le rapport "Modes de vie"

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le rapport "Modes de vie"
Bureau de recherches - Lieu-dit la Manufacture des Œillets
31 rue Raspail - 94200 - Ivry-sur-Seine - Tél. : + 33 (0) 1 46 72 77 60
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La durabilité et sa prospective sociale, écologique et
politique… au prisme des modes et des styles de vie
Enquête par entretiens et groupe de discussion
dans des éco-quartiers d’initiatives habitantes
et / ou d’orientation sociale
Rapport Final - décembre 2013
Guillaume Faburel (coord.)
Professeur – Université Lumière Lyon 2 – Institut d’Urbanisme de Lyon
Laboratoire Triangle, UMR CNRS et École Normale Supérieure
Daphné Vialan, Thibault Lecourt et Samuël Poisson
Chargé-e-s de recherche
Bureau de recherches Aménités : Aménagement, Environnement, Territoires
Avec l’aide de Nicolas Tinet et de Laurence Renard
Atelier en paysage et urbanisme participatif SCOP La Fabrique du lieu
et de Isabelle Richard
UMR Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement
Pour le Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement
DGALH/DHUP/AD4
Sommaire
Synthèse …...……………...……………………………………………………………………………6
Introduction. Vivre aujourd’hui dans les éco-quartiers : des acquis étrangers croissants mais
un manque persistant d’analyse empirique en France ............................................................ 12 1. État de l’art sur les modes de vie : vers l’individuation par les enjeux
environnementaux et leurs territoires .................................................................................. 15 1.1. Le genre de vie et le mode de vie : notions vagues aux sources de la géographie et de la
sociologie ...........................................................................................................................................15 1.1.1 Le genre de vie en géographie : l’influence du milieu .........................................................15 1.1.2 Des mœurs en sociologie… au lien entre mode de vie et classe sociale ..............................16 1.1.3 Les travaux de l’écologie urbaine et le mode de vie urbain.................................................16 1.1.4 Les évolutions de la société et la critique du genre de vie ...................................................16 1.2. La sociographie, entre rationalisation et problèmes méthodologiques .......................................17 1.2.1. Les modes de vie instrumentalisés par des méthodes quantitatives questionnables ...........17 1.2.2. Les enquêtes SocioVision et Promov : derniers parangons de l’analyse sociographique…
mais adaptée aux enjeux environnementaux .................................................................................18 1.3. La sociologie dite académique et la distinction modes / styles de vie : une déterritorialisation
des représentations et pratiques..........................................................................................................20 1.3.1. Les modes de vie : des études transversales, mais segmentaires ........................................21 1.3.2. Les styles de vie : ensemble complexe d’usages pour des catégories sociales (ou spatiales)
spécifiques......................................................................................................................................22 1.4. Les modes de vie et les territoires (ré)-unis par les enjeux environnementaux et les
engagements auxquels ils conduisent.................................................................................................23 1.4.1 La lente ré-appréhension de l’environnement dans les modes de vie : la psychologie
environnementale, une analyse compréhensive des relations homme-environnement .................23 1.4.2. Les modes de vie en ville : des aménageurs de demain et la question des genres de vie
comme synthèse de leurs productions territoriales par l’environnement .....................................25 2. Démarche méthodologique et présentation des cas étudiés............................................ 29 2.1. Emboîtement de méthodes de sciences sociales (individuelles et collectives), pour explorer
l’appropriation, les formes d’engagement et de la vie de quartier.....................................................29 2.1.1. Le cœur de la démarche : des entretiens chez l’habitant ....................................................29 2.1.2. Le groupe de discussion : temps d’exploration collective...................................................35 2.1.3. Les entretiens avec les acteurs professionnels et institutionnels : temps prospectif de la
démarche........................................................................................................................................36 2.2. Présentation synthétique des cas étudiés : Graulhet, Faux la Montagne, Hédé-Bazouges .........38
3. Graulhet, les Résidences du Parc : une inclusion sociale par le développement
durable ?.................................................................................................................................. 41 3.1. Déroulement de l’enquête : l’impensé de la durabilité, ou la nécessité de passer par
l’observation des comportements.......................................................................................................41 3.2. Analyse : vers une construction sociale de et par la nature ?......................................................47 3.2.1. Des changements marginaux dans les modes de vie ...........................................................48 3.2.1.1. Des modes de vie ordinaires et peu écologiques..........................................................48 3.2.1.2. Un climat apaisé qui resocialise ..................................................................................51 3.2.2. Un projet très volontariste, mais en décalage .....................................................................52 3.2.2.1. Une gouvernance originale ..........................................................................................52 3.2.2.2. L'éco-quartier, un outil d'une politique plus large.......................................................52 3.2.2.3. Un projet encore très descendant et en décalage.........................................................53 3.2.3. Un rapport au politique renouvelé ......................................................................................55 3.2.3.1.Une désaffection du politique en héritage.....................................................................55 3.2.3.2. La controverse comme nouvelle entrée en politique ....................................................56 3.2.3.3. La politique par la nature : un nouvel horizon ............................................................56 3.2.4. Conclusion : inclusion sociale par le développement durable ? .........................................57 4. Les Courtils à Hede-Bazouges : de la réforme écologique des modes de vie (et de son
inégalité ?) ............................................................................................................................... 59 4.1. Déroulement de l’enquête : terrain idoine pour toute recherche sur les modes de vie ...............59 4.2. L’écologie du péri-urbain : d’un projet institutionnel autour de normes techniques à une
construction du commun par des normes sociales .............................................................................62 4.2.1. Portrait des modes de vie dans l’éco-quartier ....................................................................62 4.2.1.1. Habitat et construction : la base commune d’un mode de vie écologique dans l’écoquartier......................................................................................................................................62 4.2.1.2 Consommation : pas d’intégrisme, mais une attention particulière portée à ce thème 63 4.2.1.3 Transport : des difficultés reconnues et des tentatives..................................................64 4.2.1.4 Rapport au travail : un thème émergent .......................................................................64 4.2.1.5 Rapport à la nature : l’environnement comme source de bien-être englobant les modes
de vie..........................................................................................................................................65 4.2.2. Apports et limites du dispositif éco-quartier : vers une prise d’autonomie habitante ........66 4.2.2.1 L’éco-quartier un dispositif extérieur facilitateur.........................................................66 4.2.2.2 La mise en question de la facture technique de l’écologie dans le quartier .................67 4.2.2.3 Du politique instigateur à une certaine désaffection du politique ................................68 4.2.3. Motivations et conditions : l’arrière-plan axiologique de l’éco-quartier, les bases du
commun..........................................................................................................................................69 4.2.3.1 Des vécus et imaginaires de la ville à une volonté de changer de lieu de vie : quitter la
ville sans aller dans un lotissement classique ...........................................................................70 4.2.3.2 La convivialité comme bienveillance et partage ...........................................................72 4.2.3.3 L’écologie : cadre naturel, réflexivité et volonté de maitrise .......................................74 4.2.4. Perspectives : approfondissement du commun et diffusion de l’éco-quartier.....................76 4.2.4.1 Au sein de l’éco-quartier, l’approfondissement en question autour de la création du
commun .....................................................................................................................................76 4.2.4.2. L’éco-quartier dans le bourg : des difficultés d’intégration, mais une indéniable
diffusion .....................................................................................................................................77
4.2.4.3. La généralisation souhaitée des éco-quartiers, mais des obstacles importants : HedeBazouges, les chanceux peu nombreux ? ..................................................................................78 5. Faux la Montagne : la mise en culture de la transformation socio-écologique par les
modes de vie ............................................................................................................................ 80 5.1. Déroulement de l’enquête : Faux la Montagne ou le besoin de réduire la distance avec la
recherche et de limiter la méfiance à l’égard des politiques publiques..............................................80 5.2. Analyse de l’éco-quartier du Four à Pain à Faux la Montagne : des modes de vie responsables
ancrés dans un territoire .....................................................................................................................84 5.2.1. Portrait des modes de vie dans l’éco-quartier : un habiter responsable ancré dans un
territoire.........................................................................................................................................84 5.2.1.1. Consommation : simplicité et maitrise de sa consommation .......................................84 5.2.1.2. Transports : réduire les déplacements et emprunter des modes de transport non
fossiles .......................................................................................................................................85 5.2.1.3. Habitat : partage, modularité, et inscription dans un paysage....................................85 5.2.2. L’appropriation du projet d’éco-quartier : un territoire et des habitants en quête de
maitrise et d’autonomie .................................................................................................................86 5.2.2.1. L’éco-quartier : l’expression de modes de vie plus qu’un dispositif extérieur ............86 5.2.2.2. Se prendre en main collectivement : la problématique de l’accueil de nouveaux
habitants sur le plateau de Millevaches, la dynamique associative/coopérative qui en découle
et le projet d’éco-quartier .........................................................................................................87 5.2.2.3. Le rapport avec les experts : développer localement des compétences dans l’action et
mettre en controverse les savoirs ..............................................................................................89 5.2.2.4. Le rôle des élus : accompagner en donnant les outils et maintenir la cohérence dans
le temps......................................................................................................................................91 5.2.3. La composition du commun : imaginaires ruraux, motivations à s’installer dans l’écoquartier et valeurs d’autonomie et de responsabilité ....................................................................92 5.2.3.1. Imaginaires : questionner les rapports villes-campagnes ...........................................92 5.2.3.2. Motivations : fuir la ville et construire un autre mode d’habiter ................................93 5.2.3.3. Valeurs : écologie et responsabilité, convivialité et entraide ......................................94 5.2.4. Intégration de l’éco-quartier au sein de la commune et diffusion dans le territoire ..........96 5.2.4.1. Pas de statut d’exception pour un éco-quartier qui cherche à s’intégrer dans la
dynamique générale du bourg...................................................................................................96 5.2.4.2. Inspirer plus que dupliquer l’éco-quartier pour renouveler l’urbanisme ...................97 6. Analyse transversale : vers la construction d’un « nouveau » commun par les
écoquartiers ?.......................................................................................................................... 99 6.1. Rappel des terrain et portraits croisés des modes de vie : trois terrains, trois approches ...........99 6.1.1. Rappel sur trois cas d’étude ................................................................................................99 6.1.2. Portraits transversaux des modes de vie dans les éco-quartiers étudiés ..........................101 6.2. L’éco-quartier comme politique du commun : l’expérience de la norme et construction de
modes coopératifs d’action ................................................................................................................99 6.2.1. Nouvelles formes d’engagement et rôle clé de l’expérience .............................................106 6.2.2. Trois constructions du commun : sens commun de la norme technique, biens communs de
la norme sociale, le monde commun de la norme politique ........................................................108 6.2.3. Deux conceptions de la politique du commun : entre héritage moderniste et construction
cosmopolitique de modes coopératifs d’action............................................................................111
6.3. Le commun en partage : une invitation première à questionner les rapports savoirs/pouvoirs et
nos imaginaires ................................................................................................................................113 6.3.1. La critique de l’expertise technique et des rapports de pouvoir en jeu.............................113 6.3.2. Pour nourrir cette nouvelle imbrication savoir/pouvoir : redonner un statut projectif à
l’imaginaire ? ..............................................................................................................................115 Bibliographie…………………………………………………………………………………………118
Annexes ................................................................................................................................................117 7.1. Les Résidences du Parc à Graulhet ...........................................................................................121 7.2. L’éco-quartier du Four à Pain à Faux la Montagne ..................................................................126 7.3. Les Courtils à Hede-Bazouges ..................................................................................................132 Synthèse
1. La durabilité des modes de vie : vers une individuation par l’environnement ?
Le thème des modes de vie dits durables est depuis peu placé au cœur des réflexions de l’urbanisme et
de l’aménagement. Des usages et pratiques locales du lieu, des perceptions environnementales et des
vécus territoriaux, des formes d’appropriation du quartier et des modalités d’engagement dans son
animation… préfigureraient même, pour certains, la réalité émergente de ce que serait un urbanisme
durable (Traits Urbains, décembre 2012 ; Urbanisme, janvier 2013). Et, les éco-quartiers en seraient
des pièces maîtresses, non sans d’ailleurs parfois laisser également entrevoir une normalisation des
conduites (Boissonade, 2011).
Or, les travaux qui appréhendent véritablement les modes de vie dans les éco-quartiers demeurent fort
rares en France. Seuls existent globalement à ce jour : des retours d’expériences étrangères, parfois
mis à profit sur des cas français, mais dès lors éclairés par des contextes socio-culturels fort différents
(Héland 2008 et 2012 ; Emelianoff et Stegassy, 2011 ; Faburel, Manola et Geisler, 2011 ; Béal,
Charvolin et Morel, 2012 ; Faburel et Manola, 2014)1 ; ou des recherches empiriques sur des cas
hexagonaux, mais développant, par une entrée différente, une lecture logiquement partielle du thème.
C’est le cas des usages, voire comportements, tels ceux des dispositifs techniques (ex : énergie), chez
des habitants du parc locatif aidé de trois éco-quartiers français (Renauld, 2011 et 2013).
Outre le caractère nécessairement empirique et pluridisciplinaire de toute observation des modes de
vie, le stade d’avancement des projets concernés a sans conteste joué. Les recherches existantes ont de
ce fait porté en priorité sur des cas tôt pensés voire construits (ZAC de Bonne à Grenoble, Ginko à
Bordeaux…). Toutefois, suivant la chronologie hexagonale de composition et de construction, avec ici
quelques démarches décrites comme innovantes - la question de l’appropriation habitante de tels
quartiers apparaît dorénavant centrale pour apprécier la portée mobilisatrice, voire transformatrice du
développement durable (Marcuse, 1998 ; Puech 2010 ; Rumpala, 2010 ; Lévy et Emelianoff, 2011…),
particulièrement lorsque la problématique des modes d’habiter2 la ville refait jour, notamment avec
l’avènement du « fait métropolitain ».
Il est vrai que, a minima, de tels projets ont souvent pour ambition de bâtir d’autres formes spatiales
non sans lien dès lors à la composition sociale du lieu. Ils affirment fortement une mixité fonctionnelle
voire une diversité générationnelle. Ils proposent fréquemment de nouveaux services, voire préfigurent
des modes de consommation différents. Et, sans clore la liste de leurs ambitions, bien au contraire, ils
façonnent des cadres naturels/paysagers d’un urbanisme se voulant non seulement plus respectueux
des écosystèmes, mais également plus habitable.
Or, dans le même temps, les modes de vie, saisis cette fois-ci dans la généralité des évolutions
sociales, ont pu évoluer. Thème très présent dans les discours scientifiques sur l’urbain depuis
plusieurs décennies, notamment par les travaux de la sociologie (cf. par exemple Espaces et Sociétés,
1994), ces analyses livrent quelques transformations fondamentales remarquées. Parmi ces évolutions,
trois, reliées, sont ici impliquées.
Plus que des modes de vie qui se généralisent par la culture de masse (sans pour autant nier les
héritages sociaux), des styles de vie de plus en plus différenciés sont aussi apparus sur la période.
Davantage attachés à l’identité des personnes que les modes de vie, dont le ressort est d’abord
l’identité des pratiques, ces styles de vie montrent de plus en plus une différenciation par individuation
(et non pas individualisation). En d’autres termes, se forgeraient aussi par des pratiques des identités
individuelles, voire collectives par les liens qu’elles permettraient de tisser, souvent localement. Or,
1
Wilhelmina Gasthuis Terrein à Amsterdam, de même que, également aux Pays Bas, Arnhem ou EvaLanxmeer, quartier de Culemborg ; Tübingen, Hjorshoj ou encore Albertslund au Danemark ; Augustenborg et
BO01 à Malmö (Suède) ; Kronsberg à Hanovre ou Vauban à Fribourg (Allemagne)…
2
Par habiter, on entend ici une réalité conceptuelle large, qui se rapporte à la manière dont les humains sont en
relation avec les lieux de leur existence (Paquot, Lussault, Younes, 2007).
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deuxième fait remarqué, les rapports qui unissent les populations à leurs espaces, lieux et territoires,
donc aussi localités de vie, y contribuent grandement, faisant alors des modes et styles de vie de
véritables « aménageurs des territoires » (Viard, 2012). Enfin, troisième évolution, les considérations
et enjeux environnementaux participent activement de ce mouvement de construction identitaire des
individus et de composition spatiale d’un habiter par les modes et styles de vie (Faburel et Roché,
2014), au point que certains annoncent d’ores et déjà leur « réforme écologique » (Dobré et Juan,
2009).
2. Le potentiel des éco-quartiers : questionnement et cas d’études
Loin de ne proposer seulement des dispositifs techniques et énergétiques, comme cela a pu être le cas
dans les générations antérieures de conception (Lefèvre, 2008 ; Souami, 2009), les éco-quartiers
pourraient-ils ce jour être le siège, voire l’opérateur, de telles évolutions, que ce soit dans les choix de
consommation, dans les formes d’usage du logement, dans les modes déplacements, dans les types de
pratiques de l’espace public ou encore dans les comportements récréatifs de nature ? Si oui, quels sont
les profils sociaux remarqués, les thèmes et sujets structurants, les évolutions en germe ou advenues ?
De quelle(s) manière(s) précisément les acteurs et habitants y contribuent-ils, et pour quelles
représentations de l’habiter et croyances sur le « vivre ensemble », quels symboles du changement et
imaginaires du devenir urbain/rural, ville/campagne… ? Entre pratiques et individus, des identités y
sont-elles en germe, et quels rôles y jouent les enjeux et problématiques écologiques et
environnementales ?
Le bureau AD4 du Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement a alors souhaité voir engagé
un travail empirique visant à saisir de tels signaux de moins en moins présentés comme faibles si l’on
en juge la littérature appuyée sur des manifestations certes éparses mais multiples (Faburel, 2010). Ce
travail est mené en deux ans (2013-2014) sur six éco-quartiers issus des appels de 2009 et 2011, trois
d’initiative habitante et/ou d’orientation sociale (présent rapport), et trois autres, en 2014, de portage et
de visibilité institutionnelles plus forts. La seconde phase débutée à ce jour concerne des projets de
bien plus grande envergure, que ce soit de régénération au cœur d’un centre ancien (ZAC de Bonne de
Grenoble), la mise en œuvre d’un Grand Projet de Ville (Eco-quartier de la Duchère à Lyon) et la
densification d’une entrée de ville sur friche industrielle (la Courrouze à Rennes).
Réalisée sur une base pluridisciplinaire (sociologie, psychologie, géographie et sciences politiques), et
à partir d’entretiens de 40 mn à 2 heures chez les habitants (42) ou avec les acteurs (15), et de groupe
de discussion (3h30), nous rendons compte ici de la synthèse du premier temps de cette recherche. De
facture volontairement très différente pour tendre vers une montée en généralité, ces trois écoquartiers d’initiatives d’habitants et/ou d’orientation sociale sont, malgré tout, tous trois de taille assez
modeste (population et nombre de logements, taille et nature des communes concernées…), et ont
visé :
 la réhabilitation d’un quartier industriel (Résidence du Parc à Graulhet - Tarn),
 une extension résidentielle raisonnée en milieu rural avec recherche d’alternative aux
logements classiques (Les Courtils à Hédé-Bazouges - Ille-et-Vilaine),
 un quartier résidentiel ex nihilo avec l’habiter en milieu rural comme parti pris (l’Ecoquartier
du Four à Pain à Faux la Montagne - Creuse).
3. Résultats comparés sur les modes de vie : une quête croissante de maîtrise… de et par l’écologie
En tout premier lieu, il ressort que le terme d’éco-quartier est, dans les trois cas, assez largement
méconnu des habitants interviewés ou réunis en groupe de discussion. Au mieux apparaît-il comme un
facilitateur des projets de vie parfois défendus, mais jamais un initiateur. Cependant, préoccupations
environnementales et motivations écologiques participent activement du choix du quartier, et plus
encore de son fonctionnement.
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En fait, même à Graulhet où ces enjeux sont peu présents dans les discours habitant, du fait des
situations sociales et de l’urgence économique, nous trouvons des pratiques en germe (i.e. encore peu
installés dans l’ordinaire, ou en nombre de personnes) ou des souhaits clairement énoncés et partagés.
A Hédé-Bazouges, c’est principalement en réaction à la grande ville (avec Rennes et Saint-Malo
comme référents) et par le fait que ce projet permet la réalisation d’un changement de mode de vie en
s’écartant du lotissement classique que l’installation se justifie très majoritairement, et plus encore que
les modes de vie se réalisent et animent le quartier. Enfin, à Faux la Montagne, cette implantation est,
peut-être plus encore, le résultat d’une réflexion portée par un groupe d’acteurs, habitants, élus,
professionnels, engagés depuis plus de 10 ans sur comment habiter écologiquement un territoire rural.
Nombre de pratiques plus ou moins ordinaires en sont des corrélats directs. En fait, par les enjeux
écologiques et environnementaux, observe-t-on dans les trois éco-quartiers des modes de vie en
évolution progressive et plus ou moins clairement revendiqués.
Sur le plan de la consommation, l’élément commun aux trois éco-quartiers est la volonté de réduire sa
consommation, en redéfinissant ses besoins. Si à Graulhet, ce discours demeure émergent, largement
relié à des contraintes économiques, à Hédé-Bazouges et surtout à Faux la Montagne, il est d’ores et
déjà existant, voire prédominant. En fait, le contrôle des sources d’approvisionnement y est déjà une
préoccupation majeure, qu’il s’agisse de faire soi-même, ou de choisir ses producteurs, en achetant
plus local, et en portant attention aux impacts environnementaux des produits. Enfin, dans les trois
éco-quartiers cette fois-ci, les habitants ont recours aux grandes surfaces pour une partie plus ou moins
importante de leurs achats. Cependant, à Faux apparaît aussi de manière dominante une critique de ce
système de consommation. Il semble donc que l’horizon visé soit celui, à différentes degrés, d’un
mode de vie plus maitrisé (par une redéfinition de ses besoins, une réduction des consommations, et
une implication dans les sources d’approvisionnement).
D’ailleurs, le tri des déchets est une pratique engagée voire majoritaire dans les trois éco-quartiers.
Surtout, le compost est en germe à Graulhet, tandis qu’il est largement répandu à Hédé-Bazouges et
Faux la Montagne. L’idée de recycler, de réduire les rebus, même si elle reste par le tri déléguée à un
tiers, est présente dans les trois éco-quartiers. De même, on note une densité des pratiques que l’on
pourrait qualifier de recyclage social : vides greniers, dons et échanges informels, récupération et
remise à neuf d’objets usés…
Sur le plan de l’habitat, à Graulhet, l’attention portée en amont aux matériaux et à la réduction des
consommations énergétiques ne trouve pas d’écho chez les habitants du quartier, dont d’ailleurs très
peu notent avoir réduit les dépenses énergétiques. À l’inverse, à Hédé-Bazouges comme à Faux la
Montagne, une attention est portée aux matériaux de construction, à l’utilisation de ressources locales,
dans l’optique d’économies d’énergies, mais également de confort personnel. D’autre part, l’autoconstruction, comme les pratiques plus quotidiennes de bricolage sont assez répandues dans ces deux
éco-quartiers. Enfin, l’insertion paysagère de la maison est un élément qui est apparu comme essentiel
dans plusieurs entretiens, à Bazouges comme à Faux. Là encore, la maîtrise apparaît en filigrane
comme unissant les modes de vie. Cette maîtrise, qui passait majoritairement par une redéfinition des
besoins sur le plan de la consommation, se teinte ici de réappropriation technique, par exemple dans la
construction du logis et dans le façonnement de son esthétique.
Suivant en cela les savoirs dès lors mobilisés, les rapports au travail constituent un questionnement
émergent à Graulhet, là encore suite à des contraintes économiques : les habitants rencontrés
souhaiteraient travailler près de chez eux, notamment pour réduire leurs coûts de transports. En
revanche, à Hédé-Bazouges, le rapport au travail a déjà commencé à changer : d’une part, certains
habitants commencent à travailler de chez eux, et de ce fait, l’idée d’avoir un lieu de co-working sur le
quartier a commencé à être débattue ; d’autre part, la venue sur l’éco-quartier a amené certains
habitants à interroger leur activité professionnelle et à effectuer des changements de trajectoire dans ce
domaine. De la même manière, à Faux la Montagne, la question de l’activité économique est jugée
cruciale, les habitants s’étant installés sur le plateau le plus souvent en menant une réflexion sur leur
propre activité (dans une recherche de sens pour l’habiter et son territoire). Par le travail, la recherche
de maîtrise touche au système économique et l’horizon visé devient celui d’une certaine relocalisation
en tentant de réconcilier cette fois-ci les besoins des habitants et les ressources « économiques » du
territoire local.
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Les transports sont quant à eux un thème sur lequel l’ensemble des habitants rencontrés s’accorde,
pour d’abord souligner l’existence de difficultés : tous utilisent la voiture même si la volonté de
réduire son usage y est partout ostensiblement présente (pour des raisons économiques et
écologiques). Pour cela, on observe la mise en place de pratiques de covoiturage (bien qu’elles ne
soient pas appelées covoiturage à Graulhet, mais relèvent bien plutôt de l’entraide et du sens
commun), le recours aux transports publics et aux modes doux. Enfin, en particulier à Faux la
Montagne, cette question des transports est abordée sous l’angle de la réduction des motifs de
déplacement (notamment via les achats groupés et la réduction de la consommation donc de l’usage
personnel).
Enfin, et non le moindre au regard de l’orientation présentée plus haut, en termes de rapports à la
nature, le jardinage est très courant à Hédé-Bazouges et à Faux la Montagne, tandis qu’il ne s’agit
encore que d’un souhait exprimé par des habitants rencontrés à Graulhet, où l’on assiste par contre à
l’installation de végétaux dans les halls d’immeubles (de même qu’une revendication forte d’utiliser
les espaces verts pour pouvoir y faire du sport). Dans ce registre, Hédé-Bazouges se singularise
notamment par la recherche de matériaux naturels, locaux et biodégradables pour la construction des
maisons, lorsque à Faux la Montagne le paysage est convié dans l’aménagement, à l’échelle du
quartier mais plus encore à celle des maisons.
En ce qui concerne les relations sociales, les habitants rencontrés à Graulhet souhaitent également que
le quartier soit plus animé, certains parlent d’ailleurs de se monter en association. Cette évolution est
peut-être l’une des plus importantes sur le plan des modes de vie dans ce quartier, puisqu’elle prend
place dans un lieu longtemps stigmatisé. La rénovation du quartier a pu en changer l’image et en
apaiser le cadre de vie, insufflant une envie de convivialité, de rencontres, de construction en commun,
de construction du commun. A Hédé-Bazouges comme à Faux la Montagne, la richesse de la vie
sociale et culturelle est soulignée comme un élément formant déjà la clé de voûte des modes de vie
exposés. L’idée de la solidarité collective est rapportée par les habitants comme un élément
indispensable pour cheminer vers des modes de vie plus écologiques.
Or, si ces communs par les modes de vie s’appuient pour beaucoup sur des valeurs environnementales
singulières (cf. analyse par la psychologie sociale dans le rapport), ils s’incarnent d’abord surtout dans
l’expérience à la fois individuelle et collective de l’implication dans l’agir.
4. L’éco-quartier comme nouveau commun : les enjeux démocratiques relatifs à l’expérience de
modes coopératifs d’action
On observe dans les éco-quartiers un engagement par et dans l’action, qu’il soit encore limité à
Graulhet avec la prise en main de certains parterres pour le jardinage, ou plus impliquant à Hédé et à
Faux autour de l’auto-construction. L’engagement est ici personnel et partagé. D’autre part, il est
pragmatique. Loin de toute définition d’un idéal lointain qu’il faudrait atteindre, l’individu opère
« consciemment un choix personnel de changer ses manières de consommer et d’organiser sa vie
quotidienne. » (Dobré et Juan, 2009, p. 297). Comme le dit Honneth, « l’individu apprend à
s’appréhender lui-même à la fois comme possédant une valeur propre et comme étant un membre
particulier de la communauté sociale » (2004, p. 134). Enfin, et surtout, cet engagement ne touche pas
nécessairement une catégorie sociale spécifique : à Faux la Montagne par exemple, les personnes
réunies autour du projet viennent d’horizons divers et ne font pas partie a priori de réseaux
d’appartenance collective : leur engagement est bien désaffilié (Ion, 2001). Au final, ce n’est pas la
pré-appartenance commune qui fait naître l’engagement, mais l’engagement dans le commun qui le
fait advenir. Or, loin d’une nature considérée comme extérieure, simplement à protéger ou à embellir,
cet engagement renvoie à une co-construction avec un milieu (Berque, 2000).
Cet engagement a alors pour clé de voute le partage d’expériences, expériences qui, reprenant la
définition donnée par Céfaï (2009), sont à la fois épreuve esthétique, expérimentation pratique et
échange interactif (pp. 260-261). Constitutives d’un « réarmement des capacités morales et politiques
des habitants », elles feraient en fait des éco-quartiers des opérateurs de « nouveaux » communs :
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 à Graulhet, c’est l’expérience de la norme, technique, de l’aménagement de l’espace et sa
composition architecturale, qui constitue une épreuve esthétique créatrice d’un sens commun ;
=> L’éco-quartier est ici principalement un outil de la puissance publique pour (ré)aménager. Le
quartier d’En Gach est rénové, les façades d’un beige immaculé, les espaces libres habillés de
végétation, les cheminements piétons doucement courbés. Ce qui donc se joue à Graulhet c’est une
expérience commune des sens par une esthétique dite plus écologique. Or, loin des seules
sensorialités, cet apaisement du cadre de vie dissipe un sentiment d’insécurité dans l’espace public. Il
redonne aussi à ce quartier un statut premier dans la ville, lui permet d’effacer les stigmates de son
histoire difficile, notamment par sa reconnexion au reste de la commune. La norme technique et
architecturale oriente certes les conduites et ressentis, mais pacifie également, refait entrer le quartier
dans un régime commun.
C’est ainsi que l’on voit aussi se dessiner le commun par et dans les modes de vie : au-delà de la
qualification d’écologique de pratiques qui sont le plus souvent subies pour des raisons économiques,
la principale dynamique enclenchée à Graulhet tient à la convivialité interne mais aussi externe. Cette
dernière augmente les pratiques de covoiturage par exemple, ou l’entraide, et fait émerger la volonté
de plus animer le quartier ou de voir se constituer une association d’habitants, par l’environnement.
 A Hédé-Bazouges, c’est l’expérience de la norme, sociale, de construction du lieu qui repose
sur des expérimentations pratiques, créant des biens communs ;
=> Il y existe bien entendu une norme technique et architecturale (cahier des charges du quartier et son
plan d’aménagement du cabinet d’architectes-urbanistes). Toutefois, ce qui ressort est d’abord
l’importance d’une norme sociale, exprimée souvent sous le terme d’une convivialité prenant trois
formes plus engagées : l’interconnaissance, la sociabilité (par la vie culturelle et associative sur la
commune), et le partage (notamment par d’autres rapports à la propriété foncière, immobilière,
d’équipements…). Cette convivialité se noue autour de questionnements écologiques, porteurs de
réflexivité. Même si chacun est ensuite libre de son arrangement personnel, des biens se voient alors
partagés en son nom, depuis un outillage jusqu’à des espaces gérés en commun, ou la gestion solidaire
de lieux associatifs.
Et, cette norme sociale connaît aujourd’hui une évolution vers une norme politique, que ce soit par la
question du travail et donc du modèle économique dès lors questionné, ou vis à vis des expertises qui
leurs sont proposées, donnant à voir une volonté de prise d’autonomie (Vialan 2012 ; Faburel, 2013).
Le mode de généralisation de ces expériences demeure néanmoins celui, social, de la diffusion par des
rencontres, des échanges interpersonnels, et des initiatives collectives de publicisation. Comme montré
par Villalba et Lejeune (2011) sur l’éco-quartier de l’Union, l’écologie devient une extension et un
complément de la négociation sociale.
 Enfin, à Faux, c’est l’expérience de la norme, politique, du territoire, et de sa portée au
changement, qui, s’appuyant sur l’échange interactif, compose un monde commun (celui de la
transformation socio-écologique).
=> Ici, on trouve également les expériences de la norme technique et architecturale (le cahier des
charges du quartier, son aménagement) et de la norme sociale (un ensemble de personnes qui ont
choisi une alternative à la vie en ville), mais surtout de la norme politique. Cette expérience y repose
principalement sur une valeur fondamentale : la responsabilité certes vis-à-vis de la communauté (la
convivialité, l’entraide, la bienveillance) mais plus encore vis-à-vis de l’environnement par
l’écologie… politique.
Leurs aspirations sont ainsi créatrices de nouvelles formes de politique où « les modes de vie
deviennent un espace de résistance politique et culturelle, et de quête d’autonomie. » (Emelianoff in
Damon, 2012, p. 179). C’est ici un monde commun qui se crée, constitué de sens commun, de biens
communs, mais aussi d’un horizon cosmopolitique (infra). Au point que prendre conscience de ses
capacités, de ses marges d’action et de leur implications politiques quotidiennes font ici encore plus
visiblement des modes de vie des « des aménageurs territoriaux » (Viard, 2012, p. 191).
Ainsi, si les projets d’éco-quartier étudiés ne sont évidemment pas au même stade et, d’ailleurs, ne
peuvent être réalisés sans le soutien de la puissance publique, la construction du commun par
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l’engagement semble communément, comme premier stade, s’incarner dans des rapports de
convivialité, de solidarité voire d’entraide quotidienne. Car « fabriquer, c’est aussi se connecter aux
autres, partager avec eux ce que l’on a créé et s’enrichir en retour. » (Gauntlett, 2011, p. 55),
singulièrement par son environnement « fabriquer quelque chose, c’est une manière de se relier au
monde, de s’engager activement pour transformer son environnement plutôt que de rester passif. »
(ibid.).
Ainsi, face au commun donné en héritage par les institutions publiques, où ce qui compte et ceux qui
comptent sont définis par les cadres de la représentation démocratique (GRAC, 2013), et où l’on
favorise toujours le général au local (considéré comme permettant une approche rationnelle des
problématiques), nous assistons à une construction de modes coopératifs d’action (Sennett, 2012),
avec, dès lors, par l’expérience de la norme, en arrière-plan une autre manière de concevoir la
politique. Les expériences et formes d’engagement décrites seraient l’opérateur d’une évolution du
commun, car « autant que depuis la sphère politique, c’est depuis la société civile qu’un bien commun
devient en mesure d’être pensé. » (Ion, 2001, p. 208-209). Et, l’encastrement des enjeux écologiques
dans une réalité sociale apparaîtrait comme le seul moyen, pour les protagonistes, de construire
autrement du commun et sa politique.
Nous aurions ainsi affaire à l’émergence d’une cosmopolitique, conduisant en retour alors, par
l’individuation, à requestionner la démocratie telle que « la démocratie est d’abord le droit reconnu à
tous de penser les affaires des autres, c’est-à-dire le bien commun. » (Ion, 2001, p.198). « Les
cosmopolitiques explorent de nouvelles conditions de possibilité de la politique, mais c’est une
politique méconnaissable puisqu’elle est bâtie autour de l’étrangeté (humaine et non humaine) »
(Lolive et Soubeyran., 2007, p. 11).
L’attribut premier de cette cosmopolitique serait bien celui de la communalité, qui, avec la singularité
et la réciprocité, fonderait selon Rosanvallon un nouveau modèle d’égalité (2011). La communalité
rassemble tout ce qui se construit et s’éprouve en commun : la participation aux évènements qui
animent la vie du groupe ; aux processus de création de la connaissance partagée ; à l’avènement d’un
territoire à travers les pratiques. Ici, dans les cas étudiés, la communalisation des savoirs par les
habilités locales et des imaginaires de ce qui fait lieu et territoire de l’habiter joue, concrètement, un
rôle essentiel. Ce premier rapport s’achève alors sur le questionnement des rapports savoirs/pouvoirs
(notamment des savoirs techniques mobilisés à l’occasion des projets étudiés) et des imaginaires de la
ville, affectés d’un sentiment post-urbain voire anti-urbain largement commun dans les discours. Ce
qui concorderait avec le retournement contemporain de l’image positif (positiviste) de la ville,
analysée par de très récents écrits (cf. Salomon Cavin et Mathieu, 2014).
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Introduction. Vivre aujourd’hui dans les éco-quartiers : des acquis
étrangers croissants mais un manque persistant d’analyse empirique en
France
Le thème des modes de vie dits durables est depuis peu placé au cœur des réflexions de
l’urbanisme et de l’aménagement. Des usages et pratiques locales du lieu, des perceptions
environnementales et des vécus territoriaux, des formes d’appropriation du quartier et des
modalités d’engagement dans son animation… préfigureraient même, pour certains, la réalité
émergente de ce que serait un urbanisme durable (Traits Urbains, décembre 2012 ;
Urbanisme, janvier 2013). Et, les éco-quartiers en seraient des pièces maîtresses, non sans
d’ailleurs parfois laisser également entrevoir une normalisation des conduites (Boissonade,
2011).
Or, les travaux qui appréhendent véritablement les modes de vie dans les éco-quartiers
demeurent fort rares en France. Seuls existent globalement à ce jour : des retours
d’expériences étrangères, parfois mis à profit sur des cas français, mais dès lors éclairés par
des contextes socio-culturels fort différents (Héland 2008 et 2012 ; Emelianoff et Stegassy,
2011 ; Faburel, Manola et Geisler, 2011 ; Charvolin, 2012 ; Faburel et Manola, 2014)3 ; ou
des recherches empiriques sur des cas hexagonaux, mais développant, par une entrée
différente, une lecture logiquement partielle du thème. C’est le cas des usages, voire
comportements, tels ceux des dispositifs techniques (ex : énergie), chez des habitants du parc
locatif aidé de trois éco-quartiers français (Renauld, 2011 et 2013).
Outre le caractère nécessairement empirique et pluridisciplinaire de toute observation des
modes de vie, le stade d’avancement des projets concernés a sans conteste joué. Les
recherches existantes ont de ce fait porté en priorité sur des cas tôt pensés voire construits
(ZAC de Bonne à Grenoble, Ginko à Bordeaux…). Toutefois, suivant la chronologie
hexagonale de composition et de construction, avec ici quelques démarches décrites comme
innovantes - la question de l’appropriation habitante de tels quartiers apparaît dorénavant
centrale pour apprécier la portée mobilisatrice, voire transformatrice du développement
durable (Marcuse, 1998 ; Puech 2010 ; Rumpala, 2010 ; Lévy et Emelianoff, 2011…),
particulièrement lorsque la problématique des modes d’habiter4 la ville refait jour, notamment
avec l’avènement du « fait métropolitain ».
Il est vrai que, a minima, de tels projets ont souvent pour ambition de bâtir d’autres formes
spatiales non sans lien dès lors à la composition sociale du lieu. Ils affirment fortement une
mixité fonctionnelle voire une diversité générationnelle. Ils proposent fréquemment de
nouveaux services, voire préfigurent des modes de consommation différents. Et, sans clore la
liste de leurs ambitions, bien au contraire, ils façonnent des cadres naturels/paysagers d’un
urbanisme se voulant non seulement plus respectueux des écosystèmes, mais également plus
habitable.
Or, dans le même temps, les modes de vie, saisis cette fois-ci dans la généralité des évolutions
sociales, ont pu évoluer. Thème très présent dans les discours scientifiques sur l’urbain depuis
plusieurs décennies, notamment par les travaux de la sociologie (cf. par exemple Espaces et
3
Wilhelmina Gasthuis Terrein à Amsterdam, de même que, également aux Pays Bas, Arnhem ou EvaLanxmeer, quartier de Culemborg ; Tübingen, Hjorshoj ou encore Albertslund au Danemark ; Augustenborg et
BO01 à Malmö (Suède) ; Kronsberg à Hanovre ou Vauban à Fribourg (Allemagne)…
4
Par habiter, on entend ici une réalité conceptuelle large, qui se rapporte à la manière dont les humains sont en
relation avec les lieux de leur existence (Paquot, Lussault, Younes, 2007).
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Sociétés, 1994), ces analyses livrent quelques transformations fondamentales remarquées.
Parmi ces évolutions, trois, reliées, sont ici impliquées.
Plus que des modes de vie qui se généralisent par la culture de masse (sans pour autant nier
les héritages sociaux), des styles de vie de plus en plus différenciés sont aussi apparus sur la
période. Davantage attachés à l’identité des personnes que les modes de vie, dont le ressort est
d’abord l’identité des pratiques, ces styles de vie montrent de plus en plus une différenciation
par individuation (et non pas individualisation). En d’autres termes, se forgeraient aussi par
des pratiques des identités individuelles, voire collectives par les liens qu’elles permettraient
de tisser, souvent localement. Or, deuxième fait remarqué, les rapports qui unissent les
populations à leurs espaces, lieux et territoires, donc aussi localités de vie, y contribuent
grandement, faisant alors des modes et styles de vie de véritables « aménageurs des
territoires » (Viard, 2012). Enfin, troisième évolution, les considérations et enjeux
environnementaux participent activement de ce mouvement de construction identitaire des
individus et de composition spatiale d’ un habiter par les modes et styles de vie (Faburel et
Roché, 2014), au point que certains annoncent d’ores et déjà leur « réforme écologique »
(Dobré et Juan, 2009).
Loin de ne proposer seulement des dispositifs techniques et énergétiques, comme cela a pu
être le cas dans les générations antérieures de conception (Lefèvre, 2008 ; Souami, 2009), les
éco-quartiers pourraient-ils ce jour être le siège, voire l’opérateur, de telles évolutions, que ce
soit dans les choix de consommation, dans les formes d’usage du logement, dans les modes
déplacements, dans les types de pratiques de l’espace public ou encore dans les
comportements récréatifs de nature ? Si oui, quels sont les profils sociaux remarqués, les
thèmes et sujets structurants, les évolutions en germe ou advenues ? De quelle(s) manière(s)
précisément les acteurs et habitants y contribuent-ils, et pour quelles représentations de
l’habiter et croyances sur le « vivre ensemble », quels symboles du changement et
imaginaires du devenir urbain/rural, ville/campagne… ? Entre pratiques et individus, des
identités y sont-elles en germe, et quels rôles y jouent les enjeux et problématiques
écologiques et environnementales ?
Le bureau AD4 du Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement a alors souhaité voir
engagé un travail empirique visant à saisir de tels signaux de moins en moins présentés
comme faibles si l’on en juge la littérature appuyée sur des manifestations certes éparses mais
multiples (Faburel, 2010). Ce travail est mené en deux ans (2013-2014) sur six éco-quartiers
issus des appels de 2009 et 2011, trois d’initiative habitante et/ou d’orientation sociale
(présent rapport), et trois autres, en 2014, de portage et de visibilité institutionnelles plus forts
La seconde phase débutée à ce jour concerne des projets de bien plus grande envergure, que
ce soit de régénération au cœur d’un centre ancien (ZAC de Bonne de Grenoble), la mise en
œuvre d’un Grand Projet de Ville (Eco-quartier de la Duchère à Lyon) et la densification
d’une entrée de ville sur friche industrielle (la Courrouze à Rennes). Réalisée sur une base
pluridisciplinaire (sociologie, psychologie, géographie et sciences politiques), et à partir
d’entretiens de 40 mn à 2 heures chez les habitants (42) ou avec les acteurs (15), et de groupe
de discussion (3h30), nous rendons compte ici du premier temps de cette recherche.
Après un rapide état de la littérature sur le thème des modes de vie et de ses enjeux pour
l’aménagement d’aujourd’hui, nous exposons la méthode retenu à des fins non seulement
d’exploration mais aussi de comparaison (Chapitre 2), puis livrons les résultats obtenus dans
les trois premiers cas retenus (Chapitre 3. Les Résidences du Parc à Graulhet, Tarn ; Chapitre
4. Les Courtils à Hédé-Bazouges, Ille-et-Vilaine ; Chapitre 5. L’Ecoquartier du Four à Pain à
Faux la Montagne, Creuse). Pour enfin exposer le produit croisé de ces trois investigations
situées, ainsi que les faits généraux saillants pouvant en ressortir, particulièrement en termes
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d’évolutions remarquées et de questionnements communs adressés aux projets et à leur
conduite, mais également à la vie des quartiers (Chapitre 6). Ici, d’autres cas, tirés de
recherches récentes, sont également mobilisés (sous forme d’encadrés)
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1. État de l’art sur les modes de vie : vers l’individuation par les enjeux
environnementaux et leurs territoires
Comme indiqué, le thème des modes de vie traverse ce jour de plus en plus discours et
débats dans l’urbanisme, particulièrement sous l’angle de l’appropriation de nouvelles formes
d’habiter la ville. Ces modes ou styles connaîtraient des changements, certes de signal faible
et socialement très différenciés, mais remarqués par leur convergence autour des enjeux
environnementaux, écologiques, énergétiques…
Or, au moins depuis Aristote, qui dans la Rhétorique fait référence à l’éthos pour caractériser
les manières d’être, la façon de vivre et le caractère d’un individu5, les modes de vie sont une
notion qui a intéressé tout à la fois les philosophes, les sociologues, les géographes, les
psychologues, sans oublier les politiques et les acteurs économiques. Les modes de vie sont
un champ large et divers, et surtout une « évidence » que peu d’auteurs prennent la peine de
définir précisément. Avant d’aborder leur actualité et la manière dont nous proposons de les
aborder dans les éco-quartiers enquêtés, il est donc essentiel d’effectuer un rapide, mais
néanmoins précis balayage disciplinaire de cette notion pour montrer la diversité d’acceptions
qu’elle a pu recouvrir et de méthodologies qui ont pu être employées pour son analyse, à
travers le temps et les champs/courants d’analyse.
1.1. Le genre de vie et le mode de vie : notions vagues aux sources de la
géographie et de la sociologie
L’étude des modes de vie est concomitante de la constitution de deux disciplines
scientifiques : la sociologie et la géographie. Chacune à leur manière, ces deux disciplines
vont faire de l’analyse des modes de vie le cœur de leur travail, tout en les considérant en
général comme des allants de soi, des évidences rarement définies.
1.1.1 Le genre de vie en géographie : l’influence du milieu
La géographie régionale, à la suite de Vidal de la Blache, étudie les spécificités d’un milieu et
les formes d’organisation sociale qui en découlent, l’ensemble formant le genre de vie.
L’accent est mis sur les contraintes liées au milieu, ainsi que ses ressources, et les travaux se
concentrent sur une aire géographique restreinte considérée comme homogène, comme par
exemple le genre de vie dans un milieu montagnard donné (Lebeau, 1951).
Toutefois, rapidement, la géographie humaine complète cette approche en la rapprochant de
l’idée d’habitude (et s’éloignant par la même peu à peu des contraintes du milieu), comme le
souligne Le Lannou (citant Vidal de la Blache) « Le genre de vie, plus que le reflet de
conditions naturelles, et sans être non plus l’expression d’une volonté humaine toujours
claire, ne serait que la traduction longuement et obscurément enrichie ‘’d’habitudes
organisées et systématiques, creusant de plus en plus profondément leur ornière, s’imposant
par la force acquise aux générations successives’’ » (1949)6.
5
Il inspira son disciple Théophraste qui décrivit trente profils psychologiques de son époque dans "les
Caractères".
6
Cité par Lebeau René, 1951, « Deux anciens genres de vie opposés de la montagne jurassienne », In: Revue de géographie de Lyon. Vol. 26 n°4, pp. 387-­‐410. Page 15 sur 137
1.1.2 Des mœurs en sociologie… au lien entre mode de vie et classe sociale
Parallèlement, aux débuts de la sociologie, les modes de vie sont une « catégorie dont la
signification allait de soi (…) comme lieu et sens communs. » (Juan, 94, p. 21). En particulier,
sont employés dans des sens équivalents modes de vie, mais aussi mœurs ou encore éthos.
Cette approche, vis-à-vis de la géographie humaine, s’enrichit alors de la prise en
considération de dimensions axiologiques (morales) : les mœurs peuvent se définir comme
« règles morales qui donneraient leur sens à la fois aux pratiques individuelles et aux normes
de la vie sociale. » (Juan, 94, p. 16).
L’étude des modes de vie (ou mœurs) est un champ largement arpenté par la sociologie
naissante. Très rapidement, à la différence de la géographie qui s’est penchée sur les
différences de modes de vie en fonction du milieu, c’est en fonction de la structure de la
société que la sociologie a cherché à distinguer des modes de vie différents. Depuis Max
Weber, qui le définit comme « un moyen d'affirmation et de différentiation des statuts
sociaux » (1904 et 1922), jusqu’à des penseurs comme Trotski ou Marx, qui lient l’analyse
des modes de vie à une conception classiste de la société.
À titre d’exemple, en étudiant les budgets de différentes familles, M. Halbwachs dresse un
lien entre classe sociale et mode de vie dans La Classe ouvrière et les niveaux de vie (1912).
À revenu équivalent, un ménage ouvrier et un ménage employé ont une répartition de
dépenses différentes, le ménage ouvrier consacrant une plus faible part de leur budget au
logement que les ménages employés, et une part plus importante à la sociabilité extérieure,
aux divertissements.
1.1.3 Les travaux de l’écologie urbaine et le mode de vie urbain
À la fin du 19e siècle, G. Simmel en s’appuyant sur une analyse des pratiques ordinaires,
quotidiennes, apparemment anodines, des citadins, dégage ce qu’on pourrait considérer
comme un mode de vie urbain (caractéristique des grandes villes).
