04-Rubis Pakistan/Vietnam
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Dossier central Les gisements de rubis du Pakistan et du Viêt-nam Garnier Virginie1, Giuliani Gaston2, 1*, Ohnenstetter Daniel1, Kausar Allah Bakhsh3, Hoàng Quang Vinh4, Phan Trong Trinh4, Pham Van Long5 Résumé Les gisements de rubis associés aux marbres du Pakistan et du Viêt-nam sont reliés spatialement à de grandes structures tectoniques et métamorphiques résultant de la collision continentale entre les plaques indienne et eurasienne. La géochronologie indique que ces gisements se sont formés au Cénozoïque, au cours de l’orogenèse himalayenne. La pétrographie précise les conditions de formation des marbres à rubis, à la limite des faciès amphibolite supérieur et granulite (T = 510 à 775°C et P ~ 6 kbar). Par ailleurs, l’étude des inclusions fluides indique que la croissance du rubis gemme se fait au cours de la phase rétrograde du métamorphisme (T = 620 à 670°C et P = 2,6 à 3,3 kbar). L’aluminium et les éléments chromophores du rubis (chrome et vanadium) proviennent des marbres. Les minéralisations à rubis sont limitées à certains horizons de marbres impurs, riches en matériaux détritiques (argiles notamment) et en matière organique, et qui contiennent des niveaux d'évaporites (sels et sulfate). Les rubis se sont formés dans un système fluide "clos" riche en CO2 issu de la dévolatilisation métamorphique des carbonates, en fluor, chlore et bore libérés par les sels fondus (NaCl, KCl, CaSO4). La présence d’évaporites est le point clé pour la formation des minéralisations, le fluor et le chlore permettant la mobilisation de l’aluminium au sein des marbres. Ainsi, les minéralisations à rubis ne se développent que dans des séries méta-sédimentaires de carbonates déposées sur des plates-formes carbonatées dans des environnements ayant tendance à l’endoréisme. Abstract. Marble-hosted ruby deposits from Pakistan and Vietnam are spatially related to major tectonic structures resulting from the continental collision between the Indian and Eurasian plates. The geochronology shows that these deposits formed at the Cenozoic during the Himalayan orogenesis. The petrography indicates that the rubybearing marbles formed at the high amphibolite to low granulite facies boundary (T = 510 to 775°C and P ~ 6 kbar). Furthermore, the study of fluid inclusions underlines the conditions of gem ruby formation during the retrograde metamorphic path (T = 620 to 670°C and P = 2.6 to 3.3 kbar). The aluminium and the chromophorous elements of ruby (chromium and vanadium) originate from the marbles. The ruby are restricted to peculiar impure marble horizons, enriched in detrital minerals (in particular clay minerals) and in organic matter, and intercalated evaporite layers (salts and sulfate). Rubies were formed in a "closed" fluid system, rich in CO2 released during the metamorphic devolatilization of the carbonates, and in fluorine, chlorine and boron released by molten salts (NaCl, KCl and CaSO4). The presence of evaporites is the key point for the formation of these mineralisations. The fluorine and the chlorine liberated from the molten salts allow the mobilisation of aluminium in the marbles. Thus, the ruby mineralisation only developed in meta-sedimentary carbonates originating from carbonated platform in endoreic environments. CRPG/CNRS, UPR 2300, BP 20, 54501 Vandœuvre, France IRD et CRPG/CNRS, UPR 2300, BP 20, 54501 Vandœuvre, France 3 GSP, Geoscience Laboratory, P.O. Box 1461, Shahzad Town, Islamabad, Pakistan 4 Institute of Geological Sciences, CNST, Nghia Dô, Câu Giây, Hanoi, Vietnam 5 Vietnam National Gem and Gold Corporation, 91 Dinh Tien Hoang street, Hanoi, Vietnam * orateur aux Ve Rendez-Vous Gemmologiques de Paris® 1 2 L e rubis est la variété rouge du corindon gemme (alumine, Al2O3). Sa couleur résulte de la substitution de l'aluminium par du chrome au sein du réseau cristallin. Les rubis de la plus belle qualité gemme proviennent des gisements associés aux marbres, notamment ceux d'Asie Centrale et d’Asie du Sud-est. Ces gisements représentent la première source de pierres colorées d'Asie. Ils se rencontrent de l'Afghanistan jusqu'au Viêtnam. Ces rubis sont de très haute