Ce qui fonde la colère des praticien (1)
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Ce qui fonde la colère des praticien (1)
CŒUR DE MÉTIER VIE DE LA PROFESSION VIE DE LA PROFESSION CŒUR DE MÉTIER Ce qui fonde la colère des praticien (1) Déjà en plein effort sur la côte pentue de la conjoncture, les chirurgiens-dentistes se voient mettre des bâtons dans les roues, des clous sur la chaussée ou se faire doubler par des confrères usant de méthodes jugées déloyales. Avant de s’essouffler, les praticiens se regroupent et espèrent que leur peloton leur permettra de tenir dans la durée en attendant que ne soient imposées fermement, à tous les concurrents, les mêmes règles de course. Loi de santé, réseaux de soins mutualistes, Clesi, tarification des actes ou centres low cost, passage en revue des épreuves auxquelles font face les chirurgiens-dentistes et mis en exergue des premières victoires de la profession. Première partie avec la loi de santé, les réseaux de soin et le Clesi. © iStockphoto / Izabela Habur Par Rémy Pascal Attaqués de toutes parts, les praticiens réussiront-ils la gageure de parler d’une même voix ? 46 indépendentaire 132 l Novembre 2015 T rop c’est trop. Depuis quelques mois la colère couve au sein de la profession. Et, à défaut de voir les tensions disparaître au fil du temps, l’accumulation des attaques à l’encontre des chirurgiens-dentistes ne fait qu’accentuer les mécontentements et le désir de se faire entendre. Las de supporter le « dentist bashing » depuis des décennies et de se sentir déconsidérés par une partie de la population, des médias ou certains décideurs politiques, les praticiens ont décidé de réagir sur tous les fronts. Et de fait, la profession subit depuis plusieurs années des attaques frontales. Développement des centres low cost, émergence d’écoles privées détournant le numerus clausus, loi Macron, loi de santé, réseaux de soins… les chirurgiens-dentistes sont cette fois réellement sur les dents. À tel point, que pour la première fois depuis sa création en 1945, le Conseil national de l’ordre s’est associé au mouvement des chirurgiens-dentistes et des professionnels de santé contre la loi de santé de Marisol Touraine et appelle à un Grenelle de la santé bucco-dentaire. Parallèlement, le Conseil national a lancé le 15 mars dernier, jour de la manifestation des professionnels de santé qui a rassemblé 35 000 participants, une vaste opération de communication. Cette dernière a débuté par une campagne de presse et la diffusion de spots télévisés d’une minute sur TF1. Intitulée « Sauvons nos dents » cette campagne avait pour objectif de sensibiliser les Français et les décideurs à la réalité du métier de chirurgien-dentiste et de ses difficultés. Ainsi, durant six semaines, plus de 60 organes de presse ont relayé la publicité et un site Internet sauvonsnosdents.com a été créé pour exposer les points sensibles de la profession. Le 12 avril a été marqué par une journée portes ouvertes des cabinets afin de favoriser le dialogue avec les patients en leur expliquant les raisons de cette mobilisation nationale. Dernière étape de cette opération de communication, l’appel à la tenue d’un Grenelle de la santé bucco-dentaire qui se déroulera le 28 janvier et qui devrait réunir tous les acteurs concernés (Ministère, Assurance maladie, Complémentaires, Syndicats, Ordre). On peut déjà imaginer que ce jour-là, de nombreuses questions épineuses seront soulevées par les praticiens… Indépendentaire se concentre sur cinq dossiers majeurs qui fondent aujourd’hui la colère et l’inquiétude des chirurgiens-dentistes. Les trois premiers : la loi de santé, les réseaux de soin et le centre Clesi. Réviser la loi de santé Sur le qui-vive depuis le lancement des premières discussions sur la loi de santé, le Conseil national de l’ordre s’étonne aujourd’hui que, contrairement à la jurisprudence plus que dominante qui condamne systématiquement le recours à la publicité, le texte permette la promotion des centres de santé. Que dit-il précisément ? Il spécifie que « l’identification du lieu de soins à l’extérieur des centres de santé et l’information du public sur les activités et les actions de santé publiques ou sociales mises en œuvre, sur les modalités et les conditions d’accès aux soins ainsi que sur le statut du gestionnaire, sont assurées par les centres de santé. » Les nouveaux centres de santé dentaires pourraient donc s’affranchir des règles applicables à la profession de chirurgien-dentiste. Pour l’Ordre, une « disposition qui permettrait la publicité aux uns en l’interdisant aux autres instaurerait une distorsion de