L`accueil des gens du voyage soumis aux bonnes volontés
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L`accueil des gens du voyage soumis aux bonnes volontés
FOCUS Aménagement du territoire L’accueil des gens du voyage soumis aux bonnes volontés U n maire menace d’inonder un les collectivités locales pour accueil terrain occupé illégalement lir ces populations. Selon ce texte, par 200 caravanes d’évangé un schéma départemental approuvé listes de passage… Le préfet condamne conjointement, tous les six ans, par fermement les propos tout en estimant le préfet et le président du conseil que l’occupation présente un « trouble général fixe les secteurs géographiques à l’ordre public ». Le représentant de d’implantation des aires permanentes l’État demande ensuite l’expulsion d’accueil et les communes où celles-ci des gens du voyage, bientôt suivi par doivent être réalisées. le juge des référés du tribunal adminis La première question qui se pose est tratif qui confirme cette demande et de savoir quelles sont les communes ordonne le départ « sans délai » de la communauté… Le législateur a prévu des Les faits viennent de se dérouler dans le Sud de la France, région textes donnant des obligations où l’accueil des gens du voyage pour les collectivités comme n’est pas toujours le plus aisé, ne serait-ce qu’en raison de la pres pour les gens du voyage sion foncière. Cependant, c’est dans la France entière que le problème concernées par ce schéma. L’article 1er se pose, comme le dénoncent réguliè de la loi de 2000 dispose que « les rement les associations représentant communes de plus de 5 000 habiles gens du voyage, mais aussi la Cour tants figurent obligatoirement au des comptes dans son rapport publié schéma départemental ». Toutefois, en octobre dernier (lire aussi page 7). lorsque des communes de moins de 5 000 habitants sont regroupées dans Les limites du cadre juridique une communauté compétente en Pourtant, le législateur a voté des matière de réalisation d’aires d’accueil textes fixant des obligations pour les des gens du voyage, le juge adminis collectivités comme pour les gens du tratif considère que la communauté voyage. peut librement décider d’implanter La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 une aire d’accueil sur le territoire de relative à l’accueil et à l’habitat des gens ces communes. du voyage fixe les principales disposi La Cour administrative d’appel de tions qui doivent être respectées par Douai a ainsi jugé, en 2007, « que INTERVIEW ©©THAU AGGLO - S. MASSON Alors que les migrations estivales débutent, le manque d’aires de grand passage se fait criant et les tensions montent. En octobre, un rapport de la Cour des comptes pointait les retards en matière d’infrastructure, même si certains territoires mènent une vraie politique de fond sur le sujet. Éducation, santé... Thau Agglo mène une politique globale à destination des gens du voyage. les prévisions retenues par le schéma départemental pour la communauté d’agglomération Amiens Métropole s’imposent sur l’ensemble de son territoire qui est formé d’un seul tenant, sans enclave, dans une logique de continuité territoriale (…) ; que, dans le cadre de l’exercice des compétences d’intérêt communautaire, la communauté d’agglomération Amiens Métropole peut implanter, en tout lieu de son territoire, les aires d’accueil des gens du voyage sans méconnaître les dispositions de la loi du 5 juillet 2000 »1. Les obligations du schéma départemental L’inscription d’une collectivité au schéma départemental impose à celleci de participer à sa mise en œuvre, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma 2 , c’est-àdire « en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d’accueil, aménagées ou entretenues ». Cette compétence peut être transfé rée à un groupement à fiscalité propre. Ces dispositions sont censées être très contraignantes puisque l’article 3 de la loi du 5 juillet 2000 prévoit que si, à l’expiration de ce délai et après mise en demeure restée sans effet, la collec tivité n’a pas respecté ses obligations, le préfet peut acquérir les terrains nécessaires et réaliser les travaux d’aménagement pour le compte de cette collectivité. En pratique, ce pouvoir de substitution est très rare ment mis en œuvre. Pourtant, les élus locaux seraient parfois en attente de l’application de ce pouvoir de