L`accueil des gens du voyage soumis aux bonnes volontés

Transcription

L`accueil des gens du voyage soumis aux bonnes volontés
FOCUS Aménagement du territoire
L’accueil des gens
du voyage soumis
aux bonnes volontés
U n maire menace d’inonder un les collectivités locales pour accueil­
terrain occupé illégalement lir ces populations. Selon ce texte,
par 200 caravanes d’évangé­ un schéma départemental approuvé
listes de passage… Le préfet condamne conjointement, tous les six ans, par
fermement les propos tout en estimant le préfet et le président du conseil
que l’occupation présente un « trouble général fixe les secteurs géographiques
à l’ordre public ». Le représentant de d’implantation des aires permanentes
l’État demande ensuite l’expulsion d’accueil et les communes où celles-ci
des gens du voyage, bientôt suivi par doivent être réalisées.
le juge des référés du tribunal adminis­ La première question qui se pose est
tratif qui confirme cette demande et de savoir quelles sont les communes
ordonne le départ « sans délai »
de la communauté…
Le législateur a prévu des
Les faits viennent de se dérouler
dans le Sud de la France, région textes donnant des obligations
où l’accueil des gens du voyage pour les collectivités comme
n’est pas toujours le plus aisé, ne
serait-ce qu’en raison de la pres­ pour les gens du voyage
sion foncière. Cependant, c’est
dans la France entière que le problème concernées par ce schéma. L’article 1er
se pose, comme le dénoncent réguliè­ de la loi de 2000 dispose que « les
rement les associations représentant communes de plus de 5 000 habiles gens du voyage, mais aussi la Cour tants figurent obligatoirement au
des comptes dans son rapport publié schéma départemental ». Toutefois,
en octobre dernier (lire aussi page 7).
lorsque des communes de moins de
5 000 habitants sont regroupées dans
Les limites du cadre juridique
une communauté compétente en
Pourtant, le législateur a voté des matière de réalisation d’aires d’accueil
textes fixant des obligations pour les des gens du voyage, le juge adminis­
collectivités comme pour les gens du tratif considère que la communauté
voyage.
peut librement décider d’implanter
La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 une aire d’accueil sur le territoire de
relative à l’accueil et à l’habitat des gens ces communes.
du voyage fixe les principales disposi­ La Cour administrative d’appel de
tions qui doivent être respectées par Douai a ainsi jugé, en 2007, « que
INTERVIEW
©©THAU AGGLO - S. MASSON
Alors que les migrations estivales débutent, le manque
d’aires de grand passage se fait criant et les tensions
montent. En octobre, un rapport de la Cour des comptes
pointait les retards en matière d’infrastructure,
même si certains territoires mènent une vraie politique
de fond sur le sujet.
Éducation, santé... Thau Agglo mène une politique globale à destination des gens
du voyage.
les prévisions retenues par le schéma
départemental pour la communauté
d’agglomération Amiens Métropole
s’imposent sur l’ensemble de son territoire qui est formé d’un seul tenant,
sans enclave, dans une logique de
continuité territoriale (…) ; que, dans
le cadre de l’exercice des compétences
d’intérêt communautaire, la communauté d’agglomération Amiens Métropole peut implanter, en tout lieu de son
territoire, les aires d’accueil des gens
du voyage sans méconnaître les dispositions de la loi du 5 juillet 2000 »1.
Les obligations du schéma
départemental
L’inscription d’une collectivité au
schéma départemental impose à celleci de participer à sa mise en œuvre,
dans un délai de deux ans suivant la
publication de ce schéma 2 , c’est-àdire « en mettant à la disposition des
gens du voyage une ou plusieurs aires
d’accueil, aménagées ou entretenues ».
Cette compétence peut être transfé­
rée à un groupement à fiscalité propre.
Ces dispositions sont censées être très
contraignantes puisque l’article 3 de
la loi du 5 juillet 2000 prévoit que si,
à l’expiration de ce délai et après mise
en demeure restée sans effet, la collec­
tivité n’a pas respecté ses obligations,
le préfet peut acquérir les terrains
nécessaires et réaliser les travaux
d’aménagement pour le compte de
cette collectivité. En pratique, ce
pouvoir de substitution est très rare­
ment mis en œuvre.
