Chapiteaux et modillons - Communauté de communes de Haute

Transcription

Chapiteaux et modillons - Communauté de communes de Haute
Chapiteaux et modillons
Edition 2013
Les églises de Haute-Saintonge que vous allez découvrir...
Saint-Eugène
Avy
Rouffiac
Brives
sur Charente
A10
St Seurin
de Palenne
St Léger
Coulonges
Bougneau
PONS
Belluire
Champagnolles
St Fort sur Gironde
Bois
Plassac
Guitinières
Consac
Ste Ramée
Sémillac
Nieul
le Virouil
St Dizant
du Bois
Semoussac
St Georges des Agouts
Lussac
St Sigismond
de Clermont
St Martial
de Mirambeau
St Sorlin de Conac
St Bonnet sur
Gironde
Champagnolles
St Martial
sur le Né
Germignac
Jarnac
Champagne
Cierzac
Marignac
Neuillac Ste Lheurine
Neulles
Réaux
St Martial de Vitaterne
JONZAC
Meux
Allas Bocage
Agudelle
Salignac de
Mirambeau
Ozillac
Fontaines
Villexavier d’Ozillac
St Maigrin
St
Médard
Rouffignac
Chaunac
Chartuzac
Expiremont
Mortiers
Vanzac
Vibrac
N10
Bran
Messac
Sousmoulins
Chamouillac
Souméras
Rouffignac
Léoville
Pommiers
Moulons Mérignac
Le Pin
Coux
Courpignac
Jonzac
St Germain de Vibrac
Tugéras - St Maurice
Soubran
St Eugène
Brie sous
Archiac
St Ciers
Champagne
Champagnac
St Simon
de Bordes
Boisredon
Allas
Champagne
St Germain de Lusignan
St hilaire
du Bois
MIRAMBEAU
ARCHIAC
Arthenac
Moings
St Maurice
de Tavernole
Clion sur Seugne
St Ciers
du Taillon
St Thomas de Conac
St Grégoire
d’Ardennes
St Palais
de Phiolin Mosnac
ST GENIS
St Georges
Antignac Clam
DE SAINTONGE
Lorignac
St Dizant
du Gua
Echebrune
Chadenac
Avy
St Quantin
Fléac
Givrezac
de Rançannes sur Seugne
Celles
Lonzac
Biron
Mazerolles
St Germain
du Seudre
Salignac
sur Charente
Pérignac
MONTENDRE
Chevanceaux
Chatenet
Jussas Polignac
Ste Colombe
Boresse
et Martron
St Palais
de Négrignac
Pouillac
Chepniers
Neuvicq
Corignac
MONTLIEU LA GARDE
Orignolles
Bussac
Forêt
Allas-Bocage
Communauté des Communes
de Haute-Saintonge
7 rue Taillefer -BP2
17501 Jonzac Cedex
Tél : 05 46 48 12 11 Fax : 05 46 48 74 78
www.haute-saintonge.com
email : [email protected]
St
Martin
d’Ary
La Genétouze
MONTGUYON
Le Fouilloux
Bédenac
Boscamnant
Clérac
St Pierre
du Palais
St Martin
de Coux
St Aigulin
Cercoux
La Clotte
La Barde
Sainte-Colombe
Boresse et Martron
Sommaire
Edito
Au pays de l’Art Roman, traversée par les chemins de St
Jacques de Compostelle, la Haute-Saintonge compte plus
d’une centaine d’églises classées ou inscrites à l’Inventaire
des Monuments historiques. Ce patrimoine exceptionnel
orne nos villes et nos campagnes. âme de chaque village
qu’elle identifie depuis des siècles, l’église fait partie de
notre quotidien et chaque habitant connaît et reconnaît la
silhouette imposante de chacune.
Mais la richesse de notre patrimoine ne se résume pas à la
seule architecture de ces édifices si majestueux soient-ils.
La richesse tient aussi aux détails qu’il faut prendre le temps
de découvrir, d’admirer et de décrypter.
Après « les Chemins de l’Art sacré », « les Carnets de route
des Graffiti » et « les Vitraux », j’ai le plaisir de vous présenter
« Chapiteaux et Modillons », la toute nouvelle brochure de
notre Communauté de communes de Haute-Saintonge. Ce
catalogue, non exhaustif, présente la palette luxuriante de
ces détails architecturaux, fruits du savoir-faire des sculpteurs
d’antan, ces « tailleurs d’images » qui nous ont laissé un
témoignage de leur temps, de leur environnement, de leurs
craintes, de leurs convictions, de leur humour souvent et bien
sûr de leur talent. C’est une invitation au voyage à travers
le temps, à la réflexion sur l’histoire humaine et une facette
originale de nos églises à découvrir absolument.
Je tiens à remercier Marie-Thérèse Camus, Professeur à
l’Université de Poitiers, pour sa validation scientifique de nos
textes et je vous en souhaite bonne lecture.
Claude BELOT,
Sénateur de la Charente-Maritime,
Président de la Communauté de Communes
de la Haute-Saintonge
Avant de partir4
Un décor original 5
Les sculpteurs romans
9
Les courses d’inspirations
12
Une scuptures porteuse de messages
17
L’expression de la vie
23
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Les amoureux
Les enfants
Les soldats
Les paysans
Le bain au moyen âge
L’esprit de fête
26
28
29
30
31
32
Drôle de Zoo34
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>
>
>
>
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Les sirènes36
Les centaures36
Le griffon37
Le dragon37
Le cheval40
Le lion40
Les oiseaux42
Le serpent43
Une végatation luxuriante
Les églises de Haute-Saintonge
Pour aller plus loin
--3--
44
48
50
Chapiteau
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Avant de partir...
Pièce de jonction entre un arc et son support,
colonne, pilastre... Le chapiteau présente souvent des
ornements décoratifs et est orné de sculptures.
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Métope
Pièce carrée située entre deux
modillons et pouvant présenter
des décorations.
Voussure
Arc maçonné qui surmonte une ouverture.
Souvent en nombre multiple au-dessus des
portails des églises, elle peut être décorée.
L’ensemble des voussures compose
l’archivolte.
--4--
Modillons
Support de corniche parfois
orné de sculptures
Un décor original
Eglise Saint-Martin de Chadenac, XIIe siècle
Un décor original
La Haute-Saintonge possède de nombreuses églises dont le charme mêle simplicité et originalité. Simplicité des formes, des volumes; originalité du décor, des sculptures. Secrètes,
elles ne révèlent pas toute leur richesse architecturale à un simple coup d’œil. Il faut prendre
le temps de les découvrir, de se laisser séduire ici par un portail finement ouvragé ou surprendre par un chapiteau original et là, lever le nez pour remarquer une série de modillons
insolites. Etonné, on assiste à un déchaînement de puissance et de vie alors insoupçonné.
De ces découvertes et de ces observations se dégagent des caractères constants
et des particularités. Ainsi, la belle façade de Chadenac défie celles des plus
remarquables églises de la Saintonge romane. Sur les voussures de son portail
se succèdent les luttes des Vertus contre les Vices ; des personnages affrontent
des dragons ; les Vierges sages et les Vierges folles encadrent le Seigneur ; des
anges entourent le Christ en gloire… des saints sont placés sous des arcades; des
lions bondissent sur des agneaux ; un cavalier transperce un démon ; les Saintes
Femmes découvrent le tombeau vide… Cette façade reflète les affres de l’âme
chrétienne qui doit résister au Mal, mais pour triompher, elle peut compter sur l’aide
de Dieu et des saints.
Chadenac, détail d’une voussure,
façade occidentale, XIIe siècle
Si Chadenac possède le programme sculpté le plus important de HauteSaintonge, il demeure ailleurs d’autres portails délivrant aussi leurs messages.
Celui de Fontaines d’Ozillac présente un registre similaire de grande qualité : le
Bien combat le Mal avec le soutien des saints et des anges. Le style rappelle celui
des grands chantiers du XIIe siècle : Saintes, Marignac…
Fontaines d’Ozillac, détail d’une voussure,
façade occidentale, XIIe siècle
--6--
Au cours de ce voyage au cœur de la sculpture saintongeaise, apparaissent
de beaux ensembles, citons par exemple, le chœur de Marignac où
l’imagination et le talent de l’artiste semblent s’être débridés. Dans une frise
d’entrelacs végétaux surgissent, dans un fourmillement de vie, de fantaisie et
de fraîcheur, des scènes de chasse, de lutte, des monstres, des animaux, des
personnages... À quelques kilomètres de là, la nef de Biron est ponctuée de
chapiteaux à feuillage, peuplés d’oiseaux, de monstres étranges, d’humains en
proie à des luttes. Le portail est souligné par des bandeaux où s’amusent et se
poursuivent des animaux sauvages et domestiques au milieu de personnages
et d’êtres hybrides. Les sculptures se détachent de la pierre avec finesse et
précision révélant toute la maîtrise et la délicatesse de l’artiste.
Derrière la sobre façade de Consac, on se laisse surprendre par une série
de chapiteaux, aux motifs géométriques faits de lacis, de cercles, d’étoiles,
de croix… En s’approchant, on distingue deux quadrupèdes très simplifiés,
presque primitifs. Ces chapiteaux, témoins de la sculpture du XIe siècle,
comptent parmi les plus anciens de la Haute-Saintonge.
