dossier de presse la forteresse cachée

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dossier de presse la forteresse cachée
LA FORTERESSE CACHÉE
AU CINEMA l’ETOILE
LE DIMANCHE 28 FEVRIER 2010 à 16h30
La Forteresse Cachée
titre anglais
titre original
autres titres
titre français
année
pays
équipe
réalisateur
interprète
compositeur
scénariste
The Hidden Fortress
Kakushi toride no san akunin
La Forteresse Cachée
1958
Japon
KUROSAWA Akira
MIFUNE Toshiro
MIYOSHI Eiko
MITSUI Koiji
UEDA Kichijiro
FUJIWARA Kamatari
FUJITA Susumu
CHIAKI Minoru
SHIMURA Takashi
UEHARA Misa
SATO Masaru
KUROSAWA Akira
HASHIMOTO Shinobu
Après deux films sombres (le Château de l'Araignée et les Bas-fonds), Kurosawa tourne la Forteresse Cachée avec d'énormes
moyens. Ce fut à l'époque, le plus gros budget du cinéma japonais. Il voulait pour ce nouveau film, une grande aventure épique et
amusante. Il se sert pour la première fois du cinémascope qu'il maîtrise à la perfection. Kurosawa remportera d'ailleurs l'Ours d'Argent du
meilleur réalisateur au festival de Berlin en 1959. L'utilisation de l'écran large convient parfaitement à ce divertissement tous publics et
qui est loin d'être mineur dans son œuvre.
Tourné sur le mont Fuji, l'histoire de la Forteresse Cachée se situe dans le Japon du XVIe siècle, pendant les guerres civiles. Le général
Rokurota Makabe, l'un des derniers survivants du clan Akizuki, doit conduire en territoire allié la princesse Yuki, l'héritière du clan ainsi
que son trésor, pour y refonder sa dynastie. Rokurota décide d'utiliser la naïveté et la cupidité de deux paysans attirés par l'or du clan
Akizuki...
La Forteresse Cachée comporte des passages mémorables comme l'impressionnante poursuite à cheval, le duel à la lance, la révolte
des esclaves et la fête du feu. Le succès commercial du film permet à Kurosawa de fonder sa propre maison de production.
Connu et reconnu avant tout pour ses nombreux jidai-geki (dont le chef d’œuvre ultime Les sept samourais), le réalisateur classique
nippon le plus en vogue en Occident - en maître du 7ème art qu'il est - ne s'est jamais reposé sur ses positions acquises pour, au
contraire, aller de l'avant en expérimentant une multitude de genres cinématographiques, souvent avec succès (Rêves, Les Salauds
dorment en paix, Dersou Ouzala) parfois avec moins de réussite (l'échec commercial de Dode's Kaden). Avec La Forteresse Cachée,
Kurosawa s'attaque au film d'aventure - au sens noble du terme - et réalise un autre sommet dans sa carrière.
Oeuvre revendiqué par Georges Lucas comme l'une de ses grandes influences pour la réalisation de son tout premier Star Wars, La
Forteresse Cachée porte en elle tout les germes du film d'aventure classique avec ses lots de convoitise, de trahison, de loyauté,
d'oppression à même de créer une trame riche en rebondissements. Toutefois, si le parallèle avec la fameuse guerre des étoiles est
évident pour certaines de ses similarités - notamment au niveau des personnages - il conviendra de nuancer la parenté entre les deux
oeuvres tellement la notion de spectacle est à des années lumières l'une de l'autre. Akira Kurosawa réalise une grande oeuvre de
divertissement, très certainement l'un de ses films les plus accessibles - tant par sa thématique que par son traitement - mais il
n'emprunte en revanche aucunement le raccourci, presque hollywoodien, qui consisterait à faire de la surenchère visuelle (effets
spéciaux, décors grandiloquents...) le clou du spectacle.
Ici, bien au contraire - et hormis quelques scènes à proprement parler impressionnantes - le film de Akira Kurosawa se voudrait presque
minimaliste, préférant la subtilité d'un plan intelligemment mené à la confrontation directe avec les opposants. Ainsi si l'on excepte un
duel à la lance parfaitement chorégraphié, la totalité du long-métrage insiste davantage sur l'ingéniosité du général plutôt que sur ses
talents de guerrier.
