Abus sexuels : pas de calme après la tempête

Transcription

Abus sexuels : pas de calme après la tempête
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
Abus sexuels :
pas de calme après la tempête
par Jean-Pierre Bartholomé
«Et si on allait parfois trop loin en matière de droits de l”enfant ?», titrait
Lien social (10 février 2000) à propos
du colloque organisé par le Comité de
soutien du Coteau au cours duquel fut
dénoncée «l'utopie des nouveaux défenseurs des droits de l’enfant», lesquels prôneraient une «éducation sans
contrainte» et confondraient la maltraitance avec «quelques claques»,
alors que la judiciarisation de la prévention constituerait «une violence
fondamentale» pour le jeune et sa famille et que le réflexe «délateur» tendrait à effacer la notion de secret professionnel et à déresponsabiliser les intervenants.
Un autre courant est représenté notamment par l’AFPE (Association pour la
formation à la protection de l’enfance),
association engagée qui, dès 1997,
s’inquiétait de la «dédramatisation»
des maltraitances à enfant opérée au
nom de (rares) «fausses allégations»
d’abus sexuels ou de «faux souvenirs»
qui entraîneraient le «retour au déni»
et la théorisation de la «loi du silence».
Hors la sanction judiciaire, point de
salut pour les victimes sommées de recevoir le «soin adapté» ? L’AFPE s’insurge contre la «déjudiciarisation» du
traitement des maltraitances préconisée dans ce Journal, notamment par
Jean-Yves Hayez (JDJ n°192 et ce
numéro) qui suggère de limiter l’intervention répressive aux cas «les plus
inacceptables» (la loi relative au secret professionnel permet aux professionnels de ne pas nécessairement signaler les faits à la Justice, pour peu
qu’ils prêtent assistance, ce qui est leur
raison d'être).
La publication, dans le Journal du
droit des jeunes (JDJ n° 191), de bonnes feuilles intitulées «Faits et méfaits
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de la psychothérapie», extraites de
l’ouvrage de Hubert Van Gijseghem
(Us et abus de mots en matière d’abus
sexuel, éditions Méridien) a suscité les
réactions enflammées de Pierre Lassus et Pierre Sabourin, tous deux
sympathisants de l’AFPE et tenants
peu ou prou des mêmes thèses, qui reprochent sans ambage au Journal du
droit des jeunes cette publication complice et la promotion des conférences
d’Hubert Van Gijseghem. Comme s’il
était interdit - ou à tout le moins politiquement incorrect - de réfléchir aux
politiques et aux pratiques professionnelles initiées depuis quelques années
en France et dans les pays voisins.
Au-delà de leur ton polémique, injurieux même dans le chef de quelque
plumitif peu confraternel, les courriers
reçus montrent la violence des controverses.
En publiant aujourd’hui les contributions de divers spécialistes, le Journal
du droit des jeunes espère calmer le
jeu et élever le débat, sans anathèmes,
en reposant la question de savoir si
l’expression de la parole de l’enfant et
l’action pénale sont à tous coups bénéfiques à l’enfant ou si, au contraire,
elles sont aussi susceptibles d’entraîner des dommages secondaires ? À lire
les avis ci-dessous, il semble qu’il
faille surtout éviter la systématisation
d’attitudes censées être bonnes pour
tous les enfants. Reste à trouver les
thérapeutes capables du discernement
clinique nécessaire. La violence de
certaines prises de position ne laisse
pas d’inquiéter à cet égard.
Un débat bienvenu
J’ai lu les textes qui mettent en cause Hubert Van Gijseghem. Il est difficile
de se situer, les arguments des uns et des autres se défendent. Le texte de Van
Gijseghem est vraiment très intéressant. La réaction de Sabourin et Lassus
me fait penser à une colère contenue qui se déclare après avoir longtemps
couvé. On peut supposer que Van Gijseghem les agace depuis longtemps. Le
militantisme de l’un rencontre celui des autres ! Qui détient la vérité ? Tous
les enfants ayant subi des sévices sexuels et l’inceste ne se ressemblent pas,
ils ne perdent pas toute identité pour ne devenir que des enfants victimes
d’inceste; gardons leur cette dignité. Il faudrait une rubrique, voire un numéro spécial du JDJ genre «les avis sont partagés» car Lassus et Sabourin
semblent savoir de quoi ils parlent, de même que Van Ghijseghem.
D’autres praticiens peuvent exprimer leur point de vue. Je reste sensible à ce
que dit Hubert Van Gijseghem car il expose avec clarté des idées qui rencontrent beaucoup mes propres tendances ou convictions, plus ou moins étayées
ou spontanées, sur le besoin de secret, sur les risques d’acharnement thérapeutique ou éducatif, sur les vertus suspectes de l’aveu, sur la dictature du
dire et du re-dire. Mais je ne suis pas qualifiée pour prendre parti losrqu’il
s'agit de la prise en charge des enfants ayant subi l'inceste. Je crois que les
questions qu’il pose sont à poser. Un débat sur ces questions serait bienvenu.
Maryse Vaillant
JDJ n°194 - avril 2000
Un Faurisson de la maltraitance ?
par Pierre Sabourin *
Mais oui il y a de l’abus quand les mots
eux-mêmes sont attaqués et donc invalidés par un psychologue expert (Hubert
Van Gijseghem), quand il se trompe de
cible en faisant un bien mauvais procès
au langage et à la façon de s’en servir,
un procès à la parole quand c’est un enfant qui s’exprime.
La rédaction du JDJ titre son numéro
«faits et méfaits de la psychothérapie»,
quel scoop ! C’est encore une fois du
négationnisme en acte dont le procédé
habituel, la méthode Faurisson, tente de
prouver la réalité d’un postulat (aussi fou
soit-il) par tous les amalgames et toutes
les confusions possibles, où peuvent se
rejoindre allègrement des intellos aux
sensibilités inverses, extrême-droite et
ultra-gauche, mais avec des pratiques
comparables de propagandisme acharné.
Voilà où nous en sommes.
Par ailleurs, Hubert Van Gijseghem, dans
ses élucubrations écrites en qualité d’expert, ne se prive pas d’attaquer nommément tel psychiatre français en le taxant
d’une étiquette dont il est le promoteur
(«syndrome de Rosenthal» dont serait
atteint celui qui ne trouve que ce qu’il
cherche !),et ainsi profite-t-il de cette
écoute d’un juge pour se permettre à propos d’une mère de famille qu’il n’a jamais rencontrée, un diagnostic psychiatrique «d’aliénation parentale» !
Je ne cite que cet exemple mais ce n'est
pas le seul. La coupe déborde, quand ce
donneur de leçons aux références nordaméricaines, invoquant des «incitations
à parler» et des références comme celles de Bigras qui datent de 87 (inceste :
souvenir impossible) ou d’Aulagnier
(qui ne théorisait qu’à partir des psychoses de l’adulte), et avant même la Fondation des faux souvenirs, se trouve à
l’affiche du n° 190 du JDJ par un article
de 92 (revisité 99), qui intégrerait des
données récentes, mais c’est toujours le
même discours universitaire qui persiste !
Ce Journal du droit des jeunes est ici utilisé contre la parole de l’enfant ellemême, par cette propagande promotionnelle.
Tous les cliniciens observent (voir au
Canada le Centre Philippe Pinel) qu’une
mise en mots chez cet enfant écrasé de
honte, comme une représentation graphique spontanée et mise en scène de
ses traumatismes sont les seuls recours,
les secours inespérés, pour que ses mécanismes de défense (fragmentation, dépression, dissociation de l’identité) puissent un jour dénouer les fixations posttraumatiques et ensuite permettre au refoulement de fonctionner.
Tous les cliniciens observent ça, sauf
ceux qui n’ont jamais pris en charge une
famille avec trois générations d’abus en
série, quand les viols et les coups de
pieds et les menaces de mort remplacent
et interdisent les paroles, justement.
L’Association pour la formation à la protection de l’enfance dont je fais partie
ne peut plus hausser les épaules face à
ces dérives éditoriales.
Car ces balivernes sont en contradiction
flagrantes avec tout ce que nous écrivons
depuis des années et la notion absurde
en l’occurrence de la «dictature de
l’aveu» que Hubert Van Gijseghem reprend de Foucault hors contexte, est une
trace chez cet auteur d’une méconnaissance clinique de première grandeur. Il
n’a visiblement pas la moindre expérience de ce que veut dire en France pour
nous, soigner des familles maltraitantes
et incestueuses.
Ce JDJ serait-il devenu sans le savoir «la
vieille taupe» (1) de la maltraitance, des
abus sexuels et de l’inceste passé à l’acte.
Ce serait un comble que cette couverture du Droit des jeunes et la publicité
associée viennent soutenir cet auteurconférencier sans se rendre compte vraiment à quel point des discours de ce type
sont pernicieux.
*
(1)
(2)
Dans cet article publié, on peut lire en
clair cet imaginaire de l’auteur, à la fois
conventionnel et désadapté; exemple
simple, page 40 du JDJ :
«Idéalement le thérapeute ne devrait pas
avoir d’information sur la vie de l’enfant autre que ce que lui dit l’enfant durant la cure. S’il ressent le besoin
d’avouer il le fera».
Commentaire rapide sur trois mots utilisés de façon incohérente :
1. L’idéal pour cet enfant c’est son parent abuseur qu’il protège par loyauté;
imaginer un thérapeute idéal est un
non-sens bien inutile.
2. L’absence d’information sur la vie de
l’enfant est une complicité active avec
l’abuseur présumé.
3. L’aveu est un acte de parole du coupable, pas de la victime, etc.
Ils sont nombreux les suiveurs d’Hubert
Van Gijseghem, chez les intellectuels en
mal d’Infini ou de chimères (2).
Il y aura toujours heureusement des avocats pour défendre tel abuseur présumé,
et c’est une excellente chose pour sauvegarder la présomption d’innocence
face à la présomption d’abus sexuel
(nous sommes en démocratie).
Mais l’un ne va pas sans l’autre. Il convient aussi que l’avocat de l’enfant apprenne à croire ce qu’il entend et quelquefois il préférerait être sourd.
Mais le psy, lui, n’a pas le droit d’être
sourd et devrait se rendre compte du
pouvoir hypnotique que la parole de
l’abuseur et de ses alliés objectifs a pu
avoir sur tel enfant maltraité.
Externe des Hôpitaux de Paris, ancien interne des Hôpitaux psychiatriques de la Seine, psychanalyste, attaché
de consultation en pédiatrie à l’hôpital Louise Michel d’Evry, co-fondateur du Centre des Buttes Chaumont à
Paris, co-traducteur des oeuvres complètes de Ferenczi et de sa correspondance avec Freud.
La vielle taupe, librairie fondée en 1965 par Pierre Guillaume, lequel a soutenu tour à tour deux négationnistes
français, Faurisson puis Garaudy.
Deux revues parisiennes :
L’Infini, dans son numéro 59 consacré à «La question pédophile», où se retrouve un pot-pourri d’opinions de
non-professionnels de Sollers à Matzneff, sans oublier Henri Leclerc (Ligue des droits de l’homme) qui reconnaît «ne pas avoir la compétence pour aborder la question du désir des enfants». Parmi ces 45 textes seuls la
réponse polie d’Elisabeth Badinter (moins de deux lignes ) et le propos de Roger Dadoun (système de complicité et système de rejets) restent lisibles.
Chimères dans son numéro 36 qui peut gloser dans un édito sur «Une figure risible et dangereuse d’un enfant
qui ne dirait que la vérité, rien que la vérité» (encore Foucault)... puisqu’une «nouvelle forme de folie surgit :
la suspicion de «pédophilie»».
Qu’on se le dise, la parole de l’enfant pourrait être dangereuse, quant à la vérité... la folie... la pédophilie, il
faut mettre des guillemets pour que fonctionnent les amalgames, comme dans ce numéro, René Scherer ne peut
pas se dégager de l’analogie : L’abus d’alcool est dangereux, l’abus de mots...
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Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
Nous constatons les fulgurants progrès
que cet enfant va réaliser pour sortir de
sa fragmentation traumatique, grâce au
pouvoir de la parole quand ses mots à
lui sont crus, reconnus, accompagnés,
soutenus jusqu’aux Assises s’il le faut.
Les témoins que nous sommes alors se
révèlent être des adultes qui sont de parole, quand ils entendent, écoutent mais
aussi savent prendre en compte cette révélation en miettes et si dangereuse,
dans ces histoires d’incestes et de réseaux pédophiles homos ou hétérosexuels.
Les menaces existent aussi à notre égard.
Deux livres à lire pour ne pas perdre
votre temps avec Hubert Van Gijseghem :
1. Silence on tue des enfants !, de Régina
Louf, aux Presses de Belgique, préfacé par Léon Schwarzenberg. Cette
jeune femme est le témoin X1 de l’affaire Dutroux. Le titre hollandais pourrait se traduire par : «Le silence profite aux crapules» (3).
2. Politique de la psychanalyse face à la
dictature et à la torture, n’en parlez à
personne, par Héléna Besserman
Vianna, éclairé d’une préface de René
Major à propos de l’incroyable attitude des associations psychanalytiques de Rio et l’Internationale de
l’époque.
Mais après tout le négationnisme n’est
pas nouveau : c’est chez certains psychanalystes dans les us et coutumes
comme dans les abus de pouvoir; c’est
connu de tous les professionnels de l’enfance en danger.
(3)
Zwijgen is voor daders.
Silence les agneaux !
par Pierre Lassus
Depuis quelques années, M. le professeur Van Gijseghem jouit d’une regrettable notoriété dans les milieux de la
protection de l’enfance. Nous n’avons
rien contre la jouissance, même lorsqu’elle paraît, en l’occurrence, largement dominée par l’auto-érotisme, le
professeur précité n’aimant rien tant, à
longueur d’articles et de conférences,
que de se décerner des brevets de satisfaction. C’est dire que, si les pesantes
élucubrations de M. Van Gijseghem
n’avaient d’autres effets que d’alimenter son narcissisme, nous n’en éprouverions, tout au plus, qu’un agacement de
bon ton. Hélas, il apparaît que ses considérations amphigouriques, complaisamment relayées par des thuriféraires
complices ou subjugués, mettent gravement en cause les acquis récents, fragiles et précaires, en matière de prévention des abus sexuels et du soin des enfants victimes.