Il faut remonter la nef du XIXe siècle et se diriger vers le chœur de SaintThomas de Cônac pour contempler des chapiteaux, dévoilant des oiseaux
et leurs petits nichés sous leurs ailes. Derrière l’autel la proximité des œuvres
captive le regard et l’on peut admirer à loisir le travail de l’artiste qui a sculpté
les feuillages et tenter de déchiffrer l’inscription gravée sur le tailloir. Si l’on
prend le temps d’observer les chapiteaux de Bran, on sera étonné par des
personnages au style insolite, plus inattendu, leurs similitudes avec des
chapiteaux d’Orignolles.
--7--
, chapiteau, XIIe siècle
Saint-Thomas de Conac
le
Bran, chapiteau, XIIe sièc
Un décor original
Marignac, chapiteau et frise, XIIe siècle
Mais les églises ne se sont pas figées dans le temps, au fil des siècles elles
se sont enrichies de nouvelles représentations. Au XIIIe siècle, Neuillac
s’agrandit et le sculpteur réalise un groupe humain, le personnage central
est assis et derrière lui, les visages d’un jeune homme et d’une femme
apparaissent; peut-être somme-nous en présence de la famille du donateur?
À Jarnac Champagne, une série de modillons du XVIe siècle amuse le
passant, à moins que cela ne soient les passants qui font rire aux éclats deux
des personnages? Que vient faire sur un culot de Saint-Martial sur le Né
cette truie qui file ; l’animal assis sur un tabouret tient une quenouille tout en
nourrissant ses petits...
Le regard posé sur ces œuvres peut faire naître diverses émotions plus ou
moins éphémères. Que la curiosité prenne le pas et l’on s’interroge alors sur
les hommes, leur quotidien, leur époque et leur environnement. Pour répondre
à ces questions, les sculpteurs saintongeais ont laissé des messages plus ou
moins énigmatiques que l’on peut consulter et tenter de décrypter au cours
de cet itinéraire et au gré de son envie.
le
Consac, chapiteau, XIe sièc
Un décor original
Avec la Révolution et les troubles qui ont suivi, de nombreuses églises
ont été délaissées voire vendues, affectées à d’autres usages (grange,
chai…) puis détruites comme ce fut le cas à Souméras.
Mais le catholicisme résiste et au cours du XIXe siècle, on assiste à sa
renaissance avec une redynamisation des communautés chrétiennes.
C’est l’époque où le Petit-Séminaire de Montlieu-La Garde se
développe et reçoit les reliques de saint-Ixile en 1855. C’est le retour
de la célébration des fêtes religieuses, des vêpres, des bénédictions,
des processions… Devant cette soudaine ferveur religieuse, les églises
retrouvent leurs fonctions.
Certains édifices deviennent trop petits pour ces cérémonies ou sont
dans un tel état de délabrement que les municipalités entreprennent
la construction d’églises, aujourd’hui facilement repérables dans le
paysage saintongeais : La Barde, Bédenac, Montendre, Mirambeau
(centre ville), Saint-Genis de Saintonge, Saint-Aigulin… D’autres
sont restaurées dans un style néo-gothique ou néo-roman, nés du
regain d’intérêt pour le Moyen-âge. Dans cet esprit, les façades de
Saint-Martin de Coux, ou encore de Saint-Germain du Seudre,
s’ornent de chapiteaux et de modillons reprenant les sculptures des
XIIe et XIIIe siècles, illustrant le style alors en vogue.
Saint-Martial sur le Né, culot, XVIe siècle
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Les sculpteurs romans
--9--
Biron - détail chapiteau, façade occidentale, XIIe siècle
C’est au cours des XIe et XIIe siècles, période de relative sécurité et de prospérité, avec une importante croissance agraire, démographique et technique que s’inscrit la construction des
églises de Haute-Saintonge. Les progrès réalisés en taille de pierre et en architecture, ainsi
qu’une main d’œuvre mieux qualifiée et spécialisée permettent l’exécution de projets plus
ambitieux. Parmi les artisans du chantier, les sculpteurs font preuve d’ingéniosité et d’habileté pour réaliser des compositions complexes et leur faire épouser les formes imposées par
l’architecture. Après plusieurs siècles d’oubli, ils vont réhabiliter la sculpture architecturale ; chapiteaux, modillons et voussures se mettent à raconter des histoires. Ils évoquent
des scènes bibliques, mettent en avant des valeurs morales ou des faiblesses humaines, ils
parlent de leur temps…
Avy, portail occidental, XIIe siècle
Les sculpteurs romans
siècle
de, modillon, XIIe
Saint-Fort sur Giron
--10--
Pendant longtemps, les représentations sculptées ont
été appelées «images» et leurs auteurs, des «imagiers»
ou «tailleurs d’images». Ces artistes, en gravant dans la
pierre ce que les croyants illettrés ne pouvaient lire dans
les livres, ont joué un rôle essentiel dans l’éducation
religieuse des fidèles. Cependant, si certaines scènes
sont sans aucun doute inspirées de la Bible, d’autres
semblent tout droit sorties des légendes anciennes, de la
mythologie antique, ou de l’imaginaire du sculpteur. Ces
derniers reproduisaient également leur environnement
le plus proche : les hommes, les femmes, les animaux,
la végétation, les gestes de la vie, nous dévoilant leur
univers quotidien.
Depuis les premières créations romanes plusieurs siècles
se sont écoulés. La vision du monde aujourd’hui n’est
plus la même. L’identification de certaines images nous
échappe. Nous ne comprenons plus tous les symboles
qu’elles véhiculaient.
Mais, il nous reste ces belles pierres, jouant de l’ombre
et de la lumière de nos églises, toutes empreintes de
mystères et d’émotions. Et nos regards, à défaut d’avoir
peur de l’Enfer et des foudres divines, s’amusent des
pitreries des acrobates ou des têtes inquiétantes des
monstres.
Les sculptures que nous voyons dans les églises romanes
ne sont pas toutes issues du XIIe siècle. Certaines ont
été détruites, d’autres sont venues s’ajouter, lors d’un
agrandissement ou d’une reconstruction. Parfois ce
sont des oeuvres originales, parfois des reprises du XIXe
siècle. Cela témoigne autant de l’évolution des modes
architecturales que de l’histoire parfois tumultueuse de
ces édifices.
Parmi les sculptures présentées ici, certaines peuvent être
postérieures aux XIe – XIIe siècles, mais, elles permettent
d’illustrer l’infinie richesse des églises saintongeaises.
échebrune, chapiteau, XIIe siècle
--11--
Les sculpteurs romans
Saint Pierre du Palais, chapiteau, XIIe siècle
Observer les portails, les chapiteaux et les modillons
saintongeais, c’est entrer dans le monde fabuleux des
artistes romans, c’est imaginer l’ampleur des chantiers
des XIe et XIIe siècles et la vie de nos ancêtres avec leurs
craintes et leurs espoirs.
Les sources d’inspirations
Marignac, détail chapiteau, XIIe siècle
Les églises de Haute-Saintonge ne sont pas apparues de manière spontanée dans un désert architectural. Même s’il est actuellement difficile
d’estimer les vestiges antiques encore visibles aux XIe et XIIe siècles, les découvertes archéologiques de ces dernières années, sur l’ensemble de la
Haute-Saintonge, laissent à penser qu’ils étaient suffisamment présents pour inspirer les sculpteurs médiévaux.
Avy, modillon, XIIe siècle
Les masques aux barbes flottantes de Biron et d’Avy rappellent
une tête de l’époque antique, aujourd’hui exposée au musée
archéologique de Saintes. Quant aux têtes de certains
chapiteaux de Marignac, elles ne sont pas sans faire référence
au dieu du fleuve romain.
Marignac, détail d’un métope
du chevet, XIIe siècle
Jonzac, tête d’oiseau découverte sur le site de la
villa gallo-romaine de Jonzac
(Ier- VIIe siècle) photo K. Robin - C.G.17
--13--
musée
riode antique,
Visage barbu, pé
s,
te
in
Sa
de
archéologique
el - CDCHS
photo V.Sabad
Les sources d’inspirations
Cette influence se reconnaît dans les chapiteaux végétaux reproduits
dans toute leur complexité, qui développent parmi leurs feuillages
les motifs figurés, têtes humaines ou animales. Des similitudes
se retrouvent dans les lignes et les volumes : par exemple, le bec
puissant d’un des oiseaux de Marignac n’est pas sans évoquer
celui de la tête d’oiseau, découverte sur le site archéologique de la
villa gallo-romaine de Jonzac (Ier - VIIe siècle).
Les sources d’inspirations
En observant les chapiteaux et les modillons, la profusion de végétaux
et d’animaux peut surprendre. Elle illustre l’importance de la nature
au cours de cette période. Une nature que les hommes défrichent pour
gagner des espaces nécessaires à l’essor démographique et économique
que connaît alors la Haute-Saintonge. Les vastes forêts qui couvrent
le territoire, reculent et cèdent la place à l’agriculture et aux villages.
Cette nature de plus en plus maîtrisée se retrouve reproduite dans les
pierres.