Pourtant, les élus locaux seraient
parfois en attente de l’application de
ce pouvoir de substitution. Ainsi, la
communauté d’agglomération de Cha­
teauroux a, début mai, voté le retrait
de la compétence « création, entretien
et gestion d’une aire de grand passage
des gens du voyage » afin de demander
au préfet d’agir pour la création d’une
aire de grand passage alors que toutes
les communes de l’agglomération ont
refusé son implantation.
Ces dispositions ont un second impact
juridique. La mise en œuvre du
schéma permet aux maires des com­
munes concernées de pouvoir inter­
dire, par arrêté, le stationnement en
dehors des aires aménagées à cet effet.
Si la compétence a été transférée à un
groupement et que ce dernier a res­
pecté ses obligations, l’ensemble de ses
communes membres peuvent prendre
de tels arrêtés.
En outre, depuis la loi du 16 décembre
2010 portant réforme des collectivi­
tés territoriales, sauf opposition du
maire de la commune concernée, le
Pierre Hérisson, sénateur, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage
Pour un transfert obligatoire de la compétence à l’interco
©©dr
Auteur d’un rapport intitulé « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun »,
rédigé pour le gouvernement de François Fillon, Pierre Hérisson a également déposé
une proposition de loi au Sénat.
Quel bilan tirez-vous de la loi permettant aux communes d’avoir
recours à l’expulsion en cas d’occu­
pation illégale de terrain ?
Cette loi n’a pas eu beaucoup d’effets
car les procédures d’évacuation
ne reposent que sur deux motifs
bien précis : une atteinte à la
tranquillité publique ou un problème
4
N° 179 - Juin 2013 • AdCF
d’insalubrité. Cela se complique
encore dès lors que le terrain est privé
car le propriétaire doit expressément
faire une demande d’expulsion.
Cette loi était un moyen de rassurer
les collectivités, mais elle n’a pas eu
de réelle portée. Dans les dossiers
d’évacuation, les juges apprécient
d’abord l’état de réalisation du
• Intercommunalités
schéma départemental d’accueil
des gens du voyage. Beaucoup de
communes n’ayant pas de terrain,
les évacuations sont difficiles. La loi
était une bonne idée, mais elle est
neutralisée dans les faits.
Qu’apporte votre proposition de loi ?
J’ai déposé une proposition de loi
relative au statut juridique des gens
du voyage et à la sauvegarde de leur
mode de vie. Elle n’a pas encore été
mise à l’ordre du jour des débats.
Entre temps, le Conseil constitutionnel
a abrogé une partie de la loi de 1969
en supprimant, notamment, le carnet
de circulation et l’obligation de trois
ans d’attente pour s’inscrire sur les
FOCUS
1- CAA Douai, 28 décembre 2007, commune de
Pont-de-Metz, req. n° 06DA01758 ; CAA Lyon
10 juin 2010, commune de Saint-Rémy-en-Rollat,
req. n° 08LY01791.
2- Ce délai peut être prolongé pour deux années
supplémentaires sous certaines conditions
précisées par l’article 2 de la loi précitée
du 5 juillet 2000.
3- Rép. min. n° 19449 – JO Sénat 22/03/2012,
p. 734.
4- Circulaire INT/D/07/00080C du 10 juillet 2007.
5- CAA Lyon, 4 septembre 2009,
req. n° 09LYO1131.
listes électorales, ce qui a simplifié
ma proposition de loi. Celle-ci répond
néanmoins, globalement, à toutes
les problématiques évoquées dans
le rapport que j’ai remis au Premier
ministre en 2010. Le but est d’aller
vers un statut de droit commun pour
les gens du voyage. Le texte préconise
aussi le transfert obligatoire à l’inter­
communalité de la compétence
"accueil des gens du voyage".
Pourquoi ce transfert ?