substitution. Ainsi, la communauté d’agglomération de Cha teauroux a, début mai, voté le retrait de la compétence « création, entretien et gestion d’une aire de grand passage des gens du voyage » afin de demander au préfet d’agir pour la création d’une aire de grand passage alors que toutes les communes de l’agglomération ont refusé son implantation. Ces dispositions ont un second impact juridique. La mise en œuvre du schéma permet aux maires des com munes concernées de pouvoir inter dire, par arrêté, le stationnement en dehors des aires aménagées à cet effet. Si la compétence a été transférée à un groupement et que ce dernier a res pecté ses obligations, l’ensemble de ses communes membres peuvent prendre de tels arrêtés. En outre, depuis la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivi tés territoriales, sauf opposition du maire de la commune concernée, le Pierre Hérisson, sénateur, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage Pour un transfert obligatoire de la compétence à l’interco ©©dr Auteur d’un rapport intitulé « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », rédigé pour le gouvernement de François Fillon, Pierre Hérisson a également déposé une proposition de loi au Sénat. Quel bilan tirez-vous de la loi permettant aux communes d’avoir recours à l’expulsion en cas d’occu pation illégale de terrain ? Cette loi n’a pas eu beaucoup d’effets car les procédures d’évacuation ne reposent que sur deux motifs bien précis : une atteinte à la tranquillité publique ou un problème 4 N° 179 - Juin 2013 • AdCF d’insalubrité. Cela se complique encore dès lors que le terrain est privé car le propriétaire doit expressément faire une demande d’expulsion. Cette loi était un moyen de rassurer les collectivités, mais elle n’a pas eu de réelle portée. Dans les dossiers d’évacuation, les juges apprécient d’abord l’état de réalisation du • Intercommunalités schéma départemental d’accueil des gens du voyage. Beaucoup de communes n’ayant pas de terrain, les évacuations sont difficiles. La loi était une bonne idée, mais elle est neutralisée dans les faits. Qu’apporte votre proposition de loi ? J’ai déposé une proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie. Elle n’a pas encore été mise à l’ordre du jour des débats. Entre temps, le Conseil constitutionnel a abrogé une partie de la loi de 1969 en supprimant, notamment, le carnet de circulation et l’obligation de trois ans d’attente pour s’inscrire sur les FOCUS 1- CAA Douai, 28 décembre 2007, commune de Pont-de-Metz, req. n° 06DA01758 ; CAA Lyon 10 juin 2010, commune de Saint-Rémy-en-Rollat, req. n° 08LY01791. 2- Ce délai peut être prolongé pour deux années supplémentaires sous certaines conditions précisées par l’article 2 de la loi précitée du 5 juillet 2000. 3- Rép. min. n° 19449 – JO Sénat 22/03/2012, p. 734. 4- Circulaire INT/D/07/00080C du 10 juillet 2007. 5- CAA Lyon, 4 septembre 2009, req. n° 09LYO1131. listes électorales, ce qui a simplifié ma proposition de loi. Celle-ci répond néanmoins, globalement, à toutes les problématiques évoquées dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre en 2010. Le but est d’aller vers un statut de droit commun pour les gens du voyage. Le texte préconise aussi le transfert obligatoire à l’inter communalité de la compétence "accueil des gens du voyage". Pourquoi ce transfert ? Cette disposition a été prise en concertation avec l’Association des maires de France. Elle ne fait qu’of ficialiser ce qui est déjà une réalité dans de nombreux territoires. Cela supprime également l’ambiguïté qui apparaît à chaque fois qu’une Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe Des aires individualisées de qualité « M ême si nous pouvons être considérés comme de bons élèves, nous avons conscience que nous devons encore progresser », estime Didier Jue, responsable du service accueil et gestion des équipements des gens du voyage à la communauté d’agglomé ration Rouen-Elbeuf-Austreberthe (Crea). Pourtant, le travail accom pli par l’intercommunalité dans ce domaine est déjà considérable, avec un peu plus d’une centaine de places d’ac cueil déjà créées. Mais pour répondre au schéma départemental d’accueil des gens du voyage, il en faudrait encore une centaine de plus. La Crea s’y emploie, puisque huit à neuf aires d’accueil doivent encore être construites. « Nous dénombrons encore 80 à 100 