Eglise de La Genétouze, XIIe siècle
Lorignac, chap
iteau, XIIe siècle
Avy, chapiteau, XIIe siècle
Cependant, si les hommes s’ancrent dans les hameaux et les villes, la Saintonge est également une terre de passages et
d’échanges, où les voyageurs sont nombreux : parmi eux des seigneurs, des marchands, des pèlerins se dirigeant vers SaintJacques de Compostelle, mais aussi des hommes de métier, des artistes,… circulent et apportent une ouverture sur le monde
et d’autres cultures. Cette itinérance des hommes permet aux courants artistiques qui se développent dans les importants
foyers de sculpture comme les chantiers de Poitiers, l’Abbaye aux Dames à Saintes, l’église d’Aulnay et bien d’autres, de
parvenir jusqu’aux artistes qui œuvrent ici.
--14--
Mais, l’une des principales sources d’inspiration reste la
religion. Les sculpteurs illustrent la vie du Christ et des
saints ; ils montrent ainsi que la vie du chrétien est une lutte
continuelle entre le bien et le mal ; la crainte du jugement
dernier et des flammes de l’Enfer est permanente. Trop
fragiles pour résister seuls aux tentations de Satan,
symbolisé par le serpent ou le bouc, les humains sont aidés
par des anges combattants, saint Michel en tête, et les
soldats de Dieu que sont les saints. Ceux-ci affrontent les
démons qui cherchent à s’emparer des âmes humaines,
alors que les clercs les guident dans leur spiritualité. Les
portails de Fontaines d’Ozillac, Chadenac, Avy…
offrent de magnifiques illustrations de ce combat sans fin
qui oppose le Vice et la Vertu.
Guitinières chapiteau, XIIe siècle
Champagnac,
chapiteau, XIIIe
siècle
--15--
Les sources d’inspirations
Chadenac, portail occidental, XIIe siècle
Les sources d’inspirations
Et puis apparaissent, au milieu de ces combats, des créatures étranges, nées
d’imaginations fertiles, nourries de croyances ancestrales et de récits exotiques, qui
donnent des airs insolites aux petits monstres et dragons saintongeais.
Mais, il serait injuste de prétendre que les sculpteurs saintongeais ont simplement
reproduit des êtres mythiques venus de cultures ou de légendes lointaines, comme
les nombreuses sirènes, centaures ou griffons qui ornent les chapiteaux et les
modillons de Mosnac sur Seugne, Saint-Georges des Agoûts, Marignac,
Jarnac-Champagne, Biron…, ce serait oublier leur infinie créativité. À partir de
thèmes connus dans l’Antiquité, ils ont inventé une faune fantastique, où se mêlent
animaux réels et imaginaires.
Perignac, modillon, XIIe siècle
Pons, Hôpital de
s Pèlerins, chap
iteau, XIe - XIIe
siècle
e de la façade
Chadenac, un métop
cle
occidentale, XIIe siè
Cependant l’imagier est un homme de son temps. Lorsqu’il
cisèle les chapiteaux et les modillons, il s’imprègne de son
environnement. Ainsi, tant de visages grimaçants, souriants,
joyeux ou tristes qui s’affichent ne sont-ils pas les représentations
d’hommes et de femmes qui fréquentaient le chantier ? Des
familiers du sculpteur ? Les musiciens, figés dans la pierre, ne
sont-ils pas ceux qui animaient les places des villages et les
parvis des églises ? Si aujourd’hui leurs accords sont silencieux,
ils nous rappellent qu’au Moyen-Âge, comme de tout temps, les
hommes et les femmes faisaient la fête au rythme des vielles, et si
les animaux ne font pas partie du spectacle, ils sont suffisamment
présents pour être immortalisés sur un modillon.
--16--
Mérignac modillon, XIIe siècle
Une sculpture porteuse de message
Fontaines d’Ozillac, portail occidental, XIIe siècle
--17--
Une sculpture porteuse de message
Le clergé, conscient de l’impact des images sur les fidèles, s’est impliqué dans le choix du décor iconographique des églises pour diffuser le
message chrétien. Pour cela, la sculpture reprend des scènes de la Bible exprimant les tourments de l’âme : champs de bataille où s’affrontent
le Bien et le Mal. Elle accompagne le fidèle dans son cheminement spirituel et devient un des supports des sermons.
L’histoire de l’Homme débute dans le jardin d’Éden avec la Tentation et l’Expulsion du Paradis. À Salignac de Mirambeau,
la scène se présente en deux temps : le serpent s’enroule autour de l’arbre, Adam est assis alors qu’Ève cueille le fruit
défendu. Puis, vient le moment du bannissement, saint Michel, armé d’une épée chasse le couple accablé qui se cache
le visage dans les mains. Dans l’église de Rouffignac, Adam et Ève se tiennent de chaque côté de l’arbre, ils cherchent
à dissimuler leur nudité révélant qu’ils ont commis l’acte de désobéissance et pris conscience de leur nouvelle condition.
Salignac de Mirambeau, chapiteau, XVe - XVIe siècle
Cependant Dieu accorde aux hommes l’espérance du pardon
et du salut de l’âme. Espoir matérialisé par l’existence même
des églises et représenté par l’image du Christ et ses différentes
formes symboliques. L’homme devenu mortel vit dans l’angoisse
de l’après. Il espère que son passage sur terre se prolonge au-delà
de la mort dans un lieu qu’il imagine apaisant. La promesse d’une
vie après la mort s’illustre à Chadenac, avec la Résurrection. On y
voit les Saintes Femmes se diriger en procession vers le sépulcre
qu’elles découvrent vide. Sur l’autre face du chapiteau, un ange
garde le tombeau ; il montre la sépulture vide. Derrière lui, le
sculpteur a représenté l’église du Saint-Sépulcre, symbolisant la
ville de Jérusalem.
--18--
Chadenac, Chapiteau XIIe siecle
Une sculpture porteuse de message
Pérignac, détail de la façade occidentale, XIIe siècle
C’est un Christ en gloire qui domine l’imposante façade de
Pérignac. Au niveau inférieur, subsistent cinq statues sous des
arcades, elles incarnent les vertus écrasant sous leurs pieds des
vices personnifiés par des monstres. Situés au-dessus du portail,
treize personnages, dont les têtes ont disparu, sont représentés.
Celui du centre est assis, les autres sont debout, certains tiennent
des livres : une représentation de Jésus et des apôtres.
Sur un chapiteau du portail de Fontaines d’Ozillac, le Christ
est assis dans une mandorle, entouré de deux anges, il accueille
les fidèles. Au centre de la première voussure du portail, il est
de nouveau présent sous la forme de l’agneau, placé dans une
auréole et accompagné d’anges et de saints.
Fontaines d’Ozillac
, chapiteau, XIIe siè
cle
--19--
Les saints, eux, s’identifient par les exploits qu’ils ont réalisés. Ainsi à
Chadenac, un cavalier brandit une épée, les pieds de son cheval foulent
un monstre, saint Georges sauve la princesse, dissimulée par l’angle du
chapiteau.
Une sculpture porteuse de message
L’Église est aussi représentée en tant qu’institution, par l’image de ses
desservants ou de l’édifice. À Rouffignac, une chasse en forme de
chapelle est posée sur un autel, de chaque côté se tiennent un évêque
tenant une crosse et un clerc avec un livre. À Champagnac, un évêque
tient une crosse. Mais la lecture des scènes religieuses n’est pas toujours
aussi aisée. Des images énigmatiques apparaissent à nos yeux devenus
profanes
Rouffignac, chapiteau, XIVe siècle
Jarnac-Champagne, chapiteau, XIIe siècle
ental, XIIe siècle
re du portail occid
Avy, détail voussu
Les trente-six personnages du portail d’Avy, étranges et pittoresques,
souvent considérés comme les vieillards de l’apocalypse, donnent l’illusion
d’être assis sur le rebord de la voussure ; ils se tiennent la barbe ou jouent
de la musique.
À Marignac, Chadenac, Jarnac-Champagne et Biron, des hommes
sont en position assise ou accroupie, encadrés de deux lions qu’ils tiennent
soit à distance, soit par l’encolure.
--20--
dillon, XIVe siècle
Nieul le Virouil, mo
Saint-Ge
rmain de
Vibrac, m
odillon,
XIVe sièc
le
Saint-Eugène, modillon, XIIe-XIIIe siècle
Saint-Palais de Phiolin,
chapiteau, XIIe siècle
Si le Christ et les saints sont présents, le Diable et ses
suppôts ne sont jamais loin, rappelant aux chrétiens qu’ils
guettent le moindre de leurs faux-pas, pour les emporter vers
les tourments de l’Enfer. Partout, des têtes angoissantes
ornent les modillons et les chapiteaux à l’exemple de SaintGermain de Vibrac. Celle de Saint Martin de Coux
guette sur un chapiteau du portail, de sa bouche jaillit un flot
de tiges végétales. À Saint-Eugène, un monstre accroupi
semble à l’affût et c’est un diable qui du haut de sa voûte
surveille le passage de la nef de Marignac.
--21--
Une sculpture porteuse de message
Faut-il voir dans les oiseaux, buvant dans une coupe ou une feuille, un symbole des sacrements de l’Église ou un simple effet
décoratif ? tel qu’à Echebrune, Saint-Palais de Phiolin, Jarnac-Champagne, Marignac… De la même manière, les objets
ronds, croqués par des animaux, plus ou moins identifiables, de Saint-Eugène, Nieul-le Virouil, Coulonges, Marignac…
représentent-ils des hosties, des pains,… ? une forme de sacrilège de la communion ?