Cette disposition a été prise en
concertation avec l’Association des
maires de France. Elle ne fait qu’of­
ficialiser ce qui est déjà une réalité
dans de nombreux territoires. Cela
supprime également l’ambiguïté
qui apparaît à chaque fois qu’une
Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe
Des aires individualisées de qualité
« M ême si nous pouvons
être considérés comme
de bons élèves, nous
avons conscience que nous devons
encore progresser », estime Didier
Jue, responsable du service accueil et
gestion des équipements des gens du
voyage à la communauté d’agglomé­
ration Rouen-Elbeuf-Austreberthe
(Crea). Pourtant, le travail accom­
pli par l’intercommunalité dans ce
domaine est déjà considérable, avec un
peu plus d’une centaine de places d’ac­
cueil déjà créées. Mais pour répondre
au schéma départemental d’accueil des
gens du voyage, il en faudrait encore
une centaine de plus.
La Crea s’y emploie, puisque huit à
neuf aires d’accueil doivent encore
être construites. « Nous dénombrons
encore 80 à 100 ménages qui occupent
illégalement des terrains. Cela correspond à peu près au nombre de places
que nous devons encore mettre à disposition », considère le responsable du
dossier à la Crea.
Aujourd’hui, l’intercommunalité
dispose de huit aires d’accueil. Trois
d’entres elles comptent entre 17 et
25 emplacements. « Ce sont ce que
l’on appelle les aires historiques. Nous
allons d’ailleurs réhabiliter la plus
ancienne, qui date de 1995, à Sottevillelès-Rouen », explique le technicien. La
rénovation consistera notamment à
aménager des sanitaires individuels
sur chaque emplacement. Un parti pris
certes plus onéreux, mais qui permet
de limiter les dégradations volontaires,
de responsabiliser les personnes et de
rationaliser les coûts de construction :
« Les sanitaires collectifs sont plus
facilement dégradés et les gens ne se
sentent pas forcément concernés. En
revanche, lorsque chaque famille a ses
toilettes et sa douche, on constate un
plus grand respect des équipements.
Cela permet de poser de simples portes
en PVC classique plutôt que des portes
en acier comme sur le collectif, ce qui
coûte quatre fois moins cher. »
La communauté d’agglomération
a d’ailleurs fait le pari de la qualité
pour ses aires d’accueil afin de
responsabiliser les usagers et leur
permettre une vraie appropriation des
lieux. Et lorsque, sur une aire d’accueil,
les petits jardinets commencent à
s’orner de nains de jardin, le pari
semble gagné.
La Crea privilégie
les petites structures
Au-delà de l’anecdote, la Crea doit faire
face à des gens du voyage qui peuvent
être considérés, en majorité, comme
quasi séden­taires. Ce qui conduit la
communauté d’agglomération à se
comporter quasiment comme un
bailleur social avec ses aires d’accueil :
règlement intérieur, caution, etc.
La Crea, s’inspirant d’expériences
menées dans d’autres régions, privi­
légie les petites structures. L’agglo­
mération compte cinq aires de quatre
à six emplacements, avec cuisine,
toilettes et douche individualisés.
L’objectif est de disséminer les aires
d’accueil sur tout le territoire, évitant
à une ville ou deux de supporter seules
l’infrastructure tout en privilégiant
l’intégration au sein de la commune.
Malgré ce travail de fond, le territoire
de la Crea connaît encore des
occupations illégales. « Lorsque cette
occupation se fait sur une commune
qui dispose d’un terrain, on trouve des
solutions. Sinon, c’est plus compliqué »,
reconnaît Didier Jue.
Un autre dossier complexe est en cours
d’élaboration pour la communauté
d’agglomération, c’est celui de l’amé­
nagement d’une aire de grand passage
pour répondre aux besoins estivaux.
D’ici là, les premiers habitats adaptés,
construits en lien avec la ville de
Saint-Étienne-du-Rouvray et le bail­
leur social Logeal, verront le jour.
Ils permettront à plusieurs familles,
accompagnées dans ce projet depuis
plusieurs années, d’accéder à un loge­
ment sédentaire intégrant la caravane.
Si ce dispositif fonctionne, il sera
le fruit du travail partenarial mené
depuis longue date avec l’association
RAGV, les communes, le Conseil
général…
SN
©©DR
président est automatiquement com­
pétent pour prendre de tels arrêtés.
