Le sport dans les arts plastiques du XXe siècle. (Art et sport)
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Le sport dans les arts plastiques du XXe siècle. (Art et sport)
Art et sport Le sport dans les arts plastiques du XX e siècle par Wolfgang Becker * L’ouvreur de voie Dans un téléfilm réalisé en 1983, le critique d’art Walter Vitt de Cologne s’entretenait avec le célèbre alpiniste Reinhold Messner au sujet d’Alfred Ferdinand Grünwald (1892-1927) qui, sous le pseudonyme de Johannes Theodor Baargeld, avait appartenu, avec Max Ernst, au groupe des dadaïstes de Cologne et dont le portrait figure sur le tableau de Max Ernst intitulé « Rendez-vous des amis » (1922) appartenant au Musée Ludwig à Cologne. Baargeld avait rapidement abandonné la carrière artistique pour devenir, selon l’avis expert de Reinhold Messner, un excellent alpiniste. A la question : « L’alpinisme est-il un art ? » que posait Walter Vitt, Messner répondit: « Un alpiniste a la possibilité d’être également un artiste lorsqu’il peut effectuer des premières. Un ouvreur de voie est un homme, un alpiniste, qui est le premier à escalader un mur. D’abord il s’installe au pied du mur et l’examine. Au gré de son imagination, de ses connaissances et de son expérience, il trace mentalement une ligne sur ce mur. Ensuite, il procède à l’escalade en suivant parfaitement la ligne tracée, en « vivant » littéralement le mur. II grimpe à la force de ses mains et de ses pieds, marquant ainsi le mur escaladé, même si ultérieurement il ne subsiste aucune trace visible. C’est ainsi que l’alpiniste peut accomplir une œuvre d’art sur un mur de mille mètres, voire de deux mille mètres. II est d’usage, par la suite, de donner à cette ligne, que nous appelons route, le nom de l’alpiniste qui fut le premier à la parcourir ». Le concept de « l’ouvreur de voie » en tant qu’artiste est tout aussi fascinant que son contraire; et ce ne sont pas seulement les historiens de l’art européen qui, en évoquant les chefs-dœuvre de l’art font appel aux métaphores de l’escalade, de la conquête des cimes et de l’envol vers les hautes altitudes. * Directeur de « Neue Galerie » à Aix-la-Chapelle (FRG) Nous ignorons si’ l’alpiniste Baargeld a continué à se considérer comme un artiste. Les quelques rares photographies des Alpes qu’il nous a laissées ne nous permettent pas d’en juger. A ma connaissance, il n’existe aucun autre artiste du XX e siècle qui ait acquis une notoriété équivalente grâce à ses prestations sportives. Je connais cependant des artistes qui se servent d’images sportives d’une manière métaphorique : ainsi, par exemple, en 1936, Gala et Salvador Dali se sont laissés photographier par Cecil Beaton devant le tableau du maître intitulé « Couple aux têtes pleines de nuages ». Le portrait classique d’un couple – elle assise, lui, debout derrière elle ; elle en robe décolletée, lui vêtu d’un costume de ville – est ici modifié par l’artifice qu’elle nous regarde par la grille d’un casque d’escrimeur tandis que lui, le regard solennel dirigé vers le coin supérieur gauche du tableau, tient une épée entre ses mains jointes. Le tableau exprime les « obsessions déguisées » du célèbre surréaliste qui, en tant que peintre, ne peut pas être citoyen, en tant que citoyen ne peut pas être escrimeur, en tant qu’escrimeur ne peut pas être toréador, en tant que toréador ne peut pas être vainqueur-et dont la victime se dérobe, se dissimule et se présente comme partenaire. II relève de la spiritualité de Dali de s’identifier à l’image du maître d’armes et d’y intégrer la relation qu’il entretient avec sa femme. Par ricochet, il confère ainsi à son travail d’artiste le caractère aristocratique qui répond à son idée du génie. J’ignore si Salvador Dali pratiquait l’escrime, mais il est prouvé que, dans sa jeunesse, l’artiste