Une sculpture porteuse de message
Mais, le Malin ne se contente pas d’attendre son heure, il provoque les fidèles,
les incite au péché. Le serpent omniprésent tente les femmes, chuchote aux
oreilles des hommes et s’enroule autour des corps, à Biron, le crapaud se fait
son allié. Sur le portail de Lorignac le fidèle découvre une scène effrayante : un
démon agrippe une femme par son vêtement, tandis qu’un autre tient un homme
portant une sorte de besace autour du cou : la luxure et l’avarice fustigées.
Biron, chapiteau, XIIe siècle
, XIIe siècle
Lorignac, chapiteau
Fontaines d’Ozillac, modill
on, XIIe
siècle
--22--
Alors, pour dissuader le chrétien
de s’engager sur une mauvaise
voie, les sculptures lui montrent
des scènes de châtiments terribles
où le mal est incarné par des êtres
hideux et inquiétants. Les humains
sont tourmentés par des démons
qui les attirent et les entraînent vers
des abysses que l’on suppose de
désolation. Les damnés sont dévorés
par des monstres, ne laissant plus
apparaître que les jambes ou les
têtes des malheureux, comme à
Fontaines d’Ozillac, Saint-Fort
sur Gironde, Pérignac…. Les
visages déformés par la souffrance
expriment l’horreur.
Pourtant, tout n’est pas aussi
effroyable dans la sculpture des
églises de Saintonge. Elle sait aussi
nous émouvoir et nous ramène,
l’instant d’un regard, auprès de nos
ancêtres dont les visages sculptés
ont résisté au temps.
Pérignac, modillon, XIIe siècle
L’expression de la vie
Saint-Eugène, chapiteau, XIIe siècle
--23--
Ils surgissent du passé ces visages sages, fous, attendrissants, impressionnants, sérieux, goguenards, visages angéliques ou inquiétants.
Immortalisés sur un chapiteau, un modillon par le sculpteur qui œuvre sur l’église. Figés dans la pierre, ils regardent passer les générations
suivantes.
À Neuillac, la tête d’une femme surgit d’un cuvier, derrière elle deux visages
apparaissent. Des hommes de Jarnac-Champagne rient pendant que sur
de nombreux modillons, des amoureux s’enlacent tendrement à la vue de tous
sans aucune pudeur. Qui peut encore dire que le Moyen-Âge est prude ?
Quand sur un chapiteau de Marignac s’affiche l’éternel trio, la femme, le mari
et l’amant qui s’enfuit…
Pendant ce temps, l’homme d’Église se tient debout, à Champagnac et
Rouffignac… et plus loin des pénitents prient, à Clion sur Seugne, il est
agenouillé et semble recevoir la bénédiction. Ailleurs, Champagnolles, AllasBocage, Saint-Germain de Vibrac, Saint-Martin d’Ary... des hommes
s’exhibent sans complexe et les femmes ne se montrent pas plus timides.
L’expression de la vie
Jonzac, détail façade occidentale, XIIe siècle
Clion sur Seugne, chapiteau, XVe siècle
Orignolles, culot, XVe siècle
--24--
Marignac, détail frise du choeur, XIIe siècle
Mais les soldats casqués sont vigilants, prêts à intervenir : « Dormez tranquilles, braves gens, la garde veille ! » semblent-ils
lancer du haut de leurs postes de garde. Pourtant, des lutteurs continuent de s’affronter dans un combat sans fin tandis
qu’un chasseur décoche des flèches sur un gibier pris au piège de végétaux.
Et au milieu de cette joyeuse animation, pour amuser les passants, les acrobates font preuve d’incroyables prouesses
physiques, au son des accords des musiciens. Tout un monde s’anime devant nous.
L’expression de la vie
Jarnac-Champagne, chapiteau, XIIe siècle
Montguyon, chapiteau, XIIe siècle
--25--
Les amoureux
Joue contre joue, nez contre nez, sage baiser ou passion dévorante, les
sentiments amoureux sont représentés sous toutes leurs formes : tendresse,
passion, trahison, il ne manque rien, les émotions s’affichent sans retenue.
Une liberté qui nous éloigne de l’image que nous nous faisons d’un Moyenâge obscur et pudique.
Les sages amoureux de Champagnolles se font face, ils se tiennent les
mains, peut-être en signe de consentement mutuel. Plus entreprenants,
l’homme et la femme de Fontaines d’Ozillac s’attirent l’un à l’autre … un
peu plus loin, le couple cède à la tentation et s’exhibe dans une attitude sans
équivoque que l’on retrouve régulièrement sur les modillons saintongeais
comme à Pérignac, Salignac de Mirambeau….
Neuillac, modillon, XIIe siècle
Champagnolles, modillon, XIIe siècle
L’expression de la vie
Fontaines d’Ozillac, modillon, XIIe siècle
--26--
Pérignac, modillon, XIIe siècle
Sur un chapiteau intérieur de Marignac, se déploie
une scène à trois personnages : un couple s’enlace
tandis qu’un homme se sauve, les bras de la femme
et du fuyard se tendent l’un vers l’autre.
Scène d’adultère ou dangereux jeu de séduction ?
Marignac, chapiteau, XIIe siècle
Mais le Moyen-Âge, est aussi l’époque du « fin’amor » (amour
courtois), chanté par les troubadours. L’amour, ritualisé, y est
élevé au rang d’art.
L’expression de la vie
« Il contient une forte dose de sacrifice pour accomplir des exploits
qui gagneront le cœur de la femme aimée. Dans une longue
attente mélancolique, il faut aussi supporter ses atermoiements et
l’angoisse, le chagrin et la souffrance qu’ils provoquent. L’effort et
les douleurs de cette conquête deviennent, toutefois, une source
de dépassement personnel et de perfectionnement intérieur, grâce
à la « mesure », longue patience purifiant le désir.» (Le monde des
troubadours, Martin Aurell, extrait de l’âge roman, éd. Gourcuff
Gradenigo, 2011)
Ces hommes et ces femmes nous renvoient à une représentation
du couple dans la société médiévale où le mariage est souvent une
affaire de chefs de famille à la recherche d’alliances. Cette union
profane se transforme progressivement en une union bénite par
une Église, qui souhaite maîtriser la vie des laïcs. Sans être encore
l’un des grands sacrements de l’Église, le mariage commence à
faire l’objet de bénédiction sur le parvis de l’église ou même à
l’intérieur.
Fontaines d’Ozillac, modillon, XIIe siècle
--27--
Les enfants
Les enfants sont peu représentés dans les églises saintongeaises et sont souvent
difficiles à identifier. Cependant, les tailleurs d’images ne les ont pas oubliés. Un bébé à
Boisredon est emmailloté dans des bandes de tissu croisées. Étrange scène à SaintQuantin de Rançannes, que ce personnage qui protège entre ses bras un enfant, alors
que des personnages, identifiés par certains historiens comme de jeunes adolescents,
luttent contre des monstres sur le portail de Chadenac. Quelques décennies plus tard,
le sculpteur de Neuillac présente un groupe : un homme barbu est assis au premier
plan, en retrait, à sa gauche une femme et à sa droite un jeune homme. Peut-être s’agitil là d’un donateur accompagné de sa femme et de son fils aîné ?
Saint-Quantin de Rançannes,
modillon, XIIe siècle
L’expression de la vie
Neuillac, chapiteau, XIIIe siècle
Boisredon, modillon
, XIIIe siècle
Chadenac, détail de la voussure, XIIe siècle
--28--
Il est difficile de naître au Moyen-Âge. Beaucoup d’enfants meurent au cours
de leur première année et seulement un sur deux atteint ses vingt ans. Mais
quelles que soient leurs origines sociales, les enfants n’ont pas le temps
de s’ennuyer. Dans la noblesse, vers sept ans, les garçons commencent
à chasser et à s’entraîner au combat avec des épées factices. Trois ans
plus tard, ils partent chez un seigneur pour faire leur apprentissage de
chevalier, d’abord comme page, puis comme écuyer. Les filles, sous la
férule de leur mère apprennent leur rôle de futures « bonnes épouses ».
Chez les paysans, dès leur plus jeune âge, les fils accompagnent leurs
pères pour les travaux des champs et commencent à garder le troupeau.
Les filles s’activent aux tâches domestiques : s’occuper des plus jeunes,
cuisiner, nourrir les animaux… Lorsqu’ils deviennent adultes, à douze ans
pour les filles et quatorze ans pour les garçons, certains enfants quittent la
maison familiale pour apprendre un métier.
Les soldats
La Haute-Saintonge n’échappe pas aux conflits, « après l’effondrement du pouvoir
carolingien, elle est une proie que se disputent les grandes dynasties princières de l’Ouest.
(…) L’histoire politique de la région n’est, pendant deux siècles, qu’une suite de conflits
entre les princes rivaux et de minuscules guerres privées entre les seigneurs locaux, aux
fidélités changeantes. » (J. Glénisson)
Et voilà que la soldatesque s’impose dans les églises. Têtes casquées sur des modillons de
Neuillac ou de Boisredon, des sentinelles veillent. Cuirassé et jambes tendues vers l’avant
un cavalier de Marignac, tente de maîtriser une étrange monture aux pattes griffues. Un
chevalier charge, une lance pointée vers l’avant sur la façade de Biron…
L’expression de la vie
Les soldats surveillent, montent la garde ou
bataillent. Serviteurs du bien et de Dieu, ils
affrontent courageusement les diables et les
démons qui viennent tourmenter les hommes.
