actes de cette journée - Académie de l`Entrepreneuriat

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actes de cette journée - Académie de l`Entrepreneuriat
Sommaire Journée Innovation et Tradition, BEM, 21 septembre 2012
POUR DES PRATIQUES INNOVANTES DE VALORISATION DES SAVOIR-FAIRE ARTISANAUX AUPRÈS DES
CLIENTS D’ARTISANS, P. Amans, K. Bravo, S. Loup, Université Toulouse III ............................................ 2
QUAND TRADITION ET COOPERATION CONFRONTENT INNOVATION ET CONCURRENCE : LES
VOLAILLES VONT-ELLES RESTER EN LIBERTE ?, M. Carpenter, Télécom Ecole de Management, S.
Petzold, BEM Bordeaux Management School ....................................................................................... 16
L’APPORT DES NEUROSCIENCES AU COURANT ÉVOLUTIONNISTE DANS LE CADRE D’ENTREPRISE À
FORT SAVOIR-FAIRE, A. Cipriani, LIPSOR, CNAM Paris .......................................................................... 45
LA CONSTRUCTION DES COMPÉTENCES COLLECTIVES DANS UN MODÈLE D’OPEN INNOVATION : DE
LA LOGIQUE DU « POTIER » À CELLE DE L’INGÉNIEUR, V. Attias-Delattre, L. Mitkova, Université Paris
Est .......................................................................................................................................................... 59
LA RESPONSABILITE SOCIALE : QUELS AXES DE VALORISATION DU LUXE ?, A. Béji-Bécheur, C. de
Lassus, Université Paris Est.................................................................................................................... 75
LUXE, MARQUE ET PERENNITÉ, C. Girard, La marque au carré ............................................................ 90
LA PME PATRIMONIALE : DE L’INNOVATION PRODUIT À LA CONSTRUCTION ORGANISATIONNELLE,
J.M. Furt, IAE de Corse ....................................................................................................................... 106
COMMENT ANCRER LES INNOVATIONS DANS UNE CONSTRUCTION TERRITORIALE : LES STRATÉGIES
DE PATRIMONIALISATION DU CHAMPAGNE, C. Barrère, Université de Reims .................................. 121
POSTPONEMENT PRACTICES IN THE WINE INDUSTRY: THE CONTRADICTORY IMPACT OF TRADITIONS,
T. Bouzdine, BEM, S. Cholette, San Francisco University, C. Mauracher, Venice University, M.
Canavari, Bologne University .............................................................................................................. 135
FAMILY TRANSMISSION VERSUS CHINESE INVESTMENT, A. BAJARD, T. BOUZDINE, W. ZHANG, BEM
BORDEAUX MANAGEMENT SCHOOL .................................................................................................. 148
MOTIVATIONS POUR ENTREPRENDRE DANS UNE VITICULTURE DURABLE, P. Mora, M. Akhter, C. Bey,
BEM Bordeaux Management Shool .................................................................................................... 166
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POUR DES PRATIQUES INNOVANTES
DE VALORISATION DES SAVOIR-FAIRE
ARTISANAUX AUPRÈS DES CLIENTS
D’ARTISANS
Pascale AMANS ; Ketty BRAVO ; Stéphanie LOUP
Maîtres de Conférences en Sciences de Gestion
Université Toulouse III – Paul Sabatier
LGCO, EA 2043
129A, avenue de Rangueil, BP 67701 - F-31077
Toulouse Cedex 4, France
Contact : [email protected]
Résumé
L’objet de cette communication est de faire émerger des pratiques innovantes que les entreprises
artisanales et les artisans gagneraient à mettre en place pour mieux valoriser leurs savoir-faire
auprès des clients. D’un point de vue théorique, cette communication se situe à la croisée des
travaux traitant des entreprises artisanales, mais aussi des recherches portant sur la relation-client et
notamment sur le marketing de l’authentique. D’un point de vue méthodologique, deux séries
d’entretiens semi-directifs ont été conduites auprès d’artisans d’une part, de clients d’entreprise
artisanale d’autre part, dans le cadre d’une démarche qualitative. Pour chacune de ces séries, les
textes des entretiens ont d’abord, une fois retranscrits, chacun fait l’objet d’une analyse
longitudinale fondée sur le codage et la catégorisation (Bardin, 2007). Une analyse transversale a
ensuite permis l’élaboration d’une synthèse mettant en évidence les points de convergence et de
divergence des discours, des artisans pour la première série d’entretiens, des clients pour la seconde.
Un rapprochement de ces deux synthèses a ensuite été effectué. L’analyse de ces entretiens nous le
verrons souligne des similitudes entre les perceptions des artisans et des clients, mais également des
différences : si les artisans sont principalement centrés sur le processus de production, les clients
perçoivent seulement le résultat de la prestation, c’est-à-dire le produit ou service fini. Ainsi une
large part de ce qui distingue les entreprises artisanales des autres entreprises échappe aux clients ;
des pratiques innovantes de valorisation des savoir-faire artisanaux à destination des clients
apparaissent par conséquent nécessaires. Des propositions de telles pratiques sont alors effectuées
sur la base du regard que portent sur les entreprises artisanales les clients de ces dernières.
Abstract
The aim of this paper is to highlight innovative practices which artcraft firms and artcraftmen should
carry out in order to better valorize their know-how in the view of customers. The theoretical
framework relies both on the works that deal with artcraft firms, and on the works about customer
relationship, especially the marketing of authenticity. From a methodological point of view, two
series of semi-structured interviews have been carried out, with artcraftmen on the one hand, with
customers of artcraft firms on the other hand, within a qualitative research process. First the two
series of interviews have been analysed separately through coding and categorization, then a parallel
between the results of the two analyses has been drawn. This comparison permits to underline
similarities between artcraftmen and customers’ perceptions, as well as differences: artcraftmen
2
mainly focus on the production process, whereas customers only see the result of this process, that is
to say the product or the service. Hence what distinguish artcraft firms from other firms largely
escapes customers. Innovative practices aimed at better valorizing artcraftmen know-how in the
view of customers seem necessary. Relying on customers’ perceptions of artcraft firms, suggestions
of such practices are expressed.
1 INTRODUCTION
L’objet de cette communication est de mettre en lumière des pratiques innovantes que les artisans
gagneraient à mettre en place pour mieux valoriser leurs savoir-faire auprès des clients. L’entreprise
artisanale est une illustration de ce qu’il n’y a de richesse que d’hommes, comme l’écrivait Jean
Bodin au XVIième siècle : elle repose tout entière sur les savoir-faire, sans lesquels elle n’existerait
pas et qui doivent être valorisés. En tant qu’entreprise, elle se doit notamment pour survivre de
réaliser du profit; si son activité est intense en savoir-faire, elle passe donc aussi par la vente à des
clients. Toute la difficulté consiste alors pour l’entreprise artisanale et pour l’artisan à valoriser
auprès des clients ces savoir-faire, lesquels comprennent une large part de tacite et baignent dans
une problématique du secret : éléments volatiles de la connaissance, les savoir-faire sont immanents
à l’action et difficilement formalisables; ils relèvent donc pour une large part de l’implicite et de
l’informel et ne sont pas nécessairement visibles dans le produit ou le service proposé. Reix (1995)
établit d’ailleurs une équivalence entre les termes de connaissance tacite et savoir-faire. De plus, les
savoir-faire ne sont traditionnellement, dans le secteur de l’artisanat, divulgués que sous certaines
conditions (Lecotté, 1951 ; Zarca, 1987 ; Icher, 1999 ; De Castéra, 2002 ; Loup, 2003). Les travaux
traitant des caractéristiques de l’innovation et des pratiques innovantes réalisés auprès d’entreprises
artisanales ont permis de préciser en quoi la tradition pouvait constituer un levier à l’innovation en
contexte artisanal (Bréchet, Journé-Michel et Schieb-Bienfait, 2008 ; Boldrini et al., 2009 ; Laperche,
2009 ; Fourcade et Polge, 2006 ; Polge, 2008), les innovations se situant alors tant au niveau des
techniques que des marchés. Notre étude, en cherchant à déterminer des pratiques innovantes que
les artisans gagneraient à mettre en place pour mieux valoriser leurs savoir-faire auprès de clients,
établit un pont entre ces deux dimensions, celle plus technique et celle plus orientée vers les
marchés. D’un point de vue théorique, cette communication se situe à la croisée des travaux traitant
des entreprises artisanales, notamment de ceux mettant en exergue les savoir-faire artisanaux, et
des recherches portant sur la relation-client, en particulier sur le marketing de l’authentique.
D’un point de vue méthodologique, des entretiens semi-directifs ont été conduits auprès d’artisans
ainsi que de clients pour savoir d’une part comment les artisans se perçoivent et perçoivent leurs
atouts et faiblesses, d’autre part comment les clients perçoivent les artisans ainsi que leurs atouts et
faiblesses. L’analyse de ces entretiens nous le verrons souligne des similitudes entre les perceptions
des artisans et des clients, mais également des différences. Ces dernières montrent qu’une large part
de ce qui distingue les entreprises artisanales des autres entreprises échappe aux clients et que des
pratiques innovantes de valorisation des savoir-faire artisanaux à destination des clients sont
nécessaires. Des propositions de telles pratiques sont effectuées sur la base du regard que portent
les clients sur les entreprises artisanales. Finalement, la confrontation des perceptions des artisans et
des clients permet aux artisans de mieux comprendre ce qui, aux yeux des clients, les différencie de
leurs concurrents non-artisans et leur fournit également des pistes à explorer pour mieux valoriser
leurs savoirfaire auprès de ces mêmes clients. En ce sens, cette recherche présente un intérêt
managérial pour ces entrepreneurs que sont les artisans. Pour commencer, cette communication
apporte des précisions sur le cadre théorique et méthodologique de la recherche (partie 1) dans
lequel ont été produits les résultats. Ces derniers font l’objet d’une présentation (partie 2) puis d’une
discussion (partie 3) en amont de la conclusion.
3
2 CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
Cette première partie de la communication est consacrée à l’exposé du cadre de la recherche. Il
convient de replacer cette dernière dans le cadre théorique qui la sous-tend, ainsi que d’exposer la
démarche de recherche adoptée pour l’étude de terrain.
2.1 Le cadre théorique
Le cadre théorique est d’une part constitué par les travaux relatifs aux entreprises artisanales,
lesquelles apparaissent, du fait notamment du rôle-clé qu’elles accordent aux savoir-faire, comme
des Très Petites Entreprises (TPE) spécifiques. La question de la valorisation des savoir-faire
artisanaux auprès des clients conduit d’autre part à s’appuyer sur des recherches traitant de la
relation-client.
2.1.1 Les artisans, entre savoir-faire et proximité
Diverses organisations peuvent en pratique être qualifiées d’entreprises artisanales, ce qui rend
complexe la définition de l’artisanat en tant que « groupe social » (Thévenard-Puthod et Picard,
2008). Les publications portant sur les entreprises artisanales sont quant à elles relativement peu
nombreuses. En effet, si l’intérêt porté par les chercheurs à l’artisanat varie dans le temps
(Richomme, 2006), si les travaux universitaires consacrés aux entreprises artisanales tendent à se
développer, ils restent toutefois marginaux : « c’est la prise en compte de l’entreprise artisanale en
tant qu’objet spécifique d’observation qui fait défaut » (Picard, 2006). Toutefois, émergent dans la
littérature des éléments communs, lesquels confèrent une certaine « homogénéité identitaire » aux
entreprises artisanales (Picard, 2006). La loi du 5/07/1996-art 19 donne une définition administrative
« doivent être immatriculées au répertoire des métiers ou au registre des entreprises visé au IV ciaprès les personnes physiques et les personnes morales qui n'emploient pas plus de dix salariés et
qui exercent à titre principal ou secondaire une activité professionnelle indépendante de production,
de transformation, de réparation ou de prestation de service relevant de l'artisanat et figurant sur
une liste établie par décret en Conseil d'Etat (…) ». Plus précisément, l’entreprise artisanale est une
TPE particulière, intimement liée à son dirigeant, articulée autour de ses savoir-faire et son métier
(Siméoni, 1999 ; Picard, 2000 ; Fourcade et Polge, 2007). Depuis les travaux de Marchesnay (1991),
nous connaissons le rôle central joué par le dirigeant de TPE au sein de son entreprise et le caractère
global du système de gestion de cette dernière. Cette proximité entre le dirigeant et son entreprise
est d’autant plus forte que cette dernière est petite (Torrès, 2003). S’appuyant sur ces constats, des
recherches centrées sur le secteur des métiers ont souligné le rapprochement à faire entre identité
de l’entreprise et identité de l’entrepreneur (Picard, 2000 ; Richomme, 2000 ; Loup, 2003). Certains
travaux concluent même à une « personnification de l’entreprise » et une « personnalisation de la
stratégie » (Loup, 2003). Toutefois, l’entrée récente dans le secteur d’entrepreneurs aux profils
variés (autoentrepreneurs, jeunes diplômés de l’enseignement supérieur) pousse à revoir cette
définition et à établir une distinction entre artisan et dirigeant d’entreprise artisanale (Bravo, Loup,
et Rakotovahiny, 2011). Dans notre cas, nous nous centrerons sur les entreprises artisanales dont le
dirigeant est justement un artisan, détenteur des savoir-faire. Le lien très fort existant entre
l’entreprise artisanale et son acteur-clé, l’artisan -dirigeant, est à rapprocher de l’articulation de
l’entreprise artisanale autour de ses savoir-faire et de son métier souvent qualifié de traditionnel. En
effet, cette entreprise « [valorise] un métier à partir de la maîtrise qu’en détient son dirigeant. »
(Polge et Fourcade, 2007) et « [construit sa] trajectoire stratégique autour de la maîtrise d’un savoirfaire » (Fourcade et Polge, 2006). La « focalisation » sur le métier (Picard, 2006 ; Thévenard-Puthod
et Picard, 2008), la « référence au « métier » », constitueraient la « logique institutionnelle propre »
de l’entreprise artisanale par rapport aux autres TPE (Marchesnay, 2007). En outre, l’entreprise
artisanale se caractérise par des relations fortement personnalisées à son environnement (Jaouen,
4
2006) et notamment avec ses clients. Plus précisément, la relation de proximité établie entre
l’artisan et ses clients est fondée sur des liens d’affinité et d’identification de type émotionnel,
proxémique et empathique (Maffesoli, 2006). C’est la proximité spatiale, la quotidienneté des
contacts et le sentiment de partager qui créent l’environnement social. Cette proximité peut être vue
comme résultant de sa taille : « la gestion en TPE induit des effets spécifiques », parmi lesquels « un
effet de proximité développé par Oliver Torrès [qui] correspond au fait que le patron construit son
environnement, tisse des relations avec différents partenaires » (Marchesnay, 2007). Elle n’est pas
non plus sans lien avec l’importance des savoir-faire. D’une part, la citation montre bien que cette
proximité s’appuie sur un acteur-clé, le patron, en l’occurrence dans le cas qui nous intéresse
l’artisan, lequel est lui-même centré sur ses savoir-faire. D’autre part, ces relations privilégiées
constituent aussi un support potentiel pour la valorisation des savoirfaire artisanaux auprès des
clients, dont la recherche d’authenticité et de spécificité fait l’objet de la sous-section suivante.
2.1.2 Les clients, entre quête d’authenticité et demande de spécificité
Ces caractéristiques de l’entreprise artisanale, le rôle-clé des savoir-faire, du métier et par suite de
l’artisan qui détient les premiers et exerce le second, rendent les produits et services des entreprises
artisanales aptes à répondre à la quête d’authenticité (Price et Walker, 1991 ; Warnier, 1994 ;
Warnier et Rosselin, 1996 ; Camus, 2001, Cova et Cova, 2001, 2002 ; Camus, 2002a, 2002b, 2004,
2007a, 2007b), au besoin de « ré-enracinement » (Cova et Cova, 2001, 2002) des clients. Rappelons
que Camus (2007a) montre que pour une marque, le jugement d’authenticité peut s’apprécier de
deux façons : à travers une approche objective ou alors en termes d’expérience de consommation
(Holbrook et Hirschmann, 1982). Dans une approche objective (Camus, 2007a), le jugement
d’authenticité s’appuie sur trois caractéristiques de la marque : l’origine, la sincérité, et son autorité
reconnue. L’authenticité peut également dépendre des expériences de consommation du client et
plus généralement de sa relation avec la marque (Camus, 2007a). Dans cette perspective, le point de
départ est non l’authenticité perçue des produits et services mais la quête personnelle d’authenticité
des consommateurs et sa traduction sous la forme d’expériences quotidiennes vécues comme
authentiques ou inauthentiques (Cova et Cova, 2002). L’on peut par un raisonnement similaire
s’attendre à ce que des éléments objectifs et expérientiels se retrouvent à la base du jugement
d’authenticité d’un produit ou service artisanal. En effet, « l’origine peut être représentée par
l’auteur » (Camus, 2007a), en l’occurrence ici par l’artisan. Le fait que cet artisan soit centré sur ses
savoir-faire ainsi que sur la qualité de son produit, de même que les qualités effectives du produit
consommé, peuvent contribuer à rendre l’offre artisanale sincère. Enfin, la qualification de l’artisan
aide à ce que le produit fasse autorité au sens de Camus (2007a). D’autre part, l’interaction entre le
client et l’artisan dans le cadre de relations personnalisées peut contribuer à ce que le client perçoive
les expériences de consommation comme authentiques, pour peu que l’artisan évoque ses savoirfaire, explique d’où vient la qualité de ses produits etc. De plus, cette relation de proximité permet
de répondre de façon individualisée à la demande d’un client, de rendre un produit ou un service
spécifique. C’est en ce sens que les relations de proximité peuvent constituer un canal de valorisation
des savoir-faire artisanaux auprès des clients. Qu’en est-il toutefois en pratique ? Les parties
consacrées à la présentation et à la discussion des résultats de cette recherche permettront
d’apporter des éléments de réponse à cette question. Mais il convient auparavant d’exposer la
démarche de recherche.
2.2 La démarche de recherche pour l’étude de terrain
Pour approcher les représentations de ces acteurs, nous nous sommes fondés sur des entretiens
semi-directifs, lesquels permettent une relative souplesse dans la communication car fondés sur la
pratique d’un questionnement du sujet avec une attitude plus ou moins marquée de directivité
(Baumard et al., 1999). L’étude de terrain qui sert de support à cette communication s’appuie donc
principalement sur deux séries d’entretiens. Pour chacune d’entre elles, les textes des entretiens ont
d’abord, une fois retranscrits, fait l’objet chacun d’une analyse longitudinale fondée sur le codage et
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la catégorisation (Bardin, 2007). Une analyse transversale a ensuite permis l’élaboration d’une
synthèse mettant en évidence les points de convergence et de divergence des discours, des artisans
pour la première série d’entretiens, des clients pour la seconde. Un rapprochement de ces deux
synthèses a ensuite été effectué.
2.2.1 Les entretiens conduits auprès des artisans
Nous avons réalisé 16 entretiens, auprès de 13 artisans et de 3 conjoints, certaines entreprises
artisanales étant apparues bicéphales (Richomme, 2000). Préalablement à ces entretiens, les
entreprises ont été visitées, afin de pouvoir compléter la production des données par une
observation directe des entreprises et ainsi de mieux connaître et appréhender leur activité. Le guide
utilisé pour les entretiens était structuré autour de deux grands thèmes : les atouts, spécificités
positives des entreprises artisanales, ainsi que les faiblesses, spécificités négatives. A chacun de ces
pôles correspondait une ou deux grandes questions, auxquelles l’artisan était invité à répondre
librement. D’éventuelles reformulations avaient été prévues, ainsi que des relances, pour le cas où,
spontanément, tous les points qui nous intéressaient n’auraient pas été abordés. Inviter ainsi les
artisans à s’exprimer librement sur ce qu’ils percevaient comme étant leurs atouts et faiblesses
devait permettre de collecter deux types d’informations : certaines relatives aux éléments que les
artisans pensaient pouvoir valoriser auprès des clients, d’autres nous apprenant comment ils les
valorisaient (ou ne les valorisaient pas). Les savoir-faire faisaient partie de ces éléments ; l’intérêt de
ne pas se limiter a priori à ce dernier était de pouvoir éventuellement en faire émerger d’autres
susceptibles d’être valorisés en synergie avec les savoir-faire.
2.2.2 Les entretiens conduits auprès des clients
Le guide d’entretien utilisé pour les entretiens menés auprès des clients reprenait plusieurs blocs de
questions, chacun articulé autour d’un thème : le premier était centré sur la relation que le client
pouvait entretenir avec l’artisan et son entreprise (durée, fréquence…) ; le deuxième abordait les
atouts que l’entreprise artisanale concernée présentait, d’après le client, par rapport aux entreprises
concurrentes. Le troisième s’intéressait aux faiblesses que le client pouvait identifier chez l’entreprise
artisanale concernée. Enfin, le quatrième et dernier bloc regroupait des questions plus générales,
notamment des questions de définition sur les entreprises artisanales. Il s’agissait de pouvoir repérer
dans les discours des clients comment ces derniers percevaient la valorisation des savoir-faire
artisanaux et, le cas échéant, des pistes pour mieux les valoriser, ainsi que d’autres éléments
susceptibles d’être valorisés en synergie avec les savoir-faire. Vingt-sept clients ont ainsi été
interrogés ; certains peuvent être qualifiés de « professionnels » car en relation avec les entreprises
artisanales concernées dans le cadre de leur activité professionnelle ; d’autres sont des « particuliers
» qui s’adressent aux entreprises artisanales en dehors de leur cadre de travail et pour des motifs
d’ordre privé. Nous nous attendions donc à de possibles divergences quant aux résultats de l’analyse
des discours des clients. Ces différences ne sont finalement pas apparues de manière significative ;
nous avons par conséquent choisi de présenter les résultats au sein d’une unique synthèse, dans
laquelle sont mises en évidence les éventuelles divergences. Le cadre théorique et méthodologique
de la recherche ayant été posé, il convient à présent de présenter et de discuter les résultats de
l’étude de terrain. Tel est l’objet de la deuxième et de la troisième partie de cette communication.
3 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
Les résultats de l’étude de terrain montrent une valorisation partielle des savoir-faire artisanaux,
laquelle gagnerait à s’appuyer plus largement sur la dimension relationnelle artisan/client
3.1 Les savoir-faire et la qualité de la production : une valorisation partielle
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Cette valorisation se retrouve tant dans les discours des artisans que dans ceux des clients ; son
caractère partiel apparaît particulièrement chez ces derniers.
3.1.1 Le regard des artisans : une lecture en termes de processus centrés sur les savoir-faire
Les savoir-faire, le métier, sont présentés par les artisans comme des caractéristiques centrales de
l’entreprise artisanale, ce qui est en accord avec la littérature traitant de l’artisanat évoquée
précédemment. Les savoir-faire, le métier, sont d’autant plus mis en avant par les artisans que le
processus de transformation (Ouchi, 1977, 1979) est complexe. « La spécificité de l’orthodontie est
un savoir-faire spécifique » explique ainsi l’un des prothésistes. Les artisans vont jusqu’à parler de «
travail d’artiste », mettant ainsi en évidence la dimension créative du métier. Les savoirfaire
apparaissent bien comme correspondant à une production à échelle réduite, à orientation
qualitative, voire personnalisée (Siméoni, 1999). Sont bien visibles également dans les discours les
trois dimensions du savoir-faire distinguées par Ballay (1997). Ainsi, le travail de chaque artisan est
marqué de l’empreinte de ce dernier : « quand on voit l’appareil, on sait que c’est moi qui l’ai fait »
affirme l’un des prothésistes ; la dimension personnelle des savoir-faire apparaît clairement. De
même, les savoir-faire sont contextuels : « les mêmes choses [fabriquées seront] différentes ». Enfin,
leur dimension cognitive est présente notamment avec cet artisan qui recherche et atteint
l’amélioration permanente des recettes de gâteaux qu’il fabrique, pour gagner à la fois en moelleux
et en qualité de conservation. Chacun des artisans recherche l’amélioration. D’une manière générale,
les artisans ont tendance à parler en termes de processus faisant la part belle aux savoir-faire. La
qualité est évoquée comme le résultat d’un processus dans lequel s’expriment les savoir-faire, et les
artisans développent dans les entretiens ce processus, cette quête. Il s’agit, résume l’un des artisans,
d’ « apporter un niveau de qualité que l’industriel n’apporte pas, sur-mesure même ». La recherche
de la qualité, qui s’exprime au niveau du travail, lequel est mené à bien « de façon professionnelle »,
avec « sérieux », voire en « visant la perfection », implique également, quand il y a transformation, la
qualité des matières utilisées. L’investissement dans des procédures conduisant à des certifications
ou visant à élaborer des chartes de qualité, l’attention pointilleuse que déclarent porter les
répondants à l’évolution des normes à respecter relèvent de cette quête. L’une des conséquences de
l’importance des savoir-faire et de la qualité de la production c’est, d’après les artisans, que la
concurrence ne se fait pas fondamentalement sur les prix. Cependant, les processus qui conduisent
au produit, en particulier le rôle des savoir-faire, restent dans l’ensemble et paradoxalement
relativement peu développés auprès des clients. Les artisans semblent ne pas insister auprès de ces
derniers, ne pas communiquer particulièrement sur leurs savoir-faire, sauf dans des cas particuliers :
en réponse à des questions précises ou à des inquiétudes. Ainsi, l’artisan-boucher déclare que les
battages médiatiques régulièrement faits autour des épidémies qui touchent les animaux n’ont pas
d’impact sur les ventes, parce que « les gens nous connaissent », mais aussi parce qu’il prend la
peine en de telles périodes « d’expliquer énormément … tout ce qui relève de la traçabilité ». Peutêtre ce point peut-il s’expliquer par le fait que les artisans n’ont pas l’habitude de s’exprimer sur
leurs savoir-faire, traditionnellement gardés secrets ? De la même manière, il semble que les artisans
ne détaillent pas auprès des clients la qualité de leur production autant qu’ils pourraient le faire pour
vraiment la mettre en valeur, comme si cettedernière relevait de l’évidence et n’avait pas besoin
d’être explicitée. Et ce que l’on constate au niveau des discours se retrouve également dans les actes.
Pour témoin l’étal du poissonnier, où sont notamment exposées des huîtres de qualité « pousse en
claire », ainsi que du poisson « petit bateau ». Aucun affichage particulier n’est prévu pour expliquer
les spécificités de ces produits ni même les mettre en valeur. Pourtant les artisans, dans leur
majorité, ont conscience d’une évolution de leur métier vers plus de conseil, de partage, d’expertise,
de spécificité. « On vient chez moi pour le mouton à cinq pattes » précise un menuisier. Un ébéniste
ajoute : « souvent ils me demandent un devis bien détaillé et après ils vont voir la grande distribution
[…] alors maintenant je fais payer le devis et ensuite je l’enlève de la facture finale ». Le seul produit,
fruit de la mise en oeuvre des savoir-faire de l’artisan, ne suffit pas à faire la différence. Afin de
répondre à ces attentes (nouvelles, ou tout du moins nouvellement perçues), la maîtrise des savoir-
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faire artisanaux apparaît comme indispensable. Le fait que les artisans communiquent relativement
peu auprès des clients sur leurs savoirfaire et le rôle de ces derniers dans les processus qui
conduisent à une prestation de qualité est confirmé par les entretiens menés auprès des clients.
3.1.2 Le regard des clients : une lecture en termes de produits et une méconnaissance du rôle des
savoir-faire
Les clients apprécient le produit ou service artisanal, qui possède selon eux certaines particularités,
notamment une qualité rigoureuse et constante, qui explique le choix de recourir à un artisan et de
lui être fidèle. « Ils ne vendent que des bêtes de par ici, qui ont reçu de la nourriture traditionnelle » ;
« il y a une régularité, on sait ce que l’on recherche et que l’on va trouver », « On ne cherche pas
d’autres fournisseurs » ; « on n’achète plus […] ailleurs » ; « il ne fait rien de particulier [pour
fidéliser], mais comme je suis content des produits j’en ai pas besoin » commentent des clients. Les
savoir-faire et le métier en revanche sont moins présents dans les discours des clients que dans ceux
des artisans. Le terme savoir-faire n’est d’ailleurs pas mentionné. Toutefois, le concept est sousjacent, à des degrés divers : c’est chez les particuliers qu’il est le moins présent. Tout au plus
mentionnent-ils que l’artisan avec lequel ils sont en relation « travaille bien », qu’« il est bon », les
professionnels sont un peu plus diserts sur le sujet et esquissent le lien entre savoir-faire et qualité :
« Je sais de quoi il est capable, et comme il se forme […] il avance » ; « S’il veut c’est un artiste ; je
peux reconnaître ses céramiques ». Si les clients paraissent accorder peu d’attention aux savoir-faire
il semble qu’ils soient prêts à les valoriser pour peu qu’on leur explique le lien entre ces derniers et la
qualité du produit ou du service. Quant au métier, il apparaît à travers l’idée de travail bien fait mais
surtout associé à la créativité et à l’amour du métier : « C’est un artiste, il doit créer ». « [Ce qui
caractérise les artisans] c’est la foi dans ce qu’ils font ». « [L’artisan idéal] c’est quelqu’un qui fait bien
son travail, qui a l’amour de son métier ». Le fait que les savoir-faire et le métier soient relativement
peu mis en avant est à rapprocher de la confusion existant pour neuf clients, dont six particuliers,
entre entreprise artisanale et petit commerce de proximité : épicerie, producteur de fruits et
légumes, pharmacie, pressing sont cités comme des exemples d’entreprise artisanale. Dans le même
ordre d’idées, certains clients ont aussi en tête le stéréotype d’une entreprise artisanale virtuelle qui
n’a pas les qualités des entreprises artisanales auxquelles ils s’adressent et dont les caractéristiques
semblent, dans une très large mesure, fantasmées : « [Nos artisans sont] des gens compétents dans
leur domaine […] maintenant ça change. Beaucoup d’artisans sont des bricolos. ». Cela traduit une
méconnaissance du rôle déterminant des savoir-faire ainsi que du métier et, plus largement, une
méconnaissance des entreprises artisanales, de la part de clients qui pourtant les côtoient
régulièrement. Le prix quant à lui n’apparaît effectivement pas lorsque l’on interroge les clients sur
les raisons qui les ont conduits à s’adresser à telle ou telle entreprise artisanale. En revanche,
lorsqu’il est demandé des précisions concernant les atouts de l’artisan choisi par le client, reviennent,
avec une importance égale, les notions de qualité de la prestation et de proximité relationnelle, mais
surgissent également, à un moindre degré, les notions de dynamisme, de délais et de prix. Toutefois,
seuls les clients de l’artisan oeuvrant dans le secteur de ,l’électricité industrielle et des automatismes
mentionnent une éventuelle concurrence par les prix. Les autres évoquent surtout le rapport entre
prix et qualité de la prestation, jugé adéquat et supérieur à ce qu’il serait ailleurs. Ces derniers
éléments soulignent encore l’intérêt que pourrait présenter une communication sur les savoir-faire à
destination des clients. Elle soulignerait le lien entre savoir-faire et qualité (donc le lien entre savoirfaire et rapport qualité-prix) et viendrait par là également renforcer la dimension relationnelle, que
les clients semblent considérer comme un atout aussi important que la qualité.
3.2 La dimension relationnelle : un support potentiel pour la valorisation des savoir-faire
Les entretiens conduits auprès des artisans montrent qu’il y a place dans les relations avec les clients
pour plus de communication sur les savoir-faire ; ceux menés auprès des clients montrent que cette
communication est nécessaire.
8
3.2.1 Le regard des artisans : des relations de proximité dans le cadre desquelles les savoir-faire
pourraient être explicités La communication en direction des clients apparaît dans les discours très
en retrait par rapport à la dimension savoir-faire. La communication « de masse » en direction d’une
clientèle effective ou potentielle n’est, sauf exception, pas bien vue. « Je n’ai pas de politique de
publicité », « je ne suis pas un businessman », « je ne sais pas me vendre » disent la plupart des
artisans, presque avec fierté. Seule une minorité évoque la nécessité de communiquer.
Certains expliquent ainsi avoir « fait évoluer leurs pratiques » depuis qu’ils ont compris l’utilité de la
communication voire de la pédagogie. Il reste que, même quand la volonté existe de mettre en place
une politique de communication, passer à la mise en pratique n’est pas toujours possible, faute de
moyens financiers, de compétences, d’expérience en la matière etc. Un autre de ces artisans
explique ainsi qu’il n’est pas possible pour son entreprise de rivaliser sur le plan de la publicité avec
les grandes surfaces, dont la puissance financière est sans équivalent. La communication des
entreprises artisanales semble se dérouler plutôt dans le cadre de la relation individualisée avec
chaque client et d’une personnalisation de l’offre (Chéné, 2007). Les artisans traitant uniquement
avec des clients intermédiaires sont ceux qui mettent le moins en avant la relation aux clients. Ils
s’expriment à son sujet en termes différents, moins affectifs notamment que ceux en contact avec
des consommateurs finaux. Ils reconnaissent toutefois l’importance de cette relation et de
l’existence d’une « proximité entre le client et le professionnel qui est signe [qu’ils] rentrent dans le
service », c’est-à-dire qui est nécessairement incluse dans le fait de servir le client. Cette proximité,
relationnelle, est aussi géographique, territoriale. : l’un de ces artisans dit être conscient de la
nécessité de se déplacer pour rencontrer les clients et de « faire une animation » à cette occasion.
Pour les prothésistes, il s’agit de « débroussailler le travail » en amont, chez le dentiste, pour que le
travail soit finalement bien la traduction exacte de ce qui était souhaité. Ils évoquent la confiance
existant entre l’artisan et ses clients, le fait que ces derniers sont « contents du sérieux de la
prestation ». Les artisans en contact avec le client final déclarent quant à eux « soigner » les clients,
les « chouchouter ». Une attention qui s’exprime tout au long de la production, « jusqu’à l’emballage
», et se traduit également par une discussion avec le client, qui contribue à établir une relation «
chaleureuse », « cordiale voire amicale ». L’imbrication étroite entre relations personnelles et
économiques apparaît dans les discours. Pourquoi les clients reviennent-ils ? Pour « les relations, les
rapports humains », pour la « proximité [relationnelle], l’accueil » déclarent les artisans. La
gentillesse, la politesse, le fait de connaître le client constituent un plus, sont le moyen de «
développer le service ». La discussion est notamment l’occasion de mieux prendre en compte la
demande du client, en « identifiant son problème » et en le « conseillant ». Les artisans en relation
directe avec le consommateur final semblent également, au vu de leurs discours, être ceux qui
donnent le plus d’informations sur leur produit. « Les clients, ça s’élève et ça s’éduque » affirme un
artisan, qui explique qu’il est possible d’apprendre aux clients à reconnaître la qualité, les bons
produits, etc. Ceci en leur donnant quelques explications et en les faisant goûter, mais sans entrer
dans le détail des processus et développer le rôle des savoir-faire. Finalement, la façon dont la
relation avec les clients est appréhendée par les artisans en relation directe avec eux constitue « la
petite touche qui fait la différence ». Ces mêmes artisans disent par ailleurs apprécier la «
reconnaissance » de leurs clients. « Mes clients m’adorent » dit fièrement l’un d’entre eux. Les
savoir-faire, l’innovation, leurs places dans le processus qui conduit à une prestation de qualité, sont,
comme nous l’avons vu, peu évoqués lors de ces échanges avec le client, sauf ponctuellement. Les
relations sont peu utilisées par l’artisan pour se faire connaître de ses clients et valoriser ce qui,
techniquement, le différencie des entreprises non artisanales : ses savoir-faire. Pourtant, ces
relations existent : elles constituent un canal que les artisans peuvent utiliser pour faire passer des
informations sur leurs savoir-faire, et ce d’autant plus que les clients semblent demandeurs de telles
informations, comme nous allons le voir.
3.2.2 Le regard des clients : des relations de proximité dans le cadre desquelles les savoir-faire
devraient être explicités La proximité relationnelle avec l’entreprise et son acteur-clé constitue
9
d’après les clients un atout indéniable ; la qualité de l’accueil notamment est importante. Les clients
mentionnent également l’« amabilité », la « bonne-relation » d’un point de vue général, la
personnalisation du service. Plusieurs clients vont jusqu’à évoquer des relations amicales : « L’accueil
et le service ont toujours été chaleureux ». « Deux critères sont importants : un bon produit et une
relation humaine ; il a les deux ! ». « Le plus qu’ils ont c’est qu’ils ont l’habitude de nous servir. […].
Ils connaissent nos goûts ».
La proximité s’exprime également géographiquement et culturellement : le produit est local au sens
géographique mais aussi au sens où il peut s’inscrire dans la culture régionale : « Il y a un concentré
de produits locaux et régionaux ». L’artisan quant à lui est sur place et disponible - en particulier, le
service est toujours rendu : « il est sur [nom de la ville] et il est disponible ». La présence d’une ou de
plusieurs autres personnes au rôle déterminant - conjoint, collègue membre d’un réseau,
collaborateur- apparaît comme permettant d’assurer cette disponibilité et la continuité du service. «
Il est sur place, sa femme fait le coursier et vient autant de fois que l’on a besoin ». Cette dimension
relationnelle est plus mise en avant par les clients particuliers que par les clients professionnels ;
parmi ces derniers, ceux qui œuvrent dans un secteur d’activité où le processus de transformation
est le moins complexe sont ceux pour lesquels elle est la plus importante. Les autres auront plus
tendance à envisager la relation en termes de confiance fondée sur la fiabilité technique. Les clients
soulignent l’insuffisance de l’information qu’ils reçoivent dans le cadre de leur relation avec l’artisan
quant au produit et, à un moindre degré, à certains éléments du processus de production. Les clients
seraient demandeurs de plus de détails relativement au produit ; certains évoquent d’ailleurs le fait
que les informations spontanément données par l’artisan devraient être plus importantes : « on
visite le labo mais sans plus » ; « [Il pourrait pour les nouveaux clients] vanter plus ses produits. Faire
plus d’offres, plus montrer le produit, le faire découvrir… » ; « montrer les nouveaux produits […]
c’est un plus pour la clientèle ». Les discours des clients confirment bien que les artisans ne mettent
pas en avant leurs savoir-faire ni le rôle de ces derniers dans la qualité du produit ou du service.