concurrence et est donc inacceptable ». En effet, elle consisterait à permettre une concurrence déloyale au préjudice des chirurgiens-dentistes qui ne peuvent pas recourir à des publicités sur leur activité au regard des dispositions du Code de déontologie. Le Conseil de l’ordre fait actuellement entendre sa voix aux sénateurs en pointant les inégalités engendrées par cette loi examinée depuis le mois de septembre par la Chambre haute. L’opposition généralisée au tiers payant Voilà l’autre motif de contestation de la loi de santé : la généralisation du tiers payant. Les organisations syndicales dénoncent la fin de la médecine libérale à la française au profit d’une « médecine administrée, sous tutelle, déconnectée des besoins réels et soumise aux prédateurs financiers ». Plusieurs syndicats ont profité de la tenue de l’Université d’été du PS en août dernier à La Rochelle pour rappeler leur volonté de voir abroger le tierspayant généralisé. Avec une menace à la clef : « La tenue d’actions de septembre à décembre afin d’obtenir le retrait », a affirmé Jérôme Marty, le président de l’UFML (Union française pour une médecine libre). Parallèlement, Sur le chemin de la victoire Dentifree condamné Le centre de soins dentaires low cost Dentifree installé dans la banlieue de Lille vient d’être condamné par le TGI de Versailles pour actes de publicité illicites. Dentifree communiquait de manière publicitaire sur son site Internet à propos de son matériel et de ses tarifs. Dentifree a été condamnéeà verser des dommages-intérêts au Conseil départemental du Nord, qui l’avait assigné, et à retirer les mentions qui faisaient l’objet du litige. La généralisation du tiers-payant supprimée Le Sénat a adopté, le 6 octobre, le projet de loi santé, mais dans une version expurgée de ses mesures phares. Les sénateurs ont notamment rejeté la généralisation du tiers-payant. Une victoire probablement de courte durée puisque Marisol Touraine a annoncé qu’elle réintroduirait cette mesure lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. indépendentaire 132 I Novembre 2015 47 CŒUR DE MÉTIER VIE DE LA PROFESSION VIE DE LA PROFESSION CŒUR DE MÉTIER Las de supporter le « dentist bashing » depuis des décennies et de se sentir déconsidérés, les praticiens ont décidé de réagir certaines organisations appellent à des arrêts répétés de leur activité (un premier mouvement a eu lieu du 3 au 6 octobre) si le gouvernement ne satisfait pas leur demande. Concernant les chirurgiens-dentistes, il ne s’agit que de stopper temporairement la pratique de certains actes. Rappelons que les praticiens sont inquiets de la mise en œuvre technique du tiers payant généralisé notamment en raison des lourdeurs administratives qu’elle va entraîner. Il existe au total une centaine de caisses d’Assurance maladie et de complémentaires. Une multiplicité d’interlocuteurs qui risque, selon eux, de ralentir les délais de paiement. De là découle une autre crainte, celle que les mutuelles puissent influencer leurs prescriptions. Les libéraux critiquent en particulier le caractère obligatoire de la mesure, défendant un tiers payant social, spécifiquement accordé aux patients qui en ont le plus besoin. Clarifier les relations avec les réseaux de soins La loi permettant aux mutuelles de mettre en place des réseaux de soins a été publiée au Journal officiel du 28 janvier 2014. Ce texte autorise les mutuelles à conclure des conventions avec certains professionnels de santé, les assurés pouvant alors bénéficier de tarifs moins élevés et de meilleurs remboursements. Ces conventions « ne peuvent toutefois pas comprendre de mention portant atteinte au droit de chaque patient de choisir librement un professionnel. » Si le texte est clair, dans la pratique, les relations qui unissent les mutuelles à leurs adhérents sont parfois plus opaques. Illustration de ce conflit : l’affaire Santéclair. 48 indépendentaire 132 l Novembre 2015 Le 5 mai 2014, plusieurs perquisitions (notamment chez des membres de la FSDL) ont été effectuées à la demande de l’Autorité de la concurrence saisie par Santéclair. La société reproche au syndicat et à certains Conseils départementaux de l’Ordre d’appeler au boycott de ses réseaux de soins. Elle les accuse notamment d’intimider ses praticiens affiliés en invitant leurs confrères à porter plainte contre eux auprès de l’Ordre, où ils seraient parfois menacés de sanctions. L’objectif de ces visites surprises était donc de trouver d’éventuelles preuves en épluchant tous les e-mails, communiqués, échanges sur les réseaux sociaux et même SMS des professionnels de santé. « Des dizaines de dentistes » ont rompu leur partenariat avec Santéclair depuis l’année dernière et le début de cette « campagne de boycott », affirme sa directrice générale, Marianne Binst. Conséquence : Santéclair éprouve des difficultés à proposer à ses bénéficiaires des praticiens dans des grandes villes comme Nice, Lyon, Toulouse, Bordeaux ou Grenoble, ce qui constituerait une menace pour sa pérennité. Des détournements de patients ? Le Dr Frédéric Besse qui préside l’Ordre en Dordogne a assuré dans les colonnes du journal Sud-Ouest du 6 mai qu’il n’avait « jamais appelé au boycott ». En revanche, il reconnaît qu’il prévient ses confrères « de ce qu’ils risquent s’ils adhèrent à un réseau de soins : on va les obliger à diminuer leurs honoraires, avec des répercussions sur la qualité des soins qu’ils dispenseront, tout comme sur le matériel qu’ils utiliseront. Mais je n’ai jamais dit de ne pas signer. » Cela fait des années que des conflits opposent la profession à la plate-forme mutualiste, ellemême accusée par certains chirurgiens-dentistes de détourner leurs patients vers ses partenaires. La Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) a déposé une plainte contre Santéclair devant l’autorité de la concurrence l’accusant de s’accaparer certains patients. Méthode invoquée : « lors de l’envoi d’un devis questionnant sur la prise en charge, le chirurgien-dentiste traitant est systématiquement critiqué sur ses honoraires pour détourner son patient vers un partenaire Santéclair. Les effets anticoncurrentiels de cette entente et de cette stratégie de dénigrement affectent un grand nombre de chirurgiens-dentistes libéraux qui subissent des pertes significatives de chiffre d’affaires. » De son côté, Patrick Solera (FSDL) invite les adhérents de son syndicat à attaquer les praticiens affiliés en leur fournissant un avocat. « C’est avec des exemples concrets qui s’appuient sur les courriers envoyés par Santéclair à des patients, que nous pourrons gagner cette bataille. » Si la FSDL et la CNSD ont déjà entamé la lutte pour faire cesser les activités de la plate-forme, ils ont été dernièrement rejoints par l’UJCD-Union dentaire. Le syndicat est venu grossir la vague des opposants en demandant à la justice, « de constater la nullité de la société Santéclair, d’ordonner sa dissolution et d’interdire la poursuite de toute activité en marge de la loi ». Le syndicat estime en effet que les activités et pratiques de Santéclair ne sont pas licites. « C’est un dossier d’une exceptionnelle complexité et d’une rare opacité, tant les actionnaires de Santéclair, qui appartiennent aux différentes familles de Santéclair Santéclair est une société filiale de plusieurs organismes complémentaires d’Assurance maladie (Allianz, MAAF-MMA, IPECA Prévoyance et la Mutuelle Générale de la Police) qui revendique 7 000 professionnels de santé (dont près de 3 000 dentistes) membres de ses réseaux. Le Clesi Créé en 2012 le Clesi forme à Toulon et à Béziers, des étudiants dans l’objectif de leur permettre d’obtenir un diplôme européen dans diverses disciplines de santé ou de sciences humaines et sociales. Les formations débutent en France puis s’achèvent dans un autre pays européen, en Italie, en Roumanie, en Slovaquie ou au Portugal. complémentaires, ont cherché à rendre difficile la compréhension des activités effectives de leur société anonyme », a déclaré Philippe Denoyelle, président de l’UJCDUnion dentaire. Fermer le Clesi Voilà des mois que les étudiants et praticiens expriment leur opposition au Centre libre d’enseignement supérieur international (ex-centre universitaire FernandoPessoa). La publication de l’arrêté d’application de la loi du 22 juillet 2013 dite « Fioraso » n’a pour l’heure pas entraîné la fermeture de l’établissement polémique. Le texte impose pourtant aux établissements d’enseignement supérieur privés d’obtenir une autorisation ministérielle sous certaines conditions (notamment un rattachement à un établissement hospitalo-universitaire français) pour délivrer leur formation. La Ministre de la Santé, Marisol Touraine avait elle aussi affirmé qu’elle allait « signer un arrêté (paru depuis au JO du 21 juin 2014) qui rendrait obligatoire la mise en conformité, dans un délai de six mois, des établissements privés avec la loi de juillet 2013, à défaut de quoi ils devraient fermer ». En septembre 2014, le tribunal de grande instance (TGI) de Toulon avait prononcé la fermeture du Clesi à Toulon et à Béziers dans un délai d’un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard. « L’agrément (imposé par la loi Fioraso) n’ayant pas été sollicité, l’association Clesi ne