Autosuggestion ? Les miracles défient la raison

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Autosuggestion ? Les miracles défient la raison
à la Une
. p 14 Mirage ou message ?
. p. 16 Divines apparitions
. p. 20 Lourdes : 150 ans de guérisons
. p. 22 Quand la médecine s’incline
. p. 24 Nés pour guérir
. p. 26 Du chapelet au scanner
. p. 28 Placebo : l’inconscient guérisseur
. p. 29 Vers une psycho-spiritualité ?
. p. 31 Petits miracles au quotidien
. p. 33 Thierry Salmeron :
« La vie donne tout. C’est ça le miracle »
P
hénomène
surnaturel ? Intervention
divine ? Autosuggestion ?
Les miracles défient la
raison ; les guérisons
inexpliquées narguent la
médecine et le scientisme
triomphant. Au-delà de la
croyance ou du scepticisme,
que nous apprennent ces
événements extraordinaires
sur nous-même et notre
potentiel d’autoguérison ? Le
miracle est-il exceptionnel,
ou bien sommes-nous
exceptionnellement
conscients du miracle de la vie ?
De l’autre
côté
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Dossier réalisé par Jocelin Morisson
à la Une
du miracle
« Il n’y a que deux façons de vivre sa vie : l’une en faisant comme si
rien n’était un miracle, l’autre en faisant comme si tout était un miracle. »
Albert Einstein
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Mirage ou
message ?
Avérés, suspects
ou illusoires,
les miracles
conditionnent
le rapport au
monde de ceux
qui y « croient ».
Mais la question
n’est-elle
pas plutôt de
comprendre ?
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D
es apparitions mariales aux synchronicités en
passant par les guérisons, la notion de miracle couvre un large éventail de phénomènes. C’est aussi une question de point de vue. Au sens strict, le miracle est
l’irruption de l’extraordinaire, ou du « surnaturel », dans le quotidien. D’aucuns
associent ce surnaturel au divin et y voient donc un acte, un signe, un message
de Dieu lui-même. Du point de vue ésotériste, le miracle vient d’en haut alors
que le prodige vient d’en bas. Pour les religions, le miracle est un fait de Dieu
alors que le prodige est celui d’un intermédiaire entre Lui et nous. Mais dans la
spiritualité moderne, « laïque », nul besoin d’intermédiaire entre Dieu et nous,
puisque nous sommes Lui et qu’Il est nous. Dès lors, le miracle est à la portée de
chacun, ainsi que l’affirmait Jésus. Nos fantastiques capacités d’autoguérison
n’en témoignent-elles pas ? Et notre accès possible à l’expérience transpersonnelle, mystique ?
Certes, tout un chacun ne se met pas à léviter dès qu’il sort de chez lui, ni
ne « reçoit » les stigmates du Christ quand il songe à son martyr. Cet ordinaire tuerait le miraculeux, qui doit rester l’exception. De plus, nous devons
à la Une
Le miracle
est-il que les tailles
apparentes du
Soleil et de la
Lune permettent
l’éclipse totale,
ou simplement que
le Soleil se lève
tous les matins ?
renoncer à comprendre le miracle, car il est
inexplicable par définition. Accepter son
existence revient donc à accepter un autre
ordre de réalité, duquel nous serions « séparés ». Mais ce point de vue est en contradiction avec l’idée qu’il n’y a qu’une seule réalité, dont nous méconnaîtrions cependant
maints aspects… Le miracle serait-il alors
une invitation à combler ce qui nous sépare
de l’autre ordre de réalité, précisément pour
réaliser l’unité ? Les spiritualités d’Asie et
d’Inde nous enjoignent en effet, seulement depuis quelques
millénaires, à lever ce voile des illusions.
Dieu ou diable ?
Dans les religions d’Occident, le miracle est surtout associé au catholicisme, et il est jugé à l’aune de son effet sur
la foi. L’a-t-il renforcée, et c’est un miracle. Sinon, c’est de
la magie, et nécessairement l’œuvre du diable. Le judaïsme
ne s’appuie pas sur des « revendications de miracles » comme
bases de la foi. La Bible précise en effet que Dieu accorde
parfois à des charlatans le pouvoir de réaliser des miracles,
et ce afin de mettre à l’épreuve la loyauté des juifs envers
la Torah. Dans le monde musulman, la venue du Coran sur
terre est un miracle, de même que le voyage nocturne de
Mohamed de La Mecque à Jérusalem. Quant aux protestants, on le sait, ils sont très réservés sur la notion même de
miracle, assimilée à des interventions ponctuelles indignes
de la sagesse et de la puissance de Dieu.