Ours d'Argent du Meilleur Réalisateur au Festival de Berlin en 1959, La Forteresse Cachée est aussi l'avènement du cinemascope Noir
& Blanc qui a permis au réalisateur d'élargir son champ de vision par le biais de très belles images panoramiques. Le réalisateur ne se
prive pas d'utiliser cette technologie novatrice de l'époque pour agrémenter son film de belles chevauchées, et prendre du recul vis à vis
de la seule action pour l'agrémenter quasi systématiquement de son contexte.
De la même manière, le décor rocailleux et aride (l'inspiration pour la future Taooine ? ), où se retrouveront tout les différents
protagonistes afin d'y collecter l'or, fait l'objet de plans très distancés qui participent à l'immersion au sein de ce décor atypique. Une
image de qualité pour laquelle l'édition de Wildside, grâce à un nouveau master restauré, parvient à redonner toute la force et la
magnificence.
Bien que relativement atypique au sein d'une filmographie pourtant riche en genres (car il s'agit finalement du seul véritable film
d'aventure de l'auteur), il est d'autant plus amusant de constater les influences de ses précédentes oeuvres sur celle-ci. Ainsi si dans Les
Sept Samouraïs, un groupe de sabreurs venaient en aide aux paysans, ce sont bel et bien deux paysans qui viennent ici en aide au
samouraï.
Cependant, à l'image du final de son chef d’œuvre absolu - empreint d'une certaine amèreté - Tahei et Matashichi, les deux paysans
chargé d'apporter les notes d'humour, ne sont en rien des personnes désintéressées et apparaissent comme des êtres sans honneur
dont la seule motivation réside dans l'appât du gain. L'image du paysan chez Kurosawa prête alors essentiellement à sourire. Deux rôles
que l'on retrouvera esquissés différemment dans la trilogie de Georges Lucas avec les personnages de Han Solo et Chewbacca.
Le parallèle avec Les Hommes qui marchent sur la queue du tigre, sublime film de son début de carrière, parait également plus
qu'évident lorsque notre troupe, recherchée par les autorités, doit franchir un poste frontière gardé par une armée de soldats. Le général
doit alors imaginer un plan afin de ruser les gardes, une scène définitivement drôle au vu de sa conclusion.
L'humour parlons-en. Distillé au sein de chaque personnage - pour le caractère trempé qui habite chacun d'eux - il reste avant tout
incarné par les deux paysans qui, par leur naïveté couplée à une avidité sans bornes, ne vont cesser de s'immiscer pour ensuite
s'extraire des situations les plus indélicates. Une maladresse presque maladive (s'attirer les soldats alors qu'ils tentaient de s'échapper
seul avec l'or...) qui pourtant leur sied bien - car finalement porteuse de chance - et intimement liée à leur situation initiale (Tahei et
Matashichi sont deux paysans qui, engagés dans l'armée ennemie, se font capturer par les Yamana mais parviennent à s'échapper par
chance grâce à une incroyable révolte). Le charme nostalgique des quiproquos et situations comiques d'époque apportent en outre un
capital sympathie non négligeable envers ces deux compères pourtant loin d'être à glorifier.
Le personnage de la princesse Akizuki, héritière du trône en terre protégée, est volontairement masculinisé. Porteuse d'une voix à même
de créer les plus beaux échos, elle va finalement hériter du rôle d'une muette afin d'éviter de se faire repérer trop facilement, et surtout
pour éviter d'exacerber son caractère de garçon manqué. Une situation qui, pour être méconnue des deux paysans, crée un humour de
situation permanent.