ménages qui occupent illégalement des terrains. Cela correspond à peu près au nombre de places que nous devons encore mettre à disposition », considère le responsable du dossier à la Crea. Aujourd’hui, l’intercommunalité dispose de huit aires d’accueil. Trois d’entres elles comptent entre 17 et 25 emplacements. « Ce sont ce que l’on appelle les aires historiques. Nous allons d’ailleurs réhabiliter la plus ancienne, qui date de 1995, à Sottevillelès-Rouen », explique le technicien. La rénovation consistera notamment à aménager des sanitaires individuels sur chaque emplacement. Un parti pris certes plus onéreux, mais qui permet de limiter les dégradations volontaires, de responsabiliser les personnes et de rationaliser les coûts de construction : « Les sanitaires collectifs sont plus facilement dégradés et les gens ne se sentent pas forcément concernés. En revanche, lorsque chaque famille a ses toilettes et sa douche, on constate un plus grand respect des équipements. Cela permet de poser de simples portes en PVC classique plutôt que des portes en acier comme sur le collectif, ce qui coûte quatre fois moins cher. » La communauté d’agglomération a d’ailleurs fait le pari de la qualité pour ses aires d’accueil afin de responsabiliser les usagers et leur permettre une vraie appropriation des lieux. Et lorsque, sur une aire d’accueil, les petits jardinets commencent à s’orner de nains de jardin, le pari semble gagné. La Crea privilégie les petites structures Au-delà de l’anecdote, la Crea doit faire face à des gens du voyage qui peuvent être considérés, en majorité, comme quasi sédentaires. Ce qui conduit la communauté d’agglomération à se comporter quasiment comme un bailleur social avec ses aires d’accueil : règlement intérieur, caution, etc. La Crea, s’inspirant d’expériences menées dans d’autres régions, privi légie les petites structures. L’agglo mération compte cinq aires de quatre à six emplacements, avec cuisine, toilettes et douche individualisés. L’objectif est de disséminer les aires d’accueil sur tout le territoire, évitant à une ville ou deux de supporter seules l’infrastructure tout en privilégiant l’intégration au sein de la commune. Malgré ce travail de fond, le territoire de la Crea connaît encore des occupations illégales. « Lorsque cette occupation se fait sur une commune qui dispose d’un terrain, on trouve des solutions. Sinon, c’est plus compliqué », reconnaît Didier Jue. Un autre dossier complexe est en cours d’élaboration pour la communauté d’agglomération, c’est celui de l’amé nagement d’une aire de grand passage pour répondre aux besoins estivaux. D’ici là, les premiers habitats adaptés, construits en lien avec la ville de Saint-Étienne-du-Rouvray et le bail leur social Logeal, verront le jour. Ils permettront à plusieurs familles, accompagnées dans ce projet depuis plusieurs années, d’accéder à un loge ment sédentaire intégrant la caravane. Si ce dispositif fonctionne, il sera le fruit du travail partenarial mené depuis longue date avec l’association RAGV, les communes, le Conseil général… SN ©©DR président est automatiquement com pétent pour prendre de tels arrêtés. En cas de transfert de ce pouvoir de police, le président a également « la possibilité de saisir le préfet pour qu’il mette en demeure les occupants de quitter les lieux si le stationnement irrégulier des résidences mobiles est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique »3. La circulaire du 10 juillet 2007 précise que cette atteinte s’apprécie in concreto4, ce qui, dans la pratique, nécessite de longs échanges entre les différents acteurs concernés. À titre d’exemple, dans un arrêt de 2009, la CAA de Lyon a considéré « qu’en l’absence de tout équipement sanitaire et compte tenu des difficultés éventuelles d’accès pour des véhicules de secours, le stationnement en grand nombre de caravanes sur un terrain relativement proche d’immeubles d’habitation présentait en l’espèce, alors même que ces caravanes étaient équipées de WC chimiques, des risques pour la sécurité et la salubrité publiques »5. Si certains territoires restent très en retard en matière d'aménage ment d’aires d’accueil pour les gens du voyage, d’autres, en revanche, mènent des politiques innovantes, comme la communauté d’aggloméra tion de Rouen-Albeuf-Austreberthe (Normandie) ou l’agglo de Thau (Hérault). Deux exemples concrets