Vous avez bien dit : "un monstre" - envlit
Transcription
Vous avez bien dit : "un monstre" - envlit
Vous avez bien dit :..."un monstre" !!! Par Patrick Camus, IFREMER - La Trinité-sur-mer Extrait d’un article publié dans la revue « La Vigie », n° 21, avril 1996. 14 heures 08, station IFREMER de la Trinité/Mer le combiné téléphonique de France Télécom fait entendre son appel. Au bout du fil, un particulier essoufflé nous signale une étrange découverte ce matin sur la laisse de haute mer à Penthièvre. L'océan a mis à terre les restes d'un "monstre" marin. La description de l'animal ou du moins ce qu'il en reste est encore empreinte d'émotions et d'interrogations... De quelle bête s’agit-il ? Que fait-il là ? De quoi est-il mort ? Est-il dangereux ?? Que faire de... ce dauphin, ce marsouin, ce globicéphale, ce rorqual, ce... cachalot, de cette énorme tortue luth ou de ce requin pèlerin ?? Et puis il y en a de plus modestes par la taille mais tout aussi étranges : des balistes, des lumps, des poissons lunes, des lièvres de mer... drossés à la côte ou ramassés à la marée. Tout ceci n'est pas une fiction, ni l’arche de Noé mais le recensement presque exhaustif des bêtes bizarres que des particuliers, des vacanciers, des pompiers, des employés de mairie, des gendarmes, des agents des Affaires Maritimes ou du CROSS-Etel signalent ou apportent assez régulièrement à notre laboratoire. Au fait, ils n'ont bien sûr de "monstre", que l'attraction qu'ils génèrent. Avec l'arrivée de ces êtres énigmatiques, les esprits s'agitent, les questions fusent, les hypothèses les plus fantastiques s'élaborent... Alors notre subconscient se réveille et nous replonge quelques moments dans le surnaturel. Mais après tout, il y a sûrement encore des choses à apprendre, à comprendre, à expliquer en étudiant ces êtres énigmatiques sortis des profondeurs et de l'immensité de l'océan. A quoi ces observations peuvent-elles servir ? Les créatures à sang chaud Pour les échouages de mammifères marins, depuis 20 ans les agents IFREMER des laboratoires côtiers ainsi qu’un réseau d'observateurs bénévoles transmettent, souvent via notre institut, toutes ces observations. Ces dernières sont consignées sur des bordereaux officiels d’échouage remplis scrupuleusement sur les lieux de découverte. Sont ainsi notées de nombreuses données biologiques : nom de l’espèce, taille, poids, sexe, caractéristiques de la dentition, présence de blessures, etc. Toutes ces informations sont ensuite archivées minutieusement, pour le Ministère de l'Environnement, dans un fichier national au Centre de Recherches sur les Mammifères Marins de la Rochelle. Après avoir délivré le "permis d’inhumer", la commune, parfois bien embarrassée, doit trouver une sépulture décente pour les restes souvent encombrants et malodorants de ces chevaliers des mers. De temps en temps l’océan reprend, avec la marée, la dépouille et la recycle dans ses profondeurs obscures... Pour quelques privilégiés, c'est la gloire : ils sont désossés, embaumés ou moulés pour rejoindre Océanopolis à Brest ou l'aquarium de Vannes. Dans le Morbihan, près de 320 échouages ont été enregistrés scientifiquement depuis 25 ans. On peut ainsi constater qu'il y a en moyenne 5 à 10 échouages par an surtout en hiver après les grandes tempêtes d'ouest. Les années 1989 à 1991 ont été inhabituelles avec de très nombreux échouages de dauphins de différentes espèces, souvent en très mauvais état. Les causes de ces mortalités restent souvent mystérieuses malgré les investigations : épidémies, mortalité par pêche, ouragans... ??? De toutes les espèces, la famille des dauphins représente 81 % des échouages avec surtout le dauphin commun, le globicéphale noir, le dauphin bleu et blanc et le grand dauphin. Le marsouin, le plus petit de nos mammifères marins européens est devenu rare, victime de la pollution des estuaires, des filets des pêcheurs, de