En armures, protégés par des boucliers, les
Neuillac, modillon, XIIe siècle
têtes couvertes d’un heaume, les combattants
de Fontaines d’Ozillac luttent contre des
monstres. Ce thème est récurrent dans la sculpture romane, les Vertus armées
écrasent et transpercent les Vices, symbole du combat que doit mener le fidèle
‘‘en son âme avant d’entrer dans le lieu saint… ‘‘
Marignac, chapiteau, XIIe siècle
Dans la société féodale, il n’existe pas d’armée permanente, mais un
ordre militaire qui forme une réserve de chevaliers et de soldats de
métier, entraînés, équipés et disponibles. Les troupes sont employées
pour une campagne. La rémunération de ces guerriers se fait en terres
sur lesquelles pèsent des obligations militaires. De cette façon, le
seigneur utilise les services de ses vassaux pour mener ses combats.
À ces hommes de guerre s’ajoutent des mercenaires se vendant aux
seigneurs, aux villes ou aux Pays les plus offrants, qui veulent lever
une armée.
Mais, en période de conflit, les dirigeants attendent aussi un soutien
moral de leurs sujets, et surtout, une aide économique et financière, en
nature ou en corvées. Ainsi, chacun participe à sa manière à la guerre.
Biron, détail de la façade occi
dentale, XIIe siècle
--29--
Guitinières, chapiteau, XIIe siècle
Les paysans
Depuis qu’Adam et Ève ont été chassés du Paradis et
condamnés à cultiver la terre pour vivre, les hommes labourent,
ensemencent, moissonnent, récoltent… L’agriculture revêt une
telle importance que sur les calendriers, les mois sont identifiés
par des illustrations des travaux des champs, indissociables du
rythme des saisons.
L’expression de la vie
En Haute-Saintonge, le XIe siècle est une période d’essor
économique et démographique qui se poursuit jusqu’au XIIIe
siècle. De nouveaux villages s’implantent, les cultures s’étendent
sur les terres récemment défrichées. Les Saintongeais
bénéficient d’un ordre féodal moins précoce et plus souple que
dans d’autres régions et de l’influence romaine persistante, ce qui
explique sans doute que certains paysans disposent librement
d’une propriété morcelée nommée le mansus, qui devient ensuite
le « maine.»
Saint-Fort su
r Gironde,
modillon, XI
IIe siècle
Boscamnant, modillon, XIIe siècle
Marignac, modillon, XIIe siècle
--30--
Entre les taxes, les corvées et les impôts que le seigneur exige, en échange
de sa protection, les récoltes soumises aux conditions météorologiques et
les risques de conflits, la vie des paysans est difficile.
C’est pourtant au cours de cette période que s’opère un important essor
rural. L’homme maîtrise la nature, il défriche les terres, gagne des espaces
et les techniques agraires progressent. L’alternance des cultures est mise en
place, pendant que les outils s’améliorent permettant un meilleur rendement
agricole.
Ce monde rural est présent dans les églises romanes. Il est sculpté sur les
modillons et les chapiteaux saintongeais. Un homme empoigne des tiges
végétales à Guitinières, un paysan la houe sur l’épaule croise le pêcheur
de créa (esturgeon) à Saint-Fort sur Gironde. Région où le vignoble joue
déjà un rôle prépondérant dans l’économie locale, le tonneau seul ou tenu
à bras le corps par de pittoresques personnages est là, aussi ancré dans
la pierre que dans les chais de : Marignac, Nieul le Virouil, Mosnac sur
Seugne, Boscamnant… et à Jarnac-Champagne, un homme porte un
joug sur ses épaules.
siècle
Jarnac-Champagne, chapiteau, XIIe
Le bain au moyen-âge
L’expression de la vie
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le Moyen-Âge est « propre »
et de nombreux traités engagent même à une obsession de la propreté
des enfants, les bébés pouvant être lavés plusieurs fois par jour.
Les bains se prennent dans des cuviers de forme ronde ou ovale, faits
en douelles en bois ou en fer selon les milieux sociaux. Lorsqu’il n’y a
pas de savon, on utilise des plantes. Le jus de blette donne un excellent
shampoing et les feuilles de chêne ou de noyer permettent d’obtenir
de beaux cheveux. Pour chasser les mauvaises odeurs, les aisselles
sont rasées et frottées avec une composition de vin mêlé à d’autres
ingrédients.
Au XIIe siècle, il ne paraît pas impudique de se
déshabiller devant l’autre, on vit
avec une liberté que la morale
d’aujourd’hui condamnerait au
nom des bonnes mœurs ! À
Neuillac, une jeune femme est
plongée dans un cuvier, derrière
elle apparaissent deux visages.
le
Neuillac, modillon XIIe sièc
--31--
L’esprit de fête...
Triste le Moyen-Âge ? Quelle idée ! À cette époque les gens
aiment faire la fête et marient facilement les rites religieux
avec les plaisirs de la vie, où l’espièglerie, pour ne pas dire,
la paillardise, n’est jamais très éloignée. La « fête des fous»
en est un exemple : cette fête, condamnée par l’Église en
1431, permettait le temps d’une journée de bouleverser
l’ordre établi par des excès aux accents païens et libertins.
La liesse populaire anime les places et les rues. À la
fois musicien, chanteur, acrobate, conteur, montreur
d’animaux, faiseur de tours et parfois marchand d’herbes
et d’onguents, le jongleur, aux multiples talents, est à
l’honneur. Il distrait la foule par ses contorsions et ses tours
de malices dans lesquels l’Église voit un outrage du corps
qu’elle condamne. Ces prouesses physiques se retrouvent
dans de nombreuses églises.
Salignac de Mirambeau,
modillon, XIIe siècle
L’expression de la vie
Jarnac-Champagne,
modillon, XVIe siècle
Agudelle, chapiteau, XIVe- XVe siècle
XIVe- XVe siècle
Léoville, culot,
--32--
Arc-bouté, tête en bas, jambes repliées, l’acrobate de Salignac
de Mirambeau est complètement retourné, mais étrangement
les manches de sa tunique ne subissent pas les lois de la
pesanteur ! En équilibre sur les mains, les pieds en appui sur la
tête, voici la posture adoptée par des artistes de Pérignac et de
Fontaines d’Ozillac. L’assise en tailleur, est plus classique pour
celui d’Agudelle, alors qu’à Léoville, il redresse son torse, les
bras et les jambes relevés. Mais en observant les modillons et
les chapiteaux des églises saintongeaises de nombreux autres
virtuoses s’illustrent par leur incroyable souplesse.
Ces acrobates s’accompagnent de musiciens dont les
instruments sont parfois difficilement identifiables. Les joueurs de
Champagnolles, Marignac, Allas-Bocage, Saint-Quantin de
Rançannes… pratiquent la rote, instrument à cordes composé
d’une caisse qui se tient posé entre les cuisses. D’autres ont
opté pour des instruments à vent : la corne à Champagnolles,
Marignac, Pérignac… les mélomanes de Neuillac, ont préféré,
selon toute vraisemblance, le pipeau et le frestel, sorte de flûte de
pan. Quelques vieillards du portail d’Avy distraient la compagnie
en jouant de la vielle, et d’autres instruments à vent. Comme
pour les acrobates, l’art roman regorge de ces musiciens parfois
pittoresques. Alors qu’à Saint-Martin d’Ary une ronde s’est
formée pour un pas de danse endiablé.
Pérignac, modillon, XIIe siècle
au,
d’Ary, chapite
Saint-Martin
XIIe siècle
Allas-Bocage, modillon,
XIIe-XIIIe siècle
« Dans l’octave de Noël ou à l’Épiphanie, selon les régions, la
célébration de l’office divin donnait lieu à un véritable carnaval.
Les diacres, les sous-diacres, les enfants de chœur, le visage
barbouillé de suie ou couvert de masques grotesques,
s’exhibaient sous les déguisements les plus invraisemblables:
on en voyait plusieurs travestis en femmes, d’autres en
costume de fol, portant coqueluchon à grelots et la marotte,
d’autres vêtus d’oripeaux de théâtre. Ce jour–là, les fidèles se
pressaient en foule pour voir le clergé officier « publiquement et
solennellement » au milieu de la chienlit générale. »
(Le sceptre et la marotte, M. Lever, éd. Fayard-1999)
tin de Ranç
Saint-Quan
XIIe siècle
--33--
annes, mod
illon,
L’expression de la vie
Champagnolles, modillon, XIIe siècle
Drôle de zoo
--34--
Echebrune, détail portail, XIIe siècle
L’animal est omniprésent dans la sculpture romane de Haute-Saintonge d’où il surgit inattendu et surprenant. Compagnon du quotidien des
hommes ou être fantastique, il trouve une place de choix dans l’imaginaire médiéval. Du serpent tentateur et démoniaque du péché originel
à la colombe de l’Esprit saint, du bœuf à l’âne et autre symbolique religieuse, les animaux s’agrippent aux pierres des églises. Parfois alliés,
parfois ennemis, ils participent à la lutte de l’Homme contre le mal.
