1 Fiche de la recherche doctrinale Titre Irak : comprendre et
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1 Fiche de la recherche doctrinale Titre Irak : comprendre et
Fiche de la recherche doctrinale Titre Intervenant Organisateur Rédacteur Date Irak : comprendre et sortir de l’impasse stratégique Alexandra de Hoop Scheffer CDEF – Regards extérieurs Virgile MEJEAN, DREX - bureau recherche 28 janvier 2008 INTRODUCTION Politologue spécialiste de la politique étrangère américaine, Alexandra de Hoop Scheffer prépare une thèse de doctorat sur l’intervention américaine en Irak et s’interroge, en s’appuyant sur des enquêtes de terrain, conduites aux Etats-Unis comme au Moyen-Orient, à la fois sur le processus décisionnel qui a conduit les USA à s’engager dans le conflit, comme à la façon dont la guerre est menée. Au mois de janvier 2008, les agences de presse ont annoncé qu’en décembre 2007, 560 Irakiens avait été tués, chiffre le plus bas depuis les émeutes de février 2006. Si ce résultat dénote une véritable amélioration de la situation sécuritaire – au plus fort de la crise, plus de cent Irakiens tombaient par jour – il est nécessaire de s’interroger sur la situation des Américains en Irak, à savoir s’ils sont dans une impasse stratégique, et surtout s’ils peuvent en sortir. Cela fait bientôt cinq ans que les Etats-Unis sont intervenus en Irak. Après une phase de coercition rapidement menée et couronnée de succès, l’armée américaine n’a pas su empêcher l’essor d’organisations rebelles luttant contre « l’occupation » américaine. Ces groupes avaient pour objectif de séparer le peuple irakien des troupes de la coalition internationale. Ils y sont parvenus très rapidement. Les Irakiens ont compris que le nouvel objectif des groupes insurgés est de diviser les communautés, ethnies et factions religieuses. L’année 2007 est celle du bilan : bilan des pertes, civiles et militaires, bilan des effets du surge – renforts de 30 000 hommes chargés de sécuriser Bagdad. La stratégie américaine se tourne vers deux objectifs : protéger Bagdad et réintégrer les Sunnites dans le jeu politique irakien. Atteindre ces objectifs doit permettre de créer les conditions favorables à la réalisation d’un compromis politique acceptable pour toutes les communautés. Ce compromis doit reposer sur un partage équitable tant du pouvoir que des richesses naturelles (et notamment la manne pétrolière). 1 L’action menée par les Américains en Irak contribue à redéfinir en profondeur la stratégie politico-militaire américaine en Irak, mais également sa doctrine de contreinsurrection et sa vision des opérations de maintien de la paix. I. CONTEXTE 1.1 Une administration divisée. Si les membres de l’administration Bush étaient, à de rares exceptions, tous favorables à l’intervention irakienne, deux camps s’affrontaient quant à la stratégie à employer une fois le pays conquis. Les « nationalistes faucons », emmenée par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, étaient dans une optique à court terme : engagement à minima, transition rapide1. Paul Wolfowitz et les néoconservateurs envisageaient, de leur côté, une « occupation transformatrice » fondée sur un engagement plus fort et une occupation plus longue. Cette stratégie, version démocratique de la théorie des dominos, devait favoriser l’émergence de régimes démocratique au Moyen-Orient. Ces division internes à l’administration ont rendu la planification particulièrement difficile2, avec comme conséquence un décalage important entre la doctrine d’intervention et la stratégie adoptée sur le terrain. Ce vide stratégique, politique et sécuritaire a été mis à profit par les insurgés comme par les entrepreneurs de guerre (SMP et autres). 1.2 Le rôle considérable joué par les militaires dans la reconstruction La reconstruction de l’Irak a été confiée au ministère de la Défense, et plus particulièrement au Central Command. Mais l’état-major de l’armée américaine a eu une vision trop tactique et pas assez stratégique de la reconstruction. L’aide humanitaire était privilégiée, au détriment de projets à plus long terme, capables de faire redémarrer le pays. La double chaîne de commandement – autorité provisoire civile et commandement militaire – n’a pas facilité la coordination des efforts dans le domaine de la reconstruction. Les civils réclamaient de la sécurité pour agir, tandis que les militaires attendaient avec impatience la mise en place de projets de développement. L’armée américaine semble avoir souffert d’une trop grande décentralisation. L’action menée n’était pas unifiée, chaque brigade, voire chaque bataillon, agissait selon les conceptions de son commandant. Ainsi certaines unités étaient connues pour leur volonté d’associer les Irakiens aux travaux alors que d’autres mettaient la « force protection » en objectif prioritaire et adoptaient des postures particulièrement agressives. Les raisons de cette prépondérance des militaires sont à trouver dans la culture stratégique américaine. Celle-ci considère le recours à la force comme étant un constat d’échec. Quand les armes parlent, le politique a tendance à s’effacer derrière le militaire. On voit Georges Bush s’effacer aujourd’hui derrière le général Petraeus. Les objectifs politiques demeurent flous et le militaire se trouve privé de directives précises, ce qui lui permet paradoxalement de mener des essais sur le terrain. 1 Le général Jay Garner envisageait un retrait à la fin de l’année 2003. Exemple de cette mauvaise planification de l’après-guerre, le poste de coordinateur de la reconstruction pour l’Irak n’a été créé qu’en 2007. 