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EN
CLINIQUE
> CAS CLINIQUE
Colite granulomateuse
chez un Berger allemand :
analogies et comparaison
avec la maladie de Crohn
T. BOUZOURAA, DV,
Vetagro Sup Campus vétérinaire Lyon
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Etoile
P. LECOINDRE, DV, Dip. ECVIM,
Clinique vétérinaire des Cerisioz
5 route de St Symphorien d’Ozon
69800 St-Priest
M. CHEVALLIER, Anatomopathologiste,
Laboratoire Biomnis
19 avenue Tony-Garnier
69007 Lyon
OBJECTIFS
PÉDAGOGIQUES
Décrire un cas rare de colite
granulomateuse chez un Berger
allemand.
Être capable de proposer des causes
puis un traitement adapté.
La rareté des colites granulomateuses canines rend leur étude
délicate. Elles présentent cependant des analogies avec la
maladie de Crohn de l’Homme.
u
n Berger allemand mâle castré âgé de 2 ans est présenté pour des diarrhées
chroniques, glaireuses avec hémochézie évoluant depuis 5 mois et dernièrement associées à un ténesme fécal et une dyschézie marquée. L’appétit
est conservé, et des coproscopies réalisées au préalable se sont avérées négatives. Commémoratifs
et antécédents
pathologiques
Ce chien n’a jamais présenté de troubles
digestifs précédemment. Il y a 5 mois,
les propriétaires ont d’abord remarqué
une diminution de consistance des selles
contenant du sang en faible quantité, des
efforts expulsifs improductifs très importants.
Les symptômes régressent lorsqu’un traitement à base de métronidazole (15 mg/
kg par voie orale 2 fois par jour) est instauré, mais réapparaissent dès son arrêt.
Nous remarquons la présence de
quelques lésions de fistules périanales.
Hypothèses diagnostiques
Une diarrhée chronique mucoïde avec
hémochézie, ténesmes et dyschézie, un
bon état général, une discrète perte de
poids orientent vers une atteinte colique.
Dans le cas présent, nous privilégierons les hypothèses suivantes : atteinte
inflammatoire, colite secondaire à un
syndrome de prolifération bactérienne
(diarrhée antibiosensible), néoplasie
colique.
Examens complémentaires
■ Un examen échographique abdominal
Déclaration publique d’intérêts
sous la responsabilité du ou des
auteurs : néant.
Cas clinique
Examen clinique à l’admission
Le chien est alerte, calme et son score
corporel est évalué à 2,5.
CRÉDITS DE FORMATION CONTINUE
La lecture de cet article ouvre droit à
0,05 CFC. La déclaration de lecture,
individuelle et volontaire, est à
effectuer auprès du CNVFCC
(cf. sommaire).
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La palpation abdominale est souple, non
douloureuse et ne révèle aucune anomalie.
Le toucher rectal est douloureux et révèle
la présence de selles mucoïdes contenant
du sang en nature.
est réalisé. Il révèle une adénomégalie
colorectale et mésentérique.
L’examen montre également une perte
multifocale d’échostructure de la paroi
colique qui est anormalement épaissie et irrégulière sur certains segments
(PHOTO 1) .
■ Une coloscopie est ensuite effectuée. Elle
révèle la présence d’importants remaniements de la muqueuse colique associés à
de nombreuses ulcérations (PHOTO 2).
Certaines zones sont bourgeonnantes et
irrégulières.
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CLINIQUE
> CAS CLINIQUE
réapparition de ténesmes incontrôlables
et d’hémorragies digestives. Cette aggravation justifie son euthanasie.
Discussion
Photo 1. Modification de l’échostructure de la paroi colique avec épaississement focal de la sousmuqueuse et de la musculeuse (flèche).
■ Des biopsies étagées de la paroi colique
ainsi que des cytoponctions des ganglions
mésentériques sont réalisées. L’analyse
histopathologique révèle la présence de
microfoyers d’ulcères intercalés avec des
zones d’inflammation.
L’infiltrat est très hétérogène avec de
nombreux plasmocytes et macrophages.
La coloration PAS est négative.
La présence de micro-abcès dans la sousmuqueuse évoquant la présence de fissures est aussi notée.
Certains paraissent au contact de petits
diverticules toujours localisés dans la
sous-muqueuse (PHOTOS 3A À 3F).
■ La cytologie des nœuds lymphatiques
confirme une adénite réactionnelle non
spécifique.
Diagnostic
Les images endoscopiques et les résultats de l’examen histopathologique permettent de proposer un diagnostic de
colite granulomateuse.
Le caractère segmentaire de l’inflammation et la nature des lésions peuvent être
comparés aux lésions décrites lors de
maladie de Crohn chez l’Homme.
Traitement
Le traitement médical associe une antibiothérapie (métronidazole à 15 mg/kg
2 fois par jour par voie orale, marbofloxacine 5 mg/kg une fois par jour par voie
orale) et une corticothérapie (prednisolone à 1 mg/kg une fois par jour par voie
orale).