Mais La Forteresse Cachée, c'est aussi, et presque surtout, une énorme composition de l'acteur le plus emblématique de la période
classique du cinéma japonais, à savoir l'immense Toshiro Mifune. Grandiose dans son rôle de général, à mi chemin entre le protecteur
(vis à vis de la princesse) et l'homme bourru (vis à vis des paysans), il signe là également un rôle de transition dans sa carrière puisque
l'on décèle encore ce grain de folie et de fougue présent dans Les sept samouraïs ou Rashomon, mais aussi ce sens de la noblesse,
de l'homme sur de lui qui ne se laisse jamais dépassé par ses émotions que l'on retrouvera plus tard dans la restant de sa filmographie
(et l'élément qui, suite au succès de Barberousse, causera la fin de l'alliance inestimable au 7ème art entre Akira Kurosawa et Toshiro
Mifune). A noter également la présence, plutôt figurative mais plaisante, d'un autre géant du cinéma japonais : Takashi Shimura,
deuxième pilier essentiel du cinéma de Kurosawa.
Cocktail réussi d'ingrédients classiques mais savoureux, La Forteresse Cachée est un film indémodable qui, à l'image de certains
westerns américains, puise sa force dans sa quête généreuse de l'aventure. 2h30 de pur bonheur auxquels Wildside a rendu toute leur
grâce en proposant une image libérée de toute imperfection et en agrémentant l'ensemble de bonus tout à fait intéressants (notamment
dans l'approche du jidai-geki par Kurosawa mais aussi l'utilisation du cinemascope).
Akira
KUROSAWA
sur
le
tournage
de
RAN
FICHE FILM
Critique
Récit d’aventures à l’état pur, fantastique,
ironique, libre et gratuit, grande fresque
historique tout à la fois épique et burlesque,
cette fable-western sur la fièvre de
l’or est un divertissement de haut niveau
qui force l’admiration.
Tassone - Kurosawa
Jean Tulard
Guide du cinéma
Ce film d’aventures est l’un des plus
somptueux jamais vus sur un écran : car
Akira Kurosawa y a mis tous les ingrédients
et l’essentiel. On y trouvera
invention et rythme, cruauté et tendresse,
violence et lyrisme, grandeur et
observation humaine. On y trouvera
aussi le génie de raconter en images - et
quelles images ! - une histoire toute de
bruit et de fureur où se mêlent le burlesque
et la tragédie, une histoire qui
emporte le spectateur dans un torrent
d’actions sans jamais lui laisser le
temps de souffler, tant l’organisation du
conte est parfaite pour donner un spectacle
total qui défie la critique, l’auteur
ayant, de plus, réussi à nous faire croire
à l’existence humaine de chacun de ses
personnages. Quant à la surface de
l’écran large, je ne crois pas l’avoir vue
aussi intelligemmment, aussi lyriquement
utilisée : les décors naturels semblent
avoir été créés pour ce film, la
nature rejoignant ici les pensées
secrètes des personnages de Kurosawa.
Au delà de l’aventure, constament passionnante,
on découvrira dans La forteresse
cachée une peinture solide
d’une certaine réalité. Le Japon de l’ère
Sengohu, nous le découvrons en pleine
évolution : à savoir que nul ne peut plus
forcer le destin à lui seul. On voit le paysan
donner la main au samouraï, l’un
comme l’autre ressentant obscurément
d’abord plus nettement qu’ils sont solidaires.
Allant plus loin, Kurosawa accorde
ses héros à une terre orageuse, habituée
à la lutte dans les cataclysmes. La
forteresse cachée, incontestablement,
a sa place dans la galerie des chefsd’oeuvre
du cinéma. (…)
Pierre Brétigny
La Saison Cinématographique 1965
(…) Une princesse, un samouraï et deux
paysans que le sort a réunis bien provisoirement
dans une région dangereuse,
à une époque très trouble, c'est un argument
qui a permis à Kurosawa de brosser
un tableau fort ressemblant avec
cette période de l'histoire de son pays et
de composer une sorte de western japonais
de qualité, sans saloon et sans
cow-boys mais avec toute la fougue que
nous aimons chez Kurosawa, fougue
s'alliant à la retenue, à la perspicacité,
au sens et à la richesse de l'image, à
toute cette dialectique irrésistible de
notre réalisateur qui rend un film réussi
de lui si profond et si fécond à la
réflexion : hommes misérables et puissants
en conflit entre eux et avec eux mêmes
dans une nature rocheuse et
escarpée, brûlante sous le soleil ardent
et abreuvée du sang des guerriers et des
populations subissant le contrecoup des
rivalités de suzerains féodaux ; à ces
foules affamées, malmenées et rebelles
(une révolte sur des marches naturelles
fait naturellement penser à Eisenstein)
succèdent des êtres isolés perpétuellement
en conflit, anxieux d'atteindre leur
objectif : la fin de la misère pour les uns,
la sauvegarde du trésor du clan en vue
de la future restauration du trône, pour
les autres. Des séquences rapides s'alternant
avec des séquences lentes
créent un rythme prenant que viennent
enrichir des plans d'ensemble mouvementés,
des gros plans très expressifs
et des raccords alertes et vivants.
