HISTOIRE DES ARTS, Arts plastiques – 3e Thématique : La

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HISTOIRE DES ARTS, Arts plastiques – 3e Thématique : La
HISTOIRE DES ARTS, Arts plastiques – 3e
Thématique : La mémoire
Sujet proposé en amont de l’étude de l’œuvre : LE PASSAGE
Consigne : Imaginez et réalisez la maquette d’un passage dont la traversée suscitera plus particulièrement l’un des cinq sens du
spectateur-promeneur.
Œuvre étudiée : Plight de Joseph Beuys, 1985.
Portrait de l’artiste
Croquis et photographie de l’insatallation réalisés par un spectateur
Vue intérieure de l’installation
1 - PRESENTATION DE L’ŒUVRE
Nature : Installation
Période : Contemporaine (après 1960)
Titre : De l’anglais Plight (En français = état, situation critique / piège /engagement, promesse)
Auteur : Joseph Beuys (1921-1986), artiste allemand du XXe siècle
Lieu d’exposition : Centre Georges Pompidou
2- DESCRIPTION
Plight est une installation qui prend la forme d’un espace fermé en forme de L, par lequel on pénètre grâce à une étroite
ouverture. L’ensemble des parois de l’espace est recouvert de rouleaux de feutre brut, 284 en tout. Au centre de la première
pièce, on trouve un piano à queue dont le couvercle est clos. Sur ce piano fermé sont posés un tableau noir et un thermomètre
médical indiquant la température ambiante. Sur le tableau noir est tracée à la craie une portée musicale qui ne contient aucune
note.
3 – DEDUCTION ET ANALYSE
a) La situation critique : chaleur, silence et isolement d’un espace claustrophobique
Dès l’entrée, le spectateur devenu promeneur perçoit les sensations de solitude et d’isolement qui se dégagent de l’espace.
Pour y pénétrer, il doit d’abord se pencher comme pour entrer dans une caverne. Puis le plafond bas et les parois tapissées de
feutre créent immédiatement une impression de confinement. Enfin, l’odeur particulière dégagée par le matériau principal, le
feutre, saisit immédiatement, de même que la chaleur du lieu produite par ce matériau calorifère.
Cette sensation pesante est renforcée par le silence qui règne dans l’installation et qui est perceptible à peine a-t-on franchi
l’ouverture qui fait office de passage. Les bruits de l’extérieur sont étouffés et les sons émis dans l’espace ne trouvent aucune
résonnance. Une fois encore c’est le feutre qui joue un rôle prépondérant dans cette perception sonore puisqu’il s’agit d’un
matériau qui isole à la fois du froid et du bruit. La sensation d’isolement, au sens propre comme au figuré est donc réelle. Il
s’agit d’un espace particulièrement claustrophobique.
Le silence perçu est souligné par la présence du piano dont le couvercle reste fermé et bloqué par le tableau noir. Le spectateur
se trouve donc face à un double silence : il est baigné dans un espace environnant silencieux où tout bruit émis est étouffé, et il
fait face à un piano d’où ne peut sortir un son. Les dessins à la craie de portées musicales vides sur le tableau noir viennent
renforcer l’idée d’un espace «muet ».
La présence du thermomètre vient quant à elle souligner la perception de chaleur inhabituelle ressentie par le spectateur dans
un espace muséal. Le fait qu’il s’agisse d’un thermomètre médical paraît étrange et permet de raccorder l’œuvre au domaine
de la médecine et à l’humain.
Enfin, la forme même de l’espace en L augmente l’impression de confinement et de pénibilité ressentie par le spectateur. En
effet, du temps où il pouvait encore déambuler dans l’espace de l’œuvre (aujourd’hui, pour des questions de conservation, la
présence du spectateur est restreinte à l’entrée de l’œuvre, protégée par une barrière en plexiglas), le visiteur s’enfonçait dans
l’obscurité de la pièce s’attendant à trouver une issue, mais il était contraint de revenir sur ses pas pour sortir. A la manière
d’un labyrinthe donc, une seule issue est possible.
b) La promesse : Une oeuvre fondée sur un évènement autobiographique
Pour mieux comprendre comment fonctionne l’œuvre et saisir les intentions de l’artiste, on peut d’abord se référer au titre.
Plight est un terme anglais qui désigne à la fois un état ou une situation critique, un piège, et l’idée de promesse ou
d’engagement. Le titre de l’œuvre a donc une double signification qui peut paraître paradoxal mais qui s’éclaire dès lors que
l’on connaît les évènements qui ont marqué la vie de l’artiste, ainsi que toute la pensée qui va en découler.
