Explication de texte - Approche et théorie narrateur et focalisation
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Explication de texte - Approche et théorie narrateur et focalisation
Lycée cantonal de Porrentruy Français NARRATOLOGIE QUI PARLE ? QUI SAIT ? QUI VOIT ? A. LE STATUT DU NARRATEUR : QUI PARLE ? Littérature française de A à Z, p. 296-297. Exemple 1 : narrateur homodiégétique (présent et acteur) Tandis que le métro m’emporte vers la station du fort d’Aubervilliers où je prendrai le bus pour Bobigny, je pense à ma famille telle qu’elle était dans mon enfance. La famille, les années lointaines que j’ai encore connues, c’est cela surtout qui intéresse Paule lorsque nous parlons ensemble à l’hôpital. Les racines, les liens entremêlés, les façons de vivre de ce clan auquel son mari et son petit garçon, souvent à leur insu, appartiennent si fort et avec qui elle a conclu l’alliance. Henry Bauchau, Boulevard périphérique, 2008. Exemple 2 : narrateur hétérodiégétique (extérieur) – J’en ai compté huit, ce matin… – C’est trois de plus qu’hier ! Mariette rajuste le coussin où Sylvain pose sa nuque, dans un soupir, un soupir de satisfaction alors que son regard ne quitte pas le rectangle de la fenêtre qui lui fait face. On y voit quelques arbres du verger, deux pommiers, un prunier, un cerisier et demi, plus loin un pâturage bordé d’une clôture à barbelés et, en arrière-plan, la colline boisée qui fait écran sur toute la largeur de la fenêtre. Il y a plusieurs semaines que Sylvain rêve et patiente devant ce paysage. Du repos, ont dit les médecins. Un infarctus, surtout s’il s’agit d’un deuxième du genre, exige précautions et sérénité. Pas de contrariétés… Tout va bien à cet égard, Mariette n’est que prévenances et assume discrètement tous les aléas de la vie domestique. Alexandre Voisard, L’Adieu aux abeilles, 2003. Approche de l’explication de texte – qui parle ? qui sait ? qui voit ? TLA/Fra 1/5 Lycée cantonal de Porrentruy Français Remarques Le narrateur marque aussi – plus ou moins fortement – sa présence par des indices d’énonciation (déictiques) ou par la modalisation (expression d’un sentiment ou d’un jugement). Exemple 1 Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque. Voltaire, Candide, 1759. Dans cet extrait de Candide, le narrateur – hétérodiégétique – marque sa présence notamment par l’usage de l’ironie. Exemple 2 Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur ne venait chez lui qu’en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. L’escorte prit le galop ; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du canal, et ce champ était jonché de cadavres. – Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie les hussards de l’escorte. Et d’abord Fabrice ne comprenait pas ; enfin, il remarqua qu’en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson d’horreur ; il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore ; ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne s’arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L’escorte s’arrêta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez d’attention à son devoir de soldat, galopait toujours en regardant les malheureux blessés. Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839. Alors que dans cet extrait de Stendhal, le narrateur – hétérodiégétique également – marque sa présence par le recours à la première personne, introduisant par là un jugement de valeur prenant à partie le narrataire. Certains spécialistes « distingue[nt] à l’intérieur du type homodiégétique deux variétés : l’une ou le narrateur est le héros de son récit […], et l’autre où il ne joue qu’un rôle secondaire, qui se trouve être, pour ainsi dire toujours, un rôle d’observateur et de témoin … »1. Ce narrateur, « héros de son récit », est alors appelé autodiégétique. 1 Gérard Genette : Figures III. Paris, Seuil, 1972, p. 253. Approche de l’explication de texte – qui parle ? qui sait ? qui voit ? TLA/Fra 2/5 Lycée cantonal de Porrentruy Français B. LA QUESTION DU SAVOIR : QUI SAIT ? Ce que dit le narrateur est-il connu… de lui seul ? d’un seul ou de plusieurs personnages ? Comment le narrateur est-il en possession de ce savoir ? est-ce un personnage qui le dévoile dans un discours ? est-ce visible ? est-ce que le narrateur a la capacité de « sonder » l’âme de ses personnages ou d’en savoir plus que quiconque ? Dans ce dernier cas, on dira que le narrateur est omniscient (qu’il sait tout). C. LA FOCALISATION : QUI VOIT ? Littérature française de A à Z, p. 177-178. Définition : point de vue du narrateur qui permet de préciser d’où et comment, dans une oeuvre littéraire, les faits, les personnages, les objets... sont perçus. Remarque : dans un même extrait (a fortiori dans un même livre), il n’est pas rare de rencontrer plusieurs types de focalisation. Focalisation zéro (schéma 1) Point de vue du narrateur qui voit tout, connaît tout, sait tout ; le narrateur en sait plus que le personnage (narrateur omniscient). En un mot, il est comme Dieu. Un narrateur omniscient est donc un narrateur qui connaît tout de ses personnages, de leur passé, de leurs intentions, de leurs sentiments, etc., et même plus que tous ses personnages réunis. Ce point de vue, très souvent