autrichien Christian Ludwig, surnommé « Attersee », pratiquait la voile et s’était acquis, dans ce sport, une notoriété nationale. Si nous pouvons supposer que Salvador Dali ait sciemment voilé la métaphore natio519 nale du toréador dans la photographie de Cecil Beaton afin de faire passer une suggestion diffuse de sa nature d’artiste, Christian Ludwig -surnommé « Attersee » pour avoir pratiqué la voile sur le lac Attersee – présente l’image du navigateur comme une information supplémentaire, voire superflue par rapport à ses tableaux, où reviennent inlassablement les thèmes de la voile, du vent, des conditions climatiques. Si Dali cherchait une image du sport pour se valoriser en tant qu’artiste par la voie de la photographie, « Attersee » nous offre des tableaux dans lesquels il exploite, de manière déconcertante, l’arsenal iconographique de la voile: une belle jeune fille, bien en chair, est étendue, épuisée et voluptueuse, à l’extrémité d’un embarcadère ; elle nous montre son sexe bardé d’appareils mécaniques: un dispositif d’obturation du sexe amarré à I’embarcadère au moyen de cordes et une quadruple voile fixée sur le genou gauche, telle une prothèse. La « Junggesellin mit Kniesegel » (La célibataire même au genou à voile) est amarrée, « fermée », et, la voile étant trop petite pour la mettre en mouvement, victime d’un esprit créatif qui ne souhaite rien d’autre que son immobilité. Elle est, comme Andromède, enchaînée au rocher. Persée, seul, peut la sauver. La conscience créatrice cherche son identité Je voudrais comparer cette référence à une autre source mythologique au centre de laquelle se trouve la Mère de Dieu et I’Amazone. Nous entrons à présent si je puis dire dans la troisième dimension ; dans la première le peintre Salvador Dali autorise un célèbre photographe à réaliser son portrait pour donner une expression à sa conscience artistique ; dans la deuxième, les œuvres suggestives d’Attersee nous replongent dans ses expériences de jeunesse, de navigateur ; dans la troisième dimension, l’artiste Ulrike Rosenbach, qui vit à Cologne, offre une représentation où elle exploite les images du sport en les renvoyant à ses origines mythiques. Lors de la Biennale de Paris, en 1975, Ulrike Rosenbach exécute sa performance : « Ne croyez pas que je sois une Amazone ». En voici le concept : « Je tire 15 flèches sur la reproduction d’une image de Madone du Moyen Age (« La Madone des Roses » de Stephan Lochner, 1451, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne). Sur l’écran vidéo, on voit la tête de la Madone dans laquelle viennent se planter les flèches, ainsi que mon visage ; les deux images sont présentées en surimpres520 sion. L’image de la Madone, représentative, d’une beauté inaccessible, tendre, timide, un cliché d’une fadeur certaine, se retrouve également en moi. En frappant son image, les flèches me frappent, moi aussi ». Ici, on nous submerge de réminiscences culturelles : la Mère de Dieu, belle, pacifique, endurant toutes les souffrances (transpercée par les flèches de la souffrance non seulement dans l’action d’Ulrike Rosenbach, mais également dans nombre d’autres tableaux), la belle Amazone héroïque qui sort vaincue du combat final pour une nouvelle société patriarcale ; et finalement le tir à l’arc, auquel les Asiatiques ont conféré une qualité méditative particulière. Cette performance de 1975 fut pour tous les participants expérience attentifs une effrayante, car ils ont pu observer comment une conscience créatrice cherchait à retrouver sa propre identité en assassinant son histoire. L’escrime, la voile et le tir à l’arc sont des disciplines sportives nobles qui se voient couramment qualifiées d’artistiques. Lorsque des athlètes pratiquant ces disciplines sportives m’offrent une démonstration de leur art, ces représentations