Lorsqu’une revue comme le JDJ offre
au personnage ses colonnes, jusqu’à sa
page de couverture, et sa quatrième de
couverture ! sans émettre la moindre réserve, sans accueillir d’autres points de
vue qui permettraient aux lecteurs de
disposer d’éléments utiles pour former
leur opinion, la cote d’alerte est large24
ment dépassée. Ceci est d’autant plus inquiétant qu’à l’heure actuelle, en France,
ce n’est à l’évidence pas l’abus de thérapies qui pose problème, mais bien le
manque cruel de thérapeutes pouvant
justifier une compétence spécifique.
Cette remarque renforce notre interrogation sur les motivations réelles de la
rédaction du JDJ, qui diffuse abondamment des inquiétudes lesquelles non seulement relèvent d’une escroquerie intellectuelle, mais font référence à des réalités de terrain qui ne sont absolument
pas les nôtres.
La tribune généreusement offerte par le
JDJ, présente néanmoins l’intérêt de
pouvoir se pencher d’un peu plus près
sur l’argumentation développée par Hubert Van Gijseghem.
Il est instructif de s’arrêter sur la forme.
Alors qu’Hubert Van Gijseghem se réclame d’une démarche scientifique, et il
n’est pas avare du pathos supposé attester de la rigueur sémantique exigée, il
est surprenant d’enregistrer combien, à
côté des termes à prétention savante et
des formulations absconses, coexistent
les à-peu-près et les imprécisions.
Outre ces imprécisions qui ne devraient
pas avoir leur place dans un texte se voulant scientifique (Chiantifique...), les as-
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sertions gratuites pullulent (par exemple : «l’enfant est forcé d’accepter et
d’intérioriser des projections confuses
de l’intervenant»).
Pour tenter de justifier sa condamnation
des thérapies scientifiques, Hubert Van
Gijseghem, en renfort de ses pétitions
de principe, fait appel à des recherches
qui vaudraient preuve du bien-fondé de
son argumentation. Or, la présentation
même qu’il fait de ces recherches ne
plaide guère en faveur de leur crédibilité.
En premier lieu, il ne nous est fourni
aucune recension exhaustive des travaux
sur ce sujet, et dès lors nous sommes
dans l’ignorance de la représentativité
des auteurs qu’il cite, après les avoir sélectionnés sur des bases non précisées.
Ajoutons que nous restons également
dans l’ignorance la plus complète des
méthodes utilisées, seuls nous sont communiqués les résultats, évidemment favorables aux thèses de Hubert Van Gijseghem, et que nous sommes priés de
prendre pour argent comptant.
Pour être honnêtes, relevons qu’Hubert
Van Gijseghem lui-même, ne se montre
guère assertif quand à la valeur probante
des travaux qu’il cite :
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
«La recherche (...) tend à confirmer nos
inquiétudes».
Quant aux travaux eux-mêmes, il faut
être singulièrement indulgent (ou prébien-disposé) pour se laisser convaincre
à partir des éléments rapportés :
O’Donohue et Elliot tirent leurs conclusions : «à partir d’un survol de 11 études évaluatives» (sic)... Survol ! ... 11
études ! ...
Finkelhor et Berliner (dont on ne précise pas le résultat des travaux et bien
entendu dont on ignore tout des protocoles utilisés) ont fait une recension de
27 études.
Tourigny s’est penché d’une façon très
approfondie (voici un critère incontestablement des plus scientifiques) sur 42
études. Il en ressort (c’est le seul auteur
sur lequel on nous donne quelques précisions, si l’on peut dire...) :
«un nombre (?) d’évaluations semblent
indiquer une amélioration chez certains
enfants, on observe aussi des effets carrément négatifs chez bon nombre d’entre eux...».
Ici, pas d’hésitation, nous pouvons scientifiquement avancer qu’Hubert Van Gijseghem, lui, se fout carrément de la
gueule du monde !
Quand on parle d’amélioration c’est
chez nombre, quand on parle d’effets
négatifs (lesquels ? on sait pas, sinon
qu’ils le sont carrément !) c’est chez
«bon» nombre.
Mais il est vrai que les améliorations
semblaient être indiquées, alors que,
n’est-ce pas, les effets carrément négatifs étaient, eux, observés, ça change
tout !
On observe pour notre part le sérieux de
ces travaux, si bien renseignés et portant (c’est la seule précision !) sur
11+27+42 = 80 évaluations... ! C’est
comme ça qu’on écrit l’histoire.
Quant à l’idée forte de Hubert Van Gijseghem, une fois démêlée l’embrouille
de son discours, elle se résume à ceci :
Il faut se taire sur les abus, il faut confiner le souvenir en zone interdite, la réparation passe par la couverture.
Silence les agneaux, on viole !
Réactions de Hubert
Van Gijseghem et
de Louisiane Gauthier
Au premier abord, on dirait que toute
cette controverse est basée sur un immense malentendu. Nos détracteurs parlent comme si nous prônions le silence
(c’est-à-dire le non-dévoilement), là où,
en réalité, la seule chose que nous faisons c’est d’analyser les indications
quant à la psychothérapie qui, elle, est
ultérieure au dévoilement.
Évidemment, nos critiques savent lire.
Un tel malentendu est donc exclu. Il est
fort à parier que le Dr Sabourin et Mr
Lassus ont délaissé volontairement ou
involontairement la lecture de notre texte
pour le prendre comme prétexte et s’attaquer aux spectres de certains intellectuels français donnant dans l’apologie
de la pédophilie. Nous les dénonçons
d’ailleurs nous-mêmes depuis longtemps.
Ceci dit, nous avons quand même fort
envie de réagir aux propos de ces deux
professionnels qui, plutôt que de discuter entre personnes civilisées, préfèrent
nettement l’injure. Qu’on nous pardonne
donc d’y mettre aussi un brin de caustique.
Le Dr Sabourin, d’abord, résume très
bien son objection fondamentale à nos
propos dans cette affirmation assez
inouïe : «... ces balivernes sont en contradiction flagrante avec tout ce que
nous écrivons depuis des années...». Et
voilà la chose dite ! Comme pensée égocentrique, on peut difficilement faire
mieux. Celui qui s’écarte du Livre des
Buttes Chaumont ne peut qu’être frappé
d’anathème !
Par contre, le Dr Sabourin, «pour ne pas
perdre votre temps avec HVG», recommande une lecture «sérieuse» : le livre
de Régina Louf, championne belge des
«souvenirs retrouvés» dont l’histoire
sensationnelle a été totalement contredite par les enquêtes policières pourtant
les plus obsessionnelles de l’aprèsDutroux. Le livre de Louf ne dépasse
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point le statut de lecture de gare. Voilà
les sources privilégiées de notre critique.
Nous avons la nette impression que le
Dr Sabourin n’a point lu notre chapitre
qu’il critique tant (pas plus qu’il n’a dû
lire l’incroyable pamphlet de Louf),
peut-être en-a-t-il seulement entendu
parler. En effet, jamais au grand jamais
prêchons-nous (Louisiane Gauthier et
moi-même) en faveur du silence ! Au
contraire, nous affirmons qu’il est primordial de créer les conditions dans lesquelles l’enfant peut sortir du silence.
Nous dénonçons toutefois la façon dont
certains «centres» s’emparent de cette
parole de l’enfant, c’est-à-dire sans le
moindre respect pour cet enfant puisque
sans évaluation de ses réels besoins
comme individu.
Les remarques du Dr Sabourin concernant les contre-expertises que l’un de
nous fait en France laissent croire que
nous aurions pu l’égratigner dans une
cause ou une autre en critiquant une de
ses propres opinions d’expert. La chose
est possible et normale. C’est peut-être
la raison pour laquelle son texte sent tant
le règlement de comptes.
En ce qui a trait au texte de Pierre Lassus (que nous ne connaissons pas) nous
remarquons que son auteur procède à
une analyse de la forme de notre chapitre. Il semble vouloir y débusquer des
motivations
malveillantes
(«chiantifiques» dit-il). Tout cela est bon
signe, c’est qu’il ne trouve pas beaucoup
à redire sur le contenu comme tel. Il est
d’ailleurs assez amusant de constater que
Mr Lassus s’en prend particulièrement
à notre usage du terme «aveu» (qui traduirait, selon lui, notre perception de
l’enfant comme coupable plutôt que
comme victime). Tout bon dictionnaire
définit pourtant le terme «aveu» comme
nous l’entendons : «l’action de reconnaître certains faits plus ou moins pénibles à révéler». Le Petit Robert y ajoute
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même l’exemple : «faire l’aveu d’un secret». Alors, à quoi joue Mr Lassus ? Il
résume quand même le contenu de notre texte comme suit et en le citant hors
contexte : «Il faut se taire sur les abus, il
faut confiner le souvenir en zone interdite, la réparation passe par la couverture». Et il y ajoute un cri de son cru :
«Silence les agneaux, on viole !».
Or, notre texte dit bien : «Seul le dévoilement peut amener l’arrêt d’agir nécessaire à la réparation ultérieure. A défaut
de relayer ce dévoilement, l’inaction et
le silence de l’adulte deviendraient complicité (...). Après le dévoilement, l’intervenant a (toutefois) intérêt, d’abord
et avant tout, à écouter le besoin de l’enfant». On est loin ici du «Silence les
agneaux, on viole !».
Tout lecteur le moindrement attentif aura
compris que nous sommes de ceux qui
croient que la parole - le dévoilement est primordiale. Toutefois, une fois la
chose dite, l’agresseur puni et l’enfant
protégé, celui-ci devrait avoir le droit de
se taire et de passer à autre chose si cela
correspond à son besoin. Ce n’est pas
dans l’intérêt de cet enfant d’être maintenu, souvent de force, dans une thérapeutique mise en place par des idéologues de la parole imposée.
Notre préoccupation, chers détracteurs,
c’est de soigner l’enfant et non d’en faire
l’enjeu d’une croisade.
Je voudrais simplement témoigner...
par Boris Cyrulnik
En 1966, j’étais interne en neurochirurgie à paris, quand nous avons reçu un
nourrisson en coma ... barbiturique ! A
cette époque, la maltraitance existait
dans le réel, mais pas dans la parole. Impensable. Donc, malgré l’étrangeté du
diagnostic, nous l’avons rendu à sa famille.
Très peu de temps plus tard, le bébé revenait dans le même service, mais cette
fois-ci, il a fallu l’opérer d’un hématome
sous-dural bilatéral. Au réveil, une infirmière découvrait des croûtes (comme
des brûlures de cigarettes» sur ses fesses. Les parents ont avoué. Quand nous
avons voulu en témoigner dans la presse
professionnelle, tous les rédacteurs sollicités ont refusé notre article.
Il a fallu Pierre Straus et Michel
Manciaux pour lancer un mouvement
nécessaire pour dévoiler la maltraitance,
la soigner et tenter de la prévenir.
Quelques années plus tard, un journal
parisien titrait en première page :
«400.000 enfants maltraités en France».
Même témoignage pour l’inceste. Un
jour, à la radio de Caen, un journaliste
m’a fait taire en disant : «Je ne vous crois
pas. L’inceste n’existe pas. Les enfants
refuseraient». Quelques années plus
tard, les jeunes filles se barricadaient
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dans leur chambre, tant elles avaient peur
de la sexualité de leur père !
Nous en sommes là, en plein balancier,
avec le problème des effets psychologiques du secret et du dévoilement. La
maltraitance existe et l’inceste en est une
des formes les plus délabrantes. Alors
que faut-il faire ? Si l’on raisonne
comme un balancier, nous allons constater que le silence nous fait complice
des agresseurs, alors nous allons vertueusement nous précipiter vers la révélation, à tout prix !
Autre témoignage : Véronique a subi
pendant des années un inceste terrifiant
par un père sadique. Quand elle en a
parlé dans sa famille, on l’a fait taire.
Quand elle en a parlé dans son collège,
on l’a fait taire, car le père, très sympathique, organisait tous les dimanches des
matchs de football pour les «poussins»
du village. Classique, tout ça. Ce sont
des voisins qui l’ont soutenue et accompagnée au commissariat. Véronique a
dit : «Je suis fière d’avoir envoyé mon
père en prison». Quand sa famille a
rendu Véronique responsable de la tragédie, elle a décidé d’écrire un livre qui
a eu beaucoup de succès. Quelques années plus tard, elle a rencontré un gentil
menuisier avec qui elle a eu un enfant.
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Aujourd’hui les gens l’arrêtent dans la
rue et lui demandent : «Cet enfant, vous
l’avez eu avec votre père ?». Le petit
garçon est âgé de six ans. Il va forcément comprendre que certains adultes
pensent qu’à l’origine de lui, il y a un
crime généalogique, une honte, une exception dégoûtante.
J’ai eu par ailleurs à entendre des «parents» qui voulaient dire à leur enfant
qu’il était né de leurs relations incestueuses. Peut-on dire sans dommage à un
enfant qu’il est né d’un inceste ? Peuton l’écrire sur son livret de famille ?
Obliger Véronique à se taire, c’était
l’aliéner, la chasser de notre société, la
cliver en deux morceaux incommunicables. Un morceau qui se tait pour pactiser avec l’acceptation sociale, ce qui
provoque un autre morceau d’ellemême, silencieux et torturé sans cesse.
Mais la parole publique a répandu la
souffrance autour de Véronique. Même
sur ses enfants qui auront à se développer dans la tragédie de leur mère. Peutêtre y avait-il un autre moyen de suturer
les deux parties de ce Moi déchiré ?
