la FOCALISATION (ou point de vue narratif)

Transcription

la FOCALISATION (ou point de vue narratif)
FICHE-OUTIL M. CASANOVA : la FOCALISATION (ou point de vue narratif)
Dans le vocabulaire photographique, la focalisation indique que l'image est nette à une
certaine distance de l'objectif. Dans l'analyse littéraire, le mot indique de même la distance par
rapport à laquelle l'histoire est envisagée.
On distingue trois focalisations, c'est-à-dire trois situations possibles.
La focalisation interne
Lorsqu'un récit est fait en focalisation interne, le point de
vue est situé à l'intérieur d'un personnage. C'est à partir de lui que se
font
les descriptions et le récit. Le lecteur est donc plongé
directement dans les pensées du personnage. Dans la focalisation
interne, on dit que le personnage = le lecteur. En effet, le lecteur
s’identifie pleinement au narrateur puisqu’il comprend les
événements uniquement à travers les ressentis et la vision de celui-ci.
Le récit est dans ce cas subjectif, contrairement à la focalisation
externe. Le récit en focalisation interne peut être à la 1ère ou à la 3ème
personne du singulier.
Exemple 1 : J’avais cinq ans. En descendant du bateau, accroché à
la jupe de Maman coiffée d’un canotier orné de cerises, je fus
effrayé par les trams, ces voitures qui marchaient toutes seules. Je
me rassurai en pensant qu’un cheval devait être caché dedans.
Ce matin-là, je pris un verre
avec Julie. Nous passâmes tous
deux un agréable moment.
Albert Cohen Le Livre de ma mère
Exemple 2 : [Le palais était] couvert d'une terrasse que fermait une balustrade en bois de
sycomore, où des mâts étaient disposés pour tendre un vélarium.
Un matin, avant le jour, le Tétrarque Hérode Antipas vint s'y accouder et regarda. Les
montagnes, immédiatement sous lui, commençaient à découvrir leurs crêtes, pendant que
leur masse, jusqu'au fond des abîmes, était encore dans l'ombre. Un brouillard flottait, il se
déchira, et les contours de la mer Morte apparurent.
Flaubert, Hérodias
Dans les premières lignes de l’extrait 2, le narrateur décrit le lieu où va apparaître le protagoniste. La
focalisation est alors externe. À partir de « Les montagnes ... », en revanche, toute l'information qui
nous est donnée est déterminée par le regard d'Hérode. Il s’agit donc d’une focalisation interne.
La focalisation externe
Lorsqu'un récit est fait en focalisation externe, le point de vue est situé à l'extérieur des
personnages. Le récit et les descriptions sont donc opérés de l'extérieur. L'auteur ne peut pas faire
part des sentiments, impressions, réflexions, intentions des personnages, sauf si on peut « les lire »
sur leur visage et les déduire de leurs actions. La réalité est réduite à ses apparences extérieures.
Le récit est dans ce cas plus objectif (plus neutre) qu'en focalisation interne. Cette façon de procéder
laisse alors une plus grande part à l’imagination du lecteur. Elle permet d'entretenir un certain
suspense puisqu'on va s'interroger sur l'identité des personnages et sens de leurs actions.
Exemple : L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes.
Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le
gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le
corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête
sous une casquette à visière pointue. Quand ils furent arrivés au
milieu du boulevard, ils s’assirent à la même minute, sur le même
banc.
Flaubert, Bouvard et Pécuchet
Ce matin-là, Pierre et Julie prirent un
verre ensemble. Il faisait beau, c’était
l’été.
Focalisation zéro (point de vue omniscient)
On parle de focalisation zéro (ou point de
vue omniscient) lorsque le narrateur sait tout, voit tout,
connaît tout des personnages, de leur passé, de leurs
sentiments. En un mot, il est comme Dieu. Il en sait plus que
tous ses personnages réunis. Ce point de vue, très souvent
utilisé dans le roman réaliste, peut donner l'impression de
dominer la situation. Le narrateur est à la fois proche et
éloigné, à l'intérieur et à l'extérieur des personnages, il
est omniscient, il sait tout.
Exemple :
Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un
gentilhomme de l'autre siècle, maniaque et bon. Disciple
enthousiaste de J.-J. Rousseau, il avait des tendresses d'amant
pour la nature, les champs, les bois, les bêtes. […]
Sa grande force et sa grande faiblesse, c'était la bonté, une
bonté qui n'avait pas assez de bras pour caresser, pour donner,
pour étreindre, une bonté de créateur, éparse, sans résistance,
comme l'engourdissement d'un nerf de la volonté, une lacune
dans l'énergie, presque un vice.
Homme de théorie, il méditait tout un plan d'éducation pour sa
fille, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre.
Elle [Jeanne] était demeurée jusqu'à douze ans dans la maison,
puis, malgré les pleurs de la mère, elle fut mise au Sacré-Cœur.
Ce matin-là, Pierre et Julie prirent un
verre ensemble. Heureuse, Julie se
demandait si Pierre tenait à elle.
Pierre, qui était déjà marié, attendait
le bon moment pour lui parler de son
départ pour la Chine.
Guy de Maupassant, Une Vie
Pour conclure …
Le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Il ne faut pas confondre le narrateur avec
l’auteur du récit, c’est-à-dire la personne réelle qui a écrit le texte (sauf bien sûr dans le cas
d’une autobiographie) ni avec les personnages (le narrateur n’est pas forcément un
personnage du récit).
La focalisation est un choix que fait le narrateur pour raconter son histoire : il choisit un
angle de vue, un « jeu de caméras ». Dans une œuvre littéraire, la focalisation peut donc
changer d’un passage à l’autre.