En cas de transfert de ce pouvoir de
police, le président a également « la
possibilité de saisir le préfet pour qu’il
mette en demeure les occupants de
quitter les lieux si le stationnement
irrégulier des résidences mobiles est
de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité
publique »3.
La circulaire du 10 juillet 2007
précise que cette atteinte s’apprécie
in concreto4, ce qui, dans la pratique,
nécessite de longs échanges entre les
différents acteurs concernés. À titre
d’exemple, dans un arrêt de 2009, la
CAA de Lyon a considéré « qu’en l’absence de tout équipement sanitaire et
compte tenu des difficultés éventuelles
d’accès pour des véhicules de secours,
le stationnement en grand nombre de
caravanes sur un terrain relativement
proche d’immeubles d’habitation présentait en l’espèce, alors même que
ces caravanes étaient équipées de WC
chimiques, des risques pour la sécurité
et la salubrité publiques »5.
Si certains territoires restent très
en retard en matière d'aménage­
ment d’aires d’accueil pour les gens
du voyage, d’autres, en revanche,
mènent des politiques innovantes,
comme la communauté d’aggloméra­
tion de Rouen-Albeuf-Austreberthe
(Normandie) ou l’agglo de Thau
(Hérault). Deux exemples concrets qui
démontrent que la volonté politique
peut aussi faire bouger les lignes.
Floriane Boulay et Salima Nekaa
La communauté d’agglomération a fait le pari de la qualité pour ses aires d’accueil
afin de responsabiliser les usagers.
commune demande l’évacuation
d’un terrain pour cause de station­
nement illégal, alors que c’est l’inter­
communalité qui a la compétence.
En la transférant obligatoirement à
l’intercommunalité, cette compé­
tence d’aménagement du territoire,
qui relève aussi du social, désigne
ainsi un seul interlocuteur.
En faisant de cette compétence une
obligation, on entre dans le régime de
la contrainte et le préfet peut imposer
la réalisation d’aires d’accueil.
Cela dit, il ne faut pas noircir le
tableau. La France compte à ce jour
22 000 ou 23 000 emplacements amé­
nagés. Ce qui est déjà très satisfaisant
puisqu’on partait de très loin !
Et une seule responsabilité ?
Oui, également. Ce transfert permet
d’éloigner la prise de décision de la
pression locale. Un maire qui décide
d’aménager une aire sur sa commune,
à moins de la construire au fin fond
d’un bois, a toutes les chances de subir
des recours. Au niveau intercommu­
nal, c’est plus simple. C’est plus facile
de maîtriser le foncier à ce niveau-là.
Au-delà des obstacles adminis­
tratifs ou politiques, les habitants
sont souvent hostiles à l’idée de
cohabiter avec des gens du voyage.
Comment y remédier ?
Le « vivre ensemble » est un vœu
pieux. Il y a néanmoins un travail
de pédagogie à mener auprès de
nos concitoyens pour mieux faire
connaître les gens du voyage et leur
culture. Il faut éviter l’amalgame entre
les populations migrantes d’Europe
de l’Est et les gens du voyage fran­
çais qui sont des citoyens français,
comme vous et moi, et qui disposent
d’ailleurs, pour la plupart, d’une carte
nationale d’identité. Je pense que la
solution passe par la semi-sédenta­
risation afin que les gens du voyage
aient une adresse, un terrain, un loge­
ment s’ils le souhaitent. Il ne peut y
avoir de sédentarisation forcée, mais
l’accompagnement à la semi-séden­
tarisation peut faciliter leur intégra­
tion complète dans notre société. Les
terrains familiaux sont, à cet égard,
un dispositif satisfaisant et en évitant
tout conflit puisque les gens du voyage
sont sur un terrain qui leur appartient.
Propos recueillis par SN
Intercommunalités • AdCF • N° 179 - Juin 2013
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FOCUS Aménagement du territoire
INTERVIEW
Pierre Bouldoire, président de Thau Agglomération (Hérault)
« Ce n’est pas de la politique, mais du militantisme »
Les élus communautaires étaientils unanimes sur la question ou
a-t-il fallu les convaincre ?