remplit pas les conditions requises pour dispenser un enseignement sur le territoire français » avait conclu le TGI. Bruno Ravaz, le président du Clesi, avait alors fait appel de cette décision qui selon lui ne respectait pas le droit. « Le tribunal n’a pas les moyens de nous faire fermer. Une amende est prévue mais pas une fermeture » avait-il affirmé. Une affirmation confirmée pour l’heure, par la cour d’appel d’Aixen-Provence qui a rendu une ordonnance de référé qui stoppait « l’exécution provisoire du jugement à l’encontre de l’association Clesi par le tribunal de Toulon jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel de ce jugement ». Ce qui signifie que le Clesi peut continuer à enseigner en attendant que l’appel déposé par son président Bruno Ravaz, soit jugé sur le fond. Depuis, les mois continuent de défiler et l’école reste ouverte. À sa tête, plus pugnace et déterminé que jamais, Bruno Ravaz, aime rappeler qu’un « arrêté ne peut pas rendre la loi rétroactive et que son établissement a été fondé avant la loi Fioraso de 2013. » Et, comble de l’ironie, que par conséquent, cette loi lui permet « d’être assurée de ne pas avoir de concurrents puisque désormais il faut des multiples autorisations pour faire ce que l’on fait à savoir : offrir des formations dans le domaine de la santé. Dans un sens, tant mieux pour nous… » Une manière implicite de dire qu’il faudra trouver une autre solution pour le voir abandonner son entreprise. Les étudiants comme les instances professionnelles sont aujourd’hui dans l’expectative et la question de la fermeture du centre reste entre les mains de la justice. En attendant les décisions judiciaires Le Clesi poursuit son développement en proposant de nouvelles filières. Lors de l’ouverture des inscriptions pour la rentrée 2015, le site internet du Clesi se payait le luxe de préciser « que le nombre de places est limité, particulièrement en odontologie ». Un magistral pied de nez à tous ceux qui s’efforcent de tenter de faire fuir les étudiants de cette structure. Rappelons que chaque année plus d’une centaine d’étudiants suivent une formation en dentaire pour une inscription de 9 500 euros. Sur sa page d’accueil, le centre indique préparer « les étudiants à obtenir un diplôme Européen avec des universités européennes reconnues, lesquelles ont signé des conventions d’affiliation académique avec le Clesi (N.D.L.R. pour l’heure, deux universités portugaises, une roumaine et des discussions sont en cours avec la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne) ». Et de préciser : « Fondé avant la loi Fioraso de 2013 sur l’Enseignement supérieur, il est en droit de former à des professions réglementées dès lors que les universités européennes de tutelle acceptent d’assurer la surveillance pédagogique des cours assurés en France. » Une fréquentation qui s’explique notamment en raison du fait que le Clesi reste une voie d’accès directe au métier de chirurgien-dentiste pour tous ceux qui ne veulent pas jouer le jeu du concours ultra-sélectif d’accès aux études en odontologie ou qui y ont échoué. Seules 1 200 places étaient réservées aux futurs praticiens en 2014. Le Centre contesté offre donc une alternative qualifiée par ses détracteurs « de contournement honteux du numerus clausus car il suffit d’un chèque pour accéder au diplôme. » En Odontologie, la première promotion « Ivan Beltrami » poursuit son cursus à Porto ou à Lisbonne. Ses étudiants devraient obtenir leur diplôme en 2016. Si aucune décision judiciaire ne vient remettre en question cette nouvelle forme d’acquisition du titre de chirurgien-dentiste… Sur le chemin de la victoire L’union fait la force Ici, la victoire ne s’exprime pas encore à travers le jugement rendu, mais à travers l’unité de la profession face à la question du Clesi. Le 5 octobre, une délégation composée de représentants de la profession (Ordre, UNCED, UJCD, URPS, CNSD, FSDL), a été reçue par le Préfet du Var à Toulon. Cette action fait suite à une rencontre le 1er octobre avec les recteurs des Alpes-Maritimes (Nice) et de l’Hérault (Montpellier). Le même jour à Paris, des représentants de l’Ordre, la FSDL, l’UJCD et la CNSD obtenait un entretien avec François Lemoine, conseiller en charge de la santé, de la recherche médicale et de la formation médicale. Objectif : imposer à leurs interlocuteurs de se positionner sur le Clesi. En réponse le Préfet du Var dans un courrier du 6 octobre a invité les représentants de la profession à attendre l’avis de la justice, « l’avancée de ce dossier demeurant liée au rendu des décisions d’appel ». indépendentaire 132 I Novembre 2015 49