L`AVC - Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec
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L`AVC - Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec
sommaire V O L U M E Résumé La présente étude visait à examiner comment l’accident vasculaire cérébral (AVC) dont est victime une personne affecte le bien-être de son conjoint et la relation de couple. Six couples ont été suivis au cours de la période de réadaptation en établissement et dans leur milieu de vie. L’étude a révélé qu’à la suite de l’AVC les personnes atteintes et leur conjoint ont senti le besoin de redéfinir leur identité, puis leur relation de couple. Les clients devaient s’adapter aux transformations de leur corps, et leur conjoint, se redéfinir en fonction de nouveaux rôles et responsabilités à assumer. Le besoin de repenser la relation de couple était lié aux changements que vivaient les deux conjoints. Les résultats de l’étude montrent que les infirmières doivent tenir compte des conséquences d’un AVC sur le client, son conjoint et la relation de couple, afin de pouvoir intervenir de façon à faciliter l’adaptation dans un contexte de changement. Abstract The purpose of this study was to examine how stroke in one partner affects the personal well-being of the other partner and the couple’s relationship. Six couples were followed throughout the rehabilitation period in the rehabilitation center and community setting. Study findings revealed that following the stroke, both patients and their spouses needed to redefine who they were and then redefine their couple relationship.The patients had to adapt to changes in their body and it’s functioning. For the spouses, the need to redefine who they were was related to changes in their roles and responsibilities. For the couple, the need to redefine the relationship was related to the changes in both partners.The results of this study suggest that nurses consider the effects of stroke on the patient, the spouse, and the couple relationship and focus nursing interventions that facilitate the need to redefine themselves within the context of change. 8 N U M É R O 5 Sc i ences L’AVC et ses conséquences sur le client, son conjoint et la relation de couple PAR SHARON HARVIE, INF., M.SC.(A.), LAURIE GOTTLIEB, INF., PH.D. ET FLORA MADELINE SHAW, INF., PH.D. (Traduction de A Whole New Way of Being: the Experience of Stroke Patients, their Spouses, and the Couple) es maladies cardiovasculaires, le cancer et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ont surclassé les maladies infectieuses parmi les principales causes de décès, au Canada. Toutefois, des statistiques récentes indiquent une baisse de la fréquence des AVC et un accroissement du taux de survie. En effet, environ 70 % des victimes d’un AVC survivent aux 30 premiers jours suivant l’attaque (Statistique Canada, 1994). Comme l’âge moyen des survivants est 65 ans et plus, l’AVC est considéré comme une maladie de personnes âgées. En outre, cette situation de santé est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes (Statistique Canada, 1995). Compte tenu du fait que 83,1 % des hommes et 61,3 % des femmes âgés entre 65 et 69 ans sont mariés (Statistique Canada, 1993), il est justifié d’examiner les conséquences à long terme sur le plan de la relation de couple. L La relation de longue durée et la maladie De nombreux auteurs affirment que la relation de couple est la relation la plus importante pour les personnes qui sont à la fin de la cinquantaine ou plus âgées (Glenn, 1975). En outre, le mariage serait une source importante de soutien social pour les personnes âgées (Carstensen et al., 1995) et un élément clé de leur capacité à composer avec la maladie chronique (Corbin et Strauss, 1988). Les recherches sur le mariage de longue durée révèlent qu’une union harmonieuse est un facteur de santé physique et de bien-être psychologique (Kaslow et Robinson, 1996) et que l’intimité est un élément essentiel des relations de couple qui durent depuis 20 ans et plus. En effet, l’intimité peut influer sur la qualité de la communication entre les conjoints et sur leur engagement dans le couple (Kaslow et Robinson, 1996). L’intimité serait définie comme une expérience qui permet à deux personnes de partager une vision commune de leur relation (Rampage, 1994). Il a été démontré par des chercheurs que le mariage a une incidence sur la santé physique et mentale des personnes (Campbell, 1986 ; Ross et al., 1990). Le soutien social, qui se manifeste par l’estime, le soutien émotionnel, le partage d’information et la participation aux tâches, est un des principaux rôles des conjoints et serait le facteur principal qui contribue à prévenir