En ce qui me concerne, j’ai une vision
un peu particulière du sujet, vision
que j’ai partagée en devenant pré­
sident de l’intercommunalité. En
1995, alors que j’étais maire de la
commune de Frontignan, le passage
des gens du voyage était un sujet pro­
blématique. La loi n’existait pas encore
et nous réfléchissions à la manière de
résoudre cette difficulté. Nous pen­
sions qu’il fallait un lieu d’accueil et
nous avions commencé à travailler
dessus, bien avant la loi. Cela nous
a permis d’avancer, non pas physi­
quement sur le terrain mais dans
nos têtes. J’ai donc essayé d’utiliser
cette expérience et cette réflexion
pour convaincre les plus réticents de
nos élus. De plus, les retours d’expé­
rience sur les deux aires déjà réalisées
sont très bons. Nous sommes sur un
chemin vertueux parce que l’expé­
rience nourrissant plutôt les aspects
positifs que négatifs, cela finit par
convaincre.
Il faut bien avouer que chacun essaie
d’appliquer la loi quasi a minima.
Nous serons peut-être parmi ceux qui
en ont fait le plus, mais nous sommes
loin du compte. Certes, le contexte du
bassin de Thau est compliqué, mais
nous avons déjà réalisé deux aires et
mené une étude pour en réaliser une
troisième. Je suis plutôt positif car
nous avonçons bien. Nous partions
de très loin.
6
N° 179 - Juin 2013 • AdCF
Mais à la base se trouve quand même
une volonté farouche de résoudre le
problème.
Car toutes les villes peuvent prétendre
ne pas avoir la parcelle adéquate. La
découverte d’une parcelle adéquate
pour la construction de ces aires
d’accueil devrait être confiée non
pas aux édiles d’une ville, mais à une
commission indépendante, neutre.
Vous verrez qu’alors plusieurs terrains
apparaîtraient et les maires n’auraient
plus qu’à choisir.
Ce pourrait être le rôle du préfet ?
Il est là pour faire respecter la loi, il est
celui qui attire toujours l’attention des
élus sur les retards qu’ils accumulent.
Le problème d’une loi, c’est que si l’es­
prit n’est pas respecté, il existe tou­
jours des moyens de retarder ses effets
ou même de la contourner. La lettre
n’est pas suffisante, il faut l’esprit.
Réaliser des aires d’accueil, c’est
aussi une prise de risque politique
pour les élus ?
Je ne sais pas. En première analyse,
celui qui veut remporter les élections
ne devrait pas en faire. En seconde
analyse, cela peut rendre difficile une
réélection dans quelques mois, mais
cela peut également permettre une
réélection dans sept ans, parce que l’on
fait alors progresser les valeurs que les
gens ont parfois un peu oubliées. C’est
ma conception ; ce n’est pas forcément
de la politique, mais du militantisme.
©©THAU AGGLO - S. MASSON
©©DR
Pourquoi l’intercommunalité que
vous présidez s’est-elle emparée de
la compétence « accueil des gens du
voyage » ?
N ous avons pris cette compétence dès
la création de la communauté d’agglo­
mération en 2003 parce que c’est un
sujet qui nous semblait devoir être
traité à l’échelle intercommunale, vu
les problèmes que cela posait pour
chacune des villes.
Compte tenu du contexte local (pres­
sion foncière, rareté des terrains,
présence occasionnelle mais assez
importante de gens du voyage qui a pu
parfois créer des tensions, etc.), nous
nous trouvions au départ dans une
situation où réaliser la moindre chose
nous était presque impossible. Nous
avons essayé de compenser cela avec
une forte volonté de faire qui s’appuie
sur un certain nombre de valeurs et
d’analyses de fond ; avec la mobili­
sation de moyens et en donnant des
explications sur nos actions auprès
des populations.
Les deux nouvelles aires créées en 2009 et 2013 affichent souvent "complet".
L’intercommunalité est-elle le bon
échelon pour agir sur l’accueil des
gens du voyage ? Faut-il transférer
obligatoirement cette compétence
aux intercommunalités ?