Authentification
Le problème devient donc l’authentification des miracles.
La thématique est piégée parce qu’il nous est impossible
de savoir si une apparente violation des lois de la nature
provient d’une véritable intervention surnaturelle ou de
notre méconnaissance relative de ces mêmes lois. « Ce qui
ne peut pas se produire ne s’est jamais produit, et ce qui peut se
produire n’est pas un miracle », disait déjà Cicéron. Un catholique contrarié comme Ernest Renan se défiait lui aussi des
miracles, comme il l’écrit dans La Vie de Jésus : « S’il est avéré
qu’aucun miracle contemporain ne supporte la discussion, n’est-il
pas probable que les miracles du passé, qui se sont tous accomplis
dans des réunions populaires, nous offriraient également, s’il nous
était possible de les critiquer en détail, leur part d’illusion ? ». Et
de conclure : « Ce n’est donc pas au nom de telle ou telle philosophie, c’est au nom d’une constante expérience, que nous bannissons le miracle de l’histoire. »
Manipulation
Car en effet, l’être humain est crédule. Si les guérisons
de Lourdes, par exemple, font l’objet d’une procédure
d’authentification longue et minutieuse, d’autres cas comme Medjugorje, en Bosnie, sont très controversés. Les faux
gourous pullulent, jusqu’à des révélations sordides d’abus
sexuels de la part de figures spirituelles suivies par des millions de fidèles, comme Sathya Sai Baba. La propension à
« croire aux miracles » est largement manipulable par des esprits retors. La traditionnelle
statuette qui pleure finit souvent sur un site internet de ventes aux enchères. On y trouve aussi
des tranches de pain grillé avec le visage de la
Vierge, du Christ, ou même de Michael Jackson !
Le nom d’Allah et ses jolies courbes calligraphiées est vu par de nombreux musulmans dans
le moindre groupe de nuages ou une tache sur la
nappe. On parle alors de pareidolie.
42 % des Français croyaient aux miracles en
2004, selon un sondage IFOP. Ils n’étaient plus que 35 % en
juillet 2006 (TNS Sofres), mais seulement 8 % y voyaient une
intervention de Dieu. Il serait bon de dépasser le stade de la
croyance pour progresser sur le terrain de la connaissance.
Énergie vitale
À cet égard, l’évolution du regard de la médecine et de la
psychologie sur les notions mêmes de maladie et de guérison est notable. Le concept d’énergie vitale – au cœur des
médecines traditionnelles asiatiques, mais aussi de l’action
de nos guérisseurs – commence à être pris en considération. Il permet de s’affranchir de la question de Dieu, pour
se concentrer sur l’Homme et sa nature profonde. Certes,
le guérisseur fait le plus souvent appel à Dieu, mais pas
nécessairement dans un contexte religieux, comme en témoignent les cas extraordinaires d’Edgar Cayce aux ÉtatsUnis, Bruno Groening en Allemagne, ou Maître Philippe en
France (lire p. 24). Les guérisseurs ont des techniques, des
« prières », et Daniel Meurois raconte par exemple que les
Esséniens, maîtres de guérison, étaient « fâchés » par la
façon dont Jésus guérissait d’un seul mot ou d’un geste.
Les guérisons inexpliquées continuent à défier la science
et la médecine, qui tiennent là une voie royale d’exploration de la nature humaine.
Si la conscience est bien la clé, c’est notre rapport au monde qu’il faut transformer. Un auteur comme Thierry Salmeron l’a bien compris, qui fait écho à Gurdjieff avec son
concept d’homme vrai, présent, vigilant et autoréférent
(lire interview p. 33). Lui-même a guéri d’un cancer et vécu
une expérience de mort imminente. Cette expérience est
d’ailleurs un miracle contemporain. Au beau milieu de
l’ultra-modernité d’un service de réanimation, le transcendant se rappelle à notre souvenir.
Le miracle est donc affaire de point de vue, et quiconque
est capable de s’émerveiller devant la naissance d’un enfant ou la beauté d’une rose sait voir le miracle dans la vie
elle-même. La cosmologie nous enseigne que le « réglage
fin » des constantes et des lois physiques a permis l’apparition de la vie dans des conditions que l’on peut considérer comme miraculeuses. Le miracle est-il que les tailles
apparentes du soleil et de la Lune permettent l’éclipse totale, ou simplement que le soleil se lève tous les matins ?