la maladie chez ces personnes ou à en amoindrir les effets (Cutrona, 1996, 1986 ; Ross et al., 1990). Par ailleurs, des auteurs ont mis en évidence que, lorsque la santé d’un des conjoints décline, la relation de couple est fortement perturbée ; l’autre conjoint peut même éprouver des problèmes de santé (Rolland, 1994). La survenue d’une maladie chez un conjoint entraîne souvent une réduction des contacts sociaux (Lyons et al., 1995) ainsi qu’une redistribution des rôles et des responsabilités dans le couple (Robinson,1990). La relation de couple et l’AVC La recherche empirique montre que la façon dont un couple s’adapte aux conséquences d’une maladie est un facteur déterminant de son bien-être (Campbell, 1986 ; Ross et al., 1990). De plus, une relation de couple stable en période de maladie peut accroître la santé physique et psychologique (Ross et al., 1990), réduire les demandes auprès des organismes de services de santé et, conséquemment, diminuer les coûts de soins de santé (Auslander et Litwin, 1990). Les études menées jusqu’à maintenant sur l’AVC ont porté principalement sur l’identification des facteurs de risque (Aho et al., 1980) et de ceux qui influent sur l’état fonctionnel et psychologique des survivants d’un AVC (Astrom et al., 1992). Toutefois, aucune étude n’a évalué les conséquences de l’AVC sur la relation de couple. Par ailleurs, diverses études ont porté sur l’expérience de la personne qui devient le soignant de son conjoint L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC MAI/JUIN 2001 17 Sc i ences Méthodologie La population Cette étude descriptive et exploratoire à cas multiples visait à examiner ce qui arrive aux conjoints et à leur relation, lorsque l’un d’eux est atteint d’un AVC. Six clients, hospitalisés dans une unité d’un centre de réadaptation de la région de Montréal, et leurs conjoints ont été choisis selon les critères de sélection suivants : avoir fait un AVC ou une rechute ; être âgé de 55 ans ou plus ; avoir vécu en couple au moins un an avant l’AVC ; les deux conjoints acceptent de participer à l’étude ; et le couple peut s’exprimer en français ou en anglais. Les couples choisis vivaient ensemble depuis 42 ans en moyenne. L’âge moyen des clients et de leurs conjoints était de 65 ans. Des clients sélectionnés, trois hommes et une femme avaient subi un AVC de l’hémisphère droit et deux clientes, un AVC de l’hémisphère gauche. Il s’agissait d’un premier AVC pour quatre de ces clients, et d’un second pour les deux autres. Ces personnes ont été sélectionnées à l’unité du centre de réadaptation, dans le cadre de la pratique des soins de l’infirmière chercheuse. Pendant le séjour au centre ainsi qu’à leur domicile, les couples ont bénéficié de soins infirmiers, notamment un soutien par l’information, un soutien tangible de même que de l’aide pour fixer des objectifs et résoudre les problèmes. L’infirmière a effectué en moyenne huit visites par client, dont la durée moyenne était de 40 minutes, tout comme les entrevues. La collecte des données Les données démographiques, tels l’âge, le nombre d’années de vie commune et le niveau de scolarité, ont été obtenues au cours de l’entrevue initiale, pendant le séjour du client au centre de réadaptation. Les autres données ont été recueillies au moyen d’entrevues non structurées, par l’observation des participants et par l’étude des dossiers. Une fois établie la relation entre les participants et l’infirmière, celle-ci leur posait des questions ouvertes, du genre : « Parlez-moi de votre AVC et de ce qui s’est passé », « De quelle façon la relation avec votre femme/mari a-t-elle influé sur votre rétablissement ? », 18 MAI/JUIN 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC conjoint ne redeviendrait pas ce qu’il était avant l’AVC. En outre, ils étaient plus déprimés que d’autres soignants et avaient des échanges moins satisfaisants avec leur conjoint. Bien que l’importance de la relation de couple sur la santé soit de plus en plus reconnue, peu de chercheurs ont examiné les effets d’un AVC sur le couple. C’est pourquoi les auteures de la présente étude ont décidé d’examiner l’expérience de la personne ayant survécu à un AVC et celle du couple. ▲ atteint d’un AVC (Purk et Richardson, 1994 ; Schulz et al., 1988). Schulz et ses collaborateurs, notamment, ont mené une étude longitudinale auprès de 162 soignants de personnes ayant subi un AVC, afin d’examiner l’impact psychologique de cette situation de santé sur le principal aidant naturel, habituellement le conjoint, six mois et neuf mois après l’AVC. Au cours de la période étudiée, les conjoints bien portants ont déclaré éprouver une perte importante d’optimisme lorsqu’ils prenaient