répondent toujours à ma conception de la beauté. L’idée que l’archer vise un être humain m’est devenue complètement étrangère, et le fleuret, lui aussi, n’est utilisé que dans une conception « sportive ». Tous les « sports de combat » paraissent inoffensifs, aussi longtemps qu’ils ne débouchent pas sur des actes violents. Derrière l’image de l’élégante archère en tricot blanc, Ulrike Rosenbach perçoit I’Amazone antique qu’elle questionne dans de longues séquences photographiques issues de films hollywoodiens et d’autres contextes. Le pseudo-hellénisme qui s’exprime dans ces images passe par le prisme trivial du mythe, qui n’en laisse subsister qu’une image distordue. Néanmoins, la solennité tranquille de la performance reste fidèle à un rituel qui conserve toute sa dimension historique. La performance en tant que forme de l’expression corporelle artistique est née, en quelque sorte, des concerts Fluxus et des happenings turbulents des années soixante. Lorsque les artistes Fluxus se servaient de la métaphore d’une discipline sportive, ils se référaient toujours à la boxe. Ben Vautier, Nam June Paik et Joseph Beuys ont pratiqué ce sport. Le sport de combat typiquement masculin qu’est la boxe est basé sur le pugilat et conserve son caractère populaire. C’est précisément ce que visaient ces artistes. Un perpétuel échange d’énergies Lors de la Documenta 1972, Joseph Beuys avait installé un bureau d’informations de la « Organisation für direkte Demokratie durch Volksabstimmung » (Organisation pour la démocratie directe par référendum populaire). Au cours des débats, par ailleurs fort animés, son élève Abraham Christian Moebuss (devenu entretemps le sculpteur Abraham David Christian) l’invita à un « combat de boxe pour la démocratie directe » qui eut lieu le dernier jour de l’exposition au titre de grande action publique de clôture. Anatol Herzfeld, un autre élève de Beuys, fut choisi comme arbitre, et commenta, à la fin du combat, la victoire de Beuys en ces termes : « Beuys vainqueur aux points pour la démocratie directe grâce à ses directs ». Dans les photgaraphies illustrant ce combat, Abraham David Christian et Joseph Beuys, du fait de leur manque d’entraînement, n’ont pas pu démontrer le caractère dangereux de ce sport de combat qu’est la boxe, mais ils ont néanmoins conféré à leur confrontation une image qui exprime son universalité, son caractère sérieux et dangereux: une métaphore à double sens qui exprime, sous les traits d’une confrontation combative et violente, l’opposition entre la « démocratie directe » et la « démocratie déléguée ». Bien auparavant, en 1966, lors d’une représentation Fluxus à Copenhague, Beuys avait revêtu des gants de boxe pour frapper l’écran d’un téléviseur: Don Quichotte tentant, au moyen du pugilat primitif, de venir à bout des ailes de moulins que constituent les massmedia et découvrant finalement qu’il convient de recourir à des méthodes de contact plus raffinées. II découpe un boudin, lui donnant la forme d’une épée de Samouraï, et l’introduit dans le champ énergétique du circuit électronique. L’artiste Joseph Beuys, de Dusseldorf, a conféré à la boxe un principe esthétique qui définit l’œuvre de sa vie : selon ce principe, l’art est une activité politico-sociale globale, un perpétuel échange de coups et d’énergies entre des personnes appartenant à une même société qui se sentent unies dans une « démocratie directe ». Voile/toile Le discours socio-politique de l’artiste français Daniel Buren (né en 1938 à Boulogne s/Seine) est plus prudent : le Louvre dans le dos, il souhaite ne pas arracher l’art au contexte de son histoire et de ses sites, même si ceux-ci lui paraissent suspects. Le dilemme des sites (à l’intérieur le musée, à l’extérieur la rue) n’a pas cessé de le préoccuper. C’est pourquoi, en 1975, à l’occasion