Le travail social aujourd`hui et demain
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Le travail social aujourd`hui et demain
Ministère du travail, des relations sociales de la famille, de la solidarité et de la ville DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ACTION SOCIALE CONSEIL SUPÉRIEUR DU TRAVAIL SOCIAL 6e mandature Rapport au ministre chargé des affaires sociales Le travail social aujourd’hui et demain 2009 PRESSES DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SANTÉ PUBLIQUE csts2009.indb 3 17/06/09 11:18 Le présent rapport a été élaboré au sein du groupe de travail Valorisation du travail social sous la présidence de François Roche, membre du Conseil supérieur du travail social (CSTS), directeur de la formation et du développement à l’institut de travail social de la région Auvergne (ITSRA) de Clermont-Ferrand, assisté de Brigitte Bouquet, vice-présidente du CSTS, professeure titulaire de la chaire de travail social au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) de Paris. Il a été validé par l’assemblée générale du CSTS du 9 décembre 2008. les rapporteurs Membres du CSTS Philippe Cholet Michèle Holtz Jean-Marie Poujol personne qualifiée, directeur des solidarités centre communal d’action sociale de Besançon Confédération française des travailleurs (CFDT) Union des fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social (Unifed), directeur général Sauvegarde des Yvelines Experts Olivier Cany Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (AFORTS) Hervé Drouard Association française pour les formations universitaires et supérieures en travail social (AFFUTS) Marie-Joëlle Gorisse conseillère technique à la Direction générale de l’action sociale (DGAS), ministère en charge des affaires sociales 5 csts2009.indb 5 17/06/09 11:18 Ministère du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité La Secrétaire d’État Paris, le 9 janvier 2008 Lettre de mission au Conseil supérieur du travail social sur Le travail social aujourd’hui Je demande au Conseil supérieur du travail social de réaliser une brochure de valorisation du travail social aujourd’hui. Je souhaite une brochure claire, accessible à tous publics et illustrée par des exemples ; un document synthétique qui exposera les réalités du travail social aujourd’hui, en éclairera le rôle, les enjeux, les techniques et les pratiques pour en dégager les caractéristiques et ainsi mieux le définir y compris dans ses limites. Au moment où je prépare un plan métiers assorti d’une expérimentation dans trois régions, je souhaite que cette brochure puisse être intégrée à la campagne de promotion des métiers du social et du médico-social que j’entends mener dans le cadre de la réalisation de ce plan métiers. En effet, pour répondre aux besoins d’emploi, il faut renforcer la notoriété des métiers du travail social et ainsi leur attractivité. Clarifier et renforcer l’image du travail social, tel est l’objectif de cette brochure qui devra : • Mettre en lumière ce qui caractérise le travail social, • Faire connaître la réalité de l’exercice professionnel afin de rompre avec les jugements et les clichés qui souvent s’y attachent, • Montrer sur quoi se fondent les pratiques professionnelles au-delà de l’apparente dispersion des métiers, des lieux et des publics. Je demande à Monsieur François Roche de mettre en place et de présider un groupe de travail dans le cadre du Conseil supérieur du travail social pour mener à bien cette mission. Conformément au règlement intérieur du Conseil il est chargé de définir la composition du groupe, d’en assurer l’animation, d’organiser le planning des réunions, de programmer ses travaux et de nommer un ou plusieurs rapporteurs chargés de consigner par écrit l’avancement de la réflexion et de rédiger le travail final. Le groupe de travail informera régulièrement l’assemblée plénière de l’avancée de ses travaux. La brochure devra être adoptée par le CSTS et finalisée pour une parution avant la fin 2008. Valérie LÉTARD Secrétaire d’État auprès du ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité chargée de la Solidarité 7 csts2009.indb 7 17/06/09 11:18 mandat Le groupe de travail a accepté la gageure de produire une brochure de valorisation du travail social aujourd’hui, à adopter avant la fin 2008 pour une parution intégrée à la campagne de promotion des métiers du social et du médico-social que Madame la ministre en charge de la solidarité entend mener dans le cadre d’un plan métiers. Celle-ci souhaite « une brochure claire, accessible à tous publics […] un document synthétique qui exposera les réalités du travail social aujourd’hui, en éclairera le rôle, les enjeux, les techniques et les pratiques pour en dégager les caractéristiques et ainsi mieux le définir y compris dans ses limites » (extrait de la lettre de mission du 9 janvier 2008, page prédécente). Après réflexion, le groupe de travail a considéré qu’il lui fallait élaborer deux ouvrages de type différent. Il s’est donc efforcé de produire dans le délai de neuf mois : – une brochure de 30 pages environ, claire, attrayante et illustrée par des exemples, visant un public très large dans le cadre d’une diffusion gratuite ou peu onéreuse avec une possibilité de téléchargement ; – un ouvrage de la collection des rapports du Conseil supérieur du travail social comportant des annexes, des références et des développements, un lexique et une bibliographie qui, à l’instar des précédents, serait publié aux Presses de l’École des hautes études en santé publique (EHESP). L’élaboration de la brochure de communication visant un très large public nécessitait l’intervention d’un professionnel de la communication expérimenté et connaissant un peu le secteur social, qui aiderait à lisser la rédaction et à effectuer la mise en forme de l’ensemble du document. C’est pourquoi les travaux ont dû être prolongés jusqu’au premier semestre 2009 pour obtenir l’appui d’un spécialiste par le biais de la Délégation à l’information et à la communication du ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. 9 csts2009.indb 9 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain Méthode de travail Une première phase a permis, au fil de cinq réunions, de définir le plus clairement possible les termes du sujet à traiter (voir annexe I, lexique) et de proposer un rapport d’étape à discuter à l’assemblée générale du 3 juin 2008 pour recueillir les avis et contributions de tous les membres du CSTS. Un séminaire de deux jours, les 10 et 11 juillet 2008, a rassemblé plus de vingt membres du CSTS volontaires. Il a permis d’enrichir la réflexion et d’intégrer des amendements et développements au contenu exposé ainsi que des exemples et/ou des analyses des conditions d’exercice actuel du travail social. Il a conforté les orientations du travail eu égard aux enjeux de l’évolution de l’action sociale et de la place du travail social en son sein. Six réunions ont constitué la seconde phase qui a permis au groupe initial, en nombre très réduit, de réaliser la rédaction et la mise en forme d’un rapport final destiné à être discuté en assemblée générale le 9 décembre 2008. Les observations faites à cette occasion ont été intégrées au document auquel des modifications de forme ont été apportées par le groupe lors de deux réunions en 2009. csts2009.indb 10 17/06/09 11:18 Partie 1 Le social nous concerne tous… …le travail social s’y implique csts2009.indb 11 17/06/09 