Le balancier nous oriente aussi vers le
regard social, vers le psychisme des normaux qui entourent le blessé. Je me souviens qu’il y a trois ou quatre ans, j’ai
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
refusé de participer à une «thérapie de
groupe». Les éducateurs avaient trouvé
un enfant à sauver. En effet, ce garçon
de huit ans avait été incroyablement
maltraité par toute sa famille. Par bonheur, un éducateur l’avait arraché à ce
milieu. La thérapie de groupe consistait
à faire monter sur une estrade trois enfants maltraités pour qu’ils racontent
devant un parterre de gens intéressés
comment ils avaient été violés, battus,
humiliés, comment l’un d’eux dormait
dehors dans la niche du chien tandis que
ses parents partaient en vacances et comment une autre était obligée à avoir des
relations sexuelles avec la maîtresse de
son père, en sa présence, dans le lit de
sa mère. Un de mes amis, mal prévenu,
a assisté à cette «thérapie de groupe». Il
m’a raconté le désespoir des enfants, et
l’horrible gourmandise des questions des
adultes. Après la séance, les professionnels sont rentrés chez eux, dans leur cadre, familial et social. Et les enfants sont
restés seuls, humiliés, mis à nus, maltraités encore une fois.
Dernier témoignage. Je n’arrivais pas à
faire parler une petite fille hébétée de
malheur depuis que l’ami de sa mère
l’avait violée. Après quatre ou cinq «entretiens» silencieux, je l’ai vue arriver
un jour toute rose et souriante : «J’ai
trouvé la solution. Je vais dire que j’ai
menti. Je n’en peux plus d’avoir à expliquer à tous ces gens ce qui m’est arrivé».
Je suis totalement convaincu que Pierre
Sabourin ne fait pas partie de ces genslà. J’ai trop d’estime pour lui et pour ce
qu’il a apporté à la cause des enfants.
Mais je pense que, dans sa grande honnêteté, il n’a pas connaissance de ces
perversions du dévoilement : sa réaction
est une réaction d’indignation parce qu’il
ne soupçonne pas que certains professionnels puissent agir autrement que lui.
Lui qui soutient les blessés par la parole, par l’affection et le bras armés de
la Justice, ne sait pas que d’autres peuvent se servir de l’horreur qu’ont subie
ces enfants.
Après la guerre de 40, on a connu le
même type d’utilisation de l’horreur à
des fins politiques. Quand le déni social
a fait taire les déportés («Vous n’avez
pas à vous plaindre ... Nous aussi, on
n’avait pas de beurre ... Votre témoignage
nous empêche de reconstruire la
France.... Et puis, si vous avez survécu,
c’est que vous avez pactisé avec les nazis»). Quelques politiciens se sont servis de leur immense épreuve pour transformer les victimes en emblèmes. Alors,
on a vu des déportés montrer leurs tatouages au pied de tribunes politiques.
Leur présence signifiait : «Voilà ce qui
vous attend si vous ne votez pas pour
nous». Certains déportés ont accepté
«pour que ça ne se renouvelle plus».
Mais ce discours d’image, comme une
publicité, ne tenait pas compte de la personne, de ses souffrances et des moyens
de les rendre moins insupportables.
C’est pourquoi je n’ai pas aimé qu’on
traite Van Gijseghem de «Faurisson de
la maltraitance». Ça aussi c’est une récupération idéologique d’autant que, par
ailleurs, cet auteur écrit clairement
qu’«une thérapeutique respectueuse veut
dire que le thérapeute écoute l’enfant ...»
et qu’il cite les bons résultats des thérapies individuelles.
Je me sens capable de défendre toutes
les phrases de son article, mais j’explique les réactions viscérales qu’il a provoquées par deux critiques : 1- Son titre
invite au contresens. 2- Les méthodes
populationnelles en clinique peuvent
facilement se transformer en leurres
scientistes.
Van Gijseghem a eu tort d’intituler son
article «Faits et méfaits de la psychothérapie...» puisqu’il ne parle pas de psychothérapie. Il y parle d’abus psychologiques sur des enfants fragilisés par des
agressions sexuelles.
J’ai trouvé très convaincante son idée de
refoulement qui rend efficace l’interdit
de l’inceste. J’ai souvent vu des enfants
blessés, victimes une seconde fois de
ceux qui les contraignaient à faire une
carrière de victime. La blessure est douloureuse, ce qui n’empêche pas de parfois l’utiliser pour en tirer des bénéfices
secondaires. Annie Duperey dans «Le
voile noir» raconte comment elle se servait de sa condition d’orpheline pour
améliorer ses résultats scolaires en attendrissant les professeurs. Certains thérapeutes perdent aussi leurs bénéfices
secondaires quand ils pensent que les
JDJ n°194 - avril 2000
victimes qui s’en sortent relativisent le
crime de l’agresseur. D’autres considèrent que la parole est un fétiche et qu’il
suffit d’articuler les mots de la souffrance pour guérir. Alors que la parole
et le récit adressés à quelqu’un agissent
plutôt comme un remaniement émotionnel, en amenant à voir autrement le souvenir du traumatisme. Enfin, certains
«soignants» manifestent tant de pitié ou
même de dégoût pour le blessé que l’estime de soi de l’enfant s’en trouve très
altérée. Tout ceci existe. Ce n’est pas ce
qui caractérise l’activité des psychothérapeutes.
Je pense, comme Van Gijseghem, que le
secret et le déni qui entraînent les troubles du clivage sont des mécanismes de
défense. Pour ces enfants agressés, il
s’agit même de légitime défense. Ils ne
peuvent pas faire autrement, et, dans un
premier temps, ça les protège. Ce n’est
que plus tard qu’ils découvriront que le
coût de cette défense est une amputation de leur personnalité.
Bien sûr que le secret trouble et bien sûr
qu’il protège. Mais, dans les situations
de légitime défense, comment faire
autrement ? L’enfant violé qui a peur de
tuer sa mère en révélant le secret protège son petit monde en s’amputant
d’une partie de sa personnalité et de ses
relations. Pendant la guerre, l’enfant
caché qui faisait secret de son nom et de
ses origines, se protégeait et protégeait
ceux qui s’occupaient de lui. Le prix
psychoaffectif est très élevé, l’identification en est très altérée, mais comment
faire autrement ? Quand la société est
folle, le secret devient une mécanisme
d’adaptation. C’est coûteux mais nécessaire. Pour lever le secret qui redonnerait cohérence à la personnalité de l’enfant, supprimerait le clivage et rendrait
ses relations plus harmonieuses, c’est sur
le milieu qu’il faut agir autant que sur le
blessé.
Or, le déni lui aussi, est un mécanisme
d’adaptation. Il permet d’éviter la souffrance et de sauver les apparences. Le
bénéfice en est une amélioration superficielle de l’estime de soi. Le maléfice
en est un empêchement d’affronter le
problème et de le surmonter.
27
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
Or, l’histoire des mécanismes de défense
a toujours été douloureuse dans les milieux de la psychothérapie. Quand Freud
en a parlé pour la première fois en 1894,
cette idée a fondé la notion de refoulement, donc d’inconscient. Puis Freud l’a
délaissée au profit des notions de régression, sublimation, projection, transformation en son contraire, identification
et isolation, ce qui a constitué la charpente de la psychanalyse. En fait c’est
Anna Freud qui a le mieux élaboré cette
idée dans «Le Moi et les mécanismes
de défense» (1936). Joseph Sandler raconte dans ses «Entretiens avec Anna
Freud» (1989), à quel point ces notions,
aujourd’hui fondamentales, ont été mal
acceptées par le milieu psychanalytique.
René Spitz, après la deuxième guerre
mondiale, a subi les mêmes critiques
quand Margaret Mead a soutenu que
l’affectivité ne jouait aucun rôle dans le
développement des enfants et qu’il
s’agissait simplement d’un concept idéologique pour empêcher la socialisation
des femmes. En fait, c’est John Bowlby
qui a payé le plus cher : il a perdu son
enseignement et son poste de président
de l’Association Britannique de Psychanalyse.
Cette notion de défense met en cause
aussi les défenses des psychothérapeutes. Pourquoi est-il si difficile d’en parler ? La viscéralité des réponses indignées de certains psychothérapeutes
prouve que le concept met en cause leurs
propres défenses. Qu’ils soient sincères,
c’est indéniable. Mais pourquoi ont-ils
besoin de tant de certitudes ? Pourquoi
sont-ils tellement angoissés par un changement de point de vue ? Tout langage
manichéen a une fonction protectrice :
le diable, c’est l’autre, donc l’ange c’est
moi. La pensée manichéenne transforme
les acteurs en pantins. Comme dans le
théâtre grec, ils deviennent faciles à repérer : celui qui grimace, c’est le violeur, il est donc monstrueux. Celui qui
pleure c’est la victime. Tout est clair.
Trop clair même, car la lumière peut
aveugler.
Or la fonction de la démarche scientifique consiste à rendre visible l’invisible.
C’est pourquoi Pierre Lassus a totalement raison quand il critique les citations
28
de Van Gijseghem. Mais quand on tente
l’aventure d’une carrière universitaire,
il faut bien paraître un peu scientifique,
non ? Les molécules et les chiffres aident
à cette promotion. Les cas cliniques,
l’éprouvé de l’autre, et la lenteur du travail affectif de la parole ne sont pas
mathématisables. J’ai eu l’impression
que Pierre Lassus critiquait les méthodes populationnelles citées par Van
Gijseghem, plus que l’auteur lui-même.
Il est un fait que ces méthodes
populationnelles sont nécessaires et abusives. Elles mettent en lumière des chiffres qui sont parfois des surprises qui
donnent à penser. Mais rien n’est plus
facile à bidouiller qu’une étude
populationnelle.
Quant à l’interprétation des chiffres ainsi
extorqués, elle est souvent pittoresque.
Imaginons que des parents abandonnent
leurs quatre enfants : deux vont se sentir
responsables et s’améliorer, tandis que
les deux autres, désespérés, s’aggraveront. Le statisticien en concluera que
l’abandon des enfants n’a aucun effet sur
leur développement ! De plus, dans un
article comme «Faits et méfaits de la
psychothérapie ...» on ne peut citer que
les résultats des articles choisis et non
pas leurs méthodes. La critique me paraît donc indéniable et abusive.
Finalement, dans cette polémique, je
suis d’accord avec tout le monde. Ce qui
est la position la plus vulnérable.
Van Gijseghem a raison de signaler certains méfaits de psychothérapeutes
malformés. Pierre Sabourin a bien évidemment raison de voler au secours des
enfants blessés. Et Pierre Lassus a raison de critiquer les fautes de méthodes.
Le problème n’est donc pas là. Mais pour
aller chercher le problème là où il est, il
faudrait que le plaisir de la réflexion soit
supérieur au plaisir de l’indignation que
partagent ces trois auteurs.
Réaction de Jean-Yves Hayez1
Le texte de H. Van Gijseghem et
L. Gauthier, Faits et méfaits de
la psychothérapie chez l’enfant
victime d’abus sexuel, est riche
d’observations de terrain et de
mises en garde qui témoignent
de la longue expérience clinique
au moins du premier des deux
auteurs 2. Néanmoins, leur thèse
la plus centrale n’est pas
acceptable. Elle dit à peu près :
«Pour rétablir le vécu
intrapsychique du tabou de
l’inceste, il faut que l’entourage
de l’enfant et lui-même
refoulent leurs désirs
incestueux. Or, parler en
thérapie va contre ce
refoulement et oblige l’enfant,
JDJ n°194 - avril 2000
non seulement à continuer à se
représenter le traumatisme de
l’inceste, mais implicitement à
penser que sa perpétuation est
toujours possible».
Certes, l’affirmation des deux auteurs
n’est pas tout à fait aussi radicale. De-ci
de-là, ils admettent bien que «... il est
sans doute vrai que, dans certains cas,
une thérapie individuelle respectueuse
de l’enfant est indiquée» (v. p. 40 A) 3.
Mais, la constatation est des plus discrètes, et s’assortit d’ailleurs tout de suite
d’une restriction, exagérée à nos yeux,
sur ce qu’est une thérapie respectueuse :
“Respectueuse... c’est-à-dire qu’en
aucun temps le thérapeute ne doit donner des indications ouvertes et indirectes ni s’attendre à ce que l’enfant parle
de la chose” (v. p. 40 A).
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
Certes, si l’on fait l’exégèse très soignée
du texte, il y a, de-ci de-là, quelques bémols qui nuancent l’outrance et la généralisation des propos. Il n’empêche
que la grande majorité des thérapeutes
qui travaillent avec des enfants abusés
ne peuvent que se sentir agressés et blessés par les auteurs, taxés qu’ils sont
d’être coupables à peu près perpétuellement de projections toxiques et d’acharnement coupable. Au-delà de ces maladresses émotionnelles, il n’empêche plus
radicalement encore que les arguments
scientifiques sont erronés.
Dans un premier temps, nous voudrions
donc montrer en quoi nous ne partageons
pas les idées des auteurs. Puis, dans un
second temps, et pour que l’on ne jette
pas le bébé avec l’eau du bain, nous relèverons de nombreuses citations et propositions de l’article qui nous paraissent,
elles, excellentes.
I - Le silence serait donc
nécessaire au
refoulement ultérieur ?
Nous ne pensons pas que cela soit vrai
avec l’intransigeance du texte, et ceci
pour deux raisons :
A - Après abus, le psychisme de l’enfant est porteur de bien des représentations traumatiques. Elles portent sur les
faits d’abus, le contexte relationnel où il
a pris place mais aussi, hélas, sur la
«victimisation secondaire» que les
auteurs dénoncent justement et qui demeure courante (p. 26 B); tant mieux
alors si cet enfant blessé reçoit l’occasion de parler de ses images et pensées
traumatiques, s’il a l’occasion d’en déployer quelques détails et d’être encouragé et aidé à réfléchir à leur «pourquoi»,
à leur sens dans son histoire, et à comment mieux se prévenir à l’avenir
d’autres agressions envers lui. Tant
mieux si un thérapeute est à l’écoute de
ses productions spontanées, mais même
si celui-ci peut l’encourager un peu plus
à se dire, sans lui faire violence ni s’obséder sur la nécessité du «dire à tout
prix». On se trouve ici dans le cadre général de la prise en charge d’un traumatisme psychique : la possibilité de
réévocation de celui-ci, désirée ou vrai-
ment consentie par la personne qui en
est la victime, et assortie d’une réflexion
sur le pourquoi et sur le comment (mieux
s’en prévenir), reste une dimension thérapeutique essentielle. Devant n’importe
quel abcès chaud, pour en faciliter la cicatrisation, tout médecin essaiera de le
faire se résorber activement, plutôt que
de miser sur une hypothétique épreuve
du temps susceptible de le transformer
en abcès froid bien chronifié... ou de déclencher une septicémie !