Jarnac-Champagne, chapiteau, XIIe siècle
Pourtant, l’histoire commençait bien, dans l’Éden des
temps heureux, où les hommes et les animaux vivaient en
parfaite harmonie. Et puis, le serpent, la pomme et Ève
sont arrivés et tout a basculé. Dès lors, tout le monde
s’affronte dans un « joyeux charivari », où le plus fort avale
le plus faible. Au milieu de tout cela, apparaissent des
êtres hybrides, mi-humains, mi-animaux, des centaures,
des sirènes, des basilics, échappés des mythologies
antiques, de l’imaginaire ou des frayeurs de nos aïeux.
Des monstres biscornus qui donnent des frissons dans le
dos ! À parcourir les églises de Saintonge, la créativité
des sculpteurs se révèle dans tout son déchaînement. Elle
nous emmène dans un univers fantastique qui semble
échapper à la raison, un monde fait à la fois de merveilleux
et d’effroi.
Drôle de zoo
« Mais que font dans les cloîtres, devant les frères en train de lire,
ces grotesques qui prêtent à rire, ces beautés d’une étonnante
monstruosité ou ces monstres d’une étonnante beauté ? Que font
ces singes obscènes ? Et ces lions féroces ? Et ces monstrueux
centaures ? Et ces créatures à moitié humaines ? Et ces tigres au
poil tacheté ? On peut voir une seule tête rattachée à plusieurs
corps ou inversement un seul corps possédant plusieurs têtes. On
distingue ici un quadrupède avec une queue de serpent et là un
poisson avec une tête de quadrupède. Là un animal se présente
d’abord comme un cheval, mais il traîne derrière lui son arrièretrain de chèvre : ici c’est un animal cornu qui se transforme en
cheval par derrière. En un mot il y a partout une variété de formes
différentes si grande et si extraordinaire qu’on a plutôt envie de
lire sur les marbres que dans les livres et de passer sa journée en
examinant ces images une à une plutôt que de méditer sur la gloire
de Dieu. Grand Dieu ! si on n’a pas de honte de pareilles frivolités,
on devrait au moins regretter ce qu’elles coûtent. »
(Bernard de Clairvaux, apologie à Guillaume de Saint-Thierry – XIIe siècle )
Chadenac, chapiteau, XIIe
siècle
--35--
Les sirènes
Issues tout droit des cultures anciennes, les sirènes qui
tentèrent de charmer Ulysse, continuent à séduire les
hommes sur les chapiteaux des églises de Saintonge,
pour mieux entraîner leurs âmes vers les profondeurs de
l’Enfer. Symbole de la séduction, elles sont représentées
le plus souvent avec les attributs de la féminité, longue
chevelure, poitrine dénudée, cet aspect est encore plus
flagrant avec les sirènes bi-caudales dont le bas du
corps s’apparente à des jambes.
Drôle de zoo
Elles offrent de charmants
visages à l’intérieur de l’église
de Marignac où elles sont
représentées sur un chapiteau,
souriantes et tenant dans les
mains des poissons, picorés
par des oiseaux. En extérieur,
ce sont des sirènes bi-caudales
,
ts
qui se livrent à un exercice
û
o
g
A
es des
Saint-Georg siècle
d’acrobatie, comme celles de
IIe
X
chapiteau,
Mosnac sur Seugne. Sur
le portail de Saint-Georges
des Agoûts, une scène réunit de nouveau poisson
et sirène.
Les centaures
Marignac, chapite
au, XIIe siècle
Les centaures, créatures brutales et hostiles, qui affrontèrent
Héraclès et les Lapithes, ont trouvé refuge sur les portails
saintongeais. Muni d’un arc, le centaure de Biron poursuit
des cerfs. C’est encore un centaure armé qui s’impose sur un
chapiteau de Jarnac-Champagne. Il est aussi présent sur un
modillon de la façade de Pérignac.
Biron, détail façade occidentale, XIIe siècle
Jarnac-Champagne,
chapiteau, XIIe siècle
--36--
Jarnac Champagne,
Chapiteau XIIe siècle
Le griffon
Le griffon, animal fantastique doté d’un corps de lion, d’une tête
et d’ailes d’aigle, est présent dans plusieurs cultures antiques
comme l’Égypte ou la Perse. Sa force le rend pratiquement
invincible, ce qui fait de lui, dans de nombreuses mythologies, le
gardien des trésors. Deux sont venus s’installer sur un chapiteau
de Pérignac, où ils se font face. Nous retrouvons une variante
du griffon à Tugéras, plusieurs sont répartis sur deux chapiteaux,
les uns portent sur leurs dos un oiseau et les autres sont dans
une attitude de ruade très esthétique.
Pérignac, chapiteau
, XIIe siècle
Tugéras, chapiteau, XVIe siècle
Le dragon
Nous pouvons le contempler à Marignac, où il poursuit et affronte d’autres animaux, toujours à Marignac, sur un chapiteau,
il se caractérise par une tête à
chaque extrémité de son corps. Celui de la façade de Biron poursuit un chien. À
Saint-Eugène, à l’intérieur
de l’église, il se tient près des oreilles d’un homme pour lui souffler quelques
mauvaises pensées. Il
domine sans partage un chapiteau de Champagnac. L’érosion de la
pierre a ôté l’aspect
inquiétant du dragon de Neuillac. Et dans une belle composition
harmonieuse,
le
sculpteur d’Echebrune a représenté deux dragons dont les cous
s’enroulent
l’un
autour de l’autre sur la façade de l’église.
Saint-Eugène, détail de chapiteau, XIIe siècle
Champagnac,
chapiteau, XIIIe siècle
--37--
Drôle de zoo
Le dragon est un thème récurrent de la sculpture des églises de Saintonge. Il se présente sous la forme d’un serpent ailé,
recouvert d’écailles avec une longue queue effilée, ses pattes sont au nombre de deux ou de quatre, il possède des petites
oreilles pointues et son regard fixe possède le pouvoir de paralyser. Il marche, vole et nage ce qui le fait appartenir aux trois
mondes : terrestre, céleste et aquatique. Incarnation du mal et du diable, le vaincre est un exploit que seuls peuvent accomplir
de grands saints, comme saint Michel ou saint Georges, et de rares héros de la mythologie.
D’autres monstres apparaissent dans la sculpture médiévale,
Tugéras offre un beau spécimen de basilic, au corps de coq et
à la queue de serpent, sorti d’un œuf pondu par un vieux coq et
couvé par un crapaud. Cet animal terrifiant est capable de tuer
d’un simple regard. Un sphinx, lion à tête humaine, se trouve
pris dans la frise végétale de Marignac. Des oiseaux à têtes humaines, s’imposent sur le portail de Chadenac mais aussi sur
des modillons de Saint-Fort sur Gironde, d’Echebrune. À
Jarnac-Champagne, l’oiseau peut être assimilé à un coq par
sa queue et la crête qui domine la tête humaine.
Cependant, ces quelques représentations ne sont qu’un infime
aperçu de l’incroyable fantaisie créatrice des sculpteurs médiévaux que l’on peut découvrir en observant les églises de
Haute-Saintonge.
L’origine de bien de ces drôles d’animaux provient essentiellement d’écrits comme : le Physiologus, écrit au IIe siècle et qui
connaît un grand succès au Moyen-âge, ou encore le Spéculum
ecclesiae d’Honorius d’Autun (1080 env 1150). Mais aussi, d’anciens rites païens et des histoires qui circulent sur des animaux
fantastiques, que les tailleurs d’images ont matérialisé avec les
sculptures romanes.
Drôle de zoo
Chadenac, chapiteau, XIIe siècle
Tugéras, Chapiteau, XIIe siècle
Marignac, chapiteau, XIIe siècle
Saint-Fort sur Gironde, modillon, XIIe siècle
--38--
Le Pin, modillon, XIIe siècle
, XIIe siècle
Saint-Ciers du Taillon, modillon
Saint-Germain de Vibrac,
modillon, XIIe siècle
Drôle de zoo
Il n’y a pas que les animaux fabuleux qui ont droit de paraître dans les églises saintongeaises. Les coqs, les chiens, les chevaux, les vaches, les béliers et autres animaux domestiques, ne se laissent pas distancer par ces monstres envahissants.
Plus familiers et plus rassurants, ils occupent, eux aussi, chapiteaux et modillons.
Compagnons quotidiens des hommes, ils ont inspiré les sculpteurs. D’autant que nombre d’entre eux ont une charge symbolique forte : l’âne qui accompagna Jésus tout au long de sa vie, de sa naissance dans la grotte de Bethléem à son entrée
dans Jérusalem, en passant par la fuite en Égypte. Le coq, emblème christique de la résurrection, sans oublier l’agneau,
symbole de l’innocence et du sacrifice… Ils évoquent aussi des vertus que l’homme souhaite atteindre ou bien des vices
qu’il doit combattre.