conscience que leur « Comment ça va entre vous depuis l’AVC ? », « Comment l’AVC a-t-il changé votre vie à la maison ? », « Comment décririez-vous votre couple ? », « Comment votre relation se compare-t-elle à ce qu’elle était avant ? » Des questions plus précises ont permis d’explorer des aspects plus concrets, tels le partage des tâches à la maison, le degré d’intimité entre les conjoints, le processus décisionnel, la diffusion de l’information et la perception de la relation. Les couples ont été interviewés, puis chaque conjoint séparément. Deux couples ont refusé les entrevues individuelles, sous prétexte qu’ils « faisaient toujours tout ensemble ». L’analyse des données À chacune de ses visites, l’infirmière notait des mots et des phrases clés ainsi que des observations pertinentes, puis faisait un compte rendu détaillé dans les 24 heures. Chaque entrevue était enregistrée sur bandes audio et retranscrite immédiatement après la visite. Les données ont été analysées à l’aide de la méthode comparative des constantes (Chenitz et Swanson, 1986). Le cadre d’analyse comprenait des thèmes et des concepts relatifs à l’impact de l’AVC sur la relation de couple, et divers éléments de l’expérience de chacun des conjoints et de celle du couple. Les données brutes ont été classées par catégories, en fonction desquelles chaque personne et les couples ont été comparés. Une relecture et un recodage des données brutes ont permis d’assurer que les catégories s’excluaient mutuellement. Une autre chercheuse a ensuite codé 75 phrases choisies au hasard, en se basant sur une définition et sur un exemple de chaque catégorie. La fiabilité interévaluateurs se situait entre 0,92 et 0,98. À la suite de ce codage, des notes analytiques résumant les aspects marquants des entrevues et les impressions personnelles de la chercheuse ont été consignées sur chaque couple, selon la méthode interactive d’analyse des données (Miles et Huberman, 1994). Enfin, des explications théoriques ont été rédigées et un schéma conceptuel, mis au point. Sc i ences Les résultats L’expérience du client La personne ayant subi un AVC éprouve très fortement le besoin de redéfinir son identité. Cette démarche comprend trois phases distinctes mais interreliées : découvrir qui on est dans un corps devenu étranger ; se réapproprier son corps ; et tester le corps transformé. À la suite de l’AVC, tous les clients ont entrepris un processus de redéfinition de leur identité. « Passer à travers » et « redevenir aussi normal que possible » sont devenus les objectifs à long terme de tous les clients. Ils ont dû tous redécouvrir leur corps et se construire une « nouvelle » identité. Tous les clients ont constaté que la présence et le soutien de leur conjoint leur permettaient de s’adapter. Comme l’explique l’un d’eux, « [...] de pouvoir prendre le téléphone et demander à ma femme de venir au centre était en soi un genre de présence [...] Si tu sais qu’il y a quelqu’un qui est prêt à faire quelque chose comme ça, tu ne n’inquiètes pas. » Toutefois, quand le conjoint n’était pas disponible, les clients ressentaient de la détresse et de la colère. • Se réapproprier son corps — « Une toute nouvelle façon de penser. » Au cours de la période de réadaptation, les clients ont dû se réapproprier leur corps. « C’est une toute nouvelle façon de penser, avoue une cliente. [...] Il faut maintenant • Le corps devient étranger — « Se réveiller dans un que je rédécouvre mon corps et que je prenne conscience corps qu’on ne connaît pas. » de ce qu’il peut faire et ne pas faire. C’est tout à fait nouImmédiatement après l’AVC, les clients ont eu le sentiment veau pour moi. » de ne plus connaître leur corps, à cause des changements Bien que les clients aient continué à faire le deuil de survenus dans leur apparence et leurs capacités : « C’est leur identité, ils ont commencé à s’en construire une noutrès étrange, explique une velle dans un cadre différent, cliente, de se réveiller dans un comme le montre ce témoicorps qu’on ne connaît pas, gnage : « J’ai compris alors mais qu’on croyait si bien con(durant la phase du corps naître. Je ne me sens pas la étranger) que je ne fonctionL’amour du conjoint et même, mon apparence a nerais plus jamais à 100 %. sa capacité à accepter changé [...] le corps que j’ai Mais j’ai aussi compris que je connu toute ma vie est tout retrouverais une grande partie cette épreuve ont aidé d’un coup très différent. Il ne de ce que j’étais et que même les clients à vaincre leur fait pas ce que je lui dis de d’avoir 80 % de mes fonctions détresse. faire [...] » serait bon, compte tenu de ce Les clients ont trouvé très que j’ai vécu et des progrès pénible de se retrouver dans