La descente aux enfers d`un « chrétien »
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La descente aux enfers d`un « chrétien »
La descente aux enfers d’un « chrétien » Entretien avec Thierry Haas, ex-vice Président de la CFTC Air-France Bernard AUBIN Thierry, quelles ont été les raisons qui ont motivé ton engagement syndical à la CFTC ? Les valeurs défendues par la CFTC sont tout à fait d’actualité. Elles sont en phase avec mes convictions et répondent aux besoins des salariés. Je voulais m’investir dans un travail de proximité, être proche de leurs attentes. La CFTC à Air France, c’était quoi à ton arrivée ? A mon arrivée, la CFTC Air France, c’était un réseau de copains essentiellement centré sur Orly. J’ai voulu professionnaliser le système tout en conservant l’aspect convivial. A l’époque, lorsque j’évoquais la CFTC, on me répondait « c’est quoi » ? Pourtant, la CFTC est l’un des plus anciens syndicats français ! Le syndicat était presque inconnu à Air France. Son principal handicap, c’est qu’il n’est pas très médiatisé sur le plan national. Ses leaders sont inconnus du grand public. L’image de la CFTC n’est pas mobilisatrice, elle n’existe pas. Quelles ont été tes premières initiatives de militant ? Je me suis fixé un grand challenge : implanter l’image de la CFTC à Air France chez les hôtesses et stewards (le Personnel Naviguant Commercial). Nous avons travaillé 2 ans pour aboutir à la création d’une véritable identité de la section syndicale PNC d’Air France. A l’issue de cette période, les fruits ont germé. Nous avons récolté des masses d’adhésions. Avec quelle recette ? J’ai tout d’abord créé une équipe de militants pour m’épauler. J’ai réalisé une détection de potentiel. Chez les personnes contactées, je recherchais des convictions, de l’abnégation. Et j’ai soigneusement évité de recruter des frustrés. La mayonnaise a-t-elle pris ? Quand l’investissement syndical devient un plaisir plutôt qu’une contrainte, un militant ne compte plus ses heures. Dans une équipe motivée, 2+2, ça ne fait pas 4, ça fait 8. L’émulation multiplie les énergies et les résultats. La section PNC d’Air France a multiplié son nombre d’adhérents par 6 entre 2004 et 2008. Quel fut l’impact de cette dynamique sur les élections professionnelles ? En 2003, la CFTC PNC Air France poursuivait son long déclin avec 300 voix aux élections professionnelles. En 2005, seulement 6 mois après mon arrivée au syndicat, la dynamique que j’ai lancée a permis de doubler le nombre de voix. Aux élections de 2007, le score a atteint 1600 voix. C’est cette seule progression qui a permis à la CFTC Air France, toutes sections confondues, de gagner considérablement en représentativité. Hormis le syndicalisme de proximité, la CFTC Air France s’est-elle intéressée aux grands sujets d’entreprise ? La colère des salariés a éclaté en 2007. Depuis de nombreuses années, les chiffres d’AirFrance KLM sont en progression alors que dans le même temps, les conditions de travail et de rémunération se sont dégradées. Ce contentieux avait débouché sur 5 jours de grève à Air France avec un taux de participation de 80 %. Du jamais vu depuis des années. La CFTC PNC a joué un rôle prépondérant dans cette action. Pour créer le rapport de force, nous avons été les moteurs d’une démarche intersyndicale. Cette initiative m’avait valu de nombreuses critiques en interne, mais les avancées obtenues à l’issue de l’action ou prouvé son efficacité. As-tu rencontré des difficultés dans l’exercice de tes missions ? Nous avons enregistré de forts progrès malgré un contexte interne peu favorable. Nous n’avions pas de soutien financier pour appuyer nos démarches. La CFTC Air France était en proie à de nombreuses luttes intestines, et nous avons perdu énormément de temps à répondre aux attaques internes et à des mails sans intérêt qui ont parasité développement du mouvement. Comment peux-tu expliquer ce climat ? A la CFTC Air France, chacun vit dans sa propre bulle et personne ne se soucie de la section voisine. La CFTC AF, c’est un amalgame d’individualités sans véritable souci de l’intérêt commun. La seule fois qu’on a entendu parler de la CFTC AF dans les médias, c’est à l’occasion d’un conflit PNC… Et à cette occasion, nous avons été relayés par les télés, les radios et la presse écrite. Lors d’un conflit touchant le personnel au sol, j’ai été sollicité par des journalistes qui avaient conservé mes coordonnées. Personne ne répondait à leurs appels le week-end. Je leur ai transmis les informations qu’ils attendaient.. Est-ce la raison pour laquelle ce syndicat avait été mis sous tutelle par la Fédération Générale des Transports CFTC ? Quand je suis arrivé, la tutelle était en place et j’en ignore les raisons précises. Toujours est-il que la fin de cette tutelle devait être un tremplin vers un nouveau départ. Il s’agissait en principe de mettre en place une équipe ayant pour objectif de travailler ensemble. Je me suis présenté comme conseiller, je n’ai pas été réélu. Comment peux-tu