Décidément, le « nouveau paradigme » ne conduit pas
à voir différemment le monde, il conduit à voir un monde
différent. ●
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à la Une
Apparitions,
stigmates,
lévitations…, les
miracles associés
à la religion, en
particulier catholique,
sont légion.
L’Église n’accepte
pas tout, mais
entretient la flamme.
Retour sur les
multiples visages de
l’« extra-ordinaire ».
Divines
A
u chapitre des apparitions,
les plus célèbres sont sans aucun doute celles de Marie de
Nazareth. La mère de Jésus est apparue dans plus de cent
dix lieux répertoriés depuis l’an 850, en incluant les manifestations miraculeuses comme les icônes qui pleurent. En
tout, des milliers de mariophanies ont été comptabilisées,
mais selon l’historien Joachim Bouflet, seules 2 % auraient
été authentifiées. Bien sûr, dans de nombreux cas, il s’agit
d’apparitions multiples, parfois sur de longues périodes.
Ainsi, celles survenues à Le Laus (Hautes-Alpes), où la
Vierge est apparue de mai à août 1664 à Benoîte Rencurel,
qui fut déclarée vénérable en 1872 (reconnaissance officielle par Mgr Di Falco le 4 mai 2008). À Pocs, en Hongrie,
une icône « Hodigitria » de Marie se mit à verser des larmes
pendant un mois, en 1696, devant les fidèles ébahis réunis
pour la messe. L’icône fut transférée, mais une autre pleura
à nouveau pendant deux semaines en août 1715. Et le phénomène se manifesta encore près de deux siècles plus tard,
en 1905, pendant plus d’un mois. L’année 1858 est bien sûr
célèbre pour l’apparition de l’Immaculée Conception à Bernadette Soubirous dans la grotte de Massabielle, à Lourdes,
qui se reproduisit du 11 février au 16 juillet. Bernadette vécut jusqu’en 1879 et fut canonisée en 1933.
Fatima et les ovnis ?
En 1917, c’est la fameuse apparition de Notre-Dame de Fatima au Portugal, du 13 mai au 13 octobre, devant trois jeunes bergers dont deux furent béatifiés en 2000 par le pape
Jean-Paul II. Ce dernier était en effet concerné par la troisième partie du « secret de Fatima », qui annonçait prétendument l’attentat dont il fut victime en 1981. La première
partie était une vision de l’enfer, et la seconde expliquait
comment mettre fin à la grande guerre.
Le troisième secret parle de la mise à mort d’un pape, mais
peut aussi être compris comme une métaphore de la fin de
l’Église catholique. De fait, les secrets ont fait l’objet de lectures et d’interprétations de toutes sortes. Rappelons que
l’ingénieur Christel Seval a vu dans le cas de Fatima un lien
avec le phénomène ovni (La Vierge et les extraterrestres).
Dans une interview au site internet ufofu.org, il confie :
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apparitions
« une vie de sainte ». Dix ans auparavant, en 1848, une « petite dame »
en robe blanche était apparue
à trois fillettes à Montoussé,
près de Tarbes. Des guérisons avaient suivi et l’élan
de ferveur ne s’est jamais
tari.
En revanche, Joachim
Bouflet se montre particulièrement sceptique
à l’égard du cas de Medjugorje, en BosnieHerzégovine, comme
il l’explique dans son
livre Medjugorje ou la
fabrique du surnaturel (Salvator, 1999). Sa
critique de ce cas lui a
bien sûr valu des volées
de bois vert de la part de
nombreux croyants.
En 1981, c’est un village
paisible de la province de
Mostar. Le 24 juin, des enfants
voient une dame en robe grise et
l’identifient comme la « Gospa », la
Vierge. Commence alors une très longue série de visions qui se poursuivrait
encore aujourd’hui, et pour cause s’il s’agit
d’un mensonge devenu très rentable, comme le
pense Joachim Bouflet : « C’est un cas extrême, explique-t-il,
un cas où le fait apparitionnel est fabriqué à partir d’un mensonge
qui soude six visionnaires et sert de déclencheur à un processus de
Danse du soleil
surenchère. » Alors que les visionnaires, aujourd’hui mariés,
Selon Joachim Bouflet, l’apparition de Fatima ne souffre
sont dispersés entre Croatie, Italie et États-Unis, certains
aucune contestation. « C’est un événement unique
disent continuer à « voir ».
dans l’histoire de l’Église, une mariophanie capitale Pourquoi les
Medjugorje est une affaire qui tourne, avec
de notre temps », explique-t-il. Le miracle sera apparitions du
sites internet, 400 filiales aux États-Unis, un
certifié par l’Église treize ans après.
spirituel de 2 millions de pèlerins
Christ sont-elles tourisme
Le phénomène de la « danse du soleil » accompachaque année… Mais rien ne permet d’afgnant la vision est bien connu. Plus de 70 000 fidè- moins célèbres
firmer qu’il s’agit d’une imposture, et faute
les et une poignée d’observateurs athés ont vu sur que celles de
d’évaluation « scientifique », le mieux est
place le soleil tourbillonnant « avec une vitesse impéencore d’aller y faire sa propre expérience.