Cette insuffisance d’information est à double tranchant. Le point positif est qu’elle vient renforcer
l’image d’un artisan sincère et replié sur la dimension technique de son activité : « il vend mal mais
c’est sa personnalité, il n’y a rien à faire » ; « ce n’est pas un commercial ». « C’est peutêtre un
argument [un atout] », interroge l’un des clients, avant de préciser qu’il apprécie le fait qu’une autre
personne de l’entreprise vienne en renfort de l’artisan concerné pour s’occuper du relationnel : « Il a
un bon adjoint […], un jeune passionné par son métier c’est un bon commercial […] il a de la chance
de l’avoir ». Ce dernier point montre bien les limites de l’intérêt que peut présenter le repli sur les
savoir-faire et l’absence de communication. Les clients risquent de rester sur leur faim en terme de
connaissance et des occasions de valoriser les savoir-faire sont perdues avec cette rétention
d’information.
4 DISCUSSION
La discussion s’articulera autour des deux points suivants : les savoir-faire et la qualité d’une part, la
dimension relationnelle d’autre part.
4.1 Des savoir-faire à la qualité
Nous l’avons vu, l’entreprise artisanale théorique qui se dessine dans la littérature en artisanat
(Siméoni, 1999 ; Richomme, 2000 ; Fourcade et Polge, 2006 ; Picard, 2006 ; Marchesnay, 2007 ; Polge
et Fourcade, 2007 ; Thévenard-Puthod et Picard, 2008 ; Bravo, Loup et Rakotovahiny, 2011) est avant
tout une entreprise de métier, au sein de laquelle la dimension savoir-faire joue un rôle-clé. Cette
conception est partagée par les artisans, lesquels ont tendance à appréhender le couple savoir-fairequalité plutôt en termes de savoir-faire et de processus. Les clients quant à eux pensent plutôt en
10
termes de qualité de la prestation ; cette dernière est vue comme un résultat seulement
partiellement mis en relation avec les savoirfaire et avec des processus largement méconnus. Notons
que l’on retrouve, sur l’ensemble des discours des clients, cinq voire six des six mondes authentiques
distingués par Camus (2002a ; 2007a) à propos des produits et marques authentiques : le monde
inspiré, avec la notion de travail d’artiste ; les mondes spatiologique et ritualisé, certains produits
étant clairement rattachés à un territoire géographique et à une culture, le monde naturel, avec les
composants utilisés pour la fabrication, le monde technique et technologique enfin. En ce sens, le
produit artisanal que veulent les clients ne s’inscrit pas nécessairement dans le cadre d’une offre
nostalgique (Cova et Cova, 2001) impliquant une dimension non-technologique ou, du moins, un «
camouflage » de cette dernière. Un niveau élevé de technologie est ainsi demandé par certains
clients professionnels tels les dentistes, tandis que d’autres rechercheront la tradition. La tradition, le
caractère immuable des savoir-faire, contribuent quant à eux à rendre présent, dans une certaine
mesure, le monde archéologique. Les discours des clients toutefois montrent que ces derniers n’ont
qu’une vision partielle de cette caractéristique de l’entreprise artisanale : leur attention est focalisée
sur le produit ou le service, sur sa qualité, plus que sur les savoir-faire qui ont permis sa production,
auxquels ils accordent peu d’attention. Cela peut s’expliquer par le fait que le client ne perçoit que le
produit final : il n’a pas toujours conscience de l’effort fourni par l’artisan, tout au long du processus
de production, pour arriver à ce niveau de qualité. Il ne sait pas à quel point c’est la combinaison des
savoirs et des savoir-faire de l’artisan qui lui permettent d’identifier dans les relations qui se nouent
les exigences qui s’expriment et d’y répondre à travers une prestation spécifique (Bréchet, JournéMichel et Schieb-Bienfait, 2006). En ce sens, d’ailleurs, certainement, une part de la perception de la
qualité échappe au client. Les artisans auraient donc intérêt à mettre l’accent dans la communication
auprès des clients sur la qualité mais aussi sur le rôle déterminant de leurs savoir-faire en matière de
qualité, à expliquer comment il se traduit au niveau de la prestation par un produit ou un service de
meilleure qualité et donc par un meilleur rapport qualité-prix. Ce dernier élément est également pris
en compte par les clients, ce qui vient corroborer les travaux de Montebello (2003) relatifs à la
création de valeur pour le client : le client peut devenir un ami, fidèle et tolérant lorsque la
combinaison qualité perçue/prix aux yeux de celui-ci est supérieure à ce qu’il pouvait espérer retirer
de la relation. Un éclairage complémentaire à destination des clients paraît d’autant plus nécessaire
que l’image que ces derniers semblent se faire de l’entreprise artisanale est floue, comme le montre
la confusion avec les petits commerces et les mythes relatifs aux entreprises artisanales évoqués par
les clients. En communiquant plus sur ces éléments, les artisans permettraient aux clients d’avoir une
connaissance meilleure, plus complète, de leur entreprise et de ce qu’elle peut apporter de plus par
rapport aux autres. La dimension relationnelle et la dimension plus technique constituée par les
savoir-faire, le métier, ainsi que, plus largement, par les caractéristiques du produit ou du service,
viendraient alors s’articuler, permettant ainsi à l’entreprise artisanale de mieux se différencier de ses
concurrentes.
4.2 La dimension relationnelle
Si le rôle-clé des savoir-faire de l’artisan-dirigeant ne sont pas pleinement perçus par les clients, ceuxci sont cependant conscients du lien étroit qui unit l’artisan à son entreprise. Le fait que, dans les
discours des clients, les concepts d’entreprise artisanale et d’artisan soient employés l’un pour
l’autre, est en accord avec la relation mentionnée dans la littérature de recherche entre identité de
l’entreprise et identité de l’artisan (Picard, 2000 ; Richomme, 2000 ; Loup, 2003). En particulier, la
personnalité de l’artisan et sa traduction au niveau de la relation qu’il entretient avec ses clients
semblent déterminantes pour ces derniers. Ainsi, nous l’avons vu, la dimension relationnelle semble
constituer pour les clients un atout aussi important que la qualité de la prestation. Les résultats de
l’analyse des entretiens conduits auprès des clients sont donc une incitation pour les artisans à
continuer à travailler cette dimension relationnelle qui pour les clients constitue à la fois un atout de
l’entreprise artisanale et, parfois, un point faible à améliorer. Certes le fait d’avoir quelques lacunes
sur le plan relationnel et commercial permet de se rapprocher de la dimension non-marchande qui
11
constitue l’un des ancrages de « l’authentique au carré » recommandé par Cova et Cova (2001).
Cette dimension correspond en effet à un signe de l’authenticité de l’offreur, de ses intentions et de
ses gestes. Ce dernier apparaît alors agir « plus par vocation que par opportunisme marchand »
(Cova et Cova, 2002). L’amour du métier manifesté par les artisans et considéré par les clients
comme un élément de définition de l’artisan idéal s’inscrit dans la même veine au sens où il induit
une situation de « haut niveau perçu de dé-marchandisation du geste de l’offreur » (Cova et Cova,
2002). Il peut même être un facteur de pérennité de la relation entre une entreprise artisanale et son
client, de la même manière que la stabilité caractérise les relations entre des clients et des marques
qu’ils considèrent comme sincères (Aaker, Fournier et Brasel, 2004). Néanmoins, il faut quand même
que les informations dont le client est demandeur, celles aussi qu’il serait susceptible de valoriser
soient données et, plus généralement, que des compétences relationnelles soient présentes. A cette
fin, les artisans peuvent chercher eux-mêmes à progresser, mais aussi s’entourer par des personnes
ayant des compétences relationnelles. Ce dernier point est crucial. En effet, l’interaction entre le
client et l’artisan confère à toute activité artisanale, même si elle consiste en une activité de
transformation, une dimension servicielle. Or le personnel en contact figure parmi les éléments
déterminants dans l’évaluation que fait le client du service reçu et de la qualité de ce dernier
(Marchesnay et Nguyen, 1990).
5 CONCLUSION
L’objet de cette communication est de souligner les pratiques innovantes que les entreprises
artisanales et les artisans gagneraient à mettre en place pour mieux valoriser leurs savoir-faire
auprès des clients. Cette communication a mobilisé la littérature portant sur les entreprises
artisanales et leur acteur-clé, l’artisan, ainsi que des travaux menés dans le domaine du marketing de
l’authentique. Elle s’est également appuyée sur une étude de terrain et, plus particulièrement, sur
des entretiens semi-directifs conduits auprès d’artisans et de clients. A l’issue de l’étude de terrain se
dessinent des écarts entre les perceptions des artisans et celles de leurs clients. Les premiers, très
centrés sur les processus et leurs savoir-faire mais reconnaissant aussi, à un moindre degré, de
l’importance aux relations qu’ils entretiennent avec leurs clients, négligent d’éclairer ces derniers sur
le rôle clé des savoir-faire dans le processus qui conduit à la qualité de la prestation. Les clients quant
à eux accordent de l’importance à la qualité du produit ou du service, tout en méconnaissant dans
une large mesure le rôle des savoir-faire, et, plus généralement, la singularité de l’entreprise
artisanale par rapport aux autres entreprises, ce qui contribue certainement à limiter leur perception
de la qualité. Accordant également de l’importance à la proximité relationnelle, ils seraient
demandeurs, dans le cadre de leur relation avec l’entreprise artisanale et l’artisan, de plus
d’explications quant à la qualité et susceptibles de valoriser toute explication détaillant le rôle des
savoir-faire artisanaux. Sur la base des dissonances entre les perceptions des artisans et celles des
clients, une voie à explorer se dessine. Cette recherche conduit en effet à conseiller aux artisans de
valoriser leurs savoir-faire par des pratiques innovantes qui permettent de travailler en synergie sur
les deux dimensions mises en valeur par leurs clients : la qualité et la proximité relationnelle. Des
investigations ultérieures permettront de spécifier les modalités de mise en oeuvre de ces nouvelles
pratiques, mais nous pouvons d’ores et déjà préciser qu’il s’agit pour les artisans, dans le cadre de la
relation avec les clients, de mieux expliciter en quoi les savoir-faire se traduisent par un produit ou
un service de meilleure qualité, de véritablement utiliser comme un argument le fait que la qualité
de leur production est liée à leurs savoir-faire, à leur qualification (Auvolat, Lavigne et Mayere, 1985)
et donc d’opérer une rupture avec la tradition séculaire du secret qui entoure le savoir-faire.
12
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15
QUAND TRADITION ET COOPERATION
CONFRONTENT INNOVATION ET
CONCURRENCE :
LES VOLAILLES VONT-ELLES RESTER
EN LIBERTE ?
Marie CARPENTER
Télécom Ecole de Management
[email protected]
Stéphanie PETZOLD
BEM, Bordeaux Ecole de Management
[email protected]
16
Résumé
Les appellations européennes comme l'IGP (Indication Géographique Protégée) sont un moyen pour
les filières agro-alimentaires de se différencier d’une manière pérenne sur des marchés de plus en
plus concurrentiels en valorisant un savoir-faire traditionnel. Elle nécessite de la part des différents
acteurs une action collective qui les oblige à coopérer tout en restant concurrents. L'objet de cette
communication est de s'interroger sur la façon dont les acteurs gèrent le nécessaire arbitrage entre
la concurrence et la coopération et sur l'impact de cet arbitrage sur les dynamiques d'innovation
dans les filières.
L'étude du cas de la volaille fermière des Landes nous permet à la fois d'analyser la dynamique de
coopétition au sein de la filière et de mettre en évidence ses principaux résultats. La dynamique de
coopétition est analysée via les relations verticales amont, les relations transversales et les relations
horizontales entre les différents acteurs à travers l'histoire de la construction de l'IGP volaille
fermière des Landes et ses conséquences actuelles. Les principaux résultats mettent en lumière une
restructuration de la filière en deux pôles et l'émergence d'un nouveau label concurrent
appelé "volaille fermière du Sud-Ouest".
Les résultats de cette étude montrent que la protection légale de l'IGP est le résultat de
l’aboutissement d’une dynamique de coopération parmi les acteurs qui y adhérent mais que cette
dynamique de coopération se confronte en permanence à une dynamique concurrentielle de
nouveaux acteurs dans la région suscitant de l’innovation au sein de la filière. .
17
Quand tradition et coopération confrontent innovation et concurrence :
les volailles vont-elles rester en liberté ?
Le développement fulgurant des univers d’appellations européennes liés à l’origine des produits
montre un dynamisme collectif au sein de l’industrie agro-alimentaire européenne. Dans la
terminologie de Stoneman (2010), le processus de demande d’une telle dénomination de qualité
correspond à une différenciation verticale avec une volonté de la part des demandeurs d’occuper
une position haut de gamme dans l’univers de leur produit. La démarche n’empêche pas des
différentiations horizontales, notamment pour les groupements d’acteurs qui réussissent à occuper
une position dominante sur leur marché. Les origines d’une telle position dominante ont été
étudiées dans une étude de cas sur les Pruneaux d’Agen, une IGP (Indication Géographique
Protégée) du Sud-Ouest de la France (Carpenter et Petzold, 2010). Il ressort que le succès de cette
IGP – qui reste quasiment le seul fournisseur de pruneaux sur son marché national – est le résultat
d’une combinaison de plusieurs facteurs :
1. les caractéristiques traditionnelles de la filière (des études du marché et de la publicité de
masse) ;
2. une recherche permanente d’innovation en coopération étroite avec les acteurs de la grande
distribution (MDD et diversification de la gamme vers les fruits secs) ;
3. des évènements non-attendus, comme l’achat par une multinationale américaine d’un acteur
local qui a motivé une restructuration de la filière et l’ancrage comme « channel captain » 1 d’un
coopératif de la région, France Prune.
Avec un processus d’appellation IGP, les fournisseurs de produits agro-alimentaires sont, par
définition, dans une action collective. Cette démarche offre la possibilité de fédérer un nombre
d’acteurs autour d’une dynamique de positionnement régional. Néanmoins, il est illusoire d’imaginer
que toute démarche de ce type se passe dans une ambiance de coopération totale. Dans un marché
où un acteur local fort n’obtient pas une dimension dominante à l’instar de France Prune dans le cas
évoqué précédemment, la question se pose de la façon dont les acteurs gèrent l’arbitrage entre la
concurrence et la coopération et l’impact du résultat de cet arbitrage sur les dynamiques
d’innovation dans la filière.
A travers une étude de cas exploratoire, l’objectif de ce papier est d’étudier le processus d’arbitrage
et d’analyser l’interaction entre acteurs qui développent les activités et construisent ensemble des
ressources dans un dynamique de « soft innovation ». Pour cela, nous définirons dans un premier
temps ce que nous entendons par "soft innovation" et ce que sont les IGP avant de mettre en
évidence la nature des stratégies de coopétition dans un tel contexte avec la spécificité qu’il présente
d’existence d’interprofessions. Dans un second temps, nous analyserons les stratégies de coopétition
via les relations des acteurs dans le cas de l'IGP volaille fermière des Landes avant de mettre en
évidence leurs incidences sur les dynamiques d’innovation de la filière.
1
« Capitaine de la filière ».
18
L'INNOVATION DANS L'AGROALIMENTAIRE OU L'IMPORTANCE DE LA
VALORISATION DE LA TRADITION
L'innovation dans le domaine agroalimentaire
Toutes les économies du monde possèdent une industrie agro-alimentaire et elle figure parmi les
industries les plus anciennes. Si l’on ne considère que le niveau de son investissement en recherche
et développement comme pourcentage du chiffre d’affaires, l’industrie agro-alimentaire ne figure
pas en tête des industries innovatrices. Si la définition de l’innovation est élargie, cependant, pour
prendre en compte les innovations moins technologiques et liées plutôt à des nouvelles variantes de
produits et aux aspects esthétiques des produits, l’industrie agro-alimentaire est assez
caractéristique de celles qui pratiquent ce qui s’appelle la « soft innovation » (Stoneman, 2010). Il
s’agit des innovations relativement modestes ou « incrémentales » plutôt que de nouveautés
(Winger et Wall, 2006) radicalement différentes par rapport à l’offre existante 2.
Selon Stoneman (2010), l’activité innovatrice de l’industrie agro-alimentaire peut être verticale ou
horizontale. Pour innover « verticalement », les fournisseurs des marques d’alimentation
différencient leur offre en créant des gammes de produits avec des niveaux de qualité et, par
conséquent, de prix distincts. L’innovation « horizontale » consiste à offrir des produits avec des
gammes qui se différencient par d’autres facteurs que leur positionnement prix.
Malgré une recherche constante de nouveautés de la part des consommateurs et des fournisseurs, le
secteur de l’agro-alimentaire connaît un taux important d’échec dans le lancement de nouveaux
produits (Winger et Wall, 2006). Une étude aux Etats-Unis, par exemple, a identifié 10.000 nouveaux
codes de barre dans la grande distribution sur une période d’un an. Au bout de 39 semaines, il est
estimé que 33 % a réussi, 42 % existe encore mais avec des ventes en baisse et 25 % a disparu
(Hoban, 1998).
Un enjeu majeur pour les acteurs des filières agro-alimentaires est donc de répondre aux tendances
nouvelles de leurs marchés avec des produits adaptés qui innovent sur des dimensions pertinentes
pour leurs cibles. Dans une étude des lancements de nouveaux produits par les fournisseurs de
produits agro-alimentaires en Allemagne en 2002, l’impact le plus notable sur le taux de réussite
(exprimé par 44 entreprises à travers leurs réponses à un questionnaire) venait d’un positionnement
haut de gamme. Le deuxième facteur le plus impactant est la taille de la firme (McNamara et al.,
2003).
2
Selon Winger and Wall (2006), les années 60 et 70 correspondent à l’époque des innovations radicales dans
l’industrie agro-alimentaire ainsi qu’à la croissance importante des firmes de l’industrie en termes de chiffres
d’affaires et de rentabilité.
19
D’autres études se sont concentrées sur les différences au niveau des firmes pour examiner les
facteurs qui différencient les firmes qui réussissent plus souvent des innovations que d’autres.
L’importance de la qualité du produit, de la connaissance du marché, du marketing et des activités
liées au développement du produit sont ressortis comme facteurs clés de succès dans une étude sur
les firmes innovantes sur les marchés du yaourt au Danemark, en Allemagne et en Grande Bretagne
(Grunert et Sorenson, 1996).
Au niveau de l’industrie agro-alimentaire dans son ensemble, plusieurs facteurs sont proposés pour
expliquer la tendance dominante de se contenter d’innovations incrémentales (Winger et Wall,
2006) :
1. L’industrie est par définition « low tech » et il n’existe pas réellement des critères de
différenciation ;
2. Il n’y a pas de barrière à l’entrée ;
3. Il est difficile (mais pas impossible) de breveter des nouveautés ou de faire appel à des
moyens de protection de la propriété intellectuelle.
Ainsi, chercher à se différencier en montant en gamme par la valorisation de son savoir-faire
traditionnel est apparu un des moyens les plus efficaces pour un grand nombre de producteurs de se
faire une place sur les marchés hyperconcurrentiels d'aujourd'hui.
Les indications géographiques protégées
Depuis le début des années 1990, l’Union Européenne reconnaît la nécessité de reformer
structurellement le système de soutien à ses producteurs agro-alimentaires ainsi qu’aux filières qui
en découlent. Un axe important de sa stratégie de réforme depuis maintenant vingt ans est le
développement d’un système de protection légale des produits élevés ou cultivés et ensuite
transformés dans une zone géographique identifiée.
Il existe en Europe une variété de produits issus de cultures et de terroirs divers. L'Union européenne
cherche à préserver un modèle alimentaire fondé sur cette variété, sur la qualité et la sécurité. Elle a
ainsi développé, dans les années 90, des règles visant à valoriser la qualité et à assurer une plus
grande satisfaction des demandes des consommateurs. Car, quand un produit acquiert une
réputation qui dépasse les frontières, il peut se trouver confronté sur le marché à des produits
d'imitation qui usurpent son nom. Cette concurrence déloyale non seulement décourage les
producteurs mais induit également le consommateur en erreur. C'est pourquoi, la Communauté
européenne a créé, en 1992, des systèmes de protection et de valorisation des produits agroalimentaires venant compléter le règlement concernant l’agriculture biologique
20
(http://europa.eu.int/comm/agriculture/foodqual/quali1_en.htm) avec trois catégories
correspondant à des philosophies différentes.
Pour ce qui concerne les appellations, le règlement n° 2081/92 modifié permet la reconnaissance et
la protection sur le territoire de l'Union, de deux types de dénominations géographiques :
l'appellation d'origine protégée (AOP) : elle est l'équivalent de l'appellation d'origine contrôlée (AOC)
française, qui reconnaît la qualité liée à l'origine d'un produit ; l'indication géographique protégée
(IGP) : elle caractérise un produit dont le lien avec le terroir existe à l'un des stades de la production,
de la transformation ou de l'élaboration. Les attestations de spécificité (AS) ou encore spécialités
traditionnelles garanties (STG) concerne les produits pouvant justifier d'une méthode de production
spécifique et traditionnelle. L'attestation de spécificité consacre une recette et non une région de
production. L'Union européenne a prévu dans chaque règlement la possibilité de définir des
symboles communautaires (logos) pour chacun des signes européens de la qualité. Ces logos peuvent
être utilisés sur l'étiquetage, la présentation et la publicité des produits agricoles ou des denrées
alimentaires produits selon les règles en vigueur.
Figure 1 : les logos des AOP, IGP et STG
Les spécialités
Appellation d'origine protégée
Indication géographique protégée
La procédure pour faire enregistrer une dénomination de produit est la suivante : le groupement de
producteurs doit définir son produit dans un cahier de charges précis ; la demande d'enregistrement
comprenant le cahier de charges est déposée à l'autorité nationale compétente où elle sera étudiée
puis transmise à la Commission ; suivent des procédures de contrôle ; si tout est conforme, une
première publication au Journal Officiel des Communautés Européennes permet d'informer toute
personne intéressée dans tous les pays de l'Union de la demande d'enregistrement ; s'il n'y a pas
d'opposition, la Commission européenne publie au Journal Officiel des Communautés Européennes
la dénomination protégée. Aujourd'hui, le système est ouvert aux pays non-UE et certaines
dénominations ont récemment été attribuées à des produits chinois.
Une réactualisation de la base DOOR de la Commission Européenne, montre qu'en 2010 3, la France
compte 171 AOP et IGP sur les 911 enregistrées (STG compris) dont 92 IGP. Néanmoins, comme le
mode de comptabilisation varie d'un organisme à l'autre en fonction des demandes d'enregistrement
et de modification des cahiers des charges, l'INAO considère plutôt ce nombre à hauteur de 106 IGP
françaises dont 34 sur les volailles 4. La France est ainsi classée seconde derrière l'Italie toutes
dénominations confondues mais première au niveau des IGP.
3
http://www.socopag.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=415:les-911-aop-et-igp-enregistreesa-ce-jour-dans-le-monde-par-la-commission-europeenne&catid=25:produits&Itemid=95
4
Site inao.gouv.fr consulté le 13/03/12
21
Valoriser un savoir-faire lié à une zone géographique donnée: entre coopération et compétition
Les dénominations comme l'IGP sont de plus en plus utilisés dans les filières agro-alimentaires pour
développer une stratégie de différenciation grâce à l'origine (Fort et al., 2007). Mais une IGP n’est en
rien une garantie de succès sur des marchés concurrentiels et exigeants. Chaque filière est
confrontée à des distributeurs qui perdent des parts de marché face aux enseignes de «hard
discount » et qui sont de plus en plus exigeants sur le prix. L’accès au marché est primordial pour le
succès d'une IGP mais les priorités multiples de certains acteurs, le manque de poids d’autres et la
difficulté des plus petits fournisseurs à satisfaire toutes les exigences des enseignes créent un
ensemble de barrières qui bloquent cet accès (Jullien et Smith, 2004).
Chez les consommateurs, la perception de d’une démarche de type IGP par les filières agroalimentaires est positive. Cependant, pour que ce regard favorable se traduise en volonté d’achat, un
travail important de communication auprès d’eux reste nécessaire pour qu’ils reconnaissent l'IGP. La
faiblesse de cette reconnaissance est un second frein à la percée de ces produits dans certains
marchés. La communication générique autour de l'IGP est une manière de surmonter cette lacune
mais son succès nécessitera de pouvoir y consacrer un budget suffisamment conséquent pour qu’elle
ait un réel impact. Une étude quantitative d’Aurier et Fort (2005) montre que l’appropriation des
MDD des concepts de terroir va dans le sens de cette meilleure reconnaissance par les
consommateurs et bouleverse la configuration des rayons. En effet, la recherche de différenciation
grâce au terroir permet aux MDD de chercher à conquérir des positions comparables à celles des
marques leader.
Par ailleurs, le concept de terroir est relativement vague et n’est pas seulement lié aux perceptions
des consommateurs mais tient aussi à la vision que les producteurs et les circuits de distribution ont
de leurs produits (Aurier, Fort et Sirieix, 2004). Les résultats de l’étude qualitative menée par Aurier
et alii sont en accord avec une précédente étude qui a aussi montré que les principales dimensions
sur lesquelles se fondent les consommateurs pour évaluer les produits liés au « terroir » sont leur
perception de l’environnement régional, son climat et l’expertise perçue des producteurs régionaux
(Verlegh et van Ittersum, 2001). Ainsi, les configurations des rayons des circuits de distribution de
masse sont issues non seulement de l’intérêt que les distributeurs portent au comportement des
consommateurs mais aussi des rapports entretenus avec les filières de production.
Avec l'étude de 21 produits AOC et IGP européens, Barjolle et Sylvander (2003) ont identifié un
certain nombre de conditions pour leur succès à la fois en termes économiques et sociaux tel que le
développement régional et local. Parmi elles, ce que les auteurs appellent la coordination de la filière
apparaît cruciale. Cette coordination est facilitée par l'existence d'un acteur leader et tend à être
22
sujette à des contraintes claires imposées par les distributeurs, en particulier sur les marchés anglosaxons. Les politiques publiques encouragent le succès des produits dans la mesure où elles facilitent
la création d'un environnement favorable à une telle coordination.
L'enquête de Fort et al. (2007) montre qu'un mode de gouvernance collectif des signes de qualité est
le gage d'un dynamisme plus important en matière d'innovation. Néanmoins, les signes non
territorialisés apparaissent systématiquement plus innovants sur toutes les dimensions de
l'innovation que les signes territorialisés. Ainsi, les auteurs se demandent si les procédures de
spécification des produits liés au territoire, appuyés sur la tradition, n'aboutissent pas à une
standardisation progressive des produits et des procédés, ce qui peut conduire à une perte d'abord
de biodiversité (Bérard et Marchenay, 2004) et ensuite de certaines caractéristiques qui participent à
la formation de l'identité des produits de terroir dans les représentations des consommateurs (Aurier
et al, 2004) à savoir la variabilité des produits selon le producteur (le savoir-faire, la personnalité de
chaque producteur doivent être retrouvés).
En effet, Fourcade (2006) avait déjà remarqué que les modes de coopération classiques ainsi que la
promotion en termes de production des signes d'origine et de qualité de type AOC et IGP
s'essoufflent face à un environnement turbulent. Les limites de ces approches résident dans les
modalités de coordination et de gouvernance (Torre, 2002). Le dépassement du strict modèle de
type AOC s'articule autour d'un nouveau bien commun, plus complexe (Calvet, 2005) fondé par
exemple sur le modèle mixte marque/label (Giraud-Héraud et al., 2002). Dans ce contexte, les
différentes configurations d'entreprises, organisées en coopération territorialisées dans le secteur
agroalimentaire offre une grande diversité de types de collaboration incluant des situations de
coopétition.
Ainsi, un processus d'appellation IGP, qui est une coopération délibérée de concurrents pour se
protéger collectivement contre une compétition extérieure au territoire, impose une coopétition
entre les membres de la filière concernée dans la mesure où les acteurs restent en compétition.
Comment les acteurs de filières engagés dans un processus d'appellation IGP gèrent-il ces relations
paradoxales?
La coopétition rend compte de nouvelles formes de relations entre les acteurs d'un marché dont la
finalité est de créer de la valeur (Brandenburger et Nalebuff, 1995; Bentgsson et Kock, 1999, 2000;
Dagnino et al. 2007; Le Roy et al., 2008). Brandenburger et Nalebuff (1995) proposent une
conception large de la coopétition incluant toutes les relations entre les firmes qui peuvent être
complémentaires. Bentgsson et Kock (1999) réduisent son acception au fait que les coopétiteurs sont
des concurrents directs qui offrent le même type de produit au même type de clients.
23
Dans notre cas, l'étude exploratoire de la filière volaille fermière des Landes, nous impose de nous
positionner dans la lignée de Brandenburger et Nalebuff (1995) dans la mesure où les acteurs sont
fortement impliqués dans la filière parfois aussi bien dans la production que dans la transformation
et la commercialisation des produits. Cela induit l'existence de relations horizontales (entre
producteurs), verticales (entre producteurs et transformateurs) et transversales (via les
interprofessions) qu'il nous faudra appréhender de manière dynamique et dans une perspective
historique afin de mieux comprendre les évolutions de la concurrence et de la coopération dans la
filière à l’instar de Pellegrin-Boucher et Gueguen (2005) dans un écosystème d’affaires
technologique.
Les relations coopétitives sont complexes car elles sont construites sur des logiques diamétralement
opposées (Pellegrin-Boucher, Le Roy, 2009). La logique concurrentielle est fondée sur l'hypothèse
que les entreprises recherchent leurs propres intérêts alors que ces intérêts s'opposent. Elles luttent
donc les unes contre les autres pour atteindre leurs objectifs. A l'inverse, la coopération est fondée
sur l'hypothèse que les entreprises participent à des actions collectives afin de réaliser des projets
communs. Leurs intérêts ne s'opposent donc pas mais sont complémentaires. Les situations de
marché poussent les firmes à se concurrencer et à tenter d'obtenir un avantage dont le
renouvellement est une condition de survie et de développement (D'Aveni, 1994). De nombreuses
raisons poussent les firmes concurrentes à coopérer. La principale est l'hétérogénéité des ressources
c'est pour cette raison que le phénomène de coopétition est beaucoup étudié dans les TIC ou
industries de réseaux mais ce peut-être aussi l'existence de réseaux sociaux où les individus et leurs
entreprises commencent à coopérer avant d'envisager des relations d'alliances plus fortes
(Bengtsson et Kock, 1999, 2000).
Ainsi les facteurs de compétition et de coopération sont de plus en plus simultanés. Néanmoins, il
s'agit de relations instables (Dagnino, 2007) dans la mesure où elles combinent affrontement et
coopération en une succession d'actions et de réactions stratégiques des firmes. D'après Dumez et
Jeunemaître (2005) les firmes ne peuvent pas s'affronter et coopérer en même temps donc les
stratégies d'affrontement et de coopération peuvent exister mais pas en même temps ou peuvent
être développées en même temps mais pas sur le même plan.
La particularité des filières agroalimentaires impliquées dans un processus d'appellation IGP réside
dans le fait qu'à un moment donné les acteurs s'imposent collectivement de coopérer et mettent en
place des organismes régulateurs via les interprofessions dont le but est de maintenir cet objectif
dans le temps. Néanmoins, pour survivre et suivre les évolutions du marché les acteurs vont être
obligés de développer des stratégies propres et concurrentielles.
D'après Bentgsson et Kock (1999), la dimension compétitive dépend du rapport de force entre les
acteurs ainsi que de leurs positions sur les marchés. Plus la firme dispose d'une position forte, plus
24
elle sera tentée d'adopter un comportement compétitif. A l'inverse, lorsqu'une entreprise a besoin
de ressources extérieures importantes, elle aura tendance à adopter un comportement coopératif.
La coopétition apparaît alors lorsqu'une firme bénéficie d'une position forte sur son marché tout en
ayant un besoin important de ressources extérieures.
Dans les processus d'appellation IGP, on remarque effectivement que la démarche nécessite souvent
un capitaine de filière, en position forte, qui entraîne les autres acteurs et maintient un minimum de
cohésion pour garantir le succès de la démarche (Carpenter et Petzold, 2010). Néanmoins, à tout
moment ce leadership peut être contesté et la structure de filière joue donc un rôle non négligeable
dans ce type d'engagement. D'où notre intérêt de comprendre comment les acteurs impliqués dans
de tels processus peuvent gérer des relations aussi paradoxales que la coopération et la compétition
et l'impact des arbitrages qu'elles imposent sur les dynamiques d'innovation de la filière sachant
qu’en France, les interprofessions ont le potentiel de jouer un rôle important dans la structuration
des efforts des producteurs en ce sens.
Le rôle des interprofessions dans la filière agro-alimentaire française
Les quelques soixante interprofessions agroalimentaires qui existent en France fonctionnent comme
une structure permanente de décision collective pour les acteurs économiques d'une filière. Elles
sont financées en général par un système de "cotisation volontaire obligatoire" pour laquelle les
professionnels de chaque interprofession doivent décider d'un ensemble de critères: les assujettis, le
taux, l'unité de références (chiffres d'affaires, volume,…), le bien sur lequel elle s'applique, le
collecteur (Coronel et Liagre, 2004, p. 16).
L'historique des interprofessions en France
C'est dans le secteur sucrier qu'est née la première expérience de structuration des marchés
agroalimentaires (Coronel et Liagre, 2004). Ce secteur a été fortement soutenu depuis la Révolution
Française pour surmonter un manque créé par le blocus anglais du sucre brut issu de la canne à sucre
et il a ensuite bénéficié de tarifs douaniers sur les importations des pays du Sud. Les tentatives des
producteurs et sucriers français d'organiser la filière sont devenus cruciales dans les années trente,
suite à une série d'années de surproduction qui ont fait effondrer les prix. Un accord signé par les
deux groupes d'acteurs a été reconnu par les pouvoirs publics en 1935.
25
Ce n'est néanmoins qu'en 1962 que la loi française définit les conditions de reconnaissance des
groupements de producteurs et des comités économiques agricoles "ayant pour finalité d'établir et
d'harmoniser, dans une région de production déterminée, des disciplines de production, de mise en
marché et de prix, au moyen d'accords conclus au sein de ces groupements (syndicats, coopératives,
associations) (Coronel et Liagre, 2004, p. 25). Cette loi a été développée pour adresser la faiblesse
relative des petits producteurs face à la puissance des acteurs en aval et elle a été prolongée en 1964
par une autre loi qui définit les principes et les modalités du régime contractuel.
Les difficultés persistantes – notamment avec une crise de surproduction de vin bordelais en 1973 –
ont initié deux nouveaux régimes légaux sont introduits en 1975 et 1980 pour respectivement définir
le rôle d'une interprofession et le champ d'application des accords interprofessionnels. Cette
dernière loi définit comme obligatoire le caractère des dispositions prises par les interprofessions
pour tous les acteurs de la filière, qu'ils en soient membre ou non (Coronel et Liagre, 2004).
Entente et « vertical linkages »
C'est toujours en France que ce système d'organisation de filière est le plus développé. En Europe, en
2000, la fixation de prix minimum pour la matière première agricole a été interdite, considérée
comme "entente illicite". Les interprofessions sont donc de plus en plus amener à se focaliser – en
aval – sur les activités de promotion de leur branche d'activité et – en amont – sur la recherche et la
traçabilité des produits ainsi que sur l'organisation de la filière pour s'assurer de la meilleure
coordination entre l'offre et la demande pour éviter des fluctuations importantes de prix.
Le rôle des interprofessions est donc actuellement défini principalement comme la structuration de
la filière avec des accords conclus par des représentants des acteurs de la production, de la
transformation, du négoce et de la distribution. La pérennité des interprofessions a été confortée
dans les années 1990 avec la reconnaissance par la Commission Européenne. La loi de l'orientation
agricole en 1999 en France a étendu le principe des interprofessions à d'autres secteurs d'activité et
a proposé la création d'interprofessions spécifiques pour les produits sous signe de qualité et issues
de l'agriculture biologique. Les missions reconnues des interprofessions sont :
•
•
•
Définir et favoriser des démarches contractuelles entre leurs membres ;
Contribuer à la gestion des marchés, par une meilleure adaptation des produits aux plans
quantitatif et qualitatif et par leur promotion ;
Renforcer la sécurité alimentaire, en particulier par la traçabilité des produits, dans l'intérêt
des utilisateurs et des consommateurs.
26
Il est aussi envisagé que les interprofessions puissent participer aux politiques de la filière, aux
politiques économiques nationales et communautaires, ainsi que de s'associer aux organisations
représentatives des consommateurs et des salariés (Coronel et Liagre, 2004, p. 27).
Depuis quelques années, on peut aussi remarquer le développement important des liens verticaux
("vertical linkages" en anglais) sur les marchés agricoles dans d'autres pays qui ont tendance
historiquement à résister aux mouvements du type des interprofessions pour stimuler la
concurrence. Avec peu de protection légale au niveau national, les producteurs américains, par
exemple, se sont tournés vers les pouvoirs publics plus proches (comme les états du Maine et
Washington, par exemple) afin de se regrouper à la recherche d'un renforcement de leur pouvoir de
négociation face aux transformateurs et distributeurs de plus en plus puissants. Cette recherche de
coordination verticale est liée aux évolutions concernant les risques sanitaires, au besoin associé de
traçabilité dans les chaînes alimentaires ainsi qu'aux évolutions de la grande distribution qui exige
des produits innovants, avec des filières très réactives pour faire face à une demande de plus en plus
volatile et fragmentée. S'ajoute à ces influences, les développements en biotechnologie et des OGM
(organismes génétiquement modifiés) qui donnent lieu au besoin des filières dans lesquelles les
produits – qui étaient autrefois des produits banalisés – de garder leur identité (Hobbs and Young,
2001).
Les différents acteurs des filières comme celle de la volaille fermière des Landes que nous proposons
d’étudier se retrouvent donc plus ou moins impliqués non seulement dans l’interprofession qui joue
un rôle de régulateur dans les relations mais aussi dans la démarche collective de reconnaissance du
savoir-faire traditionnel de la filière associé à une zone géographique via l’IGP. Et, dans ce contexte,
leur degré de coopération ou de compétition varie dans le temps.
Le processus d’arbitrage entre la concurrence et la coopération et l’impact du résultat de cet
arbitrage sur les dynamiques d’innovation dans une filière que nous souhaitons étudier sont des
phénomènes complexes car ils doivent tenir compte non seulement de la nature et de l'intensité des
relations mais aussi de l'historique de ces relations. Pour cette raison, nous avons choisi de nous
focaliser sur le cas d'une filière, celle de la volaille fermière des Landes.