qualité commerciale à l’image des rubis de Mogok au Myanmar, d’une couleur intense (parfois "sang de pigeon") et d’une grande transparence. Bien que présentant un grand intérêt commercial, ces gisements ont été peu étudiés du point de vue géologique. Le rubis associé aux marbres pose le problème de la source de l’aluminium et des éléments chromophores associant notamment le chrome et vanadium. En effet, les marbres forment un milieu dépourvu normalement d'aluminium. Par ailleurs, comment ces éléments ontils pu être mobilisés ? Quelle est la nature du fluide minéralisateur ? et son origine : magmatique ou métamorphique ? Contexte géologique des gisements Au Pakistan, les gisements de la vallée d'Hunza et de Nangimali sont situés respectivement dans la chaîne des Karakorum et les formations cristallines du Haut Himalaya (Garnier, 2003). A Hunza, les indices à rubis sont localisés dans des marbres dolomitiques de la formation de Baltit qui est chevauchée par l'unité plutonique d'Hunza (Fig. 1A). Les marbres à rubis sont fréquemment recoupés par des filons soit de pegmatite ou aplite, soit de granite. Les marbres à corindon sont constitués de corindon rouge et/ou de spinelle rose, violet ou bleu ainsi que la pargasite localement appelée "l'émeraude des marbres" (Fig. 1B). Quelques silicates Revue de Gemmologie n° 150 - Septembre 2004 1 Dossier central (suite) Fig. 1A. Les gisements de rubis de la vallée d'Hunza (Pakistan). Vue panoramique sur la vallée d'Hunza montrant le contact anormal entre la granodiorite du Karakorum et la formation métamorphique à rubis de Baltit (photo G. Giuliani). comme la phlogopite, chlorite, margarite, l'amphibole et l'anorthite accompagnent le corindon. Les gisements et indices à rubis de Nangimali se localisent dans les régions de Shonter et Kalejander dans la vallée de Neelum qui appartient au district de Muzaffarabad. Les premiers rubis ont été découverts dans des torrents en 1979. Les minéralisations primaires ont été identifiées lors d'investigations géologiques entre 1988 et 1994 par le Service Géologique du Pakistan. Actuellement le gisement de Nangimali est exploité par la Société minière Azad Kashmir Mineral and Industrial Development Corporation sur les chantiers de Nangimali Top et Khorat (Fig. 1C). Le rubis gemme se trouve dans des marbres blancs à jaunes appartenant à la Formation Nangimali (Malik, 1994). On le rencontre soit dans des bandes carbonatées de couleur grise, boudinées et qui renferment de la pyrite et de la phlogopite disséminées dans les carbo- sodique), larges de 1 à 3 cm et parallèles à la foliation régionale (Pêcher et al., 2002). Au Nord du Viêt-nam, de nombreux gisements de rubis et saphirs, primaires et secondaires (Fig. 1E), se localisent dans la zone de cisaillement du Fleuve Rouge, notamment dans les districts miniers de Yen Bai et Luc Yen (Pham Van, 1996; 2003; Garnier et al., 2004). Les gisements du district minier de Yen Bai se situent dans la chaîne métamorphique du Day Nui Con Voi qui s'étend selon une direction NW-SE, depuis la frontière chinoise à Lao Cai jusqu'à Viet Tri au Nord d'Hanoi. Dans la chaîne du Day Nui Con Voi, le corindon des indices primaires se trouve soit : (a) dans des micaschistes à grenat et sillimanite, et des gneiss renfermant des leucosomes et des filons de pegmatite; (b) dans des amphibolites, métasomatisées lors du métamorphisme en schistes à biotite, les corindons gris à bleus y Fig. 1C. Le gisement de rubis de Nangimali Top (Azad Kashmir, Pakistan) montrant la succession de marbres (blanc) et de calc-schistes (marron). Les déblais de la carrière de rubis sont visibles. (photo G. Giuliani). Fig. 1B. L'"émeraude" des marbres illustrée par une pargasite d'Hunza (Photo G. Giuliani). 