Marie ?
tueuse ». Mais ils furent les seuls témoins de cette
danse extraordinaire et il ne s’agissait donc, selon Dieu fait homme Marche à reculons
Joachim Bouflet, que d’« une impression donnée aux est-il moins
Une autre mariophanie « bien déroutante »
personnes sur place. » À Fatima comme à Lourdes,
selon Joachim Bouflet s’est déroulée à Gara« accessible »
Marie guérit encore mystérieusement.
bandal, petit hameau perdu des monts CanLe cas de Lourdes est lui aussi « limpide » pour que la figure
tabrique en Espagne. En 1961, Marie apparaît
Joachim Bouflet, par la vie même de Bernadette, de la mère ?
là aussi à quatre fillettes. Elle est vêtue de
« Toutes les personnes un peu curieuses
du phénomène ovni ont entendu parler de cette suspicion concernant le
soleil dansant de Fatima, et l’idée
qu’il ait été en réalité un ovni.
J’ai voulu creuser cette apparition de Fatima, d’une
part, car de nouveaux
faits sont remontés à la
surface, via les études
d’historiens portugais,
et d’autre part pour
établir
solidement
une hypothèse que
les ufologues ont rarement approfondie,
à l’exception de Gilles
Pinon. (…) Ce travail
réalisé sur Fatima,
j’ai cherché à savoir si
je pouvais étendre mes
conclusions aux autres
apparitions mariales qui
sont nombreuses à travers
le monde. » Et Seval de définir les critères de parenté
entre une apparition mariale
et le phénomène extraterrestre. D’abord la « sémiologie » qui
se recoupe, soit le vocabulaire et la
formulation : une grande lumière, un flash
intense, etc. Ensuite des effets, traces physiques ou
imagerie attribuables à une technologie avancée.
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blanc et de bleu, demande pénitence et sacrifices, dénonce
« le chemin de perdition » emprunté par certains membres du
clergé. Plus tard, des phénomènes extraordinaires vont se
dérouler devant une foule de témoins et même des caméras : lévitation, marche à reculons à toute vitesse, transes,
chutes sans plaie aucune.
Les extases des enfants, individuelles ou collectives, se
manifesteront plus d’un millier de fois jusqu’au 20 janvier
Les quatre fillettes de Garabandal, en Espagne.
1963, et seront même souvent annoncées plusieurs jours
à l’avance. Le culte s’est lui aussi maintenu à travers le
temps, d’autant qu’un grand miracle a été annoncé dans
le dernier message de Marie. Il se produira un jeudi soir à
20 h 30 d’une année non précisée, coïncidera avec un événement important pour l’Église, et est destiné à convertir
le monde entier.
Notons que les apparitions de Marie se manifestent souvent à des enfants. Question de pureté d’âme sans doute.
Ainsi, tout comme à Garabandal, « une belle dame s’inscrivant
au cœur d’un cercle d’étoiles » apparaît à six enfants âgés de 4
à 12 ans à Pontmain (Mayenne) en 1871. L’un d’eux décrit
« une robe d’un bleu très profond », parsemée « d’étoiles d’or
à cinq pointes, de même grandeur », qui « brillent sans émettre
aucun rayon… ».
Et le Christ ?
Au final, Marie est apparue aux quatre coins de la planète,
avec certes une prédilection pour l’Europe catholique. On
l’a vue en Inde, en Amérique du Sud, en Afrique, en Corée,
en Océanie. Mais elle est également apparue à des protestants qui se sont convertis sur le champ, ainsi qu’à des musulmans en Égypte ou au Liban. Elle parle, elle sourit, elle
pleure, elle guérit… L’Église accorde son imprimatur avec
parcimonie et ses membres se querellent indéfiniment
autour de certains cas, jusqu’au schisme.
Pourquoi les apparitions du Christ sont-elles moins « célè-
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bres » que celles de Marie ? Dieu fait
homme est-il moins « accessible »
que la figure de la mère ? Le Christ
est en fait plus connu pour ses miracles, ceux du Nouveau Testament
en premier lieu. Aux noces de Cana,
il change l’eau en vin, un « nectar »
disent les convives. En rompant sept
pains, il nourrit une foule de quatre mille personnes. Il apaise une
tempête, il ressuscite Lazare d’entre
les morts, il marche sur les eaux…
Autant de prodiges auxquels s’ajoutent vingt-cinq récits de guérisons
miraculeuses.