utilisé dans le roman réaliste, peut donner l’impression de dominer la situation. Il permet surtout de donner de nombreuses informations en très peu de lignes. Exemple Vers le milieu du mois d’octobre 1829, monsieur Simon Babylas Latournelle, un notaire, montait du Havre à Ingouville, bras dessus bras dessous avec son fils, et accompagné de sa femme, près de laquelle allait, comme un page, le premier clerc de l’Étude, un petit bossu nommé Jean Butscha. Quand ces quatre personnages, dont deux au moins faisaient ce chemin tous les soirs, arrivèrent au coude de la route qui tourne sur elle-même comme celles que les Italiens appellent des corniches, le notaire examina si personne ne pouvait l’écouter du haut d’une terrasse, en arrière ou en avant d’eux, et il prit le médium de sa voix par excès de précaution. Balzac, « Incipit » de Modeste Mignon, 1844. Approche de l’explication de texte – qui parle ? qui sait ? qui voit ? TLA/Fra 3/5 Lycée cantonal de Porrentruy Français Focalisation interne (schéma 2) Point de vue d’un personnage ; le narrateur en sait autant que le personnage. Le point de vue est situé à l’intérieur d’un personnage. C’est à partir de lui que se font les descriptions et le récit. L’auteur peut faire part des sentiments, impressions, réflexions du personnage qui sert de point de vue. Le récit est dans ce cas subjectif, contrairement à la focalisation externe. Dans cette situation, le narrateur en sait autant que le personnage (ils peuvent d’ailleurs être confondus s’il s’agit d’une autobiographie). L’un des effets peut être l’identification au personnage. Le récit peut être raconté à la première personne. Remarque Elle peut être fixe (même personnage), variable (changement de point de vue en cours de récit) ou multiple (même événement raconté selon des points de vue différents). Exemple Frédéric, en face, distinguait l’ombre de ses cils. Elle trempait ses lèvres dans son verre, cassait un peu de croûte entre ses doigts ; le médaillon de lapis-lazuli, attaché par une chaînette d’or à son poignet, de temps à autre sonnait contre son assiette. Ceux qui étaient là, pourtant, n’avaient pas l’air de la remarquer. […] Mais Frédéric s’en retourna bientôt sous la tente, où Mme Arnoux était revenue. Elle lisait un mince volume à couverture grise. Les deux coins de sa bouche se relevaient par moments, et un éclair de plaisir illuminait son front. Il jalousa celui qui avait inventé ces choses dont elle paraissait occupée. Plus il la contemplait, plus il sentait entre elle et lui se creuser des abîmes. Il songeait qu’il faudrait la quitter tout à l’heure, irrévocablement, sans en avoir arraché une parole, sans lui laisser même un souvenir ! Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869. Focalisation externe (schéma 3) Point de vue d’un personnage anonyme ; le narrateur en sait moins que le personnage. Le point de vue est situé à l’extérieur des personnages. Le récit, les descriptions sont donc opérés de l’extérieur. L’auteur ne peut pas faire part des sentiments, impressions, réflexions, intentions des personnages, sauf si on peut « les lire » sur leur visage, et les déduire de leurs actions. La réalité est réduite à ses apparences extérieures. Le récit est dans ce cas plus objectif (plus neutre) que dans une focalisation interne. Dans cette situation, le narrateur en sait moins que les personnages (contrairement à la focalisation zéro). La focalisation externe permet d’entretenir un certain suspense, puisqu’on va s’interroger sur l’identité des personnages, sur le sens de leurs actions, etc. Exemple Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. Il y avait au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques. Au delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer, et sous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confuse montait du loin dans l’atmosphère tiède ; et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la tristesse des jours d’été. Deux hommes parurent. L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue. Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent à la même minute, sur le même banc. Pour s’essuyer le front, ils retirèrent leurs coiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit homme aperçut écrit dans le chapeau de son voisin : Bouvard ; pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette du particulier en redingote le mot : Pécuchet. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1881. Approche de l’explication de texte – qui parle ? qui sait ? qui voit ? TLA/Fra 4/5 Lycée cantonal de Porrentruy Français Remarque On peut affiner encore l’approche de la focalisation en distinguant le point de vue (l’endroit où est posée la caméra, d’où part le regard) et la focalisation (la manière dont on perçoit). On acceptera alors que l’on adopte le point de vue d’un personnage tout en n’étant pas en focalisation interne sur ce personnage (voir schéma 4) ! Schématisation des différents types de focalisation ( = narrateur) 1. Focalisation zéro 2. Focalisation interne du point de vue d’un personnage ( ) 3. Focalisation externe 4. Focalisation externe du point de vue d’un personnage ( Approche de l’explication de texte – qui parle ? qui sait ? qui voit ? TLA/Fra 5/5 )