11:18 L’homme est un être social. Le social est ce par quoi chacun entre en relation avec ses semblables et se trouve avec eux dans des relations d’interdépendance. Le social est ce qui permet à chacun de trouver sa place dans la société, dans le respect de ce qu’il est et de ses choix. Le respect de l’autre à tous les âges de la vie, dans toutes ses différences sociologiques, sociales, économiques, culturelles, politiques et religieuses est une nécessité pour vivre en paix. C’est aussi une source d’enrichissement réciproque et une force de cohésion sociale. Le fondement de la cohésion1 sociale est le lien social2. Il naît dans le sentiment de ne pas être exclu. Il s’expérimente dans des actes en tant que lien symbolique et lien de solidarité. Il se décline dans un lien de soi à soi, un lien de soi aux autres et un lien de soi à la société. Ce lien social permet la vie sociale et fait se conjuguer le vivre ensemble et la liberté individuelle, l’intérêt général et l’épanouissement personnel. Le lien social de chaque individu aux autres est la seule source qui permet à tout homme de s’épanouir, et aux différents groupes d’une même société de vivre en harmonie. C’est ce qui construit des valeurs et fait que les personnes œuvrent ensemble. La vie, c’est la relation aux autres Le rôle d’une société est de faire coïncider le vivre ensemble et la liberté individuelle. C’est ce à quoi se consacre le travail social avec l’ensemble des institutions. 1. La cohésion sociale repose sur des mécanismes de solidarité sociale et de structuration des liens sociaux (Commissariat général au Plan). L’action gouvernementale en matière de cohésion sociale s’inscrit dans le cadre d’un Plan national organisé autour de thèmes comme Se mobiliser pour l’emploi, Favoriser l’accès à un logement décent, Promouvoir l’égalité effective des chances en s’attaquant à la source aux inégalités… 2. Pour le travail social, le lien social comprend plusieurs niveaux. Tout d’abord, l’individu atomisé apprend une nouvelle gestion de soi qui ne passe pas par l’autodestruction ; puis, il rétablit une image positive de lui par des actions le mettant en situation d’acteur et s’attache à un réseau de proximité. C’est la reconstruction du lien social local, un processus qui nécessite de restaurer la solidarité mécanique (Durkheim) grâce à la reconnaissance des similitudes particulières (Simmel). Enfin, l’individu participe et adhère aux instances sociales et établit le lien social par une représentation collective positive globale. Voir aussi Paugam S., Le lien social, PUF, « Que sais-je ? », 2008. 13 csts2009.indb 13 17/06/09 11:18 1.1. La question sociale aujourd’hui en France Le travail social intervient pour accompagner les personnes au sein de la société et les soutenir lorsqu’elles n’arrivent pas à vivre de façon autonome dans le respect de leurs droits. Il les aide ou les protège lorsque des difficultés ou des dangers les en privent. Il convient donc d’examiner les situations et les raisons pour lesquelles il est utile, voire nécessaire, de faire appel au travail social en tant que mode de réponse à la question sociale contemporaine évoquée ci-après à travers les quatre éléments déterminants que sont la pauvreté, le logement, la famille et les institutions, la fragilité individuelle. 1.1.1. La pauvreté et l’exclusion, défis récurrents pour le travail social La société française est confrontée à un chômage structurel et à l’exclusion qui l’accompagne. Le chômage3 et plus encore la marginalité et la pauvreté4 ne sont plus des exceptions malheureuses par rapport au mouvement global de progression dans l’évolution des carrières professionnelles, à l’ascension sociale et à l’enrichissement qui ont été la règle majoritaire au cours des « trente glorieuses », les années 1950 à 1980. La flexibilité 5 est devenue, aujourd’hui, une caractéristique du travail. Le chômage de masse est apparu il y a vingt-cinq ans environ, frappant plus longuement et plus fortement les jeunes, les femmes, les moins diplômés… Il a entraîné la « désinsertion » d’une partie importante de la population. Au-delà des chômeurs répertoriés par les statisticiens, d’autres populations sont exclues du marché du travail, salariés âgés, travailleurs à temps partiel qui ont été « contraints » d’accepter ces conditions et de devenir ainsi des « travailleurs pauvres6 » : cette population est en augmentation, l’emploi ne protégeant plus des formes les plus extrêmes de pauvreté. Globalement, la rémunération du travail n’a pas augmenté parallèlement à la forte progression des rémunérations du capital, ce qui explique le gonflement des disparités et des inégalités. L’existence de minima sociaux français témoigne de l’évolution d’une pauvreté qui concerne désormais autant les actifs que les inactifs. En 2007, on dénombrait 6 millions 3. Insee, Recueil d’études sociales, n° 40, 2007, études parues de mai à août 2007. 4. Cf. les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale ; Paugam S., Les formes élémentaires de la pauvreté, PUF, 2005 ; Sélimanovski C., La frontière de la pauvreté, Presses universitaires de Rennes, 2008, etc. 5. Sennett R., Le travail sans qualités : les conséquences humaines de la flexibilité, 10-18, 2003. 6. Paugam S., Le salarié de la précarité : les nouvelles formes de l’intégration professionnelle, PUF, 2007 ; Clerc D., La France des travailleurs pauvres, Grasset, 2008. 14 csts2009.indb 14 17/06/09 11:18 Le social nous concerne tous… le travail social s’y implique de personnes survivant avec les minima sociaux, 2 millions de personnes au chômage, 2,5 millions salariés en situation de pauvreté7. Pour faire face à la pauvreté et au chômage, l’État, en tant que garant de la justice sociale, est intervenu pour répartir plus égalitairement les richesses et diminuer les inégalités sociales 8. Mais avec le temps, les modalités de cette redistribution sont devenues complexes et son efficacité n’est pas évidente puisque les inégalités ne sont pas totalement compensées par les transferts financiers au profit des ménages aux revenus les plus faibles. De plus, l’existence de minima sociaux différents témoigne d’une approche de la pauvreté par catégorie de population plutôt qu’en fonction des besoins individualisés. Enfin, la responsabilité de l’action sociale, transférée aux départements depuis les lois de décentralisation et qui comprend notamment les prestations pour les personnes âgées, les personnes handicapées et pour l’enfance, ainsi que le revenu minimum d’insertion (RMI) et le revenu de solidarité active (RSA), est une charge de plus en plus pesante. Pour résoudre cette question sociale9, un système de redistribution de prestations et des politiques d’insertion ont été mis en place. Mais les minima sociaux, les prestations de sécurité sociale et les aides des collectivités locales ne suffisent pas à rendre leur autonomie aux personnes. Ces politiques peinent à assurer aux individus la qualité de membre d’une communauté nationale de citoyens ayant des droits, et tendent à les reléguer dans le statut de victime de situations dites d’exclusion. Le RSA représente une tentative pour mener une politique volontariste de lutte contre la précarité-pauvreté dans ses multiples dimensions. L’agence nouvelle des solidarités actives10 a comme priorité d’aider les collectivités dans leur politique de lutte contre la pauvreté en faisant le choix d’associer systématiquement les populations en difficulté à la construction des dispositifs destinés à faciliter et à amplifier leurs démarches d’insertion sociale et professionnelle. Outre des actions portant essentiellement sur l’accès à l’emploi, elle soutient aussi des actions sur l’alimentation et l’insertion, l’accès aux soins des plus démunis, 7. En 2008, la crise financière et économique a commencé à provoquer une recrudescence de la pauvreté qui s’étend fortement en 2009. 