Le plus grand miracle est sa propre
résurrection, trois jours après sa
mort. Si les miracles sont au cœur
de la tradition chrétienne, seules les
traditions catholique et orthodoxe
les reconnaissent comme réels, et
les considèrent réalisables par des
saints.
Visages de Bélmez
Apparitions toujours, mais de visages cette fois avec l’affaire des « visages de Bélmez ». Dans une maison
ordinaire de ce village d’Espagne, un
visage est spontanément apparu sur Pendant de
le sol de la cuisine le 23 août 1971. nombreux
Impossible de l’effacer, on décide de mois, ce sont
changer le plancher, et voilà un nouveau visage qui apparaît. Pendant de plusieurs
nombreux mois, ce sont plusieurs visages qui
visages qui vont ainsi se dessiner sur vont ainsi
le sol de la cuisine et dans d’autres
pièces. Certains sont changeants, se dessiner
d’autres apparaissent puis dispa- sur le sol de
raissent.
la cuisine et
Aucune enquête n’a pu prouver de
supercherie, en revanche il est éga- dans d’autres
lement apparu… que la maison se pièces.
situait à l’emplacement de plusieurs
cimetières qui s’étaient succédé au fil des siècles !
Stigmates
Les stigmates sont une autre manifestation « paranormale »
de la foi. Comme le rappelle Jean-Pierre Girard dans l’Encyclopédie du Paranormal (J’ai Lu, 1963), on utilise le terme de
dermographisme pour désigner la stigmatisation en dehors
d’un contexte religieux. Robert Tocquet dans Les Mystères du
Surnaturel estime que la stigmatisation est le plus souvent un
fait religieux, mais qu’il peut aussi être un fait expérimental
ou même… diabolique. De fait, il montre qu’il peut être suggéré, par conséquent il peut aussi être autosuggéré.
à la Une
. Miracles et religions
Dans l’islam, l’ex-recteur de la Mosquée de Paris Dalil
Boubakeur a écrit qu’il n’existe pas de « méthodologie
rigoureusement établie sur les guérisons miraculeuses ».
La maladie vient de Dieu et toute guérison, même non
miraculeuse, est un bienfait de Dieu. Il existe des rites de
guérison très anciens, notamment dans le soufisme.
De grands mystiques tels Sohra-Wardi ont bénéficié de faits
miraculeux ou de visions. L’islam distingue les faits prodigieux
rapportés à des saints (walis) ou mystiques (guérisons,
lévitations, bilocations, contrôle des éléments, etc.), et
les miracles liés à la mission et la vie des prophètes, qui
garantissent l’authenticité même de cette mission. Ainsi, « la
résurrection d’un mort est un miracle, mais la guérison d’un
lépreux ou d’un paralytique, un prodige (Karamat) lorsqu’elle
survient du fait d’un thaumaturge ou d’une invocation adressée
à Dieu », précise le Dr Boubakeur.
(Voir aussi www.miraclesducoran.com)
Dans le judaïsme, le premier miracle est la création du
monde. La maladie est un malheur et, selon Maimonide,
Dieu donne l’obligation de traiter les maladies. « La prière
a une importance capitale », précise le Dr Charles Sulman
(dans Les Voies de la guérison, Thouvenin). Tout médecin
doit prier, et c’est Dieu qui guérit. « La croyance en l’effet
curatif d’un endroit saint ou d’une sainte relique est inconnue
du judaïsme », mais il reconnaît, tout comme l’islam, les
« guérisons miraculeuses » de l’Ancien Testament. Hanina ben
Dossa est célèbre pour ses prières qui guérissaient. De nos
jours, certains rabbins cabalistes obtiendraient des guérisons
inexpliquées.
Dans l’hindouisme, le miracle est « quotidien », car l’ascèse
du malade produit des phénomènes qui entraînent la guérison,
explique Bernard Thouvenin (Les Voies de la guérison). Le
malade doit lui-même prier, et offrir des dons. Shiva est
invoquée, mais aussi les grandes forces de la nature, avec
rituels de guérison et offrandes.
Dans le bouddhisme, le
concept de guérison est
central, car tout le chemin
vise à se libérer de la
souffrance. Le Bouddha a
soigné, mais fait peu de
guérisons « miraculeuses ».