LE CAS VOLAILLE FERMIERE DES LANDES
Présentation des Volailles Fermières des Landes et méthodologie
27
Les Landes correspondent à une zone géographique dont la spécificité agricole remonte à la fin du
18ème siècle et la volonté de Nicolas Brémontier, ingénieur en chef à Bordeaux, de fixer les dunes de
sables mouvants pour les empêcher d’envahir les terres du golfe de Gascogne, entre la Gironde et
l’Adour. En visite à Bayonne en 1808, Napoléon 1er se déclare pour le boisement de la région pour
des raisons sanitaires et économiques. Pendant les décennies à venir un effort considérable est
entrepris pour développer les capacités d’exploitation des domaines forestières ainsi que les
techniques d’assainissement de vastes étendues marécageuses de la région. La loi du 19 juin 1857
impose aux communes des départements de la Gironde et des Landes d’assainir et d’ensemencer en
pin leurs terrains. Des milliers d’hectares sur lesquels étaient élevés des brebis landaises sont ainsi
transformés en forêt, donnant naissance au plus grand massif forestier d’Europe occidentale. Un
volontarisme moderniste remplace donc un système agro-pastoral traditionnel – celui du berger
landais – avec un nouveau système économique d’exploitation forestière.
Au milieu du 20ème siècle, cependant, le nouveau système est en crise avec l’ouverture à la
concurrence du marché de la résine du pin. Les 10.000 familles concernées ne réussissent pas à
remplacer les revenues perdues en se diversifiant vers le maïsiculture et sont à la recherche d’une
autre source de revenue. C’est donc seulement à partir des années 1950 que le développement du
poulet jaune des Landes à grande échelle est envisagé. Ce produit a déjà une renommé régionale qui
est prêt à être « exportée » au niveau national au moment où les Français découvrent le « poulet au
goût de poisson » qui est le résultat de l’aviculture intégrée avec des poulets à croissance rapide et
un élevage en claustration. Le poulet jaune des Landes bénéficie – pour des raisons ‘historique’
relativement récente – de nombreux atouts :
« La présence de forêt autour des fermes procure aux aviculteurs l’avantage du plus vaste espace
protégé imaginable, pour leurs poulets sensibles au soleil et au vent, même sous le climat tempéré
du sud-ouest océanique. L’exploitation du maïs se généralise. Il sera…la base d’une nourriture
diversifiée au hasard des trouvailles picorées sur la lande. Le sol sableux, plus ou moins riche en
matière organique et toujours drainante, présente une qualité sanitaire très élevée. Le cadre est là,
donc. Prêt à devenir une ressource ». (Sabaran et Deck, 2005, p.28).
L’enjeu de la démarche IGP, entreprise pour le poulet des Landes dans les années 1990, a consisté à
inventer une tradition pour les Volailles Fermières et à la rattacher à un territoire que l'on considère
sociologiquement et agronomiquement distinct : les Landes. L'histoire des Volailles Fermières des
Landes montre que la volonté des acteurs, au cours des premières années de la démarche label, a
été de transformer une pratique courante de la polyculture, traditionnelle dans les Landes comme un
peu partout (garder les poules dans la basse cour et les vendre sur les marchés locaux), en une
activité plus intensive ayant toutes les caractéristiques d’une activité industrielle sans en avoir
l’image. Pour ce faire, quatre dimensions ont été travaillées:
28
-
La première dimension est l'image. Les acteurs de la filière ont voulu donner une image
"naturelle" et favorable au bien-être de l'animal. La communication met en avant le fait que
les poulets landais sont toujours gardés sous les pins, qu'ils dorment dans des cabanes en
bois relativement spacieuses et que, dans la journée, ils sont "en liberté". Les producteurs de
ce territoire sont présentés comme les gardiens des valeurs d'une agriculture saine et
intemporelle. Cette image se construit dans une opposition avec celle du poulet "industriel"
produit en Bretagne et dans le nord de l'Europe.
-
La deuxième dimension est celle de valeur réelle de cette image sous-tendue par des faits
tangibles. Afin de différencier leur produit et de le lier à ses origines géographiques, les
acteurs de la filière ont effectué un travail sur la couleur de la chair des poulets : le jaune. Ce
travail lié à la sélection des espèces a permis de mettre en avant le lien entre le jaune et le
fait que l'animal soit nourri au maïs tout en conservant les rendements. Néanmoins, le risque
a été pris de commercialiser des poulets de couleur difficilement vendables hors des régions
habituées 5, ce qui justifie la nécessité du travail continu sur les autres dimensions.
-
La troisième dimension est celle de la réputation des volailles des Landes. La création de
cette nouvelle filière a nécessité de la part des acteurs principaux à insérer le poulet dans "la
tradition gastronomique" des Landes. Un travail a surtout été nécessaire pour généraliser
cette réputation dans les grands centres de consommation.
- Enfin, la quatrième dimension est celle de l'utilisation du levier que constitue le territoire. Il
s'est agi de s'appuyer sur un territoire politico-administratif dont les frontières sont
incontestées : le département des Landes. Et, dans ces conditions, le Conseil général des
Landes a été conduit à s'impliquer intensivement dans le financement de la promotion du
Poulet des Landes 6.
Pour analyser les dynamiques de coopération et de compétition au sein de la filière de la volaille
fermière des Landes, une étude de cas détaillée a été entreprise. La méthodologie qualitative
adoptée pour cette étude exploratoire s’inspire de la vision de Joseph Schumpeter quand il appelle à
une approche historique pour comprendre réellement les évolutions économiques (Schumpeter,
1947). Lazonick (1994) souligne la nécessité de s’inscrire dans une démarche d’histoire raisonnée si
nous espérons créer des cadres théoriques qui permettent de comprendre et évaluer les choix des
firmes, notamment dans le domaine de l’innovation.
Lazonick insiste également sur la nature complexe, cumulative et continue du processus d’innovation
qui demande une définition large de l’unité d’analyse. Cette reconnaissance de principe de la nature
collective de l’innovation et de la variété des organisations susceptibles de la porter nous appelle à
poursuivre la voie schumpétérienne en tentant de saisir comment les organisations se révèlent plus
ou moins aptes à nouer ce processus. Pour l’IGP de la volaille fermière des Landes, les « soft
5
CREDER, (2002), L’histoire des Volailles Fermières des Landes, Etude remise à l’AVFL.
Ce Conseil général s'inscrit dans une tendance générale où les collectivités territoriales mettent en place des politiques de
communication de plus en plus ambitieuses (v. Nay, « Le chant local », Bordeaux, Cahiers du CERVL, 1994).
6
29
innovations » qui résultent des dynamiques de coopétition sont liés à la notion de terroir. Bien
comprendre la représentation faite par les différents acteurs de cette idée de terroir – plus
récemment avec l’IGP – nous oblige à bien étudier les dynamiques collectives en cours depuis des
décennies.
Analyse de la dynamique de coopétition au sein de la filière VFL
La construction de la filière ressort comme une recherche constante d’alliés pour faire avancer un
cadre juridique dans lequel la production et la promotion du produit peuvent se développer. L'étude
de cette dynamique historique nous permet de mettre en évidence les principaux faits marquants
liés aux relations verticales amont, aux relations transversales et aux relations horizontales qui se
sont tissées au sein de la filière de la volaille fermière des Landes.
Les relations verticales amont: entre coopération et conflits
Le Label Rouge a consacré un processus entamé dès la fin des années cinquante. Cette démarche est
le résultat d'une coopération entre les acteurs engagés dans le développement de la volaille fermière
des Landes. Elle a permis de construire une filière à fort niveau d'interdépendance.
D'un point de vue juridique, initiée par les clauses du décret Giscard, en 1965, la démarche a connu
une première consolidation à travers un décret du 7 mars 1967 qui réserva la possibilité aux seuls
poulets « labels » de mentionner la référence "fermière". Celle-ci autorisait d'apposer sur l'étiquette
les caractères spécifiques liés à son mode de production et à son origine géographique. C'est ce texte
qui inaugura l'obligation d'afficher un Label Rouge si l’on souhaitait pouvoir afficher une origine
géographique. L'adoption par l'Etat de ces deux dispositions législatives a découlé du travail de
construction d'une alliance entre les représentants de la démarche landaise et leurs homologues
d'autres régions (en particulier avec les dirigeants des Poulets de Loué). Cette relation a connu un
début d'institutionnalisation en 1966 à travers la mise en place d'un Syndicat national des labels
avicoles (SYNALAF). Ce travail de construction de coalition s'est fait en distinguant la démarche Label
Rouge de celle des Appellations d'Origine Contrôlée (AOC). Adoptée par les Poulets de Bresse, le
cadre des AOC a été perçu comme insuffisamment évolutif et trop fondé sur la "typicité" du produit.
Cette construction reflète « une longue histoire de conflits plus ou moins ouverts » (Jullien et Smith,
2005), dont les résultats peuvent être résumés par la succession des schémas suivants:
30
Schéma 1: La fin des années 1950 : première tentative de coopération
Producteurs des
Landes
Prix-seuil par poulet pour sécuriser
les revenus
Mode de production programmé
et régulier
Volaillers
des
Schéma 2 : Entre les années 1960 et les années 1970
2 Volaillers
Prix seuil
Producteurs des
Garanties de production
Landes
Achats en fonction
Les autres volaillers
Schéma 3 : Le nouvel accord au milieu des années 1970
1.
2.
Producteurs des
Landes
3.
Caisse de « péréquation »
rempli par une hausse légère
du pris en période faste ;
Rationner l’offre de poulet
labellisé en période creuse ;
Vendre l’excédent en poulet
standard
Volaillers
des
31
Les relations transversales: vers l'émergence de l'IGP
Le cadre juridique offert par le texte de 1992 a été perçu comme une opportunité parce que, depuis
des années déjà, la filière s’auto-diagnostique et commence à initier des démarches auxquelles ce
cadre paraît s’ajuster. De ce point de vue, l’IGP pour les volailles des Landes complète, sans le
modifier, le cadre dans lequel le Label Rouge avait mis la filière depuis de longues années déjà.
La plupart des autres labels rouges se réfère à des cahiers des charges très proches les uns des autres
(bâtiments de 400 mètres carré…) mais en intégrant les volets « plein air » et « liberté », la volaille
fermière des Landes induit des surcoûts non négligeables. Il en résulte que ce cahier des charges est
dès le départ interrogé par les acteurs désireux d’alléger ces contraintes pour se conformer à un
« standard label » dont le « Landes » est presque le seul à s’écarter.
En termes de contenu, le cahier des charges pour les producteurs a établi une série de règles
concernant les points suivants : l'âge d'abattage minimum (81 jours), les souches, le nombre de
poulets au mètre carré, la taille des bâtiments, les aliments autorisés et les questions sanitaires.
Depuis l'obtention du Label rouge en 1965, ce cahier de charges n’a évolué que marginalement mais
pour chaque producteur, ces contraintes prennent toute leur importance car il arrive aujourd'hui que
jusqu’à 20% d’une production soit déclassée 7. Malgré cela, cet ensemble de règles est jugé "très
standard" et ne semble pas provoquer de controverses directes. Néanmoins, l’institutionnalisation
des pratiques qui concernent le « Landes » ont conduit les uns et les autres à préférer créer à côté du
Label, des filières distinctes qui, sans remettre explicitement en cause l’IGP, la rende contournable
pour les abatteurs locaux et en relativisent l’importance pour les aviculteurs.
En effet, si, directement, les aviculteurs ne contestent guère le cahier des charges du « Landes », en
revanche, le cahier de charges pour les abatteurs a provoqué plus de frictions. Ces dernières
7
Notons que sur ce point, les groupements de producteurs interviennent comme des appuis techniques et parfois financiers.
32
rejaillissent souvent sur la capacité de décision et d'intervention de la filière toute entière. En effet,
derrière les règles qui gouvernent "la présentation du produit", il existe des différences d'approche
du produit que les opérateurs eux-mêmes jugent considérables. Par ailleurs, au-delà du problème de
« gestion de la marque collective », les productions hors IGP gérées par les mêmes opérateurs ont un
statut ambigu. En effet, si, à travers ces pratiques de déclassement, ces pratiques peuvent participer
à la régulation collective de la mise en marché, elles peuvent également être un moyen employé par
les acteurs aval pour déroger aux accords sur les prix en faisant varier à la hausse les pourcentages
déclassés. Alors, les opérateurs peuvent tantôt prétendre que le marché du produit IGP ne peut
absorber les volumes disponibles tantôt arguer de défauts des produits livrés sur tel ou tel aspect du
cahier des charges.
Ainsi, au-delà des tarifs des poulets payés aux producteurs, la structuration de la mise en marché
implique, au sein de l’IGP, un effort collectif pour faire connaître et reconnaître le produit et ses
qualités auprès des consommateurs. De plus, cela permet de les amener à accepter d’acheter le
« Landes » à des tarifs situés au-dessus de la moyenne des prix des poulets Label Rouge. Le problème
est que cette promotion collective semble surtout profiter à ceux des opérateurs qui n’ont pas
l’intention ou les moyens d’assurer, pour leurs propres productions de Landes, les efforts de publicité
requis. Ces mêmes opérateurs tendent à « casser les prix » et à nuire ainsi au positionnement qu’ils
prétendent pourtant soutenir.
L’exemple de la volaille fermière des Landes exhibe ainsi « toutes les difficultés que recèle une
démarche collective lorsque subsiste entre les industriels impliqués une concurrence forte qui
déborde largement l’IGP » (Jullien et Smith, 2005). Elles sont d’autant plus difficilement
surmontables que les prix de vente aux distributeurs comme aux consommateurs ne sont – pour des
raisons légales autant qu’à cause de l’incapacité des abatteurs à s’entendre – pas maîtrisables. Il en
résulte que ceux des opérateurs qui s’identifient le plus à l’IGP et souhaitent pour cette raison la
positionner le mieux possible peuvent finir par penser que jouer leur marque est plus raisonnable
que de jouer l’IGP.
Les relations horizontales: une pression sur les prix qui favorise la concurrence
Défendu par l’acteur dominant de la filière, l’ensemble Maïsadour-Fermier Landais-Arrivé (FL), le
positionnement haut, ses conséquences en termes de prix et de maintien d’un cahier des charges
exigeant (synonyme de surcoûts non négligeables par rapport au « standard label ») ne paraît plus
tenable à au moins deux autres opérateurs de poids, Terrena et LDC. En effet, les challengers du
leader n’ont jamais pu positionner leur Landes aussi bien que FL qui parvenait à le faire avec sa
marque Saint-Sever. Dès lors, du point de vue des acheteurs comme dans leurs propres gammes, leur
Landes se présente davantage comme « un label parmi d’autres ».
33
Dans le contexte d’une réduction du marché, le Landes et son onéreux cahier des charges apparait
alors pour ces opérateurs comme un handicap. Plus exactement, s’ils reconnaissent volontiers
l’intérêt de disposer sur les marchés régionaux et au-delà d’un poulet jaune identifié comme
provenant d’Aquitaine, de Gascogne, d’Albret, du Gers ou du Sud-Ouest, il doute de l’intérêt qu’il y a
pour eux à s’arc-bouter sur une appellation Landes dont ils prétendent qu’après des années elle ne
fait toujours pas le poids face au leader, Loué. Il convient donc selon eux de « rentrer dans le rang »
et de se rapprocher du standard label et des stratégies commerciales qui vont avec. Il s’agit d’abord
d’offrir un produit régional dans la région sans se voiler la face ni sur la notoriété du produit au-delà
de la région ni sur les possibilités de la développer. Pour cela, comme la différenciation produit
n’existe pas sur ce marché, un label régional et/ou une IGP est développée sans espérer la
différencier réellement des autres. Une concurrence par les prix est alors implicitement acceptée.
Dans cette perspective stratégique, les surcoûts liés à un cahier des charges spécifique ne se
justifient plus car la valorisation de la « surqualité » ainsi générée n’apparait pas susceptible d’être
valorisée commercialement. De même, les coûts de la communication collective qui semblent
profiter davantage au leader qu’aux suivants paraissent excessifs.
L’alternative conçue par LDC entre autres semble consister à tenter de développer des marques
aptes à valoriser plusieurs produits labels ou plusieurs IGP. Ainsi, en même temps que, pour les IGP
« standard » des groupes comme LDC ou Terrena acceptent – et favorisent – une concurrence par les
prix, ils essaient de s’en prémunir en développant une marque ombrelle sous laquelle seront
proposés diverses IGP que le groupe a en portefeuille (Peyac chez LDC 8, Douce France pour
Gastronome-Terrena).
Résultats de la dynamique de coopétition au sein de la filière VFL
Les résultats de cette dynamique de coopétition, qui impose à la fois la coopération et la
concurrence entre les principaux acteurs de la filière, montrent que les relations tissées par la
construction de l'IGP poussent les opérateurs dans deux directions majeures. La première est celle de
la restructuration de la filière afin de marquer plus clairement les "territoires" de chacun. La seconde
est celle de l'émergence d'un nouveau "label", la volaille fermière du Sud-Ouest qui reflète la
dissidence de certains acteurs vis-à-vis de la démarche engagée.
8
« Peyac, nouvelle marque Sud-Ouest de LDC », Linéaires, 12 octobre 2010.
34
La restructuration de la filière en deux pôles
Schéma 1 : Le réseau "volaille fermière des Landes" au moment de l’obtention de l’IGP
Association pour la Défense et la Promotion
des Volailles Fermière des Landes
Arrivé
St. Sever
P
R
(
O
D
Maïsadour
DI
LDC
Aviso
ST
RI
Ronsard
U
T
G
R
A
N
D
E
Les Volailles
d’Albret
E
Terrena
Sovol
PauEuralis
Groupements de
producteurs
Production
Gastronom
e
Poulet Fermier du
Sud Ouest
Poulet du Gers
B
U
T
C
O
N
S
O
M
M
AT
E
U
RS
I
Les abatteurs
Transformation
Distribution
35
Une restructuration importante de la filière commence en 2009 avec l’achat d’Arrivé par LDC.
L’Autorité de la Concurrence oblige LDC à se séparer de son activité « Fermiers de Landes » 9. Cette
décision a déclenché une croissance externe importante chez Maïsadour qui a fusionné ses activités
"volaille" avec la coopérative des pays de la Loire, Terrena, en 2010. Maïsadour s'occupe de la filière
en amont et de l’activité en restauration, tandis que Terrena, à travers sa filiale Gastronome, se
concentre sur la commercialisation en grande distribution. La coopération est décrite comme
attractive pour les acteurs de la grande distribution à qui manquait une alternative à l’offre haut de
gamme de LDC avec la marque nationale, Loué :
« Les acheteurs de volaille en grande distribution vont voir arriver une nouvelle gamme riche de
propositions avec la filiale du géant de la coopération Terrena, Gastronome. Sa carte va cumuler la
marque Saint-Sever et de beaux labels, avec les volailles des Fermiers landais, les Volailles du Gers,
aux côtés des volailles des Fermiers d'Ancenis. De quoi concurrencer, sur ce segment du poulet à
valeur ajoutée, l'offre du leader français, LDC, avec ses poulets de Loué, de Challans ou de Janzé. Ce
renforcement de l'offre de Gastronome découle de la fusion des activités volaille dans le Sud-Ouest
entre Terrena (3,5 Mrds E de chiffre d'affaires consolidé) et Maisadour (1,1 Mrd E, notamment avec
Delpeyrat). » 10
La structure commune, les Fermiers du Sud-Ouest, rassemble les bassins de production des Landes
de Maïsadour et du Gers de Terrena, emploie 760 salariés, abat l'équivalent de 29 millions de
volailles dont 17 millions sous Label Rouge. L'objectif affiché est d'acquérir de la visibilité, de relancer
la marque Saint-Sever (Label Rouge et IGP) et d'augmenter son activité de 10% en trois ans 11 sur un
marché de plus en plus européen avec des distributeurs de plus en plus forts et qui manifeste une
percée des produits transformés qui bénéficie plutôt à LDC 12.
La marque phare du pôle Terrena-Maïsadour, Saint-Sever, bénéficie d’une bonne image de marque
qui lui permet de se positionner au même prix que le leader sur le marché, Loué. Cependant, elle n’a
qu’une distribution faible, avec moins de 50% de présence sur le territoire national. 13 Une grande
opération de communication est prévue pour soutenir les nouvelles ambitions de Saint-Sever en
2012. En février, une campagne télé avec des spots d'avant match du tournoi des VI nations associée
à une vague publicitaire en avril de près de 250 spots doit permettre de communiquer sur les valeurs
de la marque. En soutien, en avril, une opération Marchés du Sud-Ouest, déjà testée chez Auchan
doit se dérouler chez Casino: en collaboration avec la marque Delpeyrat, 110 magasins doivent être
habillé (totems, tête de gondole, fronton, et animations dans 60 points de vente). Dans le même
temps, Saint-Sever doit s'appuyer sur des produits de la gamme légumes du soleil de Cassegrain pour
9
Marie-Josée Cougard, 2009, « Les volailles de Loué contraintes de céder quelques plumes », Les Echos, 26
novembre.
10
Sylvain Aubril, 2010, « Terrena et Maïsadour unis dans la volaille », LSA, 15 avril.
11
Frank Niedercorn, 2010, "Maïsadour fusionne ses activités volaille avec Terrena", Les Echos, 9 avril.
12
"LCD annonce l'acquisition de son concurrent Arrivé", Agence France Presse, 27 mai 2009
13
Sylvain Aubril, 2010, « Terrena et Maïsadour unis dans la volaille », LSA, 15 avril.
36
dynamiser ses ventes et recruter des nouveaux consommateurs: un sticker sur les boîtes de
ratatouille offre un bon de réduction de 0,50 € à valoir sur un produit de découpe de poulet fermier
Saint-Sever 14.
Schéma 2 : Le réseau "volaille fermière des Landes" après restructuration
Association pour la Défense et la Promotion
des Volailles Fermière des Landes
Gastronome
Terrena
St. Sever
P
R
Aviso
O
Maïsadour
DI
D
Les
Volailles
PauEuralis
Groupements de
producteurs
Production
14
ST
RI
LDC
U
T
G
R
A
N
D
E
SEQUOIA
Label Rouge
Volaille Fermière du
Ronsard
Poulet de Gasgogne
B
U
T
C
O
N
S
O
M
M
AT
E
U
RS
I
Les abatteurs
Transformation
Distribution
Julie Delvallée, 2012, "Saint Sever s'offre un large plan de communication", LSA, 24 février
37
L’émergence d’un nouveau « label », la volaille fermière du Sud-ouest
En même temps que la restructuration était en cours entre Terrena et Maïsadour – elle-même en
réaction à la restructuration entreprise par LDC – un pôle alternatif se construisait dans la filière
autour d’un nouvel acteur, Sequoia, qui obtient le Label Rouge pour une appellation « volaille
fermière du Sud-Ouest ». Cet organisme fédère 18 abattoirs, 11 couvoirs, 20 usines d’aliments et 12
groupements de producteurs représentant 1.200 éleveurs sur une zone géographique qui regroupe
l’Aquitaine, le Midi-Pyrénées et les départements limitrophes à ces deux régions. 15
Le Label Rouge de la volaille fermière du Sud-Ouest a un cahier des charges moins contraignant que
celui de la volaille fermière des Landes, notamment en ce qui concerne la liberté des poulets. Ce qui
prête éventuellement à confusion dans l’esprit du consommateur (encadré 1).
15
« Le poulet s’invite…à l’apéro », Communiqué de Presse du 21 janvier 2008, SEQUOIA, Label Rouge et
http://lot-etChambre
d’Agriculture
de
Lot-et-Garonne,,
garonne.chambagri.fr/fileadmin/documents/docs/communication/communiques_de_presse/CP_SEQUOIA_SIFE
L_21_02_08.pdf consulté le 12janvier 2012.
38
Encadré 1 : Publicité de la marque Ronsard
Cette publicité, apparue dans un
magazine spécialisé pour la distribution,
en juillet/aout 2011, fait apparaître la
difficulté de maîtriser les enjeux du
positionnement des labels avec
dénomination géographique.
Deux poulets sont présentés côte à côté,
les deux avec le label de qualité, Label
Rouge. Celui sur la gauche possède
également l’Indication Géographique
Protégée «volaille fermière des Landes »
mais celui sur la droite fait valoir une
dénomination « volailles fermières du
Sud-Ouest », sans mention d’une IGP.
Avec un niveau de qualité comparable par
l’attribution du Label Rouge et une zone
géographique d’élevage et de
transformation qui se recoupe, quelle
différentiation le consommateur est-il
sensé voir entre ces deux produits, fourni
par la même entreprise d’ailleurs ?
Le spécialiste de la communication qui
soulève ce paradoxe rappelle qu’un Label
Rouge accompagné d’une dénomination
géographique est obligé d’entamer une
procédure de demande d’IGP. Il conclut
qu’ « il y un moment où il faut que
quelqu’un décide ! Voilà qui devrait pas
laisser indifférent à la fois les Fraudes,
l’INAO et le Synalaf ».
Source : Dominique Chaillouet, « Volailles fermières du Sud-Ouest cherchent IGP désespérément », 10
juillet 2011, http://www.socopag.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=1124:volaillesdu-sud-ouest-cherche-igp&catid=17:origines-et-qualites&Itemid=38, ** 12 janvier 2012
39
CONCLUSION
L’analyse des relations entre les acteurs de la filière volaille fermière des Landes montrent des
mouvements stratégiques qui oscillent entre coopération et concurrence. Les relations verticales
amont mettent en évidence que la coopération est nécessaire pour la survie des producteurs et le
bon fonctionnement de la filière. Toutefois, ces relations ne se font pas sans heurts dans la mesure
où les enjeux sont importants en termes de régulation des niveaux de production et de prix et
aboutissent à un fort niveau d’interdépendance entre les acteurs. Les relations transversales qui
prennent en compte cette interdépendance ont poussé les acteurs à aller plus loin dans la démarche
et à tenter de se protéger collectivement des menaces extérieures pour leur territoire en valorisant
leur production à travers la mise en œuvre du processus d’appellation IGP. Néanmoins, les acteurs de
la filière se sentent plus ou moins concernés par la démarche et la concurrence cohabite avec la
coopération. Les relations horizontales entre concurrents montrent que la pression du marché, en
particulier sur les prix, pousse chaque acteur à se positionner d’un point de vue concurrentiel.
Ces tensions entre coopération et concurrence ont amené la filière à se restructurer en deux pôles
dans lesquelles les acteurs, par concentration, cherchent à développer leurs avantages concurrentiels
respectifs. Dans ce contexte, deux organisations majeures semblent s’affronter dont l’une continue
de plaider en faveur de l’IGP existante et l’autre tente de s’en éloigner en proposant une nouvelle
appellation au cahier des charges moins contraignant.
La spécificité d’une telle filière réside dans le fait qu’une démarche IGP impose une coopération que
l’interprofession essaye de pérenniser dans le temps. Cette coopération nécessaire dans l'avènement
et le maintien de l'IGP au sein de la filière volaille fermière des Landes créent des tensions dans la
mesure où les acteurs coopérant sont aussi en compétition. Ainsi, la coopétition sous-tend les
stratégies des acteurs de la filière.
Les stratégies de coopétition sont considérées comme instables par nature. A tout moment une
relation de coopétition peut être interrompue par un partenaire-adversaire, soit parce qu'il renonce
à la compétition en ne présentant plus de gamme de produits comparable, soit parce qu'il renonce à
la coopération (Dagnino et al., 2007). L'instabilité des relations dans la filière volaille fermière des
Landes est patente compte tenu des enjeux que représente l'IGP et on peut légitimement se
demander si les relations développées dans ce contexte rendent cette situation viable à long terme
et quel est leur impact sur les dynamiques d’innovation de la filière.
Le cas de la volaille du sud-ouest de la France nous montre que le phénomène de « soft innovation »
est présent à côté d’une prégnance de la tradition au sein des filières agro-alimentaire de qualité. La
protection légale de l’IGP, obtenu pour le cahier des charges, est moins importante que la dynamique
40
de coopération qu’elle suscite parmi les acteurs qui y adhérent. Cette dynamique réagit à une autre
dynamique concurrentielle, menée par un acteur, LDC, dont l’activité principale est originaire d’une
autre région. Cet acteur se joint à d’autres qui ne se sentent pas concernés par les traditions de
l’autre groupe ancrées dans les Landes et une nouvelle dynamique se trouve entamée, qui
commence sa propre histoire. Ainsi sont mêlées des activités coopératives et concurrentielles où la
dynamique d’innovation – ‘douce’ peut-être mais permanente – s’adapte en fonction des traditions
passées des acteurs clés. Les luttes ainsi engagées entre les différents acteurs en coopération et en
compétition dans la filière des volailles fermières des Landes, nous amène à nous demander si les
volailles ne risquent pas de ne plus être en liberté totale dans les Landes…
41
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Engineering Working Document, Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome
44
L’APPORT DES NEUROSCIENCES AU
COURANT ÉVOLUTIONNISTE DANS LE
CADRE D’ENTREPRISE À FORT SAVOIRFAIRE
André CIPRIANI
LIPSOR (CNAM Paris)
[email protected], 10 Bd Barbe 13008 Marseille,
Tél personnel : 0632 826 395
Résumé
La gestion des ressources actionnables d’entreprises intenses en savoir-faire demande une attention
particulière, suggérant de nouveaux outils d’analyse. L’environnement économique se complexifie de
plus en plus, impacte la réactivité, les spécificités de ces entreprises et remet en cause autant leurs
ressources que leurs savoir-faire. Au sein même du courant évolutionniste je tenterai d’apporter un
nouvel éclairage aux sciences de gestion avec l’utilisation d’un outil développé par les neurosciences.
J’aborderai non pas les pratiques innovantes développées, ou en phase de l’être, mais la façon
d’aborder différemment l’organisation, sa stratégie et son mode de compréhension. Mieux connaître
le fonctionnement d’une organisation pour la mettre en adéquation avec son milieu est l’enjeu de ce
document.
Abstract
Resource management in intense actionable business know-how requires attention and suggesting
new analytical tools. Economic environment is increasingly complex, impacts the reactivity, the
specificity of these businesses and their challenges as many resources as their expertise. Within the
evolutionary stream i will try to shed new light in management science with developed tool by
neuroscience. I will discuss rather than the innovative developed practices, or in phase of being, but
how to approach different way of the organization, its strategy and understanding. The stake of this
paper is understood organizational functioning to put in adequacy with their environment.
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INTRODUCTION
En mars 2000, la Communauté Européenne donne un élan aux politiques communautaires par la
mise en place d’actions stratégiques de développement économique, poussant les entreprises dans
la voie de l’innovation et de la connaissance (stratégie prolongée jusqu’en 2020). L’objectif est de
mettre en place « une société et une économie fondées sur la connaissance, au moyen de politiques
répondant mieux aux besoins de la société de l’information et de la R&D, ainsi que par l’accélération
des réformes structurelles pour renforcer la compétitivité et l’innovation et par l'achèvement du
marché intérieur » (C.E.E. 2000). Depuis, nombre d’actions et de travaux sur l’innovation de produit,
de service et maintenant d’organisation enrichissent le domaine des sciences de gestion. Proposer
des pistes d’études se situant à la jonction des domaines de l’innovation et des connaissances,
semble toujours prometteur et intègre le cadre de la politique européenne. Compétence et créativité
forment les domaines porteurs pour les entreprises, souvent gage d’avantage concurrentiel, de
marge ou de conquête de marché, mis en avant par la majorité des acteurs publics. Faisant cela,
l’Europe souhaite créer un environnement favorable aux acteurs économiques des pays membres
par le biais d’actions et de facilités. C’est sous l’angle des rapports entre les organisations et leur
environnement que cette communication sera basée.
Les savoir-faire sont souvent associés aux compétences possédées ou actionnables et la créativité est
abordée en entreprise dans une finalité de produit ou de service permettant un avantage
économique : l’innovation. Les processus et le management de l’innovation intègrent une nécessaire
confrontation des connaissances acquises et mises en œuvre dans l’entreprise, des routines et des
ressources actionnables à l’environnement externe, afin d’adapter ses actions et choisir une position
stratégique volontariste ou déterministe. Ces courants orientent les typologies d’innovations mises
en œuvre par l’entreprise comme axe(s) stratégique(s) pour prospérer et croitre. Ces principes étant
posés, quels pourraient être les processus, pratiques et variables endogènes nécessaires au
renforcement d’une dynamique d’acquisition de connaissances distinctives et de confrontations
productives ? En d’autres termes, comment identifier et gérer les ressources actionnables de
l’entreprise dans une optique de gestion et d’accroissement des connaissances d’une façon nouvelle,
voire innovante ?
Plusieurs courants traitent de l’acquisition de connaissances et de l’innovation en science de gestion
(Nonaka & Takeuchi 1997; Noailles 2008). S’agissant d’aborder la problématique d’élargissement ou
de renforcement du savoir-faire, pas seulement du savoir, il convient de s’attacher non pas à
l’acquisition de connaissances mais aux conditions, situations, caractéristiques, qui permettent de les
renforcer, les gérer et les confronter aux stimuli environnementaux dans une optique de
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capitalisation. Le Theule & Fronda (2003), nous alertaient sur cette difficulté d’alimentation des
savoir-faire par cette confrontation permanente entre d’une part la rationalisation des acquis et des
savoir-faire, et d’autre part la remise en cause de ces derniers pour créer et ouvrir de nouveaux
horizons économiques, créant de nouveaux savoirs et savoir-faire. Cet enjeu d’adaptation
permanente des organisations induit une cinématique déstabilisante car un grand nombre d’entre
elles peuvent ne pas résister à un changement d’environnement, de règles du jeu, de normes ou de
lois et sont au mieux rattrapées par la concurrence au pire en état de survie économique. Cette
tension interne permanente et cette recherche de réactivité et d’adaptation, de la part de ce type
d’entreprise fait l’objet de nombreux travaux scientifiques et, dans une approche
comportementaliste, peut être rattachée autant aux théories de l’évolution des organisations
(Penrose 1952; Nelson & Winter 1982; Dosi & Nelson 1994), de la conception (Hatchuel & Weil 1999;
Lerch & Schenk 2009) qu’aux approches traitant l’ambidextrie (O’reilly & Al. 2004 ; Hess & Al. 2008),
la créativité (Amabile 1988 & suivant; Woodman & Al. 1993; Ford 1996; Rickards & Moger 2006) ou
l’improvisation (Moorman & Miner 1997; Crossan 1998). Tout au long de cette communication
j’approcherai l’entreprise sous l’angle des TPE, et aborderai les différents courants de pensée cités
précédemment en les renforçant par les dernières avancées des neurosciences qui nous ont permis
de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain, notamment dans une dynamique
reliant les connaissances acquises et la rapidité d’actions. M’inscrivant au sein du courant
évolutionniste dans lequel l’organisation s’apparente à un organisme vivant, réagissant à des stimuli
externes, je tenterai de relier le domaine des sciences de gestion à celui de la médecine et des
sciences du comportement. Mais auparavant, peut-on éclairer la dynamique entre savoir-faire,
« routines », processus maitrisés et réactivité, improvisation, créativité, avec les dernières avancées
de neurosciences afin d’enrichir le débat sur les connaissances en management des organisations ?
Le cycle de l’apprentissage a été abordé dans certaines études sur l’innovation et l’apprentissage
(Freel 1998) mais peu au sein d’une approche comportementaliste. L’utilisation des neurosciences
permettra d’alimenter le débat en apportant un nouvel éclairage sur le comportement des
organisations et leur mode de fonctionnement.
L’évolution des organisations et leurs savoir-faire
La typologie et les modalités de changement imposées par les environnements (économie, société,
environnement, législation, normes) aux entreprises impliquent soit une stratégie volontariste axée
sur l’anticipation et l’adaptation aux changements, soit une stratégie déterministe axée sur une forte
réactivité dans son mode de fonctionnement, d’organisation, et dans la gestion de ses ressources.
Ces deux courants d’analyse mettent en œuvre soit la facilité d’articulation des ressources
actionnables soit la capacité à faire face aux situations perçues comme maitrisables, mais s’appuient
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l’un comme l’autre sur les savoir-faire endogènes. Au sein du courant évolutionniste, la gestion des
savoir-faire se traduit par trois phases principales :
-
L’alimentation des savoirs (tangible, intangible) internes,
-
L’adaptation aux stimuli externes,
-
La convergence des entreprises dans un objectif de développement et de croissance ou de
protection et de survie.
Pour que les organisations intenses en savoir-faire se développent et croissent, elles doivent être en
mesure de mettre à jour et enrichir leurs connaissances techniques, technologiques, et managériales,
de s’adapter aux besoins et à la volatilité des marchés tout en mutualisant certaines ressources avec
d’autres organisations dans un but de développement ou de survie. Dans le cadre des politiques
publiques (Hayter & Sheng Han 1995 ; Kebir 2006) le développement et la survie des savoir-faire fait
partie d’action programmées pour certains domaines d’activités prioritaires, dans une recherche de
forte valeur-ajoutée. Le partage de compétences détenues par les entreprises de ce type, au sein de
structures communes (pôles de compétitivité, clusters), permet la sauvegarde des savoirs et savoirfaire. Ces lieux sont propices aux échanges, à la mutualisation des ressources, favorisent le transfert,
l’appropriation voire l’augmentation des connaissances et représentent des environnements
protégés. L’intérêt de ces structures communautaires se trouve autant dans la mutualisation des
savoir-faire que dans la perception partagée d’environnements économique, technologique et social,
permettant de répondre au mieux aux intérêts individuels et collectifs. Dans le courant
évolutionniste, le cycle de vie est prédominant pour toute organisation. Croisés avec les métaphores
du cycle de vie biologique, de Greiner (1972) ou de Masuch (1985) (Figure 1), les phases de gestion
des savoir-faire présentées ci-avant sont à relier avec les différentes phases d’évolution de
l’organisation proposées par ces auteurs. Même si un modèle universel ne peut être adopté sans être
remis en cause à juste titre par quelques auteurs (Kazanjian & Drazin 1990 ; Godener 1994) cela
n’empêche pas l’utilisation de modèles au sein de ce courant scientifique. « Il n'y a pas un modèle de
croissance universel mais plusieurs modèles de croissance adaptés à des situations particulières »
(Godener 1994). Les savoir-faire, fonction des ressources, de la perception de son environnement et
de ses capacités de réactions est donc inhérent à une organisation. Chaque stade de son évolution,
dû à un changement de ses besoins internes, de ses ressources et de ses capacités à faire face aux
changements environnementaux ou organisationnels, entraine des adaptations voire des ruptures de
production ou de service. Les anticiper renforce la capacité de l’organisation à croitre, se développer,
s’adapter ou conquérir des marchés le ou les savoir-faire ne peuvent se restreindre à un produit ou
service mais doivent être appréhendé au sein du domaine d’activité de l’entreprise afin d’être
pérennisé. Indirectement et de façon dynamique, percevoir une diminution de ses savoir-faire de la
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part de ses clients, prospects ou partenaires est un indicateur de l’inadéquation
ressources/capacités/environnement. Les 3 phases de gestion du savoir-faire, au sein du courant
évolutionniste peuvent s’apparenter aux phases du cycle de vie correspondant aux premières années
de vie pendant lesquelles on emmagasine le savoir et commence à le confronter à l’environnement,
puis à celles du développement par adaptation, avant d’assurer dans la dernière phase la continuité
de la population par convergence. Chaque phase étant définie autant par la spécificité de son objet
que par la mise en place de routines organisationnelles permettant d’optimiser l’organisation, dans
une perspective de cohérence interne ou dans une recherche de symbiose avec l’environnement
dans laquelle elle évolue. Dans ce courant évolutionniste, l’organisation est adaptée à son
environnement et peut développer des savoir-faire, des routines, pour se reproduire, croitre et
gagner des parts de marché. Tout changement environnemental implique donc un décalage et une
adaptation nécessaire à sa survie.