Simmel a inspiré les fondateurs de la sociologie urbaine de l’École de Chicago, au début du
XXe siècle, qui ont poussé cette analyse du mode de vie urbain, dans la ville transformée par
la révolution industrielle. Dans The city (1925), de Burgess, Mc Kenzie et Park, la ville est
caractérisée par un mode de vie « éclaté », reposant sur des contacts impersonnels et
superficiels, un individualisme et un utilitarisme accrus, qui amènent à une différenciation
sociale accrue.
Notons qu’aujourd’hui encore, cette approche d’un mode de vie urbain uniforme peut encore
se trouver dans certains écrits. On peut notamment penser à l’homo urbanus du philosophe
Thierry Paquot.
1.1.4 Les évolutions de la société et la critique du genre de vie
À partir de la Seconde Guerre Mondiale, les évolutions industrielles se traduisent par
d’importantes évolutions sociales. Les activités des individus se trouvent de plus en plus,
sinon détachées, tout du moins directement connectées de leur classe ou de leur milieu de vie.
Comme le souligne Juan « Les facteurs explicatifs de ce qui organise les usages, dans une
population donnée, se démultiplient d’autant plus que la cohésion culturelle des classes
sociales s’affaiblit (en liaison avec les évolutions du marché du travail, de la mobilité
spatiale, sociale, de l’hétérogamie…) et d’autant plus que les fondements traditionnels ou
coutumiers de l’action se désagrègent. » (Juan, 94, pp. 16-17). Des géographes, comme M.
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Sorre, décrivent un « démembrement des genres de vie » (Sorre, 1948, p. 104) et remettent en
cause la géographie des genres de vie vidalienne.
Cette diversification est liée à un processus d’individuation, décrit notamment par Ion (2012).
Pour ce dernier, nous sommes passés d’un individu abstrait à des individus singuliers, ces
derniers se caractérisant par trois éléments : la prégnance des réseaux horizontaux sur les
réseaux verticaux, la réflexivité croissante (« S’agissant d’individus, la réflexivité tend
d’autant à se développer que leurs définitions en termes d’appartenance et de statut
deviennent plus lâches. », p. 83) et enfin la mobilisation des affects. Cette individuation est à
distinguer de l’individualisme : « le développement de l’individuation ne signifie absolument
pas un retrait sur soi. Bien au contraire, puisque l’identité personnelle ne peut se construire
que dans la relation à l’autre. » (Ion, 2012, p. 94)
L’étude des modes de vie s’en trouve profondément modifiée. Deux voies principales ont été
suivies par l’étude des modes de vie à partir des années 60 : d’une part une approche assez
quantitative, reposant sur la création et l’analyse de bases de données statistiques, propres aux
savoirs d’expertise (partie 2), et d’autre part une approche plus académique, distinguant
modes et styles de vie (partie 3).
1.2. La sociographie, entre rationalisation et problèmes méthodologiques
1.2.1. Les modes de vie instrumentalisés par des méthodes quantitatives questionnables
La mise en place d’instituts nationaux comme l’INSEE (Institut National de la Statistique et
des Etudes Economiques) en 1946, puis le CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et
l’observation des conditions de vie) en 1954 ont contribué à faire changer le visage de l’étude
des modes de vie. S’appuyant sur des bases de données obtenues à partir d’enquêtes
nationales régulières, et sur une division de la société en différentes variables (dont la plus
connue est celle des CSP, catégories socio-professionnelles), ces instituts proposent des
analyses des modes de vie qui relèvent de la sociographie et sont un outil d’aide à la décision
au niveau national.
À leur suite se sont développés de nombreux instituts de sondage (d’opinions), d’études (de
marché), mettant en oeuvre des méthodes analogues. Figure emblématique de cette nouvelle
vague dans le champ des modes de vie, le CCA (Centre de Communication Avancé), créé
dans les années 70, s’est spécialisé dans la « météorologie sociale » (selon l’expression de
Bernard Cathelat, directeur du CCA). Leur méthode repose sur l’établissement de
« sociostyles » (au nombre de 14 à ce jour), c’est-à-dire de groupes réunis par le partage de
certains attributs, à la fois objectifs et subjectifs. Sont privilégiés des indicateurs « de
comportements, d'attitudes, d'imagination et de motivations » (Universalis, 2013).
Cette méthodologie est considérée par beaucoup comme douteuse, comme l’exprime
notamment Juan. Ces typologies sont scientifiquement très contestables, en raison de
l’agrégation d’objet disparate sur lesquelles elles s’appuient : « compter les individus qui sont,
toujours partiellement, concernés par un grand nombre d’attributs à la fois relève du non
sens : selon les individus considérés, ce ne sont pas les mêmes attributs qui seront opérateurs
de rapprochement. » (Juan, 94, p. 19). Plus généralement, Georgakakis note que « les
sociostyles posent, il est vrai, d’importants problèmes de méthode. Leur absence de cadre
conceptuel, leur idéologie sous-jacente, le secret qui entoure leur fabrication ou encore, plus
sommairement, leur forme ‘’colorée’’ ont du reste été maintes fois critiqués. » (Georgakakis,
1997, pp. 53-54).
Il n’en demeure pas moins que ce type de méthode a fait des émules, et depuis, notons à titre
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d’exemple que le COFREMCA (Compagnie française d’études de marché et de conjonctures
appliquées) identifie 55 courants socio-culturels, et l'IPSOS parle de 6 psycho-types : le
familial altruiste, le rigide traditionnel, le séducteur mobile, l'organisateur méfiant, l'introverti
rêveur.
Au final, ces méthodes mettent en avant surtout une conception et donc une lecture utilitariste
des modes de vie, reposant sur une méthodologie trouble, et sur une vision du monde
occultant les conflits sociaux et les rapports de classe, au profit de courants, modes,
tendances…
Au-delà du marketing, les modes de vie ont également été instrumentés dans et par
l’urbanisme. Dès les années 60, des sociologues comme P-H Chombart de Lauwe se penchent
sur les modes de vie urbains, et en particulier sur les pratiques en termes de logement, avec
pour objectif d’en comprendre la rationalisation par les besoins et par la définition de produits
immobiliers répondant aux attentes d’un individu moyen. Pour Genestier (1994), « un mode
de vie urbain univoque, contraignant et non dit, irrigue l’’’imaginaire des aménageurs’’ et un
individu de référence contrôle puissamment les appréhensions des réalités urbaines. » (1994,
p. 33). L’attention portée à ce mode de vie moyen aboutit à standardiser la ville : « Ainsi les
programmes et les projets sont calibrés et validés par l’adéquation (plus décrétée que
vérifiée, le plus souvent) des dispositifs spatiaux qu’ils proposent au mode de vie urbain
‘’normal’’. Une logique de normalisation-standardisation s’impose alors dans les politiques
urbaines. » (p. 34)
Cette analyse reprend une critique déjà élaborée par Henri Lefebvre, Guy Debord, ou JeanPierre Gaudin. L’urbanisme né de cette appréhension des modes de vie est alors en retour
générateur lui-même de modes de vie, « marqués par une faible intensité des relations socioculturelles et par des modalités d’interaction sociale très limitées. » (Genestier, 1994, p. 34).
1.2.2. Les enquêtes SocioVision et Promov : derniers
sociographique… mais adaptée aux enjeux environnementaux
parangons
de
l’analyse
Ce courant sociographique dans l’analyse des modes de vie connaît aujourd’hui un second
souffle dans le champ scientifique, du fait des enjeux environnementaux et de leur
transformation en injonctions quantitatives (ex. Facteur 4). Deux enquêtes récentes permettent
d’en rendre compte : l’enquête « Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et
empreinte carbone » (Promov) et celle SocioVision.
Les deux recherches suivent des méthodologies semblables :
-
Étude de la variation des modes de vie soit selon 5 scénarios d’évolution du monde en
2050 (Promov), soit en fonction de profil types de population (SocioVision),
-
Évaluation des impacts des évolutions de ces modes de vie étudiés, en termes de GES
par ménage et ménage-type (Promov) ou d’empreinte carbone par profil Sinus-Milieu
(SocioVision)
-­‐
Interprétation des résultats par l’identification de leviers d’action/stratégie
d’intervention.
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L’exercice de « Prospective des modes de vie en France à l’horizon 2050 et empreinte
carbone » (Promov) cherche d’abord à renouveler l’approche de la prospective. Cette dernière
a en effet privilégié jusqu’à présent une approche par la technologie et l’économie. Or, dès
lors qu’il y a consensus aujourd’hui autour du fait que la technologie ne permettrait pas à elle
seule d’atteindre une réduction suffisante des GES (objectif : facteur 4), Promov est une
approche qui revendique d’imaginer des sociétés futures dont la dimension technique n’est
qu’un aspect des modes de vie. L’enquête cherche alors à évaluer les évolutions en termes de
GES en fonction de 5 scénarios différents.
1.
Société du consumérisme vert : Déclinaison assez linéaire des tendances actuelles,
capitalisme vert, scénario adaptatif et défensif.
2.
Société de l’individu augmenté : Rejet de l’humanité défaillante, collusion économicopolitique, omniprésence de l’informatisation et du génie génétique. Renforcement de la
stratification sociale. Scénario de la performance, à forts effets rebond.
3.
Société duale et sobriété plurielle : Société fortement polarisée entre 60% de
métropolitains restés accrochés au système que nous connaissons et 40% de
« décrochés » vivant en petites communautés autarciques. Décroissance, tolérance, exode
urbain, scénario de crise et de transition.
4.
Société de l’éco-citoyenneté : Montée en puissance des mouvements sociaux qui mène à
un système mondial très encadré et régulé, disparition de la compétitivité, écoproduction. Solidarité, justice, responsabilité, sobriété, lenteur.
5.
Âge de la connaissance : Basculement du fait de la crise énergétique et économique.
Démocratie par le bas, contre-culture des réseaux, perte de vitesse des biens de
consommation contre règne de la production culturelle / création. (La République de
Platon au temps du web). Émancipation, désaliénation, coopération, autonomie.
De la même manière, la recherche SocioVision, co-pilotée par l’ADEME et le MEDDTL, part
d’une analyse de la société par la segmentation Sinus-Milieux® de Sociovision, reposant sur
2 critères : le niveau socio-économique et la dynamique du changement socioculturel
(comprenant aspiration, motivations et système de valeurs).
Les milieux sur lesquels s’appuie SocioVision reposent sur de multiples variables, telles que :
âge et sexe / niveau d’instruction, secteur d’activité et niveau de revenu / structure familiale
du ménage / aspirations et mode de vie : rapport au reste de la société, système de valeurs,
loisirs et particulièrement mode de consommation (achats privilégiés, leviers de
consommations, circuits d’achats) / rapport aux médias et leur emploi quotidien /
positionnement vis-à-vis d’une sélection d’enjeux du développement durable (tri des déchets,
consommation d’eau ou de viandes, petits gestes du quotidien…) / sensibilité vis-à-vis de
différents leviers d’action (valeurs, leviers économiques, etc. »). Les milieux alors définis
sont représentés dans le graphique ci-après.
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Si l’environnement est une des visées de ces deux études, le territoire en demeure néanmoins
le grand absent. Dans l’enquête SocioVision, il s’agit au mieux d’une composante permettant
de définir/affiner milieux et profils, mais il ne constitue pas un questionnement en lui même.
La portée performative de l’environnement reste non questionnée sous l’angle de ses
territoires. De la même manière, l’enquête Promov reste sourde à la question territoriale.
L’une des recommandations de l’enquête est la restauration de liens de proximité, sans que le
fondement axiologique et politique de la proximité ne soit défini et/ou questionné. La
réduction des distances apparaît comme un instrument, un outil pour la réduction des
émissions de GES, mais la recommandation ne pourra pas dépasser le vœu pieux sans que les
rapports (tant quotidiens, ordinaires, qu’imaginaires et symboliques) à la distance et à la
vitesse ne soient interrogés, bref que le territoire et sa place dans les modes de vie ne soient
réellement interrogés.
Ainsi, si ces deux approches systémiques envisagent un certain rapport à l’espace, c’est
cependant toujours en terme de distance, de géolocalisation. De fait, en faisant le choix de
traiter des données existantes, elles se trouvent limitées par des catégories pré-élaborées. Elles
se donnent pour objectif la prise en compte de la population nationale dans son ensemble,
accédant par là à la généralité du propos, mais au prix de l’homogénéisation des contextes
géographiques et situations territoriales.
Que ce soit dans le cas d’une entrée par des devenirs sociétaux (Promov) ou de parcours de
vie plus individués (SocioVision), les futurs envisagés ne parviennent donc pas à prendre en
compte la relation des modes de vie avec des territoires particuliers. C’est également le cas de
la majorité de la recherche sur les modes de vie, comme nous allons le montrer ci-après en
étudiant des approches générales du type CREDOC, INSEE et des approches
microsociologiques.
1.3. La sociologie dite académique et la distinction modes / styles de vie : une
déterritorialisation des représentations et pratiques
Parallèlement à l’essor de la sociographie dont nous venons de tracer à tr ès grands traits les
évolutions, la sociologie dite académique a adopté deux approches distinctes (modes de
vie/style de vie) pour appréhender les modes de vie dans un contexte socio-historique où les
trajectoires individuelles se singularisent de plus en plus. D’une part, les modes de vie portent
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sur un groupe limité d’usages (par exemple portant sur un type de mobilité, ou ayant trait au
logement…), et d’autre part les styles de vie se concentrent sur un type de population
spécifique (par exemple les retraités, ou les habitants d’une ville). Cependant, si
scientifiquement parlant ces deux approches sont plus reconnues, elles n’en demeurent pas
moins nécessairement partielles et peinent (tout comme les approches sociographiques) à
prendre en compte le couple territoire – environnement dans l’ensemble de ses composantes.
1.3.1. Les modes de vie : des études transversales, mais segmentaires
Le premier type de recherches porte sur un usage précis ou un groupe très limité d’usages. Il
peut s’agir de la mobilité, de la consommation, du logement… Les résultats des recherches
menées dans ce domaine, même si elles mettent à jour une diversité de pratiques, soulignent
une homogénéisation formelle des modes de vie : comme le note Juan (1994, pp. 21-22) « les
modes de vie (pratiques, objets, idées diffusées dans la « culture de masse ») se globalisent,
concernent des masses d'individus de plus en plus importantes ». Les enquêtes sur les modes
de vie cherchent le plus souvent à trouver des facteurs explicatifs de ces modes de vie et de
leurs évolutions.
Un exemple tiré de la littérature récente permet d’illustrer cette position : l’analyse des
évolutions des choix de consommation par Herpin et Verger (La Découverte, 2008). Cette
dernière constitue l’une des approches les plus abouties à ce jour. Revenant sur un demi-siècle
de consommation et de modes de vie, cette étude mêle sociologie et économie. Force est
cependant de constater que l’approche demeure très en surplomb, et très économique,
s’attachant majoritairement à observer les dépenses des ménages et leurs évolutions. Leur
méthode est quantitative, s’appuyant sur les enquêtes de la série « Budget de la famille »
INSEE, ou encore des documents du Ministère de la Santé, des Transports, de la Culture.
En fait, trois grandes périodes séquenceraient les évolutions de la consommation des ménages
français :
-
45-74 : croissance forte et augmentation pouvoir d’achat.
-
75-87 : diminution de la croissance du revenu disponible, décélération du pouvoir
d’achat, les ménages puisent dans leur épargne ou épargnent moins.
-
87-2007 : augmentation du taux d’épargne et fluctuation de la consommation avec les
cycles économiques, sans retrouver la croissance des 30 glorieuses.
L’analyse est ensuite détaillée par secteurs : alimentation, habillement/soins cosmétiques,
logement, transports/départs en vacances, loisirs/culture/communication, et santé. Bien que
très fine, l’étude n’en renvoie pas moins l’image d’une société dont les pratiques de
consommation tendent à s’homogénéiser.
Autre exemple, le CREDOC a réalisé en 2009 une étude portant sur les évolutions des
consommations d’énergie des ménages français, en s’appuyant sur une enquête par
questionnaire auprès de 2000 ménages français. Il s’agissait d’« analyser un certain nombre
de pratiques significatives (choix d’équipements, pratiques de chauffage, gestes d’économies
d’eau ou d’énergie) ». L’étude tend à montrer que les consommations d’énergie sont
directement liées aux structures de l’habitat et aux caractéristiques sociodémographiques
(cycle de vie et revenu). Un autre résultat de l’enquête porte sur les valeurs associées à la
consommation énergétique et tend à montrer que la sensibilité écologique n’est pas corrélée à
une diminution du taux d’équipement des ménages. Au contraire, cette sensibilité étant
corrélée à des revenus et niveaux de diplômes élevés, elle s’accompagne généralement d’un
taux d’équipement élevé. L’enquête se conclut par une recommandation pour le
renouvellement de l’offre technologique comme possible levier d’action dans la diminution
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des consommations d’énergie des ménages.
Dans un autre genre, les analyses de Jean Viard portent également sur les modes de vie, et
tracent des grands horizons transversaux d’homogénéisation des pratiques. À titre d’exemple,
sur la question du logement, Viard affirme que nous sommes entrés dans une société à quatre
générations, du temps libre (grâce à un temps de travail court et une vie plus longue). La
norme sur le plan du logement deviendrait alors d’avoir deux lieux de vie : « Cette société de
vie longue, de travail court et de mobilité est le corolaire de l’importance croissante du
logement. » (p. 71).
1.3.2. Les styles de vie : ensemble complexe d’usages pour des catégories sociales (ou
spatiales) spécifiques
Un courant de recherche arpente quant à lui les styles de vie, c’est-à-dire les pratiques et
usages d’un échantillon de population donné : « des ensembles complexes d’usages – mais de
catégories sociales très spécifiques – qui proviennent d’approches compréhensives, souvent
biographiques » (Juan, 1994, p. 21). On peut citer les analyses sur les habitants d’une ville ou
d’une banlieue, par Kaes (1963), les membres d’une profession (Boltanski, 1982), ou encore
les étudiants (Bourdieu et Passeron, 1964). Ces approches montrent que les styles de vie ne
sont pas uniquement déterminés par des critères quantitatifs (démographiques ou
économiques), mais aussi par des critères qualitatifs, psychologiques ou sociologiques
(comme les centres d'intérêt, le goût, le niveau d'éducation et l'adhésion à certaines valeurs
morales). Les études menées dans ce domaine tendent à montrer une hétérogénéité croissante
des styles de vie. Cette hétérogénéité revendique cependant une portée au générale : comme
l’affirme Pellegrino « Alors que le mode de vie est déterminé par la classe ou la masse
sociale à laquelle l’individu appartient, le style de vie est spécifique à l’individu, il manifeste
ses écarts à la norme ; mais il est aussi d’un autre côté le signe d’une époque, il en manifeste
l’esprit général dans une conduite singulière. » (1994, p. 11)
Ce type d’approche prend une ampleur nationale dans l’étude Les différences de modes de vie
selon le lieu de résidence du CREDOC (2009), qui cherche à saisir la variation de modes de
vie selon un découpage géographique précis7. Il s’agit plus précisément de décrire la structure
sociologique et démographique des populations de chacun de ces types d’espaces : pyramide
des âges, structure familiale, niveau de qualification, profession, statut professionnel, revenus
et patrimoine... pour ensuite en étudier les modes de vie dans plusieurs domaines (logement et
cadre de vie, sentiment de sécurité dans sa vie quotidienne, appropriation des technologies de
l’information et de la communication, départs en vacances, relations sociales, participation
associative, pratiques culturelles, opinions et attitudes vis-à-vis de l’environnement,
perception de son état de santé, attitudes vis-à-vis des politiques sociales, souhait de voir se
transformer la société, etc.) et enfin essayer de trouver une spécificité en fonction du lieu de
résidence. Il en ressort que, quel que soit le découpage géographique considéré, les aspirations
et les modes de vie de nos concitoyens sont significativement différents selon le lieu où ils
7
L’enquête s’appuie sur trois types de découpages géographiques : -
-
la région Ile-de-France, en distinguant Paris intra-muros, la petite couronne et la grande couronne
cinq types d’agglomérations : les unités rurales de moins de 2 000 habitants, les petites unités urbaines
(entre 2 000 et 20 000 habitants), les villes intermédiaires (comprenant entre 20 000 et 100 000
habitants), les grandes villes de province (plus de 100 000 habitants) et Paris et son agglomération.
le zonage en aire urbaine, décomposé en quatre catégories : les villes centre, les banlieues, les zones
périurbaines et l’espace rural.
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résident, les critères pris en compte allant de la satisfaction éprouvée au sentiment d’insécurité
en passant par le taux d’équipement en NTIC, les caractéristiques du logement, les opinions
sur le mariage homosexuel, la peur du chômage…
Toutefois, on peut également tirer quelques enseignements généraux d’une approche par les
styles de vie. À titre d’exemple, l’article de F. Madoré, « Modes de vie périurbains en
France » (2004) cherche à vérifier l’hypothèse d’une « périphérisation » des modes de vie
(c’est-à-dire une plus grande fréquentation des polarités périphériques que du centre ville) qui
serait guidée par une recherche de proximité. La méthode employée est celle de l’enquête par
questionnaire, à l’échelle de l’aire urbaine de La Roche-sur-Yon, et s’orientant sur trois types
de pratiques : celles liées à l’emploi, liées au commerce, ou commandées par le recours aux
services privés de base (coiffeur, pharmacie, médecin…). Il s’avère que les deux premiers
sont très dépendants de la commune-centre alors que le dernier participe de la périphérisation
susmentionnée.
Alors même que cet exemple est fondé par une entrée spatiale, la comparaison gomme là
aussi grandement le lien entre territoire et mode de vie. Il y a bien une typologie spatiale à
l’œuvre, mais qui repose sur un découpage administratif et rend ainsi homogènes les modes
de vie liés à des unités urbaines de taille similaire ou équidistants d’un centre urbain.
1.4. Les modes de vie et les territoires (ré)-unis par les enjeux environnementaux
et les engagements auxquels ils conduisent
Comment nous venons de le voir, l’analyse des modes de vie, depuis le genre de vie qui
prenait le milieu comme déterminant, s’est en fait peu à peu déterritorialisés. L’appréhension
du territoire, de son environnement dans les modes de vie est à réinventer. Cette voie est
esquissée par plusieurs chercheurs, et ce d’abord, comme nous allons maintenant le voir, du
côté de la psychologie de l’environnement, en considérant l’homme et son environnement
dans une dynamique interactionniste. Elle analyse simultanément le « vécu territorial »
individuel et collectif et les comportements multiples (adaptatifs ou non) en relation avec
ce/ce(s) territoire(s). En outre, le concept de genre de vie, revu par Juan notamment (1994),
ouvre en sociologie également la porte à une conception autre des modes de vie. Leurs
dimensions territoriales traversent aujourd’hui les réflexions de plusieurs chercheurs et sont
considérées par beaucoup comme la voie possible vers la ville durable.
1.4.1 La lente ré-appréhension de l’environnement dans les modes de vie : la psychologie
environnementale, une analyse compréhensive des relations homme-environnement
Les problématiques liées à l’urbanisme et à l’architecture dans les années 60/70 ont fortement
contribué à l’émergence de la psychologie environnementale, représentée à cette époque par
Prochansky, Ittelson, Rivling (s’intéressant au rôle de l’environnement sur la santé), Sommer
(interrogeant la notion d’espace personnel) ou encore Lynch (analysant la construction
imagée de la ville). La psychologie environnementale est toutefois à ce jour à l’intersection de
plusieurs disciplines (la géographie, la sociologie, l’urbanisme, l’architecture, etc.) et se
différencie à la fois de l’écologie par le fait qu’elle n’analyse pas les systèmes, mais les
relations des individus à ces systèmes, et de la psychologie sociale qui, si elle appréhende
l’interaction homme-objet, ne tient que peu compte du lieu dans lequel les cognitions et
comportements s’actualisent (Moser, 2009).
La psychologie environnementale peut se définir comme « l’étude des interrelations de
l’individu avec l’environnement dans ses dimensions physiques et sociales » (Moser, 2009,
p. 13). Elle s’attache dans un premier temps à analyser les perceptions, représentations et
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cognitions des individus dans un contexte bien défini puis à comprendre les évolutions
comportementales et pratiques motivées par cette sphère psychique dans différents espaces
(de l’intimacy ou sphère intime, à l’environnement global en passant par le macroenvironnement ou public space). « On ne rencontre jamais l’homme indépendamment de la
situation dans laquelle il agit, de même qu’on ne rencontre jamais l’environnement
indépendamment de l’individu qui le rencontre. » (Ittelson, 1973, p. 18).
Toutefois, « De l’étude de comportements et relations spécifiques aux lieux (attachement,
identité de lieu), la psychologie environnementale est passée à l’étude de comportements en
relation avec l’environnement de façon plus générale. » (Weiss et Girandola, 2010, p. 13).
Dès lors, les recherches se sont aussi penchées sur « les comportements individuels localisés »
(Weiss et Girandola, 2010, p. 13), qui cherchent à « associer des représentations de
l’environnement global avec des comportements quotidiens particuliers. » (Weiss et
Girandola, 2010, p. 13). L’objectif est ainsi plus largement pour les psychologues « de
comprendre les facteurs contextuels et les processus cognitifs et motivationnels associés à ces
changements comportementaux. » (p. 14)
C’est indéniablement dans ce mouvement que s’inscrit l’analyse des modes de vie, en
psychologie. Les processus cognitifs et motivationnels pouvant être interrogés le sont souvent
à l’aide du concept de représentations sociales du cadre de vie de l’individu. En effet, dans la
mesure où elles sont un puissant mobilisateur d’affects, les représentations orientent voire
déterminent les conduites sociales (Jodelet, 1989). Plus précisément, « par ses fonctions
d’élaboration d’un sens commun, de construction de l’identité sociale, par les attentes et les
aspirations qu’elle génère, la représentation sociale est à l’origine des pratiques sociales »
(Abric, 1994, p.18). Elles permettent ainsi aux individus de comprendre et de maitriser leur
réalité environnante et donc d’avoir une action sur elle. La théorie des représentations sociales
vise alors à comprendre cette construction sociale (Moscovici, 1961).
Analyser les représentations sociales des modes de vie renverrait donc à mettre en lumière
certaines composantes identitaires, idéologiques et comportementales relatives aux
interactions homme-environnement (Felonneau, 2003).
Au-delà de l’analyse des représentations sociales, les modes de vie peuvent alors également
être appréhendés par la mise en évidence et l’analyse des valeurs personnelles et
environnementales. À ce titre, la psychologie environnementale a mis en avant l’importance
des valeurs dans la disposition au changement : « la disposition individuelle à s’engager dans
des comportements écologiques dépend en outre des valeurs et notamment des mythes de la
nature auxquels les individus adhèrent. » (p. 41). On retrouve ici l’idée selon laquelle il
existerait des « groupes culturels » dont la structure (hiérarchiste, individualiste, égalitariste,
fataliste ou hermétique) affecterait la perception de la robustesse de l’environnement face aux
risques (Douglas & Wildavsky, 1982).
Or, les valeurs personnelles et environnementales, si elles sont suffisamment motrices chez
l’individu, peuvent fortement influencer l’adoption de nouvelles formes d’habiter.
L’implication dans la « forme d’habiter » est donc intéressante à interroger puisqu’elle
favorise la « mise en acte » des valeurs de l’individu. À ce titre, l’implication personnelle
(Flament et Rouquette, 2003) en tant qu’outil permettant de comprendre plus finement les
relations entre un objet et sa population, apparaît comme un élément important.
Enfin, entre représentations sociales et pratiques ancrées, la relation au milieu immédiat est
primordiale pour comprendre les formes d’habiter : « l’individu est susceptible de s’engager
dans des comportements écologiques seulement s’il s’approprie et s’identifie positivement à
son lieu de vie. » (p. 41). La notion d’identité de lieu (place-identity) a été définie pour la
première fois par Prochansky et al. (1976) et renvoie au fait que l’individu en contexte va
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donner un sens et une valence (positive, négative voire neutre) à un lieu en fonction de ses
valeurs et de ses caractéristiques identitaires, l’invitant ainsi à (1) l’adopter si ce lieu est en
phase avec ce qu’il considère être son identité, (2) le modifier physiquement ou encore
cognitivement par la voie de la rationalisation s’il pressent que cet environnement n’est pas
adapté, ou encore plus drastiquement (3) le quitter si sa situation le permet. La notion
d’identité de lieu est, pour l’ensemble de ces raisons, intimement lié au concept
d’attachement.
L’identité de lieu est alors une notion essentielle pour comprendre les modes de vie en ce sens
qu’elle constitue l’ensemble des cognitions qui se réfèrent à un espace dans lequel l’individu
évolue quotidiennement et en fonction de laquelle la personne peut établir des liens
émotionnels et d’appartenance à des environnements déterminés (Valera et Pol, 1994). Certes,
l’identité de lieu est à la base une construction individuelle et peut de prime abord révéler une
certaine hétérogénéité dans les modes de vie qui n’aiderait pas à une généralisation.
Cependant cette identité devient sociale dès lors que l’individu perçoit les similitudes dans
son groupe de référence et des différences entre son groupe d’appartenance et d’autres
groupes ne partageant pas les mêmes idées et/ou pratiques. C’est ce que Turner (1987)
nomme la théorie de la catégorisation du soi.
1.4.2. Les modes de vie en ville : des aménageurs de demain et la question des genres de vie
comme synthèse de leurs productions territoriales par l’environnement
Sur cette base de cognitions sociales de plus en plus orientées par l’environnement, ses
réalités et enjeux, de plus en plus d’auteurs se rejoignent alors pour mettre en avant les modes
de vie comme une donnée structurante de nos territoires, les considérant comme aménageurs
au même titre que des politiques publiques. Viard, dans son dernier ouvrage, met par exemple
l’accent sur les évolutions des modes de vie et leurs influences territoriales dans une optique
large, en s’appuyant à la fois sur des sondages et sur son expérience d’observation de la
société française. Pour lui, « nos modes de vie, nos choix de rapports familiaux, à la nature,
aux vacances, à la culture… sont devenus des aménageurs territoriaux, sans doute plus
puissants que les grandes administrations d’aménagement du territoire et les politiques
publiques. » (p. 191).
Les modes de vie sont alors aujourd’hui directement liés à la question de la prospective, et
leur analyse semble un élément déterminant dans l’appréhension du futur des territoires.
Comme le dit Eric Bérard, « Pour comprendre le devenir de ces nouveaux territoires, il faut
analyser finement les modes de vie qui s’y déploient et les logiques économiques qui portent
son développement. » (in Masboungi et Bourdin, 2004, p. 7). Et réciproquement, le territoire
est une composante clé des modes de vie : « les modes de vie des personnes au quotidien sont
tout autant définis par des usages du temps, des activités pratiquées que par des espaces
fréquentés et la localisation relative de ces derniers. » (Massot, 2010, pp. 10-11)
Toutefois, pour François Ascher (in Masboungi et Bourdin, 2004, p. 88), les modes de vie ont
été longtemps appréhendés par les urbanistes sous l’angle du sempiternel « habiter, travailler,
se déplacer, se divertir ». Il propose, non sans quelques détours par la psychologie sociale, de
remplacer cette quadrilogie par une nouvelle typologie autour de la proximité :
privacy (l’intimité personnelle), intimacy (la famille, les proches), convivialité (le quartier) et
urbanité (la ville). Il y a alors, comme l’indique cette typification, nécessité de prendre en
compte d’autres composantes du territoire. C’est ce que plusieurs experts (géographes et
urbanistes) affirment par l’importance donnée aux modes de vie. Comme le dit J. Viard « Le
monde de demain, à l’image de ce que montre ce livre, ne sera pas d’abord un monde de
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production de biens et d’objets. Il sera un monde de relation, de voyage, de culture, de
nouvelles solidarités tribalo-familiales. » (Viard, 2012, p. 195). Et, au-delà de nos modes de
vie compris comme utilisation de revenus et mobilité, Viard souligne surtout l’importance de
prendre en compte d’autres dimensions : « Nos modes de vie, nos attentes individuelles, nos
rêves privés sont devenus de grands transformateurs sociaux et territoriaux. » (p. 9).
Ici, comme nous venons de le développer par la psychologie de l’environnement notamment,
le mode de vie est alors une clé pour une autre appréhension de l’environnement, car « Les
modes de vie se forment en réaction aux contraintes et aux opportunités offertes par
l’environnement. » (Maugard Cuisinier, p. 111) mais surtout « l’habitant s’approprie l’espace
et le temps par de nouvelles façons de vivre. On peut dire que son mode de vie change la
ville. » (Maugard Cuisinier, p. 123). Les modes de vie sont en fait un opérateur pour engager
l’habitant dans une relation dynamique avec son environnement. Surtout, la question de la
ville durable rend d’autant plus prégnant le rôle des modes de vie et en transforme
l’appréhension : comme l’affirme P. Lefèvre, dans son livre Voyage dans l’Europe des villes
durables (2008) « avec la problématique du développement durable, la vision de la ville et
celle du mode de vie en ville ont changé » (p. 369). Les modes de vie deviennent, avec les
épreuves et défis de la durabilité, incontournables : « Réglementer, innover, diffuser
informations et produits ne suffiront pas tant que ne changeront pas les modes de vie. »
(Maugard et Cuisinier, 2011, p. 83), car « Ce n’est pas la ville qui est durable, ce sont les
modes de vie. » (Maugard et Cuisinier, 2011, p. 72)
Selon François Ascher, deux voies se dessinent alors pour l’urbanisme, face à des modes de
vie qui se diversifient et dont les évolutions sont incertaines : soit laisser faire le marché pour
répondre à cette instabilité, soit « essayer d’imposer une vision de l’avenir au nom d’un
intérêt général qui transcende les logiques particulières et les dynamiques du marché »
(p. 88). D’autres auteurs appellent à une voie plus médiane : à trouver un nouvel entre-deux,
entre mode de vie et action publique, pour atteindre une ville durable (vécue) : « Actes de
gestion et modes de vie vont créer un dialogue pragmatique qui, en modifiant de façon
vertueuse le métabolisme de la ville, devrait la rendre plus durable. » (Laigle, 2009, p. 82).
C’est ici que la notion de genres de vie, comme l’identité territoriale mentionnée plus haut
pour apprécier représentations et pratiques, permet selon nous d’avancer. Largement
actualisée, mais revisitant également son rapport « originel » aux milieux géographiques de
vie, cette notion permettrait de dépasser le clivage mode de vie/style de vie. Elle vise selon
Juan à rendre homogènes les conditions de vie d’une population (en neutralisant trois
déterminants : cadre de vie, classe et statut familial/vital), pour chercher à expliquer
l’existence de différents genres de vie dans ces populations. Dans ce cadre, il complète sa
proposition en soulignant l’importance de prendre en compte quatre dimensions dans
l’analyse des genres de vie : « dimensions écologiques (ou de milieu qui correspondent aux
variables objectives portées par les systèmes), dimensions statutaires dont l’acteur est le
support (âge, sexe, types et nivaux de capital possédés…), représentations collectives
(valeurs, dogmes, idéologies, opinions…) et, enfin, dispositions finalisées dont le support est
l’acteur, même si elles sont socialement produites (projets, visées, objectifs, rêves…) » (1994,
pp. 27-28).
Dès lors, outre l’environnement, il accorde, comme en psychologie de l’environnement, une
place primordiale à la capacité d’action des acteurs : « les acteurs participent - avec des
capacités inégales et de manière plus ou moins partielle - à la prise en charge de leurs
pratiques et de leur situation sociale » (Juan, 1991, p. 73). Les modes de vie (par
l’intermédiaire du genre de vie) se chargent alors d’une dimension politique, celle d’une
participation, d’un engagement, également soulignée par Emelianoff. Cela nous amène à
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considérer les modes de vie dans leur implication politique. Comme le dit Emelianoff : « Les
modes de vie peuvent aussi être une forme d’expression politique à part entière, pour certains
segments de la population. Ils peuvent incarner des convictions, des choix, des rêves, des
espoirs politiques, dans la lignée d’une réorientation de l’engagement politique vers l’action
‘’directe’’, pragmatique. » (Emelianoff in Damon, 2012, p. 175). En outre, les modes de vie
sont vecteurs de nouvelles formes politiques, via de nouveaux engagements, en collectif :
« les modes de vie deviennent un espace de résistance politique et culturelle, et de quête
d’autonomie. » (Emelianoff in Damon, 2012, p. 179). Cela renvoie également à une des
lacunes pointées dans l’enquête SocioVision : « D’une façon plus générale, la question
complexe, mais primordiale des composantes ‘’subies’’ (prix du foncier, accès aux
infrastructures, etc.) et ‘’choisies’’ (tri des déchets, etc.) des modes de vie devrait faire l’objet
d’une étude encore plus ciblée. » (p. 11). La question du choix et de ses déterminants, de la
responsabilité dès lors potentiellement engagée, est ainsi posée, via les modes de vie.
Cette responsabilité va donc de pair avec la question de la capacité des acteurs (et de leur
capacitation), qui elle-même n’est pas déconnectée de l’environnement : « la capacité
d’action est un attribut du sujet personnel, mais le sujet se produit toujours dans un rapport
dialectique à son environnement social » (Juan, 1991, p. 201).
Une autre démarche récente, développée par Dobré et Juan (2009), complète alors cette
approche du genre de vie. Ces derniers ne proposent pas de définition précise des modes de
vie, ou de méthodologie spécifique pour les étudier. Leur question est pragmatique. Il s’agit
de savoir comment changer le monde et en particulier, sortir du système fordiste basé sur une
recherche de croissance économique. Leur travail s’ancre dans la description de ces modes de
vie, dans un travail de sociologie de la critique, et de l’accompagnement de ces changements.
L’ouvrage pointe alors surtout les verrous à ce changement.
Plusieurs résultats nous semblent particulièrement importants à noter pour notre analyse. Ce
travail met en avant le rôle de l’engagement dans les modes de vie : « ces tentatives (de
reforme écologique des modes de vie) prennent pour point de départ l’engagement de
l’individu qui opère consciemment un choix personnel de changer ses manières de
consommer et d’organiser sa vie quotidienne. » (p. 297) L’autre principal résultat de ce
travail est de (re)mettre en avant le quotidien comme terreau politique : « À travers le
changement de pratiques actuelles de consommation, il s’agit d’analyser l’émergence du
quotidien en tant que théâtre de l’action politique, ou ‘’infra-politique’’ (Scott, 1990) à savoir
un domaine discret, voire caché, de lutte politique. » (p. 300)
Enfin, ce travail remet l’environnement au cœur des modes de vie puisque ceux-ci reposent
sur « le rapport que nous entretenons aux ressources matérielles » : le mode de vie est en fait
aujourd’hui plus que jamais un reflet de notre manière de vivre au monde, c’est-à-dire de
considérer le monde. À ce titre, la consommation joue un rôle primordial : « C’est parce
qu’elle nous renseigne sur nos rapports à autrui et au monde que la forme que prend la
consommation dans notre société est une porte d’entrée pertinente dans l’analyse de la
société contemporaine. » (pp. 302-303).
Page 27 sur 137
Encadré 1. Synthèse de l’état de la littérature : entre genres, modes et styles de vie… vers une
individuation des pratiques
Le thème des modes de vie, très présent dans les discours urbains actuels, à intéresser au cours du
temps à la fois philosophes, sociologues, géographes, psychologues, acteurs économiques et
politiques.
Au commencement, les modes de vie apparaissent comme une notion vague au cœur de réflexion de
sciences sociales naissantes. Dès l’origine de son étude, les explications diffèrent ; pour la
géographie, les genres de vie sont déterminés par le milieu géographique où ils prennent place, pour
la sociologie ils sont à relier à la construction sociale et aux appartenances de classes. Dans un second
temps, la sociologie va commencer à identifier un mode de vie plus situé, tenant compte des
évolutions urbaines en lien aux différents cycles de la révolution industrielle.
Cette approche va être bousculée par les évolutions sociales depuis l’après-guerre. Les relations entre
modes de vie et classe sociale ou milieu géographique deviennent moins prégnantes, et les facteurs
explicatifs se diversifient. Un processus d’individuation se met progressivement en place. Afin de
prendre en compte ces évolutions, deux nouvelles méthodes d’analyse principales vont émerger.
La sociographie va progressivement étudier les modes de vie au travers d’une modélisation statistique
de groupes sociaux. De nombreux instituts de sondage ont fondé leur réputation sur cette méthode
d’analyse ; méthode pourtant contestable de par son approche réductrice des faits sociaux. Cette
méthode est par exemple limitée par la difficile intégration de la construction axiologique des modes
de vie, que ce soit par les systèmes de croyances, champs de symboles et plus largement formes de
représentations (ex : progrès) qui les traversent.
Dans le même temps, la sociologie dite académique peine également à intégrer l’intégralité des
composantes du couple territoire-environnement dans ses deux approches. L’étude des modes de vie
en se concentrant sur un usage précis ou un facteur d’usage participe d’une volonté de systématisation
par la recherche d’homogénéité dans les modes de vie. Alors même que les enquêtes sur les styles de
vie (étude des pratiques d’un échantillon de population donnée) montrent une hétérogénéité
croissante. Le mode de vie est conditionné par la classe ou la masse sociale (culture de masse)
d’appartenance de l’individu, alors que le style de vie est spécifique à celui-ci (processus
d’individuation).
Dans ce registre, des liens entre modes de vie et territoires se recomposent au travers des enjeux
environnementaux. La psychologie environnementale en replaçant l’homme dans son environnement
propose de nouvelles voies dans l’étude des modes de vie. L’étude des représentations sociales
permet de mettre en lumière les relations identitaires, idéologiques et comportementales résultantes
du rapport homme-environnement. La psychologie environnementale montre également l’importance
des valeurs personnelles relatives à l’environnement dans la capacité de l’individu à accepter de
nouvelles formes d’habiter. Elle insiste également sur le processus d’appropriation de lieu par un
individu au travers de l’identité du lieu (donner un sens et une valeur à un lieu en fonction de ses
propres valeurs et caractéristiques identitaires), permettant de relier représentation et pratique.
Les modes de vie sont désormais considérés comme étant des aménageurs du territoire et
réciproquement le territoire est devenu une des composantes premières des modes de vie. Dès lors,
afin de répondre aux enjeux de la durabilité, l’analyse de l’évolution des modes de vie est devenue
incontournable. Une nouvelle voie apparaît pour l’urbanisme, mêlant plus directement mode de vie et
action publique. La notion actualisée du genre de vie permet d’avancer dans ce sens. En rendant
homogènes les conditions de vie des populations, elle accorde une place primordiale à la capacité
d’action des individus ; action qui peut comporter du politique, à travers la participation ou
l’engagement infrapolitique d’un individu dans le collectif. Les acteurs disposent donc d’une capacité
de choix, pour des modes de vie qui demeurent cependant largement conditionnés socialement. Ce
qui engage leur responsabilité individuée et interroge les comportements de masse.
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2. Démarche méthodologique et présentation des cas étudiés
2.1. Emboîtement de méthodes de sciences sociales (individuelles et collectives),
pour explorer l’appropriation, les formes d’engagement et de la vie de quartier
Pour garantir la comparaison entre éco-quartiers, c’est-à-dire permettre de confronter point à
point éléments descriptifs et résultats analytiques, mais aussi pour garantir la compréhension
du passage entre des styles de vie de quelques personnes à des modes de vie plus collectifs
(centrés sur les pratiques communes), la démarche proposée repose sur trois méthodes
emboîtées.
Nous proposons ici un travail résolument pluridisciplinaire, passant par des explorations
individuelles et collectives, de nature qualitative et parfois pré-quantitative, menées in vivo
sur la base des savoirs en urbanisme, géographie, sociologie ou encore psychologie exposés
ci-dessus. L’équipe proprement dite Aménités de réalisation de l’étude, associe Guillaume
Faburel (géographe, Pr à l’Université Lumière Lyon 2, UMR Triangle) Daphné Vialan
(Géographe, urbaniste, ESSEC et EHESS, chargée de projet au Bureau de recherches
Aménités), et Thibault Lecourt (Historien, Urbaniste, Université Paris Est, chargé de mission
au Bureau Aménités). Pour certains des cas d’étude, ont également été associés des
professionnels du paysage (Nicolas Tinet et Laurence Renard de La Fabrique du lieu), ainsi
que des compétences disciplinaires complémentaires pour l’analyse du corpus (Isabelle
Richard, UMR LAVUE, Psychologue sociale). Le bureau de recherches Aménités a conduit à
10 reprises sur les 4 dernières années ce type de démarche, emboîtant entretiens exploratoires,
groupes de discussion (mais aussi conférences citoyennes, tables rondes citoyennes, ateliers
de production) et séminaires d’acteurs8.
2.1.1. Le cœur de la démarche : des entretiens chez l’habitant
La démarche repose d’abord sur 10 à 20 entretiens d’habitants par éco-quartier. Cette vague
d’entretiens de 40 minutes à 2 heures, selon les cas, menée chez l’habitant, a permis de
recueillir l’information factuelle sur l’état et les thèmes de l’appropriation, les niveaux de
satisfaction selon les motivations initiales, les types d’implication et formes de vie de quartier,
et la caractérisation des habitants. Tout ceci autour de trois groupes de questionnements, plus
descriptifs sur les formes d’appropriations, ou plus analytiques sur les modes et styles de vie
éventuellement en jeu.
1/ Comment les éco-quartiers sont-ils appropriés (perceptions, usages, pratiques,
imaginaires…) ? Par quels thèmes plus précisément (nature en ville et paysages, espace public
et services communs, gestion sociale et action culturelle, offre de commerces et économie
locale…) ? Par quelles implications directes ou indirectes des populations (natures, formes,
fréquences…) ? Pour quel rôle dès lors entretenu, voire renouvelé, d’une participation
différenciée selon les types de population ? Par quels habitants (classes, genres, âge…) et
trajectoires résidentielles, sociales, familiales… ? Sur quelles bases de sensibilité, de
connaissances et motivations préalables ? Pour quels constats une fois la vie de quartier
établie, niveaux de satisfaction, formes de bien-être, construction socio-spatiale de
satisfactions attaches, ancrages… ?
8
Cf. Nos expériences et productions sur le site Aménités (http://amenites.wordpress.com/).
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Encadré 1. Extrait de la grille d’entretiens habitants : Le projet et son appropriation
1. Trajectoire et motivations pour l’éco-quartier
•
Depuis quand habitez-vous ici ? Où habitiez-vous avant ? Comment avez-vous eu
connaissance du projet ?
Le fait de vivre dans un éco-quartier est pour moi :
0 ---------------------1-------------------2-------------------3------------------------ 4
Sans importance
Primordial
•
•
Avez-vous choisi de vivre dans ce quartier ? Si oui, pour quelles raisons ? Pourriez-vous
classer les différentes motivations possibles ci-après ?
o
Vivre dans un quartier convivial
0-----------1-----------2-----------3-----------4
o
Adopter de nouveaux modes de vie
0-----------1-----------2-----------3-----------4
o
Contribuer personnellement aux défis environnementaux / le réchauffement
climatique par mon mode de vie ou par mon habitat (architecture
innovante/écologique)
0-----------1-----------2-----------3-----------4
o
Vivre en harmonie avec la nature / Me rapprocher d’un paysage qui me plait
0-----------1-----------2-----------3-----------4
o
Participer à un projet expérimental (les éco-quartiers)
0-----------1-----------2-----------3-----------4
o
Faire des économies (énergie/argent)
0-----------1-----------2-----------3-----------4
•
Et aujourd’hui, avez-vous le sentiment que ces différentes motivations ont été satisfaites ?
(reprendre les motivations une à une)
•
Plus généralement, la vie ici est-elle différente que celle d’un autre quartier ? Qu’y a-t-il
d’original ? Quelles sont les spécificités de ce projet ? Est-ce selon vous un quartier comme
un autre ?
2. Attentes/appropriation
•
Êtes-vous satisfait de votre vie dans cet éco-quartier ?
0 -----------1-----------2-----------3----------- 4
•
Pourquoi ? Quels sont les éléments de votre environnement physique et/ou social qui
participent à votre degré de satisfaction ?
o
Avez-vous trouvé ce à quoi vous vous attendiez ? Ce qui vous a surpris, déçu… ?
o
Qu’est-ce qui a changé par rapport à avant ? Ici, et là où vous habitiez ? La vie ici
est-elle différente que celle d’un autre quartier ? Qu’y a-t-il d’original ?
•
Avez-vous été associé au projet ? À quel moment ? Quelle a été votre implication ? Qu’est-ce
que cela vous a apporté ?
•
Connaissiez-vous le projet du paysagiste ? Qu’en pensez-vous, maintenant que vous y vivez ?
2/ Ces formes éventuellement singulières d’appropriation contribuent-elles voire incarnentelles l’évolution décrite des modes et styles de vie ? Qu’entend-on par modes de vie dans ces
quartiers ? Sur quels objets et pour quels thèmes (vivrier des jardins partagés, énergétique des
usages du logement, circulatoire des modes doux, communaliste de l’entraide locale…) et
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types de pratiques (ex : démocratiques dans les modes et formes d’implication) ?
Représentent-elles des innovations en la matière par rapport à des quartiers de fonctionnement
plus ancien ?
Encadré 2. Extrait de la grille d’entretien habitants : Les modes de vie
2.1 Pratiques quotidiennes
•
Quels lieux fréquentez-vous ? (commerce, loisirs, travail…).
o
Où travaillez-vous ?
o
Où vos enfants vont-ils à l’école ? Où votre partenaire travaille-t-il ?
o
Où faites-vous vos courses ?
o
Où aimez-vous aller pour vous détendre ?
o
Où allez-vous voir vos amis ?
o
Racontez-nous vos itinéraires lors d’une journée type (itinéraire sur la carte).
o
Que faites-vous autour de chez vous et où ?
o
Quels sont vos endroits et vues préférés (à localiser sur une carte) ?
o
Quels sont les endroits que vous n’aimez pas (à localiser sur une carte) ?