qui démontrent que la volonté politique peut aussi faire bouger les lignes. Floriane Boulay et Salima Nekaa La communauté d’agglomération a fait le pari de la qualité pour ses aires d’accueil afin de responsabiliser les usagers. commune demande l’évacuation d’un terrain pour cause de station nement illégal, alors que c’est l’inter communalité qui a la compétence. En la transférant obligatoirement à l’intercommunalité, cette compé tence d’aménagement du territoire, qui relève aussi du social, désigne ainsi un seul interlocuteur. En faisant de cette compétence une obligation, on entre dans le régime de la contrainte et le préfet peut imposer la réalisation d’aires d’accueil. Cela dit, il ne faut pas noircir le tableau. La France compte à ce jour 22 000 ou 23 000 emplacements amé nagés. Ce qui est déjà très satisfaisant puisqu’on partait de très loin ! Et une seule responsabilité ? Oui, également. Ce transfert permet d’éloigner la prise de décision de la pression locale. Un maire qui décide d’aménager une aire sur sa commune, à moins de la construire au fin fond d’un bois, a toutes les chances de subir des recours. Au niveau intercommu nal, c’est plus simple. C’est plus facile de maîtriser le foncier à ce niveau-là. Au-delà des obstacles adminis tratifs ou politiques, les habitants sont souvent hostiles à l’idée de cohabiter avec des gens du voyage. Comment y remédier ? Le « vivre ensemble » est un vœu pieux. Il y a néanmoins un travail de pédagogie à mener auprès de nos concitoyens pour mieux faire connaître les gens du voyage et leur culture. Il faut éviter l’amalgame entre les populations migrantes d’Europe de l’Est et les gens du voyage fran çais qui sont des citoyens français, comme vous et moi, et qui disposent d’ailleurs, pour la plupart, d’une carte nationale d’identité. Je pense que la solution passe par la semi-sédenta risation afin que les gens du voyage aient une adresse, un terrain, un loge ment s’ils le souhaitent. Il ne peut y avoir de sédentarisation forcée, mais l’accompagnement à la semi-séden tarisation peut faciliter leur intégra tion complète dans notre société. Les terrains familiaux sont, à cet égard, un dispositif satisfaisant et en évitant tout conflit puisque les gens du voyage sont sur un terrain qui leur appartient. Propos recueillis par SN Intercommunalités • AdCF • N° 179 - Juin 2013 5 FOCUS Aménagement du territoire INTERVIEW Pierre Bouldoire, président de Thau Agglomération (Hérault) « Ce n’est pas de la politique, mais du militantisme » Les élus communautaires étaientils unanimes sur la question ou a-t-il fallu les convaincre ? En ce qui me concerne, j’ai une vision un peu particulière du sujet, vision que j’ai partagée en devenant pré sident de l’intercommunalité. En 1995, alors que j’étais maire de la commune de Frontignan, le passage des gens du voyage était un sujet pro blématique. La loi n’existait pas encore et nous réfléchissions à la manière de résoudre cette difficulté. Nous pen sions qu’il fallait un lieu d’accueil et nous avions commencé à travailler dessus, bien avant la loi. Cela nous a permis d’avancer, non pas physi quement sur le terrain mais dans nos têtes. J’ai donc essayé d’utiliser cette expérience et cette réflexion pour convaincre les plus réticents de nos élus. De plus, les retours d’expé rience sur les deux aires déjà réalisées sont très bons. Nous sommes sur un chemin vertueux parce que l’expé rience nourrissant plutôt les aspects positifs que négatifs, cela finit par convaincre. Il faut bien avouer que chacun essaie d’appliquer la loi quasi a minima. Nous serons peut-être parmi ceux qui en ont fait le plus, mais nous sommes loin du compte. Certes, le contexte du bassin de Thau est compliqué, mais nous avons déjà réalisé deux aires et mené une étude pour en réaliser une troisième. Je suis plutôt positif car nous avonçons bien. Nous partions de très loin. 6 N° 179 - Juin 2013 • AdCF Mais à la base se trouve quand même une volonté farouche de résoudre le problème. Car toutes les villes peuvent prétendre ne pas avoir la parcelle adéquate. La découverte d’une parcelle adéquate pour la construction de ces aires d’accueil devrait être confiée non pas aux édiles d’une ville, mais à une commission indépendante, neutre. Vous verrez qu’alors plusieurs terrains apparaîtraient et les maires n’auraient plus qu’à choisir. Ce pourrait être le