la motorisation des bateaux,... Seuls 6 échouages ont été signalés dans le Morbihan. Parmi les poids lourds, un "Moby Dick", cachalot (cétacé à dents) de 14 m s'échoua à Ploemeur en 1976 et un autre de 16 m à Belle Ile en 1991. Les baleines à fanons sont également représentées avec le rorqual commun (deuxième plus grande espèce après le rorqual bleu, plus connu sous le nom de baleine bleue) dont un représentant de 12 m "atterri" à Fort bloqué en Ploemeur en 1976. Le petit rorqual ou rorqual à museau pointu se manifeste de temps en temps en Vilaine. En 1991 et 1993, en plein été, deux individus de 8 et 12 m vinrent finir leurs jours sur les plages de Damgan. Très récemment un troisième s'est offert une couverture médiatique involontaire en remontant la rivière d'Auray le 20 juillet 1995 au milieu des plaisanciers et de l'école de voile de Locmariaquer. Puis il a fait demi tour au Bono repassant nonchalamment devant Port Navalo avant de retrouver le calme de l'océan. Les "apprentis marins" se souviendront longtemps du souffle puissant du "monstre" curieux qui les a médusés un instant et leur a momentanément .... coupé le souffle. Les principales zones d'échouages sont les parties du littoral les plus largement ouvertes vers l'océan : Baie de Vilaine, Presqu'île de Rhuys, Baie d'Etel (Penthièvre à Gâvres), les îles de Groix et de Belle Ile et la côte entre la Laïta et Larmor-Plage. Au total depuis 25 ans près de 14 espèces différentes de mammifères marins ont été observées ou leurs dépouilles répertoriées le long des 850 km du littoral morbihannais. Certaines espèces sont plutôt océaniques comme le cachalot, d’autres plus littorales comme les marsouins, d’autres plutôt boréales, ou méditerranéennes voire tropicales. D’autres espèces enfin, très européennes, comme le phoque gris encore bien présent en Cornouaille française et anglaise, visitent régulièrement le Morbihan. Les créatures à sang froid Les reptiles marins sont également présents dans les échouages avec l’imposante tortue luth (18 échouages depuis 1988 dont 11 en 1995 !!!) et une caouanne, appelée aussi tortue à bahut, trouvée échouée parmi les détonateurs, sous Penthièvre en janvier 1994. La tortue luth ou la tortue à clin (Dermochelys coriacea) est la plus grande tortue actuelle. Elle peut peser jusqu'à 500 kg et atteindre 2,4 m de longueur totale. Elle fait partie des 250 espèces animales en voie de disparition. Sa population mondiale est estimée à 2 000 individus. Elles vivent plutôt au large, en zone tropicale, se reproduisent surtout en Guyane française, se nourrissent de végétaux et de méduses. Parfois entraînées dans la circulation du Gulf Stream, elles viennent s'échouer sur les côtes françaises presque toujours aux mêmes endroits. L'observation de l'espèce le long des côtes de la France métropolitaine, et en particulier de la région Bretagne-Vendée n'est pas nouvelle. L'herpétologue, Jacques Fretey, a publié récemment un petit historique. La première observation semble dater de 1729. Dans une lettre adressée au Duc d'Estrées, Gouverneur de Nantes, et conservée par les archives de cette ville, G. Mellier écrit qu'un "poisson monstrueux" long de "8 pieds et de la grosseur d'un muid de vin" a été capturé le 4 août par des pêcheurs à 13 lieues au nord de l'estuaire de la Loire, à l'endroit nommé la Pierre percée ; ce "Poisson" étant, selon lui, une tortue semblable à celle figurée par Rondelet en 1558. De La Font, en 1731 et 1733, cite ce spécimen en le qualifiant de "tortue extraordinaire". En 1765, deux autres Luths furent prises vivantes dans cette même région, l'une le 8 juin à Bourgneuf, l'autre, une femelle, au large du Pornic le 10 juillet. Brongersma en 1972 écrit avoir découvert dans les archives de Nantes un document décrivant avec précision le spécimen de Bourgneuf, et précisant : "Quoique cette Sorte de Tortue paroisse for rare sur nos