Georges Sadoul n'a pas ménagé ses
louanges à cette oeuvre exceptionnelle
de Kurosawa : “Il est impossible” écrit-il
“de raconter un film qui a l'ampleur, la
vision panoramique du Napoléon de
Gance, la variété prodigieuse d'une
geste nippone, la splendeur des
Niebelungen, l'approche humaine des
films les plus intimistes… On cite Les
Niebelunguen, Gance, Eisenstein,
Griffith… Et ça n'est pas encore ça.
C'est autre chose qui contient tout cela,
et porte la signature de Kurosawa !”
En dehors de Masaru Sato pour la partie
musicale et d'Ichio Yamazaki pour la
photographie, le générique de La forteresse
cachée comporte les noms de
grands acteurs que nous connaissons
déjà : Toshiro Mifune (Rokurota
Makabe) Susumu Fujita (Hyoe
Tadokoro), Takashi Shimura (le vieux
général Izumi Nagakura) et ceux à retenir
de Minoru Chia (Tahei), Kamatari
Fujimara (Matashiki) et, enfin, celui de
la jeune Misako Ouéhara (elle a dix-neuf
ans au momen où Kurosawa la choisit
pour son film), dans le rôle de la princesse
Yukuhime. Pour ce dernier, le réalisateur
avait besoin “non point d'une actrice,
mais d'une jeune fille possédant la
dignité d'une princesse et l'ardeur d'une
fille de samouraï ; Mlle Ouéhara n'avait
jamais rêvé de faire du cinéma et, la
décision prise, elle s'y prépara pendant
six mois en se partageant entre la diction,
l'équitation et l'escrime. (…)
Kurosawa par Sacha Ezratty
(…) Par son style, La forteresse
cachée s'apparente au western (c'est-àdire, en fin de compte… à l'épopée).
Paysages montagneux avec retraite souterraine,
désert avec une source providentielle,
chevauchées tumultueuses et
combat singulier, héros invincible : tous
les éléments de l'aventure héroïque sont
là, groupés dans un récit dont le mouvement
se développe autour du thème
(classique lui aussi) de la traversée d'un
pays hostile.
L'histoire serait même assez conventionnelle…
si elle n’était japonaise !
Kurosawa l'a bien compris qui utilise
abondamment les ressources pittoresques
du folklore, et parfois sans
beaucoup de rigueur : témoin une scène
d’adoration collective du Feu, qui, traitée
comme un spectacle de music-hall,
est d’une affligeante médiocrité.
Mais une grande et belle séquence de
combat à la lance contre deux guerriers
rugissants, entourés d’un cercle de soldats
qui ondule aux mouvements de la
lutte, prouve que Kurosawa sait aussi
renouveler la tradition et le pittoresque
samouraï. Il les renouvelle plus encore
dans une admirable scène ou des prisonniers
en haillons se révoltent contre
leurs gardes et les submergent de leur
masse, en dévalant un escalier potemkinien.
Et d'ailleurs, autant le film est faible
chaque fois qu’il verse dans la poésie
autant il est dynamique, rapide, concis
quand il décrit une action.