Je me méfie des automatismes. Ces
questions sont subtiles et en fonc­
tion des histoires et géographies
locales, appliquer les mêmes recettes
peut donner de très bonnes choses
comme des catastrophes. Au niveau
de la gestion, du financement et de la
recherche du foncier, l’intercommu­
nalité est le bon échelon. Mais consi­
dérer l’aire comme un quartier relève
d’une histoire humaine de proximité
qui concerne alors l’échelon local.
En plus de créer des aires d’accueil,
vous faites aussi un travail social
avec les gens du voyage. Les deux
vous paraissent-ils indispensables ?
Si l’on ne fait que construire, on va
au-devant des ennuis. Si l’on consi­
dère que l’aire d’accueil est un camp,
qu’on l’isole du reste de la ville, pas
tant géographiquement parce que la
loi nous contraint, mais du point de
vue du fonctionnement, on risque de
s’attirer de gros problèmes. Nos aires
sont ouvertes, au sens où lorsqu’on
organise des manifestations cultu­
relles, il se peut qu’on aille y proposer
des animations ou qu’on aille chercher
les gens pour qu’ils y participent. Par
exemple, pour le prochain Festival du
roman noir de Frontignan, des lec­
tures sont prévues sur l’aire d’accueil.
Nous la considérons comme un quar­
tier de la commune à part entière avec
des résidents non permanents.
Propos recueillis par SN
Des aires d’accueil considérées comme des quartiers
A u titre de sa compétence « réa­
lisation et gestion des aires
d’accueil des gens du voyage »,
la communauté de Thau Agglo a
ouvert deux aires en 2009 et 2013.
Les 22 emplacements que compte la
première et les 18 de la seconde pré­
sentent un taux d’occupation très
élevé et affichent souvent « complet ».
L’agglo a alors instauré une liste d’at­
tente en s’appuyant sur quatre critères
de priorité : avoir des enfants scola­
risés sur la commune ou en passe de
l’être, être domicilié auprès du centre
communal d’action sociale, disposer
d’une activité pour les trois mois à
venir ou avoir un parent hospitalisé à
l’hôpital de l’agglomération. Le règle­
ment autorise jusqu’à 120 jours de sta­
tionnement, lequel dure en moyenne
60 jours.
Comité de pilotage
Les élus ont par ailleurs souhaité
des tarifs contenus, à 2,50 euros par
• Intercommunalités
emplacement et par jour, indépen­
damment du nombre de personnes.
Une caution de 100 euros est égale­
ment demandée. La com­munauté
assume la plus grande part du coût
de fonctionnement des deux équipe­
ments, dont le coût d’investissement
s’est porté à 1,8 million d’euros pour
chacun. La gestion des deux aires
s’élève à 240 000 euros par an et a été
confiée à un prestataire. Un comité
de pilo­tage partenarial a la charge
d’en définir les orientations. Il associe
les élus communautaires et munici­
paux concernés, l’entreprise presta­
taire, les acteurs sociaux, les polices
municipales et nationale, l’Éducation
nationale, la CAF et l’État par le biais
de la Direction départementale des
territoires et de la mer (DDTM). Le
comité de pilotage porte en particulier
ses efforts sur l’éducation et la santé.
Il s’attache aussi à prévenir et calmer
les tensions potentielles.
Cette configuration vise à mettre
en œuvre une politique globale à
destination des gens du voyage. La
communauté d’agglomération l’envi­
sage d’ailleurs comme une politique
d’habitat adapté, faisant partie inté­
grante de la politique du logement
pour tous. Habitat adapté au mode
de vie des gens du voyage, habitat
adapté également aux difficultés ren­
contrées par ce public. Allocataires du
revenu de solidarité active (RSA) pour
une bonne partie, les gens du voyage
bénéficient des tarifs préférentiels, par
exemple pour les transports publics,
et d’ani­mations culturelles en lien
avec la médiathèque de Frontignan,
gérée par la communauté.