8. Stroebel P., Penser les politiques sociales : contre les inégalités, le principe de solidarité : écrits de Pierre Stroebel, Éditions de l’Aube, 2008 ; Sadig E., Des inégalités économiques aux inégalités sociales : propositions pour un monde plus juste, L’Harmattan, 2008. 9. Murard N., La morale de la question sociale, la dispute 2003 ; Castel R., Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Gallimard, 1999 ; Rosanvallon P., La nouvelle question sociale : repenser l’État-providence, Le Seuil, 1998. 10. Cette association sans but lucratif « se veut un opérateur désintéressé d’ingénierie et d’innovation sociales au service des collectivités locales pour rendre plus efficaces nos dépenses sociales » (www.solidarites-actives.com). 15 csts2009.indb 15 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain la garde d’enfants, le micro-crédit personnel, le logement social, etc. Les travailleurs sociaux qui y sont fortement associés, espèrent des changements profonds pour répondre aux problèmes sociaux concrets11. Pauvreté et exclusion peuvent générer une souffrance sociale. En effet, on observe de l’apathie ou de l’agressivité, des troubles et de la souffrance psychique chez de nombreuses personnes qui sont restées longtemps désinsérées. Plus généralement encore est apparue une immense difficulté à maintenir un « lien social », à établir des relations durables. Ainsi, pour prendre en charge certains exclus qui ne demandaient plus rien, il a fallu mettre en place des interventions d’urgence et aller au-devant d’eux. La notion d’urgence12 fait aujourd’hui partie de la pratique quotidienne du travailleur social, mais s’il ne peut prolonger la prise de contact par une intervention sociale en profondeur, ne risque-t-il pas d’être entraîné à jouer le « pompier des situations précaires », mettant alors en danger son véritable rôle ? Car le travail social et la re-création de lien social nécessitent beaucoup de temps13. 1.1.2. Le logement, besoin fondamental Le besoin d’un logement14 adapté pour tous est crucial. La crise du logement est apparue il y a une vingtaine d’années. La construction de pavillons en accession à la propriété a été privilégiée au détriment de la construction de logements collectifs en location. L’augmentation des loyers a encore réduit l’accès des ménages modestes au logement privé. Le logement social a été de plus en plus demandé, et ceux qui occupaient des habitations à loyer modéré (HLM) ne pouvaient plus les quitter. Les offres du parc locatif privé et bon marché dans les centres-villes et la proche périphérie sont devenues rares (logements loi de 1948, hôtels meublés, logements de fonction destinés aux salariés modestes — chambres de bonne, loges de concierge —, logements vétustes ou sans confort). Leur diminution n’est pas compensée par la construction de logements sociaux. Environ un million 11. Voir le texte « Contribution du Conseil supérieur du travail social au Grenelle de l’insertion », adopté en réunion plénière du CSTS le 3 juin 2008 (www.fed-cfdt-sante-sociaux.org/fichiers_acrobat/ csts_contribution_grenelle.pdf). 12. Gohin O. (dir.), Les procédures d’urgence : approche comparative, Panthéon-Assas, 2008 ; Rullac S., Critique de l’urgence sociale : et si les SDF n’étaient pas des exclus ?, Vuibert, 2006 ; Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), La veille sociale face à l’urgence, ESF, 2001 ; « L’urgence sociale : l’immédiat et l’intolérable », Actions et recherches sociales, vol. 24, 3, octobre 1986. 13. Temps et temporalité sont liés dans une construction progressive qui suppose un travail de distanciation sur sa vie, sur ses actes, une mise en ordre des expériences vécues, tout cela étant accompagné par le langage. Voir aussi Chouvier B., Roussillo R., La temporalité psychique : psychanalyse, mémoire et pathologies du temps, Dunod, 2006 ; Zawadzki P. (dir.), Malaise dans la temporalité, Publications de la Sorbonne, 2002. 14. « Crise et politique du logement », Regards sur l’actualité, n° 320, avril 2006. 16 csts2009.indb 16 17/06/09 11:18 Le social nous concerne tous… le travail social s’y implique de ménages sont non logés ou mal logés. Même les classes moyennes éprouvent des difficultés croissantes, notamment à accéder à la propriété. Les politiques publiques du logement souffrent d’insuffisances. Du coup, pour les plus démunis, la pénurie de logements a entraîné des effets pervers en cascade : expulsions, logements sous tentes, désagrégation de la cellule familiale, endettement… La construction de logement social n’a jamais été aussi faible15 et sa crise est donc durable, malgré la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et prévoyant de nombreuses mesures, institutionnelles et financières, pour faciliter l’accès au logement pour tous. Pour le travail social, l’application de la loi peut être un appui décisif. DANS LE CONTEXTE URBAIN Les politiques sociales buttent aussi sur les problèmes urbains et sur la séparation géographique des groupes sociaux. Les problèmes d’exclusion 16 et de ségrégation17 engendrent des difficultés de cohabitation, des incompréhensions mutuelles et la dégradation des lieux de vie, au point qu’on parle d’une nouvelle question urbaine pour désigner l’inscription des problèmes sociaux dans la ville. Criminalité, sentiment d’insécurité, tensions entre classes populaires et classes moyennes, concentration de la pauvreté dans certains quartiers en sont les dimensions majeures. Les émeutes urbaines18 ont montré une jeunesse submergée par sa propre révolte et ont mis en évidence l’énorme déficit de reconnaissance sociale ressentie par cette jeunesse. Un nouveau plan banlieue tente d’y répondre. La question des « territoires » occupe une place de plus en plus importante et la question de l’inégalité spatiale s’ajoute à celle de l’inégalité sociale19. Cependant, quand il prend forme, le projet urbain de développement local20 ne porte-t-il pas 15. Circulaire du 30 janvier 2008 relative à la construction de logements sociaux par les communes déficitaires au sens de l’article 55 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU). 16. Sellier R., La lutte contre la pauvreté et l’exclusion : une responsabilité à partager, rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, t. I, Sénat, n° 445, annexe au procès-verbal de la séance du 2 juillet 2008. 17. Conseil d’analyse économique, Ségrégation urbaine et intégration sociale, La Documentation française, 2004. 18. Centre d’analyse stratégique, Enquêtes sur les violences urbaines : comprendre les émeutes de novembre 2005 : les exemples d’Aulnay-sous-Bois et de Saint-Denis, La Documentation française, « Rapports et documents », n° 4/2006, 2007. 19. Donzelot J., « De la question sociale à la question urbaine », conférence à la cité des sciences, 2 avril 2008. 