Figure 1 : Modèle de Masuch
Routines, modes de fonctionnement et apprentissage
Comme le souligne Godener (1994), la perception de l’environnement, que l’on soit volontariste ou
déterministe, conditionne le comportement et la structure de l’organisation par adaptation. Dans un
objectif de développement et de pérennisation celle-ci met en place des routines organisationnelles
ayant pour vocation d’optimiser à son profit les liens entre structure et environnement. Toute
maitrise de savoir-faire s’appuie sur ces routines internes qui assurent le contrôle, la maitrise de
l’organisation, de ses ressources tangibles et intangibles. Pour Costello (1996), ces routines « sont
acquises par l’organisation de la même façon que les compétences le sont par les hommes ». Elles
sont donc inhérentes et indissociables à l’organisation, pouvant même la caractériser. Si, dans le
savoir-faire individuel, il existe une adaptation des compétences et connaissances aux situations
rencontrées, la proposition de Costello (1996) suggère qu’il existe au sein de l’organisation des
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tolérances ou marges de liberté permettant cette adaptation. Quelles se retrouvent au sein même
des routines, ou en dehors, il convient que ces espaces « libres », échappant au processus
organisationnels, puissent être conscient, analysable, afin de capitaliser sur leurs effets et mettre à
jour les procédés. Ces marges de liberté se retrouve autant dans certains travaux d’Amabile
(1997,1998) sur la créativité, de par la nécessité du concept, que dans ceux de Miner & Al. (1998),
Kamoche & Al. (2003) sur l’improvisation ou de O’Reilly & Al. (2004), Hess & Al. (2008) sur
l’ambidextrie. Néanmoins, comme le suggère Le Theule & Fronda (2003) il existe une dualité
conflictuelle permanente mais indissociable entre la créativité et ses caractéristiques, source forte de
remise en cause des routines, et la rationalisation, œuvrant plutôt à les renforcer. Lors des périodes
de transition ou de crise contenues dans le modèle de Masuch (1985) (Figure 1), ou dans celui de
Greiner (1972), le changement des modes de fonctionnement, l’apport de nouvelles connaissances,
implique la remise en cause des routines existantes sources de conflits et de tensions. Comme
l’indiquent Le Theule & Fronda (2003) la création de nouvelles routines s’appuie sur des règles
d’action, formalisation et mémorisation des connaissances, phases spécifiques de l’apprentissage qui
devient une des caractéristiques principales d’entreprises capables de s’adapter à tout changement
environnemental en anticipant les crises et périodes de transition inhérentes à celui-ci. Les savoirfaire, somme de routines différenciatrices, se doivent d’intégrer autant l’anticipation de périodes
troublantes et déstabilisatrices que l’apprentissage endogène et structurant. Freel (1998) dans ses
travaux sur les PME innovantes utilisant les nouvelles technologies, et donc fortes en compétences
différenciatrices, met en avant le besoin d’apprentissage permanent de ces organisations, leur
permettant de croitre, source de compétitivité. Des routines flexibles, un avantage compétitif dû aux
ressources actionnables, des capacités à la réactivité et une propension à l’apprentissage sont les
caractéristiques d’organisations fortes en savoir-faire. Les routines sont indissociables d’une
organisation, tant dans les phases de croissance, que dans celles de maintenance. Certaines sont
spécifiques à un ou quelques domaines, d’autres servent à les relier. Les neurosciences et leurs
derniers apports, en relation avec la métaphore du cerveau de Morgan (1999), permettraient-elles
d’éclairer le débat sur les spécificités des routines organisationnelles en sciences de gestion ? Cette
proposition sera abordée en fin de communication.
Neurosciences et entreprise
Les environnements économiques, technologiques et sociaux des TPE, induisent de plus en plus des
batailles concurrentielles intenses, des adaptations permanentes aux changements, aux contraintes
écologiques, conduisant ou renforçant en interne un état de stress. Les phases d’alimentation des
savoirs, d’adaptation aux stimuli et celles spécifiques de recherche de partenaire, doivent prendre en
compte la variable du stress comme modératrice, agissant autant sur la perception de
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l’environnement que sur les ressources actionnables et la capacité à faire face aux stimuli exogènes.
Au sein du courant évolutionniste, l’entreprise est vue comme un organisme capable de réflexions,
menant des actions cohérentes fonction de ses connaissances au sein d’un territoire délimité et
connu. Adoptant une posture comportementaliste et nous appuyant sur l’image de l’organisation
vue comme un cerveau de Morgan (1999), nous utiliserons une démarche propre aux neurosciences
pour alimenter le débat sur la théorie évolutionniste.
L’épistémologie en médecine s’est renforcée grâce aux nombreux travaux dans le domaine des
neurosciences. Ceux de Fradin & Al. (2008) paraissent intéressant dans notre tentative de jonction
avec les sciences de gestion. Ces auteurs proposent une grille, composée de 12 critères, permettant
de localiser les zones du cerveau utilisées dans un environnement stressant afin de s’adapter au
changement et appréhender la complexité de son environnement (Figure 2). Dans le cas où ce
dernier est perçu par l’organisme comme simple et connu, celui-ci utilise plutôt la zone du cerveau
correspondant au mode mental automatique (MMA), faisant appel à ses connaissances, son savoirfaire, ses automatismes, tandis que dans le cas où il le voit plus complexe, inconnu, et où il ne peut
faire de lien avec son expérience, il fait plutôt appel au mode mental adaptatif préfrontal (MMAP),
situé dans une autre zone du cerveau, siège de l’inventivité, de la créativité et de l’improvisation. Les
neurosciences mettent en évidence non seulement le fonctionnement des zones définies mais aussi
les liens entre celles-ci et permettent d’enrichir nos connaissances sur le fonctionnement du cerveau.
Indépendamment du stade d’évolution, si nous percevons l’environnement comme étant connu et si
nous sommes en capacité à trouver dans nos connaissances une solution permettant de faire face
aux stimuli, nous faisons fonctionner le mode mental automatique, source de perfectionnement, de
spécialisation et siège de nos routines. Si nous percevons l’environnement comme complexe ou
inconnu, nous ne possédons pas de solution reproductible, et faisons plus appel au MMAP afin de
conduire à des actions de créativité et d’improvisation, mémorisant à court terme le résultat obtenu.
Si, par contre, nous simplifions ce même type d’environnement, consciemment ou pas, nous
utiliserons le MMA qui ne pouvant apporter de réponse adaptée conduira à un état de stress
important. Ce dernier pourra, d’une part, influencer le mode mental préfrontal dans sa fonction de
nouvelles réponses et, d’autre part, remettre en question notre mémorisation et nos champs
d’expériences. Les routines individuelles se trouvant influençables et influencées par le degré de
stress conditionné à notre perception de l’environnement. L’outil de Fradin & Al. (2008), issu des
neurosciences, peut aussi induire que si nous faisons appel majoritairement et quotidiennement au
MMAP, nous aurons plus de facilité à développer et progresser dans un environnement créatif. De
même, si nous faisons plutôt appel au MMA, nous recherchons plus facilement la spécialisation dans
un environnement maitrisé, loin des approximations et libertés. Ceci afin d’être capable d’une part
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de mettre en avant ses capacités à utiliser son environnement et d’autre part renforcer ses savoirfaire. Cette dualité est renforcée par les résultats du rapport du Global Entrepreneurship Monitor de
2010 dans lequel deux types d’entrepreneurs apparaissent : ceux créant une entreprise par
opportunités, saisissant les champs du possible et se lançant dans des activités non maitrisées mais
perçues comme potentiellement porteuses, et ceux par nécessité, s’appuyant sur les compétences
possédées pour créer une société.
Rapportée au cas des entreprises fortes en savoir-faire, la grille de critères (Figure 2) proposée par
Fradin & Al. (2008) permettrait de mieux comprendre les besoins précurseurs des phases
d’alimentation des savoirs, d’adaptation aux stimuli et de recherche de ressources externes. Elle
permettrait d’identifier et déterminer certaines caractéristiques endogènes facilitant toute
optimisation organique permettant de faire face aux aléas, fonction de l’environnement propre au
domaine d’activité de l’entreprise et fonction de son stade d’évolution. Une pré-enquête portant sur
un panel de TPE régionales en informatiques, s’identifiant comme innovantes, et donc à fort savoirfaire différenciateur, a été menée (Cipriani 2010) avec cet outil de lecture. L’objet de cette étude
portait sur la créativité organisationnelle au sein de cluster et des TPE régionales, mais aussi sur une
façon d’aborder différemment ce champ, en utilisant des outils issus d’autres domaines
scientifiques : cette grille de lecture dans ce cadre-là. Une première analyse des résultats obtenus
suggère quelques voies de recherche prometteuses (Figure 3) mais aussi engage à poursuivre dans
cette voie, non pas tant dans l’analyse de la créativité organisationnelle mais sur la possibilité de
l’outil dans un cadre comportementaliste. Portant sur la perception de la part du responsable de la
TPE d’un succès et d’un échec, le résultat de la pré-enquête relie le succès rencontré par l‘entreprise
aux phases amont et aval du projet, indiquant d’une part que le savoir n’est pas précurseur au succès
et d’autre part que les phases pré et post projet sont plus clairement associées au résultat. Les
responsables associent plus facilement les critères du mode mental préfrontal en cas de succès de
leur entreprise, autant lors de la phase de prise d’informations que dans celle de l’exploitation et
adaptation en interne.
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MMA
MMP
MMA
MMP
Adaptation du
résultat
Trt de
l’information
Prise d’informations
Figure 2 : Grille d’analyse de Fradin
ECHEC
SUCCES
Figure 3 : Synthèse de cas
Pistes de recherche et propositions innovantes
Parmi les voies ouvertes par l’évolution et les neurosciences, deux options innovantes dans la gestion
des entreprises peuvent être menées : celle abordant le comportement des organisations, et celle
plus axée sur les stades d’évolution.
Comme l’a proposé Morgan (1999) l’utilisation de métaphores pour représenter l’entreprise permet
d’apporter un nouvel éclairage au débat et permet d’aborder celle-ci avec les dernières
connaissances de la médecine. Apparenté à un organisme vivant, ou tout au moins à une partie de ce
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dernier, l’entreprise peut être mise en perspective, sous certaines conditions, avec certains outils
récents des neurosciences, tel celui proposé par Fradin & Al (2008). La tentative de cette mise en
exercice, lors de la pré-enquête de Cipriani (2010), présente un résultat exploitable source
d’éclairage et de travaux de recherche sur l’utilisation de ce type d’outil dans une approche
évolutionniste. Avec l’apport de ce type de connaissance un nouvel éclairage des travaux sur la
créativité (Amabile 1988 & suivant; Woodman & Al. 1993; Ford 1996; Rickards & Moger 2006),
l’ambidextrie (O’reilly & Al. 2004 ; Hess & Al. 2008) ou l’improvisation (Moorman & Miner 1997;
Crossan 1998) présenterait un intérêt scientifique et pourrait appuyer la position de Costello (1996)
sur l’appropriation et l’évolution des routines en regard du mode de fonctionnement organisationnel
prédominant. Dans le cadre de cette communication, utiliser l’outil de Fradin & Al. (2008) auprès
d’organisations fortes en savoir-faire, complété avec une étude sur leurs environnements,
permettrait de relier positionnement stratégique et mode de fonctionnement. La volonté ou la
détermination du responsable à adopter telle ou telle stratégie ou à s’orienter vers tel ou tel marché
devra être en cohérence avec la typologie fonctionnelle majeure de l’entreprise, identifiée par
l’utilisation de ce type de grille (Figure 2). Il ne peut être envisagé de s’orienter vers un marché
fortement innovant et à forte teneur en compétences si l’organisation présente des critères
fortement reliés à l’un ou à l’autre des modes mentaux (MMAP ou MMA). Il conviendra au préalable
de mettre en place des espaces permettant de développer l’accroissement des compétences tout en
laissant le champ à des moments de créativité et d’improvisation. Ces espaces œuvrant à la mise à
jour ou la création de routine(s). Ce type d’outils émanant des neurosciences peut aussi éclairer et
renforcer le courant d’étude des organisations ambidextre. En effet, confrontées à la difficulté de
mener de front l’exploitation et l’exploration, ces organisations entrent dans une dynamique de
fonctionnement ressemblant fortement à celle liant les deux modes mentaux : MMAP et MMA.
L’apport des connaissances à ce courant de pensée nous permettra de mieux aborder ce type de
fonctionnement des organisations voulant explorer et exploiter. Cette première option met en avant,
non pas les ressources possédées ni les capacités d’appropriation ou d’absorption, mais la
prédominance fonctionnelle de l’organisation. Suivant celle-ci, l’entreprise serait à même de se
positionner sur tel ou tel marché, dans un environnement fortement ou peu concurrentiel, ou
s’orienter sur tel ou tel type de produit, augmentant ses possibilités de réussite d’un nécessaire
changement endogène.
L’innovation dans la gestion des entreprises peut se mener aussi par analogie comportementale,
suivant le stade d’évolution de celles-ci et des actions territoriales des pouvoirs publics
perturbatrices pour l’organisation. L’analyse systémique issue des études scientifiques en biologie
s’appuie sur des environnements figés, évoluant nettement moins vite que les organismes observés.
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S’agissant d’étudier les organisations dont l’objectif économique est de se développer et croître,
générant des bénéfices et sans limite de temps, cette variable environnementale devient majeure,
conditionnant autant son comportement que son cycle de vie et ses changements structurels. Nous
avons vu que la structure adoptée par tout organisme est fonction de son environnement et que
celui-ci doit s’adapter en rapport à chaque cycle de vie ou modifications exogènes. Il convient
maintenant d’avoir une démarche critique sur la durée du cycle de vie d’une organisation car les
politiques publiques, dans une bataille concurrentielle forte, mettent en œuvre des actions pour
pérenniser les entreprises avec des actions économiques, législatives ou de convergence et de
support. Cette pression supplémentaire des pouvoirs publics n’est pas sans incidence sur les
compétences, les savoir-faire endogènes, et sous-tend un degré d’externalisation et mutualisation
des ressources clés. La dernière phase du cycle de vie, celle du déclin n’est plus guère envisageable si
elle met fin aux avantages techniques, technologiques et aux ressources clés identifiées au sein du
territoire. Comme l’a très bien perçue Warnier (2002) dans ses études sur l’industrie de la dentelle,
les ressources clés peuvent être externalisées dans un objectif territorial commun et partagé, que ce
soit intégralement ou de manière fractionnée. Dans une optique de savoir-faire, il ne convient pas
seulement de protéger la totalité de ses ressources clés, la rapidité des changements
environnementaux ne permet plus de le faire, mais il convient maintenant de mutualiser les
ressources au sein d’un environnement protégé de façon à assurer leur pérennité. Comme pour la
survie des espèces, les connaissances sont partagées et transmis aux individus en fonction de leur
stade d’évolution, lesquels les confrontent aux aléas environnementaux et peuvent enrichir cette
base de connaissances. Dans une approche organisationnelle, plus les entreprises détiennent un
savoir-faire majeur, plus les politiques se doivent de favoriser les regroupements afin de renforcer le
territoire. Comme le montre les regroupements de producteurs d’appellation contrôlée, la
mutualisation d’actions renforce l’impact commercial, assure une partie de leur développement et
présente des retombées économique territoriales. L’innovation, du point de vue du client ou du
producteur, remet en cause les acquis, la façon de voir les choses et de les présenter ainsi que la
façon de faire. Elle raccourci les cycles de vie des produits ou des services et par la même des
organisations productrices. Dans l’industrie du luxe, le savoir-faire français est reconnu
mondialement et constitue une valeur ajoutée majeure de ces industries mais il ne subsiste que par
corrélation forte aux domaines de l’élégance, du savoir-vivre, du style de vie « à la française »,
industrie qui bas son développement sur la capacité à capter un type de clientèle et entretenir sa
fidélité.
Dans une optique publique territoriale, le regroupement et la sauvegarde des savoir-faire constituent
un axe transversal majeur. Non seulement il concerne l’ensemble des activités humaines, qu’elles
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soient à vocations économiques ou non, mais positionne un territoire en termes d’attractivité.
Quelques soit les politiques préconisées (Dumas 2009) elles doivent veiller non seulement à
l’alimentation des savoirs multiples d’entreprises phares, à la mise en avant de ces dernières, mais
aussi connaitre les capacités et mode de fonctionnement des organisations sélectionnées. Dans cette
optique, l’utilisation d’outils conçus au sein d’autres domaines scientifique pourrait apporter un
éclairage complémentaire aux outils classiques du management. L’utilisation de la métaphore du
cerveau de Morgan (1999) et de la grille de Fradin & AL. (2008), est particulièrement intéressant pour
des jeunes entreprises ou celles évoluant dans des environnements turbulents. L’éclairage apporté
permettrait de mieux cerner la perception de l’environnement et la façon dont l’entreprise réagit.
Des actions groupées, publiques ou privées, au sein d’entreprises sur la perception de
l’environnement constitue un champ potentiel d’intervention pour les pouvoirs publics. Les routines
liées à ces actions peuvent être gérées en interne dans chaque entreprise ou être mutualisées dans
d’autres cas. D’un point de vue organisationnel, l’innovation est source de développement mais
remet en cause la perception même des compétences acquises vis-à-vis des marchés. Connaître le
mode de fonctionnement de l’entreprise, en utilisant des outils hors les sciences de gestion,
notamment ceux des neurosciences, permettra de facilité un positionnement stratégique. Le mode
de fonctionnement d’un individu n’est pas explicite mais plutôt tacite voir intuitif et toujours fonction
de son environnement direct. L’angle du courant évolutionniste permet d’appliquer ce point de vue
aux organisations et d’ouvrir le champ des domaines scientifique tel celui de la médecine.
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58
LA CONSTRUCTION DES
COMPÉTENCES COLLECTIVES DANS UN
MODÈLE D’OPEN INNOVATION : DE LA
LOGIQUE DU « POTIER » À CELLE DE
L’INGÉNIEUR
Véronique ATTIAS-DELATTRE
Maître de Conférences
Université Paris-Est, IRG
Institut de recherche en gestion
5 Bd Descartes
Cité Descartes
Champs-sur-Marne
77454 Marne-La-Vallée
Tél : 00 33 – (0)6 81 23 44 86
email : [email protected]
Liliana MITKOVA
Maître de Conférences - HDR
Université Paris Est, IRG
Institut de recherche en gestion
5 Bd Descartes
Cité Descartes
Champs-sur-Marne
77454 Marne-La-Vallée
Tél : 00 33 (0)6 85 66 78 31
email : [email protected]
Résumé
La communication proposée vise à montrer comment la construction des compétences collectives
contribue à maintenir avec succès un modèle de Open Innovation. Les travaux de recherche sur
l’Open innovation montrent que l’accélération de l’innovation interne repose sur l’utilisation de
connaissances issues de sources internes et/ou externes (CHESBROUGH, 2003, 2006). Le modèle
d’innovation ouverte est liée à une approche globale du management analysée sous différentes
facettes : enjeux technologiques, ressources humaines, création de valeur, analyse de marché,…
(SARITAS and AYLEN J., 2010; HERZOG and LEKER, 2010; VRANDE et al., 2010). Si ces travaux de
recherche nous ont permis de mieux comprendre ce modèle il nous manque aujourd’hui un élément
clé : la construction des compétences collectives comme levier d’action afin d’accompagner dans la
durée la mise en oeuvre du modèle d’Open innovation.
L’objectif de notre présentation est d’ouvrir la boîte noire de ce champ de recherche en répondant
aux questions suivantes :
- MINTZBERG (1981) a caractérisé l’ajustement mutuel comme modalité de coordination des
activités traditionnelles (cf : Mme Raku, potier de son état). En nous appuyant sur cette
analyse quels sont les mécanismes de coordination et de coopération qui favorisent la
construction des compétences collectives afin de gérer avec succès le modèle de Open
innovation ?
- Quel cadre organisationnel (structure, coordination,…) mobilisé afin de développer des
compétences collectives dans un processus d’Open innovation ?
59
Concrètement, dans cette communication nous montrons une nouvelle approche pour la gestion de
Open innovation : l’identification et la construction des compétences collectives nécessaires à
l’intégration des connaissances externes ne se structurent que dans des mécanismes clandestins et
traditionnels de coordination. Ce faisant, nous mettons en évidence les arrangements
organisationnels, les acteurs et les compétences collectives aux micro-phases amont du open
innovation.
Abstract
The proposed paper aims to show how developing collective knowledge contributes to successfully
maintaining an open innovation model. Work done on open innovation denotes on the one hand, the
use of external and internal knowledge sources to accelerate internal innovation, and on the other
hand, the use of external paths to markets for internal knowledge (CHESBROUGH, 2003, 2006). Open
innovation is a global approach to innovation management analyzed from different angles, such as
the technological, human, competition and market aspects (SARITAS and AYLEN J., 2010; HERZOG
and LEKER, 2010; VRANDE et al., 2010). Although various research trends have contributed to
understanding open innovation, a key element is missing from the debate: developing collective
knowledge as a lever to accompany the implementation of an open innovation model over the long
term.
This paper therefore aims to fill this gap in research on open innovation by addressing the following
research questions:
- MINTZBERG (1981) characterized mechanisms in traditional activities (in Mme Raku, artisan
potter). Which mechanisms (coordination and/or cooperation) encourage the development
of collective skills so that an open innovation model can be managed with success?
- What organizational framework (structure, coordination, etc.) should be put in place to
develop collective knowledge in an open innovation process?
Concretely, in this paper we set out a new approach to managing open innovation: i.e. identifying
and building up the collective knowledge required for integrating outside knowledge. To do this, we
focus on organizational set-ups, stakeholders and collective knowledge during the early micro phases
of innovation.
60
INTRODUCTION
Dans un environnement caractérisé par une concurrence mondiale fondée sur la nouveauté, un
raccourcissement du cycle de vie des produits et une incertitude sur le marché, la capacité de la
firme à innover est devenue une source d’avantage concurrentiel durable. Dans ce contexte, le
modèle d’innovation évolue afin de s’adapter à la diffusion rapide de connaissances. R. ROTHWELL
(1994) identifie ainsi cinq générations d’innovation depuis le processus linéaire de Schumpeter, des
liens en boucle entre marché et invention (KLINE & ROSENBERG, 1986) jusqu’aux réseaux étendus.
En 2003, CHESBROUGH (2003) introduit le concept d’Open innovation qui propose une alternative au
modèle fermé de l’innovation, centrée sur les résultats de la recherche interne très coûteux et longs
à obtenir, avec un modèle ouvert qui s’appuie à la fois sur les sources internes et externes de
connaissances. Si le modèle fermé suppose une Recherche et Développement (R&D) interne dont les
résultats seront valorisés sur les marchés traditionnels, l’Open innovation au contraire met au
premier plan l’importance les relations externes pour acquérir et/ou valoriser l’invention. En
d’autres termes, il s’agit d’un nouveau paradigme de gestion du processus d’innovation qui met en
avant deux dimensions complémentaires (CHIARONI et al. 2010) :
-
l'innovation ouverte entrante qui repose sur l’établissement de partenariats avec des
organisations et/ou des individus externes à l’entreprise afin de conjuguer leurs
compétences techniques et scientifiques pour améliorer les performances d'innovation
interne, et
-
l’établissement de partenariats sortant de l’Open Innovation qui ont pour objet d’établir des
relations avec des organisations externes afin d'exploiter commercialement les
connaissances technologiques.
Cette ouverture vers l’extérieur du processus d’innovation suppose des collaborations intensives
entre des acteurs de compétences et d’expériences dans des institutions, des départements et des
domaines technologiques différents. Dans la même optique, les travaux récents de WALLIN and VON
KROGH (2010) mettent l’accent sur l’intégration des connaissances et des liens cognitifs dans
l’organisation de l’Open innovation. Toutefois, la question des compétences collectives comme levier
d’action dans la gestion de l’Open innovation reste peu abordée dans la littérature. Pourtant,
l’identification, l’intégration et l’évolution des ces compétences sont un élément clef de mise en
œuvre ce modèle. Notre recherche contribue donc à la compréhension des compétences collectives
nécessaires à l’intégration des sources externes dans les micro-phases amont du processus
d’innovation.
Pour l’entreprise la transition vers un modèle ouvert se traduit par des changements
organisationnels qui aident à construire de nouvelles compétences (CHARONI et al., 2010,
CHESBROUGH, 2003, DECK, 2008). En particulier, CHRISTENSEN (2006, p.35) souligne que « open
innovation can be considered an organizational innovation ». Des travaux récents montrent à ce titre
l’importance des supports organisationnels pour créer de nouvelles collaborations, routines et
matrices de compétences afin de passer vers un processus d’innovation ouvert (MARSHAK, 1993,
CHESBROUGH, 2006b). Cet article s’inscrit dans cette reconnaissance du rôle des modalités
organisationnelles pour développer de nouvelles compétences collectives permettant de gérer avec
succès le modèle d’Open innovation. Concrètement, l’enjeu est de montrer comment un cadre
organisationnel spécifique contribue au développement des compétences collectives.
61
La première partie présente un cadre analyse sur la construction des compétences collectives par des
dispositifs organisationnels dans un modèle d’innovation ouverte. La seconde partie est dédiée
respectivement à la méthodologie et aux résultats issus de cette recherche.
1- OPEN INNOVATION : QUELS SUPPORTS ORGANISATIONNELS POUR
CONSTRUIRE DES COMPETENCES COLLECTIVES
L’objectif de cette partie est de montrer d’une part les apports des travaux relatifs aux compétences
collectives dans le modèle d’Open innovation et d’autre part, et les supports organisationnels
spécifiques à ce modèle.
1.1 Open innovation : identifier les compétences collectives
Notre projet vise à ouvrir la boîte noire de l’Open innovation à partir des théories sur l’identification
et le développement des compétences collectives. Notre démarche est délicate car l’analyse des
compétences collectives, des processus collectifs de décision et de résolution des problèmes
complexes, articule différents niveaux de compétences (individuelles, collectives, organisationnelles).
Que savons-nous des compétences collectives ?
Une première approche bottom-up analyse l’agrégation des compétences individuelles. Les
compétences collectives seraient liées en effet à une dimension supplémentaire des compétences
individuelles issue de leur combinaison particulière (DEJOUX, 1998) et permettant de faire face
collectivement à un problème (BATAILLE, 2001). Il nous faut retenir plusieurs éléments essentiels
dans cette approche. Des outils d’analyse descriptive des compétences individuelles (par exemple :
les fiches de poste, les référentiels de compétences,…) sont mis en avant ; à partir de ces outils le
Management des Ressources Humaines propose des leviers d’action tels que le recrutement et le
partage de valeurs, l’évaluation des performances des salariés et des indicateurs de coopération, de
rémunération et d’analyse de la performance collective,… La mise en œuvre de ces leviers d’action
s’accompagne de mesures organisationnelles relevant de l’autonomie individuelle, de la prise de
responsabilité et d’une réflexion collective sur le travail (LE BOTERF, 2000). C’est cet ensemble qui
constituerait des bases d'opportunités pour créer de nouvelles compétences collectives (RETOUR,
2005).
Ainsi situant l’enjeu principal de cette approche bottom-up porte sur l’identification, le repérage et
l’évaluation des compétences individuelles afin de cartographier les savoir-faire de l’entreprise.
Toutefois nous voyons deux limites principales à cette analyse; tout d’abord dans les structures en
Open innovation la nature ouverte de la relation et la participation d’acteurs externes nous contraint
à repenser nos leviers d’action managériaux ; d’autre part les compétences collectives doivent être
analysées dans leur finalité de coopération entre acteurs celle-ci étant matérialisée par des prises de
décision.
Nous retiendrons une seconde approche, top-down visant à identifier le cadre organisationnel
grâce auquel les compétences collectives se développent. Les compétences collectives sont la
résultante d’une combinaison de compétences individuelles réunies dans des dispositifs
organisationnels où se créent des interactions formelles et informelles. En situation d’Open
innovation la finalité des interactions doit être intégrée dans des finalités techniques,
managériales (processus collectif de décision) et stratégique (vision et valeurs). Dès lors les
compétences collectives s’analysent comme un ensemble « de savoirs et savoir-faire tacites
(partagés et complémentaires) ou encore d'échanges informels supportés par des solidarités
62
qui participent à la "capacité répétée et reconnue" d'un collectif à se coordonner pour
produire un résultat commun ou co-construire des solutions » (MICHAUX, 2003). Cette
approche organisationnelle met en lumière dans le développement des compétences
collectives les pratiques communes en usage inscrites dans des modalités de
coordination formelles et informelles proche de l’ajustement mutuel (MINTZBERG, 1981).
Pour aller plus loin retenons que le processus d’élaboration des compétences collectives
repose sur l’invention de solutions organisationnelles : la compétence collective se traduit par
des « routines informelles » spécifiques et plus largement par « la capacité d’un collectif
d’individus au travail à inventer en permanence son organisation bien au-delà de la seule
déclinaison d’un schéma d’ensemble formalisé par les règles organisationnelles » (DUBOIS
& RETOUR, 1999).
Ainsi les compétences collectives ne prennent leur véritable sens que dans l’analyse de l’émergence
de nouvelles connaissances issues de modes de fonctionnement coopératifs (NAVARRO, 1990,
DUBOIS & RETOUR, 1999). Ce sont ces modes de fonctionnement qui sont représentatifs du modèle
d’Open innovation.
-
Les compétences collectives en Open innovation
En s’appuyant sur les travaux de Wallin et von Krogh (2010) nous identifions quatre mécanismes de
construction des compétences collectives :
Règles et savoirs : une capacité à se régénérer

L’analyse des compétences collectives s’ancre principalement dans l’accumulation de connaissances
passées : des savoirs reconnus et des savoirs-faire communs réunis dans une mémoire collective
(CHEDOTEL & PUJOL, 2009). Or en situation d’Open innovation la formalisation de cette
accumulation est insuffisante pour la construction de compétences collectives : ce sont les savoirs et
les savoir-faire utilisés dans une visée exploratoire et innovante qui favorisent le processus. En effet
dans un modèle ouvert ce n’est pas tant les connaissances mobilisées qui constituent les
compétences collectives mais le sens donné à leur mobilisation. Ainsi dans un objectif de production
d’innovation il est nécessaire de mobiliser des connaissances en interne et en externe : il ne s’agit
pas alors d’avoir une vision commune du problème mais d’obtenir une mise à disposition de
connaissances afin de construire une représentation commune de la solution : c’est une mémoire
collective de jugement qui est créée (CHEDOTEL & PUJOL, 2009).

Des étapes de l’innovation au « champs d’innovation »
La représentation des étapes de l’innovation est par nature fonctionnelle : elle se découpe à partir
des métiers et des ressources mises en œuvre et permettant la production de connaissances dans
une logique de performance.
En situation d’Open innovation ce n’est pas tant l’innovation comme résultat qui nous
intéresse que l’action d’innover. Ce sont donc des équipes pluridisciplinaires dont l’objectif
est plus ou moins bien défini qui constitue une structure ad’hoc appelée « champs
d’innovation » (LE MASSON et al., 2006). Dans ce « champs d’innovation », la valeur des
activités se mesure autant par la valeur des questions de recherche que par celle des
connaissances produites et/ou transférées.

Routines informelles et double identité
63
La construction des compétences collectives se fait dans un collectif décisionnel qui permet à la fois
une communauté des buts visés et une adéquation des actions (SAVOYANT, 1999). Cependant la prise
de décision « résulte d'une confrontation » (DE TERSSAC & CHABAUD, 1990) « des représentations
des membres du collectif » (TROUSSIER, 1990).
Le collectif décisionnel (combinaison de métiers) a une influence déterminante sur la valeur des
questions et des connaissances produites. Cependant, le principe de réunir des personnes de profils
différents, par exemple dans des équipes multifonctionnelles crée potentiellement de la distance et
des tensions, des difficultés d’intercompréhension entre métiers, voire un blocage du groupe. Afin de
limiter ces risques de tensions en situation d’Open innovation les membres des équipes doivent
intégrer plusieurs éléments. En premier lieu la capacité du groupe a être dans une double
posture identitaire (en référence aux travaux sur la notion d’identité duale (FOREMAN & WHETTEN,
2002) : configuration l’une utilitariste (tourné vers la rentabilité et la pérennité) et l’autre normative
(tourné vers la démocratie, la solidarité, la coopération). Cela signifie que le groupe est ouvert et il
peut faire appel ponctuellement à des experts extérieurs. De plus certaines pratiques sont
communes, d’autres complémentaires ou distribuées. En second lieu au niveau collectif, les routines
informelles et au niveau individuel, les savoirs tacites structurent la mémoire du groupe (NELSON &
WINTER, 1982). Mais les routines et les savoirs sont ici interprétés à la fois comme un stock de
connaissances et comme la captation des opportunités dans une logique neuronale.
Ainsi en situation d’Open innovation les routines informelles sont orientées vers un processus
collectif de décision :
• Au niveau organisationnel :
structurées par le champs d’innovation
• Au niveau collectif :
… agrégées dans une configuration d’identité duale

Résolution de problèmes et processus de décision
Nous avons montré qu’ en situation d’Open innovation les compétences collectives se traduisent
dans la construction de processus de décision. Au niveau individuel l’activation de processus
collectifs de décision présuppose une condition: l’acquisition par les membres du groupe de
compétences sociales (CANNON-BOWERS et al., 1995) . Ces dernières sont des capacités de
communication et de négociation mises en œuvre lors des interactions ; elles sont spécifiques à
chaque situation rencontrée. Ces compétences sociales sont à la fois des compétences relationnelles
(être capable de parler en public, être à l’écoute, percevoir les réactions des autres) et des
compétences organisationnelles (établir une feuille de route, coopérer) (STEVENS and CAMPION,
1994).
En effet dans une structure d’Open innovation l’acquisition de ces compétences sociales détermine
la possibilité de travail collectif multidimensionnel (ATTIAS-DELATTRE, 2011b) afin de résoudre des
problèmes complexes tout en construisant des modalités de coopération ad’hoc.
1.2
Supports organisationnels pour gérer l’Open innovation
La section précédente a permis de souligner le rôle des compétences pour introduire les sources
externes dans les micro-phases du processus d’innovation. Comme l’indiquent HANSEN & NOHRIA,
(2004), effectively managing externally acquired knowledge requires the development of
64
complementary internal organizational systems focused on accessing and integrating the acquired
knowledge into the firm’s innovation processes. Pourtant, mis à part des travaux de CHESBROUGH
(2003), très peu sont ceux dédiés aux structures organisationnelles pour l’Open innovation. Dans
cette communication, il s’agira de s’appuyer sur les travaux relatifs aux formes organisationnelles
favorables à l’innovation, en particulier les formes permettant de combiner l’innovation
d’exploitation et d’exploration (FOSS 2003, VERONA & RAVASI 2003). Nous allons également utiliser
sur les rares recherches dédiés aux caractéristiques organisationnelles du modèle d’Open innovation.
- Organisation et innovation : les enseignements de la littérature pour la gestion du Open
innovation
Les travaux sur l’innovation s’intéressent aux structures permettant de combiner deux logiques
complémentaires : l’innovation d’exploitation qui mobilisent les connaissances existantes de
l’entreprise afin de répondre rapidement au marché et l’innovation d’exploration qui consiste à les
renouveler significativement (RAISCH & BIRKINSHAW 2008, MARCH 1991). C’est le maintien d’un
équilibre entre ces deux logiques, l’exploitation et l’exploration, qui favorise pour l’entreprise
l’obtention d’un avantage concurrentiel durable (ANDRIOPOULOS & LEWIS, 2009) et par le transfère
efficace à l'exploitation des inventions de rupture générées par l'exploration (BENNER & TUSHMAN,
2003; MCNAMARA & BADEN-FULLER, 1999; O_REILLY & TUSHMAN, 2004). En effet, dans le cas d’un
modèle d’Open innovation, l’entreprise a pour objet de combiner l’exploitation et l’exploration.
BENNER et TUSHMAN (2003) suggèrent que l’innovation d’exploitation et l’innovation d’exploration
ne peuvent se déployer que dans des structures séparées, appelées organisations ambidextres (en
général, un laboratoire central de recherche chargé de l’innovation d’exploration et des divisions
opérationnelles chargées de l’innovation d’exploitation). D’autres travaux proposent des formes
organisationnelles plus complexes favorisant le transfert et la reconfiguration de connaissances et de
compétences (VERONA & RAVASI, 2003 ; FOSS, 2003). Ces structures sont qualifiées de «hybrides »
(FOSS, 2003), de «formes flexibles » (VOLDERBA, 1996), de «semi-structures » (BROWN &
EISENHARDT, 1997) ou encore de «communautés dynamiques » (GALUNIC & EISENHARDT, 2001).
Afin de faire coexister exploration et exploitation ces formes organisationnelles possèdent des
caractéristiques bien particulières (CHANAL & MOTH, 2004) :
-
flexibilité organisationnelle qui concerne la capacité de modifier les structures, les circuits de
décision et de communication face aux changements ;
-
communication extensive qui offre aux acteurs une grande liberté d’improvisation au sein
des projets innovants ;
-
création d’un réseau d’expertise scientifique au sein du centre de recherche qui vise la
coopération externe pour acquérir et valoriser les connaissances.
- Les modalités organisationnelles spécifiques au modèle d’Open innovation
Au-delà de la problématique de l’ambidextrie organisationnelle, les travaux de CHESBROURGH (2003)
mettent en avant les modifications des supports organisationnels afin de permettre l’ouverture du
processus vers l’extérieur. En processus d’Open innovation les frontières organisationnelles
deviennent “poreuses” ; les entreprises interagissent durablement avec des acteurs externes tels que
les Universités, les laboratoires de recherches académiques, les clients, venture capital firms, etc.)