Fort heureusement, il y a plus d'action
que de (fausse) poésie dans ce western
japonais, et le film en définitive emporte
l'adhésion, même s'il est loin d'égaler
les grandes oeuvres de son auteur. Il
l'emporte d'autant mieux que Kurosawa
a donné, dans son histoire, un rôle
essentiel à deux ex-soldats en rupture
d’armée, laissés-pour-compte-de-laguerre
qui rappellent la fois Chweik,
Adémaï, Laurel et Hardy et les deux
Mammifères de Roman Polanski.
Ces deux fuyards attachés à la vie et à
l’argent, c’est-à-dire prêts à s’entretuer
pour une plaque d’or mais prompts à fuir
la main dans la main devant le moindre
danger, forment un duo haut en couleurs.
Leur présence incongrue dans
cette aventure héroïque lui donne un
tour familier et de la vérité. Ces humains
pitoyables ne sont qu'à demi-ridicules :
ce sont des hommes comme beaucoup
d'autres, et ils nous touchent plus que
les «héros» ne sauraient le faire.
Si La forteresse cachée n'égale pas
Les sept Samouraïs quant à la concision
du récit et à la rigueur de la mise
en scène, il a peut-être plus de poids :
rares sont les films d'aventures où les
grands sentiments, les idéales vertus
d'honneur et de courage sont confrontés
aux réactions instinctives d'hommes
dont le seul souci est de se…
débrouiller au milieu des «désastres de
la guerre».
Jacques Chevallier
Revue du Cinéma n°176/177 - Set/Oct. 64
Le réalisateur
L’un des plus grands maîtres du cinéma
japonais. Fils d’un officier, il semble
devoir se tourner d’abord vers la peinture,
mais pour pouvoir vivre, il se fait
embaucher à l’ancienne Toho comme
assistant réalisateur de cinéma. Il travaille
avec Yamamoto puis dirige son
premier film en 1943. En 1959 il crée sa
propre maison de production. C’est lui
qui, avec Rashomon, permet à
l’Occident de redécouvrir le cinéma japonais.
Il est au demeurant le plus occidental
des réalisateurs de son pays. Non
seulement, il adapte des oeuvres européennes
(Macbeth dans Le château de
l’araignée, L’Idiot, Les bas-fonds et il
y a des accents shakespeariens dans
Kagemusha) et nul doute qu’il n’ait été
influencé par le film noir américain dans
des oeuvres comme Scandale ou Entre
le ciel et l’enfer, mais ses films ont
souvent fait l’objet de remakes occidentaux
comme Rashomon devenu grâce à
Ritt The outrage ou Les sept samouraïs
transformés par Sturges en Les
sept mercenaires, sans oublier le pillage
par Leone de Yojimbo dans Une poignée
de dollars. Mais cela ne doit pas
faire négliger l’humanisme de Kurosawa
tel qu’il s’exprime dans Vivre (condamné
par un cancer, un homme découvre qu’il
n’a rien su faire de sa vie) et dans
Barberousse (la carrière d’un médecin
des pauvres). On trouve chez Kurosawa
tout à la fois un tableau des maux de la
société japonaise de l’après-guerre : le
marché noir (Le chien enragé), la prostitution,
la bureaucratie (Vivre), la presse
à scandale (Scandale), I’injustice
sociale, une éthique, celle des samouraïs
qu’il a contribué à populariser, et un
message : changer l’homme et non les
régimes politiques ou sociaux. (…)
«Les hommes sont faibles, il ne reste
qu’à envisager que nous puissions changer
les hommes. Il faut absolument que
chacun pense plus sérieusement à
remettre en question le statut même de
l’humanité avant de chanter les louanges
d’une politique meilleure» dit-il. «Le cinéma
peut-il y contribuer ? Sans se leurrer,
Kurosawa affirme : «Si mon film peut
éveiller cette bonne volonté dans l’esprit
d’un seul homme, je serais comblé.» «La
première qualité de Kurosawa c’est de
savoir raconter», disait de lui un réalisateur
américain ; il sait aussi nous montrer
des images splendides (que l’on songe
aux batailles de Kagemusha) mais loin