En s’inspirant de son environnement le plus proche, le
Fontaines d
’Ozilla
sculpteur représente sur les chapiteaux et les modillons,
portail occi c, détail voussure du
dental, XIIe
siècle
les animaux qui lui sont familiers. Ainsi la chèvre se retrouve
à Coulonges, Neuillac, Biron, Mosnac sur Seugne,
Saint-Martin d’Ary… Le bélier est imagé à Mosnac sur
Seugne, Nieul le Virouil, Marignac… Le bœuf, animal utilisé dans les travaux des champs, est représenté à Marignac,
Mosnac sur Seugne, Biron, Echebrune, Mérignac… Le
cochon trouve sa place à Le Pin, Saint-Germain de Vibrac,
Neuillac… Le chien est bien installé sur une voussure du
portail de Biron où il pourchasse coqs, faisans et paons. Plus
loin, les rôles s’inversent, il est à son tour poursuivi par un animal fantastique, il est aussi présent sur des modillons à Ozillac, Jarnac-Champagne, Germignac… Des poissons
susurrent aux oreilles des sirènes de Saint-Georges des
Agoûts et de Marignac. Proche de l’estuaire, le sculpteur
de Saint-Fort sur Gironde a évoqué un pêcheur portant sur
ses épaules un gigantesque esturgeon, poisson roi de l’estuaire appelé aussi créa. Le coq de Saint-Ciers du Taillon
a perdu sa tête. Une scène de chasse de Marignac, montre
un cerf terrassé par deux chiens et un homme…
Neuillac, modillon, XIIe siècle
Biron, détail voussure du portail occid
ental, XIIe siècle
--39--
Le cheval
Parmi les animaux des églises, le cheval occupe une place
d’honneur. Ce sont de belles têtes de chevaux avec des mors dans
la bouche, qui ornent les modillons dominant l’entrée de SaintQuantin de Rançannes. Une frise de motifs similaires se déploie
sur une voussure du portail de Saint-Fort sur Gironde, et dans
la même disposition, au-dessus d’une ouverture de Pérignac. À
Neuillac, deux têtes de chevaux sont côte à côte. Le collier de
travail encore visible autour du cou du cheval d’Avy semble indiquer
que l’animal représenté participait aux travaux des hommes, peutêtre au chantier de l’église. à Montguyon, l’animal, la bride sur le
cou, est accompagné de son maître dans un décors végétal...
Drôle de zoo
Saint-Fort
du portail sur Gironde, déta
il
occidenta
l, XIIe sièclvoussure
e
Avy, modillon, XIIe
siècle
Neuillac, détail de la façade occidentale, XIIe siècle
--40--
Le lion
Omniprésent, le lion est représenté pour ses qualités symboliques. Il est investi de pouvoirs qui l’identifient au Christ : chassé,
il efface ses traces avec sa queue comme Jésus qui cache aux hommes sa nature divine ; il dort les yeux ouverts comme le
Christ qui veille et son souffle redonne vie à ses petits mort-nés après trois jours, symbole de la résurrection. Il est aussi un
des instruments du martyre des chrétiens.
Mais plus que sa symbolique, ce qui attire notre regard,
c’est l’esthétisme de ses formes et de ses poses. Assis,
dressé, bondissant,… son corps souple et puissant se
prête à de nombreuses compositions. À Marignac et
à Fontaines d’Ozillac, ils sont pris dans des rinceaux
de feuillage ou affrontés sur des chapiteaux. De grands
fauves bondissent sur la façade de Chadenac. Deux
lions partageant une seule tête se tiennent par le cou à
Guitinières. Ils se retrouvent face à face, prêts à se battre
ou à s’amuser, sur une voussure du portail de Biron.
Accompagnés d’oiseaux, ils ornent une frise à Pérignac.
Ils encadrent parfois un homme qui les tient par l’encolure
comme à Jarnac-Champagne. C’est en face à face que
le sculpteur de Boisredon les a représentés…
tale, XIIe siècle
l façade occiden
Chadenac, détai
Drôle de zoo
Boisredon, chapiteau, XVe siècle
Neuillac, détail de la façade occidentale, XIIe siècle
--41--
siècle
Jonzac, détail façade occidentale, XII
Champagnolles, modillon, XIIe siècle
Les oiseaux
Drôle de zoo
Les oiseaux, à l’image des lions, sont utilisés pour leurs valeurs symboliques ou décoratives. Comme ces nombreux oiseaux, cous
inclinés, qui boivent dans une coupe ou une feuille à Saint-Palais de Phiolin ou encore Jarnac-Champagne, Marignac… Étrange
scène que ces oiseaux de Saint-Thomas de Cônac, ils sont entourés de leurs petits qu’ils protègent de leurs ailes déployées. Cinq
oiseaux, becs contre becs ornent un chapiteau intérieur de Champagnolles, tandis qu’à l’extérieur une amusante petite chouette
un peu bedonnante se tient voûtée. Sur un modillon de Salignac de Mirambeau, ils se font face en appui sur une seule patte. L’une
des représentations les plus récurrentes est la lutte qu’ils livrent avec d’autres animaux, Marignac et Fontaines d’Ozillac en sont
de belles illustrations. à Montguyon, ils partagent un chapiteau du portail avec un quadrupède. Observation de la nature ou symbole
religieux à Saint-Quantin de Rançannes et Guitinières, Ils tiennent des serpents dans leurs becs. Leurs corps ployés épousent
les velutes végétales qui les entourent, formant un harmonieux ensemble à Saint-Martin d’Ary. Ceux de Saint-Martin de Coux
picorent des grains, peut-être de raisin. Sur la façade de Jonzac, des oiseaux jouent dans des entrelacs végétaux.
Saint-Th
omas de
Cônac, c
hapiteau
, XIIe siè
cle
--42--
il
, détail du porta
Coux, chapiteau
de
tin
ar
t-M
in
Sa
Le serpent
S’il est un animal détesté et haï, c’est bien le serpent ! Maudit par Dieu, condamné à ramper, le serpent joue le rôle du
tentateur, il s’enroule autour des femmes, il murmure aux oreilles des hommes pour les entraîner vers le péché.
Mais son corps, long et flexible, se prête aux
compositions les plus esthétiques. Le modillon de
Mosnac sur Seugne, avec son serpent enroulé sur luimême est loin d’être effrayant, même si les deux ailes
dont l’a pourvu le sculpteur le rapprochent des dragons
et autres monstres dont les artistes romans ont peuplé
les églises de Saintonge.
Mosnac sur Seugne,
Saint-Quantin de Rançannes,
modillon, XIIIe siècle
, XIIe siècle
Biron, chapiteau
--43--
le
modillon, XIVe sièc
Drôle de zoo
La scène d’un chapiteau de Biron, le montre entourant le corps
d’une femme, sa tête jaillissant derrière le visage de la femme.
Sur la gauche, un homme assis sur un siège tend la main vers la
femme, sur la droite, un crapaud et un deuxième serpent semblent
attendre : l’éternelle lutte que chaque individu livre entre le bien
et le mal. À Guitinières, c’est une représentation plus courante
de la luxure, deux serpents mordent les seins d’une femme alors
que son visage est torturé par deux démons. Autour du tronc
de l’arbre de la Connaissance de Salignac de Mirambeau, il
encourage Ève à cueillir le fruit défendu.
Une végétation luxuriante
--44--
Sémillac, chapiteau déposé, XIIe siècle
La nature entoure l’homme, elle est partout : les forêts qu’il faut défricher, les champs qu’il faut ensemencer, les plantes potagères qu’il faut
cultiver et les herbes médicinales qu’il faut cueillir. Car les végétaux enferment d’innombrables propriétés : elles nourrissent, soignent,
sauvent mais peuvent aussi tuer ; elles ont des pouvoirs, bénéfiques ou maléfiques.
on, XIIe siècle
Fontaines d’Ozillac, modill
Salignac de Mirambe
au, chapiteau, XIIe siè
cle
Dans la Genèse, les scènes de l’Expulsion du
Paradis représentent un arbre, peu identifiable,
celui de la Tentation qui porte les dangereux
fruits de la connaissance, du Bien et du Mal.
À Rouffignac, il se compose de plusieurs troncs
dépourvus de feuilles et de fruits. À Salignac de
Mirambeau, l’arbre offre des branches terminées en
sorte de volutes avec des fruits ronds, autour se devine
une végétation luxuriante.
Thème récurrent de la sculpture saintongeaise, la flore
s’étale partout en feuillages, volutes luxuriantes, fleurs.
Elle envahit les chapiteaux, les modillons, les arcs et les
voussures. Elle n’est pas plus sage que le bestiaire. Elle
se transforme, elle aussi ; ses bourgeons deviennent
têtes humaines ou animales, elle s’empare des animaux
et des hommes qu’elle emprisonne dans des tiges
feuillues. Derrière les arabesques végétales surgissent
des visages. Un lion de Fontaines d’Ozillac semble
très étonné d’avoir été affublé d’une queue feuillue,
des hommes à Salignac de Mirambeau, Guitinières
empoignent des branches.
--45--
Une végétation luxuriante
cle
apiteau, XIIe siè
Rouffignac, ch
Des plantes plus reconnaissables sont visibles à Réaux, au cœur d’un pays de vignobles,
deux feuilles de vignes ont été sculptées sur le portail. Elles ornent aussi le portail de Brie
sous Archiac, Saint-Hilaire du Bois,… Sur un chapiteau déposé de Sémillac une belle
fleur entre dans la composition végétale. De la même manière, à Saint-Germain du Seudre,
un chapiteau aligne sur trois rangées des pommes de pin, modèle repris au XIXe siècle pour
l’actuel portail de l’église.
Dans de nombreux endroits, nous retrouvons des décors floraux, à Jonzac, des tiges se
terminent par des fleurs. Une des voussures du portail de Saint-Quantin de Rançannes
offre une frise où s’alternent, avec les formes géométriques et les croix, des feuilles et des
fleurs, modèles que l’on retrouve sur des chapiteaux de la façade. D’élégants feuillages
ponctuent la nef de Chepniers. Clérac présente des fleurs à six pétales alors que les
chapiteaux des arcades de la façade de Saint-Vivien à Montlieu-la-Garde mèlent des
feuillages de tous styles, Saint-Palais de Négrignac s’orne de belles guirlandes végétales.