(COOPER, 2008). Cette ouverture continue renvoie alors à la mise en place des supports qui favorise
les collaborations et la construction des compétences collectives. La littérature dédiée à l’Open
innovation permet de dégager les principales caractéristiques organisationnelles de ce modèle:
-
rôle important du top management dans la mise en place des changements organisationnels
(CHIARONI et al., 2010) ;
65
-
création de structures spécifiques et de mesures afin de promouvoir et d’évaluer l’ouverture
du modèle d’innovation (CHESBROUGH & CROWTHER, 2006) ;
-
the establishment of independent “Open innovation’ business units (KIRSCHBAUM, 2005), or
task forces and dedicated cross-functional teams (HUSTON & SAKKAB, 2006), or idependant
R&D unit devoted to research activities (CHIARONI et al. 2010) ;
-
définition de organizational roles, e.g., gatekeepers who manage the interface between the
firm and its external environment (TUSHMAN, 1977);
-
mise en place de incentive systems, which should include more open-oriented goals and
metrics (CHESBROUGH, 2003);
-
établissement d’un réseau d’offreurs dans les premières phases du processus d’innovation
qui favorise l’acquisition de connaissances externes (PERKMANN & WALSH, 2007);
-
mise en place d’un réseau inter-organisationnel de premier niveau structuré par les relations
professionnelles et personnelles des managers en R&D. Ce premier réseau est
principalement orienté vers l’exploration de nouveaux champs de connaissance. (CHIARONI
et al., 2010);
-
mise en place de processus formalisés d’évaluation des connaissances externes en
complément du réseau existant d’exploration. In this evaluation process, a important role is
played by the IP Office, which defines mechanisms for facilitating knowledge transfer and for
protecting companies from opportunistic behaviours (CHESBROUGH, 2006b)
Malgré l’intérêt de ces travaux, des questions restent en suspens et elles ont directement guidé
notre recherche :
-
la littérature sur l’organisation de Open innovation est centrée sur la mise en évidence des
caractéristiques organisationnelles en général. Elle nous renseigne peu sur les supports
organisationnels réels qui, à un niveau plus agrégé, rendent compte de l’implication effective des
différents acteurs internes et externes dans la gestion de l’Open innovation, en particulier dans
les micro-phases amont ;
-
aussi variées soient-elles, ces caractéristiques organisationnelles ne sont jamais mises en relation
avec la construction des compétences collectives ;
-
ainsi, dans notre recherche les supports organisationnels et les compétences individuelles sont
analysés à chaque micro-phase en amont du processus d’innovation ouverte (MITKOVA &
AYERBE, 2011).
2 - APPROCHE METHODOLOGIQUE
Comme nous venons de le souligner, les questionnements quant aux arrangements organisationnels
liés à la construction des compétences collectives dans un modèle d’Open innovation sont encore
très peu développés dans les travaux existants. Ils appellent donc à une recherche de nature
qualitative basée sur l’étude de cas unique. Cette méthode de recherche apparaît particulièrement
adaptée à la compréhension fine d’un questionnement spécifique. Le caractère unique du cas peut
se justifier lorsqu’il apparaît « représentatif » ou encore « typique » (YIN 2003). Cette recherche
propose un « qualitatif case study » d’un grand groupe international français dans le domaine des
systèmes électroniques qui a été étudié depuis 4 ans. Ce cas a été retenu en raison de sa stratégie de
66
R&D très dynamique, fondée exclusivement sur un modèle d’Open innovation. Les résultats
s’appuient sur l’analyse de données recueillies depuis 2008. Des entretiens semi-directifs ont été
menés régulièrement avec les responsables R&D et PI du groupe. Le guide d’entretien a été réalisé
sur l’analyse de variables structurelles mises en évidence par la littérature. Des données secondaires
(documentation interne et externe) nous ont également servi à corroborer les informations obtenues
par entretiens.
3 - RESULTATS ET IMPLICATIONS MANAGERIALES
Cette recherche met en évidence deux types de résultats l’un au niveau des supports
organisationnels et l’autre au niveau des compétences collectives.
Tout d’abord, nous mettons en avant les supports organisationnels, les acteurs et les tâches à
accomplir à chaque micro-phase de la recherche appliquée, qui constituent l’étape amont du modèle
ouvert (voir schéma 1). Celle-ci se réalise en collaboration continue et intensive avec des acteurs
externes qui ont été sélectionnés pour leur champ d’expertise. Il s’agit de partenaires de nature
multiple : des entreprises (PME ou GE), des universités, des clients et des concurrents. Ces supports
organisationnels existent et perdurent indépendant des individus qui les composent. Inscrits dans un
cadre organisationnel ces supports ont une stabilité en interne et une capacité à évoluer afin
d’accompagner l’ouverture du processus d’innovation. C’est sur ce dernier aspect que se cristallisent
les compétences collectives.
67
Schéma 1. Micro-phases amont du processus d’innovation ouvert
- Directeur
laboratoire
- Chef de
projet
recherche
Phase 1
Choix de la
Technologie
- veille
technologique
- Responsable
R&D du groupe
- Directeur du
Laboratoire
Phase 2
Décision sur
la
collaboration
- Directeur Labo
- Chef de projet
recherche
Transfert
technologique
vers
Développement
Phase 3
Démonstration
Technologique
- Recherche
de partenaires
Main
- Décision
type Open
Innovation
- Définition des
usages des
sources externes
pour l’entreprise
(nationale /
- technologiques
européenne)
gate
- Directeur
labo
- Chef du
produit
- Directeur
labo
- Chef de
projet
Phase 4
- Chercheurs
Etudes
clients
Phase 5
- rédaction des
appels d’offre
(80%)
- réunion avec le
chef de produit
- Directeur
Labo
- Chef du
projet
Démonstration
de la solution
Phase 6
Offer &
PMS
Démonstratio
n - aux clients
- aux
collaborateurs
externes
Offre de la
solution finale
en interne ou
en externe
68
Ensuite, notre étude montre qu’en situation d’Open innovation, la reconnaissance des
compétences collectives est l’un des éléments clé du modèle ouvert. En termes opérationnels
cela signifie que ces compétences se construisent à chaque micro-phases du processus selon
les mécanismes présentés précédemment.
Dans notre cas les compétences collectives s’ancrent principalement dans la capacité à se régénérer
grâce à la mobilisation d’une mémoire collective de jugement. Cette mémoire est structurée par la
formalisation du métier envisagé comme la compétence collective ultime et globale de la structure.
Elle est aussi orientée par une vision liée à la stratégie d’innovation en termes d’out-put. Dans notre
schéma ces deux éléments de jugement se retrouvent formalisés dans la « Main gate » : porte de
passage de la recherche purement technologique vers le développement produit.
De plus le déroulement fonctionnel présenté masque au niveau des micro-phases l’existence de
structures ad’hoc établit pour favoriser l’intégration des compétences externes. Par exemple, le
bureau de « knowledge management » gère les questions de propriété industrielle, la « Politique
produit » a pour objet d’établir les liens entre les acteurs externes et les businness units et le bureau
« Commerce » s’occupe de la valorisation de la recherche à l’extérieur. Ainsi dans le cas étudié il
existe deux types de structures qui aident à la construction de compétences collectives :
- Des structures fonctionnelles qui soutiennent les micro-phases du processus
d’innovation favorisant la symbiose entre les compétences internes et externes en
une compétence ultime et globale ; cette dernière permet la prise de décision
concernant le passage ou non vers la micro-phase suivante.
- En parallèle des structures fonctionnelles il existe des structures architecturales
(« knowledge management », « politic produit », « Design Authority »,
« Commerce »,…) imbriquant des sous-systèmes indépendants qui garantissent et
soutiennent la mise en action des compétences collectives.
L’ensemble de ces structures fonctionnelles et architecturales constitue le champ d’innovation de
chaque projet de recherche.
Enfin cette étude montre qu’à l’intérieur de chaque micro-phase le groupe d’acteurs construit une
identité duale : le modèle d’Open innovation exige un processus de décision qui repose à la fois sur
une visée utilitariste (utilité) et normative (coopération). Cette identité se construit grâce à
l’acquisition et au développement de compétences sociales individuelles. Contrairement aux
approches théoriques précédemment évoquées les compétences sociales ne sont pas uniquement
des compétences relationnelles et organisationnelles. Dans un mode il s’agit de favoriser la création
d’un « libre arbitre du groupe d’acteurs » par un débat contradictoire entre les individus externes et
internes afin de minimiser le risque tout en prenant une décision optimale.
Plus spécifiquement, nos implications sont respectivement dans chacun de nos deux champs
théoriques :
-
Enrichir les travaux sur les aspects organisationnels de l’Open innovation en décrivant plus
précisément les acteurs, les tâches et les modalités organisationnelles afin d’appréhender la
gestion du modèle ouvert. Par exemple, une analyse très fine des différents supports
organisationnels est proposée à chaque micro-phase (acteurs internes/externes, lien avec
l’extérieures, structure de prise de décision, intégration de la propriété industrielle, etc.). De
même, la répartition des tâches et les processus de décision dans un environnement ouvert ont
pu être plus précisément étudiés grâce à l’analyse des tâches en externe et en interne et des
supports organisationnels spécifiques.
69
- Enrichir et compléter l’approche de la gestion de l’Open innovation en termes de compétences
collectives. Celles-ci ne sont pas la simple combinaison des compétences individuelles des
acteurs externes et internes (approche bottom-up). Elles résultent d’un cadre organisationnel
spécifique favorisant leur construction et leur développement dans une approche top-down.
-
Proposer une lecture par micro-phase du processus d’innovation ouverte qui rend compte de la
complexité de celles-ci et des coopérations à la fois externes et internes qui y sont liées. Cette
recherche intègre à la fois des questionnements organisationnels et de compétences en
montrant leur imbrication effective au niveau le plus agrégé des liens entre acteurs externes et
internes.
Quand aux implications managériales, il s’agit de fournir des éléments de recommandations et de
réflexion sur :
- Renforcer et stabiliser les processus d’Open innovation en créant des modalités organisationnelles
spécifiques de construction de compétences collectives. Nous tenons à souligner ici à quel point
le management de l’innovation ouverte comporte aujourd’hui des enjeux non seulement sur la
mise en oeuvre des supports organisationnels mais, et c’est de plus en plus important, sur
également la construction de compétences collectives. L’enjeu consiste à intégrer des acteurs
externes, avec des compétences diverses et précises, qui contribuent à l’enrichissement des
compétences collectives. C’est donc une collaboration multi-compétences qui doit être
développée, dans toute sa complexité, et qui nécessite des supports organisationnels
systémiques. Les deux principales difficultés consistent alors à concevoir des modalités
organisationnelles permettant de construire des compétences collectives et à les laisser
s’enraciner à long terme.
-
Construire et développer des compétences collectives en créant des structures de travail
multiples et qui se sédimentent : indépendantes de la structure fonctionnelle celles-ci ont pour
objectif de créer des modalités ad’hoc de coopération entre acteurs externes et internes. En ce
sens elles sont une structure clandestine qui se superpose à la structure fonctionnelle et dont les
modalités de coordination reposent sur des règles inconscientes chez les acteurs, peut-être e,
lien avec leur communauté de métier.
Cette recherche à caractère exploratoire a le mérite de jeter les bases d’une première réflexion sur le
rôle des supports organisationnels dans la construction des compétences collectives dans un modèle
d’Open innovation. Cette réflexion apparaît d’autant plus urgente que les travaux actuels apportent
très peu de contributions en la matière tandis que les entreprises ont, depuis les dernières années,
accordée une places croissante à la gestion des compétences dans leur modèle ouvert et modifié leur
organisation dans ce sens.
70
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74
LA RESPONSABILITE SOCIALE : QUELS
AXES DE VALORISATION DU LUXE ?
Amina BEJI-BECHEUR
Christel de LASSUS
Université Paris Est
Institut de Recherche en Gestion - IRG
Université Paris-Est,
Bld. Descartes Champs sur Marne, 77454, Marne-la-Vallée Cedex 2
Tél : +33 (0)1 60 95 71 55
Courriel : [email protected].
Courriel : [email protected].
Résumé
Comment suite à la loi NRE de 2001 les entreprises du luxe ont-elles intégré les concepts de
développement durable et de responsabilité sociale ? Comment ont-elles discipliné ces contraintes
pour en faire un axe de valorisation stratégique ? Plutôt que de considérer la stratégie de
développement durable ou de RSE dans une définition a priori, nous l’appréhendons telle qu’elle se
construit dans les discours des dirigeants des entreprises du luxe françaises. L’objectif est de
comprendre l’institutionnalisation de la notion de développement durable et de responsabilité
sociale dans un secteur à haute intensité de savoir-faire. Au travers de l’étude des récits
institutionnels des dirigeants de trois grandes entreprises du luxe en France (LVMH, PPR-Gucci,
Hermès) entre 2002 et 2011, cet article étudie les registres de sens qu’associent les dirigeants aux
notions de développement durable et de responsabilité sociale depuis la promulgation de la loi NRE
en 2001. A force de dire leur engagement pour la sauvegarde de l’environnement et des savoir-faire,
les dirigeants du luxe institutionnalisent la RSE comme l’axe incontournable de création de valeur du
luxe. « La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer » Peter Drucker (1909-2005).
Mots clé : responsabilité sociale de l’entreprise – luxe – réputation - légitimité
75
En 2003, quelques grands groupes du secteur du luxe, LVMH, l’Oréal, Pernod Ricard, et la Banque Rothschild
16
adhèrent au Pacte Mondial des Nations Unies pour un développement économique responsable . En 2005, le
WWF pointe du doigt les contradictions du secteur du luxe. Selon les auteurs de Deeper Luxury, le luxe se doit
d’être compatible avec le développement durable mais ne l’est que rarement dans les faits. Aucune des dix
entreprises étudiées par le WWF n’obtient plus que la note de C+ (soit 6/12). Et seuls, trois des quatre groupes
français évalués (L'Oréal, Hermès et LVMH) obtiennent la meilleure note, tandis que les groupes italiens Bulgari
et Tods sont les lanternes rouges du classement (Novethic, 2007). Or, les marques de luxe, dites de
prestige, construisent leur réputation sur des principes liés à la qualité, l’exception, le rêve, la
créativité et le patrimoine culturel (Chevalier et Mazzalovo, 2008). Il semble donc difficile voire
incohérent de concevoir qu’une marque de luxe participe à la dégradation de l’environnement ou à
des conditions de travail dégradantes pour les salariés. Doit-on alors parler de greenwashing dans le
17
secteur du luxe alors que depuis 2001 la loi NRE (nouvelles régulations économiques) impose à toute
entreprise française cotée de publier un rapport annuel sur ses actions en matière environnementale et sociale
? Comment les entreprises de luxe françaises ont-elles intégré la loi NRE dans leur stratégie ?
Comment ont-elles discipliné ces contraintes pour en faire un axe de valorisation stratégique ? Plutôt
que de considérer la stratégie de développement durable ou de RSE dans une définition a priori,
nous l’appréhendons telle qu’elle se construit dans les discours des dirigeants des entreprises du luxe
françaises. L’objectif est de comprendre l’institutionnalisation de la notion de développement
durable et de responsabilité sociale dans un secteur à haute intensité de savoir-faire. Au travers de
l’étude des récits institutionnels des dirigeants de trois grandes entreprises du luxe en France (LVMH,
PPR-Gucci, Hermès) entre 2001 et 2010, cet article étudie la construction de la RSE au travers de
l’évolution des registres de sens qu’associent les dirigeants aux notions de développement durable et
de responsabilité sociale depuis la promulgation de la loi NRE en 2001.
1LE RÉCIT EN STRATÉGIE ET LA CONSTRUCTION DE LA
RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE
D’une définition a priori de la responsabilité sociale de l’entreprise…
Le concept de responsabilité sociale (RSE), auquel se réfèrent les travaux actuels s’inspire largement
des contributions de Carroll (1979, 1995), qui décrivent le construit multidimensionnel de la
performance sociale de l’entreprise en 1979 et la RSE en 1995. Quatre types fondent la définition
proposée par Carroll : responsabilité économique ; responsabilité légale ; responsabilité morale ;
responsabilité discrétionnaire. Ces quatre types sont représentés sous forme de pyramide
hiérarchique dans les derniers travaux de Carroll (2004). La responsabilité économique fait de
l’intérêt des propriétaires-actionnaires le critère de décision ultime. C’est le socle fondamental de la
responsabilité de l’entreprise (Carroll, 2004). Dans une vision restrictive de la RSE, les dirigeants au
niveau le plus élevé de la firme ont comme mission d’être performants en termes économiques en
respectant les « règles du jeu » du système capitaliste, et en se soumettant à la loi (Friedman, 1970).
Dans cette perspective, l’entreprise considère comme partie prenante prioritaire les actionnaires
16
Les prémices du concept de développement durable sont apparues lors de la conférence des Nations Unies à
Stockholm en 1972. On parle alors d’ « écodéveloppement ». Le terme de développement durable apparaît en
1987 et s’affirme grâce à une définition issue du rapport de Brundtland comme étant /« un développement qui
s’efforce de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire
les leurs » (www.developpement-durable.gouv.fr). En 1992, lors du sommet de Rio, 182 états se sont réunis pour
élaborer un programme commun en matière de développement durable.
17
Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Publiée au Journal Officiel
le 15 mai 2001, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques appelée plus communément, loi NRE, a pour
objectif de réduire les effets néfastes des dysfonctionnements internes et de la mondialisation.
Fondée sur une exigence de transparence de l’information, cette loi instaure que les sociétés françaises cotées
doivent présenter, dans le rapport de gestion annuel, parallèlement à leurs informations comptables et
financières, des données sur les conséquences environnementales et sociales de leurs activités.
La loi NRE est entrée en vigueur par un décret en date du 20 février 2002 et s’applique depuis le 1er janvier
2003 pour les exercices ouverts à partir du 1er janvier 2002.
76
ayant comme intérêt commun le gain financier. Cependant, la performance économique est définie
dans un contexte social délimitant les pratiques acceptables (Godfrey, 2005). Dès lors, si les
dirigeants s’engagent dans des « actions socialement responsables » qui réduisent les perspectives
de profit des actionnaires, mais qui constituent un atout pour la réputation de l’entreprise et en
conséquence améliorent la performance économique de cette dernière, alors ces actions peuvent
être qualifiées de responsables. La vision de Carroll est ainsi à l’opposé de celle de Levitt (1958) pour
qui toute action ne concernant pas le champ économique peut être vue comme une ponction sur les
actifs de la firme. Parce que, selon les partisans de l’approche dite « shareholders », et dans une
logique utilitariste, « la meilleure chose pour le plus grand nombre » résulte de ce que doit faire le
mieux l’entreprise, à savoir créer de la richesse (Friedman, 1970). Tandis que dans la métaphore de la
responsabilité présentée par Carroll (2004), la responsabilité économique constitue le minimum
d’obligation de l’entreprise à l’égard de la société en général et non pas à l’égard des actionnaires
uniquement.
Par ailleurs, Lantos (2001) identifie trois formes de RSE : la RSE éthique qui qualifie les obligations
morales de l’organisation à l’égard de la société en définissant sa mission en tant qu’acteur social ; la
RSE altruiste qui n’est pas légitime car elle entre en contradiction avec la mission de l’entreprise (ce
qui correspond à la vision aristotélicienne selon laquelle l’altruisme pur est immoral) ; la RSE
stratégique qui a trait à ce qui est bénéfique pour la société et pour l’entreprise (Rawls, 1971).
… à la construction par le récit de la stratégie RSE
Depuis 2002, les entreprises cotées se doivent de mettre en récit leur stratégie RSE. La production du
rapport NRE amène les organisations à produire des discours qui peuvent jouer un rôle stratégique
pour l’organisation. En effet, certains travaux (Czarniawska, 1997; Putnam et Cooren, 2004) offrent
un autre point de vue sur le rôle que jouent les récits dans la vie organisationnelle (de la Ville et
Mounoud, 2005) avec une visée explicite plus critique – au sens de critical studies (Alvesson et Deetz,
2000). De fait, ces « textes » produits par l’organisation concourent au maintien de son identité :
l’organisation dit (sans parfois faire) ce qu’elle est ce qui en retour qualifie ce qu’elle est aux yeux des
autres (McPhee, 2004). Intégrant les analyses de Foucault (1971). Hasselbladh et Kallinikos (2000)
soulignent le pouvoir disciplinant des discours stratégiques sur les pratiques ordinaires et les activités
menées quotidiennement par les membres de l’organisation, par leur capacité à imposer et légitimer
certains cadres interprétatifs aux dépens d’autres. Foucault prévient qu’il s’agit « de ne plus traiter
les discours comme des ensembles de signes (d’éléments signifiants renvoyant à des contenus ou à
des représentations) mais comme des pratiques qui forment systématiquement les objets dont ils
parlent » (Foucault, 1969, p. 66-67). Critiquant et complétant les travaux des néo-institutionnalistes,
Hasselblad et Kallinikos (2000) indiquent que les discours apparaissent alors comme des «
objectivations subreptices » : en apparence, ils se construisent par induction et se bornent à désigner
le monde ; en réalité, ils participent à la constitution des objets même, du monde lui-même. Ainsi, les
discours interviennent-ils dans le processus d’institutionnalisation de la RSE à l’interface entre les
idéaux et les techniques (Moquet et Pezet, 2006 ; Bécheur, et Bensebaa, 2007). A cet égard, les
discours sont des instruments de la dimension disciplinante de la stratégie visant à légitimer des
idées et orienter durablement l’action (Hardy, 2004).
Lors de l’enquête à mener sur les discours stratégiques, il est nécessaire de considérer chacun
d’entre eux de manière contextuelle. Il s’agit d’identifier au-delà des apparences les tensions sousjacentes, les paradoxes entre les écrits et le contexte (qui parle, à qui, pourquoi, comment)
explicitant les intentions stratégiques. Et notamment, au travers de ces discours peut se décoder la
trajectoire « légitime » que l’organisation a choisi ou doit choisir pour l’avenir. Les discours
stratégiques peuvent être considérés comme des actes propositionnels (ou locutoires), des actes
illocutoires (ce que l’on fait parallèlement à ce que l’on dit – promesse, commandement, souhait) et
des actes perlocutoires (ce que l’on produit parallèlement à ce que l’on dit) (Austin, 1970). C’est au
travers de ces faisceaux d’éléments que se dessine une histoire spécifique de l’organisation en
référence à ces faits singuliers inscrits dans un contexte général.
C’est dans cet esprit que le discours produit des normes disciplinantes créant du sens et le sens de
l’action.
77
Ainsi, en parlant des parties prenantes on institutionnalise l’organisation dans la société et on
désinstitutionnalise les institutions (Pesqueux, 2006, p.) : « La genèse de la référence aux parties
prenantes conduit donc à examiner leur projet normatif au regard du groupe qu’elles représentent,
la partie prenante concernée étant alors auto-normée pour mieux légitimer une logique autocentrée
de l’organisation à l’usage de ses dirigeants. Soulignons ainsi son utilité pour garantir le fait de
continuer à faire de bonnes affaires. La partie prenante est fondée par rapport à des normes qui lui
sont propres, et légitimée au nom du principe de liberté et de sa légitimité de proximité avec le «
terrain », ce qui déclasse d’autant l’omniscience générale des pouvoirs publics de l’Etat administratif,
ramené au statut de simple partie prenante ». consultants et des certificateurs de tous ordres. »
Le contexte de l’étude – la RSE dans le secteur du luxe français
Pourquoi la RSE est-elle un sujet intéressant dans le luxe ?
Deux catégories de travaux, notamment, justifient un impact positif de la RSE sur les profits. La
première justifie un lien positif entre RSE et profit par une hausse de la productivité totale des
facteurs. La seconde justifie ce lien positif entre RSE et profit par les gains en termes d’image
(Preston et O’Bannon, 1997). Une méta analyse montre qu’une majorité d’études reconnaît une
relation ambiguë entre les variables de responsabilité sociale et de performance financière (Orlitsky,
Schmidt et Rynes, 2003) ; Salzmann, Ionescu-Somers et Steger, 2005).
Cardabat et Cassagnart (2007) montrent qu’il n’existerait pas de lien direct entre profit immédiat et
RSE. En revanche, la RSE pourrait servir d’amortisseur en cas de choc négatif pour l’entreprise,
notamment de choc mettant en cause sa réputation. La RSE est donc vue ici comme une couverture
contre le risque de réputation (Horner, 2002). Cela expliquerait les difficultés empiriques à dégager
un lien direct entre profit et RSE, ce lien étant en fait très indirect et non immédiat : la RSE serait liée
à la sauvegarde du profit à long terme.
En effet, la réputation des firmes est considérée comme un actif intangible souvent rattaché à une
marque prestigieuse (Hawkins, 2006).
Le secteur du luxe face à la RSE
Le secteur du luxe s’est montré plutôt prudent à l’égard de la RSE et du développement durable.
Ainsi, le comité Colbert représentatif des maisons de luxe françaises 18, n’évoque le développement durable
qu’en 2005 dans un rapport sur l’innovation, puis discrètement dans son rapport annuel de 2007 dans le cadre
19
de la commission d’éthique , puis effectivement dans les engagements de l’association en 2008 : «
Aujourd’hui, ce qu’on attend des individus comme des entreprises, c’est la prise en compte des besoins des
générations futures. Le développement durable est devenu un enjeu sociétal de premier ordre au sein duquel le
Luxe se doit d’être un acteur majeur », Françoise Montenay, présidente du Comité Colbert.
Dans le secteur du luxe, cet actif peut atteindre des valeurs extrêmement élevées : la marque Louis
Vuitton est évaluée à 22 milliards de dollars par Interbrand (2010). « Le luxe extrêmise l’intangible.
Les marques de luxe sont en effet de toutes les marques, celles auxquelles est attachée la plus forte
part des « intangibles earnings », ou « contribution aux bénéfices », c’est à dire le pourcentage de
ceux-ci imputable à la marque seule et à son pouvoir d’attraction. » (Bastien et Kapferer, 2008 p:
157). Dans le milieu du management on regarde alors de plus en plus la RSE comme un amortisseur,
un tampon, entre des états de la nature défavorables 20 et la réputation de la firme. ». Ces auteurs
18
Les membres du Comité Colbert se recrutent uniquement par cooptation. Les candidatures ne sont reçues qu’à
l’initiative de deux membres au moins du Comité Colbert qui les présentent pour avis à la Commission Ethique
et Nouveaux Membres ; celle-ci vérifie le respect des critères d’admission. Les critères d’admission sont les
suivants : l’ambition internationale et le caractère • identitaire de la marque l’exigence de qualité • l’importance
accordée au processus créatif • la poésie de l’objet • l’éthique
19
Dominique Hériard Dubreuil, Présidente de Cognac Rémy Martin préside la Commission Ethique et Nouveaux Membres
du Comité Colbert dont la mission est de veiller au respect des valeurs qu’incarne le Comité Colbert et à la manière dont il
les met en pratique. Elle coordonne la réflexion du Comité Colbert sur le développement durable..
20
Un état de la nature défavorable pour une firme signifie l’occurrence d’un évènement négatif pour sa réputation. Ces
78
démontrent que la politique en RSE permet de contrôler le niveau des ventes en cas de crise de
réputation. Ce contrôle présente un coût puisqu’il faut mener des actions voire des stratégies
globales pour asseoir la légitimité de l’action en RSE (Béji-Bécheur et Bensebaa, 2009). Ce coût est
considéré comme une couverture « individuelle » que la firme doit acquitter pour se protéger contre
une éventuelle dégradation de sa réputation (actif immatériel) et donc de ses ventes futures. Les
comportements de couverture vont aussi varier suivant la valeur de départ de l’actif immatérielle :
les firmes détentrices de marques fortes, comme les maisons de luxe, seraient plus sensibles au
besoin de couverture car leur valeur intangible est plus grande (Graafland et Smid, 2004 ; Cardabat et
Cassagnart, 2007). Les firmes dont les actifs intangibles, la réputation, ont le plus de valeur sont
prêtes à payer plus pour couvrir ces actifs. De la même façon, si le risque augmente, le prix de la
couverture contre ce risque augmente aussi et il est logique que les firmes soient prêtes à en payer le
prix. L’hypothèse d’une RSE assimilable à un mécanisme de couverture contre le risque de réputation
semble donc validée, mais uniquement pour les marques à forte valeur ajoutée (Cardabat et
Cassagnart, 2007). Par ailleurs, la RSE peut être souhaitée en tant que telle parce qu’elle a une valeur
intrinsèque qui joue positivement sur le profit.
La limite de ces travaux est de considérer uniquement le cadre d’agents rationnels cherchant à
maximiser leurs profits dans une stratégie de défense de patrimoine. Or, comme dans tout autre
secteur, ce sont d’autres jeux de pouvoir qui sont aussi à l’œuvre dans la mise en œuvre de la RSE
dans les entreprises du luxe. En effet, ce n’est que récemment que les entreprises de luxe, au travers
du Comité Colbert, se positionnent dans la perspective de la RSE sous l’angle de l’éthique (Rapport
annuel du Comité Colbert, 2008 : 19).
Ainsi, il est intéressant de comprendre au travers des discours des dirigeants leurs intentions en
matière de RSE pour leurs maisons.
2- COMMENT LES MARQUES DE LUXE BATISSENT ELLES LA RSE ?
Plusieurs auteurs, s’accordent pour dire que le luxe est qualitatif et relève du registre de l’hédonisme
avant celui de la fonctionnalité Dubois (1999). Il constitue une expérience multi sensorielle (Marion
dans Assouly, 2005), et est relatif à un contexte social et culturel (Bastien et Kapferer, 2008). Il a un
fort contenu créatif (artisanal et/ou artistique) et est caractérisé par une double dimension,
esthétique et éthique (en lien avec l’être plutôt que l’avoir) (Roux et Le Floch, 1996). Plus que tout
autre secteur, le luxe est producteur de symboles culturels (McCracken, 1986) et exprime ce qui est
le plus désirable socialement (Thorstein Veblen, 1899). En conséquence de quoi, rien dans le
processus de stratification sociale n’oppose d’un point de vue symbolique la notion de RSE à la
notion de luxe dans la mesure où la première est considérée sur certains éléments comme
essentielles pour la majeure partie de la société (notamment l’interdiction du travail des enfants, la
protection de l’environnement, Crédoc, 2007).
En 2008, Bastien et Kapferer soulignent le paradoxe et le « modèle d’avenir» porté par le luxe :
« Les stratégies du luxe, stratégies de rareté où l’homme retrouve sa vraie place, tant comme
producteur (l’Homo faber est réhabilité) que le consommateur responsable et libre, sont l’outil
d’avenir du management», (Bastien et Kapferer, 2008 : 369-370).
Au-delà de ces analyses, qu’en est-il de la fabrique de la RSE dans les entreprises du luxe en France ?
Méthodologie de la recherche
Afin d’analyser le processus de construction, nous avons mené une étude en deux étapes.
évènements sont par exemple : un incident écologique ayant des répercussions sur l’environnement, un problème sanitaire
impactant la santé des consommateurs, un scandale social comme la découverte d’un sous-traitant qui ne respecterait pas les
normes fondamentales du travail de l’OIT.
79
Dans une première étape, il s’agit de décrire le contexte. Cinq sources de données sont retenues : en
provenance des entreprises (comprenant les organisations professionnelles), de la société civile
(syndicats, associations), des organisations gouvernementales et supranationales, des médias et des
instituts de notation voire cabinets de consultants. Dans la mesure où le Comité Colbert exprime un
engagement à compter de 2005, date à laquelle est publié le rapport du WWF, nous distinguerons
deux périodes : entre 2001 (date de la loi NRE) et 2005 ; puis de 2005 à 2010. Nous concentrons nos
observations sur les entreprises françaises possédant des marques de luxe ou une offre de
produits/services de luxe.
Dans une seconde étape les discours des dirigeants recueillis dans les introductions des rapports
annuels des trois principaux groupes français entre 2002 et 2011 sont analysés au moyen du logiciel
Alceste. L’objectif est de décrire le contenu de la RSE légitimé depuis la promulgation de la loi NRE en
2001 et porté par les principaux actionnaires qui sont aussi les dirigeants des groupes de luxe
étudiés.
Ainsi, pour le groupe Hermès, les données sont constituées des messages de la gérance depuis 2002
qui introduisent le rapport annuel. Plusieurs gérants se sont succédés mais tous appartiennent à la
famille Hermès. Concernant LVMH et PPR, la base des données étudiée comprend les messages des
présidents qui sont placés en tête des rapports annuels de chacun des groupes, Bernard Arnaud pour
LVMH, et François Henri Pinault pour PPR group.
RESULTATS
Afin de décrire le contexte sectoriel, un panorama des engagements affichés par les principaux
acteurs du luxe en France en matière de RSE est proposé.
Le secteur du luxe français face à la RSE
2001-2005
Durant cette période, seuls les groupes LVMH, L’Oréal et Accor ont adopté des pratiques en lien avec
le développement durable. Les engagements portent essentiellement sur la préservation de
l’environnement naturel dans des secteurs sensibles aux problématiques environnementales : les
vins et spiritueux, le tourisme et les cosmétiques. Les actions concernent l’ensemble de la chaîne de
valeur. On note cependant que le consommateur n’est pas interpellé, comme cela est le cas dans le
secteur de la grande consommation. Les employés, les fournisseurs, sont les cibles de formation pour
développer de nouvelles compétences et répondre de manière adéquate aux nouvelles exigences
des groupes.
2005-2008
En 2007, le groupe PPR (dont la division luxe) s’est engagé dans une démarche de responsabilité
sociale et environnementale, avec comme objectif de répondre aux attentes des différentes parties
prenantes de l’entreprise : les collaborateurs, les clients, les fournisseurs, la société civile. L’ensemble
de la chaîne d’approvisionnement est organisé pour respecter les critères RSE et limiter l’impact
environnemental des transports, des magasins et des infrastructures. Enfin, l’entreprise vise à la
sensibilisation des consommateurs par des produits et des usages responsables. A la différence de
LVMH, la stratégie adoptée porte à la fois sur des objectifs environnementaux et sociaux ; la
démarche RSE consiste à sensibiliser et motiver les différentes entités du groupe au travers de la
formation, du développement de compétences et du dialogue social. Selon le rapport, le processus
passe par la mise en place de groupes de travail pour enrôler et impliquer les différents échelons de
l’entreprise. Par ailleurs, les autres grandes marques françaises du luxe, Hermès et Chanel adoptent
une démarche progressive démarrant de la transformation d’une partie de leur chaine de valeur et
ne communiquant pas ou très peu sur le sujet. Enfin, dans le secteur de la haute joaillerie, Cartier
marque du groupe Richemont se positionne en faveur de la traçabilité des diamants et matières
précieuses entrant dans la fabrication des bijoux mais n’exerce pas un contrôle strict des
80
provenances. A cet égard, les ONG restent très sévères sur les filières or et diamants et estiment les
engagements insuffisants au regard des impacts sociaux et environnementaux de cette activité.
Au côté des grands groupes du luxe, de jeunes créateurs entrant dans le secteur du luxe, s’engagent
dans des stratégies de positionnement intégrant le développement durable dans l’ADN de leurs
marques et dans la conception globale de la chaîne de valeur de leur filière : on peut citer JEM dans
le domaine de la haute joaillerie.
Depuis 2008, les agences de notation évaluent positivement l’action des entreprises du secteur.
Ainsi, « le luxe est un secteur « en progrès » », selon Flavia Micilotta, chargée du secteur ‘Luxury
Goods & Cosmetics' au sein de l'agence de notation Vigeo : « C’est un secteur beaucoup trop varié
pour que l’on puisse le comparer dans son ensemble à d’autres. Entre les cosmétiques, le textile, les
accessoires et la joaillerie, les enjeux sont nombreux et doivent être considérés séparément. Le cas
de LVMH est spécifique à cet égard, car ce groupe est très diversifié et doit répondre à beaucoup
d’enjeux différents. C’est pour lui un atout stratégique que d’être socialement responsable. » (Propos
recueillis par Véronique Smée, Novethic, Mis en ligne le : 25/07/2008).
En 2008 et 2009, LVMH est en tête du classement français du Carbone Disclosure project. Réalisé par
Deloitte et soutenu par le crédit Agricole S.A, le rapport « montre une forte progression des plus
grosses capitalisations françaises faisant partie de l'indice SBF 120 qui suivent et publient leurs
émissions de GES. 82 % des entreprises ayant répondu à l'enquête ont fourni des données
quantitatives sur leurs émissions telles que définies par le « Greenhouse Gas Protocol » (émissions
directes et indirectes), contre 74% pour le CDP France 2008. ». À l'instar des autres entreprises
européennes et d’une proportion croissante de sociétés françaises, LVMH s’engage dans des plans de
réduction des émissions de GES et y associe des objectifs chiffrés et communique sur ce sujet depuis
2008. En 2008, le Comité Colbert a organisé des réflexions d’échange de bonnes pratiques entre
maisons de luxe et conçoit la notion de développement durable comme « première exigence
éthique » sous l’angle de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale englobant ainsi les
différents aspects de la RSE. Les politiques des maisons de luxe étudiées convergent dans leur
discours mais divergent dans leur manière d’aborder la mise en application de la démarche RSE. Afin
d’illustrer ces propos, le tableau suivant résume la politique RSE de six entreprises.
81
Tableau 1- Comparaison des politiques RSE de six entreprises de luxe françaises
Valeur de la
Date de démarrage et
Ressources et compétences
Parties prenantes (par
marque en
nature des engagements
(par ordre d’implication
ordre d’implication
déploiement de la
dans le temps)
dans le temps)
politique
MM$*
Outils d’évaluation
Modalités du
LVMH
1994
Responsables
Internes
Evaluation qualitative
par expérimentation
LV 21,12
Le développement durable
environnementaux
Fournisseurs
puis quantitative au
sur des éléments de la
Moet et
conçu comme
Formations
Associations
niveau de la
chaîne de valeur au
Chandon
responsabilité
Engagement de la direction
Organisations
comptabilité
sein d’activités, puis
(3,7)
environnementale
Outils de support à la
supranationales
par capillarité sur
(Moet
Actions caritatives
politique (cahiers de
Certifications
d’autres activités
Hennessy,
tendance, cahiers
Investisseurs
communication
10,3 en
fournisseurs)
2008)
Communication interne
externe récente
Département
environnement
Actions de mécénat social
Rachat de marques dont
l’ADN est la RSE (Eden)
PPR-Gucci
2007
Direction de la RSE
Internes
Evaluation par le
Fixation d’un cadre
8,2
La responsabilité sociale et
Comité RSE au niveau de la
Fournisseurs
comité RSE
général
environnementale
direction
Chaine logistique
Reporting
Déploiement sur la
Un manager dédié à la RSE
Consommateurs
environnemental
base du volontarisme
par branche d’activité
Société civile
des branches et des
Code de conduite
marques et avec le
Formation
soutien de la direction
Groupes de travail
interbranches
Fondation
Adhésion pacte global
Chanel
Ethique et responsabilité
6
Ressources et compétences
Internes fournisseurs
Performance de l’action
Par projet
selon projet
secteur
de rationalisation :
Exemple : La
quantité déchets
rationalisation de
Rachat de ressources rares
(plumassiers, dentelliers par
l’emballage Parfums /
exemple)
soutien à la formation
des jeunes ;
sauvegarde de métiers
Hermès
Engagement dans le respect
Savoir faire pour optimiser
Interne
Performance en
4,6
de l’environnement culturel
la production et maintenir
Fournisseurs
consommation
et naturel
la qualité
consommateurs
Par projet /
Valorisation savoir faire
locaux
Baccarat
Cartier
Responsabilité par la
Formation des jeunes aux
Interne
Sauvegarde
formation
savoir faire
Société civile
/transmission métiers
Responsabilité éthique
Engagement dans une
Interne (achats)
Contrôle externe de la
sur toute l’activité
démarche responsable de
fournisseurs
filière
joaillerie
traçabilité de la filière
Société civile
3
Former les jeunes
*(Leading Luxury Brands, 2009 - Interband)
82
Dans ce contexte général, nous proposons d’étudier plus précisément l’évolution des discours
institutionnels des trois principaux groupes de luxe français sur le thème de la RSE ou comment elles
ont construit sur dix années le contenu de la RSE dans le luxe.