rôle du préfet ? Il est là pour faire respecter la loi, il est celui qui attire toujours l’attention des élus sur les retards qu’ils accumulent. Le problème d’une loi, c’est que si l’es prit n’est pas respecté, il existe tou jours des moyens de retarder ses effets ou même de la contourner. La lettre n’est pas suffisante, il faut l’esprit. Réaliser des aires d’accueil, c’est aussi une prise de risque politique pour les élus ? Je ne sais pas. En première analyse, celui qui veut remporter les élections ne devrait pas en faire. En seconde analyse, cela peut rendre difficile une réélection dans quelques mois, mais cela peut également permettre une réélection dans sept ans, parce que l’on fait alors progresser les valeurs que les gens ont parfois un peu oubliées. C’est ma conception ; ce n’est pas forcément de la politique, mais du militantisme. ©©THAU AGGLO - S. MASSON ©©DR Pourquoi l’intercommunalité que vous présidez s’est-elle emparée de la compétence « accueil des gens du voyage » ? N ous avons pris cette compétence dès la création de la communauté d’agglo mération en 2003 parce que c’est un sujet qui nous semblait devoir être traité à l’échelle intercommunale, vu les problèmes que cela posait pour chacune des villes. Compte tenu du contexte local (pres sion foncière, rareté des terrains, présence occasionnelle mais assez importante de gens du voyage qui a pu parfois créer des tensions, etc.), nous nous trouvions au départ dans une situation où réaliser la moindre chose nous était presque impossible. Nous avons essayé de compenser cela avec une forte volonté de faire qui s’appuie sur un certain nombre de valeurs et d’analyses de fond ; avec la mobili sation de moyens et en donnant des explications sur nos actions auprès des populations. Les deux nouvelles aires créées en 2009 et 2013 affichent souvent "complet". L’intercommunalité est-elle le bon échelon pour agir sur l’accueil des gens du voyage ? Faut-il transférer obligatoirement cette compétence aux intercommunalités ? Je me méfie des automatismes. Ces questions sont subtiles et en fonc tion des histoires et géographies locales, appliquer les mêmes recettes peut donner de très bonnes choses comme des catastrophes. Au niveau de la gestion, du financement et de la recherche du foncier, l’intercommu nalité est le bon échelon. Mais consi dérer l’aire comme un quartier relève d’une histoire humaine de proximité qui concerne alors l’échelon local. En plus de créer des aires d’accueil, vous faites aussi un travail social avec les gens du voyage. Les deux vous paraissent-ils indispensables ? Si l’on ne fait que construire, on va au-devant des ennuis. Si l’on consi dère que l’aire d’accueil est un camp, qu’on l’isole du reste de la ville, pas tant géographiquement parce que la loi nous contraint, mais du point de vue du fonctionnement, on risque de s’attirer de gros problèmes. Nos aires sont ouvertes, au sens où lorsqu’on organise des manifestations cultu relles, il se peut qu’on aille y proposer des animations ou qu’on aille chercher les gens pour qu’ils y participent. Par exemple, pour le prochain Festival du roman noir de Frontignan, des lec tures sont prévues sur l’aire d’accueil. Nous la considérons comme un quar tier de la commune à part entière avec des résidents non permanents. Propos recueillis par SN Des aires d’accueil considérées comme des quartiers A u titre de sa compétence « réa lisation et gestion des aires d’accueil des gens du voyage », la communauté de Thau Agglo a ouvert deux aires en 2009 et 2013. Les 22 emplacements que compte la première et les 18 de la seconde pré sentent un taux d’occupation très élevé et affichent souvent « complet ». L’agglo a alors instauré une liste d’at tente en s’appuyant sur quatre critères de priorité : avoir des enfants scola risés sur la commune ou en passe de l’être, être domicilié auprès du centre communal d’action sociale, disposer d’une activité pour les trois mois à venir ou avoir un parent hospitalisé à l’hôpital de l’agglomération. Le règle ment autorise jusqu’à 120 jours de sta tionnement, lequel dure en moyenne 60 jours. Comité de pilotage Les élus ont par ailleurs souhaité des tarifs contenus, à 2,50 euros par • Intercommunalités emplacement et par jour, indépen damment du nombre de personnes. Une caution de 100 euros est égale ment demandée. La communauté assume la plus grande