expliquer cette volte-face, surtout au regard de tes résultats ? Dans cette élection, il n’y a pas eu d éthique, pas de déontologie, pas de reconnaissance. La tête de l’équipe sortie des urnes est désormais constituée de personnes partant en retraite dans 3 ans. Quelle implication peut-on en attendre ? L’un deux s’est illustré en étant candidat par deux fois sur des listes politiques différentes. Où est l’indépendance politique dont la CFTC se revendique ? J’ai appris après le conflit que certains m’avaient prêté des propos que je n’avais jamais tenus et qui ont contribué à faire basculer le vote contre moi. Tu as donc été viré comme un malpropre ? Notre congrès s’est déroulé le 3 juin. Le bureau central m’a envoyé dans la foulée une lettre avec AR que j’ai reçue le 6 juin. C’était une convocation à un entretien individuel le 10 juin. Je m’y rendu avec 2 délégués. Le nouveau président du syndicat a refusé leur présence et du coup, nous sommes partis. On m’a d’ailleurs accusé de ne pas être venu ! Pendant mes vacances, le 26 juin, j’ai reçu une seconde lettre en recommandé avec AR m’informant que tous mes mandats avaient été retirés. C'est-à-dire ? J’étais vice-président de la CFTC Air France, membre du bureau central, et responsable de section PNC. Aujourd’hui je n’ai plus la moindre responsabilité à la CFTC Air France. Comment peut-on débarquer quelqu’un qui peut afficher des résultats sans précédent ? La CFTC Air France est un amalgame de corporatismes, d’antagonismes et de jalousies. Il y a de nombreuses rivalités entre PNC et le Sol. Le succès fait peur, il renvoie les personnes à leurs propres carences. Les clés du succès, c’est le travail, la créativité et une remise en cause permanente de soi. Des efforts que tout le monde n’a pas envie de produire, malgré les menaces relatives que fait peser la réforme de la représentativité. En un mot, les compétences, ca gêne ! On est loin d’une dynamique fondée sur les valeurs, le partage et les performances ! Il faut se poser la question : pourquoi se développe-t-on chez les PNC et pas ailleurs à Air France ? On travaille en réseau lorsque l’on veut se développer. C’est ce que j’ai fait dans ma Section. A contrario les autres Sections ont développé un esprit clanique. Si le réseau c’est l’ouverture, le clan c’est le repli sur soi même, la défense de ses intérêts propres et non de ceux des salariés. C’est ainsi que fonctionne la CFTC Air France. Cet état d’esprit se traduit jusque dans les négociations. L’inquiétude, c’est de s’assurer que l’autre n’aura pas plus, voire aura moins que la section d’en face ! As-tu récolté quelques soutiens dans cette épreuve ? Le responsable de la CGT PNC m’a appelé. Il a mis de côté son étiquette syndicale. On a parlé d’homme à homme. Il s’est comporté comme un représentant du personnel qui constate une injustice. … J’ai retrouvé plus de réconfort chez les militants d’autres syndicats que dans mes propres structures. Si le travail que j’ai mené à la CFTC n’a pas toujours été reconnu chez nous, il a forcé le respect des militants des autres syndicats. Que devient ton équipe après ton éviction ? Il règne aujourd’hui un climat de haine à Air France. Malgré les reproches, les menaces, les chantages, les convictions de certains délégués du personnel restent intactes. Mais je ne peux passer sous silence l’éc urement de ceux qui se sont impliqués à fond. Nous sommes perplexes sur l’avenir de la CFTC et nous nous interrogeons sur les valeurs qu’elle prétend défendre. Après le Congrès de la CFTC Air-France, la chasse aux sorcières ? 4 autres délégués viennent juste d’être débarqués. En principe, je ne devais plus pouvoir continuer des négociations importantes que je menais avec Air France dans l’intérêt des salariés. Mais comme mes compétences à ce niveau ont été reconnues comme indispensables par un autre syndicat, celui-ci s’est proposé de me nommer comme « expert » pour me permettre de poursuivre les négociations. Les plus hautes instances de la CFTC n’ont-elles pas pu intervenir pour défendre le militant que tu es ? Il existe un principe à la CFTC : la subsidiarité. C’est un principe digne de Ponce Pilate. Il permet aux instances supérieures de se défausser, de se réfugier dans une certaine zone de confort plutôt que de prendre leurs responsabilités. Ce concept typiquement CFTC est une porte ouverte à toutes les magouilles, à toutes les injustices, et à tous les dysfonctionnements. Quel enseignement tires-tu de cette expérience ? Je suis arrivé à la CFTC avec des convictions et la volonté de faire bouger les choses. A ce jour, la CFTC Air France reste gangrénée et mon action n’a pas permis de soigner le mal. S’il n’y a pas un sursaut de la part de ceux qui y croient encore, j’ai peu d’espoir pour l’avenir de la CFTC. Mon éviction est un acte d’euthanasie pour la CFTC Air France. En limogeant ses militants, la CFTC adopte une attitude suicidaire qui devrait bientôt connaitre un épilogue douloureux Je reste fier du bilan que je laisse aux salariés.