d’un voyage d’études à Berlin, un jeu de mots fut à l’origine d’une nouvelle œuvre ; lors d’une promenade sur la rive du Wannsee, il vit dans la « voile » la corrélation matérielle à la peinture : « Voile/toile-Segel/Leinwand ». C’est le titre de neuf travaux nouveaux qu’il montre, la même année, à deux endroits différents de Berlin : sur le lac Wannsee sous forme de voiles, à l’Académie des Beaux-Arts sous forme de toiles. « Des pièces de nylon d’égale largeur ont été assemblées de manière à former les voiles adéquates pour être enverguées aux mâts d’une série de bâteaux du type « optimiste ». Travail réalisé par ateliers spécialisés en voilures. Ont ainsi été confectionnées 9 voiles, composées de bandes blanches et colorées alternées de 8,1 cm de large, les couleurs utilisées étant bleu, vert et jaune (chaque couleur pour deux voiles), rouge, orange et marron. Sur chaque voile les deux bandes blanches extrêmes ont ensuite été peintes recto-verso avec de la peinture acrylique blanche. Puis les voiles ont été montées sur les voiliers et ceux-ci, barrés par des enfants de 8 à 13 ans, ont participé à une régate sur le Wannsee ». Et de fait : la peinture se présentait ici « toutes voiles dehors » et soulignait avec insistance qu’il est plus important de méditer sur l’impact social de ses supports plutôt que d’empiler ceux-ci dans les musées comme si de rien n’était. Buren ajoute avec un certain dédain : « L’art se sauve au musée, mais ces toiles prenaient l’air frais. Et voilà ». L’alpinisme, l’escrime, le tir à l’arc, la boxe, la voile : voilà une série de disciplines sportives qui ont inspiré aux artistes les plus divers, des manières de se représenter eux-mêmes. Aucun de ces artistes ne se distingua dans ces disciplines sportives, comme l’on fait par exemple Yves Klein ou Arman en judo (deux artistes chez lesquels il serait difficile, par contre, de définir l’impact de l’activité sportive sur leur art) – et aucun d’entre eux n’a réagi face à des événements sportifs particuliers. Il est cependant indéniable que les grands événements sportifs, en raison de l’impact sur les masses orchestré par les media, se répercutent sur l’imaginaire des artistes. Ainsi, le jeune Jörg Immendorff, professeur de I’académie LIDL dont il fut le fondateur, créa une équipe sportive LIDL qui participa aux Jeux Olympiques de Munich en 1972. Cette équipe sportive s’était déjà réunie en 1969 : organisation d’un tournoi de tennis de 521 table à Dusseldorf ; le 14 juin 1969, traversée à la nage du Lac des Quatre Cantons par Immendorff ; meeting d’athlétisme à l’occasion de l’exposition « Intermedia 1969 » Heidelberg ; match de football entre l’équipe d’lmmendorff et celle de la galerie alternative « A 37 90 89 » d’lsi Fiszman et Kasper König à Anvers, le 17 août, suivi, d’une course cycliste d’Anvers à Bruxelles à l’occasion de I’ouverture du « Musée d’Art Moderne - Département des Aigles » de Marcel Broodthaers. Le BÜRO OLYMPIA 1972 lança le slogan : « Viel Sand auf das Olympische Feuer » (beaucoup de sable sur la flamme olympique) visant à critiquer le système d’organisation de la célèbre institution. Qu’est-ce qui a bien pu inciter Immendorff à dénigrer ainsi les Jeux Olympiques, alors que ceux-ci tendent, dans le cadre d’un ambitieux programme artistique, à motiver architectes, musiciens, sculpteurs et peintres à accomplir d’apparents records ? Un Pentathlon des muses Les Jeux Olympiques sont effectivement l’une des rares manifestations sportives qui, à la demande de leur fondateur, recherchent le rapprochement avec l’art. Pierre de Coubertin (1863-1937), le fondateur des nouveaux Jeux Olympiques (1894) se référait à John Ruskin, homme de lettres. critique d’art et esthéticien anglais (1819-1900). lorsqu’il demanda que les Jeux Olympiques résument, en une œuvre d’art totale », e n u n e « harmonie de tous les éléments » dépassant la simple notion de beauté, les performances sportives du plus haut niveau. II proposa, en 1906 à Paris, le règlement d’un « pentathlon des muses » (architecture, sculpture, musique, peinture et littérature) qui, depuis, constitue le fondement de tous les programmes artistiques des Jeux Olympiques. Les architectes ont accepté la mission architecturale des Jeux Olympiques avec le plus grand empressement, mais aucun artiste notoire du XXe siècle n’a réagi à leurs offres de collaboration. De Coubertin a déploré que le « mariage du muscle et de l’esprit » n’ait pas eu lieu, mais il a pu vivre l’œuvre d’art totale, Illustration : ç Neil Jenney, Torrington (Connecticut) 1945. « Swimmer Reflection » 1970, acrylique sur toile 155,5 x 113. Louisiana Museum of Modern Art. Humlebaek. la « fête des masses », qui atteignit son point culminant avec les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin, ainsi que l’incarnation, dans les sculptures monumentales de Thorak et de Breker, de I’hellénisme post-romantique qui était le sien. Vu ce mélange funeste, lourd de consèquences et peu fondé d’hellénisme perverti et de stratégie politique, nous avons tendance à adopter aujourd’hui une attitude sceptique à l’égard des « fonctions esthétiques du sport et de la culture physique ». Voilà la raison pour laquelle le bureau olympique de l’académie LIDL s’était fixé pour but « d’éteindre au mieux la flamme olympique ». Tout comme la Biennale de Venise, la conception des Jeux Olympiques remonte au XIXe siècle. Tous deux suscitent de nombreux remous et controverses. Rappelons toutefois que ces controverses n’ont pas empêché les artistes de participer à la Biennale et, en même temps, de créer des œuvres parfois importantes représentant des athlètes. Si nous faisons abstraction des œuvres exécutées sur commande, nous pouvons classer celles qui nous sont connues en fonction de trois affirmations : 1. Le XXe siècle hérite du XIXe siècle d’une audience croissante pour toutes les disciplines sportives qu’il développe – à l’aide des media, dont l’impact ne cesse de s’étendre-au point d’en faire d’impressionnantes manifestations de masse, portées par des intérêts d’ordre étatique et économique. 2. L’accroissement de la vitesse dû à la découverte du vélo de compétition et de l’automobile de course va de pair avec l’évolution de la chronophotographie et du film et permet ainsi l’annihilation, par les styles artistiques du cubisme et du futurisme, d’une vision du monde recourant à la perspective centralisée. 3. Aujourd’hui encore, I’athlète de compétition appelle à une mystification par l’œuvre d’art, car même s’il travaille dans des conditions proches d’un laboratoire, il semble retrouver le contact avec la nature dans une tension physique extrême. Dans le cadre de ces trois affirmations, l’artiste – au sens premier du terme : peintre, dessinateur, sculpteur – se bat contre le photographe, le caméraman, le journaliste de télévision. Sans nul doute, les images de ces derniers sont aujourd’hui beaucoup plus convaincantes, même si nous ne les considérons pas comme de purs clichés de reportage. II est évident que les artistes plasticiens en sont 523 conscients, et – considérée sous l’angle du reportage – aucune de leurs œuvres n’est, à ma connaissance, meilleure que n’importe quelle photographie. En effet, en représentant des actions sportives, les artistes leur ont donné un sens à ce point différent qu’ils n’ont même pas jugé nécessaire de respecter les règles sportives. Pour illustrer ma première affirmation, il me vient d’abord à l’esprit l’impressionnant tableau que George Bellows (1882-1925) réalisa en 1909 d’un combat de boxe opposant un Blanc à un Noir. II y dépeint de manière saisissante et plausible une société américaine