que j’ai faits. » un corps « étranger ». Ils ont Une autre dame raconte : éprouvé de la gêne et du « Je crois que c’est d’avoir à dégoût devant les transformations de leur apparence. En me retrouver, à me redéfinir et à chercher qui je suis dans fait, quatre clients ont refusé de se regarder dans un miroir, un corps que j’ai dû redécouvrir. Tout ça m’a fait réévaet deux d’entre eux ont demandé à leurs amis et connaisluer qui je suis et ce que je veux de la vie. Je dirais sances de ne pas les visiter avant qu’ils se soient habitués même que l’AVC m’a améliorée, que je suis devenue à leur apparence. L’amour du conjoint et sa capacité à quelqu’un de différent [...] J’ai commencé à faire des accepter cette épreuve ont aidé les clients à vaincre leur projets. Maintenant que je connais mieux mon corps, détresse. « Je savais que ma femme m’accepterait, affirme je me sens plus forte. Je peux commencer à penser à un client. C’était certain. Mon AVC n’a rien changé pour l’avenir, mais pas trop lointain, seulement quelques elle. C’est comme ça. » mois à l’avance. » Cependant, avec le temps, les clients ont pris conscience qu’ils ne seraient plus jamais les mêmes, et ils ont vécu • Tester le corps transformé — « Regarde ce que je peux cette perte comme un deuil. Une cliente l’exprime de faire. » façon très émotive : « Je suppose que je suis en train À mesure que les clients se sont adaptés aux transformade réaliser que je ne serai plus 100 % pareille à ce que tions de leur apparence, ils ont commencé à tester les j’étais. » Pour les clients atteints d’un handicap physique limites de leur « nouveau » corps et à négocier, principaréduisant leur autonomie et leur indépendance, le deuil a lement avec leur conjoint, une plus grande prise en charge été plus difficile et plus long. d’eux-mêmes. Les clients qui avaient une relation intime l 20 MAI/JUIN 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC jamais pareille ». Chaque conjoint bien portant a dû réfléchir sur la situation afin de déterminer ce qu’il devait faire pour moins se sentir le jouet des événements. Ces personnes ont aussi vécu le deuil de ce qu’elles-mêmes, leur conjoint malade et leur relation avaient perdu. avec leur conjoint étaient encouragés à devenir plus autonomes. « Mon mari s’occupe beaucoup de moi, dit une cliente, mais il commence à moins s’énerver. Il me laisse pas mal m’occuper de mes affaires, maintenant qu’il voit que je suis de plus en plus capable. Il me surveille et me dit quand j’en ai assez fait ou quand je ne devrais pas entreprendre quelque chose. » Chez les couples qui n’étaient pas très intimes, la question de l’autonomie a soulevé des problèmes, et ils se disputaient fréquemment. Une cliente a exprimé sa frustration parce que son mari refusait de lui laisser plus de liberté : « Je ne peux rien faire. Il me suit même aux toilettes. Partout où je vais, il est là à me surveiller et à me dire ce que je devrais faire et ce que je ne devrais pas faire. C’est mon corps, et je me connais. » L’expérience du conjoint Pendant que les clients commençaient à avoir une perception différente d’eux-mêmes, leur conjoint devait entreprendre une démarche semblable, tout en assumant de nouveaux rôles et de nouvelles responsabilités. Ce processus comporte trois étapes : perdre la maîtrise ; prendre les choses en main ; et trouver un nouvel équilibre. Chez tous les conjoints, la soudaineté de l’AVC a provoqué un choc et de l’incrédulité. Par la suite, comme leur vie de famille se trouvait désorganisée, ils ont éprouvé le sentiment d’être dépassés et que « la vie ne sera peut-être plus • Perdre la maîtrise — « Je me sens si fragile. » Les conjoints bien portants se sentent impuissants et insécures : « Tout est arrivé si vite. On ne se prépare pas à vivre ces choses-là. J’avais l’impression que la famille se désintégrait. Je ne pouvais plus être la même, car tout avait changé. Au début, je me sentais complètement perdue. C’était trop. » Ils réagissent en « se tenant occupés » afin d’avoir le sentiment de maîtriser la situation et pour ne pas penser aux conséquences à long terme que peut avoir l’AVC sur leur vie : « Il fallait que je m’occupe à quelque chose. La situation me dépassait. Quand je m’arrêtais, tout ça me revenait. » Ils prennent la défense de leur conjoint malade : « Je ne voulais pas que le médecin la force à se regarder dans un miroir. Je savais qu’elle n’était pas encore prête. » Enfin, lorsqu’ils se laissent aller à penser à la situation, beaucoup ressentent une grande tristesse. Ils se sentent dépassés et incapables de faire face à cette épreuve : « C’était tout simplement trop. » • Prendre les choses en main — « J’ai besoin de sentir que je