société immobilière d`économie mixte de la Ville de Paris

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société immobilière d`économie mixte de la Ville de Paris
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MELUN
N°1406418
___________
SOCIETE IMMOBILIERE D'ECONOMIE MIXTE
DE LA VILLE DE PARIS
___________
Mme Jaouën
Rapporteure
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Melun
(4ème chambre)
Mme Aventino-Martin
Rapporteure publique
___________
Audience du 7 octobre 2016
Lecture du 4 novembre 2016
___________
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 9 juillet 2014, le 16 janvier 2015 et le
8 avril 2015, la société immobilière d'économie mixte de la Ville de Paris, représentée par
Me Foussard, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 9 mai 2014 par laquelle le maire de Créteil a décidé de
préempter un ensemble immobilier constitué de quatre bâtiments regroupant 170 logements,
situé 34-38 rue du Général Lacharrière et 2 rue du Porte Dîner à Créteil ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Créteil une somme de 3 000 euros au titre
des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société immobilière d'économie mixte de la Ville de Paris soutient que :
- l’article 3 de la décision en litige, qui prévoit la rétrocession du bien à un bailleur
social de la commune, forme un tout avec le reste de la décision, a une portée décisoire et est
donc entaché d’un vice d’incompétence dès lors que, d’une part, la délibération déléguant au
maire de Créteil l’exercice du droit de préemption de la commune ne l’habilitait pas à décider de
rétrocéder le bien à un organisme tiers et que, d’autre part, elle ne l’habilitait pas davantage à
exercer le droit de préemption pour le compte d’un bailleur social ;
- l’objectif poursuivi par la commune, à savoir améliorer sa capacité de relogement des
occupants qui pourraient être évincés dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau programme
national de rénovation urbaine du quartier de Mont-Mesly, n’est pas au nombre des objectifs
énoncés par les dispositions de l’article L. 300-1 du code de l'urbanisme et ne peut donc
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constituer le motif d’une décision de préemption, dès lors que l’insuffisance de logements dans
le parc immobilier de la commune pour procéder au relogement des occupants évincés n’est pas
établie et qu’il n’est pas davantage établi que ces besoins de relogement s’inscrivent dans une
politique de l’habitat précisément définie, aucune indication n’étant donnée sur les démolitions à
effectuer et sur les populations devant bénéficier d’un relogement ;
- la commune ne justifie pas d’un projet réel et certain dès lors que la décision ne donne
aucune indication sur la nature et l’étendue des travaux qui devraient impliquer des évictions, ni
sur le nombre de personnes qui pourraient être concernées, ni sur le nombre de logements
sociaux dont la commune ou ses bailleurs sociaux disposent déjà, sur leur éventuel taux de
vacance et sur l’utilisation qui pourrait en être faite pour assurer des relogements et que la
décision en litige ne fait pas état de travaux de démolition ou de réhabilitation nécessitant de
procéder à des évictions ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée dès lors qu’il est impossible, à sa
lecture, de s’assurer de la réalité du projet ;
- la décision de préemption ne peut être regardée comme répondant à un motif d’intérêt
général suffisant, dès lors que l’objectif recherché par la commune de Créteil pouvait être atteint
par la réalisation de la vente envisagée par la SIEMP à un bailleur social, que le bien préempté
n’est pas de nature à permettre la réalisation de l’objet qui a justifié la préemption dès lors que
seuls 7 des 170 logements que comporte ce bien sont inoccupés et que la commune de Créteil a
sous-évalué le prix d’acquisition, sans qu’il soit démontré qu’elle dispose des crédits lui
permettant d’assumer le paiement de ce prix, le coût induit par la décision pour la commune
paraissant excessif au regard de l’objectif poursuivi ;
- la décision est entachée d’un détournement de pouvoir et de procédure dès lors qu’elle
a seulement pour objectif de permettre aux bailleurs sociaux de la commune de Créteil, et en
particulier Créteil-Habitat-Semic, d’acquérir à un moindre coût un immeuble qu’il avait en vain
tenté d’acheter en faisant une offre d’achat d’un montant sous-évalué.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 décembre 2014, le 5 mars 2015 et le
24 avril 2015, la commune de Créteil, représentée par Me Hourcabie, conclut au rejet de la
requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société immobilière
d'économie mixte de la Ville de Paris au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative.