Les prodiges ne manquent
cependant pas : lévitation
des moines, pouvoirs
psychiques. Aujourd’hui
encore, « le petit Bouddha »
(Ram Bahadur Bomjon) serait
en méditation depuis des
années au Népal. Il n’aurait
ni mangé ni bu pendant
six mois, soit un cas inédit
d’inédie !
Le jeune Népalais surnommé « le petit Bouddha »
a attiré plus de 200 000 pèlerins du monde entier.
Ce phénomène illustre-t-il la puissance de l’inconscient,
plus que celle de la foi ? Les mystiques chrétiens stigmatisés
célèbres sont François d’Assise, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avilla, Padre Pio, Thérèse Neumann… L’islam mentionne également des cas de stigmatisations qui rappellent
les blessures subies par
le Prophète. Dans le
cas des catholiques,
les blessures de la
Passion du Christ
ne s’infectent pas,
mais exsudent légèrement et régulièrement.
Recevoir les stigmates est une
grâce, et s’accompagne bien sûr
d’autres manifesLa mystique allemande Anne-Catherine
Emmerich (1774-1824).
tations. Un des
premiers cas de
stigmatisation étudié par la science remonte au début du
XIXe siècle, avec Anne-Catherine Emmerich, dite « la nonne
de Dülmen ». En 1813, alors que Napoléon tenait l’Europe,
une pauvre religieuse de Westphalie subsistait presque sans
manger ni boire, avait des visions, lisait dans les pensées,
assistait en esprit à des événements lointains ou anciens,
lévitait… et portait des stigmates qui saignaient chaque
vendredi. Dans un contexte tendu entre protestants et catholiques, la nonne fut au cœur d’intenses querelles, mais
l’abbé Manesse rapporte qu’elle fit l’objet d’un suivi médical très rigoureux mandaté par le vicariat.
Selon Jean-Pierre Girard, le cas le mieux étudié à ce jour
reste celui de la Belge Louise Lateau, dont les stigmates furent visibles de 1869 à sa mort en 1884. Aucune explication
n’a bien sûr été trouvée par la ribambelle de savants qui se
sont relayés à son chevet, mais une communication à l’Académie belge de médecine a précisé que tous les contrôles et
examens possibles avaient été réalisés.
Cas d’inédie
Le sociologue du CNRS Jacques Maître a consacré des années d’étude à ces cas, et regrette que la science ne soit pas
assez souvent convoquée par l’Église pour authentifier le
« miracle ». Un seul cas d’inédie, ou vie sans alimentation
a ainsi été étudié par Pierre Janet à la fin du XIXe siècle, et
ce dernier a fait part de sa perplexité.
Dans le cas de Marthe Robin, elle aussi stigmatisée et qui
ne se nourrissait que d’hosties, Jacques Maître explique
qu’il a parlé avec plusieurs membres de sa famille, dont la
personne qui veillait quotidiennement sur elle. Il apparaît
que Marthe Robin se disait absolument disposée à se soumettre à des examens médicaux si l’Église le lui demandait. Or, aucune autorité ecclésiale n’a pris d’initiative en
ce sens. De même, nul n’a analysé le sang qui suintait des
plaies du Padre Pio. En outre, Catherine de Sienne était
anorexique, et elle est morte quand elle a totalement cessé de s’alimenter et de boire. Difficile donc d’y voir clair
parmi tous ces cas extraordinaires, mais la médecine et
la science semblent toujours largement dépassées par les
événements. ●
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Lourdes :
. Phénomènes mystiques
Les aveugles voient, les
paralytiques se lèvent, les
comateux se réveillent.
Lourdes continue de guérir,
de fasciner et surtout
d’interroger la médecine qui
constate, sans expliquer.
Saint Joseph de Copertino par Fergus Mchardy.
Lévitation. C’est l’un des phénomènes
mystiques les plus spectaculaires, mais il est
plus volontiers associé à l’Inde et au Tibet
qu’au monde chrétien. La faute à Tintin au Tibet
bien sûr. Il est aussi l’un des moins étudiés,
probablement en raison de sa rareté. Toutefois,
les observations extraordinaires ne manquent
pas. Dans Les Mystères du surnaturel, Robert
Tocquet a confirmé l’authenticité de quelques
expériences, dont celles auxquelles participa
le médium et voyant écossais Dunglas Home.
Le 16 décembre 1868, il pratique une
lévitation spectaculaire dans un salon où se
trouve notamment le grand savant Crookes.