bourgeoise transposant ses problèmes raciaux dans le spectacle d’un combat de boxe qui devient ainsi une lutte existentielle. Lorsqu’on reprocha à Bellows d’avoir commis des erreurs concernant les règles de la boxe, celui-ci répondit : « Je ne comprends absolument rien à ce sport. J’ai simplement peint deux hommes qui tentent de s’entre-tuer ». Bellows nous présente ce combat brutal, en n’omettant pas de nous dépeindre le public. Comme lui, Duane Hanson exploite, 60 ans plus tard, dans sa sculpture « Football Vignette », l’image populaire d’un sport de masse américain pour illustrer une confrontation dramatique, voire mortelle, entre des hommes. Ce n’est pas sans raison qu’il reprend la silhouette du célèbre groupe antique de Laocoon, où un père et ses deux fils tentent vainement de se défendre contre la colère des dieux, rappelant ainsi qu’aujourd’hui la crainte des hommes a remplacé la crainte des dieux. Les artistes du XIXe siècle (Géricault, Degas, etc.) cherchaient des immages de la vitesse là où elle leur semblait la plus intense et la plus populaire : dans les courses de chevaux. L’intérêt personnel se développe là où l’artiste peut incorporer à son propre langage plastique l’image populaire et aimable d’un athlète ou. d’une équipe sportive. Ainsi, par exemple, je peux parfaitement comprendre les tableaux de Robert Delaunay représentant des matches de football ou des courses de fond, le cycliste que Richard Lindner peignit en 1951 ou celui de Salvo. Dans certains tableaux, une vue arbitraire d’événements sportifs ou la relation de plusieurs de ces événements ne constituent en fait rien d’autre qu’une occasion de prononcer un « hommage au sport » – comme dans « Brace » de Robert Rauschenberg (1962) ou dans « Homage to the Sports » de Robert Kushner (1977). Dans ces œuvres – et dans de nombreux autres tableaux – les silhouettes de corps humains symbolisent 524 simultanément la vie active. I’actionnisme et la commercialisation de ces principes. Leur caractère arbitraire renvoie à leur côté interchangeable. En 1927, le surréaliste belge René Magritte peignit l’exaltant tableau « le joueur secret » – un joueur de cricket attend, tous nerfs tendus, l’arrivée de la balle qu’un autre joueur, situe sur sa gauche, lui a envoyé par un grand coup de batte. Au-dessus d’eux plane une sombre tortue géante qui se déplace dans le sens du coup et dans la direction opposée au joueur en attente. A mon avis, l’auteur insiste ici sur l’opposition entre la prestation culturelle d’un exercice sportif et les mouvements de la préhistoire; le sportif retourne au point où la ritualisation de ce qu’il fait trouve son origine : là où il sautait pour imiter les oiseaux, là où il plongeait dans l’eau pour nager comme les poissons, là où il s’efforçait, sur terre, de courir aussi vite que la gazelle. Arrivé au terme de nos considérations, nous ne pouvons pas nous empêcher de constater que le sport – comme de nombreuses autres découvertes de la civilisation – constitue pour l’artiste un obstacle dans la recherche de soi. II est indéniable que celui qui, dés l’école, apprend à placer le corps humain au centre de ses intérêts, ne pourra pas faire abstraction du sport. Mais le sport, pas plus que de nombreuses autres formes de la civilisation, ne se prête de nos jours à inspirer aux artistes des images valables de notre culture. Ce phénomène est certainement dû au fait que le sport – comme de nombreux autres domaines de la civilisation – est à ce point parasité par des intérêts secondaires idéologiques et commerciaux, qu’il est incapable, dorénavant, de présenter une image pure de lui-même. W. B. Article paru dans le catalogue de I’exposltion « Art et Sport » organisée au Musée des Beaux-Arts de Mons (BEL) du 23 mars au 30 juin 1984. Swimmer Reflexlon » est extraite du catalogue