Etude des discours stratégiques inscrits dans les messages des dirigeants dans les rapports NRE des
groupes PPR, LVMH et Hermès entre 2002 et 2011
Trois groupes, et trois registres de discours émergent de l’analyse :
- Hermès, un discours ancré dans une histoire intemporelle
Le discours des dirigeants d’Hermès présentent peu de variété au cours du temps.
La continuité autour de la thématique de la matière, du patrimoine et de l’ancrage dans le savoirfaire demeure le leitmotiv des récits depuis 2006. En 2012, la RSE s’articule autour des traditions et
valeurs d’Hermès qui sont fondatrices de son identité depuis sa création
« Forte de sa culture d’artisan créateur, Hermès est une maison singulière. Au-delà des modes et
tendances, elle se consacre à la création, à la production et à la vente d’objets de haute qualité à
partir du savoir-faire qu’elle maîtrise » (extrait 2006)
La tradition d’Hermès est de fabriquer de façon artisanale des objets d’un très haut niveau
d’exigence qualité, à partir de matières premières naturelles, comme par exemple, le cuir, la soie ou le
sable pour le cristal. » (extrait 2012).
L’entreprise souligne son caractère humaniste et parle de son engagement envers les artisanats
comme du mécénat : « je souhaite que notre mécénat reste spontané, ouvert, à l’écoute des autres,
et qui témoigne de notre humanisme ; de notre intérêt pour autrui. »
L’identité d’Hermès est désormais liée à cet engagement en RSE qui en devient un élément
constitutif. La maison envisage sa responsabilité essentiellement sur deux points : l’éducation et
l’environnement.
« Les projets que nous soutenons sont essentiels pour la maison car ils sont en résonance avec notre
univers : la valorisation des savoir-faire artisanaux et le soutien à la création, l’implication dans le
domaine de l’éducation et celui de l’environnement. »
L’éducation concerne essentiellement la sauvegarde des savoir-faire. La fondation Hermès en est le
principal organisateur : « la fondation s’intéresse aux modes de production manuelle des objets qu’ils
soient usuels ou décoratifs ». Les objectifs en matière d’environnement sont remplis par la mise en
œuvre d’une logistique plus performante et une révision de la chaîne de valeur globale de
l’organisation : « notre chaîne logistique a été redéployée afin d’apporter un service toujours plus
attentif à nos clients, notre démarche de développement durable a été approfondie, tandis que les
actions de maillage entre les différents secteurs de la maison s’intensifiaient ».
- LVMH, la RSE en lien avec l’innovation et la performance
C’est l’esprit d’entrepreneur schumpétérien qui est promue dans les discours de LVMH, son action,
ses prises de risques contrôlées, son engagement dans l’avenir, les projets, les marques, le
développement et la croissance : « la protection de l’environnement n’est pas uniquement générosité
et philanthropie ». L’action est au cœur de la vitalité de l’entreprise et anime les choix stratégiques
en matière de responsabilité sociale.
« Ces valeurs et l’ensemble des aspects qu’elles recouvrent ont fait l’objet d’une large réflexion à
travers les sociétés du groupe : être créatifs et innovants, rechercher l’excellence dans les produits,
préserver passionnément l’image de nos marques, avoir l’esprit d’entreprise, être animés de la
volonté d’être les meilleurs. » (2012).
La RSE se justifie naturellement, elle est ancrée dans le projet d’entreprise car elle signifie la
protection des ressources de l’entreprise qui est un groupe humain. LVMH affirme ainsi sa légitimité
dans la société : « entre LVMH et l’environnement la relation est ancienne, naturelle, durable comme
dans toute activité humaine, nous utilisons l’air, l’eau, la terre qui nous entourent. » Par ailleurs, le
groupe promeut une vision du luxe au travers de l’exemplarité de ses actions. En ce sens, en tant que
leader il assume et affirme son rôle de modèle, d’entrepreneur institutionnel : « Délivrer une part de
rêve et de plaisir n’exonère d’aucune responsabilité, d’aucune lucidité, d’une certaine façon,
83
l’industrie du luxe, synonyme de beauté, plus que d’autres doit viser l’exemplarité, mais il faut
d’abord donner un cadre à cette volonté. »
Pour atteindre ses objectifs, une direction de l’environnement met en œuvre la politique annoncée
et a notamment comme mission de diffuser la « culture des indicateurs ». La charte d’engagements
de LVMH « au nom des 56000 employés » fixe les objectifs en matière de protection de
l’environnement. Elle constitue l’arsenal de règles à respecter. L’excellence de la qualité s’appuie sur
les compétences internes et la capacité d’apprentissage de l’organisation, autrement dit sur
« l’agilité et la motivation de [l’] organisation favorisés par l’esprit d’entreprise et la culture du terrain
qui animes les hommes et les femmes.. ».
Enfin, la politique centrée sur la protection de l’environnement se décline « à tous les niveaux de
production et dans chacune des actions ».
- PPR, un nouveau paradigme d’entreprise durable dans le luxe
Le groupe PPR se détache des deux premiers groupes dans la mesure où la politique de RSE a pour
ambition de promouvoir une nouvelle forme d’organisation avec un engagement affirmé à partir des
années 2007 : la RSE fait partie du business model de l’entreprise.
En 2012, PPR affiche l’ambition d’aller plus loin en créant un nouveau modèle : «PPR va au-delà des
approches traditionnelles de RSE et propose un nouveau paradigme d’entreprise, après plus de 10 ans
de mise en œuvre de sa démarche de responsabilité sociale et environnementale pour l’ensemble de
ses marques, PPR a lancé en mars 2011 une nouvelle initiative de développement durable
ambitieuse : PPR home for the long run ».
Dans cette perspective, la stratégie est déployée sur l’ensemble de ses activités y compris celles qui
ne sont pas spécifiquement dans le secteur du luxe. L’engagement se veut systémique et global
visant à transformer les modes de fonctionnement de la consommation et de la société plus
largement : « Nous souhaitons ainsi aider les consommateurs à adopter une autre manière de
consommer, qui contribue à un monde plus durable, redéfinir la valeur durable pour l’actionnaire et
construire les entreprises de demain qui répondent aux besoins d’une société en mutation. »
PPR ne fait pas ou peu référence au passé et à une histoire authentifiant l’implication actuelle mais
s’appuie sur une démarche proactive.
Ainsi, « le groupe PPR s’engage à minimiser son impact sur l’environnement en adoptant des mesures
volontaristes pour mettre en œuvre les meilleures pratiques d’entreprise ».
L’accent est plutôt mis sur l’aspect stratégique conféré au projet RSE qui est soutenu par une
direction dédiée qui est la « maison PPR », on retrouve dans les propos qui suivent le registre propre
aux maisons de luxe, la maison chargée du développement durable a pour objectif la performance
économique : « PPR Home est la nouvelle direction consacrée au développement durable de PPR,
pilotée par Jochen Zeitz, chef sustainability officer. PPR home apportera aux marques de PPR son
expertise, son soutien et sa créativité. Au-delà des initiatives propres des marques, un budget annuel
de 10 millions d’euros indexé sur l’évolution du dividende de PPR sera alloué à PPR Home ».
On peut dès lors s’interroger sur le réel changement de paradigme. Mais l’enjeu pour le dirigeant est
d’être l’un des acteurs majeurs du changement de pratiques sectorielles : « au-delà du modèle
classique de responsabilité sociale et environnementale, PPR Home a pour ambition d’établir de
nouveaux standards en matière de développement durable et de pratiques professionnelles dans les
secteurs du luxe ».
SYNTHESE, DISCUSSION ET APPORTS
Les chefs d’entreprises mettent en avant un discours sur la création de valeur, la qualité, l’excellence
voire le dépassement. Le luxe source de distinction suppose de proposer des offres d’exception et la
RSE ne peut se contenter d’être « normale », elle suppose de créer.
La fabrique de la valeur de la RSE dans le luxe, le phénomène d’interagence
L’analyse des discours offre une compréhension des modalités de construction de la réputation en
RSE des entreprises du secteur du luxe autour de trois principaux points d’enseignement. D’une part,
84
la légitimation de l’action en RSE est un préalable à la construction de la réputation (les deux
concepts sont liés mais distincts, Deephouse et Carter, 2005) : on observe de manière générale une
chronologie dans le déploiement des actions en RSE permettant de conclure à une hiérarchie des
modalités de légitimation (Suchman, 1995) allant de la légitimité pragmatique, puis cognitive à la
légitimation morale de l’action en RSE. Ainsi, l’engagement dans une démarche RSE est
généralement justifié par des arguments économiques et une rationalité du management ; la
formation, les chartes, et les codes visent ensuite à ancrer la RSE dans la culture de l’entreprise ;
enfin, l’entreprise de luxe peut développer une communication sur ses engagements moraux à
l’égard de la société.
Les maisons de luxe sont ainsi beaucoup plus prudentes dans l’usage des discours autour de la RSE.
Le greenwashing serait pour elles bien plus conséquent en termes de risque d’image et de réputation
que des marques d’autres secteurs. De ce fait, avant de construire toute réputation sur la RSE, on
observe un souhait de maîtriser en interne le processus de mise en œuvre de l’action en RSE et
assurer l’efficacité de son intégration dans la chaîne de valeur ainsi que sa performance. La crédibilité
et la légitimité de l’action ne dépendent dès lors pas uniquement du marketing aval (en complément
de ce qu’a démontré Gabriel, 2003). En deuxième lieu, les entreprises évoluent de la protection à la
création de valeur. L’analyse précédente amène à considérer que les entreprises plus qu’une
recherche de protection de la réputation et par conséquent du capital immatériel, envisagent la RSE
comme une transformation de tout ou partie de la chaîne de valeur de l’entreprise ; cela est
notamment le cas des maisons dont la filière est intégrée. Enfin, parce que les marques de luxe sont
porteuses de symboles culturels et fabriquent la distinction sociale (Assouly, 2005), il est intéressant
de constater qu’elles visent d’abord à maitriser la fabrique de la RSE en interne avant de pouvoir se
fabriquer une image en externe sur ce thème. Cependant, la fabrique de leur image ne leur
appartient pas totalement, la valeur des marques de luxe est co-créée (Tynan et al., 2010). Dans le
cas de la RSE, les parties prenantes notamment les ONG et les organismes de notation éthique ont eu
une grande influence dans l’accélération des engagements et de la nécessaire prise de parole des
acteurs du luxe. L’axe de valorisation des marques de luxe par la RSE est le résultat de ce processus
de fabrication à la fois interne (par des discours et des techniques) mais aussi externe (par des
communications) sous l’influence de la fabrique des parties prenantes au moyen de discours et de
techniques (prix, notation éthique, classements, etc.).
On constate ainsi un phénomène d’inter agence tel qu’il a été identifié dans le processus de
construction des modes (Bécheur et Atik, 20 ). Ainsi, au-delà de la notion de consumer agency
proposée par Arnould (2007), le consommateur subit aussi la gouvernementalité des discours
marketing (Cova et Cova, 2009) ainsi que l’influence des techniques marketing (actants non humains)
qui façonnent ses envies, ses croyances. En effet, même dans le cas où l’innovation est issue d’un
groupe d’entrepreneurs, se déroule en parallèle un processus d’institutionnalisation pour qu’il y ait
diffusion de la nouveauté. Les journalistes, les designers, les chercheurs de tendances, constituent les
passeurs qui par leurs choix organisent la diffusion des nouveaux produits et des nouveaux symboles
culturels. En conséquence, les acteurs individuels ne sont pas les créateurs des nouveaux marchés, il
faut bien qu’il y ait médiation par les institutions et les techniques du secteur pour que s’opèrent
l’émergence d’un nouveau système de mode, d’objet, de sens.
Le phénomène d’interagence illustre comment s’opère la construction sociale des symboles
culturels. Les fabricants et les designers observent par le biais des médias leur environnement
économique, politique, social et culturel et sont aussi structurés par ce dernier dans leurs choix
stratégiques. Ce phénomène est à rapprocher du principe des prophéties auto-réalisatrices de la
société de consommation dévoilé par Jean Baudrillard (1929-2007) dans La société de
consommation.
La RSE, le mythe de l’innovation dans un secteur traditionnel
Au moyen de la RSE et du développement durable, les dirigeants renouent avec le mythe de
Prométhée. Ainsi, Prométhée, le Titan, est considéré dans la mythologie grecque comme le
bienfaiteur de l’humanité. Il s’oppose aux dieux pour sauver l’homme, vole le feu à Zeus et apprend
aux hommes à garder la meilleure part des animaux destinés à être sacrifiés aux dieux. Le mythe de
85
Prométhée a été à plusieurs époques revisité. A la Renaissance, le Titan est caractéristique du savant
donnant aux hommes le progrès technique et scientifique en intervenant sur la nature. A l’époque
des Lumières, il est celui qui se révolte contre l’obscurantisme et offre aux hommes la capacité de
créer et d’espérer. Dans la littérature romantique, il symbolise l’humanité qui se crée elle-même.
Dans un sens contemporain, l’adjectif prométhéen qualifie le goût de l’action et la foi en l’homme, il
caractérise celui qui par sa propre volonté dépasse les limites qui ont été fixées, voire transgresse les
interdits au service de l’humanité.
Les différentes interprétations de ce mythe à des époques très différentes se retrouvent de dans les
messages des dirigeants des maisons de luxe autour de la thématique de la RSE en associant leur
organisation à la figure de l’innovateur, de l’inventeur, du scientifique et du créateur au service du
progrès technique et supposément lié à celui-ci le progrès des sociétés.
Cependant, les dirigeants des trois groupes étudiés ne présentent par la figure d’un entrepreneur
individuel ayant la capacité de mener l’ensemble du processus de manière solitaire. Aussi, le discours
vise-t-il plus à instaurer la figure d’une organisation humaine motivée et formée pour soutenir la
créativité qui du fait d’équipes, d’interactions multiples entre les acteurs de l’entreprise et des
acteurs extérieurs, crée de la valeur. Ils renouent ainsi avec l’approche de l’innovation partagée par
Peter Drucker (1909-2005) : « La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer ».
Par ailleurs, les discours s’inscrivent dans une tradition de la main, du tour de main, d’un patrimoine
légué et renouvelé au moyen des maisons de luxe et qui de fait participe à la démarche de
développement durable de transmission. Toute la force du secteur se retrouve dans le jeu rhétorique
à l’œuvre de s’appuyer sur les valeurs ancestrales du luxe pour s’ancrer dans l’avenir ou la solution
pour avoir une ressource inépuisable.
Le luxe, fabrique de l’ostentation (Assouly et al. 2005), serait il en train de devenir aussi la fabrique
de la RSE ?
86
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88
ANNEXE
Sources des données
Entretiens
Julie Coignet, Organisatrice du premier Salon Luxe et développement durable (1.618 Sustainable
Luxury fair, édition 2008), Hélène Sarfati-Leduc, consultante en développement durable et luxe,
Erwan Le Louer, fondateur de la marque Jewellery Ethical Luxury en 2008 ; Benoit Moreau, Ingénieur
développement durable à la Fédération des Imprimeurs et Communications Graphiques, responsable
d’Imprim’vert, a participé à l’élaboration du cahier de tendances pour LVMH (publié en 2004), Alexia
Labat-Sako manager chez Quintessentially (conciergerie de luxe) a géré le partenariat avec le Salon
Luxe et développement durable et intègre le critère de développement durable dans le choix des
prestataires, Jérôme Schehr, directeur financier du Shangri-La.
89
LUXE, MARQUE ET PERENNITÉ
Catherine GIRARD
La Marque² au Carré
En investissant le débat contemporain, les maisons de luxe se dotent d’atouts solides pour assurer
leur pérennisation.
LE SUPERFLU, CHOSE TRÈS NÉCESSAIRE 21
A-t-on besoin d’un produit ou d’un service de luxe ? Non, évidemment, puisque tous les biens sont
disponibles à tous les prix : payer cher n’est plus nécessaire. Mais oui, évidemment, puisque l’envie
de porter de beaux vêtements, de posséder un bel objet, de voyager dans des conditions privilégiées,
de se faire dorloter dans des palaces est ancrée dans l’âme humaine. La consommation du luxe
répond à une attente intime et dépourvue a priori de nécessité objective, que Voltaire résumait
(déjà !) joliment : « le superflu, chose très nécessaire ».
Pour cette raison, le luxe est éternel : à travers les générations et les civilisations, l’aspiration au
beau, au mythe, au rare est une constante. La nouveauté apportée par le XXème siècle tient au fait
que l’industrialisation de la production en a rendu matériellement possible l’accès au plus grand
nombre, parce qu’elle a simultanément stimulé l’innovation et permis l’augmentation des volumes
de production.
L’univers du luxe est aujourd’hui si vaste que chacun peut en avoir sa propre notion. Mais cette
extension, par elle-même porteuse d’ouverture vers d’autres territoires à ce jour encore inexplorés
voire inconnus, oblige à en affiner l’approche. Le luxe objectif demeure, mais cet adjectif ne suffit
plus à lui tout seul pour le caractériser : du fait de son élargissement, l’offre de luxe fait aussi appel
aux critères de subjectivité et de relativité.
Parfois à la limite de l’hétérogénéité, l’offre a besoin d’un fil rouge reliant ses composants dans
l’esprit du public. La marque de luxe est ce lien qui agrège dans son aura l’offre passée sur laquelle
s’est bâtie la légende, l’offre présente qui continue de créer le désir, et l’offre future par laquelle elle
se régénérera. La marque n’est pas qu’un simple signe de ralliement, mais le véritable socle
stratégique de la pérennité des maisons de luxe.
21
Voltaire, Le Mondain, poème (1736)
90
C’est sur elle que des maisons dynastiques se sont appuyées pour s’engager dans une dynamique de
croissance qui aboutit aujourd’hui à une profonde mutation du secteur. Pour mener à bien leur
stratégie, elles se sont restructurées, allant jusqu’à ouvrir leur capital aux investisseurs extérieurs.
Ainsi, le luxe se décide et se construit, comme l’illustre la parabole racontée par la Directrice
Générale des Ressources Humaines de LVMH, le groupe le plus représentatif de cette volonté
entrepreneuriale : « Au fronton de la cathédrale de Monaco, trois personnages portent des sacs
remplis de pierres. La légende rapporte que quelqu’un leur demanda ce qu’ils faisaient. Le premier
répondit : ’ je porte un lourd fardeau, et cela m’est très pénible’ ; le second dit : ‘ je porte des pierres,
c’est ainsi que je gagne ma vie ‘ ; le troisième affirma : ‘ je construis une cathédrale ‘ 22 ».
En deux décennies, le modèle historique est devenu l’exception : la maison mono marque mono
activité, réputée pour un savoir-faire développé autour d’une offre plutôt courte est aujourd’hui une
rareté parmi les groupes et conglomérats multi activités, dont les objectifs sont comparables à ceux
des entités évoluant dans d’autres secteurs, comme l’assurance, la chimie, l’automobile, ou encore la
sidérurgie : croissance, profitabilité, rentabilité. Pour les atteindre, ils ont adopté des modèles de
gestion mixant diversification, innovation produit, accélération des rotations, intégration de la
distribution, conquêtes de marchés à l’échelle mondiale.
La performance du luxe, ou plus exactement de ceux qui dirigent les entreprises du secteur, c’est
d’avoir su bâtir ces empires financiers sans altérer l’image de prestige et de qualité qui lui est propre.
Pour y parvenir, ils ont fait de la marque le levier de leurs stratégies de croissance. Alors même que
l’étirement de l’offre vers les extrêmes des prix divise le luxe en trois catégories– objectif, relatif,
subjectif – la marque, vecteur des valeurs intemporelles et fortes, rassemble une clientèle
admirative, exigeante… et hétérogène.
Aujourd’hui, les maisons de luxe occidentales sont les leaders du luxe mondial, tant en résultats
financiers qu’en image. Elles sont les seules à bénéficier d’une aura couvrant l’ensemble des
marchés ; d’un bout à l’autre de la planète, l’Europe occidentale est perçue comme le berceau du
luxe : la France et l’Italie pour la mode, la Suisse pour l’horlogerie et de l’arc Londres – Berlin –
Milan pour l’automobile. Elles en tirent largement avantage : l’attirance qu’elles exercent sur la
clientèle fortunée venue des marchés émergents comme des marchés matures illustre le référent
statutaire qu’elles représentent, et la reconnaissance de réussite qu’elles symbolisent. Cette
projection favorise évidemment les ventes.
Toutefois, si le luxe occidental a su capitaliser sur ses fondamentaux pour acquérir un statut
impérial, il doit, pour conserver sa couronne, surmonter des menaces multiples: l’ouverture de leur
capital aux marchés expose structurellement les maisons aux fluctuations économiques, les
pressions concurrentielles intra et extra sectorielles limitent leur potentiel de croissance, alors même
que la clientèle sur sollicitée se révèle de plus en plus zappeuse, et leur hyper visibilité comporte en
soi un risque d’effet de saturation. Dans ce contexte, la pérennisation de leur marque fait appel à
des modèles de gestion réactifs pour attirer, développer et fidéliser cette clientèle. Parmi ceux-ci,
l’implication dans la vie culturelle et sociétale tient une place grandissante : les maisons de luxe aloin,
désormais, de l’image surannée
22
Déclaration de Madame Concetta Lanciaux, Directrice Générale des Ressources Humaines de LVMH, au Luxury Summit
de Monaco 7 novembre 2006.
91
LUXE OBJECTIF, LUXE SUBJECTIF, LUXE RELATIF
La puissance du luxe tient à une double fidélité : à son passé - ses racines puisent dans l’histoire -, et
à une ouverture d’esprit qui l’installe dans le présent et le projette dans l’avenir en explorant la
modernité, toute la modernité, avec la plus grande curiosité intellectuelle. Cette constance soutient
sa capacité à durer en même temps qu’elle la symbolise, dans un contexte où l’offre de luxe est
désormais potentiellement illimitée, et où symétriquement il n’y a plus vraiment de territoire qui lui
soit exclusivement réservé.
Une étude du Conseil Economique, Social et Environnemental concluait en 2008 à la difficulté de
définir de manière précise le périmètre d’une filière multiforme 23. Parce que la notion du luxe relève
à la fois de l’intime – chacun en a sa propre conception - et de l’universel – la notion est présente
dans toutes les civilisations -, il est impossible de le définir par une locution unique. S’il fallait
pourtant en proposer une, ce serait fascination, parce que l’ « irrésistible séduction 24 » qu’elle
évoque s’applique aussi bien à une émotion intime qu’à une admiration collective. Le nombre
incalculable d’ouvrages consacrés au luxe est symptomatique de cette fascination qu’il exerce sur le
public autant que de l’intérêt qu’il suscite chez les investisseurs.
LE LUXE, RÊVE PERSONNEL
Etymologiquement, « luxe » vient du latin « luxus », signifiant « débauche, excès, faste, superflu »,
tous ces mots référant plus au débordement incongru, valeur négative, qu’à l’élévation vers des
valeurs supérieures. La définition du Robert reflète cette acception : « mode de vie caractérisé par
de grandes dépenses consacrées à l’acquisition de biens superflus, par goût de l’ostentation et du plus
grand bien-être ».
D’autres approches – ou tentatives de définition – sont heureusement porteuses de valeurs plus
positives. Ainsi ces quelques unes :
 le Comité Colbert souligne son ‘pouvoir d’émerveillement 25’ ;
 en consultant Wikipedia, on trouve la valeur plaisir, porteuse de douceur et de réconfort, et
présentée comme un facteur déterminant dans le déclenchement d’achat : ‘Le luxe s'exprime
dans tous les domaines où le plaisir importe puisqu'il y contribue par un registre particulier et
quelque fois le constitue presque entièrement’ ;
 Gisèle Prévost, journaliste et auteur de Voyage au Pays du Luxe 26, remarque que l’achat du luxe
ne relève ‘ni du besoin, ni de la raison, mais du désir’ ;
 Michel Chevalier et Gérard Mazzalovo constatent que ‘les clients du luxe ne sont pas rationnels et
sont guidés par des valeurs hédonistes et de distinction où leur propre plaisir est placé au-dessus
de tout 27’ ;
23
Cette conclusion du Rapport « Le luxe : production et services » est rappelée par Jacqueline Socquet-Clerc Lafont dans son
article ‘Une source de rayonnement pour la France et l’Europe’ paru dans le bimensuel Problèmes économiques n°3 008 - 8
décembre 2010 - p.16 s.
24
Définition proposée par le Dictionnaire Le Robert
25
Site du Comité Colbert / Fonctionnement / présentation par la Présidente Françoise Montenay
26
Le Cherche Midi éditeur, 2001
92

le philosophe Thierry Paquot s’amuse à noter la proximité du verbe « luxer » pour imaginer que
‘le luxe représente cette capacité à se démettre des conformismes et autres convenances, à vivre
son désir sans en rendre compte (…) 28’.
Et dans une interview en 2009, François-Henri Pinault relevait ‘une certaine ambiguïté. Dans
l’imaginaire collectif, le luxe, c’est la rareté, mais c’est aussi l’abondance, la consommation
déraisonnable, la jouissance… À [son] sens, le luxe véhicule des valeurs beaucoup plus profondes : le
moteur du luxe, c’est le rêve auquel chacun aspire et qui fait partie des besoins fondamentaux de
l’être. (…) Ne voir que la superficialité dans le luxe, c’est en avoir une vision étriquée 29’.
L’acquisition d’un produit de luxe obéit à des stimuli multiples et variables. Sa finalité ne se limite
par conséquent pas à la satisfaction d’un désir égocentré, mais aspire aussi à envoyer un message
permettant de signaler son appartenance à un groupe. Cette aspiration à accéder à un mode de
consommation ou à un groupe tient une place significative, mais, concrètement, elle reste
dépendante de facteurs subjectifs – les critères intimes – et conjoncturels – l’état d’esprit et la
capacité financière à un moment donné – de chaque individu.
‘Qu’attendent les Hauts Revenus d’une marque de luxe ? La différenciation et le caractère
unique sont cités en premier : 83% pensent qu’une marque de luxe doit avoir un style unique,
qui la différencie vraiment des autres marques. En second lieu, une marque de luxe doit
s’appuyer sur son patrimoine pour 74% d’entre eux – « ce qui fait la force d’une marque de luxe
c’est son histoire, ses racines ». Ensuite, 69% estiment qu’une « marque de luxe propose
toujours des produits de références, des produits cultes » et 68% avancent que le fait
« d’acheter une marque du luxe, c’est être toujours sûr d’avoir un produit de qualité. Moins
d’un tiers des Hauts Revenus accordent de l’importance à l’utilisation ostentatoire de la
marque de luxe – « quand je porte une marque de luxe, je suis fier qu’on la reconnaisse ». Ils
sont, par contre, plus sensibles aux expériences sensorielles vécues sur le point de vente : 41%
27
Michel Chevalier – Gérard Mazzalovo, Management et Marketing du luxe, Dunod, 2008
Voir son article dans LUXE, le guide des partenaires et prestataires du luxe – édition 2009 – p.27.
Th. Paquot est également l’auteur de « De la société de consommation et de ses détracteurs, Mouvements n°54, juin / août
2008, La Découverte
29
Le Figaro Madame – 23 septembre 2009 – Article signé Coralie Schaub
28
93
déclarent qu’acheter un produit de luxe, c’est aussi aimer passer du temps dans un lieu
exceptionnel 30’.
LE LUXE, REFLET D’UNE SOCIÉTÉ
Aborder le luxe à travers le seul prisme d’émotions personnelles ne suffit pas. Si chaque individu en
a sa propre conception, l’approche du luxe s’inscrit d’abord dans un contexte sociétal : c’est la
société, c’est à dire les valeurs qui la constituent et qu’elle représente, qui conditionne l’aspiration
individuelle au luxe, et la représentation que chacun s’en fait. Ainsi, ‘le luxe n’est pas une catégorie
dans l’absolu mais un ensemble relatif qui ne peut être dissocié de la structure politique et sociale du
siècle auquel il appartient 31’. Ce n’est pas un hasard si le concept de ‘démocratisation du luxe’ est
apparu pendant les trente glorieuses (1945-1975). Au cours de cette longue période de croissance
continue, les foyers ne se sont pas seulement équipés, mais modernisés, désireux de se libérer des
tâches fastidieuses pour mieux se consacrer aux loisirs. La mécanique d’ascension sociale
fonctionnait globalement efficacement, justifiant un optimisme favorable à un comportement
consumériste glissant de l’utile vers le superflu. Emblèmes de cette mutation, les gadgets
présentaient un intérêt relevant plus de leur nouveauté que de leur utilité. Parce qu’il concrétise et
symbolise la montée vers une catégorie sociale supérieure l’accès au luxe est l’acmé de toute
aspiration à ce qui n’est pas strictement nécessaire.
30
Etude IPSOS Luxe, consommation et médias au pays des riches. Résultats de la France des Hauts Revenus 2007.
http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/2347.asp
Vincent Bastien – Jean-Noël Kapferer, Luxe Oblige, Eyrolles Editions d’Organisation 2008, p.53
31
94
L’AUDACE DE LA MODERNITÉ
‘Il me paroist qu’il y a quelque chose à changer, que les sujets sont trop sérieux et qu’il faut qu’il y ait
de la jeunesse meslée dans ce que l’on fera. Vous m’apporterés des desseins quand vous viendrés ou
du moins des pensées. Il faut de l’enfance respendue partout 32’.
Le luxe est résolument ancré dans le monde contemporain. Pour reprendre les mots du Comité
Colbert, il figure ‘l’alliance entre la tradition et la modernité, le savoir-faire et la création, l’histoire et
l’innovation 33’. Mais le luxe va désormais plus loin, n’hésitant pas à se montrer résolument audacieux
en faisant appel à des designers et stylistes avant-gardistes pour développer une offre issue de
matières innovantes, et en entrant résolument dans l’ère Internet pour proposer des services et
développer des sites à son image. Actuel et contemporain sans rien abandonner de son patrimoine
historique, il est ouvert à tous les champs du possible, et sort désormais de sa sphère pour s’engager
auprès de causes telles que l’écologie ou la défense des libertés.
LUXE ET TECHNOLOGIE
Historiquement, luxe et haute technicité sont complémentaires : l’élaboration d’une pièce de haute
joaillerie ou d’une montre à complication exige une compétence relevant de la haute qualification et
non du simple savoir-faire. Culturellement et structurellement, la recherche de perfection conduit le
luxe à faire siennes les nouvelles techniques de production, ou à utiliser des matériaux innovants
dans les créations. Cette capacité à intégrer de nouveaux savoirs couvre autant la maîtrise de
nouveaux outils ou de nouvelles techniques de production, invisibles pour le consommateur, que le
déploiement vers la haute technicité ou la haute technologie.
Savoir-faire ultra qualifié et des secrets de fabrique ne font pas seulement partie du patrimoine du
luxe ; ils en sont l’essence même. Ils sont la clef de la stratégie de marque, car ils légitiment les prix
pratiqués sur l’offre premium, et, par capillarité, autorisent une politique de marge élevée sur le
cœur d’offre comme sur l’offre prix d’accès. Ces atouts relèvent de compétences intégralement ou
partiellement manuelles. Mais la production fait aussi appel à la Recherche & Développement pour
élaborer une offre performante (les secteurs de la Haute Horlogerie ou de l’automobile de luxe sont
particulièrement consommateurs d’innovation ; il est intéressant de relever qu’ils ciblent plus la
clientèle masculine que la féminine). ou tout simplement moderne (le boom de l’offre optique tient
aussi aux nouveaux matériaux proposés).
Le secteur du luxe est aussi utilisateur de technologie que les autres : l’innovation technique ou
technologique est à l’origine directe (le produit final) ou indirecte (le matériau, le procédé de
fabrication, l’outil de production) du renouvellement de l’offre. Certaines de ces innovations sont
protégées par brevets, mais sa mise en avant par une communication ouverte reste rare, bien que ce
soit pourtant une garantie de qualité, de performance et de nouveauté. Les secteurs de la
32
Annotation de Louis XIV du 10 septembre 1699, sur un rapport de Jules Hardouin-Mansart à propos de nouveaux plafonds
des appartements de la Ménagerie, reprise en exergue du livre « Jeff Koons à Versailles » – Editions Xavier Barral, 2008
33
http://www.comitecolbert.com
95
cosmétique, et d’une moindre façon de la Haute Horlogerie, font figure d’exception, le dernier en
faisant même un outil de communication à part entière, les valeurs de sérieux qui lui sont associées
créant un a priori favorable quant à l’efficacité du produit.
Le crédit recherche, ou la bonne gouvernance de la performance
Cette mesure fiscale accorde un crédit sur l’IS égal à 30% du montant consacré à la recherche
fondamentale, appliquée ou expérimentale. Elle comprend une extension spécifique pour les « frais de
collection » du secteur textile et de l’habillement, applicables aux entreprises fabriquant elles-mêmes
les produits, ou en confiant le façonnage à un sous-traitant.
Les sites Internet sont emblématiques de la capacité des maisons de luxe à intégrer des techniques
nouvelles tout en cultivant leur patrimoine historique. Elles n’ont pas été pionnières. Leur retenue
quant à ce nouveau format de communication était justifiée par leur volonté de ne pas diluer leur
image lorsqu’elles estimaient les moyens disponibles insuffisamment adaptés à leur spécificité. Le
risque leur paraissait d’autant plus grand que ses effets secondaires étaient – et sont encore difficilement contrôlables : son accès facile et ludique attire un public large, qui peut par conséquent
répandre massivement ses critiques. Aujourd’hui, sophistiqués à double titre – dans leur conception,
et dans leur présentation en exact reflet de la marque – les sites de luxe accueillent les visiteurs dans
un univers glamour… et efficace : l’internaute dispose de toutes les informations pratiques pour
acheter, directement si le site est également marchand, ou aux adresses proposées dans le storelocator.
96
Les vertus du mobile
A l’instar de l’horlogerie et l’automobile, le mobile cible efficacement la clientèle masculine : 60% de
la clientèle de Vertu est masculine, avec une majorité d’hommes d’affaires 34.
La baisse spectaculaire des coûts de production des produits de haute technologie et l’amélioration
rapide des performances font disparaître une frontière : les produits les plus innovants ne sont plus
nécessairement onéreux. L’arrivée des mobiles dits intelligents a fait évoluer la demande : le Salon
annuel de Barcelone fait désormais une large place aux logiciels et services, confirmant que ‘le centre
de gravité de l'industrie s'est déplacé’ 35 .
Le mobile est devenu un objet quotidien dont la téléphonie n’est plus la fonction dominante, et
certains modèles bénéficient d’un effet de mode – les adolescentes coréennes en changent plusieurs
fois par an -. Logiquement, spécialistes et généralistes en recherche de diversification investissent ce
segment. La généralisation des performances technologiques est compensée par la sophistication
des applications, comme l’illustre l’évolution de l’offre de Vertu. Première sur le marché (2002), cette
filiale de Nokia a commencé par proposer des modèles technologiquement performants : la clientèle
exige le meilleur des fonctionnalités essentielles, et l’autonomie est pratiquement le double de celle
des produits grand public. Rattrapée par la concurrence, Nokia a déplacé sa différenciation sur les
matériaux utilisés (acier, fibre de carbone, cuir, pierres précieuses), des équipements performants
(navigation GPS avec boussole numérique, Wifi grande vitesse, Bluetooth, radio FM, et des services
premium ; ainsi, l’application « Concierge live » est accessible 24h sur 24h et suit en temps réel
l’avancement des demandes , et les clients, ont accès à un club privé dédié aux affaires ou aux loisirs.
Les prix démarrent à 3 000 euros - hors facturation des services – et peuvent dépasser 100 000 euros
pour du sur-mesure.
Des non spécialistes à la recherche de diversification lui ont emboîté le pas : Dior, Tag Heuer, Versace
ont noué un partenariat avec Modelabs pour investir le marché. Le Diorphone est diffusé dans 69
boutiques Dior (l’ensemble du réseau en comptant 233) : 35 en Europe, 15 en Asie, 11 au Moyen
Orient, 7 aux Amériques, 1 en zone Pacifique 36. Fin 2011 Porsche Design et Research In Motion (RIM)
lancent en co-branding le « Porsche Design P’9981 », un Smartphone de BlackBerry équipé d’une
interface utilisateur Porsche Design et du navigateur Wikitude World Browser et vendu dans les
boutiques Porsche Design.
L’objet culte n’est pas propre au luxe, mais ce secteur en compte de nombreux, tels le sac Kelly de
chez Hermès, l’Oyster de Rolex, ou la Porsche Carrera. Marc Giget, Professeur au Conservatoire
National des Arts et Métiers, observe qu’un produit culte n’est jamais en retard
34
Source : ABC-Luxe Newsletter n°340 – 16 février 2010 - http://www.abc-luxe.com/resultats_recherche.php
Source : Thomas Husson, analyste à l'institut Forrester - article AFP sur le Congrès Mondial de la Téléphonie Mobile –
Barcelone [15-18 mars 2010] - http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hvqi9IkfW7IuYYTpr0pkcjZwTW-w
36
Sources : données recueillies en mars 2011 sur le site officiel Dior
35
97
technologiquement 37. ‘Chef d’œuvre collectif’, il est la synthèse de talents et de connaissances
combinant plusieurs éléments :



l’esprit d’innovation – nouveau regard sur le sujet, recours aux nouvelles techniques ou
nouveaux matériaux – pour inscrire l’objet dans une spirale d’excellence – appel aux
compétences croisées de multiples professionnels -.
la spirale d’excellence : intégration du meilleur état de l’art, regards croisés de
professionnels.
l’adéquation à des besoins sociétaux : concept simple, créativité, part de rêve et
industrialisation massive. L’objet culte est à tous.