Il se déplace à l’horizontale, passe par la
fenêtre (au sixième étage), revient dans la
pièce… Autre lévitant fameux, Saint Joseph de
Coppertino (1603-1663), présenté par le Pape
Jean-Paul II comme le « saint de la lévitation ».
La lévitation complète d’un yogi a été observée
à plusieurs reprises par une équipe de
chercheurs russes à l’académie des sciences
du Kazakhstan, à Alma-Ata, dans les années 70.
Incorruptibilité. Dans un essai intitulé Cadavres
extraordinaires, l’anthropologue Michel
Fromaget passe en revue les phénomènes
extraordinaires associés aux corps des grands
mystiques. On y parle de luminescence post
mortem, d’absence de rigidité cadavérique,
d’odeur de sainteté, d’huiles et liqueurs
balsamiques, d’incorruptibilité, voire de
disparition du cadavre. L’Américaine Joan
Cruz a étudié cent deux cas d’incorruptibilité
authentifiés par l’Église catholique. L’un d’eux
est celui de Maria Anna Ladroni qui mourut
à Madrid en 1624. Cent sept ans plus tard,
sa dépouille mortelle fut exhumée sur l’ordre
des autorités religieuses lors de son procès
de béatification. « Il n’y eut pas moins de
onze docteurs et chirurgiens pour procéder à
l’examen de la dépouille, relate Joan Cruz. (…)
Les viscères, les organes et les tissus apparurent
dans un parfait état de conservation, encore
humides, fermes et élastiques au toucher. Le
cadavre était imprégné d’une sorte de fluide
odorant, qui répandait des effluves persistants. »
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L
Bernadette Soubirous (1844-1879)
ourdes est bien sûr l’archétype du sanctuaire prodigieux, depuis la découverte de la source de la grotte de Massabielle par Bernadette Soubirous en ce 25 février 1858. Lourdes est unique, c’est aujourd’hui
« une rivière de prières », comme l’écrit Pierre Lunel dans Les Guérisons miraculeuses. Mais Lourdes est unique aussi et surtout parce qu’un bureau médical y
a été ouvert dès 1883 pour étudier des cas de guérisons tous plus spectaculaires les uns que les autres. Miracles de la prière, prodiges de la foi, ou puissance
de l’autosuggestion comme l’affirment des rationalistes qui n’ont plus que
cette branche à laquelle se raccrocher ? À chacun de se faire son opinion, mais
il est certain en tout cas que les données ne manquent pas.
Deux tumeurs disparaissent
Trois jours après la découverte de la source par Bernadette, alors qu’il gèle « à
pierre fendre », nous raconte Pierre Lunel, Justine Duconte-Bouhort ose plonger dans l’eau glacée son bébé de dix-huit mois, mourant et inerte, en dépit
des protestations de son entourage. Le lendemain, l’enfant est en parfaite
santé. La longue série vient de démarrer. Quelques jours plus tard, Louis Bourriette, ancien tailleur de pierres dont l’œil a été crevé par un éclat, demande
à sa petite fille d’aller lui chercher un peu d’eau de la source. Il souffre encore
atrocement de son œil depuis l’accident, survenu vingt ans auparavant. L’eau
150 ans de guérisons
est encore boueuse, mais il se l’applique immédiatement
sur l’œil. La commission d’enquête écrira : « À peine eut-il
lavé son œil qu’aussitôt il aperçut la lumière. Deux heures après,
il distinguait les objets, quoiqu’avec difficulté. » Deux, trois,
quatre aveugles sont guéris au contact de Bernadette qui
se défend : « Je n’ai guéri personne ! » Dès sa première année
d’activité, la commission médicale étudie trente cas de guérison, et en retient sept comme miraculeux. Les guérisons
sont spectaculaires, mais surtout, elles sont inexplicables.
Comme ces deux grosses tumeurs qui disparaissent en une
nuit du corps d’un garçon de 13 ans, Henri Busquet. Comme
ces séquelles d’un choléra contracté en 1834 qui ont valu
quatre extrêmes-onctions dans l’année à Madeleine Rizan,
et s’évanouissent en une heure. « Toutes ces affections sont
lentes à guérir. Cette seule considération, mise en regard
de la soudaineté de la guérison, suffit à prouver que ce
fait s’écarte de l’ordre de la nature », observe à l’époque le Pr Vergez.
En fait, depuis son ouverture le bureau médical de
Lourdes a enregistré près de 7 000 déclarations de
guérisons. Si « seulement » 67 cas ont été reconnus
par les autorités vaticanes, c’est que les critères sont
extrêmement sévères. Le diagnostic de maladie incurable doit avoir été posé au préalable. La guérison
doit être spontanée, totale et surtout, définitive.