B - Après transgression du tabou de l’inceste, les auteurs affirment que le silence
serait une condition importante au rétablissement du sentiment de l’interdit (v.
p. 26 C). Oui et non ! En tout cas, pas
avec la radicalité ni la précocité avec
lesquelles les auteurs souhaitent le retour d’une dynamique du silence. En
effet :
1) Pour que le sentiment du tabou se
réinstalle, il faut d’abord que toute la
communauté des humains autour de
l’enfant croie que ce tabou est essentiel et en tienne compte dans ses actes.
Pour ce faire, il est entre autres important que l’abuseur soit confronté
à son méfait, sanctionné et mis dans
l’impossibilité de persister ou de
récidiver. Or, pour le confondre,
une parole de dévoilement par l’enfant, qui se maintient courageusement
au fil du temps, est souvent très utile
si pas indispensable : aux adultes équipes spécialisées, policiers et magistrats - qui ont besoin de cette parole de la recueillir avec respect et
sans traumatisation secondaire ! Le
fait que ce soit loin d’être toujours le
cas constitue une invitation pressante
à améliorer les conditions des entretiens, et non à faire taire l’enfant une
fois de plus, à titre préventif...
2) Dans le même ordre d’idées, il est
souvent important que l’enfant puisse
constater que la faute de l’abuseur est
dénoncée par la communauté et condamnée. Condamnée sans qu’il subisse des pressions en retour ou une
nouvelle culpabilisation parce que,
par sa parole de dévoilement, il aurait,
lui, l’enfant, atteint à l’ordre respectable des adultes ou/et provoqué une
catastrophe familiale : que l’on s’attaque de réduire celle-ci, plutôt que
d’affirmer que les institutions (d’aide
et de justice répressive) ont des logiques différentes et qu’on ne sait rien
y faire.
3) Mais ensuite, faut-il que le silence
s’installe pour que l’enfant - et sa famille - répriment progressivement
leurs désirs incestueux et leurs représentations mentales et questions
autour de l’inceste, et ensuite pour
qu’ils les refoulent ?
Oui, et ce refoulement constitue en
effet un mécanisme protecteur du développement mental futur, pour peu
qu’il s’agisse de refouler des «pensées et images quasi cicatricielles».
Par contre, refouler des questions et
pensées irrésolues, contradictoires,
conflictuelles, chargées d’affects pénibles, c’est loin de pouvoir réussir à
tout coup et même quand cela a l’air
de fonctionner à court terme, le résultat définitif est des plus précaires;
c’est dans ces cas que l’enfant, et petit à petit l’adulte qu’il devient, est
sujet à des «retours épisodiques du
refoulé», sous forme travestie ou directe : c’est ici, par exemple, que l’on
assiste à des passages à l’acte sexuels
brutaux qui sont des sortes de
traumatic plays, mais commis par
l’ex-victime cette fois. Et même
quand les idées centrales restent re-
1
J.-Y. Hayez, pédopsychiatre, docteur en psychologie, coordinateur de l’équipe SOS Enfants-familles, responsable de l’Unité de pédopsychiatrie, Cliniques Universitaires St Luc,
10 avenue Hippocrate à 1200 Bruxelles, Belgique.
2
Nous ne connaissons pas Madame Gauthier et nous ne pouvons donc pas nous situer à son
propos.
3
Quand nous nous référerons au texte paru dans le JDJ n°190, nous indiquons la page et la
colonne A (à gauche), B (au centre) ou C (à droite).
JDJ n°194 - avril 2000
29
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
pas nécessairement réductible à un
bloc de temps unique, qui serait l’apanage d’un adulte précis en fonction
de son statut : des petits moments partiels peuvent se succéder ou se superposer, étant bien entendu qu’ils gagnent à ne pas avoir une durée interminable. Inversement, si l’enfant
n’ose pas y venir tout seul, on gagne
à l’y inviter explicitement, d’une manière ou d’une autre. Dans l’échange,
il peut donc exister des petits moments qui se cumulent ci et là : l’essentiel est que l’on cherche à ce qu’ils
existent, et qu’ils ne soient pas interminables.
- A ce moment de communication, on
peut inviter l’enfant, et ceci même
quand on est thérapeute : un peu d’insistance et d’encouragement, loin de
constituer une faute, nous semblent
le signe de la sollicitude ressentie
pour cet enfant, souvent honteux et
effrayé. Par contre, faire violence sur
lui pour qu’il reste en thérapie ou pour
qu’il parle à tout prix nous semble
un nouveau viol : respecter l’enfant c’est, s’il le veut profondément,
se résigner parfois à accepter qu’il
s’emmure dans le silence ou qu’il déclare ne pas avoir besoin d’un traitement.
- Communiquer autour de l’essentiel,
c’est d’abord et avant tout, quand
c’est possible, communiquer autour
d’idées et de questions qui sont celles de l’enfant, telles que lui les vit,
et pas tout de suite en référence aux
informations standard de l’adulte.
foulées, la souffrance qu’elles génèrent se traduit souvent en symptômes
pathologiques : dépression, anorexie
mentale, maladies psychosomatiques, etc. .
Et donc, avant que les spécialistes
n’invitent l’enfant et ses proches à
«tourner la page en soi» et à réinstaller le silence «sur tout ça», mieux vaut
qu’ait pu exister UN MOMENT DE COMMUNICATION LIBÉRATOIRE AUTOUR DE
L’ESSENTIEL.
Grâce à lui, les pensées
autour de l’inceste redeviennent plus
sereines, porteuses de moins de confusion et d’énigmes, et peuvent être
refoulées sans risque de constituer
comme des abcès chauds internalisés.
4) Qu’appelons-nous un moment de
communication libératoire autour de
l’essentiel ?
- C’est un moment limité dans la durée, où l’enfant rencontre l’autre dans
le dialogue et où il peut lui faire part
de ce qui lui est arrivé, poser ses questions et en parler un peu s’il le désire, en comprendre éventuellement
une petite partie du sens, mais surtout s’entendre dire qu’il a été victime d’une transgression grave et injuste et pourquoi, et que toute la communauté - lui inclus - doit prendre désormais des dispositions pour que ça
ne se reproduise plus !
- «L’autre» qui réagit de la sorte face
à l’enfant c’est celui qui a le statut de
«frère humain dans la communauté»
et ce pourrait donc être n’importe qui
estimé sain.
Parfois l’enfant vivra déjà (largement) ce moment de communication
libératoire quand il remettra sa parole
de dévoilement (cfr. B 1.). Ailleurs,
c’est la partie saine de sa famille qui
y procédera, voire l’ami ou l’amoureux bien longtemps après. Mais parfois aussi, ce sera le thérapeute chez
qui l’on a conduit l’enfant et avec qui
il aura pu faire alliance : ce thérapeute
a habituellement des compétences
techniques qui facilitent grandement
l’occurrence et la qualité de cette
communication libératoire.
On voit donc que, dans notre esprit,
ce moment de communication n’est
30
Il n’empêche que l’on ne peut pas
accepter d’entendre passivement
n’importe quoi et donc que, parfois,
respectueusement, on sera amené à
dire à l’enfant qu’on ne pense pas
comme lui dans un domaine précis,
et pourquoi.
- Cette communication sur l’essentiel
n’a que très très peu à voir avec
«l’exigence de tout raconter, tous les
détails» qui figure dans certains manuels de pseudo-psychothérapie
4
made in U.S.A. On peut vraiment se
passer de cette frénésie voyeuriste du
détail, à deux conditions :
. S’il ne faut pas presser l’enfant
vers cet extrême 4, à l’inverse on ne
peut pas imaginer qu’il soit libéré
d’une souffrance intérieure sans en
avoir au moins nommé la source !
Donc, sans faire violence sur lui, la
libération ultérieure ne viendra que
s’il a pu reconnaître au moins une fois
“C’est vrai, un tel a fait des cochonneries (ou un terme équivalent) avec
moi”. Et parfois même un peu plus
(“J’ai du prendre sa quéquette dans
ma bouche”). Les réalités externes au
moins une fois nommées, on peut
alors parler de leur sens et de celui
du tabou.
. Réciproquement, l’enfant qui, pour
se sentir soulagé, aurait largement et
spontanément besoin de raconter
beaucoup de détails, avec indignation
et colère, doit pouvoir être entendu
par un thérapeute capable de porter
cela avec lui, sans voyeurisme, sans
en remettre, mais aussi sans phobie !
- Une fois faite cette communication
autour de l’essentiel, et pour peu que
l’enfant n’en demande pas plus, il est
bien exact, comme le recommandent
les auteurs, qu’il faut tourner la page
et parler avec lui d’autres thèmes et
projets qu’il trouve, lui, importants,
et ceci en thérapie ou hors de celleci.
- Il est exact enfin que cette communication gagne à se dérouler dans une
grande discrétion : souvent, on n’y
veille pas assez. Cet enfant qui a été
violé pour du vrai dans sa vie, on le
met à nouveau à nu, à travers tant et
tant de rapports et réunions de synthèse où tant et tant de détails
superflus demeurent bradés à tous
les vents. Une partie importante de
la réflexion menée avec lui et tel ou
tel adulte devrait pouvoir pourtant
rester dans l’intimité de la relation
vécue. De là à employer le mot «secret» comme le font les auteurs, nous
A propos, et à titre d’exercice, seriez-vous prêt à écrire au rédacteur en chef du Journal du
droit des jeunes tous les détails de votre dernière relation sexuelle (préliminaires et fantasmes inclus) ou de votre dernière masturbation ?
JDJ n°194 - avril 2000
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
avons bien trop peur que le terme excessif - réveille ce qui s’est vécu
autour du secret imposé par l’abuseur
(p. 39 B).
II - Deux critiques
accessoires à la thèse
centrale des auteurs
A - Après avoir évoqué en début de ce
texte la problématique des enfants abusés par un adulte externe et des enfants
incestués (p. 25 A), les auteurs en arrivent très vite à s’en tenir à une discussion autour de l’inceste. Qu’en est-il
alors de la prohibition des relations
pédophiliques externes à la famille ? Le
tabou est-il tout à fait aussi fort ? La
question, difficile, aurait mérité d’être
discutée de façon plus différenciée : si
le tabou de l’inceste est radical à tous
les âges de la vie, comment réagir face
aux relations entre des adultes et des
enfants prépubères, jeunes adolescents,
ou adolescents plus âgés, tous externes
à leur famille ?
B - Nous n’avons pas apprécié du tout
la référence saupoudrée que les auteurs
font à l’une ou l’autre gloire de l’histoire de la psychanalyse (p. 39 C et 41
A), et surtout à quelques recherches «piquées de-ci de-là», sans discussion sérieuse quant à la validité de leurs méthodes, mais surtout, quant à leur objet !
Il était couru d’avance que des recherches nord-américaines sérieuses menées
sur les programmes «en six séances de
déballage» qui sont légion là-bas, allaient conclure que ces pseudo-thérapies
étaient non pertinentes, voire toxiques
(p. 26 A et B). Se servir de leurs conclusions, adaptées à un objet précis, pour
torpiller l’idée de la psychothérapie, ce
n’est pas admissible !
III - Pertinence de bien
des observations faites
dans l’article
Après avoir situé très clairement notre
différence fondamentale d’opinion par
rapport à la thèse centrale de Van
Gijseghem et Gauthier, nous nous sentirions stupides et injustes de ne pas relever les nombreuses observations per-
tinentes «de terrain» présentes dans l’article. Nous les citerons par ordre chronologique :
A - p.25 A et B, les auteurs dénoncent le
fait qu’être victime d’abus soit souvent
assimilé
à
un
diagnostic
psychopathologique. Nous le pensons
aussi.
enfants qui ont été abusés dans leur histoire (et sont «autre chose» aujourd’hui),
nous ne la condamnons pas par principe.
Si l’on y évite l’étiquetage et la
centration indéfinie sur les détails externes, on peut y former des thérapeutes
compétents et y vivre des interactions
tout à fait positives 6.
Avoir été victime d’abus, c’est un fait
relationnel et social, et la désorganisation de la personnalité qui s’en suit est
très variable : de nulle à extrême, transitoire ou chronique, et avec une grande
variété de qualifications possibles.
D - p. 25 C, Van Gijseghem et Gauthier
rappellent que, en thérapie, la réalité extérieure ne doit pas venir occulter celle
à la réalité intrapsychique de l’enfant,
qui doit être écoutée en priorité et avec
respect : tout à fait d’accord, évidemment !
E - Dans le même ordre d’idées, p. 25 C,
ils contestent les thérapies où l’on crée
parfois des colères artificielles de l’enfant contre l’abuseur, qui sont le fruit des
projections de thérapeutes, en même
temps que ceux-ci veulent se battre artificiellement contre la culpabilité vécue
par l’enfant. Tout à fait d’accord ici
aussi, et tout ce qui est écrit dans le paragraphe «le sentiment de culpabilité»
p. 25 C, nous semble un texte magnifique... jusque la fin de la p. 25. Le reste
(début de la p. 26, à partir de la citation
de Lamb) est douteuse et fait probablement partie de l’effet Rosenthal, mais
vécu par les auteurs cette fois, et sans
qu’ils en soient bien conscients.
F - p. 26 B, nous partageons à 100 % la
réflexion des auteurs sur l’intérêt de la
parole de dévoilement, qu’ils recommandent de coupler systématiquement
à une réflexion à chaque fois recommencée pour déterminer l’autorité à qui
l’adresser : les Belges sont tout à fait partisans de cette circonspection, et ont déjà
dénoncé dans d’autres articles et interventions la toxicité du dévoilement systématique et précipité aux autorités judiciaires, dicté davantage par le terrorisme que font régner certains procureurs
que par le bon sens.