2.2 Changement des modes de vie
•
Avez-vous changé vos habitudes en vivant ici ? Pourquoi ? Comment ?
o
Consommations énergétiques ?
o
Consommations alimentaires ? (AMAP, épiceries solidaires, types d’achat…)
o
Transports (usage de la voiture, TC, mutualisation…)
o
Relations de proximité (voisinage, parentèle, sociabilité…)
o
Ballades, rencontres, sorties
•
L’aviez-vous prévu avant d’arriver ? Souhaitez-vous poursuivre ce changement dans ce
sens ? Pourquoi ?
•
En quoi ce changement a-t-il été ou pourrait-il être favorisé/freiné par l’éco-quartier ?
2.3 Vie sociale
•
Connaissez-vous beaucoup de monde dans le quartier (amis, familles, voisins…) ? Dans la
ville ? Avez-vous des personnes sur qui compter ?
•
Y a-t-il une vie de quartier ? Laquelle ? Y êtes-vous investi ? (associations, relations avec le
voisinage, entraide, solidarité, conflits, ignorance…). Davantage qu’avant ?
3/ Et dès lors, pour quelles conceptions de la ville, de son habiter et de ses devenirs ? Et ainsi
quelles questions concrètes adressées à l’aménagement, à ses choix et projets ? Non
seulement à la gestion locale de la vie de quartier (inclusive ?), mais aussi au devenir
résidentiel des éco-quartiers (ségrégatif ?), au fonctionnement économique du territoire
d’appartenance (endogène ?) ? Et également en retour aux projets, dans leurs ambitions et
mots d’ordre relatifs à la vie de quartier en sens large (mutualisation, gestion partagée,
réversibilité…), portage (ex : promotion) et gouvernance (ex : participative), de même que
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décalages potentiels dès lors mis en lumière entre objectifs de projet et réalités de
l’appropriation ?
Encadré 3. Extrait de la grille d’entretien habitants : conceptions de la ville, de son habiter et
de ses devenirs
1. Conceptions de la ville
•
Comment les villes vont-elles évoluer dans le futur ? Cela vous satisfait-il ?
•
Comment pensez-vous que vos enfants vivront dans 15-20 ans ?
•
Aimez-vous votre ville ? Votre quartier ?
•
Habiter ici, qu’est-ce que ça signifie par rapport à la ville ? Pourquoi ?
•
Que manque-t-il dans le quartier ? Qu’aimeriez-vous voir exister ? Que voudriez-vous faire ?
Pensez-vous qu’il soit possible de le faire ? Pourquoi, comment ?
•
Souhaitez-vous rester ici ? Pourquoi ?
•
Quel est selon vous le devenir des éco-quartiers ? Sont-ils amenés à se généraliser ? Sous
quelle forme ?
•
Quel rôle doit jouer la politique et surtout les hommes/femmes politiques dans un quartier
comme celui-là ? Et les associations ?
2. Environnement/écologie/paysage
•
Quelle est la place de l’écologie dans ce quartier ? Y a-t-il un rapport particulier avec la
nature ? Avez-vous le sentiment d’être plus proche ou respectueux de la nature ? Pourquoi ?
•
Qu’est-ce que l’environnement pour vous ? Comment le définiriez-vous ? Qu’a apporté
l’éco-quartier en la matière ?
•
Estimez-vous que le cadre de vie du quartier soit meilleur que celui dans des quartiers qui ne
sont pas éco-quartiers ? Pourquoi ?
•
Comment décririez-vous le paysage alentour ?
•
Que connaissez-vous du paysage alentour ? (géologie, faune, flore, histoire…)
•
En dehors, d’ici, quels sont vos paysages préférés ?
•
L’éco-quartier est-il selon vous bien intégré au paysage ? Et votre propre maison ?
•
Comment s’intègre l’éco-quartier dans la commune (rapport aux autres habitants, connexion
avec le centre-bourg…) ?
•
Quels impacts a l’éco-quartier sur le paysage ?
Précisons ici que, distribuées à plusieurs endroits de la grille, des questions avaient pour
objectif de saisir, de manière plus quantitative, les représentations sociales de l’éco-quartier,
ou encore les valeurs environnementales. Certaines variables psychologiques ont ainsi plus
particulièrement été interrogées notamment pour répondre à deux questions prégnantes dans
l’appréhension du mode d’habiter des éco-quartiers : (1) quelles en sont les représentations
sociales, soit les imaginaires collectifs des individus lorsqu’on évoque avec eux les écoquartiers, et (2) quelles sont les valeurs environnementales des personnes résidantes dans ce
type de lieux.
Compte tenu de leurs différentes conditions d’émergence, nous cherchions à savoir si les
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représentations divergeaient et pouvaient expliquer des concordances dans les pratiques et les
modes de vie des individus. Cette analyse permettait ainsi d’apprécier l’idée d’éco-quartier tel
qu’il est imaginé, faisant alors ressortir l’ensemble des points « attendus » par les individus,
concernant par exemple les modes de vie. Pour rappel, les représentations sociales permettent
en fait aux individus de structurer et d’appréhender la réalité qui s’offre à eux par des filtres
subjectifs et cognitifs. Les représentations sociales sont de ce fait une reconstruction mentale
de la réalité, partagée par plusieurs individus ou groupes. Elles permettent à la fois la
construction d’une identité sociale, l’élaboration d’un sens commun et la construction
d’aspirations et attentes partagées (Abric, 1994). En ce sens, les représentations sociales
guident les pratiques.
À travers l’analyse des modes de vie dans les éco-quartiers, on cherche ainsi à mettre en
lumière les expériences vécues dans ces espaces et par là à comprendre les motivations et
modes d’appropriation (facilités ou non par l’adéquation avec les représentations des
individus) de ce mode d’habiter. Partant du principe que l’expérience vécue peut être
importante dans le choix d’un mode de vie puisqu’elle vient nourrir les représentations du
monde, des objets et aurait la capacité de transformer la représentation sociale existante par
l’apport de nouvelles informations, émotions, vécues (Jodelet, 2006), l’analyse des
représentations sociales et des pratiques vise essentiellement deux choses : (1) appréhender
l’adéquation ou inadéquation entre imaginaire et réalité de l’éco-quartier chez les populations
(2) analyser dans quelle mesure le mode de vie influence la représentation sociale de l’écoquartier.
Encadré 4. Extrait de la grille d’entretien habitants : représentations sociales de l’éco-quartier
et valeurs environnementales des habitants
1. Représentations de l’éco-quartier
- Quels sont les mots qui vous viennent spontanément à l’esprit quand vous pensez à un « écoquartier » ? (5 mots)
- Pouvez-vous indiquer le terme le plus représentatif associé à un éco-quartier (1) et celui le moins
représentatif (5) ?
- Pouvez-vous indiquer pour l’ensemble des termes fournis s’il s’agit plutôt de termes à connotation
positive (+) ou négative (-)
- Utiliseriez-vous ces termes pour définir maintenant l’éco-quartier dans lequel vous vivez ? Sinon
quels termes mots utiliseriez-vous pour décrire votre éco-quartier ?
2. Valeurs environnementales des habitants
Avec laquelle de ces propositions êtes-vous le plus en accord ? Hiérarchisez les propositions de 1 à 4 :
- Nous n’avons pas à nous soucier des problèmes environnementaux, en effet, l’environnement n’est
pas facilement perturbé
- Les problèmes environnementaux ne seront pas incontrôlables, mais nous ne devons pas excéder les
limites de l’environnement.
- Nous devons être prudents avec l’environnement, le moindre changement pourrait être
catastrophique. - Nous ne savons pas si les problèmes environnementaux vont s’aggraver ou non.
Maintenant, j’aimerais avoir votre avis sur plusieurs questions liées à l’environnement. Pour chacune
des propositions ci-dessous, merci de nous indiquer si vous êtes d’accord ou non, sur une échelle de 0
à 4.
1. Nous approchons les limites du nombre de personnes que la terre peut supporter
0-----------1-----------2-----------3-----------4
2. L’humanité a le droit de modifier son environnement naturel pour assouvir ses besoins
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0-----------1-----------2-----------3-----------4
3. Quand l’humanité interfère avec la nature, cela génère souvent des conséquences désastreuses
0-----------1-----------2-----------3-----------4
4. L’ingéniosité humaine va assurer le fait que nous n’allons pas rendre la terre invivable
0-----------1-----------2-----------3-----------4
5. L’humanité abuse sévèrement de l’environnement
0-----------1-----------2-----------3-----------4
6. La terre a beaucoup de ressources naturelles si nous apprenons seulement à les développer
0-----------1-----------2-----------3-----------4
7. Les plantes et les animaux ont les mêmes droits que les humains d’exister
0-----------1-----------2-----------3-----------4
8. La nature est suffisamment robuste pour faire face aux impacts des sociétés post-industrielles
0-----------1-----------2-----------3-----------4
9. Malgré nos compétences spécifiques, les humains sont toujours soumis à la loi de la nature
0-----------1-----------2-----------3-----------4
10. La destruction des ressources naturelles par l’homme a été grandement surestimée
0-----------1-----------2-----------3-----------4
11. La terre à des ressources limitées
0-----------1-----------2-----------3-----------4
12. Les humains ont été créés pour régner sur le reste de la nature
0-----------1-----------2-----------3-----------4
13. L’équilibre de la nature est fragile et facilement irritable
0-----------1-----------2-----------3-----------4
14. Les humains finiront par apprendre suffisamment sur la façon dont fonctionne la nature pour être
en mesure de le contrôler
0-----------1-----------2-----------3-----------4
15. Si les choses continuent sur leur cours actuel, nous allons bientôt vivre une catastrophe écologique
majeure
0-----------1-----------2-----------3-----------4
Enfin, la phase d’entretiens a également servi à dresser le profil socio-démographique de
l’éco-quartier, ainsi que de comprendre les trajectoires résidentielles des ménages, et a alors
également permis de composer des échantillons représentatifs de la population des quartiers
dans lesquels des groupes de discussions avec 6 à 10 habitants ont été organisés, dans les
quartiers le permettant (en termes de sollicitations, de collaborations…).
Encadré 5. Extrait de la grille d’entretiens habitants : profil
•
Si vous deviez vous présenter, comment le feriez-vous ?
•
Quelle est votre date de naissance ?
•
Quel est le dernier diplôme que vous avez obtenu ?
•
De qui est composé votre foyer ? Femme ? Enfants ? Sont-ils selon vous bien dans ce
quartier ?
•
Quelles professions avez-vous exercées ? Quelle est la profession de votre conjoint-e ?
•
Êtes-vous engagés dans une association ? Un parti ? L’avez-vous déjà été ?
Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez rajouter ?
Penser à décrire le logement et l’endroit du quartier, pour bien situer les discours
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2.1.2. Le groupe de discussion : temps d’exploration collective
Le groupe de discussion est une méthode de sciences sociales qui permet de remonter en
généralité, tout d’abord par la mise en commun des récits personnels, des positions relatives
de chacun et des expériences et trajectoires plus ou moins communes de la vie et la
composition de quartier… (Krueger et Casey 2001 ; Faburel, Altaber, Chevallier, Meyer et
Gageonnet, 2012).
Pour ce faire, cette méthode s’ouvre à des objets encore plus ostensiblement sociologiques,
qui, tels les attaches, les attentes, croyances, imaginaires, représentations…, permettront ici de
discuter des facteurs signifiants des types d’appropriation, des formes d’engagement dans le
quartier et, surtout, de l’évolution potentielle des modes de vie. En ce sens, la démarche
dialogique est particulièrement requise pour répondre aux deux dernières rubriques de
question proposées, et notamment : Qu’entend-on par modes de vie dans ces quartiers ? Sur
quels objets et pour quels thèmes et types de pratiques ? Pour quelles conceptions de la ville,
de son habiter et de ses devenirs ? Avec dès lors quelles questions concrètes adressées à
l’aménagement, à ses choix et projets ? Non seulement à la gestion locale de la vie de quartier
(inclusive ?), mais aussi au devenir résidentiel des éco-quartiers (ségrégatif ?), au
fonctionnement économique du territoire d’appartenance (endogène ?)…
Encadré 6. Grille d’animation du groupe de discussion
Première séquence (40 min) : tour de table de présentation (environ 5 min chacun) : où habitervous, profession, raison d’habiter ici, attentes / au groupe… ?
Deuxième séquence (1 heure) : le regard sur l’existant, composition et causes, centré sur la
qualification dynamique et partagée des types d’appropriation, des formes d’engagement et, surtout,
de l’évolution potentielle des modes de vie, en insistant particulièrement sur les thèmes communs et
facteurs signifiants nourris d’attaches, de croyances, d’imaginaires, et ce faisant éventuellement
d’attentes à l’adresse des autorités.
Vous sentez-vous bien dans l’éco-quartier ? Pourquoi ?
Qu’est-ce qui vous semble singulier, notable, voire remarquable dans cet éco-quartier ?
Selon vous, de qui se compose l’éco-quartier, en termes d’origine/profil social, de genre et d’âge, en
termes de motivations d’emménagement (trajectoires sociales, familiales, résidentielles…), en termes
de choix de vie ?
Les gens étaient-ils selon vous sensibles à la question des modes de vie et à leur évolution en venant
habiter ici ? Si oui ou non pourquoi ? À quoi étaient-ils sensibles ?
Sur quoi les modes de vie vous semblent avoir pu changer, peut-être chez vous, mais surtout chez
d’autres habitants :
-
Rapports à la nature, à l’environnement, aux paysages (ex : vivrier des jardins partagés)
-
Espaces publics et de services locaux,
-
Offres de commerces et d’économie locale,
-
Consommations et comportements alimentaires,
-
Construction et d’usages des logements et de ses environs immédiats (ex : consommation
énergétique)
-
Modes de déplacements et des types de mobilités (ex : modes doux).
-
…
-
Et en termes de participation à la vie locale, à des types d’actions et de formes démocratiques.
Les modes de vie vous semblent-ils dès lors différents ? Par rapport à quoi ?
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Représentent-ils des innovations en la matière par rapport à des quartiers de fonctionnement plus
ancien ? (cf. Appartements urbains et lotissements traditionnels)
Troisième séquence (30 minutes) : les conceptions du vivre ensemble, des mondes communs, de
l’habiter, donc d’enjeux pour la prospective locale et aménagiste, avec dès lors les questions
concrètes adressées à l’action publique, à ses choix et projets, en vue d’apprécier la facture
expérimentale des éco-quartiers comme laboratoires de modes de vie durables.
Qu’est-ce qu’une ville pour vous ? Comment y vit-on ?
Quels regards portez-vous sur l’évolution des villes aujourd’hui ? Quels sont les défis premiers à ou
de cette évolution ? Préciser.
Les éco-quartiers vous semblent-ils répondre à ces enjeux, défis… de nos sociétés et nos économies ?
Si oui ou non pourquoi ?
Existe-t-il des décalages entre les objectifs du projet et la réalité de son fonctionnement ?
Quelles questions concrètes dès lors adresser à l’aménagement de l’EQ, à ses choix et projets ?
Quelles attentes insatisfaites ? En termes par exemple :
 de gestion locale de la vie de quartier (inclusive ?),
 de participation de chacun et de construction du commun,
 en termes de facilitation/soutien politique,
 mais aussi de devenir résidentiel des éco-quartiers (ségrégatif ?),
 de fonctionnement économique du territoire d’appartenance (endogène ?).
Les groupes de discussion qui ont pu être menés donnent lieu à analyse compréhensive
structurée par deux entrées :
 l’une centrée sur la qualification dynamique et partagée des types d’appropriation, des
formes d’engagement et, surtout, de l’évolution potentielle des modes de vie, en
insistant particulièrement sur les thèmes communs et facteurs signifiants nourris
d’attaches, de croyances, d’imaginaires, et ce faisant éventuellement d’attentes à
l’adresse des autorités ;
 l’autre sur les conceptions du vivre ensemble, des mondes communs, de l’habiter,
donc d’enjeux pour la prospective locale et aménagiste, avec dès lors les questions
concrètes adressées à l’action publique, à ses choix et projets, en vue d’apprécier la
facture expérimentale des éco-quartiers comme laboratoires de modes de vie durables.
2.1.3. Les entretiens avec les acteurs professionnels et institutionnels : temps prospectif de la
démarche
Quatre à cinq entretiens avec les acteurs des éco-quartiers ont permis de préparer le travail de
terrain, et surtout d’appréhender le thème central du côté des praticiens : quelle attention y a
été portée au moment du projet (au-delà des modalités plus conventionnelles de considération
des modes de vie par exemple par le filtre de l’habitat dans les politiques plus historiques) ?
Quels liens font-ils, et donc quelles expériences tirent-ils des proximités/écarts entre le projet
et la réalité des modes de vie aujourd’hui ? Comment les modes de vie entrent en culture
professionnelle (autour par exemple de la mutualisation, de la gestion partagée, de la
réversibilité des aménagements…) avec la fabrique plus classique, majoritairement sociale et
culturelle, de la vie de quartier ?
Tout ceci à des fins de prospective, en vue d’accompagner éventuellement d’autres projets
Page 36 sur 137
dans sur les thèmes de l’appropriation, de la vie de quartier et des modes de vie : outils
privilégiés d’intervention (ex : promotion), répertoires de l’action locale (ex :
accompagnement), référentiels (ex : managérial) et modes de production (technique,
dialogique, inclusive, participative…) défendus par les acteurs...
Encadré 7. Grille d’entretiens professionnels
1. Le projet en lui-même et son entrée en politique
Description générale du projet, historique et spécificité
•
Pourriez-vous décrire le projet en quelques mots ? Quels étaient les objectifs du projet ?
•
Quelle a été son histoire (selon vous et en fonction de votre participation) ? Le projet a-t-il
connu des coups d’arrêt ? Des rebonds, des bifurcations ? Quelles contraintes le projet a-t-il
rencontrées ?
•
Quels ont été pour vous les acteurs clés de ce projet ? Pourquoi ?
Quelle est la spécificité de ce projet par rapport à d’autres projets auxquels vous avez
participé ?
Implication dans le projet
•
•
Comment avez-vous appris l’existence du projet ? Comment en êtes-vous arrivés à travailler
sur ce projet ?
•
Pourquoi vous êtes-vous impliqués sur ce projet ? Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce
projet ?
•
Comment vous y impliquez-vous ? Quelle a été votre participation à ce projet ? Comment le
soutenez-vous ? L’accompagnez-vous ? Le relayez-vous ?
•
Quelles difficultés rencontrez-vous ? Quel accueil recevez-vous lorsque vous défendez ce
projet ?
2. Trajectoire personnelle et évolution des métiers
Évolution des métiers
•
Quelle formation avez-vous reçue ? Quelles professions avez-vous exercées ?
•
Comment cette initiative fait-elle évoluer votre métier ? Qu’est-ce que la participation à ce
projet a fait bouger dans vos pratiques professionnelles ? Quels nouveaux types de
compétences, de savoirs, savoir-faire, vous semblent nécessaires ?
•
Pensez-vous qu’il s’agit d’une initiative d’avenir ? Pourrait-elle être généralisée ? À quelles
conditions ?
•
Avez-vous déjà milité dans un parti ? Participé à une association ?
3. Modes de vie/appropriation/conception de la ville
Transition par la participation
Quel est le rôle de la participation dans la construction du projet ? Quelle place a été donnée
aux habitants dans le projet ?
Appropriation
•
•
Comment pensez-vous que le projet a été ensuite approprié par les habitants ? De quelles
implications des habitants avez-vous été témoin ?
o
De quelle manière, par quels outils/dispositifs ?
o
Et sur quels objets/thèmes (espaces publics ? Services communs ? Action culturelle ?
Commerces et économie locale ? Nature en ville et paysage ?)
Page 37 sur 137
•
Quels habitants semblent le plus impliqués ? (en termes de genres ? d’âge ? de classe ? ou de
trajectoire résidentielle ?)
•
Que sont venus chercher les habitants dans ce quartier ? Quelles étaient leurs intentions ?
L’ont-ils trouvé selon vous ? Quel est le niveau de satisfaction des habitants selon vous ?
• Observe-t-on un décalage entre les objectifs du projet et l’appropriation par les habitants ?
Mode de vie
•
En quoi selon vous les modes de vie dans cet éco-quartier diffèrent des modes de vie dans
d’autres quartiers ? Représentent-ils des innovations en la matière par rapport à des quartiers
de fonctionnement plus ancien ?
•
Observez-vous de nouvelles pratiques ?
o
En termes de logement ? De consommation ? De mobilité ? D’usage des ressources
(énergie, eau, électricité) ?
o
En ce qui concerne le rapport à la nature ? au paysage ?
o
En ce qui concerne l’entraide ? La vie de quartier est-elle singulière ?
Comment qualifieriez-vous ces nouvelles pratiques ? Plus démocratiques ? Quelles
intentions sous-tendent ces nouvelles pratiques ? Quel horizon cherchent-elles à
atteindre ? Plus de solidarité ? de liens ? un nouveau rapport à la nature ?
Conceptions de la ville
o
•
Quelle conception de la ville est portée par ces initiatives ?
Quel est selon vous le devenir de ces éco-quartiers ? Sont-ils amenés à se généraliser ? Sous
quelle forme ? Quel impact peuvent-ils avoir sur le développement économique du territoire ?
Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez rajouter ?
•
2.2. Présentation synthétique des cas étudiés : Graulhet, Faux la Montagne, HédéBazouges
Compte tenu de l’envergure de la problématique, mais également, à l’opposé, du gisement
encore assez restreint de quartiers en fonctionnement à ce jour, nous avons catégorisé les écoquartiers en vue de prétendre à une remontée en généralité des résultats et enseignements.
Après échanges avec le bureau AD4 du METL, il a été proposé de mettre ce questionnement
en pratique dans 6 éco-quartiers français, majoritairement issus de l’appel de 2009, en
distinguant, pour la nécessité susmentionnée :
-
3 projets phares et 3 cas ascendants (soit inscrits dans des projets de plus grande
envergure, soit en totalité de l’initiative locale).
-
participant de grands projets urbains (centre-ville, réhabilitation de quartiers entiers…), ou
tirés d’expériences des petites villes et du monde rural.
Une fois prise en compte la base de données de la recherche menée en 2012 pour AD4 sur les
Valeurs et principes défendus par les projets (en vue notamment de s’assurer que chacune des
catégories compose bien à l’une des grammaires axiologiques identifiées dans ce travail, cf.
Faburel et Roché, 2012) et également nourris du processus de labellisation accélérée en 2013,
il ressort une liste de 3 éco-quartiers dits expérimentaux, et une autre de 7, phares, qu’il
conviendra de resserrer également à 3 dans la perspective d’une comparaison à mener en
2014. Pour les cas dits ascendants, trois éco-quartiers ont été retenus, objet de ce premier
rapport :
Page 38 sur 137
-
L’Ecoquartier du Four à Pain à Faux la Montagne (Creuse)
-
Les Résidences du Parc à Graulhet (Tarn)
-
Les Courtils à Hédé-Bazouges (Ille-et-Vilaine)
Ces 3 cas sélectionnés reposent sur des démarches expérimentales a priori originales, et
mettent en avant l’innovation en termes de modes de vie, essentielle pour une étude à portée
prospective. En outre, ces cas sont impliqués par la démarche EcoQuartier du Ministère et ont
mis en avant les dimensions sociales et participatives dans leurs projets. Dans ceux-ci,
l’implication habitante est notable, et ce de différentes manières : par exemple si elle est à
l’origine du projet à Faux la Montagne, à Graulhet, elle serait une conséquence du projet.
Cette implication prend également des formes différentes : allant de la concertation en amont,
et de la participation à un comité de pilotage, jusqu’à la redynamisation associative, ou encore
la mise en place d’une Régie de quartier pour l’animation locale.
Par ailleurs, ces trois projets nous semblent présenter une certaine diversité de situations,
offrant alors la possibilité d’une comparaison finale, du fait :
 de leur envergure (en termes de nombre de logements), et de leur localisation (taille de
la commune d’accueil, situation rurale ou urbaine),
 de leurs enjeux propres (à Graulhet, la réhabilitation ANRU d’un quartier industriel ;
aux Courtils, une extension en milieu rural avec une recherche d’alternative aux
logements classiques ; à Faux la Montagne la volonté de repenser le logement en
milieu rural),
 ou encore des systèmes d’acteurs et de la conduite de projet, et en particulier de
relations sociales (à Faux la Montagne, le projet est né d’une concertation de longue
date liant habitants et élus ; à Graulhet, les efforts se sont concentrés sur les questions
d’insertion sociale ; et aux Courtils, l’impulsion vient de la mairie et a été reprise au
bond par des habitants, ce qui a contribué à redynamiser la vie associative).
Enfin, ces trois projets sont sortis de terre depuis plus d’un an (au moins pour partie),
permettant ainsi d’avoir un certain recul sur les formes d’appropriation et modes de vie dits
durables. Ce recul est néanmoins plus ou moins important et pourra faire l’objet d’une
évaluation spécifique (l’éco-quartier des Courtils étant habité depuis 2008-2009, tandis que
les premières livraisons à Faux la Montagne ont eu lieu en 2012, et celles des résidences du
Parc à Graulhet en 2010). Au-delà du recul que cette livraison des logements permet, ces
projets ont tous une vie débutée il y a maintenant plus ou moins dix ans, ce qui offre
l’opportunité d’avoir également recul sur les processus dynamiques en jeu.
Page 39 sur 137
Principales caractéristiques socio-spatiales des projets et éco-quartiers sélectionnés
Four à Pain à Faux la
Montagne
Les Courtils à HedeBazouges
Les Résidences du Parc à
Graulhet
Région
Limousin
Bretagne
Midi-Pyrénées
Département
Creuse (23)
Ille-et-Vilaine (35)
Tarn (81)
Commune
Faux-la-Montagne (371 hbts)
Hédé-Bazouges (1932 hbts)
Graulhet (12 229 hbts)
Type
d'urbanisation
Milieu rural (PNR de
Millevaches)
En périphérie de Rennes (20
km)
En grande périphérie de
Toulouse (60 km)
Superficie
2 ha
2,5 ha
6 ha
Type de projet
Extension urbaine
Extension urbaine liant le
centre bourg et un petit bourg
Projet de Rénovation Urbaine,
à 800m du centre-ville
Budget
212 550 €
700 000 €
24,14 millions d'€
Calendrier
Concertation depuis 2004,
début des travaux en 2010,
premières livraisons en 2012
Démarche initiée en 2001,
livrée en 2008
Travail collaboratif depuis
2001, livré en 2012
Nb de
logements
14 à 15, dont 3 sociaux
32 (22 en libre-accession, 10
sociaux)
212 (sociaux uniquement)
Nb
d'habitants
50
75
500
Équipements
Jardins partagés (verger,
potager), lieu de compostage,
four à pain (rénovation), halle,
parking
Garages groupés
Espaces publics (parc urbain
boisé, placettes,
cheminements), école
Une association d'habitants à
l'origine du projet, devenue
une SCIC accompagnant
l'auto-construction et la
participation
Réseau d'entraide de
communes pour un
développement durable (la
BRUDED)
Fort encadrement
réglementaire (PRU, CUCS,
PLU, PLH, ZPPAUP-AVAP,
Agenda 21, Trames Vertes et
Bleues)
Ateliers d'écriture
architecturale avec les
habitants
Architecture innovante et
diversifiée, auto-construction
et habitat groupé
Objectif de reconnecter un
quartier résidentiel dégradé au
centre-ville
Travail avec le secteur de
l'économie sociale et solidaire
(ressourceries, insertion...)
Travail avec des associations
locales (café associatif,
commerces bio…)
Travail avec l'AGORA, Régie
de Territoire auprès des
habitants
Situation
Description
Spécificités
Bureau de recherches Aménités (2013)
Page 40 sur 137
3. Graulhet, les Résidences du Parc : une inclusion sociale par le
développement durable ?
Nous proposons ici une analyse éco-quartier par éco-quartier, avant de procéder dans la partie
suivante à une analyse transversale des trois cas étudiés. Chaque analyse est précédée d’une
courte partie méthodologique décrivant le déroulement de notre enquête de terrain.
L’analyse de chaque éco-quartier suit un canevas similaire. Dans une première partie, nous
proposons un portrait des modes de vie dans l’éco-quartier, qui bien que basé sur des faits,
rend compte surtout d’évolutions dynamiques sur le plan des modes de vie. Notre deuxième
partie s’attache à élucider l’appropriation de l’éco-quartier par les habitants, c’est-à-dire dans
quelle mesure le dispositif éco-quartier est repris par les habitants. Cette partie est l’occasion
pour nous d’analyser également le rôle de deux types d’acteurs clés du dispositif écoquartier : les élus et les experts. Dans une troisième partie, nous proposons d’explorer le
monde commun qui se crée au sein de l’éco-quartier, à travers les imaginaires de la ville
communs aux habitants rencontrés, mais aussi les valeurs et principes approchés lors des
entretiens ou en groupe de discussion, en prenant pour support des questionnements sur les
motivations à s’installer dans l’éco-quartier. Enfin, notre quatrième et dernière partie est plus
prospective et s’attache à étudier à la fois la diffusion de l’éco-quartier dans son territoire
d’appartenance, mais aussi plus largement la généralisation potentielle du dispositif écoquartier, ainsi que l’approfondissement au sein même de l’éco-quartier des dynamiques
analysées.
3.1. Déroulement de l’enquête : l’impensé de la durabilité, ou la nécessité de
passer par l’observation des comportements
La première approche du terrain a eu lieu fin mai 2013 par une prise de contact auprès des
acteurs professionnels. La mairie a naturellement été le premier interlocuteur que nous avons
cherché à joindre. Toutefois, lorsque nous avons appelé pour parler à un responsable en
charge du projet des Résidences du Parc, nous avons été renvoyés vers le directeur de
l’EHPAD (établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes) « les Résidences du
Parc » de Graulhet, sans que notre question sur un possible éco-quartier ne rencontre de
répondant. Nous nous sommes alors tournés vers la régie de quartier A.G.O.R.A. qui était
présentée dans le dossier de l’éco-quartier de Graulhet comme un acteur principal et original
du projet. Nous avons pu parler avec Fatima Selam, directrice de la régie de quartier, avec
laquelle nous avons mené un entretien téléphonique : elle a confirmé l’existence du projet
d’éco-quartier, confondu à la mairie avec une maison de retraite adjacente au quartier. Elle a
également corroboré notre impression que l’éco-quartier était innovant, notamment par
l’implication d’habitants dans la régie de territoire. Fatima Selam nous a alors transmis
plusieurs contacts d’acteurs professionnels et institutionnels qui ont participé au projet d’écoquartier, notamment à la mairie, à la DDT, à la communauté de communes, et à Tarn-Habitat,
le bailleur social. Nous avons alors repris contact auprès de la mairie, sans succès cette fois-ci,
mais pour des raisons contingentes de départ en vacances de la directrice du pôle
« Valorisation des espaces », qui a rédigé le dossier de labellisation de l’éco-quartier en 2013.
L’enquête de terrain à Graulhet s’est déroulée du 1er au 5 juillet 2013. Nous nous sommes
d’abord rendus dans l’éco-quartier pour une première appréhension du terrain en général.
Entièrement résidentiel, l’éco-quartier s’est révélé peu animé, ne se déplaçant hors des
immeubles que quelques personnes allant vers leur voiture ou le gardien.
Page 41 sur 137
Plan masse de l’éco-quartier de Graulhet (source : Atelier de la Gère, Bernard Paris et
Associés, http://architecture.atparis.fr/spip.php?article94) En rouge, les nouvelles
constructions et en gris les bâtiments rénovés.
Tableau synthétique des entretiens réalisés avec des habitants
Genre
Âge
Homme
Femme
Femme
86 ans
50 ans
47 ans
Homme
Femme
Femme
Homme
Homme
Homme
Femme
38 ans
47 ans
85 ans
51 ans
77 ans
68 ans
25 ans
Homme
Femme
Femme
Femme
35 ans
44 ans
77 ans
50 ans
Homme
60 ans
Profession
CSP
Infirmière
Ouvrière dans la
mégisserie, en invalidité
Ouvrier dans le bâtiment
Ouvrier agricole
Gardien
Boulanger
Chômeur
Ouvrier
Chauffeuse poids lourd
Commerçante
Sans activité
Retraité
Profession intermédiaire
Ouvrière
Ouvrier
Ouvrier
Retraitée
Employé
Retraité
Retraité
Autres personnes sans
activité professionnelle
Ouvrier
Employée
Retraitée
Autres personnes sans
activité professionnelle
Employé
Taille du
foyer
2
2
1
Code
6
2
1
2
1
1
2
EH 4
EH 5
EH 6
EH 7
EH 8
EH 9
EH 10
4
2
1
2
EH 11
EH 12
EH 13
EH 14
3
EH 15
EH1
EH 2
EH 3
Par du porte-à-porte, sur 5 jours, nous avons pu réaliser 15 entretiens avec des habitants.
Quelques entretiens ont du être avortés pour des difficultés de langue.
Page 42 sur 137
Représentativité de l’échantillon
Répartition des CSP à Graulhet (à gauche) et dans notre échantillon (à droite)
Source : Bureau de recherches Aménités (2013)
Les habitants que nous avons rencontrés recouvrent presque toutes les CSP, et leurs
proportions, sur l’ensemble de Graulhet, à l’exception de celle d’agriculteur-exploitant, et
artisans, commerçants, chef d’entreprise. Cette absence de représentation de deux CSP n’est
pas un problème dans la mesure ou le quartier d’En Gach est, historiquement, un quartier
ouvrier de logement social, et donc sur critères sociaux, ce qui explique l’importance de la
population ouvrière ou sans emploi. Notre échantillon permet de mettre en exergue deux
caractéristiques essentielles du quartier : le fort taux de chômage, et le vieillissement de la
population (par la forte représentation des retraités).
Par ailleurs, la représentativité ne constitue pas un des objectifs de notre enquête. Si bien sûr
nous cherchons à ce que l’échantillon étudié comprenne des personnes diverses,
« représentatives » de la variété des profils sur le quartier, il n’en demeure pas moins que
l’objectif de représentativité absolue est illusoire, en particulier pour mener une enquête
qualitative comme celle-ci. Nos enquêtes sur les modes de vie, le degré d’appropriation, les
conceptions de la ville, les valeurs et les principes… ne s’attachent pas uniquement aux
éléments affichés par les personnes rencontrées, mais bel et bien à un certain « esprit du
quartier », partagé ou au contraire controversé par les habitants du quartier. En cherchant ce
qui fait commun – au sens de ce qui fait lien, même par opposition – entre les habitants,
chacun d’entre eux se fait source d’information sur l’ensemble.
Toutefois, il est évident que pour que les résultats soient valables, un grand nombre
d’entretiens est nécessaire. C’est pourquoi nous avons procédé méthodiquement pour sonner à
toutes les portes. Sur les quinze entretiens réalisés, nous avons touché différents types de
catégories socioprofessionnelles, mais également un nombre presque égal d’hommes et de
femmes, et un vaste éventail d’âges et de situations familiales.
Nous avons commencé notre enquête par les bâtiments à un étage, situés au fond de l’écoquartier par rapport à l’entrée, tout à l’ouest, abritant chacun deux ménages (voir illustration
ci-dessous). Les parterres fleuris et entretenus, de même que certains halls d’entrée décorés de
cartes postales ou de plantes en pots, nous ont d’abord frappés et marquent une appropriation
habitante des lieux communs. Puis, nous avons réalisé des entretiens auprès de plusieurs
habitants de cet immeuble. Les habitants de ces petits collectifs sont les habitants du quartier
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qui disposent du plus important capital culturel, mais aussi économique. D’autre part, ces
immeubles ont fait l’objet d’une réhabilitation et non pas d’une rénovation
(démolition/reconstruction), ainsi plusieurs habitants rencontrés vivent sur le quartier (et
parfois même dans le même appartement) depuis longtemps (jusqu’à plus de 20 ans).
Toutefois, même pour ces profils de population, on constate une vie de quartier, une
convivialité assez faible. Peu connaissent leurs voisins autrement que de vue.
Le résultat principal de cette première journée d’entretien est le peu d’écho dans le quartier
rencontré par l’éco-quartier : la grande majorité des personnes rencontrées n’a jamais entendu
parlé de la démarche éco-quartier, le nom même des « Résidences du Parc » ne leur est pas
familier : ils préfèrent parler d’En Gach, le nom historique du quartier. Comme le dit une
habitante « Je sais pas, un éco-quartier, c’est peut-être un quartier moins cher ? Si c’est ça,
alors oui c’est un éco-quartier ici. », ou encore « Un éco-quartier ? Non, je ne sais pas ce que
c’est. » Ce peu de retours sur la notion d’éco-quartier rend la mise en œuvre d’un groupe de
discussion sur de possibles nouveaux modes de vie liés à l’éco-quartier difficile. D’autre part,
il en découle que peu d’habitants ont fait le choix de venir vivre dans ce quartier, la majorité
s’y installe pour des raisons d’attribution de logement social, ou familial, comme cette jeune
femme « Je suis ici depuis un mois, je suis venue quand je me suis mariée. Je sais même pas
ce que c’est un éco-quartier. »
Nous avons donc choisi de faire évoluer notre méthode et notamment la grille d’entretien,
puisqu’il nous a fallu dès lors aborder les habitants non pas sur la question d’un choix
résidentiel a priori conditionné par l’éco-quartier, mais sur d’éventuels effets sur leurs modes
de vie a posteriori.
Photo des petits collectifs de l’éco-quartier d’En Gach (source : Aménités, 2013)
Notre enquête s’est poursuivie dans les nouveaux bâtiments construits, de 3 étages, situés à
l’entrée de l’éco-quartier. Ces immeubles (issus de démolition/reconstruction) abritent une
population qui dispose d’un capital socio-économique moins élevé : le nombre de personnes
au chômage, ou ayant des difficultés de langue y est plus élevé que dans les bâtiments plus
petits au fond de l’éco-quartier. Il semble ainsi que le quartier, s’il est en apparence
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parfaitement unifié physiquement (que cela soit par la qualité des travaux de construction ou
par les cheminements, piétons et motorisés), est dans les faits d’une certaine manière divisé,
découpé, comme le dit une habitante « moi je vous parle d’ici, pas de là-bas, de ce côté du
quartier, le reste je connais pas. »
Les digicodes dans les immeubles de 3 étages ont rendu l’enquête plus difficile et, même une
fois à l’intérieur des bâtiments, le nombre de refus que nous avons essuyés était
particulièrement élevé. Paradoxalement, nous avons aussi été accueillis très chaleureusement,
parfois même par les personnes d’abord les plus méfiantes ; et vice-versa : un matin, un
homme plutôt âgé, à sa fenêtre, nous a interpelés pour discuter de la météo. Une fois la
conversation engagée, nous lui avons proposé de participer à notre enquête, ce à quoi il a
répondu négativement. Nous avons alors pu mesurer combien il était difficile de discuter du
quartier, non pas parce que nous ne parvenions pas à entrer en contact avec les habitants, mais
parce que ces derniers étaient lassés de tant de travaux et de changements, peut-être aussi de
sollicitations (pour la concertation, le suivi des chantiers…). Là encore, l’organisation d’un
groupe de discussion était dès lors rendue inadéquate sur ce terrain.
Par ailleurs, nous avons du écourter plusieurs entretiens pour des raisons de langue et de
compréhension, qui rendaient difficile d’aborder les préoccupations environnementales. Chez
beaucoup d’habitants rencontrés, celles-ci étaient souvent, sinon absentes, loin derrière leurs
difficultés personnelles, notamment financières, mais aussi parfois psychologiques. À titre
d’exemples, l’un de nos entretiens a été rendu difficile par la présence d’une enfant
handicapée mentale réclamant de la part de sa mère une attention constante, et nous avons
également été accueillis dans un immeuble par un habitant sans pantalon, nous proposant un
café, mais visiblement mentalement retardé.
Ces difficultés nous ont rappelé que l’enjeu premier d’un quartier durable est de permettre à
tous ses habitants d’habiter, sans nécessairement que soient revendiqués des comportements
« écologiques ». C’est pourquoi notre travail d’enquête visait à dépasser l’observation simple
des pratiques et des discours, pour aller vers les valeurs, les principes, et les conceptions soustendues, pas nécessairement conscientisées ou mises en discours. C’est aussi pourquoi l’idée
initiale d’organiser un groupe de discussion ne s’est pas avérée pertinente pour cet écoquartier.
Page 45 sur 137
Photo des nouveaux bâtiments collectifs à l’entrée de l’éco-quartier (source : Atelier de la
Gère, Bernard Paris et Associés, http://architecture.atparis.fr)
Si nous pensions d’abord concentrer notre temps de terrain sur un travail avec les habitants du
quartier et réaliser les entretiens avec les acteurs professionnels, notre contact avec les
habitants a rendu nécessaire la rencontre directe avec les acteurs institutionnels sur le terrain,
pour mieux comprendre l’emploi du qualificatif d’« éco-quartier » dans les documents
officiels. Nous sommes donc allés à la mairie de Graulhet, où nous avons été reçus au service
de l’urbanisme, sans qu’il ne soit possible de trouver quelqu’un de disponible qui ait travaillé
sur ce projet. L’une des difficultés du travail de terrain sur ce quartier vient en effet de la
temporalité du projet : le projet ayant commencé en 2001, beaucoup d’acteurs impliqués
initialement n’y sont plus aujourd’hui, et les nouveaux acteurs ont l’impression de ne pas
connaître suffisamment le projet.
Tableau synthétique des entretiens réalisés avec des acteurs professionnels
Code
Mairie de Graulhet – Service Communication
Mairie de Graulhet –Service Politique de la ville
Régie de territoire AGORA
Tarn et Dadou, pole Développement durable
Tarn et Dadou, sensibilisation à l’environnement
Mairie de Graulhet - élu
Préfecture
Tarn Habitat
Tarn Habitat
Mairie de Graulhet – Pôle Valorisation des espaces
EP1
EP 2
EP 3
EP 4
EP 5
EP 6
EP 7
EP 8
EP 9
EP 10
Source :
Bureau
de
recherches Aménités (2013)
Les entretiens avec ces dix acteurs ont permis de recouvrir l’ensemble des parties prenantes
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institutionnelles du projet, en insistant particulièrement sur les trois principaux : le bailleur
social, la communauté de communes, et la mairie. Les rencontres avec cette dernière ont été
particulièrement difficiles du fait des congés estivaux, mais nous avons finalement pu
rencontrer une chargée de communication, qui a rédigé la candidature de Graulhet à l’appel à
projets éco-quartier du ministère en 2009. Nous nous sommes également entretenus avec une
chargée politique de la ville. La directrice du pôle « Valorisation des espaces », qui a rédigé la
candidature à la labellisation en 2013, n’a pas été disponible pour une rencontre sur place.
Nous avons toutefois pu obtenir un rendez-vous téléphonique ultérieurement, qui a permis de
corroborer les éléments d’analyse qui se sont dégagés de l’enquête.
Pour ce qui est de la Communauté de Communes, Tarn-et-Dadou, nous avons pu rencontrer la
directrice pôle développement durable, et une chargée de projet sensibilisation à
l’environnement.
Enfin, la DDT 81 s’est révélée suspicieuse sur les objectifs de notre enquête et a refusé de
donner suite à nos demandes d’entretien. C’est d’autant plus regrettable que c’est visiblement
le préfet qui a recommandé à la Mairie de se lancer dans la démarche de labellisation.
L’un des résultats saillants de cette enquête auprès des professionnels est la proximité entre
ces acteurs : la nouvelle de notre venue et de notre souhait de rencontrer les acteurs
professionnels et institutionnels s’est répandue très rapidement parmi ces acteurs. Notre
enquête a été abordée lors d’une réunion interne entre la mairie, Tarn Habitat et Tarn et
Dadou, la communauté de communes, et globalement les discours des différents acteurs
étaient particulièrement convergents, ce qui dénote une forte cohésion entre les différents
protagonistes, un dialogue fréquent et une même compréhension du projet.
3.2. Analyse : vers une construction sociale de et par la nature ?
On ne peut pas comprendre l’éco-quartier des Résidences du Parc sans savoir qu’il est le
résultat d’un Projet de Rénovation Urbaine sur le quartier d’En Gach. Entièrement composé
de logements sociaux, et sans aucun commerce, il a l’apparence de n’importe quel quartier
rénové dans le cadre de l’ANRU : les tours ont été ou bien détruites, ou bien abaissées à un
niveau R+4 ou R+5, les murs ont été isolés, les bâtiments ont été résidentialisés, le quartier a
été désenclavé par de nouvelles routes ouvrant sur le centre-ville, à 800m, ainsi que par un
chemin piétonnier.
La principale différence qu’on peut observer par rapport aux autres quartiers en rénovation
urbaine est, comme le souligne une administratrice de l’Office HLM, qu’« on ne voit pas la
différence entre les bâtiments rénovés et les bâtiments neufs, c’est rare ! » (EP8). Cela suffitil à en faire un éco-quartier ? Nous avons souhaité comprendre si, malgré sa morphologie
ordinaire, ce projet a permis aux habitants d’adopter de nouveaux modes de vie plus
écologiques, qui pourraient justifier la démarche de labellisation « éco-quartier » amorcée par
la municipalité.
Nos rencontres avec les habitants nous ont fait sentir que nous étions dans le quartier d’En
Gach, et certainement pas dans l’éco-quartier des Résidences du Parc : « Un éco-quartier ? Je
ne sais pas, qu’est-ce que c’est ? » (EH7), « c’est un quartier… économique. Pas cher »
(EH11), ou encore : « C’est un quartier neuf donc c’est un éco-quartier. C’est moderne, c’est
bien » (EH1). Du point de vue des habitants, il ne semble pas qu’il y ait une conscience de
vivre dans un quartier original. Par conséquent, on n’observe pas a priori de modes de vie
particulièrement durables, ou alors à la marge. Ce constat contraste avec la revendication de la
part des institutionnels d'un éco-quartier exemplaire : et malgré ce décalage, force est de
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constater que le travail mené par les acteurs du projet est, lui, peu banal, au regard du passé de
la commune. Le résultat, peut-être non-intentionnel, est que semblent se dessiner auprès des
habitants des intentions intériorisées, non-revendiquées voire non conscientisées parce que
non-advenues, de nouveaux modes de vie plus durables, par un renouveau du rapport au
politique.
3.2.1. Des changements marginaux dans les modes de vie
Nos enquêtes auprès des habitants n'ont pas permis de repérer des modes de vie nouveaux, qui
auraient été permis par ou à l'occasion de l'installation dans un éco-quartier. La première
raison est que les personnes que nous avons rencontrées n'ont jamais été informées de la
démarche de labellisation « éco-quartier ». Ils ont donc choisi de s'y installer ou d'y rester
comme dans n'importe quelle démarche d'attribution de logement par un office HLM, en
l’occurrence Tarn-Habitat. Ainsi, donc, pas de comportement particulièrement écologique à
constater. Toutefois, le climat, lui, a beaucoup changé dans le quartier. Et son apaisement
semble permettre de nouvelles formes de socialisation.
3.2.1.1. Des modes de vie ordinaires et peu écologiques
Nos entretiens ont d'abord cherché à comprendre les pratiques des habitants du quartier d'En
Gach, afin de repérer d'éventuels comportements considérés ou pouvant être considérés
comme « durables ». En ce qui concerne les commerces et la consommation, il n’existe pas de
petits commerces de proximité ou locaux proches de l’éco-quartier. La majorité des habitants
font leurs courses aux grandes surfaces, en voiture majoritairement et parfois à pied (mais pas
quand les courses sont trop lourdes). Sur le plan de la consommation alimentation ; le bio est
considéré comme trop cher, et l’attention aux produits locaux est également vue comme
secondaire par rapport au prix pour la majorité des interviewés : « Je n’ai pas changé mes
habitudes en vivant ici, et le bio c’est trop cher » (EH11), résume un habitant. D'une manière
générale, c'est bien l'impératif économique qui domine dans les pratiques de consommation
alimentaire : « je prends le produit le moins cher, je fais pas attention » (EH11). Filières
courtes, produits locaux, production biologique... ne sont pas valorisés à En Gach sous
prétexte d'être écologiques ou durables.
La gestion des déchets, mise en avant par les acteurs institutionnels comme constitutive d’un
éco-quartier, connaît un fort écho chez les habitants, qui associent assez directement
écologie/environnement et propreté/déchets. La question du tri en particulier est souvent
abordée par les habitants et considérée comme un comportement vertueux, écologique,
contribuant à répondre aux défis environnementaux. Notons toutefois que l’éco-quartier ne
semble pas avoir changé les comportements des habitants, qui semblent habitués au tri et ne
considèrent pas que faire le tri soit nécessairement lié au caractère éco-quartier : « On a
toujours fait le tri et tout » (EH2).
Quant aux innovations en matière de gestion des déchets, qu’il s’agisse des poubelles
enterrées ou du compostage en pied d’immeuble, elles restent peu appropriées, comme le
souligne le gardien « Les poubelles enterrées au fond, personne n’y va. Et les composteurs
sont mal placés. » (EH7) Cette idée est corroborée par la récurrence d'habitants n'ayant même
pas connaissance des composteurs. D’autre part, la question des déchets reste problématique
pour la majorité des habitants qui, s’ils affichent un comportement vertueux, ne manquent pas
de souligner les pratiques non vertueuses de leurs voisins : « Les poubelles, des fois c’est pas
propre » (EH5), que certains seraient même prêts à verbaliser : « je mettrais des amendes à
ceux qui trient pas » (EH8). Le souci écologique de certains habitants, qui n'est pas nouveau,
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n'a donc pour égal que leur sentiment que ce souci n'est pas partagé par leurs voisins.