de cultiver l’art pour l’art, il entend nous
donner, sans dogmatisme, une leçon de
sagesse. Jean Tulard
Filmographie sélective :
La légende du grand judo 1943
La légende du grand judo II 1945
Les hommes qui marchent
sur la queue du tigre
L’ange ivre 1948
Le chien enragé 1949
Rashomon 1950
L’idiot 1951
Les septs samouraïs 1954
Le château de l’araignée 1957
Les bas-fonds 1957
La forteresse cachée 1958
Les salauds dorment en paix 1960
Le garde du corps 1961
Sanjuro 1962
Entre ciel et terre 1963
Barberousse 1965
Dodesukaden 1970
Dersou Uzala 1975
Kagemusha 1980
Ran 1985
Rêves 1990
Madadayo 1993
Akira KUROSAWA
Akira Kurosawa est sans doute le cinéaste japonais le plus connu et le plus populaire. Né d’un père professeur et d’une mère
commerçante, les premières années de sa vie sont marquées par plusieurs évènements dont il garde la trace : le tremblement de terre
qui ravage Tokyo en 1923, le décès de sa sœur et le suicide de son frère qu’il idolâtre. D’abord peintre au sein du mouvement prolétarien
et après un passage dans les mouvements clandestins de gauche, il est recruté par la PCL en 1936 où il est assistant réalisateur,
notamment de Kajiro Yamamoto (son mentor) dont il se séparera lorsque celui-ci s’engage dans ses films de politique nationale (La
guerre navale de Hawaï à la Malaisie, 1942). Malgré la guerre et la censure, Kurosawa réalise son premier film en 1943, La Légende du
grand judo. Premier chef d’œuvre, premier succès.
Par la suite son cinéma ne cesse d’exprimer cet humanisme qu’on définira comme la principale qualité de son œuvre. Ainsi dès 1946 il
tourne Je ne regrette rien de ma jeunesse sur la vie d’un antimilitariste pendant la guerre. Puis viennent L’ange ivre (1948) et Chien
enragé (1949), deux films noirs au style néo-réaliste où l’on découvre le futur acteur fétiche de Kurosawa, Toshiro Mifune. Après
quelques films mineurs, il tourne son premier succès mondial ouvrant les portes de l’occident au cinéma japonais, Rashômon (1950),
remportant le Lion d’or à Venise et l’Oscar du meilleur film étranger.
Kurosawa livre ensuite une longue série de films qui peuplent aujourd’hui les encyclopédies du cinéma. Notamment Vivre (1952), ours
d’argent à Berlin, Les Sept samouraïs (1954), une fresque épique monumentale devenue un incontournable du cinéma japonais (John
Stuges signera le remake Les sept mercenaires), Le garde du corps (1961), un autre chambara qui inspire le western italien, de même
que Sanjuro (1962) ou Barberousse (1965), où l’on retrouve également Toshiro Mifune pour une dernière collaboration. Très influencé
par l’occident, au point qu’on l’accuse parfois de s’y être vendu, il adapte plusieurs auteurs étrangers : Dostoïevski avec L’idiot (1951),
Shakespeare avec Le château de l’araignée (1957) et Ran (1990), Gorki avec Les bas-fonds (1957), Evan Hunter avec Le ciel et l’enfer
(1963).
En 1970, suite à l’échec de Dodeskaden - fable sur la survie au quotidien d’un bidonville -, Kurosawa tente de se suicider. Dès lors il
trouvera ses financements à l’étranger : la Russie pour Dersou Ouzala (1974), Lucas et Coppola pour Kagemusha (1980), Serge
Liberman et un indépendant japonais pour Ran, Warner Bros pour Rêves (1990). Il retrouve enfin des capitaux japonais sur ses deux
derniers films, Rhapsodie en août (1991) et Madadayo (1993). Depuis, Kurosawa est une gloire nationale au Japon, une plaque est
déposée en son honneur dans le parc de Ueno à Tokyo.
Akira KUROSAWA
Toshiro MIFUNE, son acteur fétiche
Les sept Samouraïs, son film le plus connu sans doute.
La Forteresse cachée, son premier film en cinémascope, du grand Jidai-geki (Jedi vous avez dit Jedi ?)