part du coût de fonctionnement des deux équipe ments, dont le coût d’investissement s’est porté à 1,8 million d’euros pour chacun. La gestion des deux aires s’élève à 240 000 euros par an et a été confiée à un prestataire. Un comité de pilotage partenarial a la charge d’en définir les orientations. Il associe les élus communautaires et munici paux concernés, l’entreprise presta taire, les acteurs sociaux, les polices municipales et nationale, l’Éducation nationale, la CAF et l’État par le biais de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Le comité de pilotage porte en particulier ses efforts sur l’éducation et la santé. Il s’attache aussi à prévenir et calmer les tensions potentielles. Cette configuration vise à mettre en œuvre une politique globale à destination des gens du voyage. La communauté d’agglomération l’envi sage d’ailleurs comme une politique d’habitat adapté, faisant partie inté grante de la politique du logement pour tous. Habitat adapté au mode de vie des gens du voyage, habitat adapté également aux difficultés ren contrées par ce public. Allocataires du revenu de solidarité active (RSA) pour une bonne partie, les gens du voyage bénéficient des tarifs préférentiels, par exemple pour les transports publics, et d’animations culturelles en lien avec la médiathèque de Frontignan, gérée par la communauté. La politique des aires d’accueil menée par l’agglomération de Thau appelle à être poursuivie. Ne serait-ce que pour se conformer au schéma départemental des aires d’accueil, qui prévoit une centaine d’emplacements sur son territoire. Simon Mauroux ©©dr FOCUS INTERVIEW Anne Froment-Meurice, présidente de la 5e chambre de la Cour des comptes « Le volontarisme des collectivités est inégal » n octobre 2012, la Cour des comptes a publié un rapport consacré à la mise en œuvre de la politique E d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage. Le bilan de l’application de la loi du 5 juillet 2000, dressé à cette occasion, est assez contrasté. la Cour recommande notamment de renforcer la coordination interminis térielle, d’assurer le fonctionnement régulier de la commission départe mentale consultative et de la com mission régionale de coordination des travaux et de mettre en place, dans obligation qui échoit aux communes. L’arrêt du Conseil d’État Ville de Lille du 2 décembre 1983 établit un devoir d’accueil pour toutes les communes, quelle que soit leur taille. De plus, en application des lois du 5 juillet 2000 et du 1er août 2003, les communes de moins de 5 000 habitants doivent créer des aires d’accueil. Seules celles dont la population est comprise entre 5 000 et 20 000 habitants et dont la moitié habite en zone urbaine sensible peuvent demander à être exemptées de l’obligation de réaliser des aires d’accueil. Le rapport de la Cour des comptes n’a pas analysé les conséquences d’une dévolution éventuelle de cette com pétence communale au profit d’une structure intercommunale. Il n’a pas davantage identifié les outils spéci fiques qui pourraient être mis à la disposition des intercommunalités. Propos recueillis par SN parfois défaut. La Cour a pourtant constaté que pour surmonter ces réti cences, l’engagement des élus dans les instances de débat et d’échange était un facteur facilitateur. Lorsque les collectivités sont défail lantes, la législation prévoit une pro cédure de substitution de l’État. Confié au Rétablir le subventionnement préfet, ce pouvoir de substitution pourrait par l’État des aires demeurant théoriquement atté à construire nuer les disparités territoriales. Mais il chaque département, un dispositif de n’a jamais été mis en œuvre, car ses pilotage opérationnel de la mise en modalités pratiques d’application n’ont œuvre du schéma associant les diffé pas été précisées. rents acteurs concernés. Elle préconise aussi d’inciter les services de l’État à L’achèvement de la carte intercomrecourir aux fonds du Feder et de réta munale et l’intégration de plus en blir le subventionnement par l’État plus forte à l’échelle intercommudes aires demeurant à construire, dès nale peuvent-ils favoriser un meillors qu’elles ont été validées par les leur accueil des gens du voyage ? schémas révisés, et avec pour seule L’accueil des gens du voyage est une contrepartie un prélèvement financier sur les collectivités défaillantes. Carte nationale des aires d’accueil