Sur le plan des transports, les changements peinent aussi à se modifier. La majorité des
habitants rencontrés ont une à deux voitures et les utilisent quotidiennement. Certains
marchent également (notamment pour aller à l’école) ou se sont essayés ou ont envie
d’essayer le vélo. Toutefois, ce changement est plutôt le fruit d’une nécessité, due à la hausse
des prix de l’essence, qu’un choix lié à l’environnement ou à l’éco-quartier. Les seules
réductions d'usage de la voiture n'ont, là encore, que des motifs économiques : « Avant à
Bissières à Toulouse, je faisais chaque jour 86 km, et maintenant comme y’a pas de travail,
avec la crise ils ont arrêté le contrat et j’ai le chômage. » (EH11). Le covoiturage est une
réalité à laquelle le mot durable n’est pas associé, mais sert plutôt à pallier le manque de
véhicules, ou à réduire le prix de l'essence. La navette gratuite, reliant au centre-ville, est très
peu utilisée : peu d'habitants en connaissent les horaires et le circuit.
Cette absence de changement dans les pratiques quotidiennes ne signifie pas pour autant que
rien n'a changé dans le quartier. Toutefois, avant même d’entrer dans les facteurs dynamiques,
les représentations sociales aident à comprendre la faible inclination écologique a priori des
modes de vie (Encadré 8.).
Encadré 8. Analyse psychosociale des représentations liées à l’éco-quartier : le rôle de
l’économie dans les représentations de l’« écologie » à Graulhet
Les représentations sociales permettent aux individus de structurer et d’appréhender la réalité
objective qui s’offre à eux par des filtres subjectifs et cognitifs. Les représentations sociales sont de ce
fait une reconstruction mentale de la réalité, partagée par plusieurs individus ou groupes. Elles
permettent à la fois la construction d’une identité sociale, l’élaboration d’un sens commun et la
construction d’aspirations et attentes partagées (Abric, 1994). En ce sens, les représentations sociales
guident les pratiques.
Dans ce travail, on s’attache à repérer la structure de la représentation sociale partant du postulat que
celle-ci est constituée d’éléments plus ou moins importants caractérisant l’objet en question. Ainsi, on
distingue les éléments dits « centraux » qui correspondent à des cognitions stables, significatives,
consensuelles, organisationnelles et indépendantes du contexte des éléments dits « périphériques »,
plus instables et dépendants du contexte. En connaissant les éléments centraux d’une représentation, il
est possible de repérer les éléments fondateurs de l’objet, c’est-à-dire ce qui, dans l’esprit du sujet, le
caractérise le plus. Les éléments centraux se repèrent comme étant à la fois les plus souvent associés à
l’objet, et considérés par les individus comme les plus caractéristiques.
Méthodologiquement la consigne de départ est la suivante (cf. Encadré 4.) : « pouvez-vous nous
donner 3 à 5 mots ou expressions qui vous viennent spontanément à l’esprit quand on vous dit écoquartier ? ». Suite à cela les participants hiérarchisent leur production (cf. rang d’importance dans
tableau) du plus caractéristique d’un éco-quartier au moins caractéristique. Enfin, ils sont invités à
évaluer les mots produits positivement ou négativement. Cette méthode de recueil permet à la fois de
relever qualitativement les représentations mentales spontanées des individus à l’évocation du mot
inducteur (ici écoquartier) mais également de structurer les cognitions entre elles en les organisant de
la plus caractéristique à la moins caractéristique. Le croisement entre la fréquence et le rang
d’importance permet d’aboutir à la définition d’éléments plutôt centraux dans la cognition des
individus et d’éléments plutôt en périphérie.
11 enquêtés sur 16 ont répondu à cette question et 29 évocations ont été produites. Lorsqu’elles
étaient similaires les évocations ont été regroupées (une fréquence d’apparition du mot a alors été
calculée) ce qui nous amène à définir 6 éléments de représentation d’un éco-quartier pour cet
échantillon.
Il en ressort pour Graulhet un manque d’appropriation qui se traduit par une représentation très
stéréotypée de l’éco-quartier. En fait, le rapport aux autres, la propreté, l’économie, l’écologie, le tri et
l’opportunité pour les individus de se regrouper semblent être des éléments constitutifs de la
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représentation sociale. Par ailleurs l’ensemble des évocations sont positives et renvoient donc à une
représentation d’un éco-quartier plutôt favorable.
Toutefois, dans l’ensemble, ces résultats sont très normatifs et renvoient à une conception stéréotypée
de la notion d’éco-quartier. Ceci n’est pas surprenant dans la mesure où les habitants interrogés n’ont
pas le sentiment de vivre dans un éco-quartier et ne connaissent parfois même pas les caractéristiques
d’un tel aménagement. Ainsi, pour se le représenter, les enquêtés auraient tendance à se référer
davantage à la représentation normative (par les informations véhiculées à travers les médias
notamment) plutôt qu’à leur propre expérience.
Bureau de recherches Aménités (2013)
Pour analyser la structure de la représentation, nous avons alors étudier les hiérarchisations des
productions (du plus caractéristique d’un éco-quartier au moins caractéristique). Plus le rang
d’importance est élevé moins l’individu perçoit l’évocation comme étant caractéristique d’un écoquartier. Si l’on considère les rangs d’importance pour les 6 thématiques évoquées, on s’aperçoit que
la fréquence de citation du mot n’est pas en relation avec le fait que celui-ci soit caractéristique d’un
éco-quartier. En effet le terme le plus caractéristique renvoie en premier lieu au regroupement (moy =
1), puis à la propreté (moy = 1,5), puis au tri, à l’écologie et à l’économie de façon similaire (moy = 2
à 2,33) et enfin au rapport aux autres (moy = 3,5).
Nous avons ensuite croisé les moyennes des fréquences et des rangs d’importance pour aboutir à la
caractérisation (exploratoire) des éléments centraux et périphériques de la représentation. Pour les
enquêtés de Graulhet, seule la notion de propreté est centrale dans la représentation d’un éco-quartier.
Les éléments périphériques, quant à eux, renvoient au rapport aux autres, à l’écologie et à l’économie
en relation à l’éco-quartier.
La propreté est donc un élément de représentation stable et important pour ce groupe d’individus
tandis que le rapport aux autres, l’écologie et l’économie renvoient certes à la notion d’éco-quartier
mais sont dépendants du contexte même de vie, et donc, même si moins prégnants, peuvent évoluer
au gré de l’évolution du quartier. Enfin le tri et le regroupement sont des éléments très contrastés de la
représentation : fréquence faible mais rang d’importance élevé. Ils sont dons considérés comme
fortement caractéristique d’un éco-quartier pour les enquêtés qui les citent, en revanche leur faible
fréquence ne permet pas de relever un consensus représentationnel sur ces termes.
Fréquence
Elevée (moy > ou = 3)
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Faible (moy < 3)
Rang d’importance
Très caractéristique (moy <
ou = 2,16)
Peu caractéristique (moy >
2,16)
Propreté
Rapport avec les autres
Economie
Ecologie
Tri
Regroupé
X
Bureau de recherches Aménités (2013)
Eléments centraux de la représentation Eléments périphériques de la représentation Eléments contrastés de la représentation 3.2.1.2. Un climat apaisé qui resocialise
Quasiment tous les habitants soulignent la tranquillité du quartier depuis sa rénovation, et son
caractère agréable, parce que « joli », ou plus vert. La ville de Graulhet est marquée par une
histoire artisanale autour des activités de tannage, cordonnerie, et surtout mégisserie. Plus
récemment, le travail du cuir et en particulier la maroquinerie a pris le relais. Les crises
économiques ont entrainé le déclin et la presque disparition de ces activités, laissant dans la
commune plus de 160 friches industrielles. La ville a donc une image de ville industrielle,
polluée, et est connue dans la région pour les odeurs parfois désagréables qui s’en dégageaient
du fait de ces activités artisanales et industrielles. Comme le souligne une professionnelle de
Tarn-et-Dadou « Graulhet était la ville du Tarn que personne ne voulait habiter, ça puait
parfois à cause de l’industrie du cuir » (EP4). Et En Gach a longtemps été le symbole de cette
identité industrieuse, par ses tours d'habitat social majoritairement composées d'ouvriers.
L’image de la ville renvoyée par les habitants rencontrés fait écho à cette histoire, en
particulier, les difficultés à trouver un emploi sont ressenties ici comme plus vives qu’ailleurs.
De la même manière, la disparition des commerces en centre-ville est soulignée par les
habitants comme le signe d’une ville en perte de vitesse : « La ville est en train de mourir, ça
fait pleurer. » (EH15). Le renouveau du quartier, ne serait-ce que par sa morphologie, a alors
été l'occasion pour certains de revenir dans un quartier qu'ils avaient connu enfant, et devenu
– lui et/ou son image – dégradé(e). Un attachement fort à la commune de Graulhet est en effet
ressorti de nos entretiens : « je suis partie vivre à Gaillac, mais je voulais revenir à Graulhet,
ça me manquait. » (EH5).
Dès lors, dans ce contexte, le quartier semble vécu de manière plus agréable : « sur le balcon,
je mets des fleurs, je le faisais jamais, mais ici je trouve ça agréable. Je me régale le matin de
sortir d’arroser mes petites fleurs » (EH13). D'autre part, une certaine forme nouvelle de
convivialité semble être en train d’advenir au sein de l’éco-quartier : « On commence à voir
des mamans qui se retrouvent ici [Il montre une placette] pendant que les enfants jouent »
(EP6). Nous-mêmes avons observé une forte occupation de l'espace public par les enfants et
les adolescents, notamment en fin de journée et le vendredi. Notre premier contact à En Gach
a été avec des femmes âgées discutant, assises sur des chaises, devant la porte d'une
résidence.
Si la plupart des habitants rencontrés affirment préserver leur quant-à-soi, une volonté assez
partagée émerge visant à plus d’animation dans le quartier. L’absence d’associations est
soulignée par les habitants et vécue négativement. Plusieurs habitants ont eu vent des
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animations récentes organisées dans le quartier (un repas de quartier décalé pour des raisons
météorologiques et un cinéma en plein air, précédé d’une kermesse), mais peu y ont participé.
Du point de vue institutionnel, ces évènements sont des réussites : « Ça marche pas aussi bien
quand on fait les mêmes actions dans d’autres quartiers » (EP4).
Malgré l'absence de modes de vie nouveaux, et encore moins durables, on remarque
qu'émergent certains discours, au fil des entretiens, qui préfigurent un nouveau rapport au
quartier depuis que celui-ci a été réaménagé par la Commune, la Communauté de Communes
et l'office HLM.
3.2.2. Un projet très volontariste, mais en décalage
3.2.2.1. Une gouvernance originale
La gouvernance du projet est l’un des points forts mis en avant par les institutionnels. Il s’agit
ici de faire travailler ensemble avec un même objectif différentes institutions : la commune,
(Graulhet), la Communauté de Communes (Tarn-et-Dadou), et le bailleur social (Tarn
Habitat) : « Cette méthode s'appuie sur un portage clairement établi, 3 maîtres d'ouvrages, un
élu et un technicien référent par maître d'ouvrage, une collaboration très régulière, des
validations politiques à chaque étape qui permettent par effet de "cliquet" de stabiliser le
processus. » (candidature appel à projets du ministère 2009). Des trois côtés, on reconnaît
l'efficacité de ce partenariat : « Il y a toute une synergie qui est mise en œuvre, car c’est neuf.
C’est ce qui a permis de changer » (EP10). Des rôles clairement définis (Tarn Habitat pour le
chauffage, Tarn-et-Dadou pour les déchets, et Graulhet pour la navette de transports en
commun) contribuent à une plus grande cohérence institutionnelle « Tout le monde joue le
jeu, entre la mairie, Tarn-et-Dadou et Tarn-Habitat, ça crée une cohérence » (EP2), ou
encore « ça nous oblige à se coordonner, à travailler en réseau. Ça met tous les acteurs
autour de la table, et on est obligés de s’associer pour faire quelque chose qui se voit. On y
gagne en temps, à plusieurs on est plus forts, on gagne en cohérence et en sens vis-à-vis des
habitants. » (EP4).
Cette cohérence s'appuie aussi sur Agora, la Régie de Territoire : « Agora, la Mairie et nous,
connaissons différemment les habitants. Croiser les regards permet de mieux appréhender
tous les enjeux » (EP8). Agora, animée par des habitants de Graulhet, s'occupe notamment de
l'entretien des espaces verts, et est chargée de faire remonter ses contacts avec les habitants.
Ce dernier rôle semble peu rempli, eu égard au sentiment de manque de dialogue exprimé par
les habitants. Mais, au moins, la présence régulière d'Agora sur le quartier assure une veille
technique (dégradations, entretiens, problèmes...) qui fait le lien avec le trio de la maitrise
d'ouvrage, ce qui est perçu du point de vue institutionnel comme un gage d'efficacité et de
durabilité, pour que le climat reste apaisé et agréable dans le quartier. Il semble en effet que la
première étape du projet ait été la pacification du quartier et sa banalisation, pour ouvrir
ensuite la voie à des modes de vie plus écologiques. Cette volonté n'est pas propre au quartier
d'En Gach, mais entre en résonance avec des politiques municipales à plus large échelle.
3.2.2.2. L'éco-quartier, un outil d'une politique plus large
En 2008, une nouvelle équipe municipale est élue (PS), sur un programme de redynamisation
de la commune, notamment par le traitement des friches industrielles et une politique
environnementale. Plusieurs projets témoignent de cette dynamique :
- l’aménagement des berges du Dadou en une coulée verte
- la réhabilitation du patrimoine industriel (avec notamment la plaine de Millet)
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- la mise en place d’une chaufferie bois
- et l’éco-quartier des Résidences du Parc
L'éco-quartier n'est donc pas traité ici comme un fétiche ayant l'apanage de toutes les vertus
écologiques. C'est un outil parmi d'autres pour redorer l'image de l'ensemble de la commune.
C'est pourquoi on n'y trouve pas de commerce : le quartier n'est pas un modèle idéal, mais
s'inscrit dans son territoire. Ainsi, il ne constitue un modèle pour les institutionnels que s'il
permet de se voir dupliqué sur la commune pour poursuivre le travail, notamment à Crins,
autre quartier de la politique de la ville à Graulhet : « Ca serait bien que ça se généralise.
Tout ce qu’on construit aujourd’hui, y’a un petit clin d’œil à l’idée d’éco-quartier. On y est
un peu partout. » (EP1). L’idée d’éco-quartier est ainsi abordée comme banale, bien que la
réussite du projet d’En Gach soit vu comme excellent (« les résidences du parc, c’est
l’excellence » (EP1) par les acteurs professionnels. L’éco-quartier serait ainsi amené à se
banaliser, à percoler dans l’ensemble des projets de la ville. Les associations pourraient être le
commutateur de ce changement : « Il y a énormément d’associations à Graulhet, très
dynamiques. Y’a un festival du bio qui a eu lieu juste à côté du quartier. La ville industrielle,
polluée, est prête à devenir écologique. » (EP5).
L'éco-quartier est donc un moyen de redynamiser la commune et de changer son image. Cette
volonté rencontre le programme de réhabilitation ANRU du quartier d’En Gach, un quartier
politique de la ville, de la géographie prioritaire. Ce quartier de 6 ha, situé à l’Ouest de la
ville, à 800 mètres de son centre, a une image difficile dans la ville : « Avant c’était des tours,
la population était âgée, et c’était très insalubre alors il y avait beaucoup de logements
vacants. L’idée c’était de redorer l’image de la ville » (EP4). Cette volonté s’incarne dans le
souhait de renommer ce quartier « Les Résidences du Parc ».
Le rôle central joué par la chargée de communication de la ville (rédactrice du projet) est un
témoin fort de cette volonté de travailler sur l’image du quartier (plus que sur le fond…).
Comme cette dernière l’explique « C’est parti autour d’une table, on avait la réhabilitation
d’un quartier avec une mauvaise image, on s’est dit profitons de cette réhabilitation pour
changer l’image. J’ai dit attendez, on a un quartier hyper tendance, là. Puis l’idée est venue
du préfet, de faire un éco-quartier, il nous a transféré l’appel à projets du ministère » (EP1).
L’éco-quartier renvoie ainsi l’image d’un projet moderne : « On a l’idée de faire des choses
dans l’air du temps : des petits bâtiments, des espaces verts, une école. » (EP4), voire en
avance sur son temps : « Ça c’était notre slogan pour l’éco-quartier : ‘’habitez avec un temps
d’avance’’. » (EP1). « Les jeunes veulent partir de Graulhet. Un peu de fierté, c’est bien.
C’est dur de changer les mentalités » (EP9)
Changer l’image du quartier et de la ville passe par la démarche éco-quartier, mais aussi par
les efforts menés pour ouvrir le quartier sur la ville. Le quartier était en effet isolé, non
traversé car en cul-de-sac et stigmatisé du fait de sa morphologie urbaine. Ainsi, le chantier a
débuté par la démolition de 93 logements suivie de la livraison de 102 logements neufs : 13
maisons, 26 appartements semi-collectifs, 63 appartements collectifs, ainsi que de la
réhabilitation de 110 logements occupés (28 semi-collectifs et 82 collectifs).
L'éco-quartier n'est donc qu'un moyen parmi d'autres pour redorer l'image de la commune.
L'idée d'une labellisation n'est apparue que sur le tard, et n'est pas à l'origine du projet, qui est
en réalité assez banal.
3.2.2.3. Un projet encore très descendant et en décalage
La réhabilitation du quartier d'En Gach, bien que revendiquée comme innovante par sa
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demande de qualification « éco-quartier », a en fait toutes les caractéristiques d'un Projet de
Rénovation Urbaine dans tout ce qu'il a de plus banal : résidentialisation, digicodes,
désenclavement, abaissement, isolation... Avec les démarches légales de participation qui
l'accompagnent : « Tout le volet social, nous on l’a joué à fond. On a accompagné les
habitants, impliqué les habitants pendant le chantier, on faisait des points d’information
chantier avec une petite feuille de chou pour les tenir au courant. Un travail d’information et
d’écoute. » (EP1). Notons dès à présent que ce travail avec les habitants prend ici plus
particulièrement la forme d’une information descendante, par un document d’information
chantier. Plus encore, les acteurs professionnels du projet ont voulu associer les habitants par
des réunions de concertation : « A tous les étages du chantier, au niveau conception des
plans, y’a eu des convocations à des assemblées générales. Tous ceux qui ont voulu
participer ont participé. Ça fait une poignée d’habitants plus sensibilisés que d’autres. »
(EP6), tout en restant néanmoins prudent sur la portée de telles concertations : « Participation
ça veut pas dire adhésion. » (EP1). Et en effet, ces réunions semblent n’avoir eu qu’une
portée limitée chez les habitants, puisqu’aucun habitant rencontré n’a participé à une telle
réunion et n’a eu le sentiment que son avis ait été pris en compte à une quelconque étape du
projet.
Ce type d'action descendante est justifiée par l'état dans lequel était le quartier avant la
réhabilitation, délaissé par tous, et donc sans implication : « Il faut se remettre dans le
contexte. Personne n’aurait cru que c’était possible, avec le chemin piétonnier vers le centreville… » (EP8). Mais force est de constater un décalage entre les effets d'annonce du côté
institutionnel, et l'accueil qu'en ont les habitants. Les préoccupations environnementales qui
ont amené à mettre en place un bassin de rétention de l’eau en prévention des inondations
viennent pour les habitants à l’encontre de projets qui leur seraient plus utiles au quotidien :
« Ils ont supprimé le terrain de foot en rénovant le quartier. À la place ils ont mis un bassin
de rétention d’eau, mais ça sert à rien. Ça fait plus de risques pour les gosses de tomber dans
des trous. » (EP6) Plusieurs habitants aimeraient voir installés des jeux pour les enfants ou
des bancs. D’autres considèrent que ces espaces verts ne sont pas suffisamment entretenus :
« C’est plus joli qu’avant, mais y’a pas la maintenance des espaces verts. Ils disent c’est de la
jachère fleurie, mais ça fait deux mètres de haut, les gamins se perdent dedans ! » (EH15) ou
encore « ils la laissent un peu traîner la nature » (EH8).
Ce décalage est encore plus perceptible quand les décideurs du projet cherchent à agir sur les
modes de vie des habitants, notamment (cf. appel à projets) :
-­‐
Tarn Habitat avec sa charte Eco 4 et son livret du locataire, qui « prône les bons gestes
pour un bon usage du logement et développe toutes les consignes utiles et pratiques en
matière d'économie d'énergie ». Notons cependant que ce livret n’est pas spécifique à
l’éco-quartier, mais est distribué dans l’ensemble des logements gérés par Tarn
Habitat.
-­‐
La Communauté de Communes Tarn-et-Dadou avec la gestion des déchets des
habitants : « Des actions phares ont déjà été identifiées : compostage en pied
d'immeuble avec l'utilisation du compost dans les jardins partagés de Graulhet, « stop
pub » pour limiter la production de papier, la gestion différencié des espaces verts qui
limite la production de déchets verts par le recyclage des déchets verts en paillage
pour les massifs, 2 points de cuves enterrées comprenant la collecte des déchets
résiduels et les déchets recyclables vidés 1 fois par semaine ».
-­‐
La Commune de Graulhet avec la mise en place d’une navette urbaine gratuite.
Ainsi, du côté institutionnel, les modes de vie sont abordés sous l’angle d’une certaine
normalisation des conduites, de la mise en place de « gestes écocitoyens », dans un régime
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descendant, favorisé par le cadre de vie apaisé : « Quand on a la qualité du quartier, c’est
plus facile de demander des comportements vertueux. » (EP4)
Pour les prochaines étapes du projet, les professionnels rencontrés souhaitent que les habitants
s’approprient le projet, via par exemple une association : « on aura réussi quand on pourra se
mettre en retrait, et participer à des évènements citoyens » (EP2). Tous ont conscience du
temps que cela prend. Ils essaient de lancer la dynamique par la création d’évènements
culturels qui peinent encore à réellement prendre. Apaiser le cadre de vie semble une
nécessité avant de passer à cette étape. Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui il
n’existe pas de lieu (salle commune) où les habitants pourraient se retrouver, et les espaces
extérieurs ne favorisent pas la rencontre.
Les efforts déployés par la maitrise d'ouvrage pour mener ce projet, bien qu’originaux par leur
synergie effective, sont assez ordinaires : descendants donc mal adaptés aux attentes.
Toutefois, un certain résultat est tangible : l'image de la ville et du quartier changent, si bien
qu'on sent poindre un nouveau rapport au politique de la part des habitants, et pas
nécessairement dans le sens de la normalisation des conduites attendues par les pilotes du
projet.
3.2.3. Un rapport au politique renouvelé
3.2.3.1.Une désaffection du politique en héritage
Les habitants rencontrés témoignent tous d’une profonde désaffection du politique. Le
manque de proximité des élus avec les habitants est souligné à plusieurs reprises : « On voit
pas les hommes politiques. On voit parfois les responsables, mais ils rentrent pas pour nous
demander notre avis. » (EH8), « Les politiques devraient venir plus dans les quartiers,
découvrir les gens, discuter, pas faire qu’un passage. Il faut un contact. » (EH4), ou encore
« Ils devraient se mettre à notre place. Au moins pendant une journée. Ils devraient avoir le
même budget que nous pour se rendre compte. Nous on galère. » (EH10). Une grande
méfiance est alors perceptible à l'encontre de tout ce qui a trait au politique : « Moi j’aime pas
la politique. Ils veulent contrôler le monde, tous les politiciens de n’importe quel pays, ce
sont des menteurs, ils cherchent juste le pouvoir, ils disent je ferai ça, je ferai ça et une fois
assis sur la chaise, il peut rien faire. » (EH11)
Plus encore, certains habitants soupçonnent les politiques d’œuvrer pour des intérêts
particuliers plus que pour un intérêt général ou commun « Les politiques ont un rôle
important, mais ils s’en foutent. Tout ce qui compte c’est l’argent. » (EH11), ou plus
spécifiquement sur le projet d’éco-quartier « On s’est dit chouette ils vont faire sauter les
tours. Mais c’est une affaire de politique à la mairie. Le but c’était pas de nous faire plaisir,
la mairie a dû recevoir une bonne somme d’argent, ils ont fait ça pour les subventions
uniquement. L’objectif c’était de faire grandir la ville. » (EH15)
Au-delà même, dans le sens large du politique, il semble qu'il n'y ait pas de volonté de la part
des habitants de s'organiser, à l'échelle du quartier : « oui, on parle beaucoup avec les voisins
on dit bonjour bonsoir. Mais on ne s’invite pas trop », ou encore « personne ne m’emmerde et
j’emmerde personne » (EH11). Beaucoup d'habitants rencontrés semblent donc chercher
l'isolement, l'absence de contact avec les voisins.
Toutefois, ces discours sont souvent contradictoires entre certains habitants, voire chez des
mêmes personnes. Comme si l'habitude de l'ancien quartier, où l'on évitait les relations pour
éviter les problèmes, commençait à pouvoir être remise en question. Par exemple : « Entre
voisins on se connaît pas tellement, moi j’ai mis ça (sur le balcon) pour séparer, parce que
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sinon, ça fait bizarre. Ça sera plus intime d’être chacun chez soi avec ça » (EH13). Et un peu
plus tard : « ici ils font pas de repas de quartier, moi je dis c’est dommage comme ça on se
connaîtrait tous. La on est tout à coté mais on se voit pas, on se connaît pas » (EH13).
L'attente d'une vie de quartier semble être en train de naitre, en même temps qu'une volonté
de se réapproprier ce quartier longtemps délaissé.
3.2.3.2. La controverse comme nouvelle entrée en politique
Depuis la réhabilitation du quartier, et malgré une faible participation aux travaux de
concertation au moment de l'élaboration du projet, les avis sur le résultat final fusent,
notamment chez les plus anciens, qui ont le souvenir du quartier il y a plusieurs dizaines
d’années : « Au début on aurait dit la campagne. Je me penchais à la fenêtre, on se disait
bonjour, mais maintenant qu’ils ont rénové, je ne vois plus personne, ils ont reculé la fenêtre,
les balcons, maintenant le soleil ne rentre plus. Depuis la rénovation je dis plus bonjour à
mes voisins par la fenêtre, je parle à personne. » (EH6, une habitante du quartier depuis 42
ans). L’architecture même de la rénovation est ainsi mise en cause, permettant à chacun de
garder son quant-à-soi, mais ne permettant pas la rencontre. La sécurisation du quartier
(stigmatisé également en raison de son histoire relativement violente) semble avoir prévalu à
la mise en place d’espaces de rencontre et de convivialité.
Mais l'originalité, ici, est que ces aménagements suscitent des réactions de la part des
habitants, qui commencent à souhaiter davantage de sociabilité. Les aménagements urbains
sont ainsi l'occasion de parler de la ville, son développement, et donc de réinvestir le champ
politique par la colère, le conflit. On voit en effet se dessiner, du côté des habitants, un
imaginaire anti-urbain, qui s’affirme et s’oppose d’une certaine manière à la volonté de
développement et d’attractivité de la ville.
Plusieurs habitants font preuve d’un certain fatalisme face à l’urbanisation galopante :
« Toutes les villes elles vont se toucher un jour. » (EH2), ou encore « Les villes elles vont
grandir plus, y’a plus de villes qu’avant alors ça va continuer. » (EH3)
Toulouse agit comme un repoussoir pour beaucoup d’habitants, synonyme de grande ville,
d’anonymisation, de bruits et de nuisances : « Je veux rester ici, je veux pas aller à Toulouse,
ici c’est mieux qu’une grande ville. Je laisse la voiture ouverte, c’est pas grave, les gens ils
connaissent ici. » (EH5), ou encore « Je suis pas très ville. Me parlez pas d’aller à Toulouse,
j’ai pas du tout envie. La ville y’a trop de voitures, des difficultés pour stationner. C’est
bruyant. Et en ville les gens se connaissent pas. […] Le moderne, ça tue tout » (EH8). Le
refus de la ville, c'est donc aussi la recherche de convivialité, de prise sur son territoire. Cette
reprise en main de son lieu de vie passe notamment par un autre rapport à la nature, par
opposition aux aménagements urbains, et notamment celui d'En Gach : « Ils nous ont bien
saccagé. On avait un parc derrière, ça nous isolait du bruit de la rocade. Y’avait des champs
de blé, on voyait passer les saisons, y’avait des oiseaux. Mais ils ont acheté pour
construire. » (EH15)
La nature est perçue comme un moyen d'appropriation de son territoire, et par là une nouvelle
entrée en politique.
3.2.3.3. La politique par la nature : un nouvel horizon
La place donnée au végétal dans le projet d'éco-quartier est accueillie diversement par les
habitants. Souvent, la verdure est perçue comme positive. Mais beaucoup d'habitants
rencontrés regrettent de ne pas avoir l'occasion de pouvoir s'en saisir. Les jardins partagés
proposés par la Mairie, à 3km du quartier, n’ont pas du tout d'écho. Pourtant, beaucoup
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regrettent que les grands espaces verts du quartier ne soient pas mis en valeur et restent
indéterminés : « c’est joli leur truc au milieu, mais on prive les gosses d’un stade pour jouer.
On pourrait utiliser le sol autrement. Et moi si on me proposait un lopin de terre, je dirais
oui. » (EH8)
Cette large place à la nature n’induit pas que cette nature puisse être réellement appropriée par
les habitants, notamment via le jardinage : « Je manque de terre ici. Le quartier ne m’aide pas
à jardiner. Ils ne m’aident pas. » (EH8), ou encore « J’aimerais que Tarn-Habitat laisse aux
habitants un terrain qu’ils pourraient s’occuper. » (EH4) La nature est ici à la fois un sujet de
cristallisation du conflit avec les institutions, et d'appropriation du quartier. Pourquoi faudraitil en sortir pour jardiner ? C'est leur espace qu'ils veulent cultiver. Et ici, on est loin du
traditionnel reproche qu'on adresse aux éco-quartiers, réservés à des « bobos ». L'écologie, à
En Gach, n'en porte pas le nom, et n'est que le résultat du bon sens : « Je préfère prendre peu
et manger bien. Je préfère une pomme de terre à l’eau que quelque chose je sais pas qui l’a
tripoté. Mes enfants font marchands en fruits et légumes en ville, sur la grande place »
(EH13). Santé, hygiène, pratique, économique, plaisir, chez-soi... Ce sont toutes ces raisons,
ensemble, qui semblent annoncer des modes de vie, en germe, plus durables à En Gach
qu'ailleurs, autour de l'idée de nature.
On remarquera d'ailleurs que la plupart des critiques se concentrent sur les acteurs
institutionnels en charge des espaces verts, la régie de territoire AGORA : « l’agora ils
tondent juste les pelouses » (EH7), ou encore « l’agora ils ont déjà trop à s’occuper, ils sont
jamais ici » (EH6). Et aussitôt s'exprime la volonté par les habitants de voir le quartier
s’animer : « ça manque d’animer le quartier » (EH7), « C’est dommage, il y a de quoi faire
ici. Les gens seraient contents, avec deux animateurs pour faire des activités. Même les
adultes. » (EH4) Des habitants mentionnent même la possibilité de créer une association pour
se faire entendre : « Il faudrait qu’il y ait un porte-parole qui puisse parler en notre nom. Il
faudrait une association par quartier. Ils demandent rien, ils font les changements tout
seuls. » (EH10)
L'envie de s'organiser, notamment par et pour une relation nouvelle à la nature, vient ici
signifier un retour au politique. Celui-ci semble permis par le réaménagement du quartier qui,
loin d'être parfait ou exemplaire, apporte au moins un climat et des conditions apaisés, qui
donnent envie et matière à discuter, critiquer, débattre, se retrouver, et se réapproprier son
territoire.
3.2.4. Conclusion : inclusion sociale par le développement durable ?
Sous ses apparences de quartier en rénovation urbaine classique, En Gach surprend. Les
habitants du quartier ne l’ont pas particulièrement choisi, et encore moins pour sa dimension
« écologique », connue par aucun habitant, et comprise par peu. Si bien que, a priori, on ne
constate aucun nouveau mode de vie : les pratiques n’ont pas changé, on n’a rencontré aucun
sentiment de participer à la préservation de l’environnement par la vie dans ce quartier, les
questions écologiques sont éludées par les urgences économiques… Pourtant, on constate une
certaine appropriation du quartier : occupation croissante de l’espace public, balcons voire
murs fleuris, premiers évènements collectifs… Il semble que le caractère neuf du quartier, son
organisation et ses vicissitudes y soient pour beaucoup. L’envie de préserver un cadre
agréable et apaisé apparaît derrière les réactions, parfois très vindicatives, des habitants. Bien
que non-prévues initialement, elles semblent annoncer d'autres modes de vie : volonté de
s'organiser, d'être représentés, de cultiver la terre. Ces intentions qui, pour l'instant, ne sont
que formulées sous-tendent des conceptions nouvelles de la ville, tournées vers le refus de
l’urbain : souci de la proximité, de la petite taille, de la convivialité, du rapport direct à la
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nature.
La banalisation du quartier, et non la revendication de son caractère exceptionnellement
écologique comme on peut le voir dans d'autres éco-quartiers, favorise l'émergence de
discours à propos de modes de vie qu'on peut qualifier de plus durables, parce que solidaires,
conviviaux, mutualisés, naturels... Sans que ceux-ci soient conscientisés et brandis comme
des exemples d'écologie. Graulhet connaît peut-être une dynamique de fond qui, pour une
fois, permettrait de dire que l'écologie n'est pas réservée à une catégorie socio-culturelle, mais
qu'elle est un bon sens partagé, une volonté naturelle d'habiter autrement son territoire. Les
intuitions et les intentions ci-dessus présentées mériteraient alors d'être vérifiées d'ici trois ou
quatre ans.
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4. Les Courtils à Hede-Bazouges : de la réforme écologique des
modes de vie (et de son inégalité ?)
4.1. Déroulement de l’enquête : terrain idoine pour toute recherche sur les modes
de vie
L’enquête de terrain à Hede-Bazouges s’est déroulée en trois temps. Nous sommes venus
observer le quartier et mener des entretiens avec les habitants à deux reprises, du 19 au 21
septembre puis du 26 au 28 septembre 2013. Nous avons ensuite organisé un groupe de
discussion sur le quartier le 25 novembre 2013, avec des habitants rencontrés lors des deux
premières phases.
Le terrain d’Hede-Bazouges s’est révélé un terrain idoine pour notre enquête. Cette dernière
s’est déroulée des plus classiquement, sans difficulté spécifique, et dans un climat
particulièrement accueillant. Nous avons réalisé les entretiens en porte-à-porte auprès des
habitants, chez eux, pour une durée variant entre une demi-heure et une heure trente. Le
terrain des Courtils s’est également révélé parfaitement adapté au dispositif de groupe de
discussion, que nous avons mis en place sans grande difficulté là encore, au sein d’un bar
associatif situé en lisière de l’éco-quartier (le Bar’Zouges).
Plan de la première phase du quartier (Les Courtils 1) – source MENGUY Architectes
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Tableau synthétique des entretiens réalisés avec des habitants
Genre
Âge Profession
CSP
Taille du
foyer
2
Code
en Professions intermédiaires
3
EH2
en Professions intermédiaires
2
EH3
5
EH4
2
EH5
Femme
31 Professeur des écoles
Homme
Femme
38 Dessinatrice
bâtiment
42 Enseignant
électronique
46 Infographiste
Homme
35 Facteur de secteur
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
Employés
Homme
68 Retraité
Retraités
2
EH6
Homme
39 Instituteur
Professions intermédiaires
4
EH7
Femme
Homme
Homme
57 Infirmière
39 Éducateur spécialisé
31 En congé sans solde
(ingénieur qualité)
46 Commerciale
2
1
3
EH8
EH9
EH10
3
EH11
4
EH12
4
EH13
4
1
3
EH14
EH15
EH16
2
EH17
Homme
Femme
Femme
Homme
Homme
Homme
Homme
Femme
Professions intermédiaires
Professions intermédiaires
Employés
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
46 Graphiste
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
31 Conseiller en ressources Cadres
et
professions
humaines
intellectuelles supérieures
41 Magasinier
Ouvriers
52 Esat
Ouvriers
30 Responsable
de Artisans, commerçants, chefs
restaurant
d'entreprise
33 Archéologue
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
EH1
Par du porte-à-porte, sur 5 jours, nous avons pu réaliser 17 entretiens avec des habitants, 7
femmes et 10 hommes, entre 30 et 68 ans. Plusieurs entretiens ont eu lieu dans un contexte
familial, en présence d’un(e) conjoint(e), et parfois d’enfants.
Ayant interviewé 17 foyers sur 32 logements, la question de la représentativité de
l’échantillon se pose différemment des autres éco-quartiers sur lesquels nous avons travaillé
(en particulier Graulhet). Notre enquête s’est déroulée en semaine, et sur les week-ends, en
journée, et en début de soirée, afin de toucher toutes les populations présentes sur l’écoquartier.
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Source : Bureau de recherches Aménités (2013)
Répartition des CSP à Hede-Bazouges (à gauche) et dans notre échantillon (à droite)
Notre échantillon est légèrement différent en termes de répartition en CSP de celui de
l’ensemble de la commune d’Hede-Bazouges. Les cadres et professions intellectuelles
supérieurs sont notamment beaucoup plus présents dans notre échantillon, alors que les
artisans, commerçants et agriculteurs exploitants sont peu représentés dans notre échantillon.
Cet écart tient sans doute plus à la composition du quartier qu’à notre échantillon.
La composition sociologique du quartier révèle en effet une légère surreprésentation (par
rapport au reste de la commune) de professions intellectuelles supérieures, mais ne permet pas
néanmoins de stigmatiser le quartier comme un quartier de « favorisés ». On trouve au sein de
l’éco-quartier des Courtils des commerçants, des employés, des ouvriers, des professions
intermédiaires.
Nous avons complété notre enquête de terrain avec les habitants par des entretiens
téléphoniques à distance avec des acteurs professionnels, en l’occurrence l’adjoint au maire
en charge du projet et le cabinet d’architectes-urbanistes qui ont suivi le projet. Les habitants
rencontrés ont très souvent porté un regard, tantôt admiratif, tantôt fortement critique, sur ces
deux figures emblématiques du projet, c’est pourquoi il nous a semblé important de recueillir
également leur parole.
Composition du groupe de discussion (ou focus group)
Genre
Âge Profession
CSP
Femme
31 Professeur des écoles
Professions intermédiaires
Femme
33 Archéologue
Homme
Femme
Homme
41 Magasinier
31 Assistante Sociale
33 Ingénieur
Femme
Homme
57 Infirmière
39 Éducateur spécialisé
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
Ouvriers
Professions intermédiaires
Cadres
et
professions
intellectuelles supérieures
Professions intermédiaires
Employés
Taille du
foyer
2
Code
2
GD2
4
4
3
GD3
GD4
GD5
2
1
GD6
GD7
GD1
Le groupe de discussion a réuni 7 personnes, sur trois heures en début de soirée (18h-21h) au
sein d’un bar associatif, en lisière du quartier, le Bar’Zouges. Ce groupe de discussion a été
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très favorablement accueilli lors de la phase d’entretiens par les habitants, qui ont dans leur
grande majorité accepté d’y participer, sous réserve de disponibilité. Une fois la date fixée, et
en raison des agendas et contraintes de chacun, sur 9 personnes ayant affirmé être disponibles
et venir, seules deux ont décommandé au dernier moment, un « taux de déperdition » assez
faible pour ce genre de dispositif. Les thèmes abordés se retrouvent dans la grille d’animation
présentée dans la partie méthodologique.
4.2. L’écologie du péri-urbain : d’un projet institutionnel autour de normes
techniques à une construction du commun par des normes sociales
Les Courtils est un éco-quartier situé sur la commune d’Hédé-Bazouges (1700 habitants),
dans le bourg de Bazouges, à 35 km de Rennes. La plus grande partie des équipements et
commerces de la commune est située à Hédé. Bazouges dispose d’une boulangerie, d’un
marché bio hebdomadaire, ainsi que d’un étang présentant une importante réserve
ornithologique.
L’éco-quartier des Courtils est né d’une volonté politique forte, en réaction à un projet de
maison Phénix. De l’avis de tous les habitants rencontrés, le quartier est né grâce à un élu, très
apprécié et proche des habitants rencontrés, ancien maire de Bazouges, sous son impulsion et
grâce à sa persévérance, « on a un élu qui est très écolo, donc je pense que ça nous permet de
le suivre un peu dans ce but-là. Il impulse une dynamique. » (EH6).
Sur un ancien terrain agricole, la commune a alors proposé un découpage en lots, sur lesquels
s’applique un cahier des charges assez peu restrictif (interdiction de l’usage des parpaings, du
PVC) et avec lequel est livrée une cuve de récupération d’eau de pluie, qui doit être raccordée
à la maison pour les toilettes et l’arrosage. La première tranche, lancée en 2002, comprend 32
logements, dont 10 logements locatifs. Plusieurs personnes ont auto-construit leur maison.
Une deuxième tranche est actuellement en cours de construction, pour une quinzaine de lots.
Certaines maisons de la deuxième tranche sont déjà construites et habitées. Une troisième
tranche est à l’étude.
Nous proposons ici de rendre compte de l’évolution des modes de vie dans cet éco-quartier
autour de quatre parties : un portrait statique des modes de vie (première partie) donnera une
première vision de l’éco-quartier, puis nous verrons comment est approprié l’éco-quartier
comme dispositif institutionnel et technique (deuxième partie), pour voir se dessiner une
certaine autonomisation vis-à-vis des normes techniques et un besoin de reconsidérer le
politique comme construction du commun. Nous étudierons alors d’abord de quoi est
constitué ce commun (troisième partie) pour voir comment sa construction peut à la fois
s’approfondir (au sein de l’éco-quartier) et se diffuser (dans la commune et plus généralement
dans une optique prospective) dans une quatrième partie.
4.2.1. Portrait des modes de vie dans l’éco-quartier
4.2.1.1. Habitat et construction : la base commune d’un mode de vie écologique dans l’écoquartier
Les modes de vie au sein de l’éco-quartier d’Hede-Bazouges sont d’abord marqués par la
construction écologique des maisons : le chauffage au poêle, tout comme l’isolation naturelle
d’une maison en paille ou la récupération des eaux de pluie, entrainent nécessairement des
économies en consommations énergétiques et des changements de mode de vie : « nous c’est
des murs en paille et ici même s’il fait moins 3 dehors, mais qu’il fait beau, à midi il fait 22
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degrés sans chauffer. Ça devrait être comme ça partout. » (EH14), « on fait tous des
économies de chauffage. » (EH11)
Les dispositifs techniques des maisons sont également mis en avant comme une nouveauté
dans le mode de vie des habitants : « On est avec de la récupération d’eau de pluie, avec du
thermique solaire pour l’eau chaude. » (EH4). Plus simplement, le chauffage au feu de bois
est de manière récurrente cité par les habitants rencontrés comme un élément important de
leur nouveau mode de vie : « On se chauffe au bois, faut faire le feu. » (EH3)
Enfin, ces maisons sont également considérées par leurs habitants comme des maisons plus
« saines » que les maisons ordinaires : « c’est un habitat sain » (EH11). Comme le décrit un
habitant, ce sont des « maisons écologiques, plutôt en bois avec une isolation différente de la
laine de verre. Et plutôt respectueuses des personnes qui y vivent aussi parce que c’est des
matériaux qui normalement doivent éviter toute pollution interne. » (EH12). C’est en quelque
sorte l’atmosphère de la maison qui change : « les maisons des années 80, 90, elles ont pas de
charme, elles dégagent rien. Quand on rentrait dans des maisons comme ça, on n’arrivait pas
à se projeter dedans. » (EH13)
Par ailleurs, sur le plan de l’habitat, plusieurs habitants ont souligné avoir des pratiques de
bricolage (notamment suite à la construction de leur maison) : « je me suis plus mis à bricoler
qu’avant, ce que je faisais pas trop avant, car j’avais peur de perdre ma caution en faisant le
moindre trou dans un mur. » (GD5). Si cet aspect constructif est le premier élément de
définition de l’éco-quartier, les évolutions de mode de vie touchent également d’autres
secteurs.
4.2.1.2 Consommation : pas d’intégrisme, mais une attention particulière portée à ce thème
Sur le plan des consommations alimentaires, la plupart des habitants rencontrés vont au Super
U à Tinténiac (8-10km) en voiture, mais aussi au marché bio à Bazouges qui se tient chaque
semaine, et a fait son apparition concomitamment à l’éco-quartier : « ici ça permet d’aller un
peu plus loin dans la démarche, du coup par exemple on a réussi à avoir un marché bio
quand on fait des achats on essaie de grouper avec des gens dans le quartier. Ça s’est fait un
peu comme une évidence. Le marché bio est arrivé en même temps que l’éco-quartier. »
(EH4). Certains habitants portent une attention particulière au local et à la relation avec le
producteur, via le marché bio : « Pour la consommation alimentaire on fait en local, avant on
connaissait pas les producteurs, ici c’est une fois par semaine on achète tout c’est des
producteurs du coin. » (EH4) D’autre part, certains réussissent à cultiver des légumes dont ils
se nourrissent : « je consomme ce qui vient de mon jardin alors qu’avant c’était plus dur avec
juste un balcon. » (EH7).
Considérant la consommation dans une acception large, certains habitants ont souligné avoir
changé de modes de vie en n’ayant plus de télévision, mais choisissant via internet les
programmes qu’ils regardent : « on n’a plus la télé. Mais on a internet, mais on a accès à
plein de choses et du coup on fait un choix, je trouve que la démarche est très différente. On
reprend en main, on ne subit pas l’écran qu’on allume en arrivant. Nos habitudes ont changé
pour ça. » (EH14).
Plus généralement, le fait de vivre dans l’éco-quartier amène les habitants à faire plus
attention à leurs consommations : qu’elles soient alimentaires « On essaie d’être un peu plus
consommatrices écologiques, on consomme du bio, on essaie de faire gaffe à ce qu’on achète,
pas acheter des pommes d’Afrique du sud, on a un pommier… on a envie de changer. »
(EH2), ou entendues dans une acception plus large : « Vivre en essayant de pas trop
consommer ça me paraît important. » (EH7), « On faisait déjà attention avant de venir ici.
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Mais je crois que je fais de plus en plus attention. C’est une prise de conscience, ne pas
consommer pour consommer. On fait davantage attention à notre consommation et à la
qualité des produits. » (EH8).
4.2.1.3 Transport : des difficultés reconnues et des tentatives
Le transport est une difficulté reconnue par la majorité des habitants rencontrés dans le
quartier. Les transports en commun étant peu développés, et la plupart des habitants
travaillant en dehors d’Hédé-Bazouges, les habitants ont une à deux voitures par foyer et y
recourent régulièrement : « C’est le gros point noir du projet, on utilise tous nos voitures, y’a
pas de transports en commun sur Bazouges, il faut aller à Hédé, l’arrêt de, car est à 5 km.
C’est le gros défaut. » (EH7).
Dès lors, une forte volonté de changer dans le domaine des transports est exprimée : « Le
transport, on n’y arrive pas, mais on aimerait bien changer. J’aimerais bien tenter le
covoiturage » (EH2). Plusieurs solutions ont été envisagées, que ce soit via les transports
publics : « J’essaie de prendre le moins possible ma voiture. Quand je suis arrivée ici je
travaillais à Rennes et je prenais le car, je prenais ma voiture pour faire 3 km pour prendre le
car. » (EH8) ou via le covoiturage « on essaie de faire du covoiturage. J’ai plusieurs voisines
qui ne travaillent pas comme moi alors on va ensemble faire des activités ou des courses. »
(EH8), « Je travaille à 30-35 km d’ici. C’est pas facile de covoiturer, j’ai fait la tentative sur
le site covoiturageplus. D’ici pour aller à côté de Rennes, c’est pas simple, faut 2 ou 3
changements de voitures. Même le bus j’aurais bien fait, mais je mettrais une heure et demi,
deux heures. » (EH14) et une tentative avortée d’auto-stop participatif « auto-stop’auto-stop
participatif ça ne marche pas du tout, j’ai un gros macaron sur ma voiture, mais je ne vois
jamais personne lever le pouce. » (EH8).
Pour les nouveaux arrivants, l’éco-quartier est perçu comme un facteur positif pour faire
évoluer les modes de vie sur ce plan : « L’éco-quartier pourrait m’aider, car je sais qu’on
doit être plusieurs à travailler à Rennes, y’aurait des moyens. » (EH2).
4.2.1.4 Rapport au travail : un thème émergent
Au sein de l’éco-quartier émergent également des pratiques nouvelles en termes d’activité
professionnelle. D’une part, plusieurs habitants travaillent de chez eux : « Moi je suis en home
office, je travaille à 100% de chez moi. Ça m’aide parce que je suis dans un logement où je
me sens bien, dans un cadre des plus agréables. C’est pas ce qui est le plus développé sur le
quartier. » (GD5) « Mon compagnon il fait de plus en plus comme toi, il bosse de la maison.
