Vente d`une entreprise : le contrat de travail des salariés subsiste
Transcription
Vente d`une entreprise : le contrat de travail des salariés subsiste
Par François Duplessis, avocat Commission des normes du travail Vente d’une entreprise : le contrat de travail des salariés subsiste Les conditions de travail sont maintenues Les articles 96 et 97 de la Loi sur les normes du travail1 (LNT) font en sorte que la vente ou la cession des actifs d’une entreprise ou, encore, tout changement dans son organisation comme la modification de sa structure juridique, n’empêchent pas la continuité de l’application des normes du travail. Le contrat de travail des salariés se poursuit et le nouvel employeur doit en assumer la responsabilité, car le législateur a voulu que le contrat de travail se rattache à l’entreprise, quel que soit celui qui l’administre. Ces articles de la Loi sont d’ordre public et on ne peut donc y déroger. Un commissaire du travail a confirmé l’application de ces dispositions dans une décision récente2. › Le détaillant / Hiver 2011 17 La décision du commissaire du travail Dans cette décision, il est question d’une salariée qui était à l’emploi de la compagnie X depuis 1986. En 2010, les affaires de cette entreprise n’allaient pas bien (difficultés de liquidités, disputes entre associés, etc.) et l’entreprise, devenue insolvable mais qui n’était pas en faillite, a vendu ses actifs à des investisseurs. La salariée a été congédiée au moment de la vente par les propriétaires de la compagnie X et a déposé une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 LNT). Les nouveaux propriétaires ont acquis de la marchandise, des équipements et des listes de clientèle et ont continué d’exploiter l’entreprise sous un autre nom (compagnie Y). Certains salariés, au nombre de huit ou neuf, sont demeurés à l’emploi. 2 conditions pour que les articles 96 et 97 s’appliquent Pour que les articles 96 et 97 de la LNT trouvent application dans un cas semblable, le commissaire Turcotte pose deux conditions : 1) Il doit y avoir une continuité de l’entreprise ; 2) On doit démontrer un lien de droit entre le vendeur et l’acquéreur. Dans le cas présent, les investisseurs ont acquis la compagnie X par contrat signé entre eux et les propriétaires de cette compagnie. Le commissaire considère que nous sommes ainsi en présence d’un lien de droit suffisant entre les parties. Quant à la continuation de l’entreprise, le commissaire analyse le tout en fonction de la définition de la notion d’entreprise donnée par la Cour suprême du Canada3 et qui fait autorité : « L’entreprise consiste en un ensemble organisé suffisant de moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d’activités précises… » Dans le cas qui nous occupe, le commissaire constate certains éléments, dont le fait que la compagnie Y constitue un ensemble organisé suffisant qui est le même que celui de la compagnie X et que les activités n’ont jamais été interrompues avant le passage d’une compagnie à une autre. Quelques salariés sont demeurés à l’emploi et l’objectif de la compagnie Y demeure le même, soit la vente de produits d’emballage. Ce sont là des éléments qui permettent définitivement l’application des articles 96 et 97 de la LNT. L’ancien et le nouvel employeur sont liés Les nouveaux propriétaires de la compagnie Y ont soutenu que la compagnie X était en grandes difficultés financières et qu’il fallait réduire le nombre de salariés. Ils ont affirmé avoir laissé les anciens propriétaires procéder à la réduction de personnel. Aucune preuve n’a été faite devant le commissaire concernant les difficultés économiques alléguées. De plus, personne n’est venu démontrer sur quelle base on avait mis fin à l’emploi de la salariée et sur quels critères celle-ci a été choisie plutôt qu’un(e) autre salarié(e). Devant une telle absence de preuve, le commissaire a conclu au congédiement sans cause juste et suffisante. Il a ordonné à la compagnie Y de verser à la plaignante un montant total de 36 000 $, comprenant une indemnité de perte d’emploi, un montant en dommages moraux et une somme à titre de remboursement des montants d’argent dépensés par la salariée pour exercer son recours. En guise de conclusion, rappelons, comme le fait le commissaire Turcotte, que les nouveaux propriétaires d’une entreprise ne peuvent se retrancher derrière le fait que ce sont les anciens propriétaires qui ont pris les décisions. En l’espèce, la compagnie Y est liée par les gestes posés par la compagnie X, et cela en conformité avec les dispositions pertinentes de la LNT. 1 L.R.Q., c. N-1.1 2 2011, QCCRT 0446, 28 septembre 2011, commissaire Alain Turcotte 3 U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 18 Le détaillant / Hiver 2011