côtres, cependant quelques personnes se ressouviennent d'en avoir vu une pareille il y a envion 20 ans en cette ville, de 17 pieds de long et qui pouvoit perser 200 L." L'année 1995 a été riche en observations et en échouages dans le Morbihan. Cet été, deux tortues piégées par des cordages à Men er roué (baie de Quiberon) et devant Arzon, ont pu être libérées par les plongeurs d'IFREMER et les pompiers. Bon nombre sont arrivées en très mauvais état sur nos grèves, mortes souvent après avoir ingérées des sacs plastiques probablement confondus avec des méduses (d’ailleurs trés abondantes ces deux dernières années). Epilogue De toutes ces étranges créatures, ma préférée n'est ni un reptile, ni un mammifère marin. Il s'appelle Naucrates ductor, mesure 27 cm et ne pèse que 200 grammes. En fait, c'est un poisson pilote qui accompagne toujours les grands squales des mers chaudes. Un individu pêché à la ligne, sur la chaussée de Beniguet, nous a été apporté le 10 juillet 1995 par des vacanciers de Carnac, très surpris de cette capture. Il ne nous reste plus qu'à imaginer le monstre fantastique qui erra, sans son "pilote", entre Quiberon et Belle-Ile pendant l'été au milieu des touristes... !!! Mais il nous faut arrêter là ce rêve inachevé à la Jules Verne et se dire que les grèves du Morbihan recèlent encore bien des surprises et des trésors. Quant aux "monstres" du littoral morbihannais, ils seront toujours là pour nous émerveiller, nous surprendre aux moments et aux lieux les plus inattendus... prêts à nous faire communiquer avec un autre univers... celui des mystères et de la connaissance de l'océan.. Bonnes ballades sur les grèves du Morbihan !!!... mais ouvrez l'oeil. *** P.S. : L'auteur tient à remercier : tous ceux et celles qui nous communiquent et collectent ces précieuses informations ; plus particulièrement Mmes A. Collet et C. de Gaye du Centre de Recherches sur les Mammifères Marins de la Rochelle (CRMM), le Professeur R. Duguy, spécialiste des reptiles marins au muséum de la Rochelle, Mr C. Hautefeuille, chargé de la validation des données d'échouages dans le Morbihan et Mr O.Vancanneyt (CRMM) pour la relecture attentive du manuscrit. LISTE DES VISITEURS INSOLITES DU LITTORAL MORBIHANNAIS (années 1971-1995) Baleines à fanons : - Rorqual commun - Petit rorqual ou Rorqual à museau pointu Balaenoptera physalus Balaenoptera acutorostrata Grands cétacés à dents : - Cachalot - Cachalot pygmée - Cachalot nain Physeter macrocephalus Kogia breviceps Kogia simus Dauphins - cétacés à dents et de taille moyenne : - Dauphins des anciens ou dauphin commun - Grand dauphin ou souffleur - Dauphin de Risso ou Grampus - Dauphin ou lagenorhynque à flancs blancs - Dauphin bleu et blanc - Globicéphale noir Delphinus delphis Tursiops truncatus Grampus griseus Lagenorhynchus acutus Stenella coeruleoalba Globicephala melas Petits cétacés à dents : - Marsouin Phocoena phocoena Phoques : - Phoque gris - Veau marin ou phoque commun Halichoerus grypus Phoca vitulina Tortues: - Tortue luth ou tortue à clin - Caouanne ou tortue à bahut Dermochelys coriacea Caretta caretta nombre Abondance annuelle 100 80 60 40 20 nombre 1995 1993 1991 1989 1987 1985 1983 1981 1979 1977 1975 1973 1971 0 Abondance mensuelle 100 80 60 40 20 0 JAN FEV MAR nombre AVR MAI JUIN JUIL AOUT SEPT OCT NOV DEC Répartition géographique 100 80 60 40 20 0 LAÎTA à PORT LOUIS GROIX BELLE ILE, GAVRES à HOUAT, ST PIERRE HOEDIC, QUIBERON QUIBERON BAIE DE QUIBERON GOLFE DU PRESQU'ILE MORBIHAN DE RHUYS BAIE DE VILAINE Echouages de mammifères marins dans le Morbihan de 1971 à 1995 Abondance des espèces de mammifères marins MORBIHAN - années 1971 à 1995 cétacés à fanons RORQUAL grands cétacés à dents CACHALOT PYGMEE dauphins DAUPHIN DE RISSO GRAND DAUPHIN GLOBICEPHALE NOIR 95 PHOQUE GRIS indéterminées PHOQUE NON IDENTIFIE DAUPHIN NON IDENTIFIE 142 0 5 10 nombre total d'animaux échoués 15 20