Pas envie de faire des bornes, de consommer du gazole, pour se retrouver dans un bureau
pas forcément plus confortable que chez soi. » (GD2)
Cette question du travail à distance a fait émerger parmi les habitants un questionnement
autour de la possibilité de créer un tiers-lieu au sein de l’éco-quartier, où plusieurs habitants
pourraient travailler ensemble : « Il pourrait y avoir sur la commune un espace, une sorte de
pépinière, pour des gens qui travaillent à distance. » (GD1)
Enfin, il est à noter que plusieurs habitants ont fait des choix professionnels en lien avec leur
venue dans l’éco-quartier : un habitant a pris six mois de congé sans solde, lorsqu’un autre est
arrivé sur l’éco-quartier suite à une réorientation professionnelle (« c’est issu d’une
réorientation professionnelle où j’ai un peu changé de cap, j’étais dans une activité 6/7 ans
purement industrie et j’ai un peu balayé tout ça » - GD5), enfin, un troisième envisage de
changer de métier pour travailler moins loin de son domicile, et dans un métier qui aurait pour
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lui « plus de sens » (EH14).
Ainsi, et encore plus fondamentalement, la venue dans l’éco-quartier a amené certains
habitants à questionner leur activité professionnelle en tant que telle : « ça peut être aussi des
décisions personnelles. Toi en tant que salarié quelque part, tu peux te dire je change ma
position, je bosse à 30 bornes de là où j’habite, je vais réfléchir à mon activité
professionnelle et rapprocher mon activité. » (EH14).
4.2.1.5 Rapport à la nature : l’environnement comme source de bien-être englobant les modes
de vie
On observe un rapport spécifique à la nature dans le quartier : « Tout le monde aime la nature,
de la moindre petite bête aux plus grosses, de la moindre plante, on est un peu cas isolé, mais
je pense qu’il y a un spécialiste des oiseaux, un spécialiste des insectes, un spécialiste des
plantes, si vous voulez vous soigner qu’aux plantes je pense que vous pourrez ici. Y’a un
rapport particulier à la nature. » (EH2), avec notamment les espaces partagés qui regorgent
des baies, noix et fruits : « Pour les enfants c’est génial, y’a des noisettes, y’a des bais, y’a
des trucs… C’est le plaisir... Y’a des petites baies, des amélanches. Y’a des petites pommes,
y’a des cerisiers. » (EH4)
Plus encore pour les enfants, une mère souligne : « ils n’ont jamais réclamé de toboggan ou
d’aire de jeux, ils veulent un tas de terre ». Et en effet, les enfants du quartier jouent sur les
talus, explorent le quartier et développent ainsi très tôt un autre rapport au lieu, au terrain et
même à la terre… par le tas de terre.
Les pratiques de jardinage sont également assez répandues dans l’éco-quartier : « j’aime pas
trop la notion de propriété dire c’est chez moi, mais de cultiver une terre, c’est vrai que j’ai
planté mon 40e plant hier soir. J’ai trouvé ça sympa. » (GD5), ou encore « Ici tout le monde
a à cœur de faire son jardin comme il faut sans pesticides, sans engrais chimiques, je trouve
que c’est quand même déjà bien. On est entourés de verdure, on est fondus dans la nature,
c’est quand même agréable. » (EH8)
Ce rapport spécifique englobe l’ensemble des évolutions des modes de vie pour certains :
« Adopter de nouveaux modes de vie, être un peu plus à l’écoute de ce qui nous entoure, sans
rejeter ce qui nous entoure. Vivre un peu plus en harmonie avec soi même s’écouter un peu
plus, l’eau la terre, les oiseaux, c’est des valeurs, des trucs qui nous tiennent à cœur »
(EH10), ou encore « tu démarres peut être avec cette idée écologique parce que c’est un écoquartier et puis la vie prend le dessus, t’oublies que c’est un éco-quartier, parce c’est un
mode de vie. » (EH14).
Cet environnement est dès lors source de bien-être pour les habitants : « Visuellement ça me
fait du bien, ça me repose, c’est apaisant des maisons comme ça, des matériaux comme ça,
pas toutes identiques, et la végétation, la façon dont les espaces verts communs sont traités. »
(GD2), ou encore « Toutes ces couleurs, ces matériaux, bois, paille, je trouve ça très
chaleureux. Ça participe à un environnement » (GD1), « Le paysage alentours est bucolique.
Je me sens bien. Je sors dans mon jardin. J’aime bien. » (EH4). Le bien-être prend alors une
place importante dans la définition de l’écologie : le choix de prendre des légumes bio et
locaux est souvent d’abord justifié par leur goût, le choix de réaliser une maison en bois ou en
paille est d’abord relié à son esthétique, son ambiance, son caractère confortable.
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4.2.2. Apports et limites du dispositif éco-quartier : vers une prise d’autonomie habitante
Après ce rapide portrait des modes de vie au sein de l’éco-quartier, nous proposons dans cette
partie de nous attacher au dispositif éco-quartier en lui-même et d’en étudier l’appropriation
habitante : quels sont les apports du dispositif ? Quels en sont les limites ? Quel dynamique
habitante favorise-t-il ?
Tout d’abord, il est important de noter que le caractère d’éco-quartier du quartier est très
rarement considéré comme un critère prépondérant dans le choix des habitants de venir
s’installer sur le quartier : « C’était tout un ensemble, c’était pas que du fait de l’écoquartier. » (EH1), ou encore « Ceux qui y vivent se disent pas on vit dans un éco-quartier.
C’est une volonté politique à la base, c’est plutôt les gens de l’extérieur qui nous voient
comme un éco-quartier. Pour moi c’était pas du tout important de vivre dans un écoquartier. » (EH13), « Ecoquartier, je dirais je vivrais dans une maison isolée qui est faite
dans des valeurs qui me correspondent ça m’irait aussi. Après le quartier est comme ça, c’est
bien. » (EH7). D’autre part, notons que certains habitants ont pu être attirés dans le quartier
par d’autres considérations, notamment le prix des terrains, sans avoir connaissance ou porter
de l’intérêt à l’arrière-plan écologique. Cette situation aboutit à une ligne de partage dans
l’éco-quartier entre deux groupes, reconnus par plusieurs habitants : « Y’a un peu deux
groupes pour certaines personnes c’est vraiment indispensable et pour d’autres, c’est bien,
ça fait partie du tout, mais c’est pas prépondérant. Tous on fait attention, certains sont
vraiment tournés vers l’écologie et l’environnement et d’autres beaucoup moins. » (EH1) ou
encore « Y’a aussi des gens qui sont venus ici attirés par l’environnement et puis ils se sont
dit pourquoi pas, et c’est le fait d’habiter ici qui les a amenés à un comportement peut être
plus écolo. Alors que d’autres, dont je fais surement partie, sont venus avec des convictions
qu’on avait avant. » (EH7).
4.2.2.1 L’éco-quartier un dispositif extérieur facilitateur
Le dispositif d’éco-quartier, comme dispositif extérieur proposé à l’appropriation des
habitants, joue un rôle de facilitateur dans bien des aspects des modes de vie que nous venons
d’aborder.
En premier lieu, sur le plan de la construction écologique des maisons, l’éco-quartier est un
dispositif qui soutient les habitants dans leur projet. En effet, le dispositif institutionnel
permet de mener à bien un projet de maison en bois ou en paille, là où cela aurait été
beaucoup plus difficile dans un lotissement classique : « Avoir la chance de trouver un
endroit où on pouvait vivre comme ça dans la région, on pensait pas qu’on aurait les moyens
de le faire d’utiliser des matériaux écologiques et se faire plaisir. On serait allés ailleurs et
on aurait fait une maison en bois, on nous aurait regardé avec des yeux… » (EH3), ou encore
« Les politiques quand ils soutiennent un projet comme ça, qu’ils soutiennent l’utilisation des
ressources locales en bonne harmonie etc, et bah c’est rassurant, on se dit qu’on a un cadre
et qu’on peut y aller. Quand on fait une maison comme ça isolée dans la cambrousse et que la
mairie met 5 ans à vous donner le permis, bah c’est moins... faut tenir le choc. C’est plus
facile ici. » (EH10).
Néanmoins, même au sein de l’éco-quartier, les critiques vis-à-vis de ce type de constructions
restent vives, sur un plan esthétique d’abord : « On a eu des réflexions… on a eu plein de
visites. Les gens disaient ‘’ohlala, mais c’est tout gris le bois, comment ça se fait qu’ils n’ont
pas mis de vernis la dessus ? ’’ Y’avait des gens qui s’arrêtaient pour nous demander
pourquoi on n’avait pas mis de vernis sur le bois, on expliquait que c’était un lotissement
écologique, le bois n’est pas traité, pas ramassé n’importe comment à n’importe quelle
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période. ‘’Oh, mais quand même c’est pas beau ! Vous aimez ça vous ? ’’ » (EH8) De la
même manière, les habitants qui construisent en bois ou en paille sont l’objet de nombreuses
critiques de visiteurs qui estiment que ces maisons ne tiendront pas debout « un jour un
monsieur est passé et il m’a demandé ce que je comptais laisser à mes enfants plus tard parce
qu’une maison en paille ça tient pas debout » (EH10), « Quand on parle avec notre famille,
pour eux une maison en bois, c’est une maison qui va pas tenir dans le temps, mais en venant
visiter la maison ils se rendent compte de l’intérieur que c’est une maison comme les
autres. » (EH5), « Les gens ont beaucoup ri de voir des gens construire leur maison en paille,
ils ont dit non, mais c’est n’importe quoi, c’est des écolos de la ville qui font n’importe quoi »
(EH8).
Être à plusieurs sur l’éco-quartier permet alors à la fois supporter plus facilement les critiques
et de trouver ensemble des filières pour les matériaux, ou des artisans, et d’échanger des
techniques et résoudre des problèmes : « les premiers acquéreurs étaient réunis régulièrement
par la mairie et ensuite on se réunissait entre nous, parce qu’il y avait des problèmes
communs à gérer. Par exemple on a tous eu avec notre terrain une cuve de récupération
d’eau de pluie en béton, sauf qu’elle était posée sur le terrain faut l’enterrer et on fait pas ça
avec une petite pelle donc… Ce genre de petites choses à régler en commun ça nous a fait
nous rencontrer. » (EH7)
D’autre part, l’éco-quartier tel qu’il a été conçu, notamment dans la tranche 1, est favorable à
la convivialité, de par l’urbanisme du quartier, avec en particulier les placettes communes à
quatre maisons (dans la tranche 1 du quartier), et sur lesquelles les habitants laissent leur
véhicule (interdiction de garer sa voiture sur sa parcelle) : « Nous étant arrivés, la maison
était construite donc on n’a pas connu les gens avant, et on s’est sentis réellement accueillis.
Ça c’est dû à l’architecture du lotissement, les placettes, ça a été très favorable à notre
accueil, on a connu tout de suite nos voisins. » (EH14). De la même manière, la place laissée
aux aménagements paysagers est un terreau favorable à un autre abord de la nature : « Le
lotissement en lui même est super vert. Y’a des talus, des fossés, y’a pas de trottoir ici. Une
butte de terre c’est suffisant pour que les gamins jouent. On est dans la nature. » (EH14)
4.2.2.2 La mise en question de la facture technique de l’écologie dans le quartier
L’écologie dans le quartier tel qu’il a été pensé relève d’abord d’une facture technique. Avant
même d’être un éco-quartier, le projet était celui d’un lotissement bioclimatique : « Au départ
c’est pas un lotissement écologique, c’était un lotissement bioclimatique et après par
extension ça vient à tout le monde de dire écologique. » (EH3) Cette facture bioclimatique
implique une écologie d’abord technique dans le quartier, qui repose sur l’éco-habitat, les
matériaux sains, locaux, la cuve de récupération d’eau de pluie, le tri sélectif, le compost, les
panneaux solaires pour chauffer l’eau. Un habitant décrit sa maison écologique, construite par
un constructeur : « en faisant une maison écologique, on nous mettait une pompe à chaleur,
on nous a mis un panneau solaire pour économiser une certaine quantité d’électricité, on
récupère l’eau de pluie qui nous garantit de l’eau pour les toilettes, notre construction est
faite de manière écologique, car c’est fait avec de la brique bio, donc y’a aucune isolation,
l’isolation se fait par cette fameuse brique, d’elle-même, les crépissages sont faits à la chaux,
l’intérieur est plâtre et chaux. Tout est écolo ! » (EH6)
Sur l’accompagnement technique du projet, les habitants sont unanimement mécontents de
l’architecte-conseil. Ce dernier est accusé de ne pas suivre sérieusement le projet, et de l’avoir
réalisé uniquement dans une logique d’agence. La tranche deux est à ce titre particulièrement
touchée, le découpage en lots étant considéré comme anarchique par les habitants « L’archi
conseil ne fait pas son boulot. Le découpage des lots est anarchique sur la 2e tranche. »
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(GD2) Globalement, la déception prévaut vis-à-vis de cet architecte-conseil : « Je suis un peu
déçue sur l’architecture, sur des contraintes qu’on avait et que je trouve personnellement
qu’elles n’ont pas été respectées. Je pense qu’il y a eu des loupés, pourtant y’avait un archi
conseil. C’était un des critères d’intégrer les panneaux solaires et dans certaines maisons ça
ne l’est pas. » (EH2). L’accompagnement qu’il a fourni, en lien avec la mairie est jugé non
suffisant par les habitants : « Y’avait un architecte conseil qui nous invitait à prendre rendezvous avec lui pour un premier entretien qui n’a pas été très concluant, parce que je pense que
tout le monde est d’accord pour dire qu’il s’en foutait un peu. On n’a pas eu
d’accompagnement de la mairie. » (EH13) Plus encore, ce sont les qualités professionnelles,
d’expertise, qui sont remises en cause par certains habitants : « On a fait 3 fois nos plans nous
parce qu’on voulait faire une maison bioclimatique donc l’orientation est très importante, on
voulait s’orienter vraiment vers le sud, mais c’était pas possible, il fallait que ça soit aligné,
enfin bon, y’avait beaucoup de choses. On aurait dû être juste en alignement avec la maison
d’à côté, donc on n’aurait jamais eu le soleil, c’était pas du tout notre but, bon, ce sont des
architectes… Ils devraient être sensibilisés à ça normalement. Entre les mots et la réalité, y’a
parfois de la marge. On a réussi au final à décaler la maison, mais ça a été un combat. J’ai
une mauvaise image des architectes-conseils, et nous ne sommes pas les seuls. » (EH8)
Quant au géomètre, il s’est trompé sur l’orientation des bâtiments, ce qui est particulièrement
fâcheux dans un lotissement bioclimatique : « Y’a eu des erreurs techniques, par exemple les
terrains n’ont pas été bien orientés parce qu’il y a eu une erreur du géomètre, y’a des choses
qui sont faites peut-être un peu vite. C’est une grosse erreur, nous on est orientés ouest, alors
qu’on devait être orientés sud-ouest, et quand on conçoit une maison bioclimatique c’est
gênant. Après ceux qui ont construit dans un 2nd temps, ils l’ont su donc ils ont corrigé le tir à
temps. Y’a eu des ratés comme ça, techniques. » (EH7)
Enfin, cette dépréciation de l’expertise technique externe amène certains habitants à aller à
l’encontre du règlement de l’éco-quartier pour aller plus loin dans leur mode de vie : « Au
niveau de l’eau, on a la citerne d’eau de pluie donc normalement, on ne devrait avoir que la
chasse d’eau qui marche avec l’eau de pluie, on n’a pas le droit de faire autre chose, c’est là
qu’on voit que la politique marche pas toujours dans notre sens. Nous on a le lave-linge, on a
des filtres évidemment, et on a toute l’eau qui sert pour la cuisine, laver les légumes et pour
boire parce qu’on a un osmoseur. Donc on utilise que cette eau-là. Mais en période de
sécheresse, c’est vide. Ça ne suffit pas à être autonome. » (EH8), surtout la majorité des
habitants se sont approprié le concept du quartier et ont été plus loin que les exigences du
cahier des charges « Le cahier des charges n’est pas très exigeant en fait, les terrains sont
vendus avec une citerne de récupération d’eau de pluie avec 7 000 Litres d’eau, chauffe-eau
solaire et puis matériaux écologiques, pas de béton ni de parpaings, de choses comme ça, pas
de PVC, c’est tout en fait. Y’avait pas d’exigences particulières à part ça. Les gens du
lotissement sont allés beaucoup plus loin dans leur démarche et beaucoup ont utilisé des
matériaux vraiment écologiques, de a à z. » (EH8).
4.2.2.3 Du politique instigateur à une certaine désaffection du politique
Le rôle primordial et la position difficile des élus dans ce type de projet ont été soulignés par
des habitants : « Heureusement qu’il y a des élus qui sont convaincus comme ici. Ils ont
impulsé le projet malgré plein de réticences parce que c’est un petit patelin de campagne ici
quand même alors tout le monde était pas de ce côté-là. C’est quelqu’un de très dynamique
qui a vraiment développé son projet d’une main de maitre. » (EH8). Les difficultés
rencontrées par les élus pour porter ce projet sont mises en avant par des habitants rencontrés :
« Les hommes et femmes politiques doivent être promoteurs de ce genre de solutions, ici c’est
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la mairie qui a lancé ça, c’est quand même des élus qui se sont investis, qui ont mouillé la
chemise, ça a pas été facile de lancer un projet comme ça ça a été un des premiers, ils ont
surement pas eu la vie facile tous les jours. Il a fallu tâtonner pas mal, pour moi c’est le rôle
des politiques, d’avoir des idées, de les proposer, de les porter pour arriver à des réalisations
concrètes comme ça. » (EH7) Le rôle des élus, au-delà de celui joué par l’élu local, est alors
de réguler, d’inciter financièrement, et de sensibiliser : « Favoriser par des aides financières
tout ce qui est construction écologique, aménagement écologique, par un discours un peu
plus positif là-dessus. On n’en entend pas trop trop parler. Si on est intéressés, on entend,
mais si ça nous passe au-dessus, on peut facilement passer à côté. » (EH1)
Cette importance accordée à l’élu donne parfois naissance à un certain sentiment
d’impuissance (sans eux, ce projet ne se ferait pas) : « Sans les élus, ça se ferait surement pas,
ou très difficilement, après c’est surtout les réglementations tout ça qui incitent ou pas pour
aller vers ce mode de construction. La paille c’est reconnue comme matériau de construction
que depuis l’an dernier. » (EH10)
Toutefois, cette volonté politique n’est pas jugée suffisante et satisfaisante sur tous les points,
notamment pour les logements sociaux, comme le soulignent quelques habitants : « Y’a un
souci d’intégration des logements hlm dans le lotissement. Le fait qu’ils soient en bas à
l’entrée avec deux barres. Mais ils ne savent pas faire, ou ils veulent pas faire. C’est
dommage. » (GD3). Pour certains habitants vivant dans ces logements HLM, la venue dans
l’éco-quartier a alors été source de déception : « Ces locaux-là ont été un peu faits à
l’économie. On est arrivés les peintures étaient pas fraiches, au bout de 3 mois je suis passé
au milieu de mon escalier, c’est de la science-fiction. » (EH9)
Chez certains habitants est perceptible une certaine désaffection du politique en général « je
ne compte pas sur les politiques. » (EH8) « je me fais plus trop d’illusion sur les politiques,
on voit bien que là les socialistes c’est un peu le même topo, les verts n’ont pas trop leur
place non plus, celui qui se mouille un peu hop il est mis à l’écart. Je pense qu’on va y
arriver autrement, mais faut pas compter là-dessus. » (EH8). Les accointances entre
politiques et intérêts économiques, notamment dans le domaine de la construction, sont
questionnées par un habitant : « Après y’a des DTU, qui poussent à utiliser certaines
techniques de certaines façons, qui orientent peut être trop aussi les gens, c’est pas que des
règles pour pas faire n’importe quoi c’est aussi des règles pour placer des matériaux quand
on vous dit pour faire telle chose faut consommer tant de machins au m2, je pense pas qu’il y
a que de la mécanique derrière ça, y’a aussi des bonnes logiques industrielles. » (EH10).
Finalement, un habitant propose de repenser le rôle des hommes politiques en s’inspirant de la
première ville en transition, Totnes : « Et puis les politiques avec, ils changeront parce que là
ils demandent que les gens trient leurs cartons, leurs bouteilles, leur machin, ok, à par faire
perdurer le système je vois pas ce que ça change. Les politiques devraient faire ce qui se
passe à Totnes. Donc faut informer les gens sur Totnes, sur ce qu’ils peuvent faire. » (EH9)
4.2.3. Motivations et conditions : l’arrière-plan axiologique de l’éco-quartier, les bases du
commun
Face à cette mise à distance, voire prise d’autonomie, des habitants vis-à-vis du dispositif
soumis à leur appropriation, et de ses atours traditionnels (le technique au service d’une
politique publique), se pose la question de la création du commun en interne à l’éco-quartier,
comme en externe. Nous abordons dans cette partie les motivations à venir dans le quartier,
qui permettent de dessiner la composition de ce commun, qui appel à reconsidérer le rôle du
politique, en faisant appel à des normes sociales et non techniques.
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4.2.3.1 Des vécus et imaginaires de la ville à une volonté de changer de lieu de vie : quitter la
ville sans aller dans un lotissement classique
Les vécus et imaginaires de la ville, et du devenir de la campagne, sont à la source des
motivations à s’installer dans l’éco-quartier. La majorité des habitants sont à ce titre très
conscients des enjeux écologiques et environnementaux (et notamment, mais pas
exclusivement la question du pic pétrolier « Les choses vont aller en s’aggravant avec la
pénurie de pétrole. » - EH12).
Plusieurs habitants voient alors poindre une densification/massification de la ville : « Les
villes vont s’étendre. Mais les gens n’auront pas le choix, faudra qu’ils se logent, faudra
construire de plus en plus vite et on n’aura pas le temps de faire des éco-quartiers comme ça.
Ça sera dramatique. » (EH3) « Ca va être gigantesque les villes » (E6), « près de Rennes
c’est de la folie ils construisent à tout va, ça grossit, c’est fait n’importe comment à toute
vitesse, et puis on respecte rien. Les gens qui vont construire ils vont être dans des cubes et
des tout petits trucs de rien, pour que tout le monde se loge, il faudra que ça soit comme ça. »
(EH8). Cette perspective renforce la volonté pour plusieurs habitants rencontrés de quitter la
ville : « Je cherchais à quitter Rennes à ce moment-là, je voulais quitter la ville. » (EH7), « ne
pas vivre dans une ville, être oppressé, pressé » (EH10), volonté liée chez quelques uns à une
image dépréciée de la ville « La ville c’est des relations beaucoup plus impersonnelles avec
les gens, des espaces partagés contraints, on est forcément plus les uns sur les autres. »
(GD1), ou encore « La sollicitation permanente à consommer, même si on veut pas. Et le côté
concentrationnaire. » (EH9).
Parallèlement à cette densification de la ville, un phénomène de retour à la campagne est
également noté par les habitants « dans certains secteurs y’a un retour à la campagne, ici y’a
que des jeunes. Les gens ont quitté un peu la ville » (EH6), « Y’a un truc qui est en train de se
passer, y’a eu un exode rural et là on voit le truc inverse, un exode citadin. Les gens sont en
train de crever de la ville et ils sont en train d’en revenir. » (EH9). Cet exode urbain amène
en retour à une re-densification des campagnes « les campagnes vont se re-densifier » (EH1)
Un habitant résume la situation selon lui :
« Les villes vont être de plus en plus saturées, au niveau des tarifs au centre ville, ça va être
vraiment une élite au centre ville ou alors des entreprises avec des bureaux et l’extérieur des
villes va s’étendre petit à petit et on va créer des zones de pavillons avec toutes les maisons
pareil, je pense que ça va être ça, parce qu’ils ont déjà fait l’erreur dans les 70 s de
construire des barres d’immeubles et ils se sont rendu compte que les gens ne voulaient pas
de ça. Donc ils ont plutôt construit des pavillons tous semblables. Donc y’aura une partie de
la population qui sera là et une autre partie de la population qui sera plus loin, comme nous,
qui choisissons nous-mêmes notre style de maison et choses comme ça. Y’aura des cités
dortoirs ou les gens iront dormir le soir et iront ensuite travailler en centre ville. » (EH5)
Certains habitants espèrent que ce retour à la campagne n’entrainera pas un étalement urbain
« Sans doute les villes vont se densifier un peu plus, et les constructions en campagne
occuperont moins d’espace, en tous cas, j’espère, c’est une nécessité. On peut plus se
permettre de construire une maison sur un hectare et demi maintenant et d’en faire une
pelouse complètement stérile. J’espère qu’il y aura moins d’étalement urbain. » (EH7). À cet
égard, le lotissement classique est également critiqué par les habitants : « Y’a des lotissements
dans lesquels jamais pour rien au monde je ne voudrais vivre, je préfère retourner en
appartement. » (EH7), « Je me verrais pas revenir dans un lotissement comme on en voit
partout. » (EH8), ou encore « moi, le pavillon habituel ça m’intéressait pas du tout, je m’étais
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pas du tout intéressée au lotissement » (EH4).
Au final, leur situation dans l’éco-quartier constitue une chance pour eux face à ces
phénomènes globaux. Ils se sentent d’une certaine manière « à l’abri », face aux enjeux
environnementaux. Cette chance est d’autant plus flagrante pour les habitants que certains
d’entre eux pointent du doigt certaines politiques publiques comme allant à contre-courant de
ces évolutions « le département va dans le sens inverse en ce moment, ils mettent le paquet
sur la ville, les orientations c’est de faire grossir les villes, qu’elles soient le lieu d’habitation
de la population. Donc développer des pôles d’habitations où y’a pas d’emploi, y’a rien du
tout, c’est très bien… pour être près de la nature. On profite de la nature, c’est un lieu
magnifique. » (EH12).
De ces constats découle la principale motivation à venir s’installer dans l’éco-quartier
d’Hede-Bazouges pour les habitants rencontrés : s’installer dans un environnement différent
de la grande ville (avec Rennes et Saint-Malo comme référents), mais également différent du
lotissement classique (à titre d’illustration : « on n’y va pas pour les mêmes raisons, j’imagine
que quand on va dans un lotissement classique avec des maisons les unes à la suite de l’autre
on y va parce qu’il y a une maison et un bout de jardin, mais on n’y va pas pour tout le reste
derrière. Nous on est venues ici parce qu’il y a un cadre écolo, que y’avait un schéma qui
nous correspondait plus. » - EH2).
L’installation dans l’éco-quartier fait alors suite pour plusieurs habitants à une longue
recherche d’un mode de vie plus rural, qui s’orientait d’abord vers de la rénovation : « On
voulait d’abord faire de la rénovation. Moi qui ai grandi à la campagne, l’idée lotissement
c’était pas du tout dans mes aspirations premières, donc on a continué à chercher un terrain,
plutôt en campagne, plus isolé, plus reculé. On s’est rendus compte que c’était pas dans notre
budget et rare. » (GD1), ou encore « Vivre dans ce quartier c’était un compromis entre
rénover pour longtemps et très cher une maison très chère ou vivre dans une maison
dégueulasse un petit pavillon les uns sur les autres. » (EH10) Pour certains habitants, un
projet de maison en bois ou en paille qu’il leur était difficile de monter dans d’autres
lotissements les a amenés sur l’éco-quartier : « La raison numéro 1 pour venir ici c’est qu’on
ait pu faire une maison en paille. Moi ça me plaisait bien la paille, je trouvais que c’était un
matériau sain et puis j’en avais visité plusieurs, je voyais l’atmosphère à l’intérieur ça me
plaisait. » (EH4), ou encore « Au début on voulait une maison en bois et comme au niveau du
cahier des charges de beaucoup de lotissements, la maison en bois c’était mal vu, mal perçu
donc le fait de prendre un lotissement écologique c’était plus facile. On est venus là d’abord
sur un choix de maison. » (EH12).
Les changements de modes de vie des habitants de l’éco-quartier sont alors liés d’abord au
changement de lieu de vie, c’est-à-dire la vie en lotissement en périphérie urbaine,
nécessairement différente de celle en centre urbain. Comme le dit un habitant : « J’ai changé
mes habitudes en vivant ici, presque tout, passer d’un appartement rennais à une maison en
campagne, tout a changé, que ce soit la façon de faire les courses, le chauffage, le transport »
(EH1), « Vivre à la campagne c’est adopter de nouveaux modes de vie. » (EH7). La
comparaison entre mode de vie péri-urbain et urbain amène certains à interroger le caractère
écologique de ce changement : « J‘ai clairement changé mon mode de vie en vivant ici.
J’habitais en appartement en ville, donc voilà… ça change tout. Pour le coup j’allais
travailler en vélo, et puis le week-end je prenais la voiture. Maintenant c’est un peu le
contraire. En même temps j’ai un jardin je suis dans l’environnement qui me convient. Ce qui
est négatif c’est les transports, ce qui est positif c’est le chauffage, l’eau chaude. Dans une
maison bien isolée chauffée au bois, forcément c’est mieux. » (EH7).
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4.2.3.2 La convivialité comme bienveillance et partage
La convivialité n’est pas directement une attente exprimée par les habitants vis-à-vis de leur
venue dans l’éco-quartier, mais elle est un fait saillant de leur mode de vie dans le quartier,
que la grande majorité des habitants rencontrés ont souligné : « y’a des liens très forts qui se
sont tissés très vite, nous on est voisins, on se voit tout le temps, on mange ensemble, on fait
des trucs, on garde les gamins » (EH17). Plus simplement : « les gens parlent naturellement
simplement, y’a de l’accueil, de la gentillesse, de la simplicité dans les rapports » (GD2) ou
encore « C’est pas chacun vit dans son coin, on part le matin, on revient le soir. Y’a vraiment
des échanges. Pas forcément pour avoir des choses à échanger, mais les gens font attention
les uns aux autres. » (GD1).
Cette convivialité est incarnée par les enfants du quartier, qui, du fait du climat de confiance
au sein du quartier, peuvent y jouer librement et contribuent à l’atmosphère du quartier,
« bon-enfant ».
Cette convivialité constitue un arrière-plan axiologique, un élément de partage fondamental
des habitants du quartier, que nous proposons de présenter sous trois aspects :
l’interconnaissance liée à la trajectoire résidentielle, la sociabilité liée au contexte culturel et
la convivialité dans un autre rapport à la propriété.
La convivialité dans le quartier s’inscrit en effet d’abord dans une trajectoire résidentielle et
prend d’abord la forme d’une interconnaissance. Elle est souvent particulièrement notable
pour les habitants, au regard de leur précédent lieu d’habitation, et du caractère anonyme de la
ville : « Ici je connais tous mes voisins, y’en a avec qui j’ai sympathisé, d’autres pas, y’en a
qui sont devenus des copains, on fait des soirées ensemble, c’est vraiment des amis alors
qu’avant j’avais beau habiter dans un immeuble, je connaissais pas mes voisins, j’en
connaissais deux et de loin. » (EH7). Les phases de construction du quartier en particulier ont
favorisé l’interconnaissance des habitants et l’entraide, en raison du nombre important
d’autoconstructeurs « On s’est beaucoup rencontrés en phase de construction » (EH17),
« quand on construisait on était plusieurs avec des chantiers autonomes et on se filait des
coups de main, on achetait du matériel ensemble. » (EH4).
Le contexte culturel de la commune est également un facteur important de sociabilité. La
commune d’Hédé-Bazouges connaît une vie associative et culturelle très active : « il y a
énormément d’associations, d’évènements, de festivals, une vie culturelle et de bénévolat
hallucinante. » (GD1), ce qui est reconnu par les habitants comme une chance dans le
contexte péri-urbain : « on a beau habiter en pleine campagne, y’a un festival de cinéma, y’a
un festival de jazz, y’a un festival de théâtre au mois d’août. Y’a une vie associative très riche
dans la commune. Après ce quartier s’est fait sur cette commune c’est peut être pas pour rien.
C’est lié aussi. » (EH7). Ce contexte péri-urbain fait également évoluer les pratiques
culturelles des habitants : « On fait plus de trucs ici que ce qu’on faisait à Rennes. À Rennes
y’avait tellement de trucs, d’activités culturelles, ici comme y’en a moins, on y va à toutes, et
on croise toujours les mêmes personnes. » (EH17)
Enfin, sur le plan de l’habitat, un rapport plus souple à la propriété a pu être observé et relevé
par certains habitants, qui marque une convivialité vécue comme une confiance et un partage
entre habitants : « on trouve les gens très ouverts, ils sont propriétaires de leur bien, mais ils
ont pas le sentiment de propriété, pas cette exigence de propriété avec un terrain bien droit.
C’est bon à vivre. Nous on s’est posé la question avec notre voisin, est-ce qu’on met un
grillage, ça nous embêtait de mettre des poteaux, on a mis des plantes et puis voilà. Après la
délimitation n’est pas tirée au cordeau. Un enfant peut s’égarer sur le terrain du voisin ça ne
va pas poser de problème. Ou un animal. C’est une liberté très agréable. » (EH14), ou encore
« Chacun a besoin de son intimité, donc y’a des limites, mais en même temps elles ont pas
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besoin d’être hyper physiques. » (EH2).
Cette convivialité et surtout la constitution d’un groupe autour de valeurs communes pose la
question de la justice de ce genre d’opération, soulevée notamment par certains habitants
« Moi ça me dérange pas que ça s’agrandisse, y’a des gens qui aspirent à vivre dans ces
quartiers donc il faut qu’ils se développent. Sinon on serait des privilégiés si ça ne se
développait pas alors qu’il y a de la demande. » (EH13).
Ici, les représentations sociales de l’environnement permettent de mieux saisir les fondements
cognitifs en jeu dans ce registre de la convivialité.
Encadré 9. Analyse psychosociale des représentations liées à l’éco-quartier
15 enquêtés sur 17 ont répondu à la question dédiée aux représentations de l’éco-quartier (cf. Encadré
4.) On note un nombre d’évocation supérieur aux autres quartiers (39 évocations). Et, les termes pour
qualifier leur représentation d’un éco-quartier sont tous positifs. 7 thématiques sont récurrentes :
l’écologie, la présence de nature, les matériaux de construction, la convivialité, la solidarité, le
voisinage et le respect de la nature. Les verbalisations concernant surtout les rapports aux autres et
d’échange reviennent régulièrement dans les évocations. On y voit apparaître les termes relatifs à la
construction, au respect de la nature et à l’entretien des éléments végétaux.
Bureau de recherches Aménités (2013)
Le croisement entre la fréquence d’apparition et le rang d’importance fait particulièrement apparaître
l’usage des matériaux, l’écologie et la convivialité comme des éléments centraux dans la
représentation d’un éco-quartier. Les éléments périphériques renvoient, quant à eux, à la notion de
verdure et d’espaces verts. On remarque toutefois que le respect de la nature fait partie des éléments
contrastés de la représentation. Il est en effet peu cité mais considéré comme très caractéristique.
Cependant, au regard des différents termes employés pour définir un éco-quartier, on peut imaginer
que ce respect de la nature est intrinsèque à la notion d’écologie présente dans le noyau central de la
représentation et donc par conséquent serait peu cité parce que redondant
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4.2.3.3 L’écologie : cadre naturel, réflexivité et volonté de maitrise
Une motivation à venir dans le quartier importante et très répandue parmi les habitants
rencontrés tient au cadre naturel. L’étang est un lieu connu dans la région par les randonneurs,
les cyclistes, les observateurs de la faune et de la flore, qui a amené plusieurs habitants à
découvrir le projet d’éco-quartier : « c’est un site très connu des gens comme nous qui
sommes proches de la nature, qui randonnons beaucoup, on fait du vélo… donc les
randonneurs en général aux environs de Rennes connaissent les 11 écluses, c’est un site très
agréable et connu où l’environnement est très sympa. » (EH8), ou encore « il y a eu un article
dans le journal du Conseil Général qui présentait le site et le projet, le projet venait de la
mairie, moi je connaissais le lieu, car je venais depuis longtemps sur l’étang à côté observer
les oiseaux sur l’étang, donc quand j’ai vu l’article ça a fait tilt tout de suite. » (EH7) Si ce
cadre naturel a pu faire connaître à des futurs habitants le projet au hasard d’une balade : « en
se promenant sur le bord du canal à vélo, on a appris qu’il y allait avoir un lotissement
écologique ici » (E6), le cadre naturel fait partie intégrante du choix de s’installer dans ce
quartier pour beaucoup : « C’est un coin qui me plait, ça a fait vraiment partie du choix si on
est venus ici c’est aussi pour le paysage. » (EH1).
Au-delà de ce cadre naturel, le caractère écologique du quartier a attiré certains habitants :
« Nous on est venus ici parce qu’il y a un cadre écolo, qu’y’avait un schéma qui nous
correspondait plus. » (EH2), ou encore « On est venus ici par convictions personnelles »
(EH8). Ce sont finalement des valeurs communes qui unissent la plupart des habitants
rencontrés : « Par la force des choses, un lotissement comme ça, avec un cahier des charges
comme celui-là, on va forcément sélectionner les gens. C’est pas pour exclure, mais c’est des
gens qui ont une approche différente : proches de la nature, et d’échanges entre voisins. Y’a
des valeurs communes. » (EH14), ou encore « on est tous plus ou moins sur la même longueur
d’onde, on voit les choses de la même manière et pas juste pour l’écologie » (EH1), « On
cherchait à vivre avec des gens qui soient sensibles aux mêmes choses que nous. » (EH17),
« Ce quartier et la façon dont il a été pensé et fait et le fait qu’on soit venus en connaissance
de cause, on se rapproche facilement, on n’est pas venus ici par hasard, c’est sur. » (EH7)
Pour définir cette écologie qui a pu attirer certains habitants dans le quartier, il semble que
l’élément partagé par les habitants soit celui d’une posture réflexive. Partant d’une écologie
technique se dessine une vision de l’écologie reposant sur une l’attention portée à la
construction, et finalement, le fait même de se poser des questions, de s’interroger sur la
construction et les techniques : « Après y’a deux maisons éco… y’a la maison éco parce que
thermiquement elle répond à la RT2012 ou je ne sais quoi et puis y’a la maison éco machin
parce qu’on essaie de faire un effort, moi y’a de la terre, du bois, de la paille, du bois, de la
chaux, mais y’a rien d’autre. » (EH10) Ainsi, certains habitants vont plus loin (que le cahier
des charges du quartier) dans leur définition de l’écologie en pointant du doigt l’importance
des matériaux locaux et naturels : « le choix de la paille la terre du bois, pour nous c’est un
confort et une atmosphère particulière dans la maison qu’on aime bien, mais c’est aussi
utiliser les ressources locales, la paille vient du champ à côté, le bois il est pas très loin non
plus, la terre vient du jardin. C’est jouer le jeu d’utiliser des ressources naturelles quand y’a
pas besoin d’utiliser de la chimie. Y’aura aussi des matériaux modernes dans la maison, faut
vivre avec son temps, je suis pas un intégriste » (EH10), ou encore « Je suis assez attaché au
fait que les matériaux de construction ou l’énergie consommée sur le quartier viennent du
lieu même. Ici y’a des maisons en terre, la terre vient du sol du lotissement ou des environs
proches, on a des panneaux solaires, on prend l’énergie du soleil qui tombe sur le quartier,
on récupère l’eau qui tombe sur le quartier, c’est ça un éco-quartier. » (EH7). C’est
également le peu d’impact de la maison sur son environnement qui est souligné par quelques
habitants : « Ici la maison peut bruler elle va rien laisser derrière elle. Elle est en paille et
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terre, bois, la dalle est en chaux. Elle fera de mal à personne. » (EH14)
Cette conception de l’écologie dépasse alors la question de la construction : « L’écologie pour
moi c’est se poser des questions par rapport à la façon dont on se comporte dans la vie de
tous les jours : comment on consomme, on jette, on gaspille. » (EH10), ou encore, « être
conscient de ça tout du moins » (EH6).
Ces questions, cette réflexivité sur ses propres pratiques, qui construit une écologie plus
personnelle, est favorisée par le collectif (et donc le quartier) « ce qui est intéressant c’est de
se poser des questions même si on adhère pas tout de suite, qu’on n’est pas convaincu tout de
suite, c’est de se dire, lui pourquoi il fait ça, qu’est ce qu’il cherche, est-ce que j’essaie ou
pas. C’est une dynamique de groupe qui nous pousse à faire ou ne pas faire, mais permet de
se poser des questions. » (EH10), ou encore « par rapport aux voisins on voit qu’ils sont
encore plus impliqués que nous dans les gestes écologiques. C’est vraiment à leur contact
qu’on apprend. C’est quelques fois des petites habitudes à changer » (EH5). Il s’agit dès lors
d’une conception de l’écologie qui n’est pas uniforme pour tous : « Chacun le fait à son
degré, mais le point commun c’est que tout le monde a la réflexion. Chacun à son échelle
avec ses gestes plus ou moins, y’a des purs ayatollahs, et d’autres qui sont plus avec leurs
petits moyens, mais quand même avoir cette conviction qu’il faut faire quelque chose, à la
différence de celui qui ne se pose pas la question. » (GD5)
Cette conception réflexive, impliquante, de l’écologie, au regard de la souplesse du dispositif
technique que nous avons vu dans la partie précédente, pose plus généralement la question
des constructeurs, qui sont particulièrement présents sur la tranche 2 : « Depuis l’arrivée des
constructeurs, ça a changé. Les courtils, c’était d’abord les courtils 1, y’a 6, 7 ans, pour moi
plutôt un village de pionniers qui avaient envie de mettre en œuvre des techniques anciennes
et modernes, de remettre au goût du jour certain type de constructions, dans un certain état
d’esprit. Et les Courtils 2 en fait devaient en être le prolongement, et les constructeurs sont
arrivés avec leurs maisons bio-machins, mais du coup c’est plus des autoconstructeurs donc
ils ne se posent plus les mêmes questions, et la maison d’en face, c’est des toupies et des
toupies de béton, du polyuréthane, du PVC, du parpaing, alors que c’est interdit dans le
cahier des charges. C’est pas la faute du proprio, mais du constructeur qui ne respecte pas
les conditions. » (EH10)
C’est ainsi une maitrise des questions et de son mode de vie qui semble faire l’écologie de
l’éco-quartier. De fait, certains habitants marquent un certain recul par rapport à l’écologie
des discours ambiants, lui préférant une écologie plus personnelle : « J’ai l’impression que
cette histoire d’écologie ressemble de plus en plus à une belle arnaque et il s’agit pas de
remettre en cause le réchauffement climatique ou quoi que ce soit, mais on parle du tri
sélectif machin, mais j’ai l’impression que c’est le meilleur truc… on culpabilise les gens,
c’est chiant. Y’a un cahier des charges, le machin (il montre dehors) le pare-soleil, ça devrait
être un truc pour panneaux solaires, allons au bout de l’idée, mais non ça coute trop cher.
C’est un argument politique comme un autre et l’écologie… l’écologie de soi même je suis
d’accord avec ça. Ça serait faire en sorte de faire les petites choses à son échelle et sans
forcément dans le cahier des charges de ce qu’on nous dit. » (EH9), « j’envisage plus
l’écologie comme on essaie de nous la vendre. Pas du tout. À Hédé l’écologie est
personnelle » (EH9) ou encore « On peut mettre éco sur tout. On peut trouver du
polyuréthane bio. C’est une aberration. Tous les appareils électroménagers sont A+
aujourd’hui, ils sont où les B et C ? Y’en a plus. » (EH10)
Il en découle que cette écologie est loin d’être politisée : « Écologique, écologiste, écolo, ça
peut avoir un autre sens. Les écolos, bah vulgairement c’est les écolos, ça a une connotation
politique, classé dans les écolos. Bioclimatique c’est plus technique, c’est une autre façon de
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penser. Quand on discute avec les voisins doit y avoir tous les bords politiques. L’écologie
quand on vient ici c’est un peu plus écologique que dans d’autres quartiers, mais c’était pas
pour ce but principal que je suis venu. Je veux pas d’étiquette écolo. » (EH3) Plus largement,
c’est tout intégrisme écologique qui est rejeté par les habitants, qui ne souhaitent pas être mis
à l’écart de la société par leur mode de vie : « Sans être en dehors non plus, à l’écart de la
société. Mais vivre avec elle, tout en essayant de pas tomber dans tous les travers de la
consommation à outrance etc. » (EH10), ou encore « c’est pas un quartier militant non plus.
on applique ce qui nous paraît juste dans nos vies, mais on n’est pas tous adhérents
d’associations ou encartés chez les verts, même si y’en a. » (EH7).
4.2.4. Perspectives : approfondissement du commun et diffusion de l’éco-quartier
4.2.4.1 Au sein de l’éco-quartier, l’approfondissement en question autour de la création du
commun
Plusieurs tentatives ont été menées pour monter en collectif autour de ce projet d’éco-quartier.
La gestion des espaces verts a été confiée aux habitants du quartier, avant d’être rétrocédée à
la commune, en raison du manque de temps des habitants : « Pour l’entretien c’est la
commune qui s’en occupe, ça a été rétrocédé, déjà on a nos jardins, on a été plusieurs avec
des chantiers d’autoconstruction donc on s’engage à désherber devant et nettoyer les abords
de la maison, mais on pouvait pas tout faire. » (EH4). Un jardin partagé a également été créé,
mais malgré un fort enthousiasme au démarrage, le projet peine aujourd’hui à mobiliser :
« On a essayé de monter un jardin partagé, mais c’est un peu le même problème que
l’entretien des voiries : pour l’instant les gens n’ont pas le temps. On a le jardin de saules au
bout, mais y’a pas assez de gens qui viennent. Les gens sont contents de trouver cet endroitlà, mais pour participer c’est un peu difficile. On avait fait un coin potager, mais ça ne
marchait pas, on est en train de le défaire. » (EH4). Ainsi, l’émulation du départ a connu un
ralentissement et semble aujourd’hui sur le point de reprendre, notamment par les initiatives
telles que le bar : « Y’a une vie de quartier ici. Au départ on était très emballés on voulait
constituer un SEL, enfin bon, y’avait beaucoup d’émulation autour de tout ça, chacun était
très occupé par la construction, y’a eu beaucoup d’autoconstruction, ça prenait beaucoup de
temps, on disait on va faire ça plus tard, bon, c’est en train de ressortir un petit peu. Y’a eu
un bar associatif qui s’est ouvert, c’est un moyen aussi de faire des choses en commun,
j’espère qu’on va y arriver. » (EH8)
Plusieurs pistes ont été ouvertes lors de l’atelier pour aller plus loin dans la démarche écoquartier. Tout d’abord, les habitants ont émis des suggestions vis-à-vis d’une possible
tranche 3 de l’éco-quartier, dont il faudrait renforcer le cahier des charges et mieux
accompagner : « Après des choses à changer, le cahier des charges peut-être qu’il était pas
trop méchant au début, y’avait pas trop de contraintes, on pouvait mettre des fenêtres en bois
exotiques, c’était pas très très contraignant. Il faudrait que ça soit un peu plus contraignant
dans le futur. » (EH7). Mais surtout, au-delà des normes du cahier des charges, c’est surtout
un accompagnement pour une appropriation du projet par les (futurs) nouveaux venus qui a
été unanimement appelé des vœux des habitants présents : « Il faut plus de communication et
d’implication des gens. Le problème c’est que les gens ne se sont pas impliqués dans leur
projet. Ils n’ont pas absolument pas participé à leur futur lieu de vie. » (EH17)
Un terrain a également fait l’objet de quelques réunions entre habitants pour se l’approprier,
avant que la commune n’y fasse une noue engazonnée. Plusieurs idées ont été discutées :
création d’un potager, d’un poulailler, installation d’un local à vélos. L’accord de la mairie et
son soutien ont été acquis pour la réalisation d’un projet habitant sur ce terrain qui, au
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moment de l’enquête, était destiné à accueillir des fruitiers plantés et entretenus
collectivement.