Ran, un air de Forteresse cachée mais en couleurs flamboyante sur trois heures de temps.
Entre ciel et enfer, le film noir, critique sociale du Japon.
Dodes’kaden, l’ovni.
Kagemusha, un guerrier impitoyable.
Madadayo, son dernier film, sublime !
La forteresse cachée
«Un homme du monde entier». Kurosawa, artiste et bon vivant, raconté par son
ami Aldo Tassone.
GARNIER
Philippe -LIBERATION
Venise envoyé spécial
Aldo Tassone, collaborateur du quotidien La Repubblica, critique et organisateur du Festival de Florence, est l'auteur d'un livre très connu
sur Kurosawa (1). Mais Tassone fut aussi un confident et un complice du cinéaste japonais. Lorsqu'un éditeur milanais a réédité les
mémoires de Kurosawa, celui-ci a accepté qu'Aldo Tassone en fasse la remise à jour. N'ayant appris le décès de Kurosawa que tard
dans la matinée d'hier et se retrouvant tout à coup l'homme le plus sollicité du Lido de Venise, Tassone, manifestement affecté, n'a repris
son souffle que devant une assiette de pâtes et une bouteille de blanc de l'Arcchiere, son restaurant favori. C'était approprié.
Contrairement à Fellini, mais comme Buñuel, que Tassone a aussi beaucoup fréquenté, Kurosawa ne se livrait qu'à table.
«Des mains de sculpteur». «Quand j'étais jeune critique, Fellini était pour moi un partenaire en déconnage, alors que je cherchais une
figure tutélaire, une sorte de père. Kurosawa avait la carrure pour ça; ses mains de sculpteur, cette grande carcasse. De plus, il avait des
attentions qui me touchaient beaucoup. C'est à Paris que je l'ai connu, après avoir vu l'Idiot à la Cinémathèque et avoir compris qu'il y
avait un nouveau monde derrière ce cinéma-là, un monde plus profond que celui que j'avais déjà découvert dans ses films d'actions ou
Rashomon. En 1951, quand il a reçu le Lion d'or à Venise pour Rashomon, non seulement il n'était pas là, mais le film avait été envoyé à
son insu, et contre l'avis du distributeur, par une dame d'Unitalia éprise de littérature japonaise. Kurosawa était en train de se battre
contre les producteurs de l'Idiot et prêt à «manger du riz froid», son expression pour dire qu'il envisageait de changer de métier. Le prix lui
est donc venu du ciel, du monde extérieur: un monde dont il était très conscient, puisqu'il connaissait tout de la culture occidentale, des
films de Ford aux pièces de Shakespeare en passant par les fresques de Giotto. Il n'est venu à Venise que quatre ans plus tard, pour les
Sept Samouraïs, ou, comme il disait, «les trois samouraïs et demi», puisque le distributeur avait sucré une heure et dix minutes du film.
«Bouffe».»Avec moi, il parlait de cinéma, mais aussi de son frère et de son père. Jamais de sa mère. Mais c'est sur la bouffe qu'on se
retrouvait. Quand on lui a donné le prix David de Donatello à Florence, la réception avait lieu chez une duchesse, il n'y avait que des
petits fours. Il m'a demandé où on pourrait aller manger une côte de boeuf à la florentine. On a trouvé et ça c'est terminé à 2 heures du
matin.
»C'est surtout avec les cinéastes qu'il parlait technique. Fellini avait voulu que j'organise un dîner dans un petit restaurant de la banlieue
romaine. Fellini buvait à peine, n'aimait pas manger. Il n'avait vu que quelques films de Kurosawa, mais il lui posait des tas de questions:
comment, par exemple, il avait fait le plan du soleil au début de Rashomon. Kurosawa aimait beaucoup parler de la lumière. Lui-même
avait des problèmes de vue. Quand j'ai eu l'idée d'appeler un photographe pour prendre des photos avec Fellini, il se sont tenus par la
main, comme deux gosses rieurs. Kurosawa avec ses lunettes noires, contre le flash. Ce soir-là, il était enroué. Le lendemain, Fellini a
fait envoyer une très belle écharpe et des pastilles contre la toux, avec un mot disant que ces pastilles étaient aussi bonnes pour la
"creativita, un jeu de mot un peu coquin sur la créativité. Ce qui est étonnant, c'est que tous ces grands se connaissaient: Kubrick
appelait Fellini pour savoir quelles étaient les meilleures salles de Rome. Kurosawa faisait chier son distributeur italien pour faire
condamner les trois premiers rangs de telle salle parce qu'il y avait un mauvais reflet. «Sur un éléphant».»Il y avait quelque chose de très
féminin chez Kurosawa. A table, il vous touchait la main, il était très chaleureux. Il aurait pu jouer une geisha dans un film de Mizoguchi.