La politique des aires d’accueil
menée par l’agglomération de Thau
appelle à être poursuivie. Ne serait-ce
que pour se conformer au schéma
départemental des aires d’accueil, qui
prévoit une centaine d’emplacements
sur son territoire.
Simon Mauroux
©©dr
FOCUS
INTERVIEW
Anne Froment-Meurice, présidente de la 5e chambre de la Cour des comptes
« Le volontarisme des collectivités est inégal »
n octobre 2012, la Cour des comptes a publié un rapport consacré à la mise en œuvre de la politique
E
d’accueil et d’accompagnement des gens du voyage. Le bilan de l’application de la loi du 5 juillet 2000,
dressé à cette occasion, est assez contrasté.
la Cour recommande notamment de
renforcer la coordination interminis­
térielle, d’assurer le fonctionnement
régulier de la commission départe­
mentale consultative et de la com­
mission régionale de coordination
des travaux et de mettre en place, dans
obligation qui échoit aux communes.
L’arrêt du Conseil d’État Ville de Lille
du 2 décembre 1983 établit un devoir
d’accueil pour toutes les communes,
quelle que soit leur taille. De plus, en
application des lois du 5 juillet 2000
et du 1er août 2003, les communes
de moins de 5 000 habi­tants doivent
créer des aires d’accueil. Seules celles
dont la population est comprise entre
5 000 et 20 000 habitants et dont la
moitié habite en zone urbaine sensible
peuvent demander à être exemptées
de l’obligation de réaliser des aires
d’accueil.
Le rapport de la Cour des comptes n’a
pas analysé les conséquences d’une
dévolution éventuelle de cette com­
pétence communale au profit d’une
structure intercommunale. Il n’a pas
davantage identifié les outils spéci­
fiques qui pourraient être mis à la
disposition des intercommunalités.
Propos recueillis par SN
parfois défaut. La Cour a pourtant
constaté que pour surmonter ces réti­
cences, l’engagement des élus dans les
instances de débat et d’échange était
un facteur facilitateur.
Lorsque les collectivités sont défail­
lantes, la législation prévoit une pro­
cédure de substitution
de l’État. Confié au
Rétablir le subventionnement préfet, ce pouvoir de
substitution pourrait
par l’État des aires demeurant
théoriquement atté­
à construire
nuer les disparités
territoriales. Mais il
chaque département, un dispositif de n’a jamais été mis en œuvre, car ses
pilotage opérationnel de la mise en modalités pratiques d’application n’ont
œuvre du schéma associant les diffé­ pas été précisées.
rents acteurs concernés. Elle préconise
aussi d’inciter les services de l’État à L’achèvement de la carte intercomrecourir aux fonds du Feder et de réta­ munale et l’intégration de plus en
blir le subventionnement par l’État plus forte à l’échelle intercommudes aires demeurant à construire, dès nale peuvent-ils favoriser un meillors qu’elles ont été validées par les leur accueil des gens du voyage ?
schémas révisés, et avec pour seule L’accueil des gens du voyage est une
contrepartie un prélèvement
financier sur les collectivités
défaillantes.
Carte nationale
des aires d’accueil
Ces problèmes, quels sont-ils ?
Les obstacles qui freinent la réalisa­
tion des aires sont multiples. L’impré­
cision des schémas départementaux
engendre des retards. Les popula­
tions riveraines expriment de fortes
réticences, en particulier à l’encontre
des aires de grand passage. Les coûts
Quelles sont et comment
s’expliquent les disparités
territoriales en matière d’accueil des gens du voyage ?