Par ailleurs, plusieurs idées ont émergé pour améliorer le quartier, notamment en termes de
transport, que ce soit pour du frêt : « Faire vivre le canal, en termes de transport fluvial, pour
aller à Rennes, et au niveau des marchandises. » (EH9), ou des mobilités plus individuelles
« Au niveau des vélos, il faudrait plus aider. Y’a des locations de vélos électriques qui
existent, vous pouvez louer à l’année, on pourrait faire ça. Pourquoi pas mettre une voiture à
disposition en location. Au lieu d’avoir chacun une voiture. Le transport est un souci. »
(GD6)
Enfin, la gestion des déchets a fait l’objet d’une discussion : « La gestion des déchets, on est
dans un fonctionnement un peu classique, je me demande si on pourrait pas réfléchir ça
différemment. Le standard de recyclage avec le fameux sac jaune. Y’aurait pas une réflexion
à mener pour faire ça différemment, pour ne pas avoir la pollution visuelle le jeudi matin,
c’est une horreur de voir ça sur le bord de la route. Si on faisait un abri commun où on
amènerait ça tous au même endroit, ça se ferait facilement. Et ça créerait un peu de lien, on
croiserait du monde en descendant notre poubelle. » (GD5)
4.2.4.2. L’éco-quartier dans le bourg : des difficultés d’intégration, mais une indéniable
diffusion
L’éco-quartier est physiquement séparé du reste du bourg, comme le notent des habitants
« On a une sensation de frontière au niveau de talus au niveau du parking. Quand on rentre
dans l’éco-quartier, on le sait. Y’a le stationnement et le logement hlm en barre après. »
(GD5), ou encore « C’est un microcosme parce qu’on vit presque en vase clos, car on donne
pas sur la rue. Mais en même temps on est tous ouverts sur la communauté, la municipalité,
dans le lotissement on est plusieurs à être bénévole ou à la municipalité. » (EH2) Cette
segmentation est d’ailleurs renforcée par le découpage en tranches de l’éco-quartier : « Ça
reste une entité à part dans la commune. Faudrait que ça s’efface. Déjà on a tranche 1,
tranche 2, on segmente toujours. » (EH14). La majorité des habitants de l’éco-quartier
souhaite faire disparaître cette séparation « On fait partie d’un éco-quartier qui fait partie
d’une commune. Je veux pas que ça soit un village dans le village, même si les maisons sont
faites dans le même principe, mais on fait partie du village. » (EH14)
D’autre part, l’éco-quartier n’a pas d’abord été bien accueilli par les habitants du bourg « Les
gens qui étaient là avant se sont dit ohlala les envahisseurs. » (EH8), en effet, « Ce quartier a
été un gros apport de population sur le bourg de Bazouges qui est tout petit » (EH7). La
différence de population entre l’éco-quartier et les habitants du bourg a pu constituer un
obstacle à l’intégration « Au début les gens étaient plutôt surpris, surtout que c’est un milieu
d’agriculteurs alors ils voyaient pas ça d’un bon œil tous ces écolos. On avait tous l’étiquette
écolos purs et durs, José Bové. Les agriculteurs nous regardaient vraiment de travers. »
(EH6), ou encore « Le quartier a mauvaise presse dans la commune, tout le monde pense
qu’on est fermés, même avec la simple rue pour rentrer… On le sait. Même si y’a beaucoup
de monde qui participent à des activités, on est marqués lotissement écolo. Ca fait aussi
partie de notre identité donc on en joue aussi un peu. » (EH2). Cette méfiance de la part des
habitants du bourg est parfaitement comprise par les habitants de l’éco-quartier : « les
maisons sont toutes différentes, c’était un peu bizarre et maintenant après quelques années, la
végétation a poussé, les maisons sautent moins aux yeux, du coup maintenant ça s’intègre
bien au paysage, ce qui était sans doute pas le cas au début, et ça a sans doute été difficile
pour certains habitants qui ne font pas partie du quartier et qui l’ont vu pousser devant leur
maison. Ils ont peut être trouvé ça bizarre et pas compris ce qu’on faisait. » (EH7)
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Néanmoins, petit à petit, la situation s’est détendue « Je me souviens qu’il y avait eu une
enquête de satisfaction des habitants de la commune et ils étaient 100% pas contents de ce
nouveau quartier. Et puis on a fait un apéro avec les gens alentour et on s’est rencontrés et la
tendance a changé. Si on refait l’étude maintenant y’aura peut-être des surprises. » (EH4)
Récemment s’est ouvert un café associatif, le Bar’Zouges, qui constitue une structure animée
par les habitants, à la disposition des habitants pour y monter leurs projets divers : « Donc y’a
des évènements un peu culturels, un café, et celui qui veut faire quelque chose il a une
structure, un lieu pour le faire, si t’aimes la peinture, tu peux organiser un truc là-bas sur la
peinture. » (EH10)
Dans le reste de la commune, l’éco-quartier semble également diffuser, que ce soit avec le
marché bio, mais aussi la construction d’autres maisons écologiques (« Je pense que ça a un
impact sur le reste de la commune, y’a eu quelques constructions à l’extérieur qui ont suivi le
principe un peu des maisons du lotissement, des maisons basse consommation même en
pleine campagne un peu plus loin. » - EH4), ou encore des évènements tels que la journée
éco-gestes : « Sur la commune y’a des choses qui se créent, ça donne une certaine identité à
la commune, Bazouges devient une commune écologique, y’a le marché bio tous les jeudis
soirs. » (EH10) Plus encore, « et ça a amené des gens qui justement se sont pas mal investis
dans la commune, dans l’équipe municipale sortante, y’a deux habitants du quartier, les gens
se sont investis tout de suite, dans les associations aussi, donc oui il a un impact, forcément.
Mais pas le quartier, plutôt les habitants du quartier qui jouent un rôle dans la commune. »
(EH7) c’est ainsi également par la population que la diffusion se fait. Toutefois certains
habitants invitent à relativiser cette diffusion de l’écologie au sein de la commune
« Aujourd’hui le reste de la commune c’est vrai qu’ils se rattachent beaucoup à l’écologie,
mais enfin y’en a qui sont un peu réticents là dessus. Je dirais même beaucoup. Le quartier a
une image moyenne. » (EH6)
4.2.4.3. La généralisation souhaitée des éco-quartiers, mais des obstacles importants : HedeBazouges, les chanceux peu nombreux ?
L’ensemble des habitants rencontrés souhaite que la démarche de ce quartier soit généralisée,
qu’elle devienne une norme :
« Je sais pas si les éco-quartiers vont se généraliser, mais j’espère que ça sera presque une
règle. J’ai pas forcément envie qu’il y ait d’autres éco-quartiers, même si c’est bien, mais
c’est toujours un peu, il faut en faire un. Un passage obligé pour la ville. On fait un écoquartier et à côté on fait un lotissement classique ? J’aimerais plus que ça soit une obligation
la récupération des eaux de pluie, ou les panneaux solaires. Ça empêche pas de faire des
maisons en parpaings ou en béton s’il faut. Mais qu’on intègre. L’écologie c’est pas juste une
histoire de quartier, donc faudrait qu’il y en ait plus, mais en même temps non il faut pas que
ça soit juste le truc à la mode et après il se passe plus rien à côté. Essayer de mettre les
règles qu’on a mis dans les éco-quartiers, pas aussi strictes qu’ici, même si elles étaient pas
très strictes, mais les ouvrir sur le reste. » (EH2)
« Je pense que ça va se développer les éco-quartiers, on est partis pour ça. » (EH6)
« J’espère que les éco-quartiers vont devenir la norme. En habitant ici avec un côté militant,
je souhaite que les quartiers comme ça prennent le pas sur des rangées de maisons alignées
en fonction des routes et pas en fonction du soleil. Y’a des lotissements dans lesquels jamais
pour rien au monde je ne voudrais vivre, je préfère retourner en appartement. J’espère que
l’avenir des éco-quartiers c’est de prendre le pas sur les autres. » (EH7)
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Les habitants ont cependant soulevé la question des financements d’un projet comme celui
des Courtils : « J’espère qu’il y aura des maires qui vont se bouger, on a vu pas mal de
maires venir ici visiter, mais est-ce qu’ils auront les moyens de faire la même chose c’est pas
sur. Ces démarches sont décalées par rapport aux moyens financiers d’aujourd’hui. Faut que
les élus ils y aillent à fond. » (EH3)
Beaucoup pensent que l’initiative de l’éco-quartier peine à se diffuser en raison d’une
mentalité générale peu ouverte aux questions écologiques : « Je suis pas très optimiste en fait.
Là ici je vis avec des gens qui me correspondent, mais après dans mon milieu professionnel
c’est tout autre. Je me dis qu’on est loin de changer les choses. En vivant ici on a
l’impression que ça change. Y’a vachement de gens qui s’en foutent aussi royalement de
l’écologie. Et c’est la grande majorité. » (EH14). La comparaison avec d’autres pays est
également souvent peu flatteuse aux yeux des habitants de l’éco-quartier : « Ils n’ont pas du
tout la même façon de penser que nous non plus les Hollandais, quand ils parlent
d’éoliennes.. Vous en parlez aux français, ce qui leur vient à l’esprit c’est le bruit, c’est que
c’est pas esthétique. Les pylônes haute tension c’est pas esthétique non plus, mais personne
n’en a parlé. C’est toute une mentalité à changer, mais ça vient petit à petit. » (EH8)
Il en découle des solutions pour diffuser le modèle d’éco-quartier qui s’attachent à changer les
mentalités en passant par les enfants : « Je pense qu’il faut faire l’information et donner
l’exemple aux enfants, c’est par là que ça va passer. Si on veut faire évoluer les mentalités
dans le sens d’une nature un peu plus qu’on respecte un peu plus. Je pense qu’il faut toucher
les écoles et tout ça. » (EH8), ou des méthodes descendantes de type régulations,
réglementations, incitations et/ou contraintes financières : « Je pense qu’il faut qu’on voie ce
qui marche dans d’autres pays. À Amsterdam, quand on voit les garages à vélo, les parkings
à vélo, c’est impressionnant. Il suffit de mettre les parkings très chers en ville et tout le monde
circule autrement. Là c’est bien on a fait le métro y’a énormément de gens qui prennent le
métro, mais y’a pas assez de parkings… » (EH8).
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5. Faux la Montagne : la mise en culture de la transformation
socio-écologique par les modes de vie
5.1. Déroulement de l’enquête : Faux la Montagne ou le besoin de réduire la
distance avec la recherche et de limiter la méfiance à l’égard des politiques
publiques
Préalablement à l’investigation sur les modes de vie dans les éco-quartiers, plusieurs contacts
avaient déjà été pris avec des personnes impliquées dans l’éco-quartier du Four à Pain,
notamment la Maire de Faux-la-Montagne, Catherine Moulin, et Stéphane Grasset de la SCIC
l’Arban, rencontrés lors d’intervention à des séminaires ou colloques que nous avions
organisés (DREAL Normandie, octobre 2012 ; Institut d’Urbanisme de Lyon, mars 2013).
Nous les avons donc recontactés au début de notre enquête, par téléphone, pour valider avec
eux l’intérêt conjoint de cette démarche, préparer le temps de terrain et réaliser des entretiens
préliminaires. Suite à ce premier contact à distance, Catherine Moulin nous a communiqué la
liste des coordonnées de l’ensemble des personnes engagées dans le projet.
Nous sommes allés sur le terrain du 6 au 11 juillet 2013. Ce temps de terrain a été réalisé avec
la collaboration de l’équipe de La SCOP La Fabrique du Lieu (Nicolas Tinet et Laurence
Renard). L’éco-quartier est à ce jour en cours d’édification, avec une maison construite et
habitée, par un couple de retraités que nous avons rencontrés sur place dès notre première
visite, mais aussi trois maisons en cours d’(auto)-construction (dont un logement passerelle,
sur lequel nous reviendrons dans l’analyse). Une autre parcelle est vendue, mais la
construction n’a pas encore commencé. Sur les 14 lots que comprend l’éco-quartier, plusieurs
restent donc encore vacants.
Un porte-à-porte plus poussé étant impossible, nous avons contacté la majorité des personnes
de la liste par téléphone et afin de convenir de rendez-vous.
L’éco-quartier du Four à pain, vue de l’entrée du village (photo Laurence Renard: Fabrique
du lieu)
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La première maison bâtie sur l’éco-quartier (photo Laurence Renard : Fabrique du lieu)
Tableau synthétique des entretiens avec des habitants réalisés
Genre
Âge
Profession
CSP
Code
Artisan
Taille du
foyer
2
Homme
25 ans
Femme
60 ans
Coopérateur d'une SCOP
(construction bois)
Ancienne employée
Retraitée
2
EH2
Homme
51 ans
Homme
53 ans
Coopérateur d'une SCOP
(construction bois)
Agriculteur et élu
Artisan
2
EH3
Agriculteur
5
EH4
Femme
34 ans
Technicien énergie
Professions
intermédiaires
Professions
intermédiaires
Professions
intermédiaires
Retraité
4
EH5
Homme
33 ans
Technicien énergie
1
EH6
Homme
38 ans
Employé PNR
2
EH7
Homme
84 ans
Ancien sociologue et prêtre
1
EH8
EH1
Source : Bureau de recherches Aménités (2013)
L’analyse de la représentativité de l’échantillon par rapport à la commune de Faux la
Montagne n’a pas pu être réalisée, les données INSEE n’étant pas disponibles (notamment en
termes de CSP).
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Une maison en construction sur l’éco-quartier (photo Laurence Renard : Fabrique du lieu)
Ce temps de terrain a été marqué par une véritable méfiance de la part des personnes
rencontrées. Si Madame la Maire a accepté de nous donner les noms et numéros de téléphone
de l’ensemble des personnes engagées dans le projet, il n’en demeure pas moins qu’une
défiance était particulièrement palpable, que ce soit lors de la prise de rendez-vous par
téléphone, ou lors de l’entretien directement. Plusieurs questions nous ont été posées sur
l’objectif de notre étude « Elles vont aller où ces questions ? C’est pour quoi ? », certaines
pointant directement vers le Ministère « Qu’est-ce qui intéresse l’État ? Faire une étude pour
faire une étude ? Quelle est leur arrière-pensée derrière ? Ca s’inscrit dans la labellisation
en cours ? », et d’autres visant directement notre bureau d’études « Alors vous faites de la
recherche et c’est quoi votre action ? », ou encore « vous êtes un bureau de recherches
indépendant, mais vous êtes financé par le Ministère ? ». Les questions cherchant à recueillir
de l’information sur les profils des individus rencontrés ont également parfois été reçues
fraichement : « je ne vous les dirai pas mes diplômes. » et associées à une sorte de formatage :
« Dans quelle case vous allez me mettre moi ? » ou encore « Je rentre pas dans les cases. ».
Ce refus du formatage est concomitant de la défiance vis-à-vis de l’Etat « l’État fonctionne
énormément avec l’idée de modèle, il voudrait qu’une fois que quelque chose est fait, il puisse
le dupliquer à gogo. C’est tellement plus simple, ça rentre dans les cases ».
Cette posture assez partagée parmi les personnes rencontrées renvoie à une double mise à
distance, vis-à-vis de l’État et de l’expertise, renvoyant toutes deux à une volonté très
affirmée de garder la maitrise du projet : c’est-à-dire, comme le dit un habitant, de « toujours
avoir maitrise maitrise du projet, même s’il y a recours à des experts, à des avis, ils n’étaient
pas là pour décider à notre place, mais bien pour donner des éclairages ». C’est ainsi la
signature politique de cette initiative d’éco-quartier qui se trouve révélée par le déroulement
de notre enquête, et en particulier cette défiance.
Finalement, c’est un rejet de la posture distanciée qui est mise en lumière par cette méfiance :
un refus de l’intrusion d’individus extérieurs, dans une position de savoir et/ou de pouvoir
(chercheurs ou émanation de l’État), vis-à-vis d’un projet dont ils souhaitent garder la
maitrise, pour en sauvegarder les singularités locales, un habitant affirme « y’a le désir qu’on
s’étudie nous-mêmes. Et qu’on en tire nous même des conséquences. » Cette volonté est très
clairement transparue dans les trajectoires des individus rencontrés, très hybrides :
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« Beaucoup de gens sont un peu tout ici. On est plusieurs à avoir des compétences doubles,
professionnelles et puis aussi acquisition de compétences sur le terrain. » Nous avons donc
distingué dans notre enquête les acteurs habitants (qui n’habitent pas nécessairement l’écoquartier), mais se sentent concernés par la réflexion autour de l’habiter sur le plateau (qui s’est
concrétisée dans le projet d’éco-quartier) et les acteurs qui ont été mis à contribution par ce
premier groupe d’acteurs (comme par exemple Alain Freytet, paysagiste).
Si la méfiance s’est dissipée au cours des entretiens c’est alors bien du fait de notre posture de
recherche, qui ne cherche pas à objectiver, mettre à distance le terrain et ses particularités,
mais bien à construire le sens avec les acteurs du terrain, en prenant en compte ses
singularités et leurs propres questionnements. À ce titre, il est à noter que la majorité des
entretiens réalisés ont parfois pris de la distance avec le guide d’entretien, pour s’adapter et
respecter les acteurs rencontrés et leurs discours. De la même manière, notre approche ne
recourant pas à quelque support technique, et demeurant très exploratoire (c’est-à-dire ne
cherchant pas à valider des hypothèses figées dès l’amont), a permis de dissiper cette
méfiance. C’est également cette adaptabilité qui nous a permis de ne pas imposer un groupe
de discussion habitant sur un terrain sur lequel cela aurait inutile et une perte de temps pour
les acteurs rassemblés, du fait des dimensions collectives et sociales déjà omniprésentes dans
les discours d’entretiens.
Encadré 10. Rôle de la posture de recherche dans le rapport au terrain et à la production des
discours
Cette méfiance est d’une certaine manière consubstantielle de notre démarche et lui est bénéfique et
nécessaire, car, comme le dit I. Stengers, « c’est seulement avec des protagonistes « récalcitrants »,
exigeants que ce qui importe pour eux soit reconnu et pris en compte dans la manière dont on
s’adresse à eux, que peut se créer un rapport susceptible de revendiquer une valeur scientifique. »
(Stengers, 2013, p. 67). Nous nous appuyons en effet sur le programme qu’elle propose, selon lequel
« une science enfin civilisée demanderait des scientifiques capables d’abandonner le « grand
partage » entre le point de vue scientifique et le reste, qui serait valeurs subjectives ou facteurs
contingents, des scientifiques capables de reconnaître ceux et celles à qui ils ont affaire comme
porteurs de préoccupations qu’aucun jugement a priori ne doit faire taire, capables enfin de prendre
part avec eux à la réinvention de la valeur qui sera éventuellement reconnue à ce qu’ils proposent. »
(Stengers, 2013, p. 131). Notre posture n’est donc pas celle d’analyser de l’extérieur un phénomène,
mais bien de nous attacher aux acteurs et à leurs propres critiques, et questionnements : les acteurs que
nous avons rencontrés à Faux sont à ce titre un public exigeant de cette recherche et non pas de
simples « sujets-objets » : « La spécialiste des sciences sociales, telle que je l’envisageais, doit
s’adresser à des groupes producteurs d’une dynamique qui les rend capables de poser leurs propres
questions, de créer leur propre position, de produire leur propre point de vue. » (ibid. p. 254).
Réciproquement, pour nous en tant que chercheurs, les individus rencontrés à Faux constituent ainsi
« un milieu de connaisseurs exigeants, susceptibles de contraindre les scientifiques à prendre garde à
leurs jugements normatifs quant à ce qui compte et ce qui est insignifiant, à présenter leurs résultats
sur un mode lucide, c’est-à-dire les situer activement en relation avec les questions auxquelles ils
répondent effectivement et non comme réponse à ce qui fait l’objet d’un intérêt plus général. » (ibid.
p. 14). Par ailleurs, nous pensons que cette recherche en elle-même, de par son déroulé, a une portée
performative, dépassant la seule production de connaissances. Notre posture est celle de créer une
dynamique, d’engager les acteurs dans une plus grande réflexivité, et, qui sait, de faire en sorte que
« les acteurs pourront avoir accès à des dispositifs pratiques et à des outils cognitifs leur permettant
de rompre leur isolement en rapprochant les situations, dont ils subissent les contraintes, de situations
certes différentes, où se trouvent plongés des acteurs dotés de propriétés également différentes, mais
avec lesquels une comparaison ou un rapprochement pourront être établis. » (Boltanski, 2009, p. 62).
Formulé autrement, nous avions conscience et défendions l’idée selon laquelle, par notre action de
recherche, il y a possibilité pour des acteurs d’inscrire leur action dans une dynamique plus large, de
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s’emparer peut-être d’une portée au général qui peut paraître lointaine au regard d’un quotidien
difficile.
Dès lors, le déroulement de la phase de terrain à Faux la Montagne a été marqué, après le
temps de la distance, par la richesse des entretiens réalisés, dont témoigne entre autres leur
durée (entre 1h et 2h30 chacun). La prolixité des acteurs rencontrés et l’épaisseur des discours
témoignent de la réflexivité des individus engagés sur ce projet. L’éco-quartier de Faux la
Montagne est ainsi le résultat de réflexions profondes des acteurs sur leur propre trajectoire,
mais aussi sur leur territoire, et plus largement sur l’environnement. Cette réflexivité est
également un témoin de la durée de vie de ce projet, qui est né d’une réflexion initiée il y a
près de dix ans. Par ailleurs ces entretiens individuels étaient porteurs d’une vision collective,
partagée avec la majorité des acteurs engagés sur le terrain. En effet, les habitants rencontrés
appartiennent au même réseau de relations, se connaissent et ont déjà tous échangé sur leurs
aspirations communes en termes de villes, ce qui rendait très clairement improductif, voire
même contre-productif, l’organisation d’un groupe de discussion.
Tableau synthétique des entretiens avec les acteurs non habitants
Code
EP1
EP2
EP3
Paysagiste
SCIC l'Arban
Mairie de Faux la Montagne, élue
5.2. Analyse de l’éco-quartier du Four à Pain à Faux la Montagne : des modes de
vie responsables ancrés dans un territoire
5.2.1. Portrait des modes de vie dans l’éco-quartier : un habiter responsable ancré dans un
territoire
5.2.1.1. Consommation : simplicité et maitrise de sa consommation
Sur le plan de la consommation (qu’elle soit alimentaire, énergétique, ou de biens et
équipements), les modes de vie évoluent dans le sens d’une recherche d’une consommation
moindre, en redéfinissant ses besoins. Un habitant l’exprime vis-à-vis de ses consommations
électriques et de son équipement électroménager : « Je préfère me dire j’ai pas de grille-pain,
je vais mettre moins de lumière. Je vais consommer oui, mais du coup tu réduis ton truc. T’as
pas 15 robots de cuisine avec la meilleure puissance. T’as une consommation oui. Il faut
plutôt se poser la question à la base : ai je besoin d’électroménager ? » (EH1).
Plusieurs habitants cherchent également à contrôler leurs sources d’approvisionnement, qu’il
s’agisse :
• de faire soi-même (« Je fais mon pain. J’ai un jardin potager collectif. » - EH1),
• d’échanger (« Là aussi c’est des échanges. » - EH8, ou encore « je fais de
l’autoproduction sur 0,5 hectare de jardin. Je fais des échanges de lait contre de la
viande. Et du temps de travail contre du pain. Avant il y avait un SEL, mais finalement
il n’y a pas besoin d’organisation. » EH4),
• ou de commander à des producteurs locaux. Un habitant décrit ses différentes filières
d’achat : « je passe par des groupements d’achats (Gaia : toutes les légumineuses,
farines, sucre, c’est deux fois dans l’année donc on prend 25 kilos de farine, 25 kilos
de riz… tout ce qui est fruit c’est tous les 15 jours), l’épicerie itinérante (le lundi soir
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on passez chercher nos fruits dans la grange). Les légumes c’est Champ Libre, une
ferme en autogestion à côté d’Eymoutiers, là y’a un panier ça marche un peu comme
une AMAP. On est 30 et on y va chacun son tour chercher pour tout le monde puis on
distribue sur Faux. » (EH1).
Bien sûr, cela n’exempte pas d’aller également aux supermarchés « Le Casino, j’évite, c’est
pas bon. Mais pour tout ce qui est grosses choses de la vie quotidienne ça c’est deux fois dans
l’année, parfois à Limoges. » (EH1). Ces choix sont source d’un gain de temps, mais aussi de
bien-être, qui compense le plus ou moins léger surcoût occasionné : « C’est génial de pas
aller faire des courses, de pas passer 3 ans au super marché. Quand tu compares, tout coute
plus cher, mais c’est tellement agréable. » (EH1) ou encore « ça fait plaisir de manger des
choses de son jardin. » (EH6).
Enfin, l’un des objectifs est également de contrôler les produits, et leur impact
environnemental : « Les panneaux photovoltaïques, je suis pas convaincu parce que la
production est en Inde, que l’indice carbone est fort et que la main-d’œuvre est sous-payée.
Quel recyclage ? Quelle durée de vie ? Qu’est-ce qu’on en fait dans 10-15 ans ? » (EH1)
5.2.1.2. Transports : réduire les déplacements et emprunter des modes de transport non
fossiles
Sur le plan des transports, la majorité des habitants cherchent d’abord à réduire leurs
déplacements (notamment, comme nous venons de le voir précédemment pour la
consommation : en groupant les achats et en réduisant le nombre de trajets pour
s’approvisionner).
D’autre part, autant que faire se peut, les habitants empruntent des modes de déplacements
non fossiles : « J’utilise la marche et le vélo pour aller bosser sauf quand je transporte du
matériel. » (EH1). Les transports en commun ne sont pas une option viable sur le plateau,
mais les habitants rencontrés participent à du covoiturage, plus ou moins organisé : « On
essaie de covoiturer pour aller à Limoges, mais juste en parlant les uns avec les autres, y’a
quelqu’un qui va à Limoges qu’on connaît, et bah on prend qu’une voiture ! Et puis on prend
toujours les autostoppeurs. Depuis Eymoutiers devant la gare les gens prennent plein
d’autostoppeurs, ils attendent peut-être 10 min pour aller à Faux c’est facile. » (EH2).
Enfin, sur la place accordée aux voitures sur le territoire de l’éco-quartier, la présence d’un
parking collectif permet aux habitants de ne pas garer leur voiture sur leur parcelle : « Je ne
veux pas mettre ma voiture sur la parcelle, et je vais l’utiliser au minimum (mais je l’utilise
déjà très peu), elle restera au parking collectif. » (EH1)
5.2.1.3. Habitat : partage, modularité, et inscription dans un paysage
Sur le plan de l’habitat, le choix a été fait de favoriser une construction bois, qui mobilise
donc des ressources locales (tant en matières premières qu’en ressources humaines). D’autre
part, le caractère modulable, évolutif de l’habitat est également souligné par plusieurs
habitants comme étant primordial. Cette modularité découle d’abord du matériau bois :
« C’est un matériau qui durera moins que la pierre et qui va demander des renouvellements.
Moi je dis tant mieux. Une maison en bois ne durera pas 2000 ans. Ça obligera peut-être à
changer d’habitat. » (EH8), mais aussi en termes d’occupation de la maison : « on a fait le
choix de construire un logement adaptable avec deux entrées sur deux niveaux. Les deux
niveaux peuvent être indépendants. Quand les enfants partiront, ils pourront être remplacés
par les grands-parents. » (EH7)
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Par ailleurs, sur le plan de l’habitat, vivre selon ses besoins est également une préoccupation,
comme le souligne un futur habitant : « Moi je construis une habitation avec à l’intérieur,
53m2. Mon défi c’était de dire aujourd’hui on construit grand alors qu’on n’utilise pas toute
la surface et en région parisienne, 53m2, c’est déjà grand, on arrive à y vivre presque avec
une famille alors pourquoi je pourrais pas le faire ici alors que je vis seul. Et puis j’ai une
possibilité de modulation par la suite, pour l’agrandir au besoin. » (EH6)
Enfin, cet habitat s’inscrit dans un territoire, et plus spécifiquement dans un paysage, qui
compte à la fois pour des raisons de confort quotidien : « Là où je poserai ma chaise dans la
cuisine, je verrai le soleil couchant. Dans l’axe où je vais déjeuner, j’aurai le soleil levant. »
(EH1), mais aussi pour les techniques de construction et d’implantation des bâtiments : « c’est
le bioclimatisme, regarder l’environnement comment il est autour de soi pour sa maison
comment tu l’installes. » (EH1).
5.2.2. L’appropriation du projet d’éco-quartier : un territoire et des habitants en quête de
maitrise et d’autonomie
5.2.2.1. L’éco-quartier : l’expression de modes de vie plus qu’un dispositif extérieur
La qualité d’éco-quartier du quartier semble laisser plutôt indifférents les habitants
rencontrés : que ce soit pour leur choix d’habiter ce quartier « J’ai pas choisi de vivre dans un
éco-quartier. » (EH1), ou même pour leurs choix de construction : « Ç’aurait été un
lotissement basique, pas écologique, ça aurait pas influé dans un sens ou dans l’autre »
(EH2) « On comptait avoir de l’eau chaude sanitaire solaire. On l’aurait fait quoiqu’il
arrive, éco-quartier ou pas éco-quartier. » (EH2) ou encore « Le fait de mettre des panneaux
solaires, de récupérer de l’eau de pluie, moi de toute façon je l’aurais fait, ou que je sois. »
(EH1).
De la même manière, les habitants rencontrés ne comptent pas changer leur mode de vie en
raison de leur venue sur l’éco-quartier : « C’est pas un nouveau mode de vie pour moi. Dans
l’idée c’est pas nouveau » (EH1). Pour ce qui est des modes de vie, la dynamique est alors
inversée : « c’est pas parce qu’il y a un éco-quartier qu’on va changer de vie. C’est l’inverse.
C’est parce qu’il y a des pratiques différentes de consommation, de solidarité qu’il y a ce
projet. » (EH4) En effet, Faux la Montagne est un territoire qui est porteur d’un mode de vie
différent : « C’est plutôt à Faux la Montagne qu’il y a un mode de vie et des rapports entre
les gens différents. » (EH5)
En effet, le projet n’était pas au départ celui de faire un éco-quartier, mais s’inscrivait dans
une réflexion plus globale sur l’accueil dans la région et la problématique du logement : « Au
départ y’avait pas de question d’éco-quartier. Y’a pas eu une volonté de départ de faire un
éco-quartier, on savait pas d’abord que ça existait. » (EH8). Au contraire, l’éco-quartier est
même considéré par certains comme un fétiche urbain loin des préoccupations du Limousin :
« Pour moi l’éco-quartier c’était les films que j’ai vus en licence sur des éco-quartiers en
Allemagne, Fribourg… C’était pas moi, c’était bien, mais vraiment très loin de moi. Pour moi
c’est pas la même chose ici. C’est aussi un éco-quartier, mais j’ai pas réfléchi à comparer. »
(EH1). Pour parler d’éco-quartier, les habitants préfèrent parler de leur action, de leurs choix :
à la question 5 mots qui vous viennent à l’esprit quand on parle d’éco-quartier, un futur
habitant répond « Je vais te donner des mots par rapport à ce que je suis en train de faire, à
mon projet. » (EH1)
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5.2.2.2. Se prendre en main collectivement : la problématique de l’accueil de nouveaux
habitants sur le plateau de Millevaches, la dynamique associative/coopérative qui en découle
et le projet d’éco-quartier
Le projet d’éco-quartier à Faux la Montagne est né d’une dynamique remontante. Comme le
disent plusieurs habitants interviewés, il s’agit d’un « projet qui est parti de la base » (EH3 et
EP3). Ce projet a débuté au sein d’un groupe informel d’individus vivant sur le plateau de
Millevaches et réfléchissant à l’accueil sur le plateau : « Un projet qui s’appuie sur les
besoins exprimés conjointement par des personnes qui cherchaient du logement et un groupe
informel d’une dizaine de personnes, d’associatifs, de chefs d’entreprise, d’élus locaux qui
prenaient la question de l’accueil comme une nécessité sur notre territoire, et en déroulant la
pelote s’aperçoivent qu’il y a un blocage à un endroit, celui du logement. » (EH3)
En effet, l’accueil de nouveaux habitants sur le plateau est une quasi nécessité : « On est un
territoire à très faible densité de population et avec une nécessité à ce que de la population
vienne pour que l’école ne ferme pas, pour plein de raisons. À l’inverse des villes qui ont
parfois trop de population, nous on a des seuils qui sont trop bas. » (EH3), et qui est
corrélatif d’un désengagement de l’État « l’État ne pense pas du tout qu’on est un endroit où
il faut qu’il intervienne. Au contraire, y’a un désengagement massif de l’État. Mais nous on
dit malgré ça en milieu rural on peut y vivre, et donc on va essayer de le prouver. » (EP3)
Plus qu’une nécessité cet accueil est devenu une tradition qui permet de discerner différentes
vagues d’accueil de « néo-ruraux » : « Les néo ruraux faut faire des distinctions entre les néo
ruraux des années 70, ce sont des gens qui arrivaient avec un capital culturel et un savoirfaire technique qu’ils souhaitaient mettre en place, c’est devenu des agriculteurs. La
classe 80-85, ambiance bois, les classes 95-2000, puis 2005, Tarnac. (…) Ils n’ont pas la
même conception de l’enracinement, du rapport à l’espace. » (EH8).
Dans ce contexte, l’association ou la coopération sont le moyen privilégié pour prendre en
main le territoire et ses problèmes : « du fait de cette logique d’accueil depuis plusieurs
décennies et de gens qui viennent d’horizons divers, mais qui ont un intérêt pour le territoire,
ça crée un effet entraînant, dynamisant, qu’il n’y a pas dans tous les territoires ruraux. Ici
comme on n’a pas d’économie, les gens sont obligés de se rassembler et de construire
ensemble pour construire quelque chose à partir de rien. Ce no man’s land fait que des
choses sont possibles ici et pas ailleurs. » (EH7)
Il en découle que le Plateau de Millevaches est animé d’un courant associatif et coopératif
fort : « On a beaucoup d’associations et ils font vraiment bouger le coin et créent des
emplois. 20% des emplois du plateau sont de l’ESS (économie sociale et solidaire). » (EH6),
« Il y a un nombre d’assos incroyable, c’est très politique au sens noble du terme. » (EP1). Ce
courant s’inscrit dans une tradition qui remonte au 19e siècle : « Dans le plateau de
Millevaches y’a un courant associatif fort et un courant de la coopération, né au milieu du
19e dans le milieu ouvrier et agricole, qui a ensuite été récupéré par des instances comme le
Crédit Agricole qui n’ont rien de coopératif. Et du coup ici on cherche à réinventer une
coopération » (EH8). Ce mouvement coopératif/associatif a fait l’objet d’un article dans la
revue locale INPS (cf. illustration ci-dessous).
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Schéma des initiatives du plateau de Millevaches, journal IPNS, n° 43, juin 20139
Cette caractéristique du plateau a des ramifications qui dépassent la seule région limousine,
via notamment la présence à Faux de « La navette, c’est une SCOP qui réalise la revue des
coopératives aujourd’hui. » (EH8) Cette tradition est toutefois perçue comme menacée et les
personnes engagées sur le plateau se mobilisent : « une association se crée sur le plateau
pour s’interroger sur la manière dont le gouvernement et les politiques s’occupent de nous
aujourd’hui. Ils tuent les associations petit à petit. » (EH8)
Ce contexte associatif et coopératif fort crée un réseau de relations très intriquées, dont est
issu le groupe créateur de l’éco-quartier : « Tout se combine, le président de l’Arban, c’est un
membre d’Ambiance Bois qui fait partie de la Navette. » (EH8), autour de plusieurs initiatives
phares : « Autour de la création d’IPNS le journal notamment, qui a été créé sur le plateau,
les gens d’Ambiance Bois, télé Millevaches, tous ces gens-là. C’est un petit noyau. » (EH8).
Ce réseau de solidarité est également un facteur de dynamisme du territoire, qui permet d’en
contrebalancer les difficultés : « L’association permet de recréer des choses qui n’existent pas
ou de les créer différemment, pour répondre d’une certaine manière à des besoins, ça permet
de maintenir cette envie de vivre ici qu’on perdrait parce que fatigués par le climat, les
difficultés, justement, l’absence de telle ou telle chose qui ne manquera pas de nous être
rappelée par nos filles, nos amis. » (EH7)
Cette prise en main locale des problèmes est très clairement revendiquée par le groupe
d’habitants : « ici il y a un coté ok on se prend en main on a envie de ça alors on le fait. »
(EH5) Elle renvoie au concept d’Arban qui signifie en occitan « un travail collectif d'intérêt
général effectué par la communauté villageoise, au service du bien commun » (site Internet
SCIC L’Arban). Des arbans ont lieu à Faux la Montagne, notamment lors de notre passage
pour la restauration d’un labyrinthe végétal dans le camping. D’autres arbans sont prévus sur
le terrain de l’éco-quartier, pour la construction de la halle par exemple.
9
« La ligne centrale sépare deux niveaux. Sous la ligne noire, ce sont les initiatives associatives, militantes,
citoyennes, etc. (Appelez cela comme vous voulez). Certaines sont très informelles, ponctuelles. D’autres plus
structurées, durables. Toutes relèvent de démarches collectives d’habitants récemment arrivés ou plus
anciennement installés et elles portent toutes dans leurs façons de faire et leurs discours, une vision du territoire
qui va globalement dans le même sens. (…) Au-dessus de la ligne, on est dans un champ plus institutionnel qui
évidemment interfère largement sur ce qui se passe en dessous. » (INPS, n°43, juin 2013, p. 8)
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Cette prise en main collective de la question du logement sur le plateau va être accélérée par
une opportunité foncière sur la commune de Faux la Montagne. Le terrain en question a été
préempté par la mairie pour que puisse s’y déployer le projet des habitants réunis. Le
caractère concret du projet a alors permis d’approfondir les réflexions initiées par le groupe
logement : « C’est un peu comme le grain de poussière qui permet que la pluie puisse tomber,
que la vapeur d’eau puisse se cristalliser autour du grain de poussière. Et le fait d’avoir un
projet d’éco-quartier, ça a permis de fixer les idées, de travailler sur un règlement intérieur,
un cahier des charges, un plan et donc de créer une dynamique, sinon on restait dans
l’élucubration, le virtuel et on avançait pas. » (EH3)
5.2.2.3. Le rapport avec les experts : développer localement des compétences dans l’action et
mettre en controverse les savoirs
La méthode de travail sur ce terrain a alors été celle de l’atelier d’écriture, c’est-à-dire de la
construction collective. Ces ateliers nous amènent à questionner le rôle et la place des experts
dans le dispositif pour le montage d’un projet comme celui de l’éco-quartier du Four à Pain.
Un habitant en décrit le fonctionnement :
« Y’avait tout un programme qui avait été fait par rapport à ces ateliers, ils étaient
thématiques et préparés par l’APEHPM et le paysagiste. On a travaillé sur différentes
thématiques : la gestion de l’eau, l’isolation, le volume, la représentation des volumes des
logements imaginés par les gens avec des maquettes et de la pâte à modeler, et aussi sur le
site, on a planté des piquets pour que les gens se représentent. Puis reprise des volumes sous
la forme d’esquisse et de petites maquettes, mises sur la maquette du terrain faite par le
CAUE. Y’a eu une thématique sur les émanations du radon, c’est quelque chose qui est
important ici par rapport au terrain et à la roche granitique. Sur la gestion de l’eau,
l’assainissement… Ça a créé un programme tous les deux mois. » (EP3)
Le rapport avec les experts est un élément distinctif du projet de Faux la Montagne. Les
experts, et surtout les compétences extérieures sont mises au service du projet, mais ne se
substituent pas au pouvoir de décision des habitants, qui cherchent à « toujours avoir la
maitrise du projet, même s’il y a eu recours à des experts, à des avis, ils n’étaient pas là pour
décider à notre place, de la commune et de l’assoce, mais bien pour donner des éclairages. »
(EH3). Le recours à des compétences extérieures peut se faire par le biais d’interlocuteurs
(tels que le paysagiste) ou encore par des voyages d’études (dont notamment un à HedeBazouges avec la DREAL). L’expert apporte un éclairage différent, des compétences
nouvelles, « Alain Freytet, paysagiste, qui par des visites, nous a fait arpenté le bourg, le
terrain de l’éco-quartier et nous a fait un peu redécouvrir tout ça, parce que quand on habite
dans un lieu au bout d’un moment on voit plus certaines choses. » (EP3)
D’autre part, plusieurs habitants ont eux-mêmes des compétences professionnelles qu’ils
mobilisent dans le projet (qu’il s’agisse d’un métier en lien avec l’environnement ou l’énergie
par exemple). À ce titre, un habitant multi-casquettes souligne la richesse d’un projet comme
celui de l’éco-quartier en termes d’acquisition de compétences/connaissances : « J’ai plus
appris en quelques séances que dans plusieurs années de boulot, dans les échanges entre
porteurs de projet, élus, des professionnels, des archis, urbanistes, paysagistes, chacun
amenant des techniciens, tout le monde confrontant sur un projet particulier sur une journée
ou une demi-journée ses points de vue et à croiser les approches, c’était hyper riche, et on
s’est aperçu que le non professionnel avait parfois perçu des trucs plus pointus que le
professionnel qui arrivait avec ses schémas, mais n’avait pas bien vu le projet. » (EH7).
L’ensemble du groupe, au fur et à mesure du projet, est monté en compétences sur des
domaines divers : « on a pas mal de compétences, arrivées après quelques années, on est
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intervenus dans des formations d’agents de l’État, près de Lille, j’y ai passé deux fois une
journée de cours sur les montages d’éco-quartiers. On a aussi acquis de la compétence nous
même. » (EH3), à tel point que « Sur certaines choses on est devenus aussi compétents… on
s’aperçoit quand on discute avec des professionnels qu’on est pas gênés. » (EH3) De cette
montée en compétences locales, est née la SCIC l’Arban : « La SCIC c’est un partenaire qui
nous aide comme un bureau d’étude, mais issu de la population. Ça faisait partie du projet de
territoire. Il fallait remplir une case manquante. Avec un bureau d’études de Toulouse ou
Niort, on ne peut pas demander à des gens de l’extérieur de s’ancrer pour comprendre le Ici.
On est atypique. » (EH4).
Vis-à-vis de l’expert, on observe une posture distanciée et critique. Cette posture distanciée
est d’abord visible dans la volonté affirmée de pluraliser les sources d’expertises, que ce soit
dans des domaines différents : « On a interrogé et fait venir beaucoup de gens de partout en
France, des bailleurs, des archi, des paysagistes, des gens du logement social pour essayer de
comprendre comment on pouvait imaginer un projet ici. » (EH7), ou au sein d’un même
champ : « On a la chance ici d’avoir un précédent avec Gilles Clément. C’est curieux, car on
a à la fois Clément, Freytet, école de Versailles, mais on a aussi au CAUE de la creuse 3
techniciens qui viennent d’autres écoles de Versailles. Là y’a débat. » (EH8). Plus
spécifiquement, il semble que le paysagiste s’intègre dans le projet également pour
contrebalancer la place des architectes : « Le paysagiste intègre mieux la dimension
territoriale d’un projet parce que l’architecte il batifole dans sa tête il a ses épures ses
machins et puis il ne regarde pas le territoire. » (EH8). L’objectif est alors bien de créer des
controverses sur les savoirs nécessaires au projet, et non pas de se faire dicter par un expert
extérieur la meilleure solution à appliquer.
Cette mise en controverse des savoirs est particulièrement visible dans les points de désaccord
entre les habitants et le paysagiste. Une habitante souligne directement le manque d’une
vision de terrain de ce dernier : « Le cahier des charges pour les plantations est décalé, il n’y
a pas de terre végétale, nous on a rajouté 200 m2 de terre. Il fallait préserver le potentiel de
germination etc mais à part du genêt y a rien. À mon avis il a fait ça sans venir voir la terre.
Ici c’était des sapins avant. Les recommandations de plantations sont utopiques. On est juste
d’accord qu’il ne faut pas thuyas et de lauriers. Moi j’ai respecté sans respecter, j’ai pas mis
de choses interdites, mais... je veux pas faire de la provocation, mais je pense que c’est pas
réfléchi avec une vision sur le terrain. Sur le papier c’est très beau, mais en vrai on manque
de terrain. » (EH2). Pour une autre, le désaccord porte sur l’ordre des priorités pour la
construction de son logement : « Avec Alain on s’est fritté plus d’une fois parce que pour moi
la priorité c’est l’économie d’énergie. Je pense qu’on peut faire ici des maisons sans
chauffage. Alain ne démordait pas d’inscrire les maisons sur les courbes de niveau et dans un
éco-quartier c’est pas possible. Donc il faut faire évoluer les choses. Le côté paysage a pris le
dessus sur l’éco construction. Il y avait plein de découpages possibles pour une meilleure
orientation. Alain, sa personnalité a fait qu’il a pris le dessus. » (EH5). D’autres habitants
expriment une méfiance vis-à-vis de la logique d’agence inhérente au travail d’un paysagiste
privé : « le paysagiste qui a dessiné ça, il aimerait se faire mousser, pouvoir afficher une
plaquette de l’éco-quartier avec des belles maisons contemporaines. J’ai senti une pression
pour avoir une belle « affiche » d’architecture contemporaine alors qu’à ce sujet la charte est
souple. Y’a pas marqué que c’est obligé d’avoir une archi contemporaine. » (EH1)
Finalement, c’est un apprentissage dans l’action qui se déploie ici chez les habitants, une
vision de l’expertise ancrée, et un rejet de l’expert distant appliquant un savoir sans tenir
compte des spécificités du territoire local. De la même manière, la recherche scientifique est
également critiquée pour sa posture abstraite et distanciée (voir ci-avant notamment le déroulé
de l’enquête sur l’accueil de notre démarche par les habitants et notre posture) : « Y’a une
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géographe qui a fait une étude sur la gentrification du plateau, en faisant des copiés-collés
d’études. Il voulait absolument plaquer la gentrification sur notre territoire. Ils concluaient
l’étude sur le fait qu’il n’y avait pas de phénomène de gentrification finalement, mais c’était
typique d’une étude où… le sujet était téléguidé et fallait faire rentrer l’étude dans le sujet et
non pas l’inverse. » (EH3). Dans le domaine de l’action territoriale, cette posture distanciée
vis-à-vis des habitants et du terrain est également critiquée : « y’a une tendance un peu
technocratico-bureaucratique du développement et de l’organisation de l’espace avec les
communautés de communes et tout le bazar, qui font qu’on a une multitude de techniciens qui
ne sont pas forcément en joint très fort avec la population. Ils réalisent des tas de projets,
mais ça manque de cohésion. » (EH8). Pour les experts dans le projet, cela nécessite de
changer leur manière de faire, et notamment, comme l’affirme l’un d’entre eux : « on ne
prend pas les gens pour des gamins, on les fait cheminer, et on fait accoucher les projets. On
ne vient pas s’ériger en sachant, il y a une certaine humilité à avoir. » (EP2)
5.2.2.4. Le rôle des élus : accompagner en donnant les outils et maintenir la cohérence dans le
temps
L’appropriation de l’éco-quartier par les habitants passe également par les élus et leur place
dans le projet. Quel est dès lors le rôle de l’élu dans cette dynamique ? Quelles sont ses
compétences spécifiques ? Quelle posture adopte-t-il ?
Le premier élément caractéristique des élus de Faux, et souligné par les habitants comme un
élément indispensable à un élu est leur proximité avec la population, que ce soit via la vie
culturelle : « Ici ça marche parce qu’il n’y a pas de distance entre les élus et les habitants.
Les élus vont aux soirées, aux concerts. » (EH4), et plus simplement dans le quotidien : « Des
bons élus, c’est ceux qui s’investissent dans la vie locale et s’intéressent aux citoyens de leurs
communes. » (EH6). Cette proximité des élus s’accompagne d’une posture ouverte : « Ici, ce
qui fait que le projet marche c’est que les élus sont ouverts, ils ont pas d’a priori. » (EH5)
D’autre part, dans le cadre du projet d’éco-quartier, les élus jouent un rôle fondamental
d’accompagnement, c’est-à-dire d’« aider pour que les gens puissent faire des choses
ensemble. » (EH5). Cette posture d’accompagnement est très délicate à tenir puisqu’il s’agit
d’aider sans faire à la place, pour un élu de la région, il s’agit d’« être comme un mécanicien
qui met de l’huile dans les rouages. Ici, les élus ont beaucoup de pouvoir. Mais il y a assez de
forces populaires pour mener des projets à bien. Nous devons redistribuer l’argent des gens
pour soutenir les projets des gens. Et c’est vraiment payant. Tous les politiques devraient se
rendre compte de ça. Il faut que les gens puissent investir sur leur territoire, qu’ils soient
acteurs de leur vie. » (EH4) Concrètement, sur le projet d’éco-quartier, cet accompagnement
a pris plusieurs formes. D’abord en termes de logistiques, avec une salle : « si la mairie
n’avait pas mis à disposition des locaux je sais pas si le projet aurait marché » (EH5), mais
aussi en termes de forces de travail « Ce qui nous a aidé, c’est qu’on a eu un stagiaire à la
Com Com à qui on a demandé d’organiser toutes les rencontres avec le DLA pour qu’on
puisse apprendre sur le champ de l’habitat locatif social. » (EP3), et enfin pour « trouver des
interlocuteurs » (EH5), sur les thèmes de recherche du groupe d’habitants.
Tout au long du projet, les élus ont également pour rôle de maintenir une certaine cohérence,
mais là encore, sans contraindre les participants : « Rôle de maintenir (sur des projets
complexes avec beaucoup d’acteurs) une ligne tout en laissant une latitude pour que le projet
soit intéressant, sans trop corseter, en disant clairement les choses pas possibles, mais en
laissant suffisamment d’initiative aux gens. Il doit permettre de garder la cohérence du
projet. » (EH7). En effet, cette cohérence maintenue par les élus doit également laisser la
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place aux habitants pour prendre leurs responsabilités : « Les élus ici nous conseillent
légèrement sur la charte, rien n’est dur. C’est de notre responsabilité. Ils seront là s’il y a des
dérives. » (EH1). Finalement, cette posture équivaut à un pari et à un acte de confiance vis-àvis des futurs habitants : « c’est un pari faut espérer que l’ensemble des propriétaires qui vont
construire, même si chacun va construire un peu différemment, soit assez proche du cahier
des charges et du règlement intérieur pour que l’ensemble garde sa cohérence. » (EH3)
Deux autres éléments constitutifs d’un élu sont également apparus lors des entretiens. D’une
part, le courage est apparu à plusieurs reprises comme un attribut de l’élu : « Elle ose certains
trucs et a du courage comme pour la station d’épuration ou l’éco-quartier. Elle s’est mis des
agriculteurs à dos quand il a fallu faire la station d’épuration parce qu’il fallait exproprier. »
(EH6). Et d’autre part, l’élu serait détenteur d’une vision à long terme, inscrite notamment
dans le paysage : « c’était aussi entre élus une réflexion : on commençait à voir les limites du
fait que des constructions se sont faites dans le paysage et on s’est dit il faut vraiment être
vigilants et qu’il n’y ait pas un mitage de la campagne de façon anarchique. » (EP3).