maîtrise la situation. » Dans leur réflexion sur leur situation, les conjoints bien portants se sont interrogés sur les causes de l’AVC. Les femmes attribuaient l’AVC de leur époux à l’état de santé avant l’événement, d’où leur attitude de résignation : « Avec son diabète et tout le reste, j’imagine que ça devait arriver [...] Qu’est-ce qu’on peut faire, sinon l’accepter et continuer ? » Les maris, quant à eux, blâmaient plutôt des événements extérieurs : « Peut-être qu’ils lui ont donné le mauvais médicament. » D’attribuer l’AVC à une cause extérieure semblait lié à leur perception d’avoir été incapables de protéger leur femme : « C’est pas facile. Tu te demandes pourquoi c’est arrivé et s’il n’y a pas quelque chose que tu aurais pu faire [...] Elle était tellement impuissante [...] je me disais que j’étais censé la protéger. » Les conjoints bien portants s’interrogeaient également sur les effets à long terme de l’AVC : « Les choses peuvent- L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC MAI/JUIN 2001 21 Sc i ences elles redevenir ce qu’elles étaient ? » Tout en réfléchissant à la permanence de la situation et aux inévitables changements qu’elle entraîne, ils investissaient du temps et de l’énergie à prendre soin de leur conjoint malade, à contenir la désorganisation et à rebâtir leur vie : « J’ai commencé à comprendre que je devais prendre les choses en main. Rien ne sera plus jamais pareil. Si je veux que nous formions encore une famille, c’est à moi d’agir en conséquence. » Pour les conjoints, la décision de prendre soin de l’autre serait liée à leur relation de longue durée : « Elle m’a donné 37 ans de sa vie, c’est à mon tour de lui donner 37 ans de la mienne. » L’expérience du couple L’AVC a obligé aussi les couples à redéfinir leur relation, comme l’illustre la figure ci-dessous. À mesure que les conjoints s’accoutumaient aux changements causés par l’AVC, leurs objectifs personnels convergeaient et leur conception de la relation de couple se transformait. Cette évolution a impliqué deux processus : redéfinir une vision commune et rétablir l’intimité. Toutefois, huit mois après l’AVC, certains couples étaient incapables de dire de quelle façon l’événement avait changé leur relation. Effets de l’environnement 22 MAI/JUIN 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC Relation et expériences passées AVC Partager et communiquer Client • Trouver un nouvel équilibre Afin de prendre soin de leur conjoint malade, maris et femmes ont dû apprendre de nouveaux rôles et acquérir de nouvelles compétences. Cette adaptation a été plus ou moins facile, selon les tâches que chacun avait assumées dans sa vie de couple. Pour ceux dont les rôles avaient été flexibles et interchangeables, les changements ont été moins difficiles à faire que pour les couples qui avaient des rôles bien délimités : « Nous avons toujours partagé les tâches à la maison. Parfois, elle faisait la vaisselle, parfois c’était moi. De faire plus de travaux ménagers ne change pas vraiment grand-chose pour moi. » En revanche, la conjointe d’un client avoue : « C’est tellement difficile. Je n’ai jamais eu à prendre de grandes décisions. Nous en discutions, mais je le laissais habituellement décider. » Les couples qui avaient « toujours fait les choses ensemble » ont pu sans effort trouver un équilibre entre le besoin d’autonomie du conjoint malade et le besoin de faire les choses ensemble. Par contre, les couples qui étaient moins proches et plus indépendants l’un de l’autre ont dit avoir eu plus de difficulté : « Je la laisse habituellement tranquille, dit un conjoint. Je la connais et elle se connaît plutôt bien. Je sais quand elle a besoin de mon aide. » « Je suis son chien de garde, affirme un autre. Il faut que je m’assure qu’elle n’en fasse pas trop [...] Elle ne se connaît pas encore assez bien. » Ayant assumé de nouveaux rôles et de nouvelles tâches, des conjoints bien portants ont commenté ainsi les changements qu’ils vivaient : « Je suis devenue quelqu’un de très différent à cause de tout ça. Avant, je n’aurais jamais pensé à aller trouver le médecin ou l’infirmière pour leur dire que je n’étais pas d’accord avec ce qu’ils faisaient ou bien que je voulais qu’ils fassent autrement. Maintenant, je le fais. C’est mon mari, et il a besoin de moi. J’étais toujours la partenaire silencieuse. Le plus souvent, c’était lui qui parlait pour nous. Maintenant, je m’occupe de ses intérêts [...] je suis devenue plus forte. » Redéfinir son identité Expérience du couple Redéfinir une vision commune et rétablir l’intimité Relation différente Redéfinir son identité Conjoint Effets de l’environnement Les conséquences de l’AVC sur la relation de couple • Créer un sens partagé — « Vivre en couple est préférable à vivre seul. » Les couples ont fait face ensemble à la situation et se sont entraidés dans la gestion de la crise : « Nous faisons partie l’un de l’autre. Après tout, deux valent mieux qu’un [...] Nous avons besoin l’un de l’autre. Elle m’aide et je l’aide. Nous avons besoin de nos forces respectives. » Les couples se sont rappelé comment ils avaient vécu des situations difficiles dans le passé afin de trouver des façons de faire face à la situation présente : « Nous avons traversé des périodes difficiles dans notre vie commune, raconte un client : quand j’ai eu ma première crise cardiaque, à 32 ans, et deux autres avant d’avoir 38 ans, puis un gros infarctus à 42 ans. Nous avions deux enfants et un commerce ; ce n’était pas facile, mais on l’a fait ensemble. On l’a fait à ce moment-là et on va le faire encore. » Un couple, qui était formé depuis moins d’années que les autres couples, a eu plus de difficulté à gérer la crise. Les deux conjoints se sont appuyés sur d’autres membres de la famille plutôt que l’un sur l’autre, comme l’indique la cliente : « Ma famille m’aide, et sa famille l’aide. » Au cours de la phase de réadaptation, les conjoints discutaient de leur façon de gérer la crise : « Nous en parlons beaucoup. J’ai besoin d’en parler pour comprendre ce qui s’est passé [...] Ce n’est pas facile pour lui non plus d’avoir à apprendre à s’occuper de la maison et, en plus, d’avoir à m’écouter. Alors, nous nous aidons l’un l’autre à vivre cette épreuve. » Les couples qui avaient toujours partagé leurs expériences tendaient à être plus réceptifs aux besoins de l’autre : « Nous nous connaissons bien. » Par contre, les couples moins proches ne partageaient pas l’information et avaient de la difficulté à se comprendre mutuellement : « Elle ne me comprend pas », et sa femme de répliquer : « Il n’a aucune idée de ce que je vis. » Les couples ont fait le deuil de leur relation passée ainsi que de leurs projets d’avenir. Ils y sont parvenus en se remémorant ce qu’ils avaient été et les projets qu’ils avaient faits. Ils ont pu ensuite se fixer de nouveaux objectifs et ont imaginé des façons inédites de les atteindre : « Je pensais qu’on ne pourrait plus faire du ski de fond ensemble. Mais mon mari m’a expliqué que, si on skiait dans des sentiers plats, je pourrais alors me servir de mes bâtons comme de cannes. » • Rétablir l’intimité — « Nous recommençons à sentir que nous sommes un couple. » Revenus à la maison, les couples ont dû redéfinir leurs rôles et redistribuer les tâches, comme en témoigne une dame : « Les choses commencent à se replacer. Petit à petit, nous avons l’impression de former à nouveau un couple. » Chez les couples où le conjoint atteint d’un AVC était aux prises avec de nombreuses séquelles, l’adaptation a été plus longue et plus difficile : « Ça n’a pas été facile. Nous avons dû prendre conscience que nous ne pouvions plus tout faire nous-mêmes. [...] Les enfants viennent nous aider. Ç’a été une décision difficile, une grosse déception. » Les couples qui n’étaient pas très proches, plus indépendants, avaient plus de difficulté à redéfinir leurs rôles et à redistribuer les tâches. Ils se disputaient fréquemment, et les changements leur causaient beaucoup de stress : « Les visites à la maison sont plutôt épuisantes [...] On dirait qu’on trouve toujours une raison de se chicaner. » En revanche, les couples qui se définissaient comme « près l’un de l’autre » ont décrit la reconstruction de leur vie commune comme une occasion de se surpasser et ont admis que la maladie les avait rapprochés. ▲ Une adaptation sur plusieurs plans Le processus de redéfinition de son identité en fonction des changements personnels et contextuels s’accomplit tout au long de la vie, mais est souvent perturbé à l’occasion d’une maladie. L’anxiété et l’incertitude inhérentes à cette situation constituent toutefois des facteurs permettant à la personne d’apprendre et d’évoluer (Schumacher et Meleis, 1994). Sc i ences Pour les conjoints ayant subi un AVC, le besoin de se Comme il a été mentionné plus haut, les couples redéfinir était lié aux changements survenus dans leur étudiés vivaient ensemble depuis une moyenne de 42 ans. apparence, à leurs capacités de fonctionnement et à leur Il n’est donc pas surprenant que les conjoints ont fait face façon de percevoir leur corps. Ils devaient donc princiensemble à la crise provoquée par l’AVC. Les écrits traitant palement se familiariser avec leur « nouveau » corps et des relations de couple de longue durée montrent que découvrir ce qu’ils pouvaient faire et ne pas faire. La facil’expérience commune de difficultés et de succès