20.Guarnay M., Albrecht D., La ville en négociation : une approche stratégique du développement urbain, L’Harmattan, 2008 ; Tourelle F., Développement social urbain et politique de la ville : pour comprendre le malaise urbain et pour mieux appréhender la politique de la ville, Gualino, 2005 ; Da Cunha A., Knoepfel P. et al., Enjeux du développement urbain durable : transformations urbaines, gestion des ressources et gouvernance, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005. 17 csts2009.indb 17 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain le sens d’une ville, la forme de ses espaces et un projet de société ? Dans cette mesure, le travail social aspire à une politique de société prenant mieux en compte l’urbain. Les problèmes urbains sont associés à la question des dimensions multiculturelles de la société, car la ville est le lieu de la juxtaposition des populations divisées non seulement par des inégalités sociales, mais aussi par des différences culturelles fortes. Après les émeutes urbaines de l’automne 200521, la représentation d’une France « racialisée » s’est imposée dans le débat public et a fait découvrir combien les discriminations raciales 22 dans l’emploi, le logement et à l’école, face à la police et à la justice, structurent des inégalités sociales. De plus, la politique de durcissement des politiques migratoires23 renforce les discriminations subies par l’ensemble des populations étrangères ou traitées comme telles24. Le travail social se heurte à une approche fondée sur la volonté d’externalisation de la gestion des flux migratoires, et aux mesures d’ordre sécuritaire qui l’ont accompagnée, qui n’est pas probante et produit des drames. Ses professionnels espèrent que d’autres solutions à la problématique migratoire seront fondées sur une approche éthique, sociale, économique, concertée et globale, offrant alors un meilleur avenir. DANS LE CONTEXTE RURAL Les problèmes sociaux n’existent pas qu’en ville : au fort isolement de certaines personnes en milieu rural 25 s’ajoutent la faiblesse des revenus, la rareté de l’offre d’emploi et de formation, l’insuffisance des moyens de transports, le relâchement des réseaux de solidarité… La désertification de certaines zones s’accompagne aussi d’un vieillissement des populations. D’autres populations arrivent, des retraités venus souvent de loin, des « intermittents » en résidence secondaire et aussi des pauvres, contraints de quitter la ville. Du coup, les problématiques sociales se diversifient et aggravent la situation des territoires ruraux. Ces territoires à l’écart des effets d’entraînement des pôles de croissance urbains sont en effet confrontés au déclin démographique et économique. C’est pourquoi la loi du 23 février 2005 relative au développement des 21. Voir note 18. 22. « Incriminés, discriminés », Hommes & Migrations, n° 1241, janvier/février 2003 ; « Connaître et combattre les discriminations », Hommes & Migrations, n° 1219, 1999. 23. « L’OCDE critique sévèrement les nouvelles politiques migratoires », Le Monde, 10 septembre 2008 ; Centre d’analyse stratégique, Besoins de main-d’œuvre et politiques migratoires, rapport au Premier ministre, La Documentation française, mai 2006. 24. Castel R., La discrimination négative : citoyens ou indigènes ?, Le Seuil, « La République des idées », 2007. 25. Budin A.-L., « Pauvreté en milieu rural, entre attachement au territoire et isolement : quels rapports au territoire et quels recours aux dispositifs d’aide ? », La lettre de la Mission régionale d’information sur l’exclusion Rhône-Alpes (MRIE), n° 18, mars 2008. 18 csts2009.indb 18 17/06/09 11:18 Le social nous concerne tous… le travail social s’y implique territoires ruraux a replacé l’ensemble des territoires ruraux au cœur de la politique nationale d’aménagement du territoire. 1.1.3. La famille, l’école et l’affaiblissement des institutions La structure de la famille évolue 26 mais, lorsqu’il y a précarité économique et sociale, elle est en difficulté : démaillage familial, absence de référent paternel, instabilité des foyers. La famille reste néanmoins un élément majeur de création et d’entretien du lien social, voire d’intégration dans la vie économique et sociale27. En témoigne l’évolution du comportement de jeunes qui étaient notoirement délinquants et rebelles et qui sont devenus des parents attentifs et intéressés à la réussite de leurs enfants. La France est l’un des seuls pays européens à mettre en œuvre une politique familiale singulière28 mais les évolutions familiales de ces dernières décennies, et l’affirmation toujours plus forte de l’égalité des sexes conduisent aujourd’hui à une remise en cause de l’approche « familialiste » des droits sociaux pour les replacer dans la politique sociale générale et laisser progressivement la place à leur individualisation. Les transferts représentent une part importante des ressources de certains ménages et il existe de fortes disparités dans l’attribution de ces aides selon le type de prestation ou la localité. Le système français de garde des enfants de moins de trois ans est un des plus généreux d’Europe, mais s’avère complexe, peu équitable et parfois inadapté aux besoins des familles. L’augmentation des possibilités de garde d’enfants est actuellement au cœur de la politique familiale et l’idée de créer un droit opposable à la garde d’enfants est envisagée. L’école est également confrontée à une question sociale et institutionnelle face aux décrochages29 et aux ruptures scolaires des jeunes, autant de conséquences 26. Selon l’Insee, la composition des ménages et des familles évolue, reflétant la transformation des comportements : les ménages sont plus petits, les couples de célibataires beaucoup plus nombreux, ainsi que les couples sans enfant et les familles monoparentales. Plus de la moitié des ménages compte une ou deux personnes : une personne vit seule dans un logement sur trois, un couple sans enfant dans un logement sur quatre. 27. Commission famille du Sénat : « Une famille soudée est primordiale pour l’équilibre psychologique des enfants. La famille doit jouer le rôle principal dans l’éducation des enfants ; elle doit être un lieu d’écoute où l’on peut confier ses problèmes en toute sérénité, un lieu où l’on apprend à être responsable et où l’on apprend les principes de base de la morale et de la vie en collectivité, mais aussi les règles élémentaires d’hygiène et d’alimentation. », Sénat, 1997. 28. C’est-à-dire « un ensemble stable d’actions ayant un contenu orienté vers des finalités affichées » (Barbier J.-C., « Les politiques sociales à dimension familiale dans l’Union européenne », Recherches et prévision, n° 40, 1995). Il n’y a pas de politique européenne de la famille. 29. On parle de décrochage scolaire lorsqu’un élève quitte l’institution scolaire, abandonne ses études, arrête le cursus en cours avant qu’il ne soit terminé. La définition du « décrochage » se rapproche de celle de « déscolarisation ». 