2 nates, soit dans des fentes de tension appelées "poches" par les mineurs, de 1 à 2 cm d'épaisseur, à pyrite, phlogopite, rutile et margarite (Fig. 1D) et enfin dans des zones à pyrite, phlogopite, margarite et aspidolite (phlogopite Revue de Gemmologie n° 150 - Septembre 2004 sont parfois centimétriques; (c) dans des métapegmatites où il est présent sous forme de cristaux bleus translucides, parfois centimétriques; (d) sous forme de corindons bleus translucides associés avec du mica blanc, l'ensemble Dossier central (suite) Fig. 1D. Veinule à rubis dans une micro-zone de cisaillement recoupant le marbre de la Formation Nangimali. Chantier de Lower Khorat (photo G. Giuliani). formant une roche dénommée "corinditite" qui résulte de l'altération hydrothermale d'une pegmatite ; (e) dans de larges boudins de marbres intercalés avec des gneiss, des micaschistes et des amphibolites, où il peut être de qualité gemme et de couleur rouge. Les gisements et indices primaires de rubis de Luc Yen se présentent dans des unités de marbres peu déformées, d'âge Protérozoïque supérieur à Cambrien inférieur, et situés sur le flanc est de la zone de cisaillement du Fleuve Rouge, dans la zone tectonique de Lo Gam. Le rubis se présente (Garnier et al., 2002) : - sous forme de cristaux disséminés dans les marbres, avec de la phlogopite, de la dravite, de la margarite, de la pyrite, du rutile et du graphite (mines de Bai Da Lan, An Phu, Minh Tien, Nuoc Ngap, Luc Yen et Khoan Thong, Fig. 1F) ; - dans des veinules avec de la calcite, de la dravite, de la pyrite, de la margarite et de la phlogopite (mine d'An Phu) ; - dans des fissures avec du graphite, de la pyrite, de la phlogopite et de la margarite (mine de Bai Da Lan) ; - dans des poches à pyrite, phlogopite, margarite et pyrite (Minh Tien). Dans ce district minier, de nombreux placers sont exploités notamment ceux de Khoan Thong, Luc Yen et An Phu. Les rubis y sont associés à des spinelles rouges, roses et bleus, des tourmalines jaunes et vertes et des grenats (Kane et al., 1991). Age de formation des rubis L'âge de formation des rubis a été déterminé par l'application de la méthode 40Ar/39Ar par chauffage en paliers au laser sur des micas contemporains (phlogopite et muscovite) du rubis ainsi que par la datation U-Pb, à la sonde Fig. 1E. L'ancien placer à rubis et saphirs de Khoan Thong dans la région de Luc Yen au Viêt-nam (photo G. Giuliani). Fig. 1F. Association rubis et pyrite dans un marbre de la mine d'An Phu, région de Luc Yen au Viêt-nam (photo G. Giuliani). ionique IMS 1270, sur zircons inclus dans des rubis issus des gisements primaires et secondaires (Garnier, 2003). Les âges argon-argon obtenus sur des phlogopites des marbres à rubis d'Hunza sont compris entre 10,8 ± 0,3 et 5,4 ± 0,3 millions d'années (Ma), soit un âge de la fin du Néogène. Par ailleurs, trois périodes de mise en place des filons de granite et/ou de pegmatites ont été mises en évidence par datation U/Pb sur zircons soit à 52-50 Ma, 35 Ma et 9,3 ± 0,1 Ma (Fraser et al., 2001). Les âges argon-argon obtenus sur trois phlogopites de Nangimali varient entre 17,2 ± 0,2 et 15,3 ± 0,1 ; par ailleurs, un âge de 16,1 ± 0,5 Ma a été obtenu sur une phlogopite contemporaine du rubis. Ainsi, 16 Ma est un âge minimum pour la formation des rubis indiquant que le gisement est passé sous l'isotherme 375-455°C (température de blocage de l'argon radiogénique dans la phlogopite) au cours du Miocène inférieur. Au Viêt-nam des zircons dans un rubis et des spinelles issus des gisements de Luc Yen et d'An Phu ont été datés, in-situ, à la sonde ionique (Garnier, 2003). Les textures complexes des zircons - soit en zonage sous forme de taches, soit avec un cœur hérité et des surcroissances- ainsi que le large intervalle d'âges obtenus (266-38 Ma) témoignent d'une histoire métamorphique complexe, avec au moins deux Revue de Gemmologie n° 150 - Septembre 2004 3 Dossier central (suite) 1 - CaSO4(anhydrite) + 3/2C(graphite) ➞ S° (fluide) + CaCO3(calcite) + 1/2CO2(fluide) événements thermiques : les zircons inclus dans les spinelles ont cristallisé pendant le Permien (256 ± 9,4 Ma), leur système a été réouvert au début du Trias (231,7 ± 5,6 Ma) ; le rubis s'est formé vers 38 Ma, pendant le pic du métamorphisme et le stade de déformation ductile de la zone de cisaillement du Fleuve Rouge. Les inclusions fluides L'analyse des inclusions fluides primaires et secondaires par microthermométrie, spectrométries Raman et infrarouge a mis en évidence des fluides à CO2-H2S-COS-S8-AlO(OH) dans les cavités fluides des rubis d'Hunza, Nangimali et Luc Yen (Hoàng Quang et al., 1999). Le système fluide est identique pour ces trois grands gisements. Le