LUXE ET ART CONTEMPORAIN
Le luxe et l’art sont proches au point de parfois se confondre : certaines pièces rares de haute
horlogerie ou de haute joaillerie sont parfois qualifiées de chefs d’œuvre. Toutefois, la démarche de
leur créateur ne s’inscrit pas à proprement parler dans une dimension artistique, mais plutôt
artisanale au sens le plus noble du terme, car l’utilité de l’objet l’exclut de l’œuvre d’art sui generis :
si beau, si merveilleux, si unique soit-il, un objet de luxe a une fonctionnalité précise.
Le risque pour le luxe serait de ne fréquenter que l’art dans son acception classique – oserait-on dire
bourgeois ? - . En soutenant ou faisant appel à des artistes contemporains, le luxe s’affirme
résolument ouvert, curieux, tolérant, autrement dit moderne. Contrairement à certaines idées
reçues, en agissant ainsi le luxe ne tourne pas le dos à ses fondamentaux, bien au contraire :
encourager les créations novatrices, voire bousculantes, est ancré dans son patrimoine génétique.
L’art renvoie aux valeurs pérennes du luxe, et les maisons l’invitent chez elle comme elles s’invitent
chez lui (figure 1) :




Générosité ‘florentine’ envers les arts, telle que les Médicis la pratiquaient
Vitalité créatrice : les apports des créateurs extérieurs et les explorations du créateur maison
nourrissent la capacité créatrice incarnée par la marque
Curiosité intellectuelle : éveil aux nouvelles techniques artistiques.
Absence de préjugés : bienveillance à l’égard des créations contemporaines, tolérance vis-à-vis
du créateur qui peut s’exprimer ailleurs et autrement.
37
CNAM - Les mardis de l’innovation – Produits cultes et best-sellers – Conférence du 2 février 2010 - http://www.mardisinnovation.fr/
98
figure 1
Générosité
florentine
L’ art dans les murs
L’ art hors les murs
Architecture
Mécénat
Installations
éphémères
Curiosité
intellectuelle
Absence de
préjugés
Prestation
extérieure
du créateur
Invitation
d’artiste
Vitalité
créatrice
L’ART DANS LES MURS
Les partenariats ‘dans les murs’ accueillent des artistes et créateurs dont les prestations peuvent être
durables (architectes, architectes d’intérieurs, artistes) ou ponctuelles (collections, happenings ou
événements artistiques).
Ces initiatives bénéficient à chacun des partenaires : qu’il s’agisse d’œuvres durables (construction
ou rénovation d’un bâtiment) ou éphémères (collections, expositions), le retentissement médiatique
valorise l’image de la maison en l’associant à une démarche ouvertement artistique, c'est-à-dire à
l’opposé du mercantilisme dont elle peut être par ailleurs accusée. L’artiste en tire également profit
en notoriété, nourrit sa réflexion et étoffre son savoir-faire.
 Luxe et architecture
‘Des pyramides à Versailles et du Palais d’Eté aux cathédrales, le passé a montré que les hommes ont
toujours su faire des rêves de pierre 38’. Confier à un architecte la construction d’un flagship,
l’agencement intérieur d’une boutique, ou la création d’une structure nomade accueillant une
exposition itinérante, c’est lui laisser carte blanche pour refléter l’identité de la marque à travers une
œuvre au sens artistique du terme. Les réalisations, résolument modernes voire avant-gardistes,
font appel aux techniques et matériaux les plus innovants. Certains quartiers de Tokyo (Ginza,
Omotesando) ou Seoul (Cheongdam-Dong) sont de véritables vitrines d’expériences architecturales.
Quelques exemples
38
Yves Calmejane – Article consacré à la Revue l’Architecture d’Aujourd’hui – novembre 2005 - http://www.luxemagazine.com/0-948-LArchitecture_dAujourdhui_Le_luxe_en_architecture
99
Armani : Massimiliano et Doriana Fuksas ont travaillé en étroite collaboration avec Giorgio Armani
pour concevoir l’Armani Tower de Ginza (Tokyo). Ils soulignent l’implication très forte du créateur
dans le projet, qu’ils ont conçu comme le reflet de son style et de sa personnalité 39.
Dior : Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawo, lauréats du prix Pritzker 2010, ont créé le flagship de Tokyo
Prada : Rem Koolhaas, Kunlé Adeyemi et Alexander Reichert ont été chargé d’élaborer le Prada
transformer, structure d’accueil de son exposition itinérante Waist Down. Bâtiment mobile en forme
de tétraèdre, il assemble quatre configurations différentes - une croix, un rectangle, un cercle et un
triangle - le passage d'une forme à l'autre étant possible en moins d'une heure. Rem Koolhaas est
également l’architecte du Prada Flagship de New York, et le duo Herzog et De Meuron celui de
Tokyo.
Chanel : l’architecte iranienne Zaha Hadid a élaboré le « Contemporary Art Container », pavillon de
l’exposition itinérante « Mobile Art » qui accueille expositions, festivals de cinéma ou encore défilés
de mode.
Hermès : Renzo Piano, concepteur avec Richard Rogers du Centre Georges Pompidou à Paris – a
réalisé le flagship de Tokyo / Ginza.
Cerutti : Le peintre américain David Malek a réalisé une fresque de 7 x 31 mètres, la Yellow Chevron
Bâche pour couvrir la façade de la boutique parisienne de Cerrutti pendant les travaux de rénovation.
Louis Vuitton Malletier : Peter Marino a élaboré les flagships de New York et Hong Kong. Jun Aoki a
conçu celui de Tokyo Omotesando. Comme celui de Paris - Champs Elysées, il accueille
régulièrement des expositions d’art contemporain ; la première est consacrée à Xavier Veilhan du 15
janvier au 1er mai 2011. Takashi Murakani a temporairement relooké le flagship new yorkais à
l’occasion du lancement de la collection de sacs qu’il avait signée.
 Artistes et collections
Le secteur des arts de la table recourt de longue date à cette pratique, les intervenants trouvant là
un moyen d’expérimenter un nouveau support pour exprimer leur créativité. Les collaborations,
nombreuses et fréquemment renouvelées, aident à maintenir l’attractivité de l’offre par ailleurs très
concurrencée par le moyen de gamme. Puiforcat 40, Christofle 41 ou encore Baccarat 42 confient
régulièrement l’élaboration de collections à des artistes extérieurs tels que, entre autres, Patrick
Jouin pour le premier, Clara Halter, Peggy Huynh Kinh, Ora-Ito, Andrée Putnam, Martin Szekely pour
le deuxième, Philippe Starck, Jaime Hayon ou Marcel Wanders pour le troisième. La presse
spécialisée se montre attentive à ces initiatives qui réveillent le secteur, et les accueille
favorablement. Les articles qu’elle y consacre ont le double avantage de créer du buzz autour de
l’offre, et, au-delà, de conforter la maison de luxe dans sa dimension artistique et avant-gardiste.
‘Avec cette ligne de cristal, Wanders fait une démonstration des savoir-faire de la célèbre
manufacture française, mais n’en oublie pas pour autant ce qui le caractérise 43’.
Les autres secteurs font de plus en plus appel à cette pratique, et proposant ainsi, au fil de leurs
collections, une offre non seulement régénérée, mais en plus ‘anoblie’ par une dimension artistique.
39
http://www.giorgioarmani.com/armani_ginza_docs/en/index.html
http://www.puiforcat.com/
41
https://www.christofle.com/#/designers/
42
http://www.baccarat.fr/fr/index.htm
43
Voir l’article de Cédric Morisset paru dans Le Figaro & Vous du mardi 26 janvier 2010 sur la signature de collections
Baccarat par le styliste hollandais Marcel Wanders
40
100
Quelques exemples
Louis Vuitton Malletier fait régulièrement appel à des artistes pour re-créer ses sacs emblématiques
Le metteur en scène Bob Wilson a collaboré à la ligne fluo
Takashi Murakami, créateur notamment du monogramouflage – la maison a ouvert une boutique
éphémère avec ses créations dans l’exposition du Brooklyn Museum de New York qui lui fut
consacrée en 2008 –,
Stephen Sprouse, artiste spécialiste du graffiti, a décoré une collection de sacs.
En 2008, pour la soirée finale de l’exposition qui lui était consacrée au Guggenheim Museum de New
York, le photographe et peintre new yorkais Richard Prince a présenté la ligne « Untitled
Monogram », faisant référence à son œuvre « Untitled (Cowboy) », collage de publicités pour
cigarettes qui fut la première photo à dépasser le million de dollars lors d’une vente aux enchères en
2005.
Poussant le principe encore plus loin, BMW fait chaque année depuis 1975 appel à un artiste
différent pour ‘customiser’ un de ses modèles participant aux 24 heures du Mans 44. Après Calder
(1975), Liechtenstein (1977), Warhol (1979), Hockney (1995) ou encore Eliasson (2007), Jeff Koons a
présenté la création 2010 au Centre Pompidou.
L’ART HORS LES MURS
En symétrie des partenariats faisant appel à des artistes extérieurs, l’art hors les murs ‘exporte’ le
talent des maisons, représenté par son créateur à son tour invité, ou par des opérations de mécénat.
à travers des opérations de mécénat, ou l’invitation du créateur attitré à participer à des
manifestations étrangères aux activités de la maison.
 Créateurs hors les murs
Les prestations sont pour eux l’opportunité de se ressourcer en exprimant leur créativité « hors
cadre ».
Quelques exemples
Jean-Paul Gaultier a – entre autres - créé des tenues de scènes pour Madonna, Beyoncé et Kylie
Minogue, et dessiné les costumes du film « Le cinquième élément » de Luc Besson et du Ballet
« Blanche Neige » d’Angelin Prejlocaj, créé en 2008.
Dolce & Gabbana ont dessiné les costumes de Madonna pour son « Sticky & Sweet Tour » de 2009
Viktor & Rolf ont dessiné la robe d’Agathe, personnage principal du Freischütz de Karl Maria von
Weber mis en scène par Bob Wilson
44
Voir le site du constructeur : http://www.bmwdrives.com/bmw-artcars.php
101
Karl Lagerfeld a créé les costumes de plusieurs ballets, notamment ceux créés pour le vingtième
anniversaire de Ballets de Monte Carlo en 2006, ou, en 2009, celui de la danseuse étoile Elena
Glurdjidzé pour la représentation de « La Mort du Cygne » donnée par l’English National Ballet.
Christian Lacroix a organisé en 2005 une exposition au Palais Garnier à Paris, consacrée au rouge
dans les costumes d’opéra 45. Il a créé les costumes de l’opéra ‘Don Pasquale’ de Donizetti, présenté
en 2012 au Théâtre des Champs Elysées à Paris.
 Luxe et mécénat
Ils sont étroitement associés depuis l’origine du luxe. La dimension artistique originelle d’un produit
de luxe était le prolongement naturel des actions encourageant les arts et les artistes, et la puissance
et la gloire du mécène se nourrissaient de ces audaces culturelles. A cette symbiose s’ajoute
aujourd’hui une opportunité comptable : la loi dite Aillagon du 1er août 2003 sur le mécénat accorde
90% de déduction fiscale pour l’acquisition d’un trésor national.
Quelques exemples
La fondation Cartier 46 expose des artistes à Paris et organise des expositions à l’étranger.
Louis Roederer 47 a lancé en 2008 un mouvement de « recherche de l’œuvre » sur son site Internet.
La marque soutient par ailleurs diverses manifestations et établissements telles que la galerie de
photographie de la Bibliothèque Nationale de France ou encore le Metropolitan Opéra de New York.
Hermès a créé en 2009 la Fondation d’Entreprise Hermès 48, pour organiser des événements et
accompagner des projets.
Artémis (groupe PPR) soutient activement les artistes contemporains en acquérant leurs œuvres et
en consacrant le Palais Grassi à Venise à l’art contemporain 49. Le groupe soutient également des
expositions ponctuelles en leur prêtant ses acquisitions, notamment pour l’exposition Pierre et Gilles
au Musée du Jeu de Paume en 2007, et Jeff Koons à Versailles en 2008.
LVMH a soutenu une trentaine de grandes expositions et récompensé 120 élèves d’écoles d’art par
les bourses du prix LVMH des jeunes créateurs 50.
Le flagship Louis Vuitton des Champs Elysées à Paris abrite un espace culturel accueillant des
expositions temporaires.
Montblanc (groupe Richemont) soutient l’accès aux métiers d’art (menuiserie-ébénisterie,
métallerie-ferronnerie, fonderie d’art) en délivrant des bourses, et subventionne le Prix Montblanc
de la culture en France à travers la Fondation Pierre de Coubertin 51.
Todd’s finance la restauration du Colisée de Rome à hauteur de 25 millions d’euros 52. En accord avec
la municipalité, le groupe pourra communiquer sur cette action, mais s’interdit tout affichage
publicitaire sur les lieux eux-mêmes.
45
http://www.christian-lacroix.fr/francais/actu/rouge/rouge.htm
http://fondation.cartier.com/
47
www.louis-roederer.com
48
http://www.fondationdentreprisehermes.org/
49
http://www.palazzograssi.it/
50
http://www.lvmh.fr/magazine/pg_mag_
51
http://www.coubertin.fr/ - Source : La Tribune 9 juin 2009
52
www.tods.com
46
102
L’ENGAGEMENT DANS LE DEBAT D’IDÉES
Prendre une part active dans le monde contemporain c’est aussi investir ouvertement le débat
d’idées : les maisons ne tournent pas le dos aux sujets sociétaux auxquels leur clientèle, large, se
montre sensible. Le luxe peut, sans trahir ses fondamentaux, témoigner de l’intérêt pour des thèmes
sortant de son périmètre, environnementaux, caritatifs ou politiques. Pour certains de ses dirigeants,
c’est même désormais incontournable, comme l’a relevé François-Henri Pinault, Président du Groupe
PPR : ‘Si nous voulons durer, il faut savoir agir de façon responsable tant dans le domaine social
qu’environnemental 53’.
53
Déclaration de François-Henri Pinault, Président du Groupe PPR – Rapport annuel 2008 p.9
103
Quelques exemples
Le groupe PPR a soutenu la production du film « Home 54 » et sa diffusion gratuite, et permis ainsi à
Yann Arthus Bertrand, activement engagé dans la défense de l’environnement, de diffuser largement
son message.
Le site Louis Vuitton réserve une rubrique entièrement dédiée à l’engagement de l’entreprise envers
l’environnement 55.
Chaumet s'engage pour la protection de l'abeille – son emblème - en apportant pour trois ans son
soutien à l'association Terre d'abeilles, inscrite au patrimoine de l'Unesco 56.
Karl Lagerfeld, Directeur artistique de Chanel, de Fendi et de la marque à son nom, a customisé Bob
l’éponge à son effigie (lunettes noires, cravate noire, mitaines, col impérial). Baptisée Bob Lagerfeld,
la figurine a été vendue aux enchères au profit du WWF-France
Baume & Mercier 57 s’engage chaque année aux côtés d’une personnalité soutenant une cause
caritative : la maison finance la campagne de publicité « Baume & Mercier & Moi », la personnalité et
le photographe reversent l’intégralité de leurs droits à l’organisation de leur choix.
La Fondation Burberry soutient les initiatives caritatives à destination des enfants 58.
A travers son réseau OneSight (152 établissements), Luxottica soigne et équipe gratuitement les
personnes ne pouvant avoir accès aux soins payants. Le 7 millionième patient a été soigné en 2009 59.
Les rapports annuels de LVMH mentionnent les mesures prises vis-à-vis des handicapés -.
Lancia 60 a dédié un film au prix Nobel de la Paix birmane Aung San Suu Kyi, ‘pour rendre hommage à
celles et ceux qui mettent leur vie en jeu pour un monde meilleur 61’.
Le lancement en 2008 de la 1.678 Sustainable Luxury Fair 62 marque l’émergence d’un souci de
rééquilibrage : ouvert à l’art contemporain et à l’innovation, il accueille les maisons impliquées dans
une démarche de développement durable et préservant le savoir-faire autant que les richesses
naturelles et les droits de l’homme. Ce ‘nouveau luxe’ tourne résolument le dos aux valeurs
négatives de futilité, égocentrisme, gaspillage parfois encore associées au luxe.
Les maisons de luxe occidentales ont réussi le passage au XXIème siècle, en ne se laissant pas
enfermer dans un paradoxe : s’affirmer fidèle à leur patrimoine historique et leur origine dynastique
peut en effet sembler contraire à l’utilisation des matières de synthèse, au recours à des
technologies de pointe ; et que dire de l’entrée résolue dans l’actualité culturelle ou sociétale, a
priori incompatible avec la tradition souvent appréhendée dans une acception conservatrice. Mais en
assumant avec superbe leur volonté d’être des spectatrices attentives de leur époque, elles donnent
54
55
http://www.youtube.com/watch?v=NNGDj9IeAuI
http://environment.louisvuitton.com/main_fr.html
56 http://www.chaumet.com
57
http://press-lounge.baume-et-mercier.com
58
http://www.burberryfoundation.com
http://www.luxottica.com/it/one_sight/
60
www.lancia.fr/nobel_2009/
61
Source : Newsletter ABC-Luxe n°330 – 18/11/2009 - http://www.abc-luxe.com/330.php
62
http://www.1618-paris.com
59
104
au luxe une dimension de vitalité qui dépasse la simple modernité. Doté d’une telle qualité, sa
régénérescence va par conséquent de soi.
105
LA PME PATRIMONIALE : DE
L’INNOVATION PRODUIT À LA
CONSTRUCTION ORGANISATIONNELLE
Jean-marie FURT
MCF, IAE de Corse
[email protected]
UMR LISA 6240
INTRODUCTION
Les notions d’espace et de territoire ont fait l’objet de nombreux travaux en économie (Zimmerman,
2008; Pecqueur et Gumuchian, 2007; Veltz 1996, Amable, 2005) ou en géographie (Di Meo,1996;
Lozato-Giotart et Balfet, 2007). Leur appréhension par les sciences de gestion est relativement
récente (Raulet-Croset, 2008) et se situe résolument au-delà d’une simple vision de l’attractivité ou
de l’avantage concurrentiel (Leon et Sauvin, 2010). Nous ne reviendrons pas ici sur les distinctions
théoriques entre espace et territoire. Nous considérerons encore, l’ancrage territorial comme une
variable importante de l’exercice de certaines activités (Granovetter, 2000).Cette analyse, comme
celles qui l’on suivie (Julien, 2003, Torres Fourcade 2003, Gundolf et Jaouen, 2005) suppose que la
mobilisation de la ressource locale par certaines entreprises se fasse dans le cadre d’une
coconstruction territoriale, animée ou développée avec les institutions locales. Beaucoup de ces
démarches s’appuient ou simplement mobilisent la notion de patrimoine. Dans les exemples sur
lesquels nous nous arrêterons, les objets patrimoniaux seront examinés sous l’angle des
constructions identitaires qu’ils véhiculent. Ils correspondent toujours à une revendication sociale
mais aussi à une démarche politique dont les visées sont évidemment plus lointaines : l’acte de
création ou de recréation permet de réveiller une culture, une différence, voire plus simplement de
contribuer à en assurer la transmission 63. Ces dynamiques on été longuement décrites (Nora, 1986;
Davallon, 2002), certaines s’attachant à l’analyse du processus politique de patrimonialisation (Le
Goff, 1998), d’autres croisant souvent cette notion avec celle de territoire, insistent sur son caractère
de ressource (Pecqueur, 2007) ou sa valeur économique (Greffe, 1990).L’approche culturelle de la
production que l’on retrouve dans ces discours et stratégies n’est pas non plus nouvelle (Sallais
Storpper, 1994; d’Iribarne, 1989, Orsoni et Marchenay, 2008).
Mais l’hétérogénéité des concepts rend parfois difficile la mobilisation des acteurs autour de
constructions qui peuvent leur sembler artificielles ou éloignées de leurs préoccupations
quotidiennes. Cette complexité est particulièrement prégnante dans le domaine touristique où le
territoire apparait de plus en plus comme une élaboration symbolique (Lauriol, Verret, Tannery,
2008) susceptible d’attirer des clientèles nouvelles. Elle apparait encore dans le secteur
agroalimentaire (Marchenay, 2001) ou pour certaines productions industrielles (Angeon et Vollet,
2008) et suppose une autre façon de fabriquer, de s’organiser, de manager des projets.
En se situant dans ce courant, l’objectif de cette communication est d’essayer d’examiner si dans une
économie fortement ouverte, certains territoires, en marge des circuits de production classiques
peuvent mettre en avant leurs spécificités, créer ou recréer une authenticité, protéger une identité,
63
Nous formulons l’hypothèse que ces pratiques et construction sont attachés à des territoires particuliers : par
ex des territoires insulaires.
106
pour attirer certaines populations, des PME ou plus simplement s’organiser autour de projets
fédérateurs censés leur assurer un nouveau développement. Cette dynamique devrait inciter les
entreprises à intégrer référence culturelle et identitaire (d’Iribarne, 1989, Furt et Michel, 2007) pour
créer de nouveaux concepts, produire dans le monde rural, introduire d’autres modes de
gouvernance, autrement dit à innover ou à adopter un mode de fonctionnement patrimonial. Mais
les exemples que nous présenterons démontrent tout autant l’intérêt à simplement utiliser l’image
d’un territoire que la difficulté à développer de nouveaux mondes de production (Salais et Storper
1994). La tension entre économie identitaire et économie marchande (Barthelemy, 2007) qui soustend le concept d’entreprise patrimoniale semble difficile à dépasser.
1. METHODOLOGIE
Nous avons fait l’hypothèse, pour des raisons tenant à la consistance du tissu local 64, mais aussi à la
politique publique mise en œuvre que l’on pourra plus facilement retrouver le concept d’entreprise
patrimoniale dans certains secteurs d’activité (culture, transport, tourisme et agroalimentaire).Ils
seront donc explorés en priorité.
À partir de là, la recherche s’effectue à deux niveaux :
Les entreprises tout d’abord : nous avons choisi une dizaine d’entreprises 65 de ces secteurs et
envisageons procéder à des entretiens semis directifs avec les dirigeants (trés souvent d’ailleurs les
propriétaires–fondateurs). Le choix s’est fait, pour certaines en raison de leur caractère innovant 66
pour d’autres au regard de leur histoire et du poids des représentations qu’elles peuvent véhiculer 67.
Les entretiens vont durer à peu prés deux heures. Les données seront examinées au travers de
logiciels d’analyse du discours afin de dégager, la définition d’une entreprise patrimoniale, les
spécificités éventuelles de sa gestion et un profil type du dirigeant. Les entretiens sont divisés en
trois rubriques : l’entreprise et son dirigeant, (histoire, stratégie) les relations avec le territoire
(politique de gestion des ressources humaines, collaboration avec les acteurs publics et privés) et
enfin une série de questions permettant de percevoir le sentiment que pourrait avoir le dirigeant de
son rôle dans la construction territoriale. Il s’agit ici de faire apparaitre, si la construction de
l’entreprise patrimoniale correspond à une action consciente ou si elle obéit à de simples
opportunités conduites par la loi du marché. Ces informations seront complétées par un examen de
la documentation économique et financière, les procès verbaux d’assemblée générale, les sites
internet et autres outils de communication.
Le territoire ensuite : les entretiens conduits avec des responsables d’agence de développement,
dirigeants d’organismes patronaux, d’élus locaux devront nous permettre, tout d’abord de
« mesurer » le rôle de ces entreprises dans la construction du territoire (orientation productive,
participation à des alliances locales), mais aussi de situer l’action de ces entreprises par rapport aux
choix de politique publique (soutien à l’investissement, fiscalité, évolution de la politique de
communication en matière touristique).
Nous n’avons pour l’instant véritablement travaillé qu’au niveau de deux entreprises du secteur
touristique : un Tour Operateur CORSICATOUR, l’exemple d’une réussite d’entreprise et la SAS
PRUMITEI dont l’analyse de l’échec rapide peut nous apporter des informations sur l’entreprise
patrimoniale et ses marges de manœuvre. Il nous reste encore à examiner la situation de deux
64
Notre terrain d’étude est la région Corse .Certaines des analyses sont transposables mais la force du lien
territorial ne nous semble pas permettre une véritable généralisation.
65
Compte tenu du tissu local, essentiellement constitué de TPE, nous avons essayé de nous intéresser à des PME
mais plutôt que de travailler sur des aspects quantitatifs nous privilégions ici le critère de contrôlabilité (Guilhon
, 1998).
66
C’est le cas de la SAS PRUMITEI
67
Ces deux critères n’étant pas exclusifs.
107
transporteurs, de quatre entreprises du secteur agro alimentaire et deux producteurs culturels. Ce
travail s’étalera sur l’année 2013 et devrait permettre d’aboutir à la finalisation du concept.
2. OBJECTIFS, PROBLEMATIQUE ET CONTEXTE THEORIQUE
Il ne s’agit pas pour nous de créer ici une classification supplémentaire de PME ou de TPE (Torres,
1998) Cette recherche trouve son origine dans l’interrogation de décideurs publics sur l’opportunité
de poursuivre les soutiens classiques à certains secteurs d’activité 68. Ils désirent disposer d’autres
indicateurs permettant d’avoir une analyse plus fine, transcendant les démarches sectorielles,
souvent fortement corporatistes. Ils souhaitent soutenir des entreprises innovantes 69 et
suffisamment ancrées dans le territoire pour que celui-ci en retire un bénéfice qui irait au-delà des
créations d’emplois ou des contributions fiscales. A ce stade de l’analyse, une entreprise
patrimoniale peut s’inscrire dans la chaine de valorisation patrimoniale (tourisme, agroalimentaire,
culture..) c’est à dire « utiliser » des ressources territoriales (réelles ou virtuelles, existantes ou
réinventées). Elle peut encore, sans se situer sur ce type de segment (transport par exemple), et
donc sans bénéficier de la même rente affective ou environnementale, entretenir avec le territoire
des rapports particuliers qui se manifestent sur le plan économique et social (politique de prix,
gestion des RH, politique de formation).
Si au plan matériel, l’éventail est donc relativement large, au niveau théorique, il n’existe dans la
littérature que peu de référence sur le sujet. En matière management territorial, tout d’abord, on
pourrait peut retrouver certains éléments dans l’analyse des pôles d’économie du patrimoine
(Virrassamy, 1997) ou dans la définition d’une économie identitaire (Taddei et Antomarchi, 1997,
Barthelemy, 2007). Cette recherche s’inspire encore des travaux conduits par certains économistes
sur le patrimoine (Cuvelier, Torres, Gadrey,1994 ; Barrère, Barthelemy, Nieddu, Vivien, 2005),
puisque l’on retrouvera dans le concept d’entreprise patrimoniale ce souci de transmission. Mais ces
réflexions en reste généralement au stade de l’action publique, sans véritablement aborder
l’intégration de la dimension territoriale dans la chaine de valeur de l’entreprise. En ce qui concerne
les analyses plus directement centrées sur les entreprises ensuite, notre démarche se situe au
confluent des réflexions sur la proximité 70 (Jaouen et Torres, 2008, Torre, 2012), la RSE (Capron et
Quairel-Lanoizelée, 2007) et l’entreprise familiale 71 ( Allouche et Amann, 2000).
3. LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET SOCIAL
Le premier élément qui caractérise une entreprise patrimoniale, c’est donc cet ancrage territorial. Ce
type d’entreprise ne peut donc à priori s’affranchir d’une politique qu’elle va contribuer à construire.
Pour mieux appréhender la situation des deux structures choisies, il nous semble indispensable de
rappeler à grands traits les évolutions de la politique publique du tourisme. Cette description
chronologique se fera en deux temps : le premier souligne la nécessité de construire une économie
touristique et s’accompagne des premières interrogations stratégiques, le deuxième, correspondant
68
Essentiellement pour la Corse, le tourisme, le transport, l’agroalimentaire
Cela reste une notion complexe v. C. Gallouj L’innovation dans les services Economica 1996.
70
Si on retrouve le territoire dans les travaux sur la proximité (Gundolf, 2004), il va apparaitre pour une
entreprise patrimoniale un élément moteur de son activité. Alors que la proximité est une grille de lecture
adaptable à tout territoire et à tout type d’activité, nous réserverons la classification d’entreprise patrimoniale à
celles qui se situent dans des territoires marqués par une histoire, une identité, des productions attachées à un
terroir.
71
L’entreprise patrimoniale, pour les définitions que nous avons pu trouver, est le plus souvent assimilée à une
entreprise familiale. Mais comme nous le verrons dans l’un de nos exemples, les deux notions ne nous semblent
pas superposables.
69
108
à la période la plus récente, constatera la nécessité de développer, d’accompagner une politique
mettant l’accent sur les notions d’authenticité, de qualité, plus en phase à priori avec le
développement d’entreprises alliant innovation et tradition.
Une mise à niveau de l’offre
En Corse, le tourisme n’a été que très récemment explicitement affiché comme moteur de
l’économie insulaire (Furt, Maupertuis, 2006). L’évolution économique, mais aussi la raréfaction des
crédits publics, a pourtant vu le recul progressif de certains slogans réducteurs «tout tourisme,
mono-activité touristique » ou de formule ravageuse présentant cette « activité comme un mal
nécessaire ». Un certain consensus s’est donc installé autour d’un secteur qui avec 1,5 milliard
d’euros de chiffre d’affaires, constitue aujourd’hui la principale activité économique de l’île. Cela va
se manifester à partir des années 2000 par un engagement fort de la collectivité territoriale de Corse
qui, sur les 60 millions d’euros d’aide au tourisme, (ingénierie, communication, soutiens divers…) en
aura personnellement investi près de 45 millions.
Ce souci d’un rattrapage économique rapide est bâti sur une instrumentalisation de l’environnement,
et en dehors de véritable contrepartie territoriale, qui pourrait constituer le premier embryon d’une
économie patrimoniale.
L’orientation des aides traduit en partie ces incertitudes. La majeure partie de ces investissements
publics a été dirigée vers le secteur de l’hébergement, contribuant ainsi à renforcer une économie de
l’accueil au détriment de structures de production.
L’élaboration de cette politique souffre en fait de l’absence d’un véritable schéma 72 intégrant la
Corse et le tourisme dans une vision globale du développement économique. D’ailleurs, ces choix,
s’ils atteignent leurs objectifs quantitatifs, ne vont pas sans révéler un certain malaise qui tient en
grande partie à la sensation d’une certaine exclusion de la part des résidents.
En effet, en l’absence de décision politique globale, le développement semble réservé à une petite
partie de la population et peine à assurer l’adhésion du plus grand nombre. Il existe donc une
fracture entre l’affirmation de certains objectifs (croissance, développement…), la pression que celuici génère sur les ressources patrimoniales et le sentiment d’une partie de la population qui ne se sent
pas directement concernée par ces enjeux, espérant simplement pouvoir en tirer quelques avantages
supplémentaires.
On se heurte alors à des conflits d’intérêts entre une petite frange de professionnels désirant une
diversification de la clientèle 73 et une politique élitiste, totalement orientée vers les courts séjours
présumés rémunérateurs ou vecteurs d’un allongement de la saison, et une grande masse d’acteurs
pour lesquels le niveau actuel est satisfaisant.
L’ensemble de ces entrepreneurs, tout comme d’ailleurs le reste de la population, appelant de leurs
vœux un développement toujours plus durable et respectueux de l’environnement. Chacun y allant
de sa définition, de ses priorités. Certains défendant une atteinte limitée au patrimoine naturel, sous
couvert de croissance, d’autres s’arque boutant sur une protection militante de l’espace et de la
nature.
72
Dans l’attente de l’élaboration du Plan d’Aménagement et de développement durable prévu par la loi du 22
janvier 2002, le tourisme en corse est toujours régi par le schéma de 1992. Sur ces errements et controverses, v.
Moretti J-L, Histoire de la planification du tourisme en Corse in la Corse et le tourisme 1755-1960, Albiana
2006.
73
La clientèle française provient essentiellement des régions PACA et île de France, la clientèle étrangère est
principalement italienne.
109
Ces fractures recouvrent encore des clivages profonds, entre action publique et liberté du marché,
entre protection et valorisation. Elles reflètent en tout cas une distorsion entre l’image vendue et la
réalité du terrain et illustrent une nouvelle fois les incompréhensions d’une politique qui impose ses
vues sans construire la ressource, et donc le territoire, avec les acteurs. Malgré une structuration de
sa clientèle qui par sa proximité et son absence d’intermédiation aurait autorisé une plus grande
créativité, la Corse a choisi d’entrer dans des schémas classiques, qui font comme nous le verrons
dans notre dernière partie le bonheur de certains professionnels
Cette option, en contradiction totale avec les principes d’un développement durable, semble
pourtant se reproduire à l’heure où la région parait vouloir réconcilier définitivement sa population
avec l’activité touristique pour mieux conquérir d’autres clientèles. L’échec politique et social
représenté par le retrait du projet de Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse
(PADDUC) laisse en effet pour seule alternative aux acteurs et résidents, l’adhésion à une démarche
de responsabilisation générale faisant du tourisme « l’affaire de tous » au travers du programme
«Qualité Corse ».
Une gouvernance fondée sur la qualité de la destination
Cette stratégie qui s’inscrit dans un cadre national 74 résulte de l’appréhension « d’un marché de plus
en plus concurrentiel, de clients de plus en plus exigeants et du souci grandissant de mettre en
oeuvre un développement équilibré » (Bergery 2002). L’approche, là encore, n’est donc pas à priori
très innovante. Elle est construite à partir d’une identification globale autour de la notion de
« Qualité Corse » qui permettra de créer une marque de référence impliquant positionnement
touristique et adhésion des acteurs. Sur le plan théorique, cette analyse trouve ses racines dans les
nouvelles réflexions sur le territoire (Gumuchian et Pecqueur, 2007). Sur un plan pratique, elle a été
employée avec un succès mitigé dans d’autres régions (Pays cathare par exemple 75) qui s’efforçaient,
elles aussi, tout à la fois d’agréger la population autour d’un processus de développement fondé sur
une marque identitaire (Rebillard, 2007) et d’inscrire durablement la destination dans l’imaginaire
des visiteurs. La stratégie choisie par la Collectivité territoriale de Corse, si elle peut en partie
s’expliquer par le recul des financements nationaux et la fin du tourisme comme élément central des
contrats de plan, suscite néanmoins un certain nombre d’interrogations :
-que construire autour de cette notion, tant sur le plan matériel qu’immatériel pour en faire
un facteur d’attractivité ?
-qu’est ce que cette construction suppose comme investissement, mais aussi renoncement
de la part des acteurs du territoire ? Est-ce qu’elle répond aux besoins de la population locale ? a-t
elle fait l’objet d’une démarche participative ?
La première question semble pouvoir trouver une réponse au moins partielle dans une campagne,
qui va bien au-delà de l’action d’un annonceur ou de la mise en oeuvre d’une démarche qualité
classique, puisqu’elle s’efforce de donner au projet une dimension politique, d’en faire un véritable
contrat, passé avec les visiteurs et la population. Le label « qualité corse » doit en en effet exprimer
un environnement préservé, des structures à taille humaine et plus généralement l’identification du
territoire comme une destination de caractère. Ce sont des choix de développement qui
correspondent tout à fait aux discours sur l’économie patrimoniale issus de nos premiers entretiens.
Ils sont d’ailleurs revendiqués aujourd’hui par d’autres régions françaises et certaines destinations
méditerranéennes qui s’ouvrent au tourisme. L’île veut utiliser son capital environnemental, pour en
faire un atout, monnayer cette image, vendre une destination unique en Méditerranée Il reste que si
la destination semble toujours aussi prisée pour la qualité de son environnement, plus exactement
de son littoral, une politique publique de développement ne peut ignorer les débats qui affleurent
74
75
www.qualité-tourisme.gouv.fr
www.cg11.fr
110
actuellement sur la nature du patrimoine naturel et le désir de certains de le transformer en capital
et donc de l’exploiter.
Il est clair qu’en ce domaine les insuffisances sont criantes, (il n’y a par exemple aucun établissement
labellisé clef verte). Ces manques ne sont pas pris en compte dans la démarche « qualité corse » qui
va se contenter de relever des évidences sur la beauté des sites et le niveau de protection et de tenir
compte d’efforts individuels, toujours disparates, plutôt que de fixer des actions claires et une
stratégie à moyen terme. Ces incohérences, au regard des enjeux économiques, s’expliquent,
d’abord par le jeu institutionnel, qui cloisonne la politique touristique, la livrant ainsi au jeu
bureaucratique et partisans, plutôt que de l’intégrer dans une dynamique de développement global.
Cela abouti encore à valoriser et intégrer 76 des opérations qualités plus classiques, initiées par les
chambres de commerce avec leurs propres acteurs et réseaux. On renonce ainsi, au moins
momentanément, aux messages politiques inscrit dans le programme qualité Corse, au profit de leur
traduction technique, dont on est sur qu’elle permettra de disposer du plus petit dénominateur
commun.
On ne manquera pas malgré tout de se demander si ces refus ne découlent pas d’un fonctionnement
corporatiste, qui verrait les hébergeurs locaux, produits d’une activité artisanale et pour la plus part
d’entre eux héritiers (Arregle et Mari, 2010) d’un entreprenariat occasionnel, dominer les circuits
d’allocation et les réseaux de concertation et de discussion. L’objectif étant d’installer des barrières à
l’entrée du marché et de parer la petite taille de toutes les vertus de l’authenticité et de l’hospitalité.
Alors qu’en fait, ce discours n’est souvent là que pour perpétuer une domination, freiner
l’investissement et enterrer toute idée de modernisation et d’adaptation globale à l’évolution de la
clientèle et d’innovation
On voit donc poindre derrière cette démarche qualitative, un discours élitiste qui offre l’opportunité
de fédérer certains opérateurs et la grande masse des résidents, autour des notions de création de
richesse et de faible impact environnemental. La stratégie développée dans le dernier contrat de
plan à occulté les impacts du tourisme pour les habitants, tant en termes de qualité de vie que de
partage de la valeur ajoutée. Dans le même ordre d’idée, l’entreprise est réduite à une fonction
d’investissement respectueuse de l’environnement. Sa responsabilité sociale (Paradas, 2008) n’est
jamais envisagée alors qu’elle tire sa force du territoire et de ses ressources. On voit en revanche, au
travers de campagnes de communication telles que « notre nature c’est l’accueil» poindre celles des
résidents. Ils deviennent acteurs d’un système et sont mis au cœur d’une stratégie dans laquelle les
décisions politiques sont toujours différées. Cette évolution, encore diffuse, n’est accompagnée
d’aucune contrepartie sociale. On refuse de s’interroger sur le partage des fruits de cette activité, sur
les contreparties aux désagréments ou destructuration qu’elle occasionne, par peur de devoir faire
des choix et de réguler cette activité. Il reste à espérer que le tourisme ne soit plus vu comme une
activité secondaire ou occasionnelle et que son acceptation actuelle ne soit pas un marché de dupes.