B - p. 25 B, ils font remarquer que l’on
donne trop souvent à l’enfant le sceau
d’enfant abusé (ou victime). Nous partageons leur point de vue : ces enfants
ont été abusés à une époque donnée de
leur vie ; face à cette sollicitation,
beaucoup se sont trouvés totalement ou
largement victimes, et quelques-uns vite
consentants si pas provoquants 5; au
même moment, il leur arrivait bien
d’autres choses positives et négatives, et
il était donc déjà réducteur et injuste de
les étiqueter comme enfants (seulement)
abusés : la vie continuait déjà son cours
à côté de l’abus.
Et par la suite, quand les faits d’abus sont
stoppés, c’est encore davantage réduire
et figer les choses que de continuer à les
dénommer enfants abusés : p. 29 B, les
auteurs donnent quelques illustrations de
manière dont les enfants peuvent être
abîmés... par l’étiquette elle-même.
C - p. 25 C, les auteurs critiquent sévèrement les «thérapies» où l’on regroupe les enfants sous le sceau de
l’abus, et où on les oblige à parler indéfiniment de celui-ci. Cette pratique
d’obligation de parler est en effet des
plus toxiques, mais se rencontre plus
souvent en Amérique du Nord qu’en
Europe.
Quant à l’idée de regrouper dans un
même lieu ou dans un même groupe des
5
Mais même quand ils consentent ou provoquent, ils n’en restent pas moins victimes... de ne
pas être éduqués et remis à leur place !
6
Cf. , p. ex., dans la région de Lille, les groupes menés par Marie-Christine Gryson autour
du conte thérapeutique, dans son centre le CAP.
JDJ n°194 - avril 2000
31
Réactions de Catherine Marneffe *
On ne peut que se réjouir des réactions de Messieurs Lassus et
Sabourin, dénonçant «les pesantes élucubrations», «tous les
amalgames et toutes les confusions possibles» qui sont monnaie
courante chez le professeur Van Gijseghem. On ne peut aussi que
partager avec force leur inquiétude quant à l’accent mis sur les
méfaits de la psychothérapie chez l’enfant abusé sexuellement,
alors que l’immense majorité d’entre eux ne seront point pris en
charge, ni aidés, ni soignés, ni compris, mais uniquement
interrogés, analysés, testés, questionnés à des fins judiciaires et puis
abandonnés à leur triste sort, sans que la question de la prise en
charge thérapeutique ne soit posée.
Par ailleurs, on ne peut que regretter avec
eux qu'un Journal d’une qualité telle que
celui-ci «offre au personnage ses colonnes jusqu'à sa page de couverture» (P.
Lassus) pour y défendre des points de
vue aussi peu étayés et plutôt confus sur
un sujet difficile et controversé.
Néanmoins, on ne peut que remercier la
rédaction de permettre le débat, mais
surtout l’apport de rectifications concernant trois aspects du discours du Professeur H. Van Gijseghem.
S’il n’y avait pas autant de confusion et
d’amalgames, l’article de H. Van
Gijseghem pourrait dénoncer un phénomène réel qui concerne en effet l’abus
de l’abus sexuel. L’abus sexuel est utilisé à tort et à travers par les autorités
nationales et européennes à des fins répressives, impliquant le contrôle et la
stigmatisation des familles et la mise à
mal de la fonction thérapeutique.
Les mesures légales prises en Belgique
depuis l’affaire Dutroux, au nom de la
maltraitance des enfants, renforcent le
signalement des enfants à risque ou abusés au détriment du développement de
réseaux d’aide spécifiques.
Les équipes thérapeutiques sont donc
submergées de demandes et ont des listes d’attente très longues, qui ne leur
permettent pas de répondre à l’urgence
des soins nécessaires en matière d’abus
sexuel d’enfants.
Il y a donc impossibilité technique de
travailler, mais aussi éthique. En effet,
ces nouvelles politiques de protection de
l’enfance menacent - par l’obligation
déguisée ou non de signaler la
maltraitance ou d’autres «déviances»
32
parentales - le secret professionnel à l’intérieur de l’espace thérapeutique mais
aussi la spécificité de ce dernier, ce qui
représente un danger pour la vie privée
en général.
De ce premier aspect découle le second.
Dans ce climat de scandalisation et de
panique, basé essentiellement sur la découverte des «cas» d’abus sexuel, l’aide
sociale devient l’émanation déguisée de
la justice. Le témoignage de l’enfant ou
le «dévoilement» comme le dit Hubert
Van Gijseghem sert essentiellement de
matériel d’accusation contre ses propres
parents bien plus qu’il ne permet à l’intervenant d’aider l’enfant à mieux se
comprendre et comprendre comment ses
parents en sont arrivé là.
Pourtant chaque situation nécessite une
approche individualisée et singularisée,
adaptée aux circonstances des situations
abusives (extra ou intrafamiliales), aux
symptômes associés aux sentiments des
enfants et à leurs besoins. En effet, pas
de prise en charge des enfants sans «rencontres de paroles» avec les parents abuseurs et non abuseurs. Plusieurs modèles anglo-saxons (Giaretto, 1982,
Bentovim, 1992, Sheinberg, 1994) ont
influencé le modèle à multiples possibilités dyadiques proposé par Hayez
(1992) en Belgique, et par les ButtesChaumont en France.
On peut comparer une famille incestueuse à une situation où un enfant de la
famille est atteint d’un cancer, ici psychologique (Haesevoets, 1997). Il est
donc hors de question de ne pas encourager la famille à rechercher le meilleur
traitement possible pour chacun de ses
JDJ n°194 - avril 2000
membres. Il est évident qu’il faut donner les moyens à tous les membres de la
famille de mettre la violence en mots,
afin que puisse évoluer la manière dont
les parents «réfléchissent» leur enfant.
La thérapie doit comprendre trois volets.
Le volet parental a pour but de comprendre les mécanismes dont l’enfant à été
l’enjeu.
Le volet pour l’enfant, lui, est motivé par
deux axes, la volonté de minimiser les
séquelles des violences antérieures (déficit d’apprentissage, troubles somatiques, manque de confiance en lui) et
l’espoir d’arrêter la transmission
générationnelle d’une histoire destructrice. Elle est également motivée par une
des caractéristiques remarquables de
l’enfance : une grande sensibilité à l’entourage. Paradoxalement, c’est cette
même sensibilité, responsable des marques profondes de la maltraitance, qui
rend les enfants très réceptifs à tout effort thérapeutique.
Le troisième volet concerne la confrontation de tous les acteurs. Indépendamment de la technique utilisée, la cure
thérapeutique vise à «panser - penser»
les blessures de la victime à travers l’offre d’un espace-temps nécessaire à la
réflexion et à la confidence. L’enfant
pourra y trouver à partir de son propre
langage avec l’aide de son thérapeute et
de sa famille - idéalement, elle aussi en
thérapie - la solution la plus acceptable
possible à ses conflits intrapsychiques
et à ses problèmes existentiels
(Haesevoets, 1997).
Cependant la thérapie étant surtout un
processus relationnel entre un adulte et
un enfant, il faut laisser à l’enfant le
temps de prendre lui-même une décision
en tant que sujet de sa demande. Comme
le dit Haesevoets «le traitement doit
trouver en l’enfant un demandeur et non
«un preneur»». Ce n’est pas l’abus
sexuel in se, qui détermine l’intervention, mais aussi la maturité de l’enfant,
ses ressources réparatrices et les capacités de soutien de son entourage immédiat.
*
Pédopsychiatre
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
La thérapie sert à partager la souffrance,
à la recevoir, à l’écouter, à l’éponger de
façon à ce que la valeur affective de l’enfant-individu puisse être réhabilitée et
rendue pleinement humaine, même
après avoir été déshumanisée par les actes de ses parents.
Comme F. Dolto (1985) le formulait si
justement «Ce n’est ni bien, ni mal, ce
n’est pas facile à vivre.
En fait tu aides ta maman, ton père et ta
famille et toi aussi et tes enfants plus tard
en montrant ta douleur, la douleur de ta
famille».
On le comprendra aisément, ces thérapies sont difficiles, exigeantes, en temps,
en doigté et en connaissance, déprimantes et longues comme celles des enfants
cancéreux. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas nécessaires ni indispensables, mais que le personnel soignant
possédant ces caractéristiques est rare.
Le Professeur Van Gijseghem a donc
raison lorsqu'il dénonce - sans l'expliciter - le fait que l'abus sexuel des uns fait
fantasmer les autres et leur sert d'exutoire. La révélation fascine, elle rend
celui qui la reçoit digne d'intérêt. A l'enfant de se débrouiller avec les interrogatoires répétés, les examens psychologiques et l'idée qu'il suffit de tout dire
pour guérir. Mais fallait-il pour cela
qu'en intitulant son livre «Us et abus de
la mise en mots en matière d’abus
sexuel», il se rallie à l’idée encore trop
répandue que la souffrance psychologique des enfants n’est pas comparable à
la souffrance physique et qu’elle n’est
pas traitable comme telle. Ce qui est plus
inquiétant, c’est que pour ce faire H. Van
Gijseghem s’appuie sur les écrits de défenseurs de pédophiles notoires (Wakefield & Undervager, 1988, 361), poursuivis à maintes reprises en Australie et
aux USA.
Comment peut-il - à moins qu’il n’ait
jamais pris en charge lui-même, comme
l’insinue le Dr P. Sabourin «une famille
avec trois générations d’abus en série,
où viols et coups de pieds .... remplacent et interdisent les paroles ...» - prétendre «que l’enfant abusé, en traitement
individuel ou de groupe devient de plus
en plus perturbé ... cette aggravation est
iatrogène, provoquée par le traitement».
Bien sûr qu’elle est provoquée par le traitement. Tous les thérapeutes d’enfant
avertis préviennent d’ailleurs les parents
qu’au début les enfants «iront moins
bien», parce que tous les sentiments
ambivalents et refoulés pourront s’exprimer et s’extérioriser grâce à la thérapie.
Ce processus est d’ailleurs tout à fait
identifiable par les adultes en thérapie.
N’est-ce d’ailleurs pas le bon sens populaire qui devrait guider H. Van
Gijseghem dans ses élucubrations, lorsqu’il nous prévient «que celui qui entre
chez le psychiatre en sort plus fou qu’il
n’y était entré...». Il en est de même pour
l’enfant cancéreux, qui déjà très malade,
se détériore encore plus après la chimiothérapie ou la radiothérapie. Faut-il en
déduire pour autant que ces traitements
sont nocifs ?
Le Professeur H. Van Gijseghem est en
permanence dans la confusion entre
l’aveu et le dévoilement de l’abus, l’aveu
étant un terme qu’on attribue habituellement aux coupables, donc plutôt aux
abuseurs. En disant «qu’il est capital de
permettre à la victime, après le dévoilement de se taire» il mélange le silence
sur l’acte sexuel en tant que tel à respecter et le silence, provoqué par l’impossibilité de mettre en mots tant de sentiments contradictoires, suscités par
l’abus et son contexte et qu'il faut essayer de briser.
Cela nécessite d’ailleurs d’utiliser des
moyens intermédiaires artistiques, le jeu,
le dessin, la plasticine, la peinture pour
aider les enfants à s’exprimer, à s’humaniser à travers le langage. La confusion s’installe aussi entre les mots pour
amener les preuves de l’inceste lors des
enquêtes et les mots pour guérir, qui
concerne l’ensemble de la personnalité
de l’enfant.
Quant aux fameuses «recherches» citées
par H. Van Gijseghem, elles le sont à tort
et à travers, sans être explicitées, comme
le dit P. Lassus.
J’en veux pour preuve «les chercheurs
qui affirment que les enfants qui maintiennent le secret présentent moins de
séquelles que les enfants qui le dévoilent» ou encore «rien ne distingue les
enfants qui ont révélé le secret de ceux
qui se sont tus». Mais comment sait-on
JDJ n°194 - avril 2000
que les enfants qui se sont tus avaient
un secret ?
Croire ou prétendre que la thérapie et
son espace de parole seraient inutiles
voire néfastes, c’est oublier que plus que
l’acte traumatique, c’est l’incapacité de
verbaliser son vécu et les sentiments qui
l’accompagne, qui marquent l'être humain à jamais. C’est d’ailleurs ce que
disent bien des adultes qui restent figés
dans leur statut de victime de par le silence qui leur a été imposé.
Plutôt que de dire «Silence, les agneaux»
comme P. Lassus, on a envie de dire
«Silence M. Van Gijseghem, plus d'abus
de la mise en mots, écoutez les enfants
et leurs parents, ce serait un méfait de
moins.»
Références
- Giaretto, H., Integrated
treatment of child sexual abuse.
A. Treatment and training
manual, California, Sciences
and Behavior books, mc Palo
Alto, 1982
- Bentovim, A. Okell Jones, C.,
Abus sexuel des enfants : traumatisme passager ou désastre
durable ? In Anthony & C.
Chilard (éd. ), L’enfant dans sa
famille, Paris, PUF, 1992, vol.
8, pp. 599-613
- Sheinberg, M. True, F. et
Fraenkel, P., F. L. Furenkel, P.
Treating the sexually abused
child : a recursive, multimodal
program, Family process, 1994,
33, pp. 263-276
- Hayez, J.Y., Les abus sexuels
sur des mineurs d’âge : inceste
et abus sexuel extrafamilial, Psychiatrie de l’Enfant, 1992,
XXXV, 1, pp. 197-271
- Haesevoets, Y.H., L’intervention thérapeutique, De Boeck
(éd.), L’enfant victime d’inceste,
Paris, Bruxelles, 1997, pp. 212215.
- Dolto F., La cause des enfants,
Paris, Laffont, 1985
33
Rendre justice à l’enfant victime
de mauvais traitements
par Frédéric Jésu *
Les travaux d’Hubert Van Gijseghem en matière de psychothérapie des enfants victimes d’abus sexuels,
la vivacité — pour ne pas dire la violence — de certaines des controverses qu’ils suscitent çà et là et
mes propres expériences professionnelles, tant de pédopsychiatre que de médecin de santé publique,
m’amènent aujourd’hui à poser deux questions :
- Lorsqu’un enfant a subi des mauvais
traitements - violences physiques,
sexuelles, psychologiques, carences, négligences graves - au sein de sa famille
ou au sein d’une institution, la reconnaissance et la clarification de son statut de victime viennent-elles renforcer
la valeur et la portée de sa parole (et si
oui, il restera à préciser à quelles conditions et dans quelle mesure) ?