19 csts2009.indb 19 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain de l’interaction de différents facteurs : le rapport à l’école, aux apprentissages et aux tâches scolaires, la relation aux enseignants, la sociabilité familiale et juvénile, l’estime de soi, etc. Pour réduire l’inégalité des chances de réussite scolaire, les difficultés d’apprentissage, l’illettrisme, sont mises en place des mesures d’accompagnement éducatif à la scolarité, dans les établissements en zones d’éducation prioritaire et/ou hors temps scolaire, etc. auxquelles collaborent les travailleurs sociaux. Une politique scolaire prenant mieux en compte tous ces problèmes ainsi que l’inscription de ceux-ci dans le cadre territorial sont vivement souhaitées. L’école et les autres systèmes républicains d’intégration (armée, services publics…) se sont affaiblis et peinent à constituer une société cohérente. De façon plus générale, les structures familiales et les mécanismes de solidarité ne fonctionnent pas bien pour certains groupes : « jeunes en difficultés », parents défaillants ou désemparés, personnes âgées délaissées, parfois maltraitées… Dès l’école, l’absentéisme, des actes d’incivilité et quelquefois des violences témoignent de difficultés évidemment liées au contexte de précarité économique et sociale voire aux discriminations subies par les enfants, mais aussi associées à des représentations sociales (sur les parents « démissionnaires » ou sur les « délinquants ») et à des effets de mode comme la prévention des comportements à risques30 fondée sur un principe de précaution31 et sur des pratiques d’épidémiologie. Ces difficultés semblent surtout fondées sur la désaffiliation32, c’est-à-dire sur une série de rejets (du marché du travail, du logement, de l’école, de la famille, du quartier sensible, de la culture…), autant de ruptures de liens qu’ont subies des personnes qui perdent ainsi leur capacité à être pleinement elles-mêmes. Les personnes âgées sont elles aussi victimes de l’affaiblissement des solidarités, comme on l’a vu lors de la canicule de l’été 2005. Cependant, l’observation de la société contemporaine montre que le lien social prend des formes inédites au sein des anciennes instances de socialisation 33. 30. Claudine Perez-Diaz, « Identifier et comprendre les comportements à risque », communication aux journées Santé prévention des risques, rencontre nationale des chantiers thématiques, Animafac, université Patris 5-René Descartes, 28 et 29 avril 2007 ; « Les comportements à risque sont des comportements susceptibles de nuire à soi ou à autrui, les jeunes sont des cibles privilégiées de ces comportements […]. Il existe un socle commun de la prise de risque qu’on peut assez aisément assimiler au mal-être. On note aussi qu’il y a un continuum entre pas, peu et beaucoup de risque, ainsi qu’entre pathologie ou non. » (www.animafac.net/). 31. Kourilsky P., Viney G., Le Principe de précaution : rapport au Premier ministre, La Documentation française, 2000 ; Union européenne, 2000 « L’invocation ou non du principe de précaution est une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur l’environnement ou la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi. » 32. Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, op. cit. 33. Ion J. (dir.), L’engagement au pluriel, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2001 ; « Quand se transforment les modes d’engagement dans l’espace public », in Becquet V. et Linarès C. de (dir.), Quand les jeunes s’engagent : entre expérimentations et constructions identitaires, L’Harmattan, 2005. 20 csts2009.indb 20 17/06/09 11:18 Le social nous concerne tous… le travail social s’y implique Ces nouvelles solidarités se repèrent chez les jeunes qui développent d’intenses relations sociales, culturelles et sportives au sein des groupes de pairs (le sociologue M. Maffesoli parle ainsi du « retour des tribus34 »). De même, les relations de voisinage35 (entraide, réception…) sont revitalisées et se renforcent face aux difficultés. Cependant, en dépit de la capacité des individus à inventer de nouvelles façons de vivre ensemble, et face à une progression telle des inégalités sociales que l’apparition d’une société duale devient une réalité, le rôle de l’État, garant de la cohésion sociale, doit être repensé. Les mécanismes d’intégration ne suffisent pas à faire place aux nouvelles populations issues de l’immigration et la société française ne se reconnaît pas métissée, sauf dans les fêtes où elle se chante « black-blanc-beur ». Par ailleurs, l’immigration s’est féminisée36 et pas seulement par le fait du regroupement des familles autour du travailleur arrivé en France en premier37. Elle s’est concentrée sur les métropoles et dans certains quartiers, où les situations de demande d’asile, de séjour irrégulier ou de travail clandestin se sont agrégées. De nouvelles populations sont apparues comme les mineurs non accompagnés38 arrivant de pays en guerre ou en difficulté de survie ; des habitudes culturelles ont importé la pratique du mariage forcé 39, de la polygamie 40. Ainsi des modèles étrangers sont apparus au moment où d’autres normes et systèmes d’intégration s’étaient affaiblis 34. « Le retour des tribus », entretien avec Michel Maffesoli, Sciences humaines, n° 48, mars 1995 ; Maffesoli M., Le temps des tribus, Le Livre de Poche, 1991, (1re éd. 1988). 35. Voir le rapport du CSTS, Intervention sociale d’intérêt collectif, à paraître Presses de l’EHESP 2009. 36. « L’émigration se féminise », dossier des Marocains résidents à l’étranger (MRE), 5 avril 2007 (www.mre.ma/modules/sections/). 37. Les entrées pour motif familial ont augmenté, la population immigrée s’est féminisée et les immigrés proviennent de pays de plus en plus lointains (Insee première, n° 1042, septembre 2005). 38. Bricaud J., Mineurs étrangers isolés ; l’épreuve du soupçon, Vuibert, 2006 ; Étiemble A., « Quelle protection pour les mineurs isolés en France ? », Enfants sans frontières, n° 1251, septembre-octobre 2004. 39. Dans son rapport de 2003, le Haut Conseil à l’intégration compte 70 000 mariages forcés de jeunes filles : « Le mariage endogame, c’est-à-dire l’obligation de se marier avec une personne appartenant à la même communauté religieuse que sa famille, le choix du futur conjoint et le tabou de la virginité sont des points de résistance de l’identité collective auxquels s’attachent certains parents migrants. » La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) constate, dans son avis du 23 juin 2005, que « la pratique des mariages forcés constitue encore aujourd’hui en France un phénomène social particulièrement préoccupant, même s’il est très difficile d’en apprécier l’importance exacte et encore plus de le chiffrer ». La loi du 4 avril 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple, la lutte contre les mariages forcés, les mutilations sexuelles féminines, les violences diverses. 40. Extrait du rapport de la CNCDH sur la polygamie, mars 2006 : « Au vu de ce que nous avons pu entendre au niveau des auditions et consulter à travers divers documents, il semble que la polygamie en France soit un phénomène social totalement marginal à la fois au regard du nombre d’étrangers vivant sur notre sol et surtout en pourcentage de la population française. La fourchette raisonnable du nombre de familles polygames pourrait se situer entre 8 000 et 10 000 ménages reconnus comme tels (non compris ceux qui sont déjà en situation de décohabitation et ceux qui sont en situation irrégulière). Si l’on estime qu’en moyenne, vu le vieillissement de ces couples, il y a au maximum 5 ou 6 enfants par famille cela représente environ entre 40 000 et 60 000 enfants vivant dans des familles en situation polygamique reconnue. » 21 csts2009.indb 21 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain en métropole : mariage et vie en famille, pratique religieuse… Une « troisième génération » est apparue avec le temps, groupée dans des quartiers devenus des lieux de ségrégation : les « jeunes issus de l’immigration », de jeunes Français qui n’arrivent pas à être considérés indépendamment de leur communauté et de leur quartier d’origine, et qui subissent de réelles discriminations pour l’accès à l’emploi notamment. Il y a certes une politique de lutte de contre les discriminations qui tente de faire respecter le principe d’égalité, appuyée par le Haut Conseil de l’intégration et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité qui soutiennent et mettent en œuvre des actions de prévention des discriminations et de promotion de l’égalité avec l’ensemble des acteurs. Néanmoins, l’effort à faire est encore immense. 