En effet, pour comprendre le travail mené par Joseph Beuys tout au long de sa carrière, tant comme artiste que comme
professeur de sculpture à l’université de Düsseldorf en Allemagne, il faut remonter aux évènements de la Seconde Guerre
Mondiale. Joseph, alors jeune étudiant en médecine, est enrôlé dans l’armée allemande comme aviateur pour la Luftwaffe.
Lors des combats sur le front russe en 1943, son avion est abattu au-dessus du désert de Crimée (proche de la mer Noire).
Beuys, qui aurait dû périr brûlé dans la carcasse de son avion est trouvé, recueilli et sauvé par des Tatars (peuples turcs
d'Europe orientale et d'Asie du Nord). Pour le ressusciter, ces nomades proche de la nature l’enduisent d’une graisse qui pense
ses plaies, l’enroulent dans une épaisse couverture de feutre qui le protège du froid, et le nourrissent de miel, substance
reconnue pour ses vertus antibactériennes et énergisantes. Les Tatars s’occupent ainsi de lui pendant plusieurs mois, le
ramenant lentement à la vie. On ne sait pas très bien comment Joseph Beuys regagne son pays après cet épisode (il est le seul à
avoir rapporté ce récit…), mais il rentre, on s’en doute, complètement bouleversé et transformé. Ainsi, il abandonne ses études
de médecine et décide de devenir artiste. En effet, pour lui l’art est une thérapie contre la peur de la mort, et le moyen
principal d’accéder à la liberté. En quelque sorte, l’art est donc une promesse et l’artiste doit engager sa vie au service de sa
mission. Dès lors, Beuys se présentera comme un artiste-chaman (sorte de sorcier aux pouvoirs magiques dans les sociétés
animistes), capable de changer la société, par l’art.
Cet évènement permet aussi de mieux analyser l’emploi des différents matériaux qui reviennent régulièrement dans les
œuvres de Beuys, à savoir principalement la graisse, le miel, le feutre, mais aussi des signes tels que la croix rouge qui rappelle
le sauvetage et les soins reçus lors de situations critiques telles que l’état de guerre.
c)
L’engagement : une réflexion sur la liberté de l’artiste et de l’Homme
On peut également souligner que Plight, est en quelque sorte l’œuvre ultime ou la synthèse de toutes les œuvres produites par
Joseph Beuys. En effet, il la réalise un an avant sa mort en 1986, et répond de manière moqueuse ou provocatrice à la
commande d’une galerie londonienne qui lui offre un espace d’exposition pour lequel il doit concevoir une œuvre nouvelle.
Beuys explique qu’il a eu l’idée de travailler la question du silence avec l’idée d’isoler complètement l’espace de la galerie des
bruits produits par les travaux d’un chantier voisin…
Au-delà de cette anecdote, on peut considérer que Beuys tente dans cette installation de donner une image au silence, à priori
irreprésentable. En effet, plongé dans cet espace, le spectateur fait réellement une expérience singulière du silence, vécu non
pas comme une absence de son, mais comme une présence, lourde et oppressante.
Le seul son émis provenant d’éventuels spectateurs surpris ou gênés qui feraient part de leur ressenti à haute voix, on peut
rapprocher l’œuvre de Beuys de la pièce du musicien John Cage que Beuys a connu et fréquenté, intitulée 4’33 et durant
laquelle un orchestre produit quatre minutes et trente-trois secondes de silence, devant un public bouche bée puis révolté.
John Cage et Joseph Beuys s’inscrivent ainsi dans le cercle des artistes qui révolutionnent les arts (musique et arts plastiques)
en repensant totalement leurs principes fondamentaux. Après eux, plus rien ne sera comme avant et la création
contemporaine prend un nouveau tournant.
Enfin, l’ensemble du dispositif mis en place par l’artiste peut être compris comme une ultime réflexion sur la notion de liberté.
En créant un espace oppressant pour le spectateur, mettant à l’épreuve les sens de la vue, de l’ouïe, du toucher, et de
l’odorat, Beuys souligne le prix et la valeur d’être libre. Il est bon de se rappeler que les régimes dictatoriaux cherchent
toujours à étouffer la parole des artistes qui portent la voix de la différence, du progrès et de la liberté. Créer c’est exister et
affirmer sa liberté… c’est peut-être ce que Plight nous murmure, par-delà son silence.
4 - REGARD CRITIQUE
Ce que je pense de l’œuvre et pourquoi ? Ce qui m’interroge, m’intrigue, me questionne, me plaît ou me déplait. Tout point de
vue est recevable dans la mesure où il est argumenté et où il témoigne d’un esprit ouvert et d’une pensée réfléchie.