Ces problèmes, quels sont-ils ? Les obstacles qui freinent la réalisa tion des aires sont multiples. L’impré cision des schémas départementaux engendre des retards. Les popula tions riveraines expriment de fortes réticences, en particulier à l’encontre des aires de grand passage. Les coûts Quelles sont et comment s’expliquent les disparités territoriales en matière d’accueil des gens du voyage ? Insuffisamment efficace lorsqu’on le considère globa lement, le pilotage local des politiques d’accueil et d’ac compagnement des gens du voyage est en réalité mobilisé L’imprécision manière inégale des schémas départementaux de selon les territoires, engendre des retards car le volontarisme des collectivités prévisionnels de réalisation sont en est lui-même inégal. Ainsi, général largement dépassés, notam certains conseils généraux ment du fait de travaux de raccorde refusent de cosigner avec l’État ment onéreux, directement imputables les schémas départementaux aux décisions des collectivités terri ou de les réviser conjointe toriales d’éloigner les aires des zones ment avec lui. Quand il faut habitées. Enfin, les subventions que passer à l’acte et créer des verse l’État pour la réalisation des aires aires, l’appui des élus locaux, sont arrêtées depuis la fin 2008. Pour confrontés aux réticences des remédier aux difficultés rencontrées, populations riveraines, fait Le ministère de l’Intérieur a missionné le préfet Hubert Derache afin de répondre aux préconisations du rapport de la Cour des comptes consacré à la mise en œuvre de la politique d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage, notamment en ce qui concerne l’absence de pilotage des politiques publiques en ce domaine. Le haut fonctionnaire doit ainsi étudier les meilleurs moyens de coordonner l’action des différents ministères concernés. Son rapport est attendu prochainement. Seine- Val-det Val- S -Denis Marne d’Oise Hautsde-Seine Yvelines Seineet-Marne PARIS Nord Pas-deCalais Essonne Somme 25 km Seine-Maritime Ardennes Oise Calvados Manche Finistère Aisne Moselle Eure Meuse Marne Bas-Rhin Orne Ille-etCôtesd’Armor Vilaine Eureet-Loir Mayenne Aube Sarthe Morbihan Loiret Indreet-Loire Maineet-Loire LoireAtlantique DeuxSèvres HauteMarne Yonne Côte-d’Or Vienne Doubs Charente Saôneet-Loire Allier Creuse HauteVienne Territoire de Belfort Nièvre Indre CharenteMaritime Haut-Rhin HauteSaône Loir-etCher Cher Vendée Meurthe-etMoselle Vosges Puy-deDôme Loire Jura Ain Rhône HauteSavoie Savoie Isère Corrèze Dordogne Cantal Gironde 1 258 500 100 20 Lot Lot-etGaronne Nombre de places en aires d’accueil par département, en 2011 Landes Gers Lozère Ardèche Gard Tarn Hérault HauteGaronne PyrénéesAtlantiques Aucune aire d’accueil en 2010 Données indisponibles Aveyron Tarn-etGaronne HauteLoire Drôme HautesAlpes Alpes-deVaucluse Haute-Provence AlpesMaritimes Bouchesdu-Rhône Var Aude HautesPyrénées Ariège PyrénéesOrientales 100 km Taux de places réalisées fin 2010 par rapport aux obligations des schémas départementaux, en % 0 20 40 60 80 100 HauteCorse * * Corsedu-Sud * Les aires de Calvi et de Propriano, en Corse, doivent ouvrir en 2012. Source : Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, enquêtes menées en 2009 et 2010 auprès des Dreal, 2011. Intercommunalités • AdCF • N° 179 - Juin 2013 7 © Éditions Autrement « ATLAS DES TSIGANES » 2012 de Samuel DELEPINE S elon votre rapport, « le taux de réalisation des aires reste insatisfaisant dix ans après l’adoption de la loi : au 31 décembre 2010, seules 52 % des places prévues en aires d’accueil et 29,4 % des aires de grand passage avaient été réalisées ». Quelles sont les raisons d’un si faible taux de réalisation et que préconisez-vous pour y remédier ? D’une manière générale, les politiques conduites en matière d’accueil et d’ac compagnement des gens du voyage souffrent d’un déficit de pilotage. Au niveau central, elles se situent au croisement des compétences de plu sieurs ministères, dont l’action n’est pas assez coordonnée. Il en résulte des difficultés pour organiser et orienter la politique conduite et des lacunes importantes dans son suivi et son éva luation. Quant au pilotage local, confié conjointement aux préfets et aux prési dents de conseil général, il est trop peu mobilisé. Il n’a pas permis de répondre aux problèmes rencontrés en matière de réalisation et de gestion des aires.