C’est pourquoi certains dossiers mettent des années
avant d’être validés, car une rechute ferait de l’ombre au miracle. La procédure est un examen par le
bureau médical de Lourdes, puis un transfert au Comité médical international, et enfin une investigation par le diocèse d’origine de la personne guérie.
C’est lui qui se prononce sur le caractère miraculeux
de la guérison. Le critère ultime est simple : il doit
s’agir d’un signe de Dieu !
« Le problème ce n’est pas la guérison »
En 2006, Mgr Perrier, évêque du diocèse de Tarbes
et Lourdes, s’est demandé si le temps des miracles
de Lourdes proclamés en tant que tels par l’Église
et les sanctuaires (lieux de pèlerinage) était révolu.
Lors de la reconnaissance officielle de la dernière
miraculée de Lourdes, Anna Santaniello, une Italienne de 94 ans, la communication avait été très
discrète du côté des sanctuaires, en contraste avec
l’écho médiatique qu’avait eu la nouvelle à l’étranger. Certes, cette déclaration intervenait quelques
jours à peine après le décès du précédent miraculé, Jean-Pierre Bély, guéri d’une sclérose en plaques en 1987. Mgr Perrier ne voulait pas donner
une impression d’opportunisme et les sanctuaires
ont estimé que les conditions médicales, légales et
administratives n’étaient pas toutes réunies pour
qu’ils reprennent à leur compte la décision de l’archevêque de Salerne. Mgr Perrier indiquait qu’il
s’agissait là du cœur du problème : « Jamais plus un
à la Une
médecin ne se risquera à affirmer définitivement et de manière
certaine que telle personne a telle maladie irréversible ou mortelle.
En revanche, il peut constater les symptômes de telle ou telle maladie et sa guérison, ce qui n’est pas contradictoire médicalement.
Le problème, ce n’est pas la guérison, c’est la certitude scientifique qu’un patient donné est porteur d’une maladie précise. De
telle manière qu’il manquera toujours une pièce au dossier ou une
preuve médicale pour reconnaître un miracle ». C’est pourquoi
il souhaitait mettre au point, « en lien avec le comité médical
international et le bureau médical des sanctuaires », un statut
spécifique pour les personnes dont la guérison est manifestement liée à Lourdes, mais qui ne seraient pas appelées
miraculées. À l’appui de sa proposition, l’évêque soulignait
que ce statut pourrait s’appliquer à une « bonne vingtaine
de déclarations sérieuses », notamment une dame
vouée à une mort certaine et plongée dans un
coma artificiel depuis plus de six semaines. On
a prié pour elle à la grotte, et elle s’est réveillée
subitement guérie. Notons que l’effet placebo ne
peut guère être invoqué ici.
Cinq cas remarquables
En décembre 2008, le Comité médical international de Lourdes (Cmil) a de son côté déclaré « remarquables » cinq cas de guérisons non encore
reconnues miraculeuses, dont celle évoquée cidessus. Madame B., 53 ans, souffrait de myopathie depuis l’enfance et vivait en fauteuil roulant
depuis l’âge de 34 ans. Après six pèlerinages à
Lourdes en 2004, elle s’est trouvée définitivement guérie après avoir enfin demandé la guérison pour elle-même. Une autre dame, atteinte
d’une sclérose en plaques qui la contraignait à
se déplacer en fauteuil roulant, a retrouvé une
vie normale sans appui médical. Tout comme cet
homme souffrant de sévères douleurs dorsales
et que la morphine ne parvenait plus à soulager,
et encore cette dame souffrant de séquelles d’un
grave accident de la circulation. « L’arbre des miracles ne doit pas cacher la forêt des guérisons », a estimé le Pr François-Bernard Michel, président du
Cmil. En août 2009, une Italienne de 50 ans, Antonietta Raco, immobilisée depuis 2005 par une
sclérose latérale amyotrophique, a été guérie de
manière inexpliquée et subite après un pèlerinage à Lourdes. Cette déclaration a été faite par
son neurologue personnel à l’hôpital de Turin :
« Je n’ai jamais vu un cas comme celui-là, car du point
de vue de la littérature médicale, il n’y a jamais eu de
cas de régression de la maladie », a-t-il affirmé dans
les médias transalpins.
La liste n’est pas close, loin s’en faut, car même
si ce n’est pas Marie, l’eau de la source, ou la foi
profonde, il y a bel et bien « quelque chose » qui
guérit à Lourdes. ●
N E X U S 66
janvier -févr ier 2010
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