Un Père deux fils - copie

Transcription

Un Père deux fils - copie
Pierre Cranga
Un Père avait deux fils
Introduction
La parabole des fils
Il dit encore : Un homme avait deux fils. Luc 1511.
Une image vaut mille mots
De toutes les paraboles que Jésus a exposées, la Parabole dite
“du fils prodigue” dans Luc 1511-32 est sans doute la plus célèbre et
la moins comprise. Elle repose sous un amoncellement de poncifs.
Par excès de familiarité, nous l’abandonnons à l’usage des enfants.
La bonne nouvelle est qu’une lecture adulte et une redécouverte
sont heureusement possibles. En exclusivité, Jésus offre au disciple
disposé, une révélation de la Personne de son Père. Personne n’a
jamais vu Dieu ; Dieu le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est
celui qui l’a fait connaître. Jean 118.
Dans le temps restreint de ses trois années de ministère, Jésus
n’a pas ouvert la bouche pour conter des fables à des badauds
oisifs, mais pour enseigner, au travers de récits allégoriques, des
vérités fondamentales d’une portée universelle. Un récit imagé
convient parfaitement à cet usage. La parabole est un concentré
d’informations plus efficace qu’aucun discours complet et rodé.
Déployer tout son contenu prend du temps. C’est avec une joie
sans cesse renouvelée au cours des années que nous essayons d’en
faire découvrir toute la richesse lors de séminaires.
Il est naïf de croire, comme la plupart l’affirment, que cette
forme d’expression est au service de la vulgarisation de vérités
cachées. Les disciples ont exprimé leur désarroi à plusieurs
reprises 1 . Ils avaient besoin de cours particuliers d’interprétation,
et quand enfin Jésus cessa de recourir aux paraboles, les disciples
visiblement soulagés lâchèrent : Voici, maintenant tu parles
1 Matthieu 1336, Marc 434, Matthieu 1611.
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ouvertement et tu n’emploies aucune parabole. Jean 1629.
On est en droit de s’interroger sur la stratégie de
communication de Jésus : métaphorique devant les foules et en
privé, explicative dans le cercle intime d’une douzaine d’hommes…
La simplicité d’une parabole n’est que formelle. Son apparente
facilité piège l’intelligent qui croit accéder à son sens, sans aucune
aide extérieure, par la seule puissance du cerveau. Les vérités
contenues ne sont pas cachées de nous, mais pour nous. Elles se
ferment comme des huîtres au nez du présomptueux qui se croit
assez perspicace pour les saisir. Le récit imagé a pour but de
cacher sous une apparente simplicité une vérité que Dieu destine
aux seuls disciples.
L’accès au sens d’une parabole est donc assuré à celui qui,
conscient de sa pauvreté, implore intérieurement secours. Dans cette
dépendance librement consentie, l’Esprit de Dieu communique un
supplément d’intelligence fait de révélation et de foi.
Une tradition partiale
En titrant : “le fils prodigue”, la tradition s’est axée uniquement
sur la folie dépensière du cadet. C’était trahir l’intention de Jésus
qui, nous le verrons, réserve une attention indivise à trois
personnages. Pour preuve, la narration commence en cinq mots :
Un homme avait deux fils.
Cette courte phrase fait penser au prologue de Genèse : Au
commencement, Dieu créa les cieux et la terre (Genèse 11) ou à
celui de Jean : Au commencement était la Parole ( Jean 11). Ce
n’est pas surprenant car cette parabole est une miniature du
message biblique dans son ensemble.
Si nous croyons que cette parabole a pour but d’imager une
conversion spectaculaire, nous la fragmentons. Une
interprétation plus globale et plus riche est alors occultée.
Le titre traditionnel trompe et réduit. Le court-métrage nous
entraîne au-delà du retour émouvant d’un fils à la maison paternelle.
Regardons-le dans son intégralité, nous y verrons beaucoup plus
qu’une comparaison symbolique ou prophétique entre les Gentils (le
cadet) et Israël (l’aîné) selon qu’il est écrit : Ainsi parle l’Eternel :
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Israël est mon fils, mon premier-né. Exode 422. Le contexte nous offre
à la fois un fil directeur et une clef d’interprétation.
Contexte
Cette parabole fait partie d’une série de trois paraboles2
exposées dans Luc 15 alors que Jésus fait face à un reproche
acerbe de la part des religieux de son temps : Tous les publicains
et les gens de mauvaise vie s’approchaient de Jésus pour l’entendre.
Et les pharisiens et les scribes murmuraient, disant : Cet homme
accueille des gens de mauvaise vie et mange avec eux. Luc 151-2.
