Partager l'information / effet multiplicateur Bénéficier d'un renforcement positif Essayer de nouveaux comportements Arriver à une réponse / décider Examiner les possibilités Traiter l'information / Personnaliser Rechercher l'information Prendre conscience du problème 38 BIBLOGRAPHIE Bibliographie Abd el Salam, S. 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