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Les colites
granulomateuses
canines : étude
analytique et
comparative avec la
maladie de Crohn de
l’Homme
La colite granulomateuse se caractérise
par une répartition segmentaire de l’inflammation. L’infiltrat est polymorphe,
composé le plus souvent d’un contingent de cellules lympho-plasmocytaires,
d’agrégats de macrophages et de neutrophiles créant des micro-abcès ou granulomes toujours localisés dans les couches
superficielles de la paroi colique, comme
le confirme une étude récente (infiltration des 2/3 supérieurs de l’étage muqueux uniquement [1]).
Prédisposition chez le Berger
allemand
Photo 2. Aspect endoscopique de la muqueuse
colique tapissée de multiples granulomes
(flèches) et anormalement congestionnée.
Des lavements de mésalazine (Rowasa®
[H]), en raison du ténesme important,
complètent le traitement.
Une rémission transitoire des symptômes digestifs est observée.
Un mois plus tard, une coloscopie de
contrôle témoigne d’une atténuation des
ulcérations coliques.
Les biopsies endoscopiques réalisées
révèlent toujours un aspect inflammatoire de la muqueuse avec persistance de
micro-abcès.
La prednisolone est remplacée par le budésonide (gélule) 3 mg/kg intrarectal une
fois par jour, associé à de la ciclosporine
5 mg/kg une fois par jour, par voie orale.
Après une période de 2 mois sans signe
majeur d’inconfort, l’état général du
chien se dégrade à nouveau nettement
avec aggravation des fistules périanales,
Chez le Berger allemand, une mutation
de plusieurs loci sur les gènes codant
pour les récepteurs TLR4 et TLR5 entraîne un défaut de synthèse d’IgAs par
les plasmocytes. Ainsi, ils produisent
presque deux fois moins d’IgA sécrétions
(IgAs) que les chiens de race quelconque
et leur probabilité de déclarer une colite
granulomateuse est 2,4 fois plus élevée
[2].
Cette fragilité immunitaire est retrouvée
chez des patients humains prédisposés
à la maladie de Crohn ; ils présentent
une mutation du gène NOD-2 sur le
chromosome 16 à l’origine d’un défaut
de détection des lipopolysaccharides
des bactéries pathogènes ; il n’y a alors
aucune synthèse des facteurs pro-inflammatoires permettant la défense de
la barrière colique [3].
L’intervention d’agents
opportunistes
D’autre part, la formation de granulomes
peut être la conséquence d’une stimula-
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CLINIQUE
> CAS CLINIQUE
3A
3B
3C
3D
3E
3F
Photos 3. A et B : Biopsies coliques. A. Colite ulcérée (HES, x2,5) - B. Détail de l’ulcère (HES, x10) : muqueuse colique (Mc), plage d’ulcération (U)
C, D, E et F : colectomie segmentaire. C. Coupe transversale de la paroi colique comportant des ulcérations discontinues de la muqueuse (HES,
topographique) - D. Détail de la paroi colique (HES, topographique) - E. Glande abcédée rompue : lumière remplie de polynucléaires (PN) altérés et
de mucus (M) (HES, x5) - F. Détail de l’ulcération muqueuse atteignant la sous-muqueuse (HES, x5).
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CLINIQUE
> CAS CLINIQUE
tion antigénique d’origine bactérienne.
La présence de souches particulières
d’Escherichia coli adhérentes et capables
d’invasion dans l’épithélium est rapportée [4].
Dans une autre étude, on aboutit aux
mêmes résultats avec 100 % d’immunomarquages positifs sur biopsies
muqueuses ainsi que sur les nœuds lymphatiques régionaux [5].
Par analogie avec la maladie de Crohn,
ces souches bactériennes activent des
macrophages formant l’agrégat puis des
lymphocytes qui s’agglutinent en périphérie.
Dans un modèle humain in vitro, les
antigènes et l’ADN d’une souche Escherichia coli LF-82 hautement différenciée
sont détectés respectivement dans 100 %
(16/16) et 81 % (13/16) des biopsies de
granulomes analysées [6].
De plus, chez 14 Boxers atteints de colite
granulomateuse, on a isolé 23 souches
d’Escherichia coli. Elles étaient résistantes à l’ampicilline, l’amoxicilline +
acide clavulanique, l’oxytétracycline, le
triméthoprime-sulfamétoxazole, la ciprofloxacine et au chloramphénicol dans
64 % des cas (14/23). De manière inquiétante, une résistance à l’enrofloxacine est
retrouvée dans 26 % (6/23) des cas.
De telles résistances assombrissent le
pronostic puisque cette étude prouve
que la disparition des symptômes est
conditionnée par l’effet bactéricide de
l’anti-infectieux sur les bacilles pathogènes.
L’échec thérapeutique serait la conséquence d’une antibiothérapie empirique
initiée sans antibiogramme favorisant la
création de souches multirésistantes. On
recommande donc l’usage d’enrofloxacine à 7 mg/kg par voie orale une fois par
jour durant 6 semaines [7].