On a dit qu'il ne savait pas montrer les femmes. Truffaut avait relevé ça et, quand j'en ai parlé à Antonioni, il a dit: "Truffaut dit beaucoup
de conneries. Antonioni et Kurosawa s'étaient rencontrés au Festival de New Delhi. Ils étaient montés ensemble sur des éléphants, ce
qui était une scène toute fellinienne. Welles, aussi, parlait bien de Kurosawa. Il disait: "Il a droit de tout faire sur Shakespeare ou à
Shakespeare. Son idée de mettre lady Macbeth en cloque dans la Forteresse cachée, Welles trouvait ça gonflé et formidable. Et puis,
bien sûr, tous les "Hollywood boys comme Spielberg, Scorsese, ou Coppola qui lui vouaient un culte et qui l'ont bien aidé sur le tard.
«Cartes de Noël».»Tous les ans, Kurosawa envoyait une carte de Noël à Fellini, Antonioni et à moi. Ses cartes étaient merveilleuses,
faites à la main par lui, avec de la neige et tout. Il leur envoyait aussi des cassettes de ses derniers films. Elles étaient enregistrées à une
vitesse qu'on ne pouvait pas lire sur des magnétoscopes italiens. Federico m'appelait: "Mais où je peux lire ce machin? Je lui indiquais un
endroit et il y allait toujours.
»Tout ça pour dire que c'était un homme du monde entier, comme Ozu l'était, très au fait de tout ce qui se créait chez nous. Ozu qui, soit
dit en passant, a été le seul à soutenir Kurosawa pendant la guerre quand les militaires voulaient censurer son premier film qui montrait
une relation entre un homme et une femme. Parce qu'on y voyait une socquette!».
Gilles Deleuze, dans « l'Image-mouvement », premier tome de ses recueils théoriques sur le cinéma, consacre plusieurs pages à
Kurosawa, cinéaste dont toute l'oeuvre tourne, selon lui, autour d'«une recherche obstinée de la question et de ses données, à travers les
situations». Il analyse notamment le lien privilégié à la littérature russe, Gorki bien sûr (les Bas-Fonds) et surtout Dostoïevski (l'Idiot). «S'il
y a une affinité de Kurosawa avec Dostoïevski, elle porte sur ce point précis: chez Dostoïevski, l'urgence d'une situation, si grande soitelle, est délibérément négligée par le héros, qui veut d'abord chercher quelle est la question plus pressante encore. C'est ce que
Kurosawa aime dans la littérature russe, la jonction qu'il établit entre Russie-Japon. Il faut arracher à une situation la question qu'elle
contient, découvrir les données de la question secrète qui, seules, permettent d'y répondre, et sans lesquelles l'action même ne serait
pas une réponse. Kurosawa est donc métaphysicien à sa manière, et invente un élargissement de la grande forme: il dépasse la situation
vers une question, et élève les données au rang de données de la question, non plus de la situation. Il importe peu, dès lors, que la
question nous paraisse décevante, bourgeoise, née d'un humanisme vide. Ce qui compte, c'est cette forme du dégagement d'une
question quelconque, son intensité plus que son contenu, ses données plus que son objet, qui en font de toute manière une question de
Sphinx, une question de Sorcière.»
Gilles Deleuze, dans l'Image-mouvement
Scène de l’escalier dans La forteresse cachée.
La Forteresse cachée