-Ce statut de victime facilite-t-il en outre
l’engagement d’un processus thérapeutique (rien n’indiquant par ailleurs que
ce processus doive être préconisé dans
tous les cas et dans tous les cas accompagné en première ligne par des professionnels de la santé mentale) ?
Si, sur le fond, ma réponse à ces deux
questions est positive, je constate aussi
que beaucoup dépend de la forme sous
laquelle la justice est présentée, mise en
œuvre et au total rendue à l’enfant. Or,
en ce domaine comme en beaucoup
d’autres et comme le remarquait Victor
Hugo, «la forme, c’est le fond qui remonte à la surface».
Sur le fond comme sur la forme, en effet, rendre justice ne consiste pas seulement à sanctionner l’auteur d’un mauvais traitement, mais aussi à rendre la
victime apte à prendre la parole, c’està-dire à être entendue dans ses demandes et ses besoins propres, et pas seulement auditionnée pour les besoins de la
procédure. Et à être entendue dans la
mesure du nécessaire et du suffisant,
c’est-à-dire sans avoir par la suite à se
répéter, à s’exhiber, à s’aliéner dans cette
prise de parole, voire à être
«survictimisée» par elle, au point de finir par en perdre le sens et la valeur initiaux.
C’est ainsi que la loi du 17 juin 1998
«relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à
la protection des mineurs» a eu le dou34
ble souci d’améliorer les conditions du
recueil de la parole de l’enfant et de déclencher une série d’actions constitutives d’un statut de la victime présumée :
- réalisation d’une expertise médicopsychologique dès le stade de l’enquête pour apprécier, outre la «crédibilité» du propos de l’enfant, la nature et l’importance du préjudice subi
et pour établir la nécessité éventuelle
de soins;
- information du juge des enfants notamment s’il existe déjà une mesure
d’assistance éducative;
- désignation d’un administrateur ad
hoc si les représentants légaux du mineur ne peuvent ou ne savent pas défendre complètement les intérêts de
l’enfant;
- désignation d’un avocat d’office en
cas de constitution de partie civile.
Le nécessaire
accompagnement de
l’enfant au long de la
procédure judiciaire
Ces initiatives relèvent du procureur de
la République ou du juge d’instruction,
et on peut interroger les raisons historiques, idéologiques et politiques (1) pour
lesquelles elles ne s’imposent qu’en cas
de saisine de l’autorité judiciaire pour
des infractions sexuelles (commises en
famille, en institution ou par un tiers inconnu de l’enfant), et pas tout aussi systématiquement pour des mauvais traitements physiques ou psychologiques.
C’est dans l’ensemble de ces situations
en effet que la procédure judiciaire devrait pouvoir mobiliser les moyens de
prendre en considération les besoins spécifiques et souvent immédiats de l’enfant en matière de protection et de soins,
puis en matière de représentation et de
JDJ n°194 - avril 2000
réparation du préjudice si l’infraction et
le préjudice sont avérés, et ceci tout en
permettant à l’instruction de suivre son
cours.
Ces besoins doivent d’ailleurs être satisfaits même et peut-être surtout si, faute
de preuves, le procureur est amené à procéder à un «classement sans suite» ou si
le juge d’instruction est amené à prononcer un non lieu. Il faudra en effet, dans
ces cas, pouvoir et savoir prendre le
temps d’expliquer à l’enfant qu’il n’est
pas pour autant considéré comme un
menteur et un persécuteur d’adulte —
ce qui déclencherait chez lui un cruel
sentiment d’injustice et de culpabilité
redoublées dont personne et particulièrement un enfant ne sort tout à fait indemne —; de lui expliquer que la justice a ses règles et que, si son agresseur
n’est pas sanctionné — le prononcé
d’une sanction sévère n’étant d’ailleurs
pas toujours le souhait primordial de
l’enfant —, c’est du fait de l’insuffisance
des éléments pouvant avérer qu’il a
transgressé un interdit et non pas parce
que cet interdit est aboli; et lui dire que,
bien au contraire, la question de cet interdit a systématiquement été la norme
de référence de la procédure.
Une petite fille de douze ans abusée
sexuellement à plusieurs reprises par son
beau-père, et longtemps non crue par sa
mère, me disait récemment : «Je préfère pas qu’il aille en prison, parce que
*
Pédopsychiatre, médecin de santé publique, médecin-chef du secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Beaumont-sur-Oise/Domont, coordinateur
du Réseau d’informations sur le développement social à l’ODAS (Observatoire national de l’action
sociale décentralisée)
(1)
La loi du 17 juin 1998 a été préparée par le cabinet Toubon, dans les décours immédiats de l’affaire Dutroux, avant d’être partiellement remaniée
quant à son contenu, mais pas quant à son champ
d’application, par le cabinet Guigou.
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
ma mère m’en voudrait encore plus.
Mais il faut qu’on lui dise que ce qu’il a
fait n’est pas bien, que ça m’a fait mal (2),
et que maintenant on me laisse vivre
avec mon père et ma belle-mère, comme
je l’ai souvent demandé». Elle veut tout
simplement qu’on énonce clairement
l’interdit à son beau-père et que, quant
à elle, on accepte enfin d’entendre ce
qu’elle dit quand elle le dit.
L’audition de l’enfant en justice — ou,
plus exactement, son écoute — doit donc
être un processus continu réalisé dans
le souci de l’intérêt de l’enfant et pas
seulement un moment inaugural conçu
et perçu comme réalisé dans l’intérêt
prévalent d’une bonne justice.
C’est pourquoi la systématisation (théorique) de l’enregistrement audiovisuel de
la déposition de l’enfant prévue elle
aussi par la loi du 17 juin 1998 et pour
les seules infractions sexuelles est loin
d’être une fin en soi. Elle vise certes des
objectifs légitimes et pertinents : éviter
la réitération de récits pénibles, qui induit le double risque supplémentaire du
sentiment de ne pas être cru d’emblée et
de l’exposition à des pressions internes
ou externes visant la modification du
récit initial ou la rétractation; éviter aussi
et autant que possible la confrontation
avec l’agresseur présumé. Mais, en tant
que modalité d’écoute, de recueil et de
conservation du témoignage de l’enfant,
son formalisme institutionnel peut devenir prédominant voire envahissant s’il
n’est pas accompagné de la recherche
de la qualité de l’accueil des enfants victimes ou présumés tels dans les commissariats et les gendarmeries. Certes, d’indiscutables efforts de formation des policiers et des gendarmes ont été engagés
en ce sens, et ils doivent être poursuivis.
Mais que penser de ce déficit d’explication qui a amené une jeune fille de seize
ans abusée sexuellement depuis plusieurs années à me confier qu’elle n’avait
pas tout dit «devant la caméra» parce
qu’on ne lui avait pas expliqué le sens
de l’enregistrement et qu’elle avait cru
que ce qu’elle révélait ainsi, au prix de
sa pudeur, pourrait être diffusé à la télévision et vu par ses camarades de classe
et par ses voisins ?
Il faut donc fortement souligner l’importance de l’accompagnement du mineur
- tout au long des auditions, de l’enquête
et de la suite de l’éventuelle procédure
judiciaire - par un tiers : un tiers qui ne
peut pas toujours être le père ou la mère
si, bien sûr, ceux-ci sont impliqués, ou
tout simplement s’ils sont trop meurtris
et trop déroutés par les événements au
centre desquels se trouve leur enfant; un
tiers qui peut être alors un autre proche
de l’enfant, un administrateur ad hoc ou
un professionnel de l’enfance.
La recherche et la mobilisation de ce
tiers doivent être effectuées de façon
particulièrement soigneuse lorsque les
mauvais traitements ont été commis au
sein d’une institution, dans la mesure où
les conditions d’émergence et d’accompagnement de la parole de l’enfant sont
souvent marquées, dans de tels contextes, par l’expérience de la vulnérabilité
partagée.
La parole de l’enfant et des
personnes vulnérables en
institution
Pour et avant que le juge puisse dire le
droit, et que celui-ci soit audible et signifiant pour les membres d’une communauté institutionnelle, il faut que la
parole des enfants et celle des autres
personnes vulnérables de cette communauté aient pu auparavant se frayer un
chemin jusqu’à lui, ou jusqu’à ceux —
représentant l’autorité administrative —
qui sont légitimés à intervenir avant lui
et, chaque fois que possible, sans lui.
Aussi la vulnérabilité ne se définit-elle
pas seulement en référence à la blessure
d’un mauvais traitement ou aux conséquences immédiates d’une carence ou
d’une négligence graves, mais aussi par
rapport à la difficulté ou à l’impossibilité de se faire entendre, par le langage
parlé ou non parlé. De ce point de vue,
l’enfant est ou se sent triplement vulnérable en institution :
- en tant qu’enfant, dépourvu de la capacité juridique à faire valoir seul, et
même en groupe, ses droits généraux
ou spécifiques à l’égard des adultes et
des autres enfants;
- en tant qu’enfant physiquement et
conjoncturellement séparé de ses parents, et confié à cette occasion à des
adultes qui exercent à leur place et au
JDJ n°194 - avril 2000
quotidien toute une partie des rôles et
des fonctions afférentes à l’exercice
de l’autorité parentale et à ses aspects
pratiques;
- le cas échéant en tant qu’enfant entravé dans son expression par le handicap avec lequel il vit.
Mais sont également vulnérables :
- les parents eux-mêmes, surtout lorsque la nature ou le fonctionnement de
l’institution leur adressent un message
implicite de disqualification qui fragilise et dévalorise l’expression de
leurs points de vue et attentes;
- les professionnels de l’institution,
lorsqu’ils se sentent ou qu’ils sont relégués à des taches d’exécution et mis
à l’écart, comme parfois les parents
eux-mêmes, des processus de décision; en outre, pour ceux des professionnels qui ne bénéficient pas de garanties statutaires ou contractuelles
suffisantes, la prise de parole peut être
vécue non seulement comme difficile,
mais aussi comme dangereuse.
À quoi il faut ajouter que, dans le cadre
des institutions dirigées de façon violente, répressive ou carentielle, le sentiment de vulnérabilité attaché à la prise
de parole est de nature contagieuse entre enfants, parents et professionnels, du
fait de l’intensité des processus d’identifications et de contraintes mutuelles qui
s’y déroulent plus ou moins à huis-clos.
Dans de tels contextes, il est tout aussi
dangereux de parler que de se taire. Et
si, pour une raison ou une autre, l’enfant qui a réussi à prendre la parole doit
continuer à séjourner dans l’institution,
il conviendra le plus souvent que l’accompagnement des suites de sa prise de
parole s’effectue de l’extérieur de cette
institution.
Rendre justice
sans la Justice
Lorsque des enfants révèlent d’eux-mêmes ou confirment aux observateurs attentifs — par le langage des mots, des
comportements ou du corps — les vio(2)
Les enfants font souvent le lien entre ce qui est mal
et ce qui fait mal, et c’est sur un tel lien que se
construisent les premières considérations éthiques.
35
A propos d’un ton très «tendance»
par Patrice Dunaigre
On ne pourra que s’interroger sur l’erreur de Messieurs Lassus et Sabourin
de solliciter le Journal du droit des jeunes pour accueillir leurs textes. Car
leurs propos, suffisamment «juteux»,
auraient pu trouver meilleure audience
à paraître dans Gala ou Ho la !, «organes» de presse plus à mêmes de prendre la mesure des frémissements de
dégoût qui agitent ces auteurs face aux
stratégies développées par d’immondes
pédophiles ainsi que leurs complices
pour attirer leurs proies. (1)
L’adjonction de quelques photos choisies au cours de dîners de la Jet Society
n’aurait pas manqué de donner à leurs
propos une caution incontestable. L’on
pourrait, dans ce même souci, leur conseiller utilement de prendre contact
avec les opposants décidés de l’I.V.G.
(H.V.G.?) dont l’on connaît la détermination sans faille, voire de s’associer au
plus vite à ceux et celles qui, avec la
conviction que l’on sait, s’élèvent contre le massacre des bébés phoques et
autres bestioles innocentes.
Enfin, l’assimilation du pédophile et de
ses complices à un serial killer ( en l’espèce Hannibal Lecter, (2) psychiatre,
le hasard faisant quand même bien les
choses) assurerait aux propos de nos
deux auteurs une audience du meilleur
aloi et des royalties (encore elles) qui
ne sont certes pas à négliger pour promouvoir leur juste combat.
Mais, hélas, que d’ingratitude en ce
monde qu’ils ne puissent trouver que
le Journal du droit des jeunes pour en
témoigner. Il nous appartient, bien sûr
de relever avec eux ce défi. Car comme
eux, nous savons que ce monde est traversé par les effets pervers d’une désinformation systématisée, que certains
notables, d’autant plus suspects qu’ils
se targueraient d’une «expérience» (laquelle ?) attestée par une communauté
de professionnels depuis bientôt vingt
ans (quel aveuglement !) sont en fait les
agents souterrains d’un projet visant
à épaissir encore plus le silence qui entoure les abus sexuels à enfants.
Ce travail de taupe (mais pourquoi
vieille ?), vigoureusement dénoncé par
nos deux auteurs, suscitera une légitime inquiétude non exempte d’un délicieux frisson : ne serait il pas là ques-
36
tion de l’ennemi intérieur ? Ah, l’ennemi intérieur, les agents de l’étranger,
les conspirations, les réseaux occultes !
Et ce n’est pas sans nostalgie que quelques souvenirs remontent tout à coup.
En ces temps-là, cette chimère faisait
florès. Il fallait la traquer, la débusquer,
elle était partout. Ce personnage cosmopolite, usant de toutes sortes de masques surtout ceux de la respectabilité,
se dérobait à toute saisie langagière.