La commune de Créteil soutient que :
- par une délibération du 14 avril 2014, le conseil municipal de la commune de Créteil
a, conformément aux dispositions de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités
territoriales, autorisé le maire à exercer le droit de préemption ou à le déléguer ; en outre, la
société immobilière d’économie mixte de la Ville de Paris se borne à contester cette décision de
préemption et non une éventuelle décision de rétrocession du bien, une telle décision n’ayant pas
été prise, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence du maire pour décider de la rétrocession
du bien est inopérant ; par ailleurs, le maire de Créteil ne peut être regardé comme ayant exercé
le droit de préemption au profit d’un bailleur social de la commune ; enfin, l’article 3 de la
décision attaquée est dépourvu de tout caractère décisoire ;
- la décision de préemption respecte les dispositions de l’article L. 300-1 du code de
l'urbanisme aux motifs que l’acquisition de l’ensemble immobilier préempté s’inscrit dans le
cadre du programme local de l’habitat adopté pour la période 2011-2016, dont l’une des
orientations prévoit la valorisation et le renouvellement du parc de logements existant et le
renforcement de la lutte contre l’habitat indigne ou dégradé et la précarité énergétique, dont la
mise en œuvre implique la démolition de huit bâtiments comprenant 457 logements, que
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l’acquisition des immeubles préemptés a vocation, à terme, à permettre le relogement des
ménages dans des logements de qualité et la promotion d’une meilleure diversité et mixité
sociale et que la commune, qui doit actuellement faire face à environ 4 000 demandes de
logement, auxquelles il faut ajouter 600 demandes de relogement, ne dispose que d’environ 200
logements vacants par an ;
- la décision en litige fait apparaître de manière claire la réalité du projet mené par la
commune, le maire n’étant pas tenu de faire apparaître le nombre d’occupants évincés, le nombre
d’immeubles devant être démolis ou le nombre de logements sociaux dont la commune ou ses
bailleurs sociaux disposent déjà ;
- la décision litigieuse répond à un motif d’intérêt général suffisant dès lors qu’il
n’appartient pas au juge d’apprécier les mérites respectifs des projets de la commune et du
vendeur du bien, que l’occupation des logements sociaux fait l’objet d’un roulement important,
de sorte que le flux des locataires permettra à la commune de disposer de logements au fil des
années, que le nombre de vacances de logements au sein des immeubles préempté est apparu
plus important qu’annoncé, que le projet de la commune s’inscrit dans une démarche de long
terme et que le prix d’acquisition du bien ne peut, à lui seul, entacher la décision de préemption
d’illégalité ;
- le détournement de pouvoir et de procédure n’est pas établi dès lors que la simple
référence, dans la décision de préemption, à un sous-acquéreur ne peut suffire à le caractériser,
que si la décision prévoit que la commune pourra rétrocéder le bien préempté à
Créteil-Habitat-Semic, bailleur social de la commune, il ne s’agit que d’une faculté et non d’une
décision de rétrocession, qu’aucune décision n’a été prise afin de rétrocéder le bien et qu’en tout
état de cause, à supposer que le bien soit rétrocédé à ce bailleur, l’usage qui en sera fait répond à
l’un des objectifs énoncés par les dispositions de l’article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l’urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Jaouën,
- les conclusions de Mme Aventino-Martin, rapporteure publique,
- les observations de Me Perche, représentant la société immobilière d'économie mixte
de la Ville de Paris,
- et les observations de Me Carredu, représentant la commune de Créteil.
Une note en délibéré présentée par la commune de Créteil a été enregistrée le
11 octobre 2016.