2 2 L’armée américaine a cherché, dès la fin des opérations majeures, à donner le plus rapidement possible un visage irakien à la sécurité. C’est pourquoi l’armée américaine a été prise de cours lorsque l’administrateur Paul Bremer a décidé de dissoudre l’armée irakienne. Comme le souligne le général Mattis : « on travaillait avec l’armée irakienne lorsqu’on nous a donné l’ordre de la démanteler ». A partir de la « débaasification » et du démantèlement de l’armée, la stratégie américaine a consisté à essayer de réparer ces deux erreurs, en formant une nouvelle armée et une nouvelle police irakienne et en réintégrant les Sunnites dans le jeu politique. 1.3 Associer les Sunnites dans les institutions politiques et sécuritaires Les Américains ont adopté une stratégie bottom-up reconciliation, en partant du niveau local. Il s’agit de chercher un compromis à la base, comme avec les milices du Mahdi de Moqtada-Al Sadr. La stratégie de retournement des tribus sunnites, lasses des attentats indiscriminés des combattants d’Al-Qaïda, semble une réussite, sans que l’on sache si ce retournement sera durable. La réintégration des Sunnites est absolument nécessaire à l’établissement d’un régime stable. Selon le sociologue Juan Linz, la construction d’un État démocratique n’est possible que si « un effort est fait pour légitimer cet État par des majorités et minorités qui pourraient tout aussi bien chercher sa perte de légitimité, par leur intégration, fruit d’un arrangement entre État et société et non par leur exclusion ou leur réconciliation forcée ». Pour rallier les Sunnites, les Américains ont créé les Sunni Awakening Councils et les Concerned Local Citizens Programs, organes permettant d’associer la minorité sunnite au gouvernement local et aux travaux de reconstruction. Fin 2007, plus de 200 groupes, regroupant entre 65 000 et 80 000 hommes, avaient été armés par les Américains. Cette stratégie se heurte à l’opposition du gouvernement irakien, à majorité chiite, qui voit d’un mauvais œil la mise sur pied de milices sunnites. Cette stratégie est également porteuse de risques pour l’avenir, le sauveur d’aujourd’hui pouvant devenir l’ennemi de demain. On touche là au paradoxe de la stratégie actuelle de sécurité ; la recherche de gains tactiques – via la création de milices loyales aux Américains – s’oppose à la stratégie de long terme – parvenir à un désarmement de toutes les milices, sunnites comme chiites. II. ÉVOLUTIONS DOCTRINALES 2.1 L’impact des tactiques sur la stratégie Les tactiques employées en Irak ont un profond impact sur la stratégie américaine. Mais elles ne peuvent, malgré leur éventuelle efficacité, masquer ou compenser l’absence de véritable stratégie à long terme. Pour paraphraser le colonel Killbrew, éminence grise du général Petraeus : « Lorsqu’on mène une guerre de contre-insurrection et qu’on suit la bonne stratégie, on peut avoir recours à de mauvaises tactiques et éventuellement on pourra trouver de bonnes tactiques. Si l’on suit une mauvaise stratégie, même si l’on a de bonnes tactiques, alors on perdra de toute façon la guerre ». 2.2 La nouvelle doctrine de contre-insurrection (FM3-24) Le Field Manual 3-24 (Counterinsurgency) définit les opérations de contreinsurrection ; rédigé par le général Petraeus, il insiste sur la prise en compte de l’importance des facteurs sociologiques dans la conduite de l’action. Les systèmes de croyances des 3 populations locales, ou belief systems, doivent être compris et intégrés par la force d’intervention. Il est fondamental de comprendre la culture du pays dans lequel on intervient. On ne peut raisonner et agir selon les schémas de croyances occidentaux, même s’il est impossible de s’abstraire complètement de son propre système de croyances. Selon le colonel australien Kilcullen, il faut comprendre l’environnement dans lequel on opère comme un « écosystème conflictuel », dans lequel agit une multiplicité d’acteurs interdépendants, et dont la force d’intervention fait partie intégrante. 2.3 Reconstruction de l’Irak La reconstruction de l’Irak a pris du retard. Le taux de chômage atteint les 40 %. La production pétrolière stagne avec une production quotidienne qui stagne aux alentours de 2 millions de barils par jour. L’armée américaine compte beaucoup sur les Provincial Reconstruction Teams, concept importé d’Afghanistan, et sur les Quick Impact Projects, dont le but est d’améliorer rapidement et d’une manière visible la vie des populations locales. Au Surge militaire a correspondu un Surge civil, qui a permis de relancer les travaux de reconstruction. 2.4 Dilemmes sécuritaires La formation de l’armée irakienne stagne depuis le Surge, la priorité ayant été donnée à la protection de Bagdad et à la lutte contre Al-Qaïda. L’accent est mis sur la quantité de soldats formés, souvent au détriment de la qualité. Il en résulte un fort taux d’absentéisme et des problèmes de loyauté. L’intégration des Sunnites se révèle particulièrement ardue, l’armée étant vue comme le bras armé du gouvernement chiite. Par ailleurs, la police, entraînée par des sociétés militaires privées dont la qualité du travail ne peut être évaluée, souffre d’une mauvaise réputation (corruption, noyautage par les milices etc.). CONCLUSION On peut encore s’interroger sur l’avenir de la présence américaine en Irak. Le rapport Baker-Hamilton prévoyait de faire tomber les effectifs à 50 000 hommes à la fin de l’année 2008. Les soldats restant n’auraient pour mission que la formation des unités irakiennes et d’assurer une transition vers les autorités militaires irakiennes. Cette stratégie a été qualifiée de stand up / stand down par le président Bush. Actuellement, les Américains disposent de 106 bases en Irak. Pourtant, selon certains plans, 6 « méga-bases » devraient subsister, situées dans des zones d’importance stratégique : Bagdad, la zone pétrolière de Kirkouk, celle de pétrolière de Bassora… Ce projet se heurte aux réticences du gouvernement irakien. Le ministère de la Défense irakien a déclaré que l’Irak ne pourrait prendre en charge sa sécurité interne qu’à l’horizon 2012 et ses frontières vers 2018. 4