Choix de la prise en charge
La prise en charge des colites granulomateuses repose également sur l’usage
d’immunomodulateurs.
En effet, une hypersensibilité retardée de
type IV serait à l’origine de l’inflammation. Elle provient d’une altération de la
régulation du GALT (gut-associated lymphoïd tissue), entraînant une libération
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de lymphokines par les lymphocytes T
activés et une migration macrophagique.
Ceci s’accompagne de phagocytose et
mort cellulaire : il en résulte une érosion
de la muqueuse colique, une augmentation de sa perméabilité qui accroît l’exposition antigénique.
C’est un cercle vicieux qui entretient
voire aggrave l’inflammation [9].
Une étude, chez 48 enfants, compare
l’usage de budésonide à 9 mg/j intrarectal pendant 8 semaines puis 6 mg/j
intrarectal pendant 4 semaines et de prednisolone à 1 mg/kg/j une fois par jour
par voie orale pendant 8 semaines puis
un jour sur deux pendant 4 semaines. Le
taux de rémission est supérieur avec la
prednisolone à 8 semaines de traitement
(71 % contre 55 % avec le budésonide),
mais au long terme, l’efficacité des deux
agents est sensiblement la même.
Cependant, l’emploi de budésonide
entraînerait moins d’effets secondaires
que l’utilisation de prednisolone
(respectivement 32 % contre 71 %). En
outre, la cortisolémie après 8 semaines
de traitement est sensiblement plus basse
chez les individus recevant du budésonide
(98 nmol/L contre 200 nmol/L dans
l’autre groupe) [10].
Une publication insiste sur l’efficacité
de la ciclosporine et du thalidomide qui
inactivent les lymphocytes T classiquement surexprimés lors de colite granulomateuse.
MÉMO
Les causes de colite granulomateuse et les
mécanismes physiopathologiques mis en jeu
demeurent inexpliqués. Certaines
observations ont proposé l’intervention de
plusieurs facteurs déclencheurs (parasites,
bactéries, allergènes alimentaires,
prédisposition génétique…), sans toutefois
les relier avec certitude à cette maladie.
■
Certaines études récentes ont comparé les
colites granulomateuses canines avec des
affections humaines comme la maladie de
Crohn pour la colite granulomateuse ou la
maladie de Waldmann pour l’iléite
granulomateuse.
■
>>À LIRE...
1. Lecoindre P et coll. Regional
granulomatous enteritis in dogs 14 cases. In
Proceeding ACVIM 2012 Floride.
2. Littler R.M et coll. Total and relative
deficiency of gut mucosal IgA in German
Shepherd dogs demonstrated by faecal
analysis. Vet Rec. 2006 ; 11 : 334–41.
3. German AJ et coll. Chronic intestinal
inflammation and intestinal disease in dogs.
J Vet Intern Med. 2003 ; 17 : 8–20.
4. Simpson KW et coll. Adherent and
invasive Escherichia Coli is associated with
granulomatous colitis in Boxer dogs. Infect
Imm. 2006 ; 74 : 4778–92.
5. Van Kruiningen HJ et coll. The
comparative importance of E.Coli antigen in
granulomatous colitis of Boxer dogs. APMIS.
2005 ; 113 : 420–5.
Le mycophénolate mofetil, quant à
lui, inhibe la synthèse de purines tout
comme l’aziathoprine. La pentoxifylline
inhibe la synthèse de TNFα.
6. Meconi S et coll. Adherent invasive
Escherichia Coli isolated from Crohn’s
disease patients induce granulomas in vitro.
Cellular Microbiology. 2007 ; 5 : 1252–61.
Une alimentation hyperdigestible (enrichie Ω3-6 et protéines hydrolysées)
voire la supplémentation en probiotiques, lactulose et fructose permettrait
de moduler la réponse immune locale et
de réduire l’inflammation [3].
8. Xavier RJ, Podolski DK. Unraveling the
pathogenesis of inflammatory bowel disease.
Nature. 2007 ; 448 : 427–34.
La mise en évidence des analogies entre
la colite granulomateuse et la maladie de
Crohn chez l’Homme nous a permis de
proposer une prise en charge pertinente
malgré un niveau de connaissances limité à ce jour. 7. Craven M et coll. Antimicrobial Resistance
Impacts Clinical Outcome of Granulomatous
Colitis in Boxer Dogs. J Vet Intern Med.
2010 ; 24 : 819–24.
9. Pierson P, Leroy J. L’allergie alimentaire
chez les Carnivores domestiques. Rec
Med Vet. Special gastro-entérologie des
carnivores. 1993 ; 169 : 1029–35.
10. Escher JC et coll. Budesonide versus
prednisolone for the treatment of active
Crohn’s disease in children : a randomized,
double-blind, controlled, multicenter trial.
European Journal of Gastroenterology &
Hepatology. 2004 ; 16 : 47– 54.
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