1.1.4. La fragilité sociale, problématique grandissante pour le travail social41 Dans notre société, l’espérance de vie et le niveau des soins augmentent. Certains parlent même de « gérontocroissance42 ». Mais la part des personnes en perte d’autonomie du fait de l’âge est de plus en plus grande. La perte d’autonomie peut également résulter d’un déficit, d’un handicap ou d’un accident. De nombreuses personnes ont besoin d’être reconnues à ce titre et par conséquence assistées, soignées, équipées ou prises en charge et accompagnées. Il convient d’indiquer ici, en écho au précédent développement sur la pauvreté et l’exclusion, combien ces souffrances sociales se traduisent fréquemment par des fragilités durables mobilisant de nouvelles réponses et de nouvelles prises en charge : c’est ce que tente la réforme des tutelles et des mesures de protection des majeurs43. De nombreux services et de très nombreuses institutions emploient, entre autres, des travailleurs sociaux pour assurer les aides nécessaires à ces personnes 41. « À une époque où chacun se voit sommé de réussir et d’être performant, sans doute n’a-t-on jamais autant parlé de mal-être social et de pauvreté. Dans ce contexte, la fragilité prend la forme d’un fardeau, d’une charge, voire d’une pathologie. Elle risque de rimer avec échec et malheur. Les plus affaiblis par les logiques économiques actuelles et la pression sociale éprouvent un surcroît de tension. » (Poché F., Une politique de la fragilité : éthique, dignité et luttes sociales, Le Cerf, « La nuit surveillée », 2004.) 42. Dumont G.-F., « Tendances et perspectives de la gérontocroissance urbaine », Annales de la recherche urbaine, juin 2006, n° 100, p. 39-42, distingue les deux phénomènes : le vieillissement et la « gérontocroissance » qui, elle, est une augmentation des effectifs de personnes âgées. L’auteur souligne les différences de « gérontocroissance » entre les grandes aires urbaines et que ce phénomène est principalement urbain alors que le vieillissement est surtout rural. À compter de 2006, le vieillissement s’amplifie de manière significative : la part des personnes âgées de 60 ans et plus dans la population totale passe de 20 % à 31 % en 2030. En 2011, cette part dépassera celle des jeunes de moins de 20 ans. 43. Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 réformant la protection juridique des majeurs, décret n° 20081508 du 30 décembre 2008 et arrêté du 2 janvier 2009. 22 csts2009.indb 22 17/06/09 11:18 Le social nous concerne tous… le travail social s’y implique et pour apporter une « présence », c’est-à-dire l’attention et la disponibilité réelles, au-delà des actes exécutés techniquement et ponctuellement. Il faut insister sur la place essentielle de cette « présence à l’autre » qui lui permet d’être Homme en vivant dignement et dans une relation interpersonnelle authentique. Les politiques publiques ont pris récemment des mesures en faveur des personnes en perte d’autonomie, sous forme d’aides financières et de mise en place de « services » à la personne et de qualifications pour les intervenants. Notons aussi la volonté de mise en place d’un cinquième risque « dépendance », la mise en œuvre du plan Alzheimer, l’accent sur la recherche et la consultation des partenaires impliqués dans l’accompagnement des malades et de leurs familles… Il faut souligner également l’importance que le code de l’action sociale et des familles (CASF) accorde à la qualification des agents amenés à intervenir auprès de personnes fragiles : une qualification forte est sans doute la meilleure manière d’éviter tout abus de faiblesse et toute maltraitance, même involontaire44. La fragilité et la perte d’autonomie étant une réalité forte, il est indispensable de pratiquer la prévention la plus large pour éviter ou ralentir les dégradations. Beaucoup considèrent que la prévention est une politique moins bien dotée en France que les actions d’urgence, alors qu’elle aurait plus d’effets au niveau global et sur le long terme. Quoi qu’il en soit, la prévention45 peut être vue sous plusieurs angles et exercée de diverses manières : la plus efficace est la prévention la plus précoce, dite primaire qui consiste surtout en sensibilisation et informations alors que la prévention secondaire — « prise en charge au tout début de l’apparition du trouble46 » — ou tertiaire — qui tend à éviter les complications des maladies déjà présentes — engagent déjà de la réparation. La prévenance, le tact, la délicatesse sont des formes évidentes du respect de la personne en situation difficile du fait de sa perte d’autonomie, de son handicap… ; c’est une attitude essentielle et efficiente qui, en comparaison à certains autres pays européens, est pourtant encore trop négligée en France lorsqu’il s’agit de pratiquer des actes techniques. En résumé, la « question sociale » posée au début du XXIe siècle se situe dans un contexte social de mondialisation, de crise des États-nations et d’efforts pour constituer un cadre européen commun alors que l’hégémonie du marché s’immisce dans tous les recoins de la vie et fait craindre un retour à des formes de barbarie. 44. Cette volonté de garantir la qualité des interventions auprès de personnes en situation de dépendance, de faiblesse, de vulnérabilité ou de souffrance a été établie par le législateur qui assure ainsi sa mission de protection. En définissant limitativement les métiers et les formations nécessaires pour réaliser ces interventions, le CASF a constitué le « travail social » et les métiers correspondant aux exigences de qualification exigées (voir infra, partie 4). 45. Bouquet B. (dir.), La prévention : concept, politiques, pratiques en débat, L’Harmattan, 2005. 46. Définition de l’Organisation mondiale de la santé. 23 csts2009.indb 23 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain En effet, la question sociale actuelle renvoie à la dégradation du « vivre ensemble » et du lien social, à la croissance des inégalités, à la déstabilisation des formes de travail, à la montée de « l’insécurité sociale 47 », aux processus d’exclusion de certaines catégories de population. Dans un contexte de crise des modèles sociaux, cette question est globale et sociétale. C’est la cohésion de la société qui est ici en jeu : crise de l’État-providence48, crise des délocalisations du travail, crise du lien social, exclusion sociale, sans papiers, sans droits… comme d’autres pays, la France ne peut éluder ce défi. Avec ses éléments les plus sensibles — ceux que nous venons d’exposer ici — la question sociale reste aujourd’hui entière et centrale. En effet, les inégalités, multidimensionnelles et en « entrelacement complexe », malgré la recherche d’égalité des chances, résultent bien d’une certaine économie et de certaines politiques publiques. Et si, en réponse, les pouvoirs publics cherchent à lutter contre l’exclusion, ils le font en multipliant les dispositifs et les instances ce qui engendre un « complexe bureaucratico-assistanciel » dont les travailleurs sociaux sont les « fantassins ». Exclusion et inégalités ne sont pas un horizon indépassable mais la lutte contre ces dysfonctionnements nécessite une volonté très forte de l’ensemble de la société… Pour sa part, le travail social y est totalement engagé, fort de ses qualifications, ses compétences et son éthique. 