ainsi lité avec laquelle ils se sont adaptés à leur situation a été que l’affection entre des compagnons de vie se fondent en fonction de la gravité de leur AVC et du soutien qu’ils ont une vision commune de la survie à deux qui, à son tour, eu le sentiment de recevoir de leur conjoint. renforce les liens dans le couple (Johnson, 1985). Les clients vivant une relation intime avec leur conjoint Les expériences de vie positives vécues par un couple percevaient celui-ci comme une source d’énergie qui les s’accumulent et peuvent être vues comme un investisaidait à s’adapter aux changements causés par la maladie. sement pouvant contrer les effets négatifs d’une crise Il est possible que l’amour, le soutien et la capacité d’ac(Jacobson et Margolin, 1979). Les conjoints d’un des cepter de leur conjoint leur donnaient l’assurance qu’ils couples étudiés, unis depuis huit ans, ont eu de la difétaient toujours les mêmes personnes. Cette constatation ficulté à s’entraider au cours de la crise. La plus grande confirme la théorie de Bowlby (1988) sur l’attachement partie du soutien a été fournie par leurs familles et leurs au cours de toute une vie, particulièrement durant les amis, avec lesquels ils partageaient une longue histoire périodes de crise. L’attached’expériences communes. ment à une personne proche Cela laisse supposer que les apporte un soutien et une prorelations solides et de longue tection qui aident l’individu à date peuvent offrir plus de affronter les situations de crise. soutien, en période de malaI l est possible que les Les conjoints bien portants die, que des relations plus ont dû, quant à eux, redéfinir récentes. Il est possible que couples formés depuis peu qui ils étaient à mesure que les couples formés depuis peu aient besoin d’aide pour leurs rôles et leurs responsaaient besoin d’aide pour déterdéterminer comment bilités changeaient. Ils se sont miner comment ils peuvent ils peuvent s’entraider adaptés à la désorganisation s’entraider efficacement. de leur vie en assumant des efficacement. rôles et des responsabilités qui … et la communication revenaient auparavant à leur La communication entre les conjoint. Leur adaptation a été conjoints a joué un rôle fonction de la répartition de primordial dans leur entraide. ces rôles et responsabilités dans le couple avant l’AVC. Les En discutant entre eux de leur expérience, les conjoints couples qui vivaient une relation traditionnelle et stéréoont pu ainsi en avoir une compréhension commune. Par typée avaient plus de difficulté et prenaient plus de temps conséquent, ils ont été en mesure de comprendre leurs à s’adapter et à devenir compétents dans leurs nouveaux propres besoins, désirs et objectifs, et ensuite de coordonrôles et leurs nouvelles responsabilités. Cette constatation ner le travail nécessaire pour définir et réaliser un nouveau corrobore les résultats d’autres études portant sur la façon partage de leurs rôles et de leurs responsabilités. En dont les familles s’adaptent à la maladie chronique (Corbin revanche, les conjoints qui ne parlaient pas entre eux de et Strauss, 1988). leur expérience ont eu plus de difficulté à rééquilibrer leur relation. Les avantages d’une relation de longue durée… Par les échanges sur le sujet, l’AVC est devenu pour les Des chercheurs ont montré que le soutien du conjoint conjoints une préoccupation commune dans la relation de constitue une aide importante pour les personnes qui couple. Cette constatation correspond aux résultats vivent des événements difficiles, telle la maladie (Coyne et d’autres études ayant montré que la communication entre Fiske, 1991). En effet, le conjoint est habituellement la preles conjoints favorise l’établissement d’une relation de mière personne sur laquelle le client peut compter. Dans couple harmonieuse (Noller et Fitzpatrick, 1988). Les le présente étude, les conjoints bien portants ont joué un couples qui discutent ouvertement de leur expérience rôle de premier plan dans la redéfinition de la relation de sont mieux à même de comprendre les effets de la maladie couple et ont grandement aidé leur conjoint à apprendre à sur leur relation commune et de mettre au point des stratévivre avec son AVC. gies visant à maintenir une relation équilibrée. i 24 MAI/JUIN 2001 L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC Des recommandations pour la pratique infirmière Compte tenu du besoin des deux conjoints et du couple de redéfinir leur identité après l’AVC, les infirmières doivent considérer les conséquences de l’AVC dans un contexte de transition et, par conséquent, s’assurer que les soins favorisent l’amélioration de la santé à chaque phase de ce processus. Les infirmières ne doivent pas