5.2.3. La composition du commun : imaginaires ruraux, motivations à s’installer dans l’écoquartier et valeurs d’autonomie et de responsabilité
5.2.3.1. Imaginaires : questionner les rapports villes-campagnes
Un phénomène global qui est l’objet de critiques vives des habitants rencontrés à Faux la
Montagne : la métropolisation et « l’urbano-folie » ambiante. Les géographes sont
directement pointés du doigt à cet égard : « Je pense qu’il faut arrêter chez vos collègues
géographes cette urbano-folie de laquelle on est prisonniers aujourd’hui. On ne pense
qu’urbain. La folie des TGV, qui ne relie que les métropoles, on métropolise tout. » (EH8)
Cette métropolisation ambiante amène à envisager un premier scénario pour le futur des
villes, celui qui continue la tendance actuelle à la densification et la généralisation du modèle
urbain (critiqué par les habitants de Faux), comme l’exprime un habitant « une grosse
concentration urbaine et tout le monde sera obligé de vivre en ville et les coins comme ici
vont se dépeupler à fond. » (EH6), « Aujourd’hui y’a un mouvement massif de densification
des villes, avec un discours bizarre disant que l’avenir est en ville, avec la logique que de
toute façon, le transport collectif on ne pourra le faire qu’en ville. Plein de choses ne
pourront se faire qu’en ville alors vite quittons les campagnes. » (EH7), ce scénario est déjà
en train de se réaliser, notamment dans la région : « Limoges est en train de s’urbano-centrer,
la région est en train de se confondre avec la ville de Limoges, on est encore dans ce délire
de mégavilles en concurrence les unes avec les autres, avec le discours européen, en
France 35 000 communes, gaspillage et, donc comme en Allemagne des gros länder avec des
grosses villes. » (EH3)
Dans ce scénario, la campagne est cantonnée à un espace de loisirs, de plus en plus
déconnecté de la ville : « Si on se base sur les scénarios de la DATAR la campagne allait
devenir le parc d’attraction de la ville qui va renforcer l’isolement. J’ai jamais habité en ville
dans une vraie ville et je la consomme de façon minimale. J’ai pas l’impression que ça aille
dans le bon sens. Il y a de moins en moins de transports entre Limoges et nous. Ça se coupe
l’un de l’autre. » (EH5), ou encore « La campagne ça devient un grand DisneyLand vu de
Paris. Les enfants quand ils voient une vache c’est à la télé ou sur une boite de vache qui rit.
Si vous habitez Paris intra-muros pour voir une vache faut pédaler longtemps. » (EH2)
Cependant, ce scénario est le plus souvent mis en doute par les habitants « Moi je vois pas
bien comment cette démarche est possible, demain. Ne serait-ce que pour répondre aux
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besoins de la ville, on a besoin de gens dans les campagnes. On voit bien on sent déjà, on voit
la logique de Limoges qui se recentre autour d’elle et laisse tomber les campagnes. Nous on
sent ca comme une menace et une difficulté supplémentaire. Après pour moi la ville a besoin
de la campagne et la campagne a besoin de la ville. Faut pas lutter contre le développement
des villes ou celui des campagnes, mais c’est un phénomène mondial que les villes grossissent
grossissent grossissent, et qu’à côté de ça les campagnes soit se meurent soit se demandent
quel est leur avenir. » (EH3). C’est ainsi le rapport ville/campagne qui est questionné : « Est
ce qu’on est dans un rapport d’enrichissement mutuel, c’est-à-dire les campagnes qui
nourrissent une ville qui a du sens ? Ou dans une ville qui pompe des matières premières et
du récréatif dans des campagnes désertes ? Entre ces deux pôles-là, qu’est-ce qui va se
vivre ? » (EH3)
Ce recul vis-à-vis de ce premier scénario (au fil de l’eau) amène à considérer un autre
scénario, inversé, d’un exode urbain vers les campagnes : « les gens vont revenir à la
campagne, essayer de développer les potagers, la vie locale, vivre plus simplement » (EH6),
ou encore « Moi je crois à une inversion du phénomène liée aux aspects énergétiques, à la rerégionalisation de l’économie et du coup peut être, en 10 ans ou plus, pour que de nouveaux
modes s’établissent entre la ville et la campagne. Sous l’angle de la production autonome
d’énergie et d’alimentation à l’échelle des territoires. Après ça dépend de quelle échelle on se
place, quel niveau est pertinent. En tous cas je vois pas comment demain Limoges peut faire
sans les campagnes du Limousin et même le plateau de Millevaches. Dès qu’on parle de
ressources, ils se tournent tous vers le plateau de Millevaches. Il faut bien que le territoire
soit maintenu par une population. Et c’est perçu très fortement par les élus ici. Ils essaient
dès qu’ils peuvent de dire que la ville n’est pas une fin en soi. » (EH7) Pour certains, ce
scénario est même déjà en train d’advenir : « l’exode urbain est aussi en train de se produire.
Pour le moment il est plutôt volontaire, mais demain l’exode ne serait peut-être pas vraiment
choisi. » (EH3). C’est ce scénario prospectif assez partagé parmi les habitants rencontrés qui
est à la base de la venue des habitants dans le quartier.
5.2.3.2. Motivations : fuir la ville et construire un autre mode d’habiter
Parmi les habitants de Faux la Montagne interrogés s’exprime une forte critique de la ville,
que la plupart d’entre eux ont d’une certaine manière cherché à fuir en venant à Faux. Cette
critique tient particulièrement à l’anonymat des villes, qui est régulièrement opposé à la
convivialité du monde rural : « C’est quoi la ville ? L’anonymat. On ne connaît pas les autres,
on ne sait pas ce qu’ils font, ici on sait ce qu’ils font, on les connaît. Alors que quand on
habite un éco-quartier comme ça, par exemple le soir on cause à trois-quatre, j’ai découvert
qu’un de mes voisins avait travaillé 20 ans dans une mine d’uranium… C’est du lien. En plus
de ça quand y’a 40 étages, comment voulez-vous que les gens se connaissent. Et en plus ils se
méfient les uns des autres. » (EH8) Pour une autre habitante, cette convivialité est inhérente à
la campagne : « tout ça se fait naturellement ici, plus facilement qu’en ville. À la campagne,
c’est sympa la solidarité. » (EH2), et bien sûr, elle n’est pas non plus exempte de mauvais
côtés : « dans un petit village comme ça, quand on fait partie de la communauté, vous savez
tout ce qui se passe (qui couche avec qui, qui est parti en vacances, revenu…). » (EH2)
Le monde rural serait également plus en phase avec la réalité : « Le mode de vie urbain ne me
va pas, c’est trop inhumain pour moi. Dans le rural, c’est plus apaisé, plus en phase avec la
réalité (la météo, la nature) pour se nourrir, se déplacer, prendre le temps. En ville, c’est
déconnecté. » (EH4), et donnerait plus de prises aux individus sur leur environnement : « Si
les gens quittent les villes, c’est parce qu’ils veulent plus de prise sur leur environnement. »
(EP2). Cette déconnexion passe par un mode d’appréhension du monde par le biais des
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medias : « la société urbaine est bloquée sur le sens de l’image et la télévision fait qu’on se
concentre sur soi et sur une connaissance du monde complètement déconnectée du réel. »
(EH8)
Enfin, le monde rural serait d’une certaine manière plus apaisé, en termes de rythme,
notamment grâce au transport : « ici on n’est pas bousculés… C’est une question de rythme de
transport. Les mobilités interurbaines sont terribles. » (EH8), mais également du fait de la
densité de population « On ne peut pas avoir de vie apaisée dans un ensemble de 30 millions
d’habitants. » (EH4), ou encore « Habiter ici ça signifie pouvoir respirer, en ville c’est pas
possible, j’y faisais rien, je connaissais 10 fois moins de gens. Et tous les we fallait que je me
sauve. Ici je suis plus à ma place. » (EH1). Cet apaisement est aussi lié à un sentiment de
« non-insécurité » comme le dit un habitant : « On a voulu fuir la ville et ses débordements.
Je m’aperçois que j’aime pas la ville. Ici je ferme rien ni maison, ni voiture. Sentiment de
non-insécurité. En ville c’est violent. » (EH2) Finalement, c’est d’une certaine manière contre
le modèle urbain que s’est développé Faux la Montagne : « c’est une façon de fuir la ville que
de s’installer ici. » (EH2)
Les individus impliqués dans le projet, qui pour certains sont arrivés récemment sur le plateau
de Millevaches « aspirent à vivre différemment » (EP3), leur venue à Faux et pour certains
dans l’éco-quartier résulte d’« expériences de vie ailleurs et des volontés de changement pour
pas mal, une volonté de vivre autrement. » (EH3).
Les habitants ont alors bien conscience que les personnes qui viennent s’installer sur le
Plateau (un « trou paumé » comme le dit un habitant – EH3) ne le font pas par hasard : « Les
gens qui viennent ont déjà une idée précise de ce qu’il y a ici. Ils veulent fuir la ville, ici, c’est
différent : il y a un projet politique sur l‘autonomie politique, alimentaire, vestimentaire.
Produire soi-même. Se déconnecter des circuits classiques. » (EH4), ce sont « des gens font le
choix de venir vivre ici alors que c’est pas facile, ils vont pas trouver un emploi dans une
entreprise, et pour pouvoir avoir les services, les commerces dont on a besoin dans la vie de
touts les jours, faut être créatif, imaginatif, faut retrousser un peu ses manches, pour créer
des activités. » (EP3).
Les personnes qui s’impliquent dans le projet et leurs motivations générales sont décrites par
un habitant rencontré :
« Ce sont des gens qui se pose des questions sur le sens de leur vie et pourquoi ils sont là. Y’a
des choses qui les gênent aux entournures et à un moment ils font des choix, ils se projettent
sur une autre façon de vivre. Avec peut-être plus de maitrise sur sa vie, plus de relations
sociales, avec une proximité, plus de cohérence entre ses idées/opinions et sa vie. Et aussi un
désir de passer à l’acte de pas être toujours dans ohlala on y peut rien on subit, mais peut
être que je peux être moi même pilote de mon bateau et non pas une coquille de noix qui se
fait balloter par les flots, et qui demande pas d’avoir un niveau intellectuel ou une formation
particulière, mais qui relève plus d’une prise de conscience. Ça ne relève pas d’une typologie
particulière ou d’une psychologie particulière, c’est plus à un moment donné une occasion,
une rencontre, une décision, le bon moment et puis voilà, c’est parti. (…) un autre élément
important c’est qu’on est forcément dans des dimensions collectives, ça se fait pas tout seul. »
(EH3)
5.2.3.3. Valeurs : écologie et responsabilité, convivialité et entraide
La première valeur qu’il nous semble important d’étudier chez les habitants de l’éco-quartier
est l’écologie, puisqu’elle est constitutive de l’idée d’éco-quartier. Or, l’« éco » dans l’écoquartier renvoie à l’écologie et au développement durable dans une interprétation forte :
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« quand le fameux triptyque du ‘’dd’’, on ne cherche pas à le galvauder, mais à s’en inspirer
sincèrement, ça donne des choses intéressantes, ce qui est intéressant justement c’est de
prendre en compte la complexité de la chose, la complexité d’habiter fait référence à plein de
choses à la fois : du culturel, de l’économique, du social, du minéral, paysager, tous ces
éléments-là. » (EH3) Cette interprétation forte débouche sur une optique globale qui renvoie à
un « habiter », comme le souligne un habitant : « autant faire du logement en intégrant un tas
de paramètres qui relèvent plus de la question de l’habiter que de se loger. C’est la prise en
compte de tout, les déplacements, les services l’intergénérationnel, la dimension écologique
des matériaux, des circuits courts de l’économie locale, de la plus value rapportée sur le
territoire. (…) On a essayé de brasser, d’avoir un éventail de réflexion sur quasi toutes les
questions qu’on peut se poser : un aspect économique, social, thermique, écologique... On a
essayé de fouiller assez loin pour autant que les éléments nous concernaient10. » (EH3)
L’écologie s’exprime alors à travers une valeur transversale : la responsabilité, qui a été citée
par plusieurs habitants : « Le plus représentatif des cinq mots pour décrire l’éco-quartier,
pour moi c’est d’être responsable, c’est par rapport à son mode de vie. » (EH1), cette
responsabilité renvoie à l’impact du mode de vie : « Le but c’est d’avoir un impact moindre. »
(EH1), et à une vision globale « La responsabilité c’est d’avoir une vision globale : tu vis et
tu consommes plein de trucs, tes poubelles ou elles vont. Tu peux être un éco-quartier, mais si
tu brules tous tes trucs de chantier, que tu jettes… C’est couillon, c’est un peu bête. » (EH1).
La responsabilité semble finalement être le maitre mot de l’écologie, qui s’exprime dans le
mode de vie : « L’écologie c’est un mode de pensée, un mode de vie, une responsabilisation.
Mais ça peut être une initiative individuelle sans être dans un quartier. » (EH2). L’écologie
est une motivation profonde pour s’installer sur le plateau et construire dans l’éco-quartier :
« contribuer personnellement aux défis environnementaux, c’était la clé, pour l’appliquer
chez nous au quotidien, y’avait pas d’autres manières que de construire sa maison. » (EH5),
ou encore « C’est l’idée de responsabilité, à petite échelle de participer à résoudre les
problèmes environnementaux. » (EH1).
Cette idée de responsabilité s’étend également aux liens interpersonnels : une certaine
bienveillance qui entoure les relations des individus : « Ici tout le monde se connaît il y a de
la bienveillance et de la solidarité entre les gens. Personne ne restera dans la merde tout seul
à souffrir. On a une copine qui fait une énorme dépression on a failli l’envoyer à l’hôpital
psy, mais elle y va pas, y’a un groupe qui s’est organisé qui se relaye et qui vient prendre
soin d’elle. On veille les uns sur les autres. » (EH5) Plusieurs habitants soulignent à ce titre
l’existence à Faux « d’autres types de liens entre les personnes. » (EH8), qui tiennent d’abord
à l’interconnaissance, c’est-à-dire au fait de pouvoir se voir, se rencontrer, se reconnaître, se
croiser, dans un village de moins de 400 habitants : « A Faux, je vois des gens tout le temps,
partout. Ici tu croises toujours du monde. » (EH1).
Dans un mouvement réciproque, ces nouveaux liens entre les personnes, qu’on pourrait
qualifier de convivialité, sont cruciaux pour les habitants rencontrés, en ce qu’elle permet de
mener des actions, notamment écologiques « c’était un point qui m’a donné envie de venir ici,
aujourd’hui en ville ou à la campagne, les gens se parlent plus beaucoup, connaissent peu
10
« Par exemple en termes de locomotion quand on a réfléchi sur des sentiers où les gens pouvaient se promener avec la
poussette sans passer par la voirie, quand on s’est posé la question du goudronnage ou pas de la voirie, de la largeur de la
voirie, quand on s’est posé la question sur la surface habitable maximum pour éviter d’avoir des petits manoirs, quand on a
réfléchi aux problématiques de l’eau pour faire que la totalité de l’eau qui tombait puisse rester sur le terrain et pas en sortir
par des principes de noues ou des avaloirs, des citernes de récupération d’eau pluviale. Quand on a réfléchi à
l’assainissement, on s’est vite aperçu que le terrain pouvait filtrer directement. Quand on s’est posé la question lampadaire
ou pas lampadaire. Sur les matériaux, les entreprises… » (EH3)
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leurs voisins, si on veut construire quelque chose de durable, et faire face aux enjeux
énergétiques, sociaux, c’est quand même compliqué et qui risquent de se tendre, l’idée
d’avoir des collectivités, des gens qui se connaissent, s’apprécient ou au moins savent ce que
fait l’autre et qui peuvent imaginer de faire des choses avec d’autres personnes pour moi
c’était important. » (EH7) Cette convivialité est conçue comme un soutien, une aide, de par la
dynamique qu’elle entraine, notamment en termes de modes de vie : « Ce qu’on attendait
nous c’était vraiment de faire notre projet de maison écologique et d’être entourés de gens
qui ont plutôt les mêmes idéaux de construction, et donc de mode de vie (ça va de pair), et
d’envisager tout ce qu’on allait pouvoir mutualiser, partager, de manière informelle, parce
qu’on allait vivre à peu près pareil : ça pouvait être tout et n’importe quoi, avoir une
tondeuse à plusieurs, des moutons, la gestion des enfants. » (EH3)
Plus spécifiquement dans le futur quartier, la convivialité est encore sujette d’espoirs (puisque
seule une maison est habitée au moment de notre enquête) : « J’espère que je ne me sentirai
pas isolé, j’espère que je pourrai toujours toquer à la porte du voisin pour du sel ou pour
faire une bouffe. Ça risque d’être différent surtout au début, mais ça va se créer. Je connais
beaucoup de gens et tous les futurs propriétaires. C’est dynamisant. On n’a pas trop de
difficultés pour rencontrer des gens ici. » (EH1), ou encore « Ils ont un fort désir à ce qu’il y
ait des rencontres et pas vivre à côté les uns des autres, qu’il y ait de liens. » (EP3) Cette
convivialité dans le quartier pourra être favorisée par des équipements et lieux collectifs :
« Y’aura le four à pain, y’aura des choses collectives, j’espère, j’espère que ça sera bien.
Verger, potager. J’espère qu’il y aura une vie de quartier qui peut se créer » (EH1).
5.2.4. Intégration de l’éco-quartier au sein de la commune et diffusion dans le territoire
Au-delà du déroulé du projet, nous nous sommes également interrogés sur la manière dont un
éco-quartier comme celui-là était un embrayeur sur de nouvelles conceptions de la ville, et
comment ses habitants en envisageaient la possible généralisation ou diffusion.
5.2.4.1. Pas de statut d’exception pour un éco-quartier qui cherche à s’intégrer dans la
dynamique générale du bourg
L’un des objectifs majeurs du projet est de ne pas donner de statut d’exception à l’écoquartier, de ne pas en faire « une réserve d’Indiens ». Comme le dit un habitant : il faut « qu’il
n’y ait pas une spécialisation du quartier, qu’on ne lui fasse pas un taxi pour aller à l’école.
Je condamnerai ça fortement. Mais c’est la tradition aujourd’hui. Les parents vont le
demander, mais il faut résister à ça. » (EH8). Ce statut d’exception est également lié à une
image de l’éco-quartier comme « quartier de bobos » : « Certains pensent que ça fait ghetto,
dans le sens ils veulent être tous ensemble, ils veulent pas être avec nous. L’artisan qui habite
juste en face, il trouve que ça fait trop de contraintes, du coup ça va faire une maison trop
chère et ça sera pas accessible aux gens d’ici. Mais il n’a pas non plus conscience que la RT
a changé et qu’il y a d’autres contraintes pas liées à l’éco-quartier. Y’a un petit préjugé. »
(EH5)
Pour contrer cette tendance à la stigmatisation du quartier, les équipements collectifs du
quartier joueront un rôle clé : « La halle peut devenir un espace de vie pour des fêtes, ça peut
déplacer la place du village, il y a aussi les potagers communs. » (EH1). D’autre part,
l’intégration paysagère est pensée dans cette optique, via le choix de faire trois bandes
successives : « Avec le paysagiste on a travaillé pour qu’il y ait une espèce de greffe qui se
fasse avec le bourg existant, c’est pour ça qu’on a trois bandes constructives sur l’écoquartier. Sur la première, on a obligation de mitoyenneté des bâtiments pour rappeler la
façon dont sont construites les maisons de façon traditionnelle ici. Sur la 2e bande, y’a plus
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cette obligation de mitoyenneté, mais le lien entre les bâtiments est souligné par soit des
petits bâtiments annexes soit des murets et sur la 3e bande, c’est laissé plus libre pour une
création architecturale plus libre. » (EP3)
Cette approche paysagère permet également de penser le bourg dans son ensemble et d’en
envisager la possible urbanisation future du village : le paysagiste a « d’abord montré la
topographie du lieu, comment le village existait et fonctionnait avant même l’éco-quartier, et
à partir de là, forts de cette lecture là partagée, comment faire une greffe et non pas un
furoncle, l’idée c’était de faire un projet qui pouvait être à court terme l’éco-quartier, mais
en ayant une visée qui aille plus loin. » (EH3).
5.2.4.2. Inspirer plus que dupliquer l’éco-quartier pour renouveler l’urbanisme
Plus largement, en ce qui concerne la possible généralisation de l’éco-quartier, les habitants
rencontrés sont particulièrement inquiets à l’idée que l’éco-quartier du Four à Pain soit repris
sous forme de modèle duplicable/dupliqué : « J’ai regardé sur le label, la maire a insisté la
dessus, elle dit attention au coté usine à gaz de la normalisation et du label, il faut laisser des
espaces de créativité, que ça soit plus une incitation, de dire voilà, eux ils ont fait comme ça
et c’est un exemple, vous pouvez vous en inspirer, mais attention aux copiés-collés, au
principe du modèle. Ca c’est catastrophique le modèle, et l’État fonctionne énormément
comme ça, il voudrait qu’une fois que quelque chose est fait, qu’il puisse le dupliquer à gogo,
c’est tellement plus simple, ça rentre dans les cases, mais la vie elle fonctionne pas comme
ça. Et c’est difficile de faire rentrer ça dans la tête de l’Etat parce que les gens sont formatés
pour ça, et ça va de pair avec ce gros truc tragique qu’on appelle l’évaluation permanente. »
(EH3)
L’idée est d’inspirer, de donner un exemple en forme de pied de nez : « si nous alors qu’on
est pauvres, qu’on n’a pas beaucoup de moyens, on y est arrivés, qu’est-ce qui empêche un
tas d’autres gens de faire la même chose ? Ou de faire à leur sauce. C’est plus une mise en
route, un pied de nez pour dire, nous on l’a fait donc c’est possible. On est un aiguillon, on a
été à un moment donné laboratoire. Sachez que ça existe, allez-y, réfléchissez dans votre
coin, ne vous laissez pas imposer par les autres votre développement et votre façon de
vivre. » (EH3). Il s’agit d’« entrainer une curiosité positive de la part des autres, une
émulation. » (EH7).
Plus encore, il faut dépasser le projet même d’éco-quartier : « il ne faut pas focaliser sur
l’éco-quartier, c’est un état d’esprit qu’on essaie de mettre en place bien au de la de l’écoquartier, sur la commune et la communauté de communes » (EP3) Et d’ores et déjà, le projet
« fait petit à petit tache d’huile dans la communauté de communes » (EP3).
Cette diffusion passe par la SCIC l’Arban, atelier d’urbanisme rural, dont les projets sont
présentés par un habitant, membre du conseil d’administration de la SCIC :
« L’Arban c’était l’envie de continuer parce qu’il y avait d’autres projets et depuis
effectivement, on est intervenus sur des plans de bourgs, là encore avec une dynamique de
pas à pas, c’est-à-dire que plutôt que de se dire on va se lancer dans un SCoT ou un PLU
intercommunal qui sont des grands mots qui ne veulent pas dire grand-chose à la population,
on va commencer par des demandes très spécifiques. C’était par exemple il y a deux ans, la
commune de Gentioux à côté, qui a un bâtiment de la Poste et se pose des questions sur
l’installation de la Comcom qui est à l’étroit et qui donc missionne l’arban pour réfléchir à
l’utilisation d’un bâtiment par rapport à des besoins. Nous on lance ce projet là avec un
principe de concertation de la population, donc réunion publique, groupe de pilotage des
personnes volontaires associées à la commune et on fait un 1er projet, et en commençant à
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travailler la dessus sur les besoins on s’aperçoit que le bourg, la municipalité veut en faire
plein de choses et ça remue dans tous les sens et si on fait ça là, on peut bouger à droite à
gauche et créer un machin. Et ils décident de faire toute réflexion sur une carte communale,
avec une mise en perspective sur du long terme : que pourrait être le bourg demain dans 10
ou 20 ans. On finit cette étude avec une participation exceptionnelle, le maire et la population
étaient emballés. Même principe, mais du coup y’a eu des plans, des visites avec un
architecte paysagiste qui ont permis à la population de dire voilà comment est foutu votre
village, comment il fonctionne et maintenant quels sont vos désirs. Retour avec pâte à
modeler, pour jouer sur les volumes, imaginer quels sont les désirs, quelles sont les envies
des gens et tout ça, sous forme de cartographie un peu interactive, l’idée derrière, pas à pas,
si on renouvelle ça dans plusieurs communes qui y voient de la pertinence, ça permet à terme
d’imaginer de faire un PLU intercommunal et là pour le coup les gens auront compris ce
qu’est l’urbanisme : c’est pas une décision qui vient d’en haut, avec une réglementation,
comme y’a 50 ans on a décidé le remembrement, mais c’est quelque chose de partagé, de
réfléchi et qui relève de la projection sur du long terme et de l’implication des gens. » (EH3)
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6. Analyse transversale : vers la construction d’un « nouveau »
commun par les écoquartiers ?
6.1. Rappel des terrain et portraits croisés des modes de vie : trois terrains, trois
approches
6.1.1. Rappel sur les trois cas d’étude
L’éco-quartier des Résidences du Parc, sur le quartier d’En Gach, se situe à Graulhet, une
commune de 12 300 habitants, située entre Toulouse et Albi. Sur 6 ha, l’éco-quartier compte
212 logements pour 500 habitants. Cet éco-quartier est né d’une opération ANRU initiée en
2001. L’enquête de terrain que nous y avons mené en juillet 2013 nous a permis de rencontrer
15 habitants, par du porte-à-porte. L’enquête s’est révélée difficile, avec un nombre de refus
d’entretien élevé et des difficultés diverses (qu’elles soient linguistiques, ou plus personnelles,
financières ou psychologiques, chez les habitants rencontrés). Les habitants ne savaient pas
que leur quartier était engagé dans la démarche éco-quartier, ce qui nous a amenés à ne pas
mettre en place de groupe de discussion sur un sujet qui n’était pas approprié par les
habitants, et à investiguer plus avant le projet et ses notions plutôt chez les acteurs
professionnels et institutionnels (dix entretiens réalisés).
L’éco-quartier des Courtils est situé à Hede-Bazouges, une commune de 1700 habitants entre
Rennes et Saint-Malo. Il s’agit d’un nouveau lotissement. Le dispositif d’éco-quartier aux
Courtils se caractérise par un cahier des charges techniques, portant principalement sur les
matériaux, et sur l’installation sur chaque lot d’une cuve de récupération des eaux pluviales,
l’usage de panneaux solaires, et quelques autres considérations, notamment urbanistiques et
paysagères sur les types de végétations acceptées dans l’éco-quartier. Le projet est d’abord
celui d’un élu, souhaitant arrêter un projet de lotissement classique. En partie autoconstruit, ce
quartier est habité depuis 8 ans, et une nouvelle tranche a été ouverte à la construction il y a
deux ans. L’enquête de terrain à Hede-Bazouges s’est déroulée en trois temps, entre
septembre et novembre 2013. Y ont été menés 17 entretiens avec des habitants et un groupe
de discussion réunissant 7 habitants. Ce terrain s’est révélé particulièrement accueillant et
parfaitement idoine pour notre recherche sur les modes de vie prospectifs.
Enfin, à Faux la Montagne, village de 370 habitants, nous avons rencontré un groupe
d’acteurs (au nombre de 11), habitants, élus, professionnels, engagés depuis 10 ans dans une
réflexion sur l’habitat dans le territoire, qui a débouché sur le projet de l’éco-quartier du Four
à Pain, comprenant 15 logements. Au moment de notre enquête, seule une maison était
habitée et trois autres en cours de construction. Ce quartier est majoritairement autoconstruit,
en matériaux bois. Notre enquête a été accueillie avec défiance de la part des acteurs
rencontrés, révélant une volonté de garder la maîtrise du projet et de préserver la singularité
de l’initiative menée. Cette défiance a été dissipée par notre posture non pas d’experts, mais
bien plus d’acteurs-chercheurs. En raison de la force du collectif rencontré (appartenant au
même réseau de solidarité et engagés dans une réflexion commune de longue date),
l’organisation d’un groupe de discussion s’est révélée inutile et redondante vis-à-vis de la
richesse des entretiens menés (d’une durée variant d’une heure à deux heures trente).
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Principales caractéristiques socio-spatiales des projets et éco-quartiers sélectionnés
Four à Pain à Faux la
Montagne
Les Courtils à HedeBazouges
Les Résidences du Parc à
Graulhet
Région
Limousin
Bretagne
Midi-Pyrénées
Département
Creuse (23)
Ille-et-Vilaine (35)
Tarn (81)
Commune
Faux-la-Montagne (371 hbts)
Hédé-Bazouges (1932 hbts)
Graulhet (12 229 hbts)
Type
d'urbanisation
Milieu rural (PNR de
Millevaches)
En périphérie de Rennes (20
km)
En grande périphérie de
Toulouse (60 km)
Superficie
2 ha
2,5 ha
6 ha
Type de projet
Extension urbaine
Extension urbaine liant le
centre bourg et un petit bourg
Projet de Rénovation Urbaine,
à 800m du centre-ville
Budget
212 550 €
700 000 €
24,14 millions d'€
Calendrier
Concertation depuis 2004,
début des travaux en 2010,
premières livraisons en 2012
Démarche initiée en 2001,
livrée en 2008
Travail collaboratif depuis
2001, livré en 2012
Nb de
logements
14 à 15, dont 3 sociaux
32 (22 en libre-accession, 10
sociaux)
212 (sociaux uniquement)
Nb
d'habitants
50
75
500
Équipements
Jardins partagés (verger,
potager), lieu de compostage,
four à pain (rénovation), halle,
parking
Garages groupés
Espaces publics (parc urbain
boisé, placettes,
cheminements), école
Une association d'habitants à
l'origine du projet, devenue
une SCIC accompagnant
l'auto-construction et la
participation
Réseau d'entraide de
communes pour un
développement durable (la
BRUDED)
Fort encadrement
réglementaire (PRU, CUCS,
PLU, PLH, ZPPAUP-AVAP,
Agenda 21, Trames Vertes et
Bleues)
Ateliers d'écriture
architecturale avec les
habitants
Architecture innovante et
diversifiée, auto-construction
et habitat groupé
Objectif de reconnecter un
quartier résidentiel dégradé au
centre-ville
Travail avec le secteur de
l'économie sociale et solidaire
(ressourceries, insertion...)
Travail avec des associations
locales (café associatif,
commerces bio…)
Travail avec l'AGORA, Régie
de Territoire auprès des
habitants
Situation
Description
Spécificités
Bureau de recherches Aménités (2013)
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6.1.2. Portraits transversaux des modes de vie dans les éco-quartiers étudiés
Sur le plan de la consommation, l’élément commun aux trois éco-quartiers est la volonté de
réduire sa consommation, en redéfinissant ses besoins. Si à Graulhet, cette volonté est
directement liée, selon les discours, à des contraintes économiques, à Hédé-Bazouges, ce
discours est encore émergent chez les habitants rencontrés lorsqu’à Faux la Montagne, il est
prédominant. Le contrôle des sources d’approvisionnement (qu’il s’agisse de faire soi-même,
ou de choisir ses producteurs, en achetant plus local, et en portant attention aux impacts
environnementaux des produits) est une préoccupation majeure chez les habitants rencontrés à
Faux la Montagne, tandis que ce thème est encore émergent à Hédé-Bazouges parmi quelques
habitants et qu’il est globalement absent à Graulhet. Enfin, dans les trois éco-quartiers, les
habitants ont recours aux grandes surfaces pour une partie plus ou moins importante de leurs
achats. Cependant, à Faux la Montagne prédomine une critique de ce système de
consommation. Il semble donc que l’horizon visé que l’on peut induire de ces évolutions soit
celui, à différentes degrés, d’un mode de vie plus sobre et plus maitrisé (par une redéfinition
de ses besoins, une réduction des consommations, et une implication dans les sources
d’approvisionnement).
Directement connecté à la question de la consommation, le tri des déchets est une pratique
engagée voire dominante dans les trois éco-quartiers. Le compost est en germe à Graulhet,
tandis qu’il est largement dominant à Hédé-Bazouges et Faux la Montagne. L’idée de
recycler, de réduire les rebus, même si elle reste par le tri déléguée à un tiers, est présente
dans les trois éco-quartiers. Par ailleurs, on note dans les trois éco-quartiers des pratiques que
l’on pourrait qualifier de recyclage social : vides greniers, dons et échanges informels,
récupération et remise à neuf d’objets usés… Encore une fois, ici, l’horizon visé est celui
d’une réduction de la consommation et le recours à des sources d’approvisionnement mieux
contrôlées.
Sur le plan de l’habitat, à Graulhet, l’attention portée en amont aux matériaux et à la réduction
des consommations énergétiques ne trouve pas d’écho chez les habitants du quartier, dont très
peu notent avoir réduit leurs dépenses énergétiques dans leur budget logement. À HédéBazouges comme à Faux la Montagne, une attention est portée aux matériaux de construction,
à l’utilisation de ressources locales, dans l’optique d’économies d’énergies, mais également
de confort personnel. D’autre part, l’auto-construction, comme les pratiques plus quotidiennes
de bricolages sont assez répandues dans ces deux éco-quartiers. Enfin, l’insertion paysagère
de la maison est un élément qui est apparu comme très important dans plusieurs entretiens, à
Bazouges comme à Faux. Là encore, la maîtrise apparaît en filigrane comme unissant les
modes de vie. Cette maîtrise, qui passait majoritairement par une redéfinition des besoins sur
le plan de la consommation, se teinte ici de réappropriation technique, sur le plan de la
composition des lieux et de la construction du logis, et dans le façonnement de son esthétique.
Suivant en cela les savoirs dès lors mobilisés, les rapports au travail constituent un
questionnement émergent à Graulhet, là encore suite à de contraintes économiques : les
habitants rencontrés souhaiteraient travailler près de chez eux, notamment pour réduire leurs
coûts de transports. En revanche, à Hédé-Bazouges le rapport au travail a déjà commencé à
changer : d’une part, certains habitants commencent à travailler de chez eux, et de ce fait,
l’idée d’avoir un lieu de co-working sur le quartier a commencé à être discuté ; d’autre part, la
venue sur l’éco-quartier a amené certains habitants à interroger leur activité professionnelle et
à effectuer des changements de trajectoire dans ce domaine. De la même manière, à Faux la
Montagne, la question de l’activité économique est identifiée par les habitants comme
cruciale, les habitants s’étant installés sur le plateau le plus souvent en lien avec une réflexion
sur leur activité professionnelle (dans une recherche de sens pour l’habiter et son territoire).
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Par le travail, la recherche de maîtrise touche au système économique et l’horizon visé devient
celui d’une certaine relocalisation du travail en tentant de réconcilier cette fois-ci les besoins
des habitants et les ressources « économiques » du territoire local.
Les transports sont quant à eux un thème sur lequel l’ensemble des habitants rencontrés dans
les trois éco-quartiers s’accorde, pour d’abord souligner l’existence de difficultés : tous
utilisent la voiture et la volonté de réduire son usage y est partout présente (pour des raisons
économiques et écologiques). Pour réduire cette dépendance à la voiture, on observe la mise
en place de pratiques de covoiturage (bien qu’elles ne soient pas appelées covoiturage à
Graulhet, mais relèvent bien plutôt de l’entraide et du sens commun), le recours aux transports
publics et aux modes doux. Enfin, en particulier à Faux la Montagne, cette question des
transports est abordée sous l’angle de la réduction des raisons de se déplacer (notamment via
les achats groupés et la réduction de la consommation personnelle).
Enfin, et non le moindre, en termes de rapports à la nature, le jardinage est très courant à
Hede-Bazouges et à Faux la Montagne, tandis qu’il ne s’agit encore que d’un souhait exprimé
par des habitants rencontrés à Graulhet, mais par contre où l’on assiste à l’installation de
végétaux dans les halls d’immeubles (de même qu’une revendication forte d’utiliser les
espaces verts pour pouvoir y faire du sport). Dans ce registre, Hede-Bazouges se singularise
notamment par la recherche de matériaux naturels, locaux et biodégradables pour la
construction des maisons, lorsque à Faux la Montagne le paysage est convié dans
l’aménagement à l’échelle du quartier comme à celle des maisons.
En ce qui concerne les relations sociales, les habitants rencontrés à Graulhet souhaitent
également que le quartier soit plus animé, certains parlent d’ailleurs de se monter en
association. Cette évolution est peut-être l’une des plus importantes sur le plan des modes de
vie dans ce quartier, puisqu’elle prend place dans un lieu longtemps stigmatisé et à l’histoire
violente. La rénovation en éco-quartier du quartier a pu en changer l’image et en apaiser le
cadre de vie, insufflant une envie de convivialité, de rencontres, de construction en commun,
de construction du commun. Notons d’ailleurs que les espaces publics aménagés avec des
bancs dans le quartier sont déjà fort appropriés, notamment par des mères de famille du
quartier, après l’école. Enfin, à Hede-Bazouges comme à Faux la Montagne, la richesse de la
vie sociale et culturelle est soulignée comme un élément qui forme la clé de voûte des modes
de vie exposés. L’idée de collectif, de solidarité, est rapportée par les habitants comme un
élément indispensable pour cheminer vers des modes de vie plus écologiques, au fondement
de nouveaux communs.
Tableau de présentation synthétique et thématique des modes de vie et de leur évolution
dans les trois éco-quartiers étudiés
Thème
Pratiques et enjeux
Réduire sa consommation
Consommation
Transports
Réduire le recours aux grandes
surfaces
Contrôler les sources
d’approvisionnement
Porter attention aux produits et à
leur impact environnemental
Réduire l’usage de la voiture
Graulhet
HédéBazouges
Faux la
Montagne
Subi
En germe
Prédominant
Inexistant
En germe
Prédominant
Inexistant
En germe
Prédominant
Inexistant
En germe
Prédominant
Subi
Souhait
Souhait
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Habitat
Réduire les raisons de se déplacer
Inexistant
En germe
Prédominant
Recourir aux modes doux
En germe
En germe
En germe
Recourir aux transports en
commun
En germe
En germe
Impossible
Recourir au covoiturage
En germe
En germe
Prédominant
Faire des économies d’énergie
En germe
Prédominant
Prédominant
Recourir à des ressources locales
Inexistant
En germe
Prédominant
Choisir une architecture
bioclimatique
Inexistant
Prédominant
Prédominant
Opter pour un habitat modulable
Inexistant
Inexistant
En germe
Subi
En germe
Prédominant
Inexistant
Prédominant
Prédominant
Prédominant
Prédominant
Prédominant
Faire du compost
En germe
Prédominant
Prédominant
Redéfinir son activité
Inexistant
En germe
Prédominant
Souhait
En germe
Prédominant
Souhait
Prédominant
Prédominant
Souhait
Prédominant
Prédominant
Bricoler, auto-construire sa
maison
Réduire ses déchets
Déchets
Travail
Faire le tri
Travailler à proximité / de chez
soi / dans un espace de travail
collectif
Rapport à
Jardinage
la nature
Relations
Animer le quartier/la commune
sociales
Bureau de recherches Aménités (2013)
Au final, on voit se dessiner un gradient. Partant de (1) Graulhet, où les modes de vie évoluent
lentement, d’abord de manière subie (pour des raisons économiques), mais où émerge une
capacité d’évolution prenant appui d’abord sur la question des espaces publics et de
l’animation du quartier, pour passer à (2) Hede-Bazouges, où les changements de modes de
vie sont bien présents et reconnus, mais pour beaucoup encore en germe (c’est-à-dire ne
touchant encore seulement qu’un fragment de la population), pour finir par (3) Faux la
Montagne où les modes de vie que l’on pourrait qualifier d’écologiques prédominent et où
l’ensemble des thèmes est peu ou prou approprié. Enfin il est frappant de noter que les
transports et en particulier l’usage de la voiture sont un thème sur lequel les trois éco-quartiers
achoppent, contre toute attente, assez ostensiblement.
Ici, l’analyse des valeurs environnementales permet d’expliquer, en partie, le commun que les
modes de vie ainsi synthétisés par thèmes semblent dessiner, et ce pour les trois éco-quartiers.
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Encadré 11. Le poids des valeurs environnementales dans la gradation de l’évolution des modes
de vie
Pour mettre en évidence les valeurs environnementales, nous avons utilisé l’échelle New Ecological
Paradigm provenant des travaux de Dunlap et Van Liere (2000). Cet outil permet d’analyser la
conscience environnementale et le lien des individus à l’environnement global en questionnant
notamment (1) les croyances relatives à la capacité des individus à de modifier l’équilibre naturel, (2)
l’existence d’une limite au développement pour les sociétés humaines et (3) les croyances en lien
avec la légitimité humaine d’avoir le pouvoir sur le reste de la nature.
Pour ce faire, les participants sont invités à répondre à 15 affirmations à l’aide d’une échelle type
Likert allant de 0 à 4 (0 correspondant à « pas du tout », 4 correspondant à « tout à fait d’accord »).
Ces items (cf. Encadré 4.) peuvent être regroupés selon cinq sous échelles qui mesurent
respectivement la croyance en la réalité des limites au développement (items 1,6,11), l’antianthropocentrisme (items 2,7,12), la croyance relative à la fragilité de l’équilibre naturel (items
3,8,13), la perception d’une soumission humaine aux lois de la nature (items 4,9,14), la possibilité
d’une crise écologique (items 5,10,15). Un score par sous échelle puis un score global a été calculé
pour chaque terrain. La prise en compte des données tous terrains confondu n’a pas été jugé
pertinente dans la mesure où il s’agit de territoires trop différenciés. La mise en commun de
l’ensemble des données n’auraient, à ce titre, pas eu de sens.
Le score global ainsi obtenu est compris entre 15 (faibles considérations environnementales) et 75
(fortes considérations environnementales), la moyenne de référence retenue par les auteurs (op. cit.)
étant de 53.3. Certaines questions étant posées sous la forme négatives (2, 4, 6, 8, 10, 12, 14) nous
avons recodé les résultats dans le but d’homogénéiser la valence des réponses.
Tableau des moyennes relatives aux valeurs environnementales par éco-quartier
Territoires
Total
/ 75
Limite
développement
/15
Antianthropocentrisme
/15
Fragilité
nature
/15
Humains
légitimes
/15
Eco-crise
/15
Graulhet
54,5
10
12,25
13
9,25
10
Faux
la
Montagne
63,3
11,12
13,37
12
13,12
13,75
Hédé
Bazouges
59,2
9,66
12,93
12,46
11,33
12,8
Bureau de recherches Aménités (2013)
Tout d’abord, on note une forte disparité du taux de réponse aux questions concernant les valeurs
entre les groupes. Pour Graulhet seules 4 personnes sur 15 ont répondu aux questions portant sur les
valeurs tandis qu’ils sont 8 sur 11 à Faux la montagne et 15 sur 17 à Hédé Bazouges. Ceci est, de
notre point de vue, d’abord corrélé au niveau d’éducation et la catégorie socio-professionnelle des
enquêtés. Cependant, en étroite correspondance avec l’analyse qualitative menée, le taux de non
réponse à Graulhet peut aussi se comprendre comme une forme d’absence de questionnement initial
relatif à l’environnement. A l’inverse des enquêtés d’Hédé-Bazouges ou encore de Faux la Montagne,
qui, par leur implication personnelle et collective (par exemple dans le montage du projet écoquartier), ont davantage été amenés à lier leurs valeurs à leurs actions de construction favorisant ainsi
une réflexion sur leurs rapports à l’environnement.
Graulhet : des valeurs environnementales présentes mais encore timides
Bien que la moyenne des valeurs environnementales soit au-dessus de la valeur limite fixée par les
auteurs (Moyéchantillon= 54,5 pour une limite à 53.3), les valeurs environnementales ne sont pas très
élevées. Les enquêtés sont donc dans l’ensemble plutôt attentifs à l’environnement et à sa
préservation mais cette sensibilité est encore fragile. Si l’on creuse les données en analysant les
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moyennes des sous échelles, on note que les répondants sont conscients de la fragilité de nature (Moy
= 13/15) et qu’ils ont plutôt tendance à considérer l’humain comme une partie d’un système naturel
complexe et à ne pas garder l’anthropocentrisme comme valeur de référence (Moy = 12,25). Les
moyennes concernant les croyances relatives aux limites de l’environnement, à la légitimité de
domination humaine sur la nature et à la croyance en une éco-crise sont en revanche nuancées et ne
témoignent pas d’une adhésion franche à ces valeurs. Les résultats sur ce point témoignent donc
d’une relative incertitude face au devenir environnemental global.
Hédé-Bazouges : une relation positive à la nature
La moyenne relative aux valeurs environnementales est ici plus élevée. Dans cet échantillon, on note
toutefois un niveau plus bas pour la moyenne relative aux valeurs concernant les limites du
développement comparativement aux autres valeurs. Ce qui semble signifier que les enquêtés
d’Hédé-Bazouges sont moins conscients ou inquiets des limites du développement que les deux
autres groupes, et surtout que celui de Faux la Montagne. Ceci témoigne d’un regard somme toute
positif vis-à-vis de la conservation des ressources naturelles et des capacités humaines à trouver des
solutions pour rétablir un équilibre naturel.
D’une manière générale, si la croyance liée aux limites du développement est globalement assez
faible dans les trois groupes, ceci est à mettre en lien avec la représentation du changement
climatique. En effet, la cognition humaine n’est pas apte à percevoir directement et physiquement le
changement climatique, du fait de sa lente évolution et ceci se traduit dans les comportements et
croyances relatifs à l’environnement (Pawlik, 1991). Le changement climatique et son évolution
serait donc davantage appréhendable au travers des communications sociales qu’au regard des
expériences sensorielles vécues par l’individu. On peut dès lors, au regard de cette information,
comprendre pourquoi les habitants de ces quartiers ont du mal à se positionner relativement au
devenir environnemental global.
Faux la Montagne : une forte adhésion aux valeurs écologiques malgré l’incertitude liée à
l’évolution environnementale
Enfin, les enquêtés de Faux la Montagne sont ceux pour qui la moyenne des valeurs
environnementales est la plus élevée. Ceci signifie que ce groupe s’inscrit dans une démarche proenvironnementale plus marquée comparativement aux deux groupes. Mis à part, comme
précédemment, la moyenne concernant les croyances liées à la limite du développement, les
moyennes des sous échelles sont relativement similaires, nous amenant à penser que les différentes
valeurs portées par les enquêtés ont un poids semblable dans leur relation à l’environnement. Ainsi
les habitants interrogés à Faux ne valident pas une vision dominatrice de l’homme sur la nature
(anthropocentrisme) et ont conscience de la fragilité de la nature, comme d’assister à une crise
environnementale globale.
Mais, si ces communs par les modes de vie s’appuient pour beaucoup sur des valeurs
environnementales singulières, ils s’incarnent d’abord surtout dans l’expérience à la fois
individuelle et collective de l’agir.
6.2. L’éco-quartier comme politique du commun : l’expérience de la norme et
construction de modes coopératifs de l’action
Sur le plan général du lien entre modes de vie et éco-quartier, il semble à première vue que le
changement de mode de vie ne soit pas, et ce dans aucun des trois éco-quartiers analysés, un
élément de motivation à venir s’installer dans le quartier.
À Graulhet, le terme d’éco-quartier ne rencontrant pas d’écho, et les habitants ne choisissant
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pas nécessairement de s’installer dans le quartier puisqu’il s’agit de logement social, les
modes de vie et leur possible transformation au sein de l’éco-quartier ne constituent pas un
sujet pour les habitants rencontrés. Les dispositifs mis en place par la municipalité pour faire
évoluer les modes de vie sont finalement assez peu appropriés : qu’il s’agisse de la navette de
transports publics gratuite, que les habitants rencontrés n’emploient pas, ou des poubelles
enterrées qui ne sont pas réellement utilisées par les habitants (ou qu’ils ne connaissent pas).
Il n’en demeure pas moins que les modes de vie à Graulhet sont dans une dynamique que
d’aucuns qualifieraient de durable. Cependant la majorité des évolutions ressortant d’une
certaine durabilité ne sont pas choisies, mais bien subies par les habitants, pour des raisons
économiques.
À Hédé-Bazouges, le terme d’éco-quartier est assez peu approprié par les habitants
rencontrés, qui cherchaient un autre mode d’habiter (plus proche de la nature, moins urbain),
mais voient l’éco-quartier comme une opportunité plus que comme une condition à la mise en
place de ce mode de vie. Enfin, à Faux la Montagne, la perspective est inversée puisque ce
sont des modes de vie existants, alternatifs, sur le plateau des Millevaches et plus
spécifiquement à Faux, qui ont conduit à la mise en place de l’éco-quartier du Four à Pain.
Ainsi, le rôle de l’éco-quartier dans l’évolution est à resituer socialement et politiquement : il
s’agit dans deux cas sur trois d’individus déjà engagés pour un changement de leur mode de
vie qui s’installent dans l’éco-quartier et non pas le fait de vivre dans l’éco-quartier qui induit
un changement des modes de vie. Toutefois, à ce bémol près, il n’en demeure pas moins vrai
que l’éco-quartier agit ensuite comme catalyseur de modes de vie. Il est en lui-même
générateur de nouveaux modes de vie (qui vont plus loin que les changements anticipés par
les habitants) en ce qu’il met en dynamique, engage les individus et ainsi crée du collectif, et
in fine du commun.
Il nous faut alors à présent étudier ce qu’il y a de commun… dans ce commun qui se crée au
sein des éco-quartiers. Nous verrons alors que ce l’élément de base de ce commun est
l’engagement, sous des formes nouvelles, des individus dans leur lieu de vie, puis que cet
engagement repose sur l’expérience et nous permet de dessiner à partir des cas d’éco-quartiers
étudiés trois figures idéal-typiques de la construction de ce commun.