47. Castel R., L’insécurité sociale, Le Seuil, 2003. 48. Rosanvallon P., La crise de l’État-providence, Le Seuil, 1981. 24 csts2009.indb 24 17/06/09 11:18 L 1.2. e travail social en réponse à la question sociale Existant depuis le début du XXe siècle, le travail social est un ensemble d’activités sociales conduites par des professionnels qualifiés, dans le cadre d’une mission autorisée et/ou légale au sein de structures publiques ou privées, en direction de personnes ou de groupes en difficulté, afin de contribuer à la résolution de leurs problèmes. Son action se situe à l’articulation de nombreux champs — social, économique, politique, thérapeutique, juridique, etc. — et constitue une fonction particulière dans notre société, fonction d’aide, de soutien, de réparation, de développement, exercée de manière individuelle ou collective. 1.2.1. Une intervention sociale reconfigurée Amorcée il y a une trentaine d’années, la reconfiguration du champ de l’action sociale s’est progressivement développée au fil des législations et du processus de décentralisation, le train de lois démarré en 1983 étant poursuivi en 2004. Actuellement, l’action sociale et médico-sociale est définie par la loi 2002-2, article 2, en ces termes : « L’action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans un cadre interministériel, l’autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets. » Le processus de décentralisation, caractérisé par des nouvelles compétences transférées par l’État aux collectivités locales, a fait du département le chef de file de l’action sociale et médico-sociale. Elle a aussi donné à la région la compétence de la mise en œuvre des formations sociales. Dès lors, les politiques sont définies selon les priorités des responsables des collectivités locales, pour répondre aux problèmes globaux qu’ils analysent dans chaque territoire. Pour proposer des réponses de proximité, l’action sociale a été recomposée dans des logiques de territoire, de bassins de vie, de zones de cohérence sociale. Ce faisant, la territorialisation des politiques publiques a, notamment, rapproché les travailleurs sociaux des élus locaux. Elle a aussi inscrit leurs interventions dans des logiques de projets sociaux de territoire, les incitant à investir une posture professionnelle et des techniques d’intervention différentes. Par ailleurs, une autre évolution a également impacté le travail social. Le développement des techniques informatiques et l’utilisation de dossiers et de fichiers se sont systématisés, dans un souci d’efficacité, de rapidité ainsi que pour des raisons de traçabilité et de production nécessaire de données statistiques. L’intervention sociale est donc en tension entre sa nécessaire modernisation et un risque de contrôle social accru. 25 csts2009.indb 25 17/06/09 11:18 TABLE DES MATIÈRES Les rapporteurs ................................................................................................................................................................................ La lettre de mission ..................................................................................................................................................................... Mandat ..................................................................................................................................................................................................... 5 7 9 Partie 1 Le social nous concerne tous… …le travail social s’y implique 1.1. La question sociale aujourd’hui en France ................................................................................................ 1.1.1. La pauvreté et l’exclusion, défis récurrents pour le travail social ........................................ 1.1.2. Le logement, besoin fondamental ................................................................................................................ Dans le contexte urbain ......................................................................................................................................... Dans le contexte rural ............................................................................................................................................. 1.1.3. La famille, l’école et l’affaiblissement des institutions ................................................................ 1.1.4. La fragilité sociale, problématique grandissante pour le travail social...................................................... 1.2. Le travail social en réponse à la question sociale ................................................................................ 1.2.1. Une intervention sociale reconfigurée ...................................................................................................... 1.2.2. Le travail social aujourd’hui, c’est faire société avec ceux qui ont des difficultés et aider l’autre à exister ............................................................................................................................................ 14 14 16 17 18 19 22 25 25 27 Partie 2 Le sens du travail social 2.1. L’ambition du travail social....................................................................................................................................... 2.1.1. Une vision de l’homme et du vivre ensemble ..................................................................................... 2.1.2. Le fondement républicain de la relation en travail social.......................................................... 2.2. Les motivations à aider et accompagner ....................................................................................................... 2.2.1. La dignité de l’homme, une valeur qui s’impose .............................................................................. 2.2.2. La réaction devant l’injustice sociale ....................................................................................................... 2.2.3. L’engagement dans une action constructive ......................................................................................... 2.3. Les fondements des pratiques de travail social ..................................................................................... 2.3.1. On ne naît pas travailleur social, on le devient ................................................................................. 2.3.2 La réflexion éthique ................................................................................................................................................ 2.3.3. La relation d’aide et d’accompagnement ................................................................................................ 2.3.4. Une posture clinique ............................................................................................................................................ 2.3.5. Une démarche professionnelle ...................................................................................................................... 