seulement tenir compte des besoins du client hospitalisé, mais veiller à prodiguer les soins continus au client et à sa famille dans leur milieu de vie, et à intervenir de façon appropriée à chaque phase du processus d’adaptation. La présente étude montre que les conséquences de l’AVC ne se limitent pas au client puisqu’elles affectent aussi le conjoint et la relation de couple. Les infirmières doivent donc prendre en considération l’impact de la maladie sur chaque conjoint et sur la relation de couple. Aussi, la pratique infirmière doit s’enrichir de moyens d’appuyer les efforts des conjoints pour se soutenir mutuellement pendant la maladie et pour maintenir leur relation.Toute information sur la façon dont ils se percevaient avant l’AVC et définissaient leur relation fournit de précieux indices sur leur capacité d’adaptation et, à ce titre, devrait être incluse dans l’évaluation de la situation. Ces renseignements permettent de planifier des interventions appropriées auprès de chaque conjoint et auprès du couple, afin de les aider à établir un lien entre leur situation actuelle et leur vie passée, et à faire des projets d’avenir. Ces recommandations sont conformes à l’approche du modèle de McGill. Selon ce modèle conceptuel des soins infirmiers, le rôle principal de l’infirmière est d’aider les familles à renforcer leurs capacités d’adaptation et à utiliser leurs ressources afin d’améliorer leur bien-être et leur qualité de vie, et ce en assurant la prestation de soins coordonnés et continus (Gottlieb et Rowat, 1987). Une intervention appropriée effectuée au moment approprié et l’acceptation par la personne et la famille des interventions proposées sont deux composantes importantes du modèle de McGill (Gottlieb et Feeley, 1995). Bien com- prendre les phases que vivent chaque conjoint et le couple facilite à la fois l’enseignement à donner et l’établissement des résultats escomptés. Cette démarche permet également d’évaluer le moment où ces personnes sont prêtes à accepter le plan d’intervention visant à les aider à s’adapter. Une telle approche est conforme au concept selon lequel des soins infirmiers efficaces doivent être dynamiques, à long terme et adaptés à la situation de santé. Enfin, la maladie ne peut pas être considérée comme une expérience individuelle. Elle doit plutôt être vue comme un événement touchant tous les membres de la famille. De savoir que la relation de couple est un facteur important du bien-être physique et psychologique de la personne devrait inciter les infirmières à donner des soins qui visent à soutenir cette relation, aussi bien en période de maladie qu’en période de santé. Une réflexion à poursuivre Cette étude exploratoire met en évidence la nécessité d’évaluer davantage les effets de la maladie sur la relation de couple. Des études devront être faites pour déterminer les variables particulières qui influent sur la capacité d’adaptation des conjoints. Ces variables pourraient inclure, entre autres, le style de communication dans le couple, le nombre de crises majeures que le couple a vécues et le nombre d’années de vie commune. D’autres recherches sont également nécessaires pour déterminer précisément les façons dont les conjoints s’aident mutuellement à composer avec les conséquences d’un AVC ou d’une autre maladie. Des comparaisons entre des couples unis depuis un nombre d’années différent et vivant des types de relation différents, telles des relations traditionnelles, indépendantes ou interdépendantes, pourraient jeter un éclairage nouveau sur la vie des couples aux prises avec la maladie. Cette information permettrait alors d’élaborer des interventions spécifiques pour faciliter le processus d’adaptation de chacun des conjoints et du couple. F L’INFIRMIÈRE DU QUÉBEC MAI/JUIN 2001 25 Sc i ences Références AHO, K., P. HARMSEN et S. HATANO. « Cerebral Vascular Disease in the Community: Results of a WHO Collaborative Study », Bulletin of the World Health Organization, vol. 58, no 1, 1980, p. 113-130. ASTROM, M., K. ASPLUND et T. ASTROM. « Psychosocial Function and Life Satisfaction After Stroke », Stroke, vol. 23, 1992, p. 527-531. AUSLANDER, G. et H. LITWIN. « Social Support Networks and Formal Help Seeking: Differences between Applicants to Social Services and a Non Applicant Sample », Journal of Gerontology, vol. 45, 1990, p. S112-S119. BOWLBY, J. « The Origins of Attachment Theory », dans A Secure Base, New York, Basic Books, 1988, p. 20-38. CAMPBELL, T.L. 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FLORA MADELINE SHAW est professeure en sciences infirmières, vicedoyenne et directrice de l’École de sciences infirmières de la Faculté de médecine de l’Université McGill.