Seule la délation, les amalgames de toutes sortes permettaient d’en cerner les
contours. D’où le recours systématique
à la rumeur, au bouche à oreille, aux
sous-entendus croustillants ou sordides : (Vous savez, Untel, il paraît
que....... - Oh non, vous croyez ? ...... Mais oui, puisque je vous le dis,
d’ailleurs...). L’efficacité du procédé
résidant dans l’emploi judicieux des
points de suspension, l’on ne saurait
négliger l’usage discret qu’en font nos
deux auteurs pour débusquer entre les
lignes la duplicité de l’article proposé
par Mr Van Gijseghem.
Le modus operandi est simple. Il s’agit
de se saisir d’un mot pris dans le texte,
de le faire suivre de points de suspension, de le coller à un élément choisi
par «hasard» quelques lignes plus loin,
puis, de donner à ce racolage valeur
d’une démonstration vérifiant l’hypothèse. Nul doute que ce tronçonnage
n’est pas sans évoquer l’ambiance
«serial killer» chère à l’un des auteurs
et pour l’autre vient donner sens à ce
qu’il entend par révisionnisme. L’on
pourrait bien sûr voir en ce procédé
l’indice d’une attention flottante assurant alors au propos la garantie d’une
neutralité toujours requise lorsque
s’impose la nécessité « de mettre des
mots». Neutralité qu’il serait, en l’espèce, excessif de qualifier de bienveillante.
Quoi qu’il en soit de ces digressions, il
nous faut remercier les deux auteurs
de nous préserver de l’aveuglement et
de la surdité que les thèses de Mr Van
Ghijseghem n’auraient pas manqué, à
notre insu, de susciter.
On peut s’étonner sans doute de la méthode utilisée pour ce procès. Elle n’est
pas sans rappeler les procédés qui, il y
a peu, avaient cours dans certains ré-
JDJ n°194 - avril 2000
gimes politiques pas vraiment démocratiques. Mais, comme le note Mr
Sabourin, est-ce vraiment une question
qui ait la moindre importance car la
démocratie, les avocats c’est bien, mais
c’est pas trop porteur du côté frisson.
Néanmoins on peut toujours, pour ce
faire, se rabattre sur une question dont
on ne manquera pas de bien faire entendre la portée signifiante. Qu’en est
il, quelque part, des motivations qui les
«poussent», ces avocats, à défendre
d’aussi abjects individus ?
Question qui en amène d’ailleurs une
autre : qu’en est-il, quelque part, des
motivations qui poussent MM. Lassus
et Sabourin à user d’un tel discours ?
Serait-il abusif d’avancer une hypothèse absolument pas scientifique, rassurons-les. N’auraient-ils pas rencontré dans leurs pratiques et tapies à
l’ombre de leur bel inconscient les figures inquiétantes, inavouables, indicibles d’Hannibal Lecter, ou de
Faurisson ? L’on concevra bien que ce
compagnonnage soit déplaisant à bien
des égards.
Mais que nos auteurs ne s’alarment pas
de cette spéculation insensée, elle n’est
applicable qu’aux autres. Reconnaissons cependant que la lecture des textes de messieurs Lassus et Sabourin
donne quelque légitimité aux interrogations de Van Gijseghem.
Qu’est-ce que cela veut dire en effet
«mettre des mots» si écoute de l’enfant
et audimat sont à ce point confondus?
Bibliographie
Dynastie - Série télévisuelle américaine qui eut son heure de gloire
mais qui peut utilement être remplacée par Dallas - TF1 11h 30 tous les
jours.
*
(1)
(2)
Pédopsychiatre
Paris Match, n° 495, Match de la vie Parisienne
Le silence des Agneaux, Thomas Harris
Press Pocket Policier.
Après s’être dûment imprégné des «réflexions» de Messieurs Lassus et
Sabourin, le lecteur pourra éventuellement
se risquer à consulter l’ouvrage de Mr Van
Gijseghem, Us et abus de la mise en mots
en matière d’abus sexuel, Méridien Psychologie
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
lences, carences ou négligences graves
dont ils sont les victimes dans leur famille ou dans leur institution, leur rendre justice ne passe pas nécessairement
ou exclusivement par une procédure judiciaire d’emblée.
Des enquêtes, des interventions, des décisions, des soutiens et des sanctions bref
des responsabilités de nature administrative peuvent et doivent être aussi activés d’emblée, et contribuer d’ailleurs
à fonder l’intervention judiciaire éventuelle.
• S’agissant des mauvais traitements
intra-familiaux avérés, présumés ou
potentiels, on commence en effet à
mieux repérer les problèmes posés par
les tendances actuelles à la
«surjudiciarisation» des réponses sollicitées par les professionnels en direction
de familles socialement, économiquement ou culturellement fragilisées et isolées.
S’il apporte aux enfants, aux parents et
aux professionnels les garanties d’une
procédure contradictoire, le signalement
judiciaire peut en revanche présenter à
plus ou moins long terme une série d’inconvénients pour tous quand il s’avère
intempestif ou excessif et inapproprié :
- il peut entraver l’efficacité des interventions des procureurs et des juges
des enfants, notamment en cas de recours abusif à la transmission directe
de signalements qui viennent par leur
nombre emboliser leurs cabinets;
- il apporte souvent un sentiment de
fausse sécurité aux auteurs des signalements quand, par manque d’éléments suffisants pour engager et mener l’action judiciaire, le Parquet est
amené à prononcer un classement
sans suite, puis le juge d’instruction
ou le juge des enfants à prononcer un
non-lieu, dont on a dit qu’ils peuvent
être cruellement perçus par les enfants;
- il peut en revanche dramatiser les relations établies entre les parents et les
professionnels de l’action sociale ou
de la santé, en faisant parfois obstacle à la continuité de ces relations et
à la nécessaire confiance mutuelle
sans laquelle elles ne peuvent devenir et rester opérantes dans l’intérêt
de l’enfant.
Le recours non pertinent au signalement
judiciaire, loin de contribuer à la protection de l’enfance, peut donc au contraire constituer un équivalent de violence institutionnelle. Il peut en effet être
perçu par la famille concernée comme
une intrusion injustifiée dans l’intimité
de sa vie privée; ou comme un renoncement brutal et unilatéral, par les professionnels, à la dimension contractuelle de
l’action préventive préalablement engagée.
En outre, l’accent doit être porté sur
l’évaluation globale du coût et de l’efficacité des suites données aux signalements judiciaires. On sait en effet que
les mesures d’assistance éducative ou de
placement ordonnées par le juge des enfants s’imposent financièrement au Conseil général, ce qui contribue à réduire
d’autant les moyens susceptibles d’être
consacrés aux actions préventives relevant de son initiative et de sa responsabilité directes. Quant à l’efficacité à
moyen terme de ces mesures, on sait
qu’elle est très relative puisque, au plan
national en 1997, 30 % des enfants identifiés en danger dans leur famille avaient
déjà fait l’objet d’un signalement judiciaire dans les cinq années précédentes (3). Cette dernière remarque vise toutefois presque autant les recours aux signalements administratifs, ce qui permet
d’ouvrir l’analyse critique des tendances observées au-delà du seul domaine
de la «judiciarisation» : ce sont en l’espèce moins les outils et les procédures
«classiques» du dispositif de protection
de l’enfance en danger que les façons
de les activer sans retenue, sans souplesse, ou sans accompagnement approprié qui peuvent s’avérer aujourd’hui
problématiques.
• S’agissant des mauvais traitements
commis dans les institutions sociales
et médico-sociales régies par la loi du
30 juin 1975, les autorités administratives de l’État sont particulièrement fondées à intervenir pour contribuer à «rendre justice» aux enfants et aux personnes vulnérables qui en sont victimes,
comme le rappelle la circulaire du 5 mai
1998 de Martine Aubry aux préfets et
aux directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales (4). Un guide
méthodologique à l’attention des méde-
JDJ n°194 - avril 2000
cins inspecteurs de la santé publique et
des inspecteurs des affaires sanitaires et
sociales, publié par la Direction de l’action sociale en juin 1999 et intitulé «Prévenir, repérer et traiter les violences à
l’encontre des enfants et des jeunes dans
les institutions sociales et médico-sociales», explicite les modalités d’application de cette circulaire ministérielle.
Après avoir précisé en quoi doit consister une démarche d’accompagnement et
de contrôle de ces institutions dans une
perspective de prévention et de repérage
des risques de violence, ce guide décrit
les modalités de réalisation d’une mission d’intervention des autorités administratives dans le cadre d’une situation
de crise identifiée. Il est clairement indiqué que si, à l’occasion de cette mission, l’inspecteur ou le médecin inspecteur a connaissance d’un crime ou d’un
délit commis à l’encontre d’un mineur,
il doit en vertu de l’article 40 du Code
de procédure pénale en aviser sans délai
le procureur de la République (5). Mais
il doit aussi veiller à l’accompagnement
et au traitement de la crise ayant motivé
la mission d’inspection, que celle-ci ait
abouti à une saisine judiciaire ou seulement, si l’on peut dire, à une information au Préfet par un rapport d’inspection également communiqué à l’organisme gestionnaire de l’institution en
question.
«L’inspection met au grand jour la crise,
elle fait naître ainsi de nouveaux dangers qui nécessiteront non seulement une
vigilance accrue, mais aussi la mise en
œuvre de nouvelles mesures. Il faudra
donc déterminer tout au long de la procédure d’inspection les moyens mis en
œuvre pour assurer la sécurité des enfants et des jeunes, en mesurant ces nouveaux dangers, pour assurer la qualité
de la prise en charge, la poursuite des
soins. (...) Face à ces bouleversements,
il conviendra d’apaiser les inquiétudes
et de traiter le traumatisme :
(3)
Source : «Protection de l’enfance en danger : mieux
comprendre les circuits, mieux connaître les dangers», Odas, février 1999.
(4)
(5)
Circulaire DAS n° 98/275 du 5 mai 1998.
La même conduite doit d’ailleurs être préconisée
pour tous les types d’institutions, qu’elles accueillent des mineurs, des adultes handicapés ou
des personnes âgées.
37
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
- informer la communauté des enfants
et des jeunes de la situation et des
mesures prises;
- donner régulièrement aux parents des
informations sur l’évolution de la situation, les actions entreprises, les
suites données;
- proposer à l’organisme gestionnaire
la mise en place d’un suivi psychologique des victimes de violence et des
autres enfants ou jeunes témoins de
ces violences, afin de prendre en
compte le stress post-traumatique;
- envisager un suivi de la communauté
professionnelle culpabilisée ou traumatisée par des révélations concernant des collègues proches; tenter
d’éviter les clivages entre partisans et
adversaires, et une réaction de repli,
face à des demandes vécues comme
persécutrices;
- remobiliser rapidement l’équipe de
l’établissement dans une réflexion sur
la poursuite de la prise en charge, les
modifications nécessaires, les remises
en cause des pratiques; etc.»
Suivent une série de recommandations
portant sur les motifs et les modalités
de l’éloignement de l’agresseur présumé
— et non pas du ou des enfant(s)
victime(s) — voire de la fermeture de
l’établissement.
Le point important sur lequel insistent
ces différentes recommandations est que
l’objectif prioritaire à viser, une fois que
la parole de l’enfant a été recueillie et
reconnue comme crédible ou que ses
appels à l’aide et ses comportements de
détresse ont été perçus et décodés, est
un objectif de sécurisation à la fois physique, affective et psychique. Toute institution doit veiller en temps normal à
garantir cette sécurité aux enfants — et
plus généralement aux personnes vulnérables du fait de leur âge, de leur handicap ou de leur dépendance — qu’elle a
pour mission d’accueillir et/ou de soigner (6). Mais en situation de crise, cette
dimension essentielle de l’accueil et du
soin devient plus indispensable que jamais.
Mieux encore, l’expérience clinique enseigne que l’engagement d’un soutien
psychologique ou d’un soin psychothérapique ne peut s’effectuer et se pour38
suivre valablement que si les conditions
concrètes de cette sécurité sont préalablement réunies et vérifiées par l’enfant
dans la réalité de sa vie quotidienne au
sein de son environnement, institutionnel comme familial.
Rendre justice à l’enfant victime de
mauvais traitements intra-familiaux ou
institutionnels consiste donc tout
d’abord à lui confirmer officiellement
que l’agression qu’il a subie est injuste
et condamnable en même temps qu’à
faire cesser dans les meilleurs délais
possibles les circonstances qui ont permis à cette agression de se produire,
voire de se reproduire. C’est à ces conditions aussi que l’enfant pourra devenir un véritable acteur de la procédure
administrative et/ou judiciaire le concernant, ou tout du moins un sujet — et pas
seulement un objet — de la protection
et de la réparation qu’elle doit lui garantir. La procédure judiciaire et/ou administrative instituée pourra alors lui
apparaître comme le prolongement rassurant du risque qu’il aura pris, à l’égard
de sa famille ou de l’institution où il vit,
en réussissant à faire entendre ou reconnaître, de sa position de sujet fut-il vulnérable, les violences, carences ou négligences graves qu’il y a subies.
En résumé, l’enfant qui prend la parole
en tant que victime ne pourra continuer
à la garder en tant que sujet que s’il a
tout d’abord obtenu la sécurité qu’il recherchait en première intention. Rendre
justice pourrait alors consister à restituer
à l’enfant victime son statut d’enfant
sujet, le statut de victime apparaissant
de ce fait comme initialement nécessaire, mais aussi comme nécessairement
transitoire.
Alors peuvent s’instaurer le temps et
l’espace de l’éventuel traitement de l’enfant, mais aussi et parfois surtout du traitement de la situation à laquelle il a été
exposé, ces traitements étant le cas
échéant assortis, selon les rythmes et les
logiques de la justice pénale, de la sanction de l’agresseur et du prononcé des
(6)
Cf. Gabel M., Jésu F., Manciaux M. (dir.) : «Maltraitances institutionnelles - Accueillir et soigner
les enfants sans les maltraiter», Éditions Fleurus,
1998, 306 p.
JDJ n°194 - avril 2000
mesures de réparation des préjudices
dont il est la cause.