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1. Considérant que le conseil d’administration de la société immobilière d'économie
mixte de la Ville de Paris (SIEMP) a, par une délibération du 17 mai 2013, autorisé la cession
d’un ensemble immobilier à usage locatif social dont elle est propriétaire, constitué de quatre
bâtiments comportant 170 logements et situé 34-38 rue du Général Lacharrière et 2 rue du Porte
Dîner à Créteil ; qu’une déclaration d’intention d’aliéner ce bien a été notifiée à la commune de
Créteil le 13 mars 2014 ; que, par une décision du 9 mai 2014, le maire de Créteil a exercé le
droit de préemption de la commune sur le bien précité ; que, dans le cadre de la présente
instance, la SIEMP demande l’annulation de la décision précitée du 9 mai 2014 ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 210-1 du code de l'urbanisme : « Les droits
de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt
général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception
de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des
réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations
d'aménagement. (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 300-1 du même code : « Les actions ou
opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique
locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de
favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou
des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat
indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en
valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. (…) » ;
3. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la mise en œuvre du droit de
préemption urbain doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l’objet de
l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant ;
4. Considérant qu’il ressort des termes de la décision litigieuse qu’elle est motivée par la
nécessité d’augmenter la contingence de logements dont la commune de Créteil a la maîtrise,
afin de faciliter les relogements de ménages évincés en raison des opérations de démolition et de
rénovation prévues dans le cadre de la mise en œuvre du projet de rénovation urbaine relatif au
quartier du Haut du Mont-Mesly qui, selon ses dires, implique la destruction de 471 logements et
l’indisponibilité de plus de 2 000 logements, et par la circonstance que les bâtiments préemptés,
construits en 1963, n’avaient, à la date de cette décision, fait l’objet d’aucune opération de
rénovation depuis leur mise en location et que leur état nécessitait la mise en œuvre d’un
programme global de travaux afin de les mettre au niveau de la qualité de l’offre locative sociale
proposée par les bailleurs sociaux de la commune ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier
que la SIEMP avait prévu de vendre l’ensemble immobilier concerné à la société
Paris Habitat OPH, bailleur social, qui devait en conséquence maintenir les logements concernés
dans le parc des logements sociaux ; que la commune n’établit ni que le programme de
rénovation du quartier du Mont-Mesly donnera lieu à des opérations de démolition, de
reconstruction ou de travaux exigeant le relogement provisoire des locataires, ni que les
éventuels besoins de relogement ne pourront pas être satisfaits au sein du parc de logements dont
elle dispose déjà ou par l’établissement d’une convention avec Paris Habitat OPH, ni même que
l’acquisition de l’ensemble immobilier concerné lui permettra réellement d’assurer les
relogements dont elle aurait besoin dès lors qu’il n’est pas contesté que sur les 170 logements
sociaux que comporte l’ensemble immobilier préempté, seuls 7 étaient vacants à la date de la
décision litigieuse ; qu’enfin, alors que l’acquéreur évincé du bien, le bailleur social Paris
Habitat OPH, avait prévu d’engager une somme de 4 130 000 euros pour la rénovation des
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immeubles, la commune, qui ne produit aucun devis descriptif expliquant la nécessité d’engager
une somme de 6 500 000 euros, n’établit pas que la somme de 4 130 000 euros, était insuffisante
pour réaliser les travaux de rénovation imposés par l’état de certains logements ; qu’ainsi, il ne
ressort pas des pièces du dossier que les objectifs poursuivis par la commune à travers la
préemption de l’ensemble immobilier concerné, qui impliquent, selon ses dires, l’engagement
d’une somme totale de 15 421 640 euros, ne pouvaient être atteints en cas d’acquisition du bien
par le bailleur social Paris Habitat OPH ; qu’eu égard à ces circonstances et au coût du bien, la
société requérante est fondée à soutenir que la décision en litige est entachée d’une erreur
d’appréciation de l’intérêt général du projet ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme :
« Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme (…), la
juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime
susceptibles de fonder l’annulation (…), en l’état du dossier. » ; que pour l’application de ces
dispositions, aucun des autres moyens de la requête n’est susceptible, en l’état du dossier, de
fonder l’annulation de la décision du 9 mai 2014 ; qu’il résulte de tout ce qui précède que la
décision du 9 mai 2014 par laquelle le maire de Créteil a décidé de préempter un ensemble
immobilier d’habitation constitué de quatre bâtiments regroupant 170 logements appartenant à la
société immobilière d'économie mixte de la Ville de Paris doit être annulée ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie
perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non
compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la
partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire
qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;
7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société immobilière d'économie
mixte de la Ville de Paris, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme
que demande la commune de Créteil au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
qu’en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Créteil une somme de
1 500 euros à verser à la société immobilière d'économie mixte de la Ville de Paris au titre des
dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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D E C I D E:
Article 1er : La décision du 9 mai 2014 par laquelle le maire de Créteil a décidé de
préempter un ensemble immobilier constitué de quatre bâtiments regroupant 170 logements
appartenant à la société immobilière d'économie mixte de la Ville de Paris est annulée.
Article 2 : La commune de Créteil versera à la société immobilière d'économie mixte de
la Ville de Paris une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Créteil au titre des dispositions
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.