6.2.1. Nouvelles formes d’engagement et rôle clé de l’expérience
On observe dans les éco-quartiers un engagement dans l’action, qu’il soit encore minime à
Graulhet avec la prise en main de certains parterres par des habitants qui les jardinent, ou plus
impliquant à Hédé et à Faux autour de l’auto-construction. Ainsi, l’engagement, au lieu d’être
collectif et anonyme, devient personnel et partagé. L’individu s’engage alors avec ce qu’il est,
ses compétences, savoirs, savoir-faire, habiletés, mais aussi ses envies, croyances,
imaginaires, et sa propre trajectoire. D’autre part, l’engagement des habitants des écoquartiers est un engagement pragmatique. Loin de toute définition d’un idéal lointain qu’il
faudrait atteindre, les habitants cherchent à négocier des solutions avec la réalité,
majoritairement individuellement à Hédé-Bazouges, et plus collectivement à Faux la
Montagne. L’individu s’engage bien ainsi en opérant « consciemment un choix personnel de
changer ses manières de consommer et d’organiser sa vie quotidienne. » (Dobré et Juan,
2009, p. 297). Dès lors, comme le dit Honneth, « l’individu apprend à s’appréhender luimême à la fois comme possédant une valeur propre et comme étant un membre particulier de
la communauté sociale dans la mesure où il s’assure progressivement des capacités et des
besoins spécifiques qui le constituent en tant que personne grâce aux réactions positives que
ceux-ci rencontrent chez le partenaire généralisé de l’inter-action. » (Honneth, 2004, p. 134).
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Enfin, il est intéressant de noter que cet engagement ne touche pas nécessairement une
catégorie sociale spécifique : à Faux la Montagne, les personnes réunies autour du projet
viennent d’horizons divers et ne font pas partie a priori de réseaux d’appartenance collective
(que cette appartenance soit professionnelle, religieuse ou même territoriale) : leur
engagement est bien désaffilié. « L’individu tend à se définir maître de l’action comme de luimême et à mobiliser sa propre histoire et l’ensemble de ses ressources dans des
investissements pour autant mesurés » (Ion, 2001, p. 34). De cette manière, ce n’est pas la
pré-appartenance commune qui fait naître l’engagement, mais l’engagement qui fait naître du
commun.
Plus précisément encore, cet engagement implique de fait d’autres rapports à la nature, qui
dépassent la recherche de domination de l’homme sur elle. Dans ces quartiers (qui, sans être
en ville, ne mettent pas moins en avant dans les projets la recherche d’une certaine densité),
on voit en effet se développer souvent un rapport à la nature engageant pour l’individu, que ce
soit assez simplement à Graulhet par le jardinage, l’installation de végétaux dans les halls
d’immeubles (ou la revendication d’utiliser les espaces verts pour pouvoir y faire du sport), ou
à Hédé-Bazouges dans la recherche de matériaux naturels, locaux et biodégradables pour la
construction des maisons, et les pratiques de jardinage, ou enfin à Faux la Montagne où le
paysage est convié dans l’aménagement à l’échelle du quartier comme à celle des maisons.
Ainsi, loin d’une nature considérée comme extérieure, à protéger ou à embellir, les rapports
qu’entretiennent les habitants interrogés renvoient de manière sous-jacente (et parfois en
germe), à une co-construction, à un milieu (Berque, 2000).
On peut également rapprocher cette appréhension de la nature à la notion d’attachement, telle
que développée par Hennion (2009) et reprise par le GRAC (op. cit., p.2) : « Nous
empruntons ce concept à la sociologie du goût d'Antoine Hennion qui définit le « goût comme
travail sur l’attachement, technique collective pour se rendre sensible aux choses, à son
corps, à soi-même, aux situations et aux moments, tout en contrôlant le caractère partagé ou
discutable de ces effets avec les autres ». Cette définition présente ceci d’intéressant qu’elle
redéfinit le goût comme une affaire de prises, de manières actives et plurielles de se
rapporter aux choses aimées, de faire monde en même temps que d'être fait par lui. La
construction dynamique des goûts est ainsi indissociable des épreuves par lesquels elle
s'accomplit ou, dit autrement, les goûts ne sont jamais donnés une fois pour toutes, ils
demandent chaque fois à ce que tous s’y mettent pour les faire apparaître. »
Cet engagement a pour clé de voute l’expérience partagée, puisque cet engagement est un
engagement dans l’action, et que nous venons de voir qu’il nécessitait des mises à l’épreuve.
Cet engagement par l’expérience partagée est ce qui crée du commun, et pour mieux le
définir, nous proposons de nous appuyer sur l’analyse de l’expérience des mondes de Céfaï
(2009) qui constituerait un « réarmement des capacités morales et politiques des habitants »
par la reconnaissance de la possibilité des acteurs, pour montrer comment se déploie cette
dynamique, de différentes manières, dans les trois éco-quartiers étudiés. Céfaï (2009, p. 260261) décrit à ce titre l’expérience comme :
« L’expérience comme épreuve esthétique : les sens affectifs (pathos) et esthétiques
(aisthesis) sont ce qui, en deçà des raisonnements et des jugements, nous donnent accès au
monde. L’expérience comme expérimentation pratique : la reconnaissance du réel est
éprouvée par les tests que l’on peut faire subir à des situations et aux résultats auxquels nous
devons nous soumettre, accroissant notre capacité d’action en nous pliant à une réalité
transcendante. L’expérience comme échange interactif : notre accès à la vérité, au bien et
au droit n’est jamais solitaire, mais passe par des interactions avec les autres et avec les
choses, par l’intermédiaire de procès de coopération et de communication, qui prennent
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parfois la forme de véritables délibérations, où nous nous exposons au point de vue des
autres ».
Ces éco-quartiers contribuent, dans leurs différences, à la définition du commun, et ce selon
ces trois composantes de toute expérience :
 l’expérience de la norme, technique, de l’aménagement de l’espace et sa composition
architecturale, autour d’une épreuve esthétique créatrice d’un sens commun (Graulhet)
;
 l’expérience de la norme, sociale, de la construction du lieu repose quant à elle sur des
expérimentations pratiques qui créent des biens communs (Hédé-Bazouges) ;
 l’expérience de la norme, politique, du territoire, et de sa portée au changement,
s’appuie sur l’échange interactif, et compose un monde commun (celui de la
transformation socio-écologique à Faux).
6.2.2. Trois constructions du commun : le sens commun de la norme technique, le bien
commun de la norme sociale, le monde commun de la norme politique
À Graulhet, c’est d’abord sur un plan technique et architectural que l’éco-quartier s’incarne.
L’éco-quartier est ici pleinement un outil de la puissance publique pour (ré)aménager un
quartier. Au-delà de la gouvernance mise en place à Graulhet (dont nous ne sous-estimons pas
l’importance), l’éco-quartier prend également vie dans les formes urbaines : le quartier d’En
Gach est rénové, les façades d’un beige immaculé, les espaces libres habillés de végétation,
les cheminements piétons doucement courbés. Le cadre de vie est apaisé. Ce qui se joue à
Graulhet c’est finalement le partage d’un « sens commun » apaisé, c’est-à-dire d’une
expérience commune des sens : une écologisation de l’esthétique (supra). Ainsi, la mise en
place d’une norme technique, qui relève de l’architecture et de l’urbanisme, permet à ce
quartier de poser les bases d’un monde commun… par un sens commun.
Cet apaisement du cadre de vie dissipe une possible défiance entre voisins et un sentiment
d’insécurité dans l’espace public. D’autre part, il redonne à ce quartier un statut premier dans
la ville, lui permet d’effacer les stigmates de son histoire difficile, notamment par la
reconnexion du quartier au reste de la commune, via des cheminements ou des équipements
publics. Ce quartier devient pleinement un quartier de la ville, ce qui jette une lumière
différente sur le peu de publicisation du caractère d’éco-quartier du quartier chez les
habitants : la démarche institutionnelle et professionnelle est celle d’un éco-quartier, tandis
que pour les habitants il s’agit d’une réhabilitation, reconstruction, et réaménagement d’un
quartier.
C’est ainsi que, partant de la norme technique, on voit se dessiner un potentiel d’évolutivité
vers la constitution de normes sociales. Si cette norme technique permet cette évolution, c’est
sans doute car elle n’impose pas seulement un conditionnement des conduites, mais bien
plutôt parce qu’elle pacifie, refait entrer dans un régime commun le quartier à l’échelle de la
commune, et constitue davantage une ouverture des possibles qu’une imposition en termes de
modes de vie vertueux.
À ce titre, les modes de vie sont bien un prisme au travers duquel on voit se dessiner la
constitution du commun : au-delà de la qualification d’écologique de pratiques qui sont le
plus souvent subies pour des raisons économiques, la principale dynamique notée dans les
modes de vie à Graulhet tient à la convivialité, interne comme externe. Cette dernière
augmente les pratiques de covoiturage par exemple, ou l’entraide, et fait émerger la volonté
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de plus animer le quartier ou de voir se constituer une association d’habitants, autre exemple.
À Hédé-Bazouges, il existe bien entendu une norme technique, garantie en premier lieu par le
cahier des charges du quartier et son plan d’aménagement réalisé par un cabinet d’architectesurbanistes. Toutefois, ce qui ressort des entretiens menés avec les habitants est aussi
l’importance d’une norme sociale. Il s’agit de l’un des premiers éléments de caractérisation de
l’éco-quartier par les habitants eux-mêmes, exprimé souvent sous le terme de « convivialité ».
Convivialité qui prend trois formes : l’interconnaissance, la sociabilité (par la vie culturelle et
associative sur la commune), et le partage (notamment par d’autres rapports à la propriété
foncière, immobilière, d’équipements…).
La base de cette convivialité se constitue à Hédé-Bazouges autour de questionnements
écologiques, et ce par la réflexivité que ces questionnements induisent. Les modes de vie, et
leur écologisation, apparaissent alors ici comme le support premier d’une réflexivité, vecteur
principal de la constitution du commun. Chacun est ensuite libre de définir les réponses aux
questions qu’il se pose sur ses modes de vie, chacun compose son arrangement personnel,
toutefois derrière cette diversité de réponses, le questionnement demeure commun, impliquant
la collectivité composée par le quartier. De tels questionnements, et ce qu’ils fondent comme
attitudes (réflexivité), ce qu’ils mobilisent comme objets (nature) et ce qu’ils mettent en
mouvement (modes de vie), sont le fondement de la norme sociale, qui constitue l’élément
marquant de la construction du commun à Hédé-Bazouges. « L’engagement est ainsi de plus
en plus, pour des personnes de moins en moins aisément situables dans l’espace social, un
moment de réflexivité. » (Ion, 2001, p. 38). Et, comme l’encadré précédent le montre, les
valeurs positives de la nature jouent ici un rôle premier pour s’engager dans des
comportements dits écologiques. Cette (re)construction de la norme sociale est aujourd’hui d’autant plus mise en lumière
qu’elle est parfois mise à mal dans la seconde tranche de l’éco-quartier, dont la
commercialisation rapide et le faible coût des terrains a abouti à faire venir une population
parfois peu intéressée par les questions écologiques. Dans l’éco-quartier des Courtils des
biens se voient alors partagés, au nom de cette norme sociale. Depuis un outillage jusqu’à des
espaces gérés en commun, ou la gestion solidaire de lieux associatifs, le commun se compose
autour de biens partagés.
Et, cette question du partage au fondement de ce qui ferait bien commun par la norme sociale
connaît même aujourd’hui une évolution vers une norme politique, que l’on peut commencer
à deviner dans les modes de vie, notamment lorsque les réflexions collectives des habitants
commencent à toucher leur travail, c’est-à-dire le modèle économique urbain, dès lors
questionné. De la même manière, ce glissement est perceptible dans l’attitude des habitants
face aux expertises qui leur sont proposées : une volonté de maîtrise du projet, mais
également de prise d’autonomie vis-à-vis de ces expertises est notable chez certains habitants.
Toutefois, le mode de généralisation de cette expérience demeure principalement celui, social,
de la diffusion dans la commune et alentours par des rencontres, des échanges interpersonnels,
et des initiatives collectives de publicisation. Mais, comme dans d’autres éco-quartiers (cf.
Encadré suivant), l’écologie joue un rôle déterminant, dans l’énoncé de la critique, comme
dans les volontés de la dépasser pour en faire une extension de la négociation sociale.
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Encadré 12. L’éco-quartier de l’Union, Métropole Lilloise : l’écologie comme nouvelle
construction du social
L’éco-quartier de la Zone de l’Union s’inscrit dans une dynamique générale de requalification du
quartier. Ce territoire se caractérise par son identité territoriale forte portée par une solidarité ouvrière,
et un sentiment d’appartenance à l’histoire et aux valeurs industrielles. C’est identité territoriale est le
terreau d’une mobilisation importante.
Ce terrain est le lieu d’un emboîtement de projets urbains métropolitains qui n’ont pas toujours laissé
l’opportunité aux habitants de participer. Afin de protéger l’identité du lieu, différents collectifs
habitants vont être créés. Mais ces revendications sont rapidement réorientées vers des enjeux
écologiques et sociaux. Ils vont « associer revendications sociales classiques (droit au travail,
reconnaissance des identités locales) et enjeux émergents (notamment l’écologie). Ils tentent de
concilier les valeurs traditionnelles des habitants (ouvriérisme, valorisation du patrimoine industriel)
avec les questions écologiques. » (Villalba, Lejeune, 2011, p.17). L’écologie devient une extension et
un complément de la négociation sociale. L’écologisation des revendications sociales se justifie par la
recherche de la dignité sociale.
Enfin, à Faux la Montagne, on trouve également les expériences de la norme technique (le
cahier des charges du quartier, son aménagement) et de la norme sociale (un ensemble de
personnes qui ont choisi de venir s’installer sur le plateau des Millevaches pour créer une
alternative à la vie en ville), mais surtout de la norme politique, beaucoup plus affirmée et
revendiquée. Cette expérience y repose principalement sur une valeur fondamentale : la
responsabilité certes vis-à-vis de la communauté (la convivialité, l’entraide, la bienveillance),
mais plus encore vis-à-vis de l’environnement par l’écologie… politique. Les modes de vie en
constituent une expression première : cette norme politique se trouve exprimée en premier
lieu par le projet en lui-même et sa construction collective dynamique. Leurs aspirations sont
ainsi créatrices de nouvelles formes de politique où « les modes de vie deviennent un espace
de résistance politique et culturelle, et de quête d’autonomie. » (Emelianoff in Damon, 2012,
p. 179).
C’est ici un monde commun qui se crée, constitué de sens commun, de biens communs, mais
aussi d’un horizon cosmopolitique (Lolive et Soubeyran, 2007). Au point que prendre
conscience de ses capacités, de ses marges d’action et des leur implications politiques
quotidiennes conduisent à ce que « nos modes de vie, nos choix de rapports familiaux, à la
nature, aux vacances, à la culture... sont devenus des aménageurs territoriaux » (Viard, 2012,
p. 191). Nous retrouvons cette portée critique sur quelques autres éco-quartiers, mais encore
souvent en projet (cf. Encadré 13).
Encadré 13. L’éco-quartier de Montreuil : le potentiel écologique dans et pour la critique sociale
L’équipe du GRAC (supra) a étudié l’éco-quartier de Montreuil. Ce projet, en phase de concertation
au moment du travail, a permis d’analyser la mise en place d’un processus de participation habitante
instituée par la mairie, mais également les espaces d’échanges se créant à la marge, au sein de
collectifs habitants. S’il émerge, ici comme ailleurs, un décalage avec la vision projetée de la mairie
sur l’éco-quartier, le plus important nous a semblé être la conception de l’écologie pour les membres
des collectifs, et ce qu’elle met en lumière des décalages rythmique, spatial et d’usage.
Tout d’abord, le décalage temporel apparaît dans la remise en cause du calendrier du projet d’écoquartier et de la hiérarchie des questions soumises par les élus lors des concertations. « Les grands
choix », « le cadre » sont déterminés par avance par eux (…) ces grands objectifs inflexibles priment ;
ainsi, quelque soit le déroulement de la concertation (…) ceux-ci devront être atteints. » (GRAC,
2013, p.145). Pour eux, les problématiques écologiques et la concertation doivent évoluer au sein de la
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même temporalité. Un projet écologique a ici pour signification de celui « qui n’est pas rejeté après »,
« pas seulement au sens de se trouver ou non contesté, mais au sens de ce qu’un milieu humain peut
accepter ou non » (GRAC, 2013, p.147). L’écologie s’inscrit pour eux dans une relation avec les
personnes qui sont autour.
Le second décalage recensé par les membres de la coordination est celui des échelles spatiales, en
remettant en cause les limites spatiales de l’éco-quartier, considérées comme arbitraire comme le
souligne une personne interroger : « T : La mairie a dit bon on va faire un éco-quartier et ils ont pris
toutes sortes de projets qui en fait étaient déjà en cours plus ou moins, ils les ont réunis, ils ont comblé
les blancs qu’il y avait entre eux, et puis ils ont tracé une sorte de contours, et ils ont dit voilà on a
notre éco-quartier. Il n’y a aucune cohérence territoriale, cet éco-quartier en fait (...) c’est une carte,
c’est un dessin sur une carte qui n’a aucun impact sur le territoire » (GRAC, 2013, p.147). L’écologie
est affaire de tous, et dépasse les limites fixées sur les cartes du projet. Les organisations habitantes
présentes sortent déjà de ces limites et s’organisent même avec les villes alentour. Il apparaît donc un
commun différent de celui limité par le projet d’éco-quartier.
Un autre décalage est celui des usages projetés par les urbanistes sur la ville et la réalité quotidienne
des habitants en matière d’équipements ou de modes de consommation alimentaire. C. : « Oui dans
notre quartier, si ça ne marchait pas c’est que déjà leur langage [celui des urbanistes des projets
d’immeubles à la cité des Roches] est décalé par rapport au langage de gens, et ça ne peut pas
marcher ces types de discours. Si tu vas dans l’école de mon gamin, c’est une usine de 700 gamins,
l’infrastructure elle date des années 70, donc tu ne peux pas raconter n’importe quoi aux gens, je veux
dire ils ont une expérience qui fait que tu ne peux pas leur raconter n’importe quoi. Nos cités, nos
écoles, il y avait un tel décalage entre leurs images et ce que les gens vivaient que c’était évident que
ça ne pouvait pas marcher » (GRAC, 2013, p.148). Pour, un projet écologique ne peut se définir qu’en
prenant en compte les expériences de ceux qui vivent là, qu’en allant sur place observer ce milieu tel
qu’il est et tel qu’il vit.
6.2.3. Deux conceptions de la politique du commun : entre héritage moderniste et
construction cosmopolitique de modes coopératifs d’action
Deux conceptions de l’action et du commun ainsi donné apparaissent en filigrane.
Tout d’abord, par la norme technique et architecturale, l’organisation des conduites et usages
jusqu’à celle des expériences esthétiques, nous trouvons la figure du commun hérité, un
commun qui nous est donné et qui se construit au sein du cadre fixé par les institutions. Par
ces normes, la volonté est de valoriser les priorités politiques du moment (Donzelot, 2009). Sa
construction politique se réalise au sens d’une sphère publique instituée où l’on tranche la
qualification de ce qui compte et où l’on définit ceux qui comptent (GRAC, 2013, p.13). Le
processus de décision apparaît donc comme étant descendant, s’appuyant ainsi sur le principe
de la représentativité (démocratie représentative) où les élus sont les garants de l’intérêt
général et où les experts de par leurs savoirs conditionnent les politiques menées. On
favorisera toujours le général au local, le premier étant considéré comme permettant une
approche rationnelle des problématiques. Si les citoyens veulent participer à la mise en débat,
ils devront s’engager « dans un processus de délibération qui fait abstraction de ses intérêts
particuliers pour identifier les meilleurs arguments et ensuite trancher “en raison” » (GRAC,
2013, p.17). Les lieux, la temporalité, les sujets mis en débat sont fixés, par avance, par
l’institution (Faburel, 2013).
Le commun hérité apparaît alors comme une « conception abstraite et distanciée,
appréhendée par la raison de la topique cartésienne, qui est à la base de politiques publiques
relevant du régime prométhéen (Flahault, 2009), avec en arrière plan une nature considérée
comme un objet soumis à la maitrise humaine, à un arraisonnement temporel du politique
permis par la rationalité aménagiste. » (Faburel et Vialan, 2014).
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A l’inverse, et certainement partiellement en réaction, émerge à ce jour plus spontanément un
commun coopératif (Sennett, 2012). Et deux des trois cas ici observés nous semblent en être
des témoins actifs. Celui-ci se construit également en rapport avec l’institution, mais à la
marge de son cadre, dans un rapport contre/tout contre. Les projets d’éco-quartier étudiés ne
peuvent être réalisés sans le soutien de la puissance publique, mais la constitution du commun
au sein de ces éco-quartiers ne se limite pas aux règles et aux normes fixées par l’institution.
La construction politique de ce commun se fait hors du cadre classique, soit une « politique de
plein air » (expression empruntée par le GRAC à Callon, Lascoumes et Barthe, 2001 au sujet
des savoirs).
À la différence de la figure du commun hérité, le commun coopératif tient d’abord compte de
ceux qui sont là, sans décider par avance de ce qui compte et de ce qui ne compte pas. Il s’agit
plutôt d’une construction par la coordination, autrement dit, « arriver à faire exister sur un
plan commun des valeurs, perceptions et usages radicalement différents les uns des autres, à
entreprendre des actions conjointes sans ôter à chaque groupe son autonomie d’action et de
pensée. » (ibid., p. 227). Ce commun s’incarne alors dans un autre rapport au lien social,
rapport de convivialité, de solidarité et d’entraide quotidienne entre les êtres. Il ne s’agit donc
pas uniquement d’habiter un lieu, mais d’habiter avec ou de co-habiter (GRAC, 2013, p.
227). Car fabriquer instaure un autre rapport au monde qui nous entoure aux autres et à soimême : « fabriquer, c’est aussi se connecter aux autres, partager avec eux ce que l’on a créé
et s’enrichir en retour. » (Gauntlett, 2011, p. 55), et avec son environnement « fabriquer
quelque chose, c’est une manière de se relier au monde, de s’engager activement pour
transformer son environnement plutôt que de rester passif. » (ibid.).
Les expériences et formes d’engagement décrites plus haut sont alors l’opérateur d’un
déplacement du politique, car dorénavant, « autant que depuis la sphère politique, c’est
depuis la société civile qu’un bien commun devient en mesure d’être pensé. » (Ion, 2001, p.
208-209). Cela conduit à redéfinir la démocratie telle « la capacité à “grandir” ses problèmes
particuliers et simultanément les mettre à distance ; la démocratie est d’abord le droit
reconnu à tous de penser les affaires des autres, c’est-à-dire le bien commun. » (Ion, 2001,
p.198). D’une masse anonyme dans lequel l’individu pouvait se fondre, on assiste aujourd’hui
à un engagement reposant plus que jamais sur l’individu et sa capacité d’action :
l’individuation.
Nous aurions ainsi affaire à une cosmopolitique. « Tout se passe comme si la crise
environnementale incarnait les conditions d’un monde nouveau, où l’erreur, évènement
probable, se paie d’un coût prohibitif, puisque nous évoluons dans un contexte d’incertitude,
en aveugle en quelque sorte ». (Lolive et Soubeyran, p. 10). C’est en fait lorsque le monde
traverse une telle crise que l’on (re)parle de cosmopolitique11. « Les cosmopolitiques
explorent de nouvelles conditions de possibilité de la politique, mais c’est une politique
méconnaissable puisqu’elle est bâtie autour de l’étrangeté (humaine et non humaine) ».
(ibid., p. 11). Les autres, ces exclus, à la fois condition et conséquence de la société moderne
croyant maîtriser la nature et elle-même, ces « externalisés font retour, ils sont là et ils
résistent » (ibid., p. 13). Et, l’environnement est le milieu où on co-habite avec ses voisins
comme à Hédé-Bazouges ou avec des non-humains comme l’indique l’importance donnée au
paysage dans le projet de Faux la Montagne. Les enjeux écologiques sont ainsi autrement
11
Les cosmos antiques ordonnent les entités disparates (humains, choses, animaux, dieux), considèrent le monde
comme une maison et créent une correspondance macrocosme/microcosme. La cosmopolis (cité du monde)
apparaît avec les stoïciens, au moment où le modèle politique de la polis, la petite cité-Etat démocratique,
s’épuise. Puis Kant prône à la fin du XVIIIème siècle un « Etat cosmopolitique universel », pour fonder une
politique démocratique à l’usage des peuples du monde.
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encastrés dans une réalité sociale, encastrement qui constitue, pour les protagonistes, le seul
moyen de construire autrement du commun et sa politique.
L’attribut premier de cette cosmopolitique serait ainsi celui de la communalité, qui, avec la
singularité et la réciprocité, fonderaient selon Rosanvallon à un nouveau modèle d’égalité
(2011). Il entend la singularité comme reconnaissance de l’individu unique et différent, mais
néanmoins égal. La réciprocité, parallèlement, s’articule autour de deux pôles : elle peut soit
renvoyer à l’échange marchand, comme à des échanges mêlant matériel et symbolique et l’on
parlera alors de réciprocité d’échange ; soit donner lieu à la co-production de biens
relationnels, qui « ne peuvent être possédés sans être partagés » (ibid., p. 373), ainsi qu’à la «
parité d’engagement dans la vie sociale » (ibid., p. 374), et l’on parlera alors de réciprocité
d’implication. Enfin et surtout, la communalité rassemble tout ce qui se construit et s’éprouve
en commun : la participation aux évènements qui animent la vie du groupe ; aux processus de
création de la connaissance partagée ; à l’avènement d’un territoire à travers les pratiques.
Et, la communalisation des savoirs et des imaginaires joue ici, concrètement, un rôle essentiel.
6.3. Le commun en partage : une invitation première à questionner les rapports
savoirs/pouvoirs et nos imaginaires
L’arrière-plan de cette construction de la politique du commun par l’engagement que nous
avons pu décrire par les modes de vie est d’abord composé par un questionnement sur
rapports entre savoirs / pouvoirs, c’est-à-dire centré sur la construction de connaissances, des
actions qu’elles fondent et de la légitimité qu’elles donnent. On trouve, de manière commune,
dans les éco-quartiers étudiés une remise en cause de l’expertise et des experts, ainsi qu’une
critique vive des politiques classiques qu’ils et elles nourrissent.
6.3.1. La critique de l’expertise technique et des rapports de pouvoir en jeu
À Graulhet, la rénovation et réhabilitation du quartier a permis de faire émerger des critiques
et donc du débat sur les formes urbaines, sur l’aménagement, l’architecture, le cadre de vie.
Les habitants ont tous, quels que soient leurs capitaux sociaux, un avis sur le projet et la
majorité a quelques idées précises pour améliorer le quartier (mettre des jardins partagés, un
endroit pour que les enfants jouent…), ou sur ce qu’il conviendrait de changer (la jachère
fleurie qui semble déplaire à plusieurs habitants, par exemple). Ici, l’expertise de projet est
sinon remise en cause, tout du moins mise à distance par les habitants rencontrés, qui
développent et assument (du moins dans le cadre de l’entretien) des critiques et propositions
alternatives.
À Hédé-Bazouges, l’expertise technique s’est trouvée largement mise à mal par les habitants :
sur le plan de l’aménagement du quartier, le découpage de la deuxième tranche est critiqué
par les habitants (avec des arguments techniques poussés, plans à l’appui pour certains), tout
comme l’accompagnement de l’architecte-conseil. Cette expertise technique s’est trouvée
originellement décrédibilisée par l’erreur du géomètre sur l’orientation au sud, aux débuts de
l’aménagement du quartier. Enfin l’expertise technique se trouve fondamentalement mise en
question par l’auto-construction. Cette dernière donne la maîtrise aux habitants sur leur
habitation et s’appuie sur leurs propres savoir-faire, habiletés, ingéniosités (Faburel, op. cit.).
D’autre part, l’auto-construction renvoie à une autre construction des savoirs, souvent par le
bricolage, le braconnage des savoirs plus institués, et surtout par l’entraide et le partage de
techniques plus ou moins vernaculaires entre habitants (Illich, 1973).
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Enfin, à Faux la Montagne, le groupe d’habitants réunis autour du projet d’éco-quartier a fait
d’abord appel à ses propres compétences et connaissances, avant de s’adjoindre l’aide d’un
expert paysagiste, après mûre réflexion. Toutefois, cet expert a été très clairement maintenu
au service des habitants grâce à la force du collectif qui a refusé de se faire imposer une
compétence hors-sol. D’autre part, la critique s’est également développée sur la science en
général, interpelant directement en entretien notre propre posture de chercheurs en sciences
sociales, et notre position vis-à-vis de la commande publique.
Chez les habitants des trois éco-quartiers étudiés, on voit poindre et parfois éclore à différents
degrés une critique du politique, au premier chef de l’institutionnalisation du commun par les
savoirs dits techniques. Qu’il s’agisse d’une désaffection généralisée et généralisante, portant
sur l’ensemble des personnels politiques, qu’il faudrait réformer (discours d’habitants à
Graulhet), en les faisant venir dans les quartiers, vivre avec le budget des habitants… ou
d’une réelle perte de confiance en la politique traditionnelle, sur laquelle il ne faudrait pas
compter pour avancer (à Hédé-Bazouges, mais qui n’est pas sans incompatibilité avec la
confiance octroyée à l’élu local qui a porté le projet d’éco-quartier), voire plus généralement à
Faux la Montagne une figure traditionnelle du politique incarnée dans l’État et objet de
défiance si ce n’est de rejet, dans ses prétendues tentatives de maîtrise centralisatrice. La
figure du politique est alors réinventée à Faux la Montagne, où élus et habitants se mêlent
dans un groupe pour une co-construction et où le rôle de l’élu devient celui d’être à l’écoute
du territoire et de ses habitants, pour les épauler, les accompagner dans la mise en œuvre de
solutions alternatives.
La figure héritée du commun est ici clairement remise en cause, d’abord dans son rapport aux
pouvoirs attribués aux experts et à leurs savoirs. « Les savoirs spécialisés en fonction de
l’exigence systématique du tout social ne contiennent plus, si complexes et savants qu’ils
soient, de ressources culturelles suffisantes pour permettre aux individus de s’orienter dans le
monde, de donner sens à ce qu’ils font ou de comprendre le sens de ce à quoi ils
concourent. » (Gorz, 2008 : 50). Les sciences modernes y ont une place prépondérante, même
si cette place semble paradoxale du fait de la spécialisation et de la complexification des
savoirs, limitant la considération des problématiques dans leur ensemble. Nous serions alors
au contact du détachement de la société par rapport à elle-même, selon l’œuvre séculaire des
savoirs analytiques et techniques décrite par Habermas (1973). Avec tous les tris et
classements, tous les partages de la modernité héritée, dont ils sont l’œuvre (Stengers, 2002).
La politique d’un commun coopératif met en scène un autre rapport au savoir en s’appuyant
sur un principe l’égalité des intelligences (Rancière, 2005). Particulièrement à Hédé et à Faux,
la hiérarchisation des acteurs est remise en cause, au profit d’une collaboration où l’habitant
propose de mettre à profit ses propres savoir-faire résultant de son parcours personnel, de sa
trajectoire professionnelle... Dans cette même dynamique, les habitants peuvent acquérir de
nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire afin de mieux tenir compte de
l’environnement qui l’entoure et d’agir avec lui. Surtout, ils peuvent s’affirmer comme force
de proposition. Ces savoir-faire et leur circulation renvoient à ce qu’Illich (1973) appelle les
savoirs vernaculaires ou conviviaux, c’est-à-dire qui favorisent l’autonomie de l’individu :
« La convivialité est la liberté individuelle réalisée dans la relation de production au sein
d'une société dotée d'outils efficaces. » (1973, p. 26-28).
Et, comme l’encadré suivant l’indique, cette dynamique peut se retrouver, encore très
modestement, ailleurs.
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Encadré 14. L’éco-quartier de Montreuil : la production de « savoir habitant »
Afin de comprendre les mutations subies par leur milieu de vie, le collectif d’opposants au projet
d’éco-quartier municipal (GRAC, op. cit.) s’est engagé dans une démarche d’enquête menée par les
habitants dans et sur la ville, leur permettant ainsi de porter un regard neuf sur leur expérience, leur
problème, mais également d’acquérir de nouvelles prises sur leur milieu. Cela les a amenés à produire
et à faire circuler une quantité considérable de documents, récits, photographies, tracts, mails, créant
ainsi une intelligence collective par le partage du récit, amenant à en créer d’autres. Cette masse
d’informations est par la suite mobilisée dans leur action contre les projets urbains qu’ils considèrent
comme allant à l’encontre d’une définition de ville habitable.
6.3.2. Pour nourrir cette nouvelle imbrication savoir/pouvoir : redonner un statut projectif à
l’imaginaire ?
Finalement, la question de la constitution des communs renvoie fondamentalement aux types
et formes de savoirs, compétences, aptitudes, habiletés, ingéniosités, virtuosités, conviés
autour de la table, et ce pour quelle construction de légitimité collective… pour l’agir
(Faburel, 2013). Or, envisager la prise en compte des savoirs et savoir-faire des habitants,
amène à repenser la performance d’une démocratie qui soit non pas basée sur la délégation de
pouvoir à des représentants (Stengers, 2002), mais bien plus sur l’égalité fondamentale de
chacun et tous (Rancière, 2005), et sur une légitimité qui relève plus du domaine de
l’ordinaire et puisse se construire dans et par l’action (Hatzfeld, 2011). Ce que Micoud
appelle une action connaissante, et qui lie fondamentalement le savoir à son contexte, à son
environnement (2013) semble bien commun aux trois éco-quartiers étudiés. C’est ainsi
d’abord une production de savoir re-situé, dans un environnement naturel et social qui est
esquissée dans ces éco-quartiers.
Or, sur cette question des types et formes de (re)connaissances, notons que les trois écoquartiers étudiés partagent une critique vive de la ville : rapide, grande, anonyme,
impersonnelle voire inhumaine, déconnectée de la nature, la ville est un milieu que l’on
cherche à fuir (Faburel, Roché et Prié, 2012). Elle semble néanmoins d’une certaine manière
coloniser les imaginaires : l’imaginaire de la ville dense, surpeuplée et surtout anonyme anime
tous les imaginaires livrés par les habitants, alors que les imaginaires de la campagne, du rural
ou du périurbain sont beaucoup plus rares. Seuls certains habitants de Faux la Montagne ont
témoigné d’un imaginaire fort et positif de la campagne, qui serait selon eux le futur des villes
d’une certaine manière : un endroit où réinventer une économie locale productive, des
rapports sociaux équilibrés et égalitaires, un autre rapport à la nature. En revanche, à HédéBazouges, les imaginaires des habitants sur la campagne se concentrent sur la possibilité de
perdre ces espaces, petit à petit mités par les logements, ce qui renforce pour eux la nécessité
de densifier la ville et donc, indirectement, de renforcer le sentiment négatif vis à vis de la
ville et de son vécu. En fait, contrairement à Faux, un imaginaire alternatif (donc positif)
peine à émerger à Hédé-Bazouges. De même que, voire encore plus à Graulhet, où
l’imaginaire se concentre sur une critique de la ville, en contrepoint duquel la nature est
parfois parée de beaucoup de vertus. Ceci est concordant avec le retournement de l’image de
la ville, analysée par de très récents écrits (cf. Salomon Cavin et Mathieu, 2014), comme
expression de sentiments post-urbains voire anti-urbains croissants au sein de pans entiers des
populations européenne (Salomon Cavin, 2005).
La question des imaginaires de la ville, et bien plus modestement de la campagne, semblent
être placés au cœur du passage effectif du sens au bien communs, mais plus encore du bien au
monde communs. Ils permettent certes de souligner le fait que les éco-quartiers étudiés se
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trouvent dans des territoires que l’on pourrait qualifier de délaissés (le rural profond), de
déqualifiés (le périurbain), voire d’impensés de l’urbanisme (l’inter-urbain). Surtout, ces
territoires pourraient constituer un terreau fertile à l’éclosion de nouveaux imaginaires
empreints d’écologie. C’est dans des « terrains vagues » que se créent finalement des
alternatives, loin de l’imposition de normes techniques et sociales des territoires de la densité
et de l’attractivité économique des métropoles.
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Bibliographie
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Annexes
7.1. Les Résidences du Parc à Graulhet
7.1.1. Situation et Description
Commune de Midi-Pyrénées, Tarn (81). Entre Toulouse et Albi.
12 229 habitants.
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Quartier « En Gach », à 800m du centre-ville (faubourg) et à 100m d’une zone artisanale
communautaire.
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Superficie : 6ha.
Habitat : quartier entièrement composé d’habitat social : 212 logements pour 500 habitants (la
plupart étaient déjà présentes avant le projet).
Équipements : espaces publics (parc urbain boisé, placettes et espaces partagés), école
Entière maitrise publique du foncier (le non-bâti appartient à la commune, le bâti appartient à
Tarn-Habitat), par acquisition amiable ou par préemption.
Engagement du projet : 2001. Livré en septembre 2012. (Projet sur 10 ans)
Budget : 24,14 millions d’euros (financements 100% publiques)
7.1.2. Système d’Acteurs
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7.1.3. Spécificités
Un fort encadrement réglementaire
Ces cadres sont à la fois des ressources et des contraintes. En plus des orientations très
« environnementales » des PLU et PLH, le quartier est concerné par :
- une Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager (ZPPAUP-AVAP) à
cause du centre-ville médiéval à proximité immédiate
- des Trames Vertes et Bleues pour le potentiel paysager
- un CUCS
- un PRU (depuis 2003)
- un Agenda 21 en cours d’élaboration.
AGORA, une Régie de Quartier
Une Régie de Territoire, AGORA, est animée par et avec les habitants pour l’insertion
professionnelle, le lien social, l’animation de quartier, des projets artistiques, l’amélioration
continue du site à l’écoute des habitants, par de petits projets : l’idée est qu’un quartier n’est
jamais « terminé », mais toujours en construction.
À titre d’exemple, la salle communale (dite « de la ferme ») est réhabilitée avec des chantiers
sociaux de formation.
Les trois maîtres d’œuvre (Commune, Intercommunalité (Tarn & Dadou), Tarn-Habitat)
siègent au Conseil d’Administration.
Un quartier résidentiel
Le projet comprend essentiellement des programmes de logement : peu d’équipements, et pas
du tout de commerces ou services (pas de mixité fonctionnelle). L’enjeu ici n’est pas de créer
un quartier autonome et fonctionnel, mais de le lier au centre-ville et à la zone artisanale.
C’est pourquoi il est desservi par une navette gratuite depuis le centre-ville et les autres
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quartiers (service régulier + transport à la demande)
7.1.4. Thématiques principales
Biodiversité.
Valorisation et protection du
patrimoine naturel.
Appropriation.
Rôle
primordial de la Régie de
Territoire AGORA.
Gestion des déchets. Notamment grâce au plan de prévention des déchets, mis en
place depuis 2010 par Tarn-Habitat et Tarn & Dadou
Gouvernance et concertation. Pas d’enquête publique obligatoire, mais démarches
volontaires : information (journal municipal, lettres, journal des locataires Tarn-Habitat),
consultation (réunions publiques, y compris avec les riverains ; enquêtes de satisfaction sur le
relogement), co-décisions (3 propositions de relogement au moins, parfois 9), numéro unique
municipal pour l’entretien du cadre de vie.
5 groupes de travail préalables au projet ont été mis en place avec les associations et les
acteurs institutionnels, sur :
- la trame urbaine
- les services collectifs
- le relogement et les politiques d’accompagnement social
- le plan de communication et concertation avec les habitants
- le montage et le suivi financier du projet
Vivre-ensemble et mixité. Vocation sociale des logements, mais souci aussi d’une
mixité générationnelle.
Sobriété énergétique et énergie renouvelable. Performances des matériaux dans
l’habitat (chartes « chantier propre »), mais aussi travail sur les usages : douches économes,
suivi des consommations…
Densité et formes urbaines. Qualité des espaces publics.
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7.2. L’éco-quartier du Four à Pain à Faux la Montagne
7.2.1. Situation et Description
Commune de 371 habitants, elle se situe dans le PNR de Millevaches, en Limousin.
Il est prévu d’élaborer un PLU intercommunal après la réalisation de l’éco-quartier.
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Quartier. Superficie : 2ha, en extension urbaine
Habitat : 14 à 15 logements (50 habitants) dont 3 sociaux
Équipements : parties communes : jardins partagés (verger, potager), lieu de compostage, four
à pain (rénovation), halle, parking
Foncier maitrisé par la municipalité.
Permis de construire : 2009. Premières livraisons : 2012
Budget : 212 550€
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7.2.2. Système d’Acteurs
7.2.3. Spécificités
Participation
L’approche participative est revendiquée dès le début du projet : un groupe de pilotage
associant habitants (actuels, et futurs dits « chercheurs de toit »), associations (nombreuses et
dynamiques) et entreprises locales, collectivités territoriales voisines, compétences et savoirfaire locaux. Le projet revendique aussi les méthodes de l’« éducation populaire », l’ouverture
d’esprit, le travail en réseau.
2004-2007 : des études sont réalisées par un groupe informel d’habitants, élus et associatifs
sur le logement en milieu rural et la prise en compte des éléments environnementaux à
création de l’Association de Promotion de l’Eco-habitat sur le Plateau de Millevaches
(APEHPM)
L’APEHPM pousse à la création en 2010 d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif :
ARBAN.
Ici, elle est en charge d’accompagner l’auto-construction.
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ARBAN : Société coopérative d’intérêt collectif, dans les domaines de l'éco-construction, de
l'habitat et de l'urbanisme durable. Outil de développement local à l'échelle du Parc naturel
régional de Millevaches et se positionne à la fois comme un opérateur immobilier qui
développe des opérations d'éco-habitat à faible loyer (bailleur social) et comme un atelier
d'urbanisme rural - structure d'étude et de conseil en matière d'urbanisme à destination des
collectivités. L'ARBAN privilégie pour ses interventions des méthodes participatives et
entend s'engager dans l'expérimentation de nouveaux modes d'habiter (habitat partagé,...)
aussi bien que d'un accès alternatif au logement (accompagnement à l'auto-construction,...).
L’ARBAN a acheté deux maisons pour les rendre accessibles aux personnes âgées.
Sur la Montagne limousine, un « arban » désigne en occitan un travail collectif d'intérêt
général effectué par la communauté villageoise, au service du bien commun
Cinq ateliers d’écriture architecturale sont mis en place avec les futurs habitants, sur 36 jours
(28 jours prévus au départ).
- Atelier 1 (12 janvier 2011)
Rappel des principes d’organisation de l’éco-quartier
Visite commentée de l’emprise éco-quartier
Synthèse des besoins et attentes des participants
- Atelier 2 (25 février 2011)
Maquette des projets à partir des esquisses et premiers plans
Critique des choix techniques
- Atelier 3 (20 avril 2011)
Informations sur l’assainissement et la gestion de l’eau
Matérialisation au sol de l’emprise des projets par piquetage
- Atelier 4 (27 mai 2011)
Présentation des projets à l’Architecte des Bâtiments de France
- Atelier 5 (septembre 2011)
Production d’esquisses par projet
Calage du programme pour la halle commune (usage, volume, orientation)
Évaluation du dispositif des ateliers d’écritures architecturales
Des réflexions par les habitants sur des espaces à mutualiser (laverie commune…) sont encore
en cours.
Eco-construction
Le projet favorise les matériaux de construction :
- locaux, à l’échelle de la région : bois, tuf, pierre
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- naturels, économes et recyclables (paille, copeaux de bois sec, lin, chanvre,
chaux,…)
- recyclés (aggloméré de béton)
- selon des procédés d’éco-construction : ossature bois ou poteau poutre, toiture
végétalisée, maisons pailles, techniques terre ou pierre…)
Les ateliers d’écriture sont présentés comme faisant partie de l’écoconstruction.
La « sobriété énergétique » est déclinée en deux approches : architecturale (orientation…) et
technique (performances).
Solidarités
Le programme comprend 30% de logements sociaux (3 à 4 sur 14 à 15), en collaboration avec
la SCIC Habitats Solidaires (Montreuil), et Habitat et Humanisme (Limousin)
Le principe de familles d’accueil est mis en place : deux familles aident et assistent
quotidiennement 3 personnes âgées. Aussi est développée l’idée de logement passerelle, lot
prévu pour que de futurs entrepreneurs puissent se « tester » sur le territoire avant leur
installation définitive. On note la volonté d’installer des activités professionnelles sur le
village, notamment en appui sur les associations locales très dynamiques (existantes :
économie sociale et solidaire, rédactionnel, conception de site internet, bureau d’étude en
phyto-épuration.)
La rénovation du four à pain, et les lieux mutualisés (jardins partagés, halle…), sont prévus
pour avoir un rôle d’animation important.
Une association d’Accompagnement Social Lié au Logement gère le quotidien du
fonctionnement du quartier.
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On note une réflexion sur des liens entre l’agriculture locale et la consommation : boucher
intégrant toute la filière de production, épicerie et fromagerie ambulantes, approvisionnement
de la cantine communale, AMAP… et la mise en place en cours d’un covoiturage sur l’axe
Eymoutiers – Aubusson
Chantiers
Le projet favorise les chantiers participatifs, avec une vocation d’insertion professionnelle
notamment des jeunes (éventuelle collaboration avec l’Association Pour l’Insertion des
Jeunes de Montreuil (APIJ).)
Les travaux sont effectués en collaboration avec la déchetterie locale, deux ressourceries de la
région (Eymoutiers et Felletin), et avec l’association « Entraide du plateau », qui rénove et
revend à des sommes modiques des objets divers, des meubles…
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7.3. Les Courtils à Hede-Bazouges
7.3.1. Situation et Description
Commune d’Ille-et-Vilaine (35), Bretagne. À 20km au nord de Rennes.
Communauté de communes de la Bretagne Romantique.
1932 habitants.
Quartier. Entre le centre-bourg et un petit bourg, qu’il permet de lier. Il s’agit donc d’une
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extension urbaine.
Superficie : 2,5 ha
Habitat à terme : 32 logement
habitants.
s (22 en libre-accession ; 10 sociaux), pour 75
Équipements : garages groupés
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Calendrier.
Engagement d’un projet de lotissement « classique » : 2000
Réorientation du projet : 2002
1ères livraisons : 2008
Tranches suivantes encore en cours (mais tous les lotissements sont vendus)
Budget : 700 000€ HT, dont 145 000€ HT assurés par la Région
Totale maitrise communale du foncier.
7.3.2. Système d’Acteurs
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7.3.3. Spécificités
Architecture et démarche innovante
Il s’agit d’un des premiers éco-quartiers de France, revendiquant à l’époque le statut de
« lotissement écologique ».
Le projet s’inscrit dans une recherche expérimentale sur les formes urbaines. À l’origine, le
projet était un lotissement « classique ». Le renouvellement de la municipalité en 2001
promeut une démarche « imaginative » et « sans contrainte architecturale », contre les
pavillons « uniformes, dévoreurs d'espace, énergivores » : chaque acquéreur choisit son
architecte, qui doit toutefois suivre un cahier des charges pour l’éco-construction. C’est la
raison pour laquelle la Région accorde une subvention de 45 000€ pour « habitat innovant »,
et une autre de 100 000€ pour le développement urbain durable.
L’objectif est bien de réaliser une architecture qui ne rompt pas avec l’environnement rural du
village, que ce soit par les formes ou par les matériaux (interdiction du PVC…).
Le résultat donne un mélange de styles, de matériaux uniques en France : maisons en bois, en
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briques, isolées en ouate de cellulose, chanvre, plumes de canard ou paille, enduits en terre, en
chanvre, chauffage au bois, aux granulés, géothermique,...
Des chemins piétonniers sont bordés de haies bocagères, des fossés ont été creusés pour
drainer les eaux de pluie, une chaussée en sens unique limite l'impact de la voiture, des
parkings extérieurs accueillent les visiteurs.
Mesures sociales
Le programme de logements sociaux comprend une maisonnée regroupant 4 T3 individuels
avec terrain commun et jardinet privatif.
Les logements sociaux sont prévus pour accueillir prioritairement les jeunes foyers, personnes
âgées, les familles, les personnes seules, et les jeunes handicapés de l’Etablissement et
Service d’Aide par le Travail (ESAT) communal.
Engagement habitant
Le projet promeut l’auto-construction.
Des commerces « bio » et des services associatifs et citoyens se sont installés favorisant ainsi
du lien et une bonne dynamique locale. Un café associatif, auto-stop participatif…
Associations « Les Amis du Petit Patrimoine » et « les Jardins de Bazouges »
On note un grand intérêt habitant pour l’impact écologique de l’habitat (matériaux et usages).
La seconde phase des travaux (en cours) envisage de l’habitat groupé, avec le Réseau
Cohérence et l’association Parasol. Mais ils peinent à trouver un groupe d’habitant, peut-être à
cause du manque de transports.
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Concertation appuyée
Forums annuels, dont un colloque sur l’habitat durable ; conférences sur l’habitat sain, sur les
techniques de construction traditionnelles
Echanges entre les habitants
Document d’information sur l’habitat respectueux de l’environnement
Echanges d’expériences
Le projet s’appuie sur l’expérience de la commune voisine, Langouët (voir
http://www.compagnonsbatisseurs.org/index.php?lg=fr&id=3&sid=1&ssid=5).
Il
donne
naissance à une organisation de petites collectivités bretonnes, réunies en une association très
visible : BRUDED (Bretagne rurale et rurbaine pour un développement durable). Il s’agit
d’un réseau de collectivités bretonnes qui s'engagent dans des réalisations concrètes de
développement durable et solidaire, pour aller plus loin ensemble, échanger des expériences
qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
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