Jésus nous est dépeint à la jonction de deux groupes fort
opposés dans leur expression sociale :
➀ des collecteurs d’impôts et des gens de mauvaise vie d’un côté,
➁ de l’autre, des pharisiens et des scribes.
Ces échantillons sociologiques déterminent les deux faces
représentatives d’une seule et même humanité.
Dans la parabole, le rôle des publicains amoureux de l’argent
et des gens de mauvaise vie avec lesquels Jésus prend ses repas est
dévolu au cadet, tandis que l’aîné personnifie les scribes pénétrés
de leur grand savoir et les pharisiens orgueilleux dans leur
opposition ouverte avec le Messie et son message. A eux deux, ils
sont un résumé de l’humanité.
Sociologiquement situés aux extrêmes, le cadet, l’aîné et les
gens qu’ils représentent ont cependant un point commun. Le
chapitre 5 de l’épître aux Galates montre que ces deux styles de
vie apparemment opposés – la licence et la religiosité – ont pour
source la même chair.
u’est-ce que la chair ? La chair n’est pas assimilable au corps
puisque le corps est le Temple du Saint Esprit (1 Corinthiens 619).
Le corps est ce qui permet au Christ de s’incarner dans le monde.
La chair est cette nature adamique déchue, tapie en
chacun, qui entend vivre indépendamment de Dieu. Ses
œuvres sont évidentes. Une liste non exhaustive est dressée en
Galates 519-21. Elle montre comment la chair entend s’exprimer
2 La brebis perdue, la drachme égarée, l’homme et ses deux fils.
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à tous les niveaux de notre être : les œuvres de la chair sont
manifestes, ce sont l’impudicité, l’impureté, la dissolution,
l’idolâtrie, la magie, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les
animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l’enie,
l’ivrognerie, les excès de table et les choses semblables. Je ous dis
d’avance, comme je l’ai déjà dit, que ceux qui commettent de telles
choses n’hériteront point le royaume de Dieu.
Cette énumération fait ressortir les prétentions holistiques de
la chair. Ce qui veut dire qu’on peut les classer en trois catégories :
corps
âme
esprit
impureté
inimitiés
idolâtrie
impudicité
querelles
magie
dissolution
jalousies
divisions
ivrognerie
animosités
sectes
excès de table
disputes
envie
Au travers de l’esprit humain, la chair peut susciter, à titre
d’exemple, la magie et les sectes. Au travers de l’âme, la chair se
manifeste par exemple par des inimitiés, des querelles, des
jalousies, des animosités, des disputes. Au travers du corps, il
s’agit de beuveries, d’impureté et des excès de table. La chair est
finalement ce qui donne corps au péché, ce qui le personnalise en
quelque sorte.
L’affection de la chair est inimitié contre Dieu, parce qu’elle ne se
soumet pas à la loi de Dieu et qu’elle ne le peut même pas. Romains 87.
Elle est la source de tous nos problèmes et la ruine de ce
bonheur auquel nous aspirons tant.
La chair veut fuir Dieu dans la licence (Galates 513). C’est ainsi
qu’elle conçoit la liberté. Elle peut aussi prétendre poursuivre et
achever la sainteté par ses propres mérites (Galates 54). Il lui suffit
pour cela de suivre scrupuleusement une liste de règles et de
recettes, de manipuler quelques principes spirituels pour rendre
l’auteur de la Loi finalement superflu et la présence de Dieu inutile.
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A l’instar de Janus, le dieu bicéphale, l’homme montre toute
son ambiguïté dans une chair à deux visages :
La chair bicéphale
Le visage de la licence
Le visage du légalisme
Tous les publicains
et les gens de mauvaise vie
s’approchaient de Jésus pour
l’entendre. Luc 151.
Et les pharisiens et les scribes
murmuraient, disant : Cet homme
accueille des gens de mauvaise vie et
mange avec eux. Luc 152.
Frères, vous avez été appelés à la
liberté, seulement ne faites pas de
cette liberté un prétexte de vivre
selon la chair. Galates 513.
Vous êtes séparés de Christ, vous
tous qui cherchez la justification
dans la loi ; vous êtes déchus
de la grâce. Galates 54.
Le cadet
L’aîné
L’ennemi juré de la chair est l’Esprit de Dieu. uand ce
dernier vient dans notre vie, il se comporte comme un challenger
et introduit en nous une alternative. La volonté dictatoriale et
esclavagiste de la chair est défiée et le choix nous est donné de
marcher soit selon la chair, soit selon l’Esprit. Entre les deux, une
lutte à mort va alors s’engager d’où sortiront nécessairement un
vainqueur et un vaincu.
La chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit et l’Esprit en a
de contraires à ceux de la chair ; ils sont opposés entre eux, afin que
ous ne fassiez point ce que ous oudriez. Galates 517.
uand Joël ou Paul décrivent les manifestations
extérieures du Saint Esprit, il est question de prophéties, de
langues et de songes, mais il ne faut pas perdre de vue la
mission intérieure de l’Esprit qui est de faire échec à notre
chair dans sa volonté indépendante.
À l’abordage !
Le mot “parabole” a pour origine un verbe d’action grec
emprunté au vocabulaire maritime, et plus particulièrement à
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celui des batailles navales. Il évoque la juxtaposition bord à
bord de deux navires prêts pour le combat.
Une parabole biblique tisse de façon analogique, des
métaphores avec leurs réalités spirituelles correspondantes. Au
travers d’un jeu subtil d’aller-retour entre le visible et l’invisible,
l’Esprit nous aide à comprendre une réalité capitale du Royaume
qui échappe ordinairement à l’intelligence naturelle.
Une parabole est une invitation à se lancer à l’abordage
d’authentiques réalités invisibles. Chaque image est une
similitude lancée comme un filin, sur un Royaume à conquérir.
Nous encourageons chaque “flibustier” à user de violence pour
s’emparer du Royaume de Dieu. Allez et pillez ! Appropriezvous les perles révélées du trésor de Dieu. Consignez-les dans
votre arsenal. Mieux encore ! Faites du vaisseau sans cesse
assiégé, le navire amiral de vos conquêtes à venir : Cherchez
premièrement le royaume et la justice de Dieu et toutes ces choses
ous seront données par-dessus. Matthieu 633. Alors l’invisible
deviendra visible pour vous et pour les autres. Le spirituel
prendra corps.
Le chemin étroit
Jésus vit en nous par la puissance de l’Esprit de la grâce. Il est à
la fois le chemin qui mène au Père et ce Père qui demeure dans le
lieu secret au cœur de notre être. Ce chemin étroit sinue entre le
ravin d’une vie licencieuse incarnée par le cadet d’un côté et la
montagne de nos prétentions religieuses représentée par l’aîné de
l’autre. Notre chair est ce paysage intérieur composé d’un ravin et
d’une montagne ; au milieu passe un chemin dessiné par l’Esprit
et qui vient tout chambouler.
Une oix crie : Préparez au désert le chemin de l’Eternel,
aplanissez dans les lieux arides, une route pour notre Dieu. Que
toute vallée soit exhaussée, que toute montagne et toute colline
soient abaissées ! Que les coteaux se changent en plaines et les défilés
étroits en vallons ! Esaïe 403-4.
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Nos thèses
1. Les deux catégories d’individus décrites au début du
chapitre 15 de l’Evangile de Luc, bien qu’opposées dans leur
expression sociologique, ont cependant la chair comme
fondement commun. Païens licencieux et religieux légalistes
apparaissent dans la parabole respectivement sous les traits du
cadet et de l’aîné. Le Père les aime tous les deux, non pour les
justifier en l’état, mais plutôt pour les inviter à renoncer à euxmêmes : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à luimême, qu’il se charge chaque jour de sa croix, et qu’il me suive. Luc
923.
2. Nous ne lisons pas la Bible. C’est la Bible qui nous lit. Cette
parabole est un miroir où se reflète notre propre relation au Père.
Les fils nous dévisagent – sous deux angles – dans l’ambiguïté de
notre chair. Dieu étant profondément relationnel, nous ne
pourrons Le voir que si nous acceptons en même temps d’être
révélés à nous-mêmes. L’un n’est pas possible sans l’autre.
3. Jésus représente tout à la fois le Père et la marche par l’Esprit
qui mène à ce Père. Dès qu’un fils (une fille) parvient à la maturité, il
devient, de fait, spirituellement, un père (une mère) pour les autres.
4. La maison du Père que l’Esprit entend bâtir en nous plonge
ses fondations dans un lieu secret situé également en nous. C’est
là que nous devons Le chercher, c’est là qu’Il veut se révéler, nous
rencontrer et bâtir sa demeure.
Puisse la révélation souffler à nouveau sur cette parabole et
emporter au loin la pousière des traditions humaines.
La parabole des deux fils
Elle est construite autour de quatre parcours de dix étapes :
Le ravin du cadet
La course du Père vers le cadet
La montagne de l’aîné
L’invitation du Père
Ce à quoi nous rajouterons, dans l’Evangile de Jean au chapitre 17 :
Le Fils-Chemin.
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Tableau de Rembrandt
Huile sur toile - 262 x 206 cm
1669
Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg
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