2.3.6. Du travail « sur mesure » ................................................................................................................................... 2.3.7. Une fonction de veille sociale ........................................................................................................................ 31 31 32 35 35 36 37 39 39 39 41 42 43 44 46 Partie 3 La place du travail social 3. 1. L’apport du travail social ........................................................................................................................................... 51 3.1.1. Le travail social, acteur des politiques publiques pour le traitement de la question sociale .............................................................................................................................................................................. 51 Les politiques publiques, un cadre d’action .............................................................................................. Le rôle du travail social au sein des politiques sociales ..................................................................... L’ingénierie en travail social ............................................................................................................................... 51 52 54 127 csts2009.indb 127 17/06/09 11:18 Le travail social aujourd’hui et demain 3.1.2. Le travail social, le respect et la reconnaissance des « usagers » ......................................... 56 Un travail au niveau de l’expertise sociale ................................................................................................. 57 3.1.3. L’action du travailleur social, « artisan du social ».......................................................................... 3.2. Les travailleurs sociaux dans leurs organisations et leurs territoires ..................... 3.2.1. Les travailleurs sociaux, acteurs professionnels assurant des prises de risques éclairées, mesurées et partagées.................................................................................................................................................. 3.2.2. Les organisations au cœur des enjeux d’action sociale ............................................................... 58 62 62 63 Conjuguer intérêt particulier, intérêt général et utilité sociale ....................................................... 64 3.2.3. La reconnaissance mutuelle renforce la place de chacun, usager, acteur et organisation 65 Valoriser les ressources humaines ................................................................................................................... Changer le regard sur l’action sociale et ses objectifs ......................................................................... 66 67 Partie 4 Les métiers du travail social 4.1. Une vocation commune au niveau européen et international ....................................................................... 4.2. Des formations et des diplômes réglementés en France par le code de l’action sociale et des familles ...................................................................................................................................................................... 4.3. Les métiers du travail social : quatre familles de métiers............................................................. 4.3.1. Famille de l’aide ...................................................................................................................................................... 4.3.2. Famille de l’éducation spécialisée ............................................................................................................. 4.3.3. Famille de l’accueil à domicile ..................................................................................................................... 4.3.4. Fonctions d’encadrement .................................................................................................................................. 4.4. Les diplômes de travail social ................................................................................................................................ 4.4.1. Domaine de l’aide et de l’assistance ......................................................................................................... 4.4.2. Domaine de l’éducation spécialisée .......................................................................................................... 4.4.3. Domaine de l’accueil à domicile .................................................................................................................. 4.4.4. Fonctions d’encadrement .................................................................................................................................. 4.5. Les personnes en formation aux professions sociales ...................................................................... 4.6. L’accès à l’emploi ............................................................................................................................................................... 4.7. Les métiers de l’intervention sociale et de l’animation sociale.................................................................... 72 75 78 79 82 85 85 87 87 88 88 89 91 93 95 Conclusion Le travail social demain 1. Contre deux risques d’évolution de notre société...................................................................................... La marchandisation de l’action sociale....................................................................................................................... La tendance à un social de repli...................................................................................................................................... 2. Pour un travail social inventif ..................................................................................................................................... Le social, partie intégrante du développement durable .................................................................................. La recherche d’équité sociale et de développement social, pôles de renouvellement du travail social .............................................................................................................................................................................................. Vers de nouvelles formes de travail social dans le développement social ......................................... 102 102 103 105 105 3. Des propositions et perspectives.............................................................................................................................. 107 109 110 Annexes .................................................................................................................................................................................................. Bibliographie ..................................................................................................................................................................................... 113 119 Maquette couverture : V. Hélye Conception/Réalisation : Presses de l’EHESP Mise en page : ennoïa, 4F allée Verlaine, 35000 Rennes Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie Jouve à Mayenne Dépôt légal : juin 2009 N° d’impression : IMPRIMÉ EN FRANCE csts2009.indb 128 17/06/09 11:18