soufre natif et le diaspore sont associés à ces fluides sous forme de minérauxfils ; cependant, la présence d'eau n'est pas détectable par microthermométrie. Le diaspore forme parfois un film invisible de 2 à 3 µm qui recouvre les parois des cavités d'inclusion fluide. Le soufre natif est généralement nucléé lors de l'irradiation Raman. La présence d'H2S a été identifiée dans les fluides en quantité variant de 3,3 à 23 mole% pour les rubis de Luc Yen. Les analyses des inclusions fluides par la méthode des écrasements réalisées sur 1 gramme de matériel, mettent en évidence la présence d'ions Na+, K+, Li+, F-, Cl-, Br-, NO3- et SO42- (Giuliani et al., 2003). L'étude réalisée au microscope électronique à balayage sur le rubis met en évidence la présence de cristaux d'anhydrite et de sels hétéromorphes de composition variable à Ca, Na, K-Cl. La présence d'inclusions solides de type sels et sulfates explique parfaitement les résultats obtenus par les écrasements fluides. Les fluides, à partir desquels les rubis et saphirs roses se sont formés, contenaient du S, de l'H2S, et du COS. La chimie des fluides peut s'expliquer 4 2 - CaSO4(anhydrite) + C(graphite) + H2O ➞ H2S (fluide) + CaCO3(calcite) + CO2(fluide) 3 - 7H2S + 4Fe2+ + SO42- ➞ 4FeS2 (pyrite) + 4H2O + 6H+ ou Fe2++ H2S ➞ 2H+ + FeS2 par des réactions chimiques de thermoréduction des sulfates, à partir d'un assemblage à anhydrite, calcite et graphite identifié sur les lames minces des marbres (équation 1 et 2 ci-dessus). La pyrite, minéral fréquemment rencontré dans les marbres à rubis a pu se former suivant les réactions de l’équation 3. L’intervention de minéraux évaporitiques tels les sels et sulfates dans les mécanismes de formation de rubis sont le résultat majeur de l'étude des inclusions fluides. Les paragénèses à corindon Dans ces trois gisements, le rubis est associé à la paragenèse suivante : calcite ± dolomite ± diaspore ± spinelle ± amphibole ± chlorite ± micas (muscovite, paragonite, phlogopite sodique, margarite) ± feldspath (orthose, plagioclase) ± olivine ± humite et des phases accessoires comme rutile, apatite, tourmaline, titanite, pyrite, pyrrhotite et graphite. Certains minéraux sont indicateurs d’un environnement hypersalin tels l'anhydrite présente en inclusions dans les rubis et dans les carbonates, la phlogopite sodique appelée aspidolite qui est une espèce extrêmement rare. Par ailleurs, les micas, amphiboles et feldspaths renferment, en quantités plus ou moins importantes, du sodium. De même, les micas, amphiboles, tourmalines et apatites renferment des quantités notoires de fluor et parfois du chlore (Garnier, 2003). D’autre part, les minéraux associés aux rubis dans les marbres sont riches en magnésium et en aluminium (phlogopite, amphiboles et spinelles notamment). Revue de Gemmologie n° 150 - Septembre 2004 Les marbres à rubis du Pakistan et du Viêt-nam présentent des similitudes du point de vue de leur minéralogie. Les réactions minérales fréquemment rencontrées dans les marbres à rubis sont les suivantes : La formation du corindon par la déstabilisation du spinelle ou/et de la muscovite : • spinelle + calcite + CO2 ➞ corindon + dolomite • muscovite ➞ orthose + corindon + H2O Ces réactions ont été réalisées en "milieu clos", hormis certaines faisant intervenir des amphiboles et la chlorite magnésienne. La plupart de ces réactions nécessitent un apport de K et un départ de Na. Ces deux éléments sont très mobiles. En outre, dans un environnement évaporitique, des échanges de cations entre des sels de type sylvite et halite sont possibles. Les analyses isotopiques des carbonates mettent en évidence que la plupart des marbres n'ont pas été infiltrés par des fluides "extérieurs" au système marbre, notamment des fluides magmatiques. Le gaz carbonique des marbres provient de la dévolatilisation métamorphique des protolithes calcaires sans mélange de fluides (Garnier, 2003). Les marbres se sont comportés comme des systèmes imperméables qui n'ont pas réalisé d'échanges chimiques avec les roches voisines à savoir les schistes et les amphibolites. La géochimie des marbres La source des éléments composant le rubis est toujours débattue. L'aluminium et les chromophores (chrome et vanadium) peuvent provenir de deux sources distinctes : Dossier central (suite) - des roches mafiques notamment des amphibolites ou plus généralement des schistes et des gneiss, intercalés avec les marbres ; - des marbres sensu stricto. En effet, les marbres des gisements d'Hunza, de Nangimali et du Nord du Viêt-nam sont riches en aluminium. Leurs teneurs en alumine atteignent des valeurs comprises entre 0,5 et 2,5 % poids, c'est-àdire entre 2600 et 13000 ppm d'aluminium. De plus, leurs teneurs en éléments chromophores, comme le chrome (3 < Cr < 197 ppm), le vanadium, le fer et le titane sont suffisantes pour être incorporées dans les rubis et les saphirs roses (Garnier, 2003). La ressource potentielle du gisement de Nangimali a été estimée à partir d'un bilan de matière relatif à l'aluminium contenu dans les marbres de Nangimali top et Khorat (Pêcher et al., 2002). La teneur en rubis a été calculée, à partir d'une étude pilote réalisée sur trois ans, à 11g/tonne. La zone minéralisée est assimilable à un volume de 200 m de long par 160 m de large et de 3 m d'épaisseur. Les réserves potentielles correspondantes s'élèvent à 1056 kg de rubis. Ces réserves représentent environ 0,4 % des réserves estimées en considérant que la totalité de l'Al2O3 disponible dans les marbres (environ 1000 ppm) est mobilisable dans la zone minéralisée. L'étude pétrographique des marbres n'a pas mis en évidence d'altération métasomatique liée à des circulations fluides, mais plutôt à la présence de paragenèses à l'équilibre et d'assemblages minéraux formés lors du métamorphisme rétrograde. Cette observation confirmée par la nature des fluides, similaires et homogènes, conduit à l'hypothèse que la source de l'aluminium et des chromophores du rubis se situe dans les protolithes des marbres euxmêmes, et non pas dans les roches encaissantes. L'étude pilote réalisée sur Nangimali confirme ce modèle géochimique. L'apport de la géochimie isotopique L'analyse isotopique des carbonates met en évidence que le métamorphisme n'a pas induit de fractionnement entre les carbonates marins originaux et les marbres. Par ailleurs, les analyses isotopiques des carbonates et graphite associés ont permis de déterminer les températures maximales atteintes par le métamorphisme, soit entre 510 et 785°C suivant les gisements, c'est-àdire dans le faciès amphibolite à granulite. Les analyses isotopiques du soufre des sulfates (anhydrite) et du bore des tourmalines mettent en évidence l'intervention d'évaporites marines et nonmarines (Garnier, 2003). La composition isotopique de l'oxygène structural des rubis et des saphirs est tamponnée par celle des fluides métamorphiques issus de la dévolatilisation des carbonates, indiquant une origine métamorphique pour ces rubis et saphirs roses. L'effet tampon des carbonates est majeur, les valeurs des compositions isotopiques de l'oxygène obtenues pour l'ensemble des gisements sont très voisines (Garnier, 2003). L'ensemble des données géochimiques permet de proposer un modèle génétique où les gisements de rubis se seraient formés par métamorphisme, dans les faciès amphibolite à granulite, de carbonates marins comprenant des intercalations de niveaux de pélites riches en matière organique (métamorphisés en schistes) et des niveaux d'évaporites (sels et sulfate). Le modèle génétique pour la formation des rubis dans les marbres L'ensemble des résultats obtenus au cours de cette recherche permet de proposer un modèle métallogénique qui intègre l'ensemble des données géologiques et géochimiques obtenues sur ce type de gisement à rubis. Les principales étapes du modèle sont détaillées dans la figure 2, page suivante. • I - SEDIMENTATION DES PROTOLITHES. Du Précambrien à la limite PermoTrias, la sédimentation s’effectue en bordure de la Pangée, puis de la Laurasie sur les bords de la Paléotéthys. La sédimentation est tantôt silicodétritique, tantôt carbonatée. Ainsi, des formations gréseuses à ciment siliceux ou carbonaté, et des carbonates de plateforme se succèdent dans le temps. Au sein des sédiments carbonatés, les apports détritiques peuvent être plus importants et conduire au dépôt de passées plus argileuses au sein des carbonates. De même, la vie