Insuffisamment efficace
lorsqu’on le considère globa­
lement, le pilotage local des
politiques d’accueil et d’ac­
compagnement des
gens du voyage est
en réalité mobilisé
L’imprécision
manière inégale
des schémas départementaux de
selon les territoires,
engendre des retards
car le volontarisme
des collectivités
prévisionnels de réalisation sont en est lui-même inégal. Ainsi,
général largement dépassés, notam­ certains conseils généraux
ment du fait de travaux de raccorde­ refusent de cosigner avec l’État
ment onéreux, directement imputables les schémas départementaux
aux décisions des collectivités terri­ ou de les réviser conjointe­
toriales d’éloigner les aires des zones ment avec lui. Quand il faut
habitées. Enfin, les subventions que passer à l’acte et créer des
verse l’État pour la réalisation des aires aires, l’appui des élus locaux,
sont arrêtées depuis la fin 2008. Pour confrontés aux réticences des
remédier aux difficultés rencontrées, populations riveraines, fait
Le ministère de l’Intérieur a missionné le préfet Hubert Derache
afin de répondre aux préconisations du rapport de la Cour des
comptes consacré à la mise en œuvre de la politique d’accueil et
d’accompagnement des gens du voyage, notamment en ce qui
concerne l’absence de pilotage des politiques publiques en ce
domaine. Le haut fonctionnaire doit ainsi étudier les meilleurs
moyens de coordonner l’action des différents ministères
concernés. Son rapport est attendu prochainement.
Seine- Val-det
Val- S -Denis Marne
d’Oise
Hautsde-Seine
Yvelines
Seineet-Marne
PARIS
Nord
Pas-deCalais
Essonne
Somme
25 km
Seine-Maritime
Ardennes
Oise
Calvados
Manche
Finistère
Aisne
Moselle
Eure
Meuse
Marne
Bas-Rhin
Orne
Ille-etCôtesd’Armor Vilaine
Eureet-Loir
Mayenne
Aube
Sarthe
Morbihan
Loiret
Indreet-Loire
Maineet-Loire
LoireAtlantique
DeuxSèvres
HauteMarne
Yonne
Côte-d’Or
Vienne
Doubs
Charente
Saôneet-Loire
Allier
Creuse
HauteVienne
Territoire
de Belfort
Nièvre
Indre
CharenteMaritime
Haut-Rhin
HauteSaône
Loir-etCher
Cher
Vendée
Meurthe-etMoselle
Vosges
Puy-deDôme
Loire
Jura
Ain
Rhône
HauteSavoie
Savoie
Isère
Corrèze
Dordogne
Cantal
Gironde
1 258
500
100
20
Lot
Lot-etGaronne
Nombre de places en aires
d’accueil par département,
en 2011
Landes
Gers
Lozère
Ardèche
Gard
Tarn
Hérault
HauteGaronne
PyrénéesAtlantiques
Aucune aire d’accueil en 2010
Données indisponibles
Aveyron
Tarn-etGaronne
HauteLoire
Drôme
HautesAlpes
Alpes-deVaucluse Haute-Provence AlpesMaritimes
Bouchesdu-Rhône
Var
Aude
HautesPyrénées
Ariège
PyrénéesOrientales
100 km
Taux de places réalisées fin 2010 par rapport
aux obligations des schémas départementaux,
en %
0 20 40 60 80 100
HauteCorse
*
*
Corsedu-Sud
* Les aires de Calvi et de Propriano, en Corse, doivent ouvrir en 2012.
Source : Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature,
enquêtes menées en 2009 et 2010 auprès des Dreal, 2011.
Intercommunalités • AdCF • N° 179 - Juin 2013
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© Éditions Autrement « ATLAS DES TSIGANES » 2012 de Samuel DELEPINE
S elon votre rapport, « le taux de réalisation des aires reste insatisfaisant
dix ans après l’adoption de la loi :
au 31 décembre 2010, seules 52 %
des places prévues en aires d’accueil
et 29,4 % des aires de grand passage
avaient été réalisées ». Quelles sont
les raisons d’un si faible taux de réalisation et que préconisez-vous pour
y remédier ?
D’une manière générale, les politiques
conduites en matière d’accueil et d’ac­
compagnement des gens du voyage
souffrent d’un déficit de pilotage.
Au niveau central, elles se situent au
croisement des compétences de plu­
sieurs ministères, dont l’action n’est
pas assez coordonnée. Il en résulte des
difficultés pour organiser et orienter
la politique conduite et des lacunes
importantes dans son suivi et son éva­
luation. Quant au pilotage local, confié
conjointement aux préfets et aux prési­
dents de conseil général, il est trop peu
mobilisé. Il n’a pas permis de répondre
aux problèmes rencontrés en matière
de réalisation et de gestion des aires.