Saint-Germain du Seudre,
chapiteau déposé, XIIe siècle
Une végétation luxuriante
Ailleurs c’est une végétation plus stylisée avec des palmettes, des feuilles d’acanthe et des feuillages plus allongés qui ornent
les chapiteaux, comme à Saint-Thomas de Cônac, Echebrune. Mais dans le monde fantaisiste des sculpteurs, les univers
s’entremêlent, dans de nombreux cas, apparaissent des visages humains, comme à Biron, où se déploie une profusion de végétaux,
dans lesquels se nichent des humains, des animaux et des monstres.
Sousmoulins, chapiteau, XVe siècle
Saint-Palais de Négrignac, chapiteau XVIe siècle
Jonzac, chapiteau, XIIe siècle
façade, XVe siècle
Réaux, détail de la
--46--
Brie sous Archiac, chapiteau, XIVe siècle
Chepniers, chap
iteau, XVe siècle
s
Clérac, chapiteau, XVIe siècle
«Jusqu’à la fin du XIe siècle, le décor sculpté
des églises était un décor à dominante végétale:
chapiteaux corinthiens à feuilles d’acanthe, chapiteaux
à feuilles grasses, à feuilles plates, à palmettes, avec
des tiges entrelacées qui peuvent se transformer
en rinceaux et autres figures géométriques, comme
dans l’enluminure et la reliure des manuscrits ou sur
les tissus précieux. Ce monde végétal représente
la nature, il incarne le miracle de la vie sans cesse
renaissante ; un thème aux origines très lointaines
mais dont le christianisme a renouvelé le sens puisque
la nature est la création de Dieu ; la représenter, c’est
rendre hommage à Dieu. C’est une nature à la fois
nourricière et protectrice dans laquelle nichent les
oiseaux ; les hommes peuvent s’y réfugier mais
aussi la dominer ; le thème ancien de l’homme ou
des hommes dans des feuillages, qui prend tout son
sens dans le grand élan de croissance des XIe et XIIe
siècles, est plusieurs fois repris dans les églises…»
Germignac, chapiteau, XVe siècle
(Sculpture romane du Poitou, le temps des chefs-d’œuvre, M.Th.
Camus, E. Carpentier, J.F. Amelot, Ed. Picard, 2011)
cidental,
tail portail oc
Echebrune, déIIe siècle
chapiteaux, XI
Une végétation luxuriante
Les chapiteaux corinthiens ont été l’un des thèmes majeurs du décor antique. Il se retrouve au Moyen-âge, avec des variantes
qui amènent à une représentation végétale plus fantaisiste, voire à sa disparition au profit des êtres vivants. Le chapiteau
corinthien, complexe dans sa composition, se trouve alors réinterprété avec originalité par les sculpteurs médiévaux. Les
feuilles d’acanthe accueillent des motifs étrangers à l’univers végétal et deviennent parfois un simple cadre à des scènes
historiées plus ou moins ludiques. Ils font partie des thèmes récurrents de la sculpture de nombreuses églises saintongeaises.
Les églises de Haute-Saintonge
Pommiers-Moulons, église de Moulons
Au-delà de leurs fonctions religieuses, les églises occupent une position maîtresse dans la société médiévale et contribuent à la mise en
place de l’identité du territoire. Elles participent au regroupement des hommes dans les villages où elles s’implantent et deviennent des
lieux, avec les châteaux et les cimetières, où se structurent les premières communautés villageoises.
Les hommes s’y retrouvent pour traiter et délibérer des affaires communes. Mais des artisans qui ont sculpté leur décor, nous savons
peu de chose, ni de l’organisation de leur travail, ni de leurs relations avec les autres corps de métier qui oeuvrent sur le chantier de
l’église. Il est aussi difficile d’estimer la part de liberté que les maîtres d’œuvre et les commanditaires ont accordé à leur créativité.
Cependant, en observant les églises saintongeaises, le constat qui s’impose c’est l’importance des décors d’origine végétale,
animale, fantastique et humaine par rapport aux représentations religieuses. De la même manière, la richesse des décorations est
plus manifeste dans le nord et l’ouest de la Haute-Saintonge : zones plus peuplées, situées à proximité des grandes voies de
passage, dont le chemin vers Saint-Jacques de Compostelle, où l’on extrait une pierre plus propice au travail des sculpteurs,
voilà quelques unes des raisons probables de cette abondance. Dans le sud, nous sommes face à un environnement remarquable et
privilégié, où se nichent des églises aux volumes s’harmonisant avec les paysages dont elles épousent les lignes et la beauté. Cette
nature a inspiré les artistes médiévaux, elle est représentée sur de nombreux chapiteaux et modillons.
Aussi rares sont les églises qui ne possèdent pas au moins
une sculpture à découvrir au gré d’une balade.
Les églises de Haute-Saintonge
Avec la profusion et la diversité de leurs sculptures, les églises de Haute-Saintonge témoignent d’une époque où l’image joue un
rôle capital. Des images qu’aujourd’hui encore chacun déchiffre avec son niveau de compréhension. Ainsi, pour certains, l’acrobate
est un saltimbanque se livrant à des contorsions, pour d’autres, et souvent avec des surinterprétations, il symbolise le retournement
des valeurs morales et sociales ou encore le relâchement des corps et de l’esprit avec la multitude des pêchés qui en résulte.
Champagnac, vue du bourg dominé par son église
POUR ALLER PLUS LOIN...
Bibliographie
POUR ALLER PLUS LOIN...
- Aunis-Saintonge, (ouvrage collectif), éd. Christine Bonneton Editeur, Paris,1987.
- Brudy P. et Benéteau Péan A., (sous la direction de ) L’âge roman , arts et culture en Poitou et dans les pays charentais,
Xe et XIIe siècles, éd. Gourcuff Gradenigo, 2011.
- Bussac (de) È., Sculpteurs au Moyen-âge, l’univers fantastique des chapiteaux romans, Éditions l’instant durable, ClermontFerrand, 2002.
- Camus M.-Th., Carpentier E., Amelot J.-Fr., Sculpture romane du Poitou, le temps des chefs d’oeuvre, éd. Picard, Paris, 2011.
- Camus M.-Th., Sculpture romane du Poitou, les grands chantiers du XIe siècle, éd. Picard, Paris, 1992.
- Closson M. - Propre comme au Moyen-âge Historama n°40, 1987
- Contamine Ph., (sous la direction de Glénisson J.) La guerre au Moyen-âge, imp. Hemmerlé, Petit, 1976, p. 84 à 98.
- Crozet R., L’art roman en Saintonge, éd. Picard, Paris, 1971.
- Davy M. M., Initiation à la symbolique romane, éd. Flammarion,1977.
- Delage P. et Nicolle J., Sculptures et symboles en Saintonge romane, Imp. Gatignol et fils, Royan, 1992.
- Duguy R., Petit bestiaire roman d’Aunis et Saintonge, éd. Rupella, La Rochelle, 1993.
- Eygun Fr., Saintonge romane, éd. Zodiaque, Paris 1970
- L’art roman, coll. Images et connaissances, éd. Elcy, 2000.
- La Haute-Saintonge, (ouvrage collectif), éd. Le Croît vif, Paris, 2007.
- Lacoste J., (dir.) L’imaginaire et la foi, la sculpture romane en Saintonge, éd. Christian Pirot, Saint-Cyr-Sur-Loire, 1998
- Leriche-Andrieux F., Itinéraires romans en Saintonge, éd. Zodiaque, St-Léger-Vauban, 1976.
- Promenades romanes, publication de la Communauté de communes de la Haute-Saintonge, 1995
- Reveyron N. et Rouchon-Mouilleron V., l’ABCdaire de l’art roman, éd. Flammarion, 2000.
- Riché P. et Alexandre-Bidon D., La vie des enfants au Moyen-âge, Editions du Sorbier, 1994.
- Romanovsky V., L’église Saint-Martin de Chadenac, édité par F. Auger, La Rochelle, 1992.
Quelques publications du service patrimoine :
Quelques publications du service patrimoine :
- Promenades romanes - 1995
- Les graffiti de l’église de Moings - 1996
- Les chemins de l’art sacré - 1999
- Carnet de route des graffiti - 2002
- Les vitraux de la Haute-Saintonge - 2005
- Artisans d’Art : Ateliers de Haute-Saintonge - 2009-2010
- La Haute-Saintonge : son patrimoine et ses jardins - 2011
- La villa gallo-romaine de Jonzac : 10 ans fouilles - 2012
Conception graphique : CDCHS
Illustrations : CDCHS
Crédits photo : Service patrimoine, sauf mention particulière indiquée sous la photographie.
Impression : Imprimerie Michot Jonzac
Remerciements particuliers à :
Marie-Thérèse Camus, professeur honoraire d’histoire de l’art médiéval à l’Université de
Poitiers, pour sa précieuse collaboration,
Karine Robin, archéologue au service archélogique du Conseil Général de la Charente-Maritime,
Musée Archéologique et à la ville de Saintes.
Pérignac, M
odillon,
XIIe-XIIIe si
ècle
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