se développe sur la plate-forme et de la matière organique est également piégée dans les sédiments. • Ensuite, le bassin se restreint. La restriction peut être liée à la tectonique, au volcanisme (injection de filons de basaltes) ou encore à la dynamique sédimentaire (flèches sableuses, barres oolithiques ou récifale). Les carbonates s’enrichissent en magnésium, il y a dépôt des évaporites d’eaux profondes (sulfate de calcium) puis des évaporites de sebkha (halite puis sylvite). Il y a également des apports continentaux ; les évaporites marines peuvent être remaniées et mélangées à des évaporites d’origine continentale. • II - COLLISION INDE-ASIE : EPISODE DE METAMORPHISME HAUTE TEMPERATURE- MOYENNE PRESSION. Vers 53 Ma débute la collision continentale entre les plaques indienne et eurasienne. Entre l’Oligocène et le Miocène, les sédiments déposés sur les bords de la Paléotéthys puis de la Téthys sont portés à haute température et moyenne pression. Ils sont métamorphisés. Les unités carbonatées sont métamorphisées en marbres impurs. Le rubis gemme cristallise pendant l’exhumation de ces unités (P = 2,6 à 3,3 kbar et T = 620 à 670°C). Cette exhumation est lente : elle laisse le temps au cristaux de se former. La dissolution de niveaux évaporitiques intercalés dans Revue de Gemmologie n° 150 - Septembre 2004 5 Dossier central (suite) Fig. 2 - Modèle de formation des gisements de rubis associés aux marbres. Schéma synthétique modélisant les différentes étapes de la formation de ces gisements depuis la sédimentation (du Précambrien au Permo-Trias. Il s'agit du Stade I de la sédimendation des protolithes) jusqu’au métamorphisme lié à l’orogenèse himalayenne (Stade II lié à la collision Inde-Asie et du métamorphisme haute températuremoyenne pression). Carte structurale de l’orogène Himalayen modifiée d’après Mattauer et al. (1999). Le rubis se forme suivant la courbe d'évolution métamorphique en phase prograde puis rétrograde par la déstabilisation suivant 1 puis 2 – de micas et 3 – du spinelle, puis il se déstabilise en 4 – margarite et 5 - diaspore si de l’eau est disponible dans le milieu de formation. Le rubis gemme se forme à des pressions comprises entre 2,6 et 3,3 kbar et des températures comprises entre 620-670°C. Abréviations : An = anorthite ; And = andalousite ; Cc = calcite ; Co = corindon ; Do = dolomite ; Dsp = diaspore ; Kfs = feldspath potassique ; Ky = disthène ; Mrg = margarite ; Ms = muscovite ; Si = sillimanite ; Sp = spinelle ; W = eau. 6 Revue de Gemmologie n° 150 - Septembre 2004 Dossier central (suite) les marbres laisse de la place aux gemmes pour cristalliser. Ainsi, les cristaux sont généralement automorphes, de petite taille et possèdent des parties gemmes, ce qui leur confère une grande valeur économique. Les sels des évaporites fondues forment des complexes avec l’aluminium et les autres métaux, notamment les chromophores du rubis (Cr, V) et facilitent leur mobilisation sur de courtes distances. La matière organique joue un rôle important dans la formation des minéralisations : elle permet la thermoréduction des sulfates comme l’indique la chimie particulière des fluides piégés dans les inclusions des rubis. L’aluminium du corindon provient des argiles (d’origine détritique) déposées sur la plateforme avec les carbonates ; les chromophores sont probablement issus de la matière organique et des matériaux détritiques qui ont sédimenté avec les carbonates. Le corindon se forme donc quasiment in-situ, dans les Références Fraser J.E., Searle M.P., Parrish R.R., Noble S.R. (2001) Chronology of deformation, metamorphism and magmatism in the southern Karakoram Mountains. Geological Society of America Bulletin, 113, 1443-1455. Garnier V., Giuliani G., Maluski H., Ohnenstetter D., Phan Trong T., Hoang Quang V., Pham Van L., Vu Van T., Schwarz D. (2002) Ar-Ar ages in phlogopites from the marble-hosted ruby deposits in northern Vietnam :Evidence for Cenozoic ruby formation. Chem. Geol., 188, 33-49. Garnier V. (2003) Les gisements de rubis associés aux marbres de l’Asie Centrale et du Sud-est : genèse et caractérisation isotopique. Thèse de Doctorat INPL, Nancy, France, 390 p. 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