Pas de réponse standard
et univoque aux besoins
de soins et de réparation
de l’enfant maltraité
L’inconvénient de certaines procédures
médico-légales et psychothérapeutiques
est qu’elles sont souvent considérées par
ceux qui les appliquent comme devant
être orientées de prime abord par les
seuls faits pénalement qualifiables, par
les seuls signes cliniques imputables à
ces faits ou par les seuls symptômes d’allure post-traumatique; et déterminées
ensuite par les protocoles standards prescrits pour ces catégories de faits, de signes et de symptômes.
L’écoute attentive de l’enfant et des
membres de son entourage, familial et
institutionnel, et l’attention apportée à
leurs besoins et à leurs attentes montrent
cependant que le contexte de survenue
des faits, la personnalité, les difficultés
et les ressources des uns et des autres
nécessitent pour chaque cas l’évaluation
soigneuse, préalable et continue, de la
pertinence des réponses envisageables.
Les différentes composantes de la réponse sociale que constituent alors l’enquête et la procédure pénales, la mise
en place d’éventuels traitements chirurgicaux et médicaux, d’une assistance
éducative, d’un soutien psychologique
doivent être perçues par l’enfant comme
les premiers moyens de sa protection
durable et de la réparation qui lui est due,
plutôt que comme des objectifs en soi.
Protection et réparation ne sont pas les
finalités ultimes de protocoles techniques mais le double socle, pour l’enfant,
d’une reprise de confiance durable en
lui-même et en la société.
Il y a à cet égard deux niveaux de culpabilité de l’enfant à prendre en considération dans le processus tant administratif et/ou judiciaire que thérapeutique :
- la culpabilité d’avoir été ou de s’être
senti partie prenante des mauvais traitements ou des abus, le cas échéant
d’y avoir éprouvé un plaisir masochiste ou d’avoir mesuré de façon ambivalente la relation d’emprise partagée — à travers l’injonction de silence
Méfaits de la psychothérapie ? Controverse
— établie entre la victime et son agresseur : il s’agit ici d’une culpabilité intime, le plus souvent de source inconsciente;
- la culpabilité d’avoir, en ayant révélé
les faits, acquis un statut de victime
reconnue et parfois valorisée à l’excès, et surtout d’avoir déclenché une
chaîne de réactions au cours desquelles l’adulte ou les adultes impliqués
se défendent puis sont punis comme
des enfants : il s’agit ici d’une culpabilité sociale, mais pas toujours facile
à analyser pour autant dans la mesure
où elle peut interagir avec des fantasmes inconscients.
Plutôt que d’être systématiquement éradiqués, ces deux niveaux de culpabilité
doivent être reconnus et travaillés dans
l’optique non seulement d’une mise à
jour mais aussi d’une explicitation simultanée de leur sens intime et de leur
portée sociale. La réponse administrative et/ou judiciaire, dans ses délais, ses
formes et ses contenus, devrait donc
prendre en considération, outre la nécessité de la protection de l’enfant et celle
de la sanction de son agresseur, la possibilité que s’instaure un travail de dépassement des culpabilités en jeu. Mais
si le rôle de l’autorité administrative et/
ou judiciaire est d’énoncer et de restaurer l’interdit, il n’est pas de traiter ces
culpabilités, aussi étroitement liées
soient-elles à la fréquentation subie des
zones de transgression de cet interdit. En
revanche, ce traitement est par essence
au cœur du projet thérapeutique, voire
psychothérapique, dont les objectifs et
les modalités doivent être discutés avec
l’enfant lui-même.
En d’autres termes, il faut que l’ensemble de la réponse puisse aider à la réparation symbolique de la transgression et
au dépassement du traumatisme affectif
attribué à celle-ci, car c’est sur cette
transgression et sur ce traumatisme
éprouvé que se cristallise fondamentalement le vécu du mauvais traitement ou
de l’abus. À défaut de quoi, c’est le statut de sujet désirant qui risque de rester
difficilement accessible à l’enfant - et
difficilement reconnu par son entourage - s’il ne peut sortir de sa position
d’objet du désir (sexuel, de destruction,
d’emprise) accompli à son encontre par
son ou ses agresseurs. L’autorité administrative et/ou judiciaire, en énonçant
l’interdit de la transgression - c’est-àdire de l’effraction ou de l’aliénation du
corps et du psychisme, de l’abolition des
frontières sexuelles intergénérationnelles, intra-familiales, intra-institutionnelles -, doit pouvoir rétablir des barrières extérieures, sociales et symboliques,
là où elles avaient pu momentanément
s’effondrer dans la conscience de l’enfant. Le rappel d’une obligatoire nécessité de garantir les distances entre les
êtres est alors le point de départ d’une
mise à distance du traumatisme, des
émois qu’il a suscités, de la perte d’estime de soi mais aussi parfois des «bénéfices secondaires» compensateurs
qu’il a pu occasionner. Le point de départ,
par
conséquent,
du
réinvestissement par l’enfant de ses relations amicales, fraternelles, de voisinage, de ses activités scolaires, culturelles, de loisirs après que l’événement
traumatique aura pu retourner au secret
de la vie psychique où il restera désormais confiné, et non pas refoulé, en laissant à l’ébullition pulsionnelle qui s’était
attachée à lui la possibilité de se consacrer à d’autres figures de sa vie désirante
et sociale.
Conclusion : une apparente
digression sur la fonction
préventive du droit civil.
Les considérations développées ci-dessus sont nourries pour ce qui me concerne tant par l’expérience clinique et
médico-légale et par des approches de
santé publique que par une réflexion de
longue date sur les articulations entre les
réponses sociales, administratives, judiciaires et thérapeutiques apportées aux
situations de maltraitances de mineurs.
Elles rejoignent au total les préoccupations formulées par Hubert Van Gijseghem quant aux risques liés aux processus de «survictimisation» de ces mineurs
et proposent même de les étendre bien
au-delà des seules situations de violences sexuelles.
La question de l’intérêt et donc aussi des
limites du statut de victime de l’enfant
maltraité a permis d’interroger en arrière
fond permanent la «fonction curative»
JDJ n°194 - avril 2000
du droit pénal, ou plus exactement les
conditions auxquelles le droit peut permettre aux actions curatives de se déployer au mieux et de produire le
meilleur de leurs effets. Il serait tout
aussi intéressant de s’arrêter un instant,
et pour conclure, sur les effets préventifs du droit, non plus pénal, mais du
droit administratif et du droit civil.
Dans le domaine des institutions éducatives, sociales, médico-sociales, le droit
a un rôle préventif dès lors qu’il les enjoint de garantir et d’évaluer en permanence la qualité des prestations d’accueil, d’éducation et de soins produites
par ces institutions et la sécurité des personnes accueillies. Concrètement, les
normes juridiques doivent veiller et contribuer à ce que les conditions de fonctionnement, les exigences de formation
initiale et continue des personnels, les
projets de service et les projets individualisés, les objectifs de transparence et
d’ouverture soient conçus et mis en
œuvre en mobilisant des principes déontologiques mais aussi éthiques dont les
clefs de voûte sont la responsabilité des
professionnels et le respect envers les
enfants et les familles. S’agissant de ces
dernières, le droit doit leur reconnaître
leur place de partenaires nécessaires et
effectifs du projet éducatif de l’institution pour que celle-ci soit préservée des
risques de dérive totalitaire que leur fait
toujours plus ou moins courir le fait d’assumer des fonctions de suppléance familiale.
Dans le domaine, précisément, de la vie
des familles et de l’exercice de l’autorité parentale, et au-delà du seul champ
de l’assistance éducative, le droit peut
aussi jouer un rôle puissamment préventif chaque fois qu’il permet de préciser
et de normer les statuts mutuels de l’enfant et de chacun des adultes en contact
avec lui au quotidien de la vie familiale,
notamment dans le contexte des familles
désunies et/ou recomposées. La force
préventive du droit, dans le domaine du
droit de la famille, se manifeste entre
autres exemples à propos du droit de la
filiation et à propos du statut du tiers
familial.
L’importance du droit de l’enfant à voir
sa filiation maternelle et paternelle éta-
39
Et si tout le monde
avait raison ?
blies, au moins formellement, peut se lire
à travers les deux courtes observations suivantes.
- Au fils d’une femme ex-prostituée qui ne
peut et ne veut pas lui révéler l’identité de
son père, notamment parce que cela consisterait à lui révéler la nature de son ancien métier, tous les soins psychologiques
nécessaires, mais pas suffisants, sont prodigués à la demande de l’Aide sociale à
l’enfance. L’enfant grandit tout en maintenant, à travers des troubles du comportement de plus en plus préoccupants, sa revendication brouillonne. À peine a-t-il atteint l’âge de la majorité civile qu’il assassine une prostituée.
- Un garçon naît le lendemain du décès de
son père. Il porte son nom, que sa mère
conserve également même quand elle
fonde une nouvelle famille avec un autre
homme. Elle se refuse cependant à lui parler de son père, par crainte de devoir lui
dire quel piètre personnage il était devenu
avant sa mort. Un album photo reste accessible, mais à peine consulté. Malgré une
période identitaire difficile à l’adolescence,
liée à la peur anxieuse et donc agressive
de ne pas comprendre ce qu’on lui propose
d’apprendre au collège, le jeune homme
réussit à former une projet professionnel.
Il est encouragé en cela par son beau-père,
à qui il ressemble étrangement, tant sur le
plan psychologique que physique.
La reconnaissance d’un statut du tiers dans
le cadre des recompositions familiales apparaît aujourd’hui comme indispensable,
au regard notamment de l’observation
«épidémiologique» des contextes familiaux
de survenue des mauvais traitements, en
particulier sexuels, dans ce cadre. Rendre
possible les délégations de rôles, voire de
fonctions, attachés aux attributs de l’autorité parentale serait non seulement utile et
pratique dans la vie quotidienne des familles recomposées, mais aussi structurant
et protecteur pour les adultes (beaux-parents, beaux grands-parents) et par contrecoup pour les enfants (demi-frères, demisœurs, autres enfants) amenés à cohabiter
de fait
Ce sont là autant d’exemples, parmi beaucoup d’autres, qui m’amènent à témoigner :
en tant que pédopsychiatre, médecin de
santé publique et militant des droits de l’enfant, j’ai depuis longtemps relativisé toute
fascination excessive pour le droit pénal
pour concentrer désormais mon attention
et mes attentes sur le droit civil, administratif et de la famille, sur ses applications
réelles et sur ses évolutions nécessaires en
lesquelles je situe l’essentiel du projet consistant à «rendre justice» à l’enfant pour le
rendre moins vulnérable.
40
par Marceline Gabel
«Il est bien à craindre que notre besoin de trouver une «cause ultime»
tangible et unique reste toujours insatisfait» (Freud, 1925).
Pourra-t-on un jour examiner deux éléments de connaissance des abus sexuels de
façon complémentaire, calmement, professionnellement, hors des conflits de personnes, d’école ou d’intérêt ? Pourra-t-on enfin débattre de problèmes aussi graves
en faisant taire les passions, les idéologies dans le seul intérêt des enfants ? Car
enfin, tout le monde a raison !
Oui, les abus sexuels faits aux enfants existent, ils sont nombreux et graves. Les
connaissances sur leur incidence, leurs effets, les facteurs de risque, la nature du
traumatisme, les interventions auprès des victimes et de leur environnement se
multiplient. Aujourd’hui, cette réalité est prise en compte socialement et politiquement, la législation s’est renforcée et le retour au silence est maintenant exclu.
Oui, et en même temps les recherches et l’observation clinique nous montrent aussi
que les fausses allégations existent et que l’acharnement thérapeutique, social ou
judiciaire peut constituer une surviolence faite à l’enfant, voire une victimisation
secondaire. Pour associer ces deux éléments de connaissance et non pas pour les
opposer, observons plutôt en quelques questions élémentaires la réalité des moyens
d’intervention auprès des enfants victimes aujourd’hui.
- Combien de signalements annuels, d’abus sexuels avérés ou «présumés» ? à
l’ASE ? à la Justice ?
- Combien de «non lieux» ou de «sans suite» ?
-
Combien de mois d’instruction avant un jugement ?
Combien de psychothérapeutes compétents disponibles et gratuits ?
-
Combien de centres d’accueil, d’expertise et de traitement des victimes ?
-
Combien d’évaluations qualitatives des parcours d’enfants rentrés et restés
plusieurs années dans un système de «protection» ?
- Combien d’équipements à Paris et combien en province ?
Nombreux sont les magistrats, les thérapeutes, les travailleurs sociaux qui prennent
la mesure du décalage entre l’idéal thérapeutique à atteindre, et la réalité des compétences professionnelles. Ils ne nient pas les abus sexuels, mais ils sont réalistes et
savent que le nombre de thérapeutes capables et gratuits est très largement insuffisant, que la désignation d’un statut de victime est plus incantatoire que thérapeutique... Après dix ans de pratiques, d’observation et de réflexion, ils savent surtout
que la bonne pratique doit se fonder sur le caractère unique de l’enfant et sur les
circonstances particulières de la survenue de l’abus. Ils savent aussi que face à
l’abus, les positions contre transférentielles sont inévitables car l’enfant violenté
inflige à tous les intervenants une attaque de leurs valeurs individuelles, familiales,
sociales, tout autant que de leur déterminisme professionnel.
Alors oui, cultivons le doute, cessons ces joutes intellectuelles déconnectées de la
réalité, oeuvrons ensemble pour améliorer précisément cette réalité, entreprenons
également des études au long cours sur les conséquences des dispositions prises,
cessons de croire que des orientations législatives dégagent ipso facto des moyens
supplémentaires et des pratiques de meilleure qualité.
Chacun a raison : d’une part de nombreux enfants sont gravement abusés sexuellement mais d’autre part nos moyens et nos pratiques ne sont pas à la hauteur des
besoins. Reste que l’abus étant objectivement reconnu et pénalement sanctionné,
nous n’avons pas aujourd’hui le recul nécessaire pour prédire le destin d’un enfant
qui a vécu ce traumatisme, qu’il soit l’objet d’une psychothérapie, d’un placement
ou pas.
Plutôt que des anathèmes, engageons ensemble d’authentiques recherches.
JDJ n°194 - avril 2000

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