Il faut maintenant examiner si cette « évolution » de la stratégie publique peut trouver une
traduction dans l’action des entrepreneurs privés si donc la Corse « est en capacité d’entamer des
processus endogènes d’accumulation industrielle et technologique, à réaliser un embrayage effectif
des effets de l’implantation d’une entreprise sur un développement industriel et technologique du
tissus local » (Colletis, Gilly, Pecqueur, Zimmerman, 1997).
4. PRÉSENTATION DES CAS
76
Il s’agit, pour l’hébergement, de mettre en œuvre des opérations de labellisation Hôtel Cert ou Camping
qualité
111
L’industrie touristique reste en Corse extrêmement fragmentée 77 et fermée sur elle-même. C’est un
monde de petites entreprises familiales peu enclin à l’innovation qui continue à subir une activité en
jouant des atouts du territoire 78.
Elle bénéficie, d’une clientèle captive, que lui procure sa proximité, mais aussi les choix politiques qui
ont pendant longtemps privilégiés le transport maritime (l’île possède 6 ports de commerce) au
détriment de toute logique économique et sociale. Cette organisation, fruit d’un tourisme de
cueillette (tout comme la faiblesse des séjours à forfait) ne correspond pas aux canons d’une activité
industrielle. Elle révèle une fois encore, le caractère artisanal d’un tourisme toujours subi et la
difficulté de vendre une île, empreinte d’un parfum d’exotisme, malgré sa proximité de la plupart des
capitales européennes.
De cette situation artisanale, émerge de belles figures d’entrepreneurs (Boutillier et Uzundis, 1995,
Drucker 1995) dont les réussites et les options actuelles semblent contredire les évolutions de la
stratégie publique. Plutôt que de focaliser sur le développement de structures d’accueil qui
requièrent peu d’innovation et font rentrer leur créateur dans la catégorie de l’entrepreneur
gestionnaire, nous souhaiterions nous arrêter sur une catégorie de dirigeant « qui intervient pour
que les choses prennent pour que se réalise une conviction sur l’objectif commun » (Gomez 1996).
Notre choix s’est donc porté sur des producteurs de tourisme (en l’espèce un operateur de voyage et
une entreprise à vocation patrimoniale et culturelle) qui doivent normalement contribuer à façonner
une offre touristique et donc entretenir une relation particulière avec le territoire.
Apres une présentation des deux entités, ces liens éventuels seront examinés à deux niveaux, au
regard, tout d’abord, de leur positionnement par rapport à l’évolution de la stratégie publique, en
s’arrêtant ensuite, sur d’éventuelles démarches, actions ou comportements traduisant une
identification de l’entreprise au territoire.
4.1. Prumitei : l’échec d’un projet patrimonial ?
En 2009, Le « Centre des arts du feu » de Fancardo 79 ouvrait ses portes au cœur d’un territoire rural
du centre de la Corse. Situé géographiquement au carrefour de plusieurs voies de communication de
la Corse intérieure, ce projet hors-norme baptisé « Pumitei » 80, se trouve à la croisée de chemins
conceptuels : entre développement local, tentative de ré-industrialisation et projet d’animation
touristique patrimonial. Des l’origine, le projet s’inscrit dans une logique de partenariat public privé
alliant les subventions d’un pôle d’excellence rural et les aides régionales à la création d’entreprise.
Deux ans plus tard, la SAS fermait à la suite d’une liquidation judiciaire : 17 salariés se retrouvaient
au chômage et une tentative de création d’une entreprise originale prenait fin ; Comment en est –on
arrivé là ? Quels enseignements en tirer au regard des stratégies patrimoniales qui pourraient être
mises en œuvre
Un projet triplement original
Nous ne sommes pas ici face à un simple projet d’entreprise mais plutôt, des le départ, à une volonté
d’innover sur divers plans. Le centre des arts du feu « Prumitei » est un concept « intégré » au sens
77
On compte plus de 400 établissements d’hébergement et de restauration qui restent des entreprises de petite
taille. Il n’existe qu’un établissement hôtelier de chaine et une seule chaine volontaire a pénétré l’île. Celle-ci
s’est implantée très récemment et fédère une dizaine d’établissements.
78
L’étude réalisée en 2005 par la société KPMG78 pour l’Agence du Tourisme de la Corse (ATC) montre bien
que ce sont les atouts naturels de la Corse (paysages, mer et plages, nature et authenticité, soleil climat) qui
attirent prés de 62% d’une clientèle essentiellement française.
79
Francardo est une très petite localité, hameau de la commune d’Omessa, située à treize kilomètres de Corte,
ville universitaire et capitale historique de la Corse. Ce hameau est la résultante d’une vague d’implantations
industrielles que connue la Corse entre la seconde moitié du 19ième siècle et le début du 20ième.
80
Prumitei est la corsisation de Prométhée, le Titan de la mythologie grecque qui donna le feu aux hommes.
112
conféré à ce terme par l’aménagement touristique, c'est-à-dire celui d’une gamme de prestations
entre les mains d’un seul opérateur.
L’objectif final étant de mettre face à une clientèle, un espace structuré au sein duquel elle disposera
de services nécessaires et suffisants, pour satisfaire ses attentes, permettant aussi à la structure de
générer des profits qui soient de nature à assurer sa pérennité. En marge de l’activité touristique,
mais devant trouver sa rentabilité dans cette activité, il s’agit d’organiser une activité de production
de bronze, poterie 81, verre dont les produits pourront être vendus en saison, mais aussi de proposer
des activités culturelles, des animations, relayées par une structure crées à cet effet. Les diverses
activités sont coiffées par une holding, mais conservent leur autonomie comme le montre le schéma
ci-dessous :
SAS
Prumitei
(Holding)
SARL
METALLICA
(Bronze)
SARL
TERRA
(Poterie)
SARL
VETRU
(Verre)
SARL
BUTEGA
(Boutique)
SARL
CANTINA
(Restaurant
SARL
PRU’MOVE
(Agence)
La deuxième originalité réside dans un partenariat public-privé qui va permettre l’aboutissement du
dossier au travers d’un pôle d’excellence rural 82 alliant patrimoine et tourisme et bénéficiant d’un
partenariat entre des opérateurs privés et la communauté de commune 83 sur laquelle se situera
l’entreprise.
La troisième originalité tient déjà à l’implantation du projet en zone rurale et donc au rééquilibrage
territorial qu’il organise. Mais il faut encore insister sur le travail de recréation patrimoniale qu’il
initie, permettant à une activité de services comme le tourisme de trouver un lien industriel fort et
donc peut être de dépasser les critiques, essentiellement fondées sur l’aliénation, que subit ce
secteur depuis de nombreuses années (Lallement, 2007 ; Itacaina, 2010). Au-delà de cet aspect
sociologique, l’intérêt économique de l’opération est évident puisque la structure est maitresse de sa
production, détient un savoir faire et en définitive n’est plus dépendante des aléas du tourisme pour
vivre.
81
Si la poterie peut être considérée comme une activité traditionnelle, le verre et le bronze n’ont que peu de lien
avec la région. Cette appropriation patrimoniale au travers de partenariats avec un fondeur Burkinabé et un
artisan de Biot est une innovation a pu surprendre bon nombre de visiteurs. Sa maitrise exige un temps dont
l’entreprise n’a pas disposé.
82
La loi n°2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux déclinait 6 priorités
pour la ruralité :
- Soutenir les territoires les plus fragiles - Favoriser l’emploi
- Développer les activités agricoles et équestres
- Renforcer les services de santé en milieu rural
- Développer les services en milieu rural
- Rénover le patrimoine rural bâti et favoriser le logement
- Valoriser et protéger les espaces naturels et agricoles
83
Elle est propriétaire du bâtiment principal (en pierre du début du vingtième siècle avec tour de briquettes
rouges) qui sera rénové de manière plus moderne avec (bardage métallique et poutres aciers)
113
Il s’agit donc, à plusieurs titres, d’une opération qui s’inscrit dans un processus de développement
durable. Si les impératifs environnementaux ne sont pas pour une fois mis en avant, il répond
évidemment aux exigences sociales de la définition, au travers des opérations de formation mises en
place, des partenariats noués avec les écoles de la région, des emplois créés dans une zone frappée
par la désertification. Mais l’aspect fondamental de l’opération reste son articulation sectorielle qui
permet de sortir des aléas de la monoactivité.
Le volet économique, sans lequel la durabilité n’existe pas semblait au départ tout à fait équilibré et
personne n’aurait pu prévoir que l’aventure se terminerait aussi rapidement. L’analyse de l’opération
démontre à posteriori que l’échec était inscrit dans le montage de la gouvernance et donc, dans une
certaine vision du développement durable qui intègre d’une appréhension particulière du pouvoir et
de la proximité (Torres, 2003 ; Dupuy et Torre, 2004 ; Torre, 2010).
Un projet schizophrène ?
La holding Prumitei était dotée d’un capital de 519 150 euros et administrée par un conseil de 18
membres présidé par le porteur de projet initial. Si la lourdeur du montage est largement imputable
à l’optimisation des financements publics par les créateurs. Les aides publiques n’étant pas
attribuées à la seule holding, mais à chacune de ses filiales 84, le choix de la gestion résulte tout à la
fois de la personnalité des acteurs et de leur implication dans une économie de proximité qui exigeait
un traitement égalitaire des acteurs.
L’entreprise, des son ouverture au mois d’août 2007, a été soumise à une double pression trouvant à
chaque fois son origine dans un mode de gouvernance particulier « imposé » par l’idée que ce type
de structure ne peut se développer qu’au travers de la confiance (Ben Ayed–Koubaa ; Maximin,
Pratlong, 2011) et de la responsabilisation :
- la pression des artisans tout d’abord, qui, peut être dans un souci de protection mais au
mépris de toute une culture professionnelle étaient salariés du groupe. Ce statut n’était pas sans
entrainer des conséquences dommageables, d’abord sur le plan identitaire et ensuite sur le plan
économique Les entretiens réalisés montrent en effet qu’ils se consacraient essentiellement aux
fonctions de production alors que leurs contrats exigeaient d’eux une fonction d’animateur. Cette
volonté de revenir à leur identité première, de ne pas être réduit à une autre fonction très
certainement moins « noble » a des conséquences financières directes : elle se traduit par une
abondance des stocks et des difficultés d’écoulement donc de trésorerie entrainant un climat social
difficile.
- l’absence de véritable réaction en ce domaine comme dans beaucoup d’autres tient à la
difficulté de mobiliser un exécutif de dix huit membres ou chacun doit pouvoir s’exprimer. Cette
gouvernance très participative, renforce le groupe, mais le rend peu apte à prendre rapidement les
décisions nécessaires au fonctionnement d’une entreprise en phase de démarrage.
L’échec de Prumitei est donc révélateur des difficultés à porter un projet qui sur le plan humain et
commercial reste très marqué par les « valeurs » du territoire tout s’en détachant fortement par le
caractère innovant de sa production. Cette dichotomie fatale n’est pas de mise dans notre deuxième
exemple, où le lien territorial semble réduit à la personnalité d’un entrepreneur, qui semble
simplement chercher à « utiliser » le cadre créé par la stratégie publique pour son bénéfice
personnel.
4.2. Corsicatours une entreprise familiale donc patrimoniale ?
L’entreprise Corsicatours est un poids lourd du tourisme corse. Classée parmi les cent premiers
opérateurs français, cette structure n’est pas née d’hier puisque l’entreprise a vu le jour il ya prés
d’un siècle. Comme son principal concurrent le groupe Ollandini 85 (Kieth, 2006) le créateur a démarré
84
85
Un peu moins de 100 000 euros par filiales pour les aides à la création d’entreprises.
Classé parmi les 30 premiers operateurs français du secteur
114
par un service d’autocar auquel ont été associés, au fil du temps, un certain nombre de services
complémentaires jusqu'à constituer un groupe intégré et moderne représentant aujourd’hui, 500
millions d’euros de CA et prés de 300 salariés.
La lente création d’un groupe intégré.
La petite entreprise constituée au départ d’une simple d’autocariste va connaitre une croissance
forte en « profitant » de l’industrialisation du tourisme. Nous sommes ici dans un cas classique qui
voit l’entrepreneur gestionnaire (Gomez, 1995) s’adapter progressivement aux évolutions du marché
et suivre les changements des normes et de goûts et pour mieux augmenter sa rentabilité.
Le schéma ci-dessous retrace les grandes étapes de la constitution du groupe maintenant présent
dans les activités de transport, de tourisme d’hébergement et de restauration sans compter une
diversification dans de nombreuses autres activités commerciales (immobilier, produits pétroliers).
1918
1973
1985
1996
2003/2009
2011
1er sté de transport
1er agence de voyage
investissements hôteliers
er
1 résidence de tourisme
création TO
Vitrine Web
C’est une entreprise familiale (Arregle et Mari, 2010) qui a su résister et rebondir après une première
transmission (elle a été fondée par le père de l’actuel dirigeant) et qui donc aujourd’hui prépare sa
deuxième évolution (le passage à la petite fille) tout en renforçant son intégration territoriale Cette
évolution a conduit, dans le domaine du tourisme, à la pérennisation de la performance de
l’entreprise au travers une intégration des activités. Les investissements réalisés sont des « paris »
d’entrepreneur, pris dans une spirale exigeant une présence sur tout le processus de production. Il
ne s’agit plus en effet de trouver un équilibre entre les différents portefeuilles d’activité (type BCGC),
mais de veiller à ce que chaque secteur, qui intrinsèquement peut connaitre des difficultés, contribue
à l’harmonie de l’ensemble.
Une entreprise classique
A la différence de la SAS Prumitei, dont le caractère éphémère conduit simplement à imaginer des
opportunités d’évolution, l’inscription centenaire de Corsicatours dans le paysage insulaire permet
de lire une stratégie (Ramanantsoa, 1997). Nous sommes dans une situation classique qui allie
logique d’expansion, accordant une priorité aux objectifs commerciaux et une volonté plus récente
d’améliorer la rentabilité (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007).
Les démarches stratégiques peuvent être rattachées au modèle LCAG 86 ou à celui initié par Ansoff,
elles restent pour nous, en dehors de la personnalité des dirigeants et de leur espace d’action,
relativement détachées du territoire. Sur le plan du management mise en oeuvre, l’entreprise reste
ici ancrée dans des schémas complètement traditionnels où un dirigeant unique décide en fait de
tout. Il conduit la modernisation de la structure dans un environnement relativement porteur sans se
préoccuper de délivrer de messages particuliers, sans se soucier d’une stratégie publique qui ne
l’intéresse que lorsqu’elle rejoint ses propres intérêts. L’intégration dans des réseaux sociaux et
professionnels (chambre de commerce, sponsoring sportif) est plus ambivalente. Elle correspond
d’abord de manière classique à une volonté de maillage territorial, de reconnaissance et donc
d’institutionnalisation d’une certaine réussite. Mais elle marque aussi, dans une région à forte
identité, le nécessaire retour sur investissement d’un enfant du pays qui semble « rendre » au
86
Learned, Christensen, Andrews et Guth
115
territoire ce qu’il lui a donné, justifiant peut être par là un aspect de la patrimonialisation de
l’entreprise. Cette proximité, faite d’enracinement local, de participation à diverses activités et
fonctions institutionnelles est un peu un passage obligé de la pérennisation de l’entreprise. Dans le
discours du chef d’entreprise, la patrimonialisation semble donc réduite à une transmission dont
l’horizon ne dépasse pas la sphère familiale.
5. DISCUSSION ET CONCLUSION
À ce stade de notre recherche, encore réduite à deux entreprises du secteur touristique, les premiers
éléments d’une définition de l’entreprise patrimoniale seront extraits de l’observation des liens que
ces entreprises entretiennent avec leur territoire et des éléments intrinsèques qui doivent
caractériser ce type de structure.
5.1. Une entreprise en relation avec son territoire
Les dirigeants et fondateurs des deux structures se sont revendiqués de la force de ces liens. Ceux-ci
nous semblent pourtant d’avantage tenir d’un comportement identitaire, être de l’ordre de l’affect,
que d’une volonté réelle de participer à une construction territoriale. L’intégration de cette
dimension demande certes du temps, mais elle est pour l’instant réduite soit à la famille, soit à
l’environnement immédiat de l’entreprise.
Nous avons positionné les deux entreprises dans les trois temps de l’action régionale sur la période
2000 /2011, sans tenir compte de leur date de création.
Temps de l’action publique
1.Aide directe + marketing
territorial
Situation des entreprises
Permet la mise à niveau de l’offre sans
contreparties
Exemples
Corsicatours
Prumitei
2.Développement d’une
marque régionale et d’un
tourisme identitaire
+ démarche qualité
3.Développement d’autres
formes de tourisme
Doivent faire les efforts nécessaires pour
intégrer le référentiel
Prumitei
Pas de contreparties
Prumitei
Il apparait donc que l’entreprise Corsicatours développe une stratégie qui croise parfois l’action
publique mais qui ne se situe absolument par rapport à elle ou à ses évolutions. Elle n’a d’ailleurs pas
intégrée la démarche de création d’une marque régionale 87 qui constituait le dernier temps fort de la
politique touristique locale. Elle n’a pas besoin de ce type d’appui et se contente simplement,
comme tous les autres acteurs du jeu local, des retombées éventuelles de la politique de
communication développée par l’ATC. Elle n’est pas davantage mobilisée par les velléités actuelles
d’orientation vers d’autres formes de tourisme et le développement durable n’apparait dans son
discours interne qu’au travers d’investissement d’éco-énergie. La concentration sur les seuls objectifs
du marché en font une entreprise « hors sol » mais contribuent à la renforcer.
87
C’est un élément fort de notre analyse puisque cette stratégie devait déterminer une « marchandisation »
organisée et concertée de la culture et de la nature et donc préfigurer la mise en œuvre d’une économie
patrimoniale
116
En revanche, l’entreprise Prumitei est directement inscrite dans une démarche de proposition d’une
autre forme de tourisme et se situe donc dans le droit fil d’une partie du discours régional. Elle a
pleinement utilisé les fonds mis à sa disposition et a tenté de développer une approche originale,
alliant production patrimoniale et commercialisation d’un tourisme différent. Mais les ambiguïtés de
la politique publique, le brouillage du message, l’absence de moyens proprement dévolus à un
tourisme alternatif ou simplement durable, ont largement contribué à déstabiliser une entreprise
déjà fragilisée par ses choix internes. La construction d’un territoire patrimonial passe donc par une
synchronisation des acteurs et tout décalage entre l’action publique et les stratégies privées, toute
action isolée peut se solder par un échec.
Celui-ci peut d’ailleurs découler des éléments intrinsèques à l’entreprise, d’erreurs de gestion qui ici
tendraient à démontrer la fragilité de ce type de structure. Il reste à déterminer si les processus de
rentabilisation et autres formes de management, si les constructions sociales marquées par
d’anciennes solidarités ou des relations de proximité qui gouvernent la création d’une entreprise
patrimoniale, sont « compatibles » avec son environnement immédiat.
5.2. L’entreprise patrimoniale : premières caractéristiques
Dans la littérature, l’entreprise patrimoniale était le plus souvent assimilée à l’entreprise familiale 88
ou circonscrite au domaine culturel 89. Ces approches ne correspondent pas au schéma que nous
essayons de construire, l’exemple de Prumitei démontrant que ce type d’entreprise ne peut être
restreint à la sphère familiale 90. D’autre part, si les activités culturelles peuvent a priori être
considérées comme des activités patrimoniales, tout dépendra du mode de management mise en
place et de la nature des liens entretenus avec le territoire. Il n’y a donc pas des activités ou des
modes d’organisation qui soient par nature patrimoniaux.
Une définition plus récente (Monteil, 2010) en fait une entreprise caractérisée « par une structure
souvent héréditaire de la famille dirigeante » qui se trouve à « l’interaction entre famille, actionnariat
et management » et qui aujourd’hui a inscrit le développement durable « au cœur de ses
préoccupations ». Cette vision innove, en introduisant la notion de développement durable, mais là
encore les aspects sociaux ou sociétaux risquent d’être occultés au profit des préoccupations
environnementales. Là encore, si l’on suit cette définition aucune de nos entreprises ne pourra
rentrer dans ce cadre (l’une n’a rien de familial et pour l’autre le développement durable se réduit à
de l’éco-construction). L’indépendance au niveau de l’actionnariat, reste en revanche une variable
importante 91, que certains assument de manière classique, à l’intérieur du cercle familial
(Corsicatours), alors que d’autres ont choisi d’ouvrir une partie de leur capital à l’actionnariat
populaire.
S’il est encore trop tôt pour donner une définition satisfaisante, nous voudrions simplement, à la
lumière de cette première phase de recherche, relever certaines caractéristiques de l’entreprise
patrimoniale :
-Elle entretient des liens avec le territoire.
L’entreprise ne pourrait produire ailleurs, parce’ qu’elle est identifiée au territoire. Il ne s’agit pas ici
d’un lien juridique (type appellation d’origine) mais plutôt d’une obligation morale du fondateur (qui
peut ensuite asseoir une stratégie commerciale). Ces liens peuvent être souples (l’entreprise se
contente de suivre la stratégie publique) ou forts : l’entreprise développe des partenariats novateurs,
transforme, construit le territoire en s’implantant dans des zones plus difficiles. Ces liens sont
essentiels pour certaines (agroalimentaires), plus immatériels pour d’autres, mais ils doivent éviter
88
Gattaz Y., Atouts et handicaps des entreprises patrimoniales http://asmp.fr
Greffe X., Entre l’offre et la demande : l’entreprise patrimoniale INP, 2007.
90
La grande majorité des entreprises sur lesquelles nous prévoyons de travailler ne sont pas des entreprises
familiales
91
C’est une caractéristique que nous développerons dans la deuxième phase de notre recherche
89
117
de faire du territoire un simple espace de production, de le « capitaliser » dans un processus de
rentabilisation.
-C’est une entreprise innovante
Cette innovation peut être liée au produit et donc souvent au patrimoine. Le lien territorial ne doit
pas constituer un frein mais au contraire permettre une évolution, des innovations tant au niveau de
la production que des pratiques commerciales. C’est à ce travail de « recréation patrimoniale » que
s’est attaché Prumitei. Dans ce domaine, le temps est essentiel pour permettre à la clientèle
d’adhérer à cette nouvelle image du territoire.
L’innovation peut être liée au mode de management, à une gouvernance plus participative, à une
volonté de responsabiliser salariés et acteurs pour qu’ils s’approprient le projet. Une entreprise
patrimoniale doit donc susciter une certaine adhésion puisque les acteurs contribuent à la
rentabilisation du patrimoine et donc d’une certaine manière à une utilisation privative d’un bien
commun. Cette acceptation suppose qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur l’étendue de la
marchandisation, mais aussi que chacun puisse retrouver son investissement.
-C’est une PME
L’entreprise patrimoniale reste une entreprise de proximité dans laquelle les relations de confiance
ont une très grande place. Pour certaines des personnes interrogées, certaines de ces structures font
partie du paysage au même titre que certains services publics. Ce type de relation, dans laquelle
l’entreprise est un élément du patrimoine local, n’est possible que dans des espaces restreints et
pour des entreprises de petite taille.
Les relations des entreprises avec les territoires sont des phénomènes complexes. Nous avons essayé
d’identifier deux modes de fonctionnement. L’un classique, s’efforçant avant tout d’en tirer un profit
personnel, et qui hormis l’apport économique se « détache » de plus en plus du territoire. L’autre
plus complexe, supposant des innovations sociales et entrepreneuriales qui risque de le fragiliser. On
pourrait paradoxalement penser que porter les valeurs d’un territoire suppose un certain
immobilisme voire un certain archaïsme. L’entreprise Prumitei fait la démonstration du contraire.
Mais ce n’est pas le trop plein d’innovation qui conduit à l’arrêt de l’activité. La fin est tout autant
due à des erreurs de management, qu’à l’isolement d’une structure, raisonnant encore en termes de
secteurs d’activité et en réussite individuelle plutôt qu’en construction de réseau.
118
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120
COMMENT ANCRER LES INNOVATIONS
DANS UNE CONSTRUCTION TERRITORIALE
: LES STRATÉGIES DE
PATRIMONIALISATION DU CHAMPAGNE
Christian BARRERE
Professeur de sciences économiques,
Université de Reims Champagne Ardenne
Résumé
L'histoire du Champagne et plus particulièrement des stratégies de patrimonialisation qu'elle a
connues est doublement intéressante du point de vue de l'innovation. Le but de ces stratégies
était en effet de transformer en patrimoine, actif spécifique à dimension territoriale, susceptible
d'être mis en valeur et protégé, les pratiques innovantes développées au cours de plusieurs
siècles, portant tant sur le produit et son lien au terroir que sur sa commercialisation. Pour cela
c'est un véritable processus d'innovation institutionnelle qui a été mis en oeuvre puisque ce sont
les stratégies des acteurs du champagne qui ont conduit à l'invention du régime d'appellation
d'origine, ensuite étendu à de nombreux autres vins puis produits agricoles.
L'objet de la communication est de présenter les leçons que l'expérience champenoise permet de
tirer de ce processus historique : spécificité de l'innovation institutionnelle, rôle des différents
types d'acteurs (grandes Maisons, autres négociants, vignerons), effet de la conjoncture,
conditions des négociations internes au secteur, organisation des compromis, ....
121
Le Champagne appartient aujourd'hui aux industries du luxe. Plus encore le Champagne a été le
premier produit à être passé du statut de bien de luxe aristocratique ou élitiste à celui de bien de
luxe marchand. Dans les années 50 on vendait aux alentours de 50 millions de bouteilles par an
mais aujourd'hui entre 300 et 350, dont plus de la moitié sont exportées. Plus encore, le
Champagne est une industrie très rentable : le prix d'un hectare de vignoble est de 11.000€ dans
le Languedoc, 33.000 dans la vallée du Rhône, 66.000 dans le Bordelais, 110.000 en Bourgogne,
131.000 en Alsace mais 829.000 en Champagne !
L'histoire du Champagne et plus particulièrement des stratégies de patrimonialisation constitue
un véritable cas d’école de stratégie d'innovation, combinant différents types d'innovation,
industrielle, commerciale, organisationnelle et institutionnelle. Leur but était en effet de
transformer en patrimoine, actif spécifique à dimension territoriale, susceptible d'être mis en
valeur, protégé, consolidé et reproduit, les pratiques innovantes développées au cours de
plusieurs siècles, portant tant sur le produit et son lien au terroir que sur sa commercialisation.
Elles se sont inscrites dans la longue période, comme stratégie délibérée et continue, reposant
sur des moyens spécifiques, définies et conduites par des acteurs leaders.
1 - UNE CASCADE D'INNOVATIONS : INNOVATIONS DE PROCÉDÉ, DE PRODUIT ET
COMMERCIALES
En Champagne, ni le climat ni le sol ne garantissent une qualité aussi régulière qu'en Bordelais
ou en Bourgogne. La qualité ne peut résulter que d'une amélioration de la qualité du travail
appliqué au vin, de sorte que les innovations joueront dans l'histoire du Champagne un rôle
majeur et beaucoup plus important que dans les autres régions viti-vinicoles.
Une innovation de procédé discutée et disputée
Les vins de Limoux ont été les premiers vins effervescents au monde. Les moines de l’abbaye de
Saint Hilaire ont mis au point en 1531 le procédé de production d’effervescence et mis sur le
marché les premiers vins blancs effervescents, dont le Champagne aurait usurpé le procédé et
qu’il aurait progressivement ‘cannibalisés’. Les producteurs de Limoux affirment que c’est à la
suite d’un séjour à l’abbaye de Sainte Hilaire que Dom Pérignon (l’'inventeur' du Champagne
effervescent) aurait introduit le Champagne effervescent à l'abbaye bénédictine de Hautvillers
en copiant la méthode de Limoux, désormais appelée méthode champenoise (la seconde
fermentation en bouteilles).
Toujours est-il que démarre en Champagne une production de vins blancs effervescents,
à côté de celle de vins tranquilles qui continue. A la fin du Moyen Age, l’insuffisance du débouché
local et régional conduit à exporter le vin vers Paris et les villes riches du Nord de l’Europe. Le
marché anglais constituera rapidement un débouché important et les variétés produites
s’aligneront de plus en plus sur le goût anglais pour les vins effervescents. Le mot Champaign
pour désigner ce type de vin apparaît en Angleterre avant le terme de Champagne en France. Les
effervescents ont pour eux l'avantage de leur prix, plus élevé car l'effervescence est rare et
appréciée, en particulier dans les Cours princières. En revanche ils sont pénalisés par leur coût
de fabrication lié aux pertes consécutives à l'explosion des bouteilles. On estime qu'un quart
seulement des bouteilles venaient à maturité, le verre étant incapable de résister à la pression de
la double fermentation.
Des innovations industrielles connexes
122
Ce sont donc les innovations intervenues dans l'industrie du verre qui vont permettre de réduire
les coûts en diminuant considérablement la perte industrielle. D'autres innovations, sous
l’impulsion d’abord des abbayes puis des grands négociants, du conditionnement du vin
(notamment avec l'amélioration du bouchage par l'invention du muselet et l'accroissement de la
qualité du liège des bouchons) et de l’œnologie du champagne (développement de l'assemblage,
sélection des plants, maitrise de la fermentation, stockage dans des celliers à température
constante,…) ont permis d’améliorer la stabilité et la qualité du vin, puis d’en assurer la
constance relative. Le vin put alors bénéficier de sa spécificité, être transporté sur des distances
plus longues, atteindre de plus en plus de Cours. Il régna à la Cour de Louis XIV et, surtout, en
Angleterre, à la Cour royale d'où il se diffusa au sein de l'aristocratie britannique, puis en Russie
et dans l'ensemble des Cours européennes. Le prix du Champagne s’éleva et à la fin du XVII° les
premiers négociants de vin apparurent ; ils vendaient des vins tranquilles traditionnels et les
nouveaux vins effervescents. Une nouvelle partie de la bourgeoisie symbolisée par les familles
Moët, Ruinart, Heidsieck, Clicquot émergea alors à partir du textile (Colin, 1973).
Cependant la production viticole champenoise reste caractérisée aux XVIII° et XIX° siècles par sa
profonde hétérogénéité. L’essentiel de la production est constitué de vin de qualité médiocre
destiné principalement aux marchés de masse de la région parisienne (90 % de la production est
encore constituée de vins rouges et, en 1875, le volume des Champagnes à proprement parler
représente moins de 2% du volume total des vins de Champagne, cf. Colin, op. cit., p. 10).
Le temps des innovations commerciales
Les négociants les plus importants ont cherché à développer les exportations de vin et innové
dans la commercialisation des vins en utilisant souvent des réseaux qu’ils avaient constitués
dans le commerce des textiles 92. Ils visaient essentiellement le marché allemand et le marché
britannique susceptibles d’avoir des croissances rapides (Moët vend 6 826 bouteilles en
Angleterre en 1802 mais dès 1810, et malgré le blocus, 54 980 ; cf. G. Clause in Crubellier, op. cit.
p. 335). Sur ces marchés ce sont des vins effervescents qui trouvent preneur et la progression de
ce qui est devenu alors Champagne continue : alors qu’en 1785 l’on ne vendait que 300 000
bouteilles environ, en 1832 600 000, en 1844 on en vend 7 millions, en 1852 8 millions mais en
1870 on est déjà à 17, 5 millions, dont près de 14 millions vendues à l’étranger
(systématiquement prospecté par les grands négociants qui trouvent de nouveaux débouchés en
Russie, aux États Unis), en 1899 on est à 28 millions et le pic de 1910, avant la grande crise du
vignoble, est à 38 593 000 bouteilles dont 23 millions vendues à l’étranger (G. Clause, op. cit., p.
389 ; H. Saint-Julien, p. 45). Ce sont ainsi les débouchés sur les marchés extérieurs qui seront le
moteur de la croissance de la production et entraîneront un début d’identification entre
champagne et vin de fête, lui donnant une relative spécificité. La dépendance par rapport à
l’exportation, synonyme d’importance des frais de transport, consolide l’incitation à choisir un
produit de qualité et à forte valeur unitaire.
Le développement de la marque est lié à la mise en place délibérée d’une politique de
communication, politique d’autant plus efficace qu’elle pouvait s’adresser aux cibles
relativement délimitées que représentaient les consommateurs de Champagne, bien de luxe.
L’étiquette, décorée et portant le nom de la marque se généralise, pour les négociants, à partir de
1820. Ces derniers participent aux Expositions internationales, recourent au mécénat, utilisent
l’affiche, la peinture, la chanson, la publicité dans les journaux, développent le sponsoring 93.
92
Ainsi les mêmes agents à l’étranger vendront à la fin du XIX° les tissus Ponsardin et le Champagne Clicquot,
la production traditionnelle et la production nouvelle de la famille Clicquot-Ponsardin (Colin, op. cit., p. 13).
93
En 1887, à l’exposition universelle de Bruxelles est présentée une bouteille de Ruinart de 11mètres de haut ;
en 1889, à l’exposition universelle de Paris, le Syndicat du commerce des vins de Champagne fait construire, au
nom de ses 47 adhérents, le Pavillon du Champagne, qui devient Palais du Champagne à celle de 1900. A la
même époque, Yvette Guilbert chante : « J’ai le cœur guilleret, l’air folichon, je suis prête à faire des cabrioles,
quand j’ai bu du Moët et Chandon » Le Champagne, 3 siècles d’histoire. Stock, p. 129.
123
Début XIX° la marque figure seule sur l’étiquette. Les noms des marques sont mondialement
connus : Moët, Ruinart, Clicquot, Pommery, Lanson,…
Les obstacles à l'expansion : qualité aléatoire et concurrents usurpateurs
Si les marques ont une forte réputation, elles sont néanmoins parasitées par les producteurs de
médiocre qualité. En effet, sous le nom de Champagne, l’on pouvait trouver le meilleur et le pire.
Au XIX° une partie du vin dit de Champagne était encore élaborée en dehors du territoire de la
Champagne et parfois fait à partir de raisin étranger à la région, venu de l’Aube, du Saumurois,
du Sud de France, et même d’Espagne et d'Algérie. La qualité du champagne était ainsi
extrêmement incertaine et le vin peinait à se constituer durablement comme produit de luxe.
Or, les données climatiques limitaient la productivité quantitative du vignoble, empêchaient des
stratégies de domination par les coûts et incitaient à choisir, dans la concurrence vinicole, des
stratégies de qualité fondées sur une différenciation du produit. Les grands négociants (les
« maisons »), qui avaient pris leur essor au XIX° quand le vin était devenu la richesse dominante
en l’emportant sur le textile, cherchaient à orienter économiquement le secteur selon leurs
propres intérêts, privilégiant les marchés extérieurs qu’elles contrôlaient donc les variétés de
qualité, d'autant que le vin de Champagne n’était pas le seul susceptible de fermenter de la sorte
puisqu’il partageait cette propriété avec tous les vins dits « pétillants » comme les mousseux et
crémants, originaires de Bourgogne, d’Alsace ou d’Anjou. Une telle stratégie de montée en
qualité était d'autant plus attirante que la croissance de la demande permettait une
spécialisation très nette dans la production de vins effervescents (au détriment de celle de vins
tranquilles) à partir de 1850.
De plus, le contrôle du marché de l’exportation par les grands négociants a conduit à une
restructuration interne : alors qu’au début du XIX° les vignerons faisaient souvent la totalité du
produit, à la fin du siècle les maisons assemblaient les vins et les vendaient, les vignerons
produisaient le raisin et le vendaient aux négociants. Cela permettait en outre à ces derniers de
mettre en œuvre les progrès de la technologie œnologique et d’organiser la différenciation des
produits selon les préférences locales des marchés d’exportation.
Le fait que le raisin soit difficilement transportable sans s’abîmer, l’importance de la protection
que représentent les coûts de transport et les taxes fiscales 94 et la possession de spécificités
d’actifs (lieux de stockage, savoir faire,..) consolide la relation raisin – vin fabriqué localement. La
concurrence de producteurs extra-régionaux fabriquant du vin équivalent avec du raisin
champenois étant évacuée, restaient deux problèmes essentiels. Le premier était de lutter contre
la concurrence des producteurs d'autres régions qui utilisaient la référence au champagne ou à
la méthode champenoise, afin de profiter du début de réputation obtenu par le vin. Le second
était d'assurer la qualité propre des champagnes, en empêchant les négociants locaux de se
procurer du raisin ou des vins extérieurs pour les transformer en Champagne 95 et en incitant les
fournisseurs de matière première, les vignerons, à élever la qualité du raisin.
2 - LES TENTATIVES D'INNOVATIONS JURIDIQUES ET JUDICIAIRES ET LEUR ÉCHEC
La stratégie mise en oeuvre pour résoudre la première question, celle de l'élimination de la
concurrence à la fois "déloyale" (parce qu'elle usurpe une réputation) et dangereuse (parce
qu'elle met sur le marché des vins dénommés champagne de qualité médiocre) consiste à
rechercher la protection juridique du capital de réputation.
Pouvait-on recourir à la protection de l’innovation ? Elle aurait pu porter sur le produit ou le
procédé. Le produit n’est pas spécifique au champagne puisque existent depuis aussi longtemps
94
En 1806, une pièce de vin achetée 130 livres à Reims en vaut 192 à Cambrai. Cf. Le Champagne, 3 siècles
d’histoire. Stock. P. 64
95 Jusqu’au XIX°, les négociants en vins, généralement issus du négoce d’autres produits (le drap), vendent tous
les vins, y compris les vins de Bourgogne.
124
que le champagne d’autres vins pétillants. Quant au procédé (la méthode champenoise c-a-d la
seconde fermentation), outre que son origine régionale pouvait prêter à discussion, il datait du
XVII° siècle et, depuis, il était largement utilisé dans de multiples autres régions viti-vinicoles,
françaises et étrangères. Impossible de recourir à une protection par le secret mais impossible
aussi d’en revendiquer l’exclusivité alors que le procédé faisait partie des usages constants,
anciens et ininterrompus d’autres régions productrices de vins pétillants, qu’il était donc tombé
dans le domaine public sans avoir jamais été protégé puisque la première loi sur les brevets
d’invention date de 1791. L’autre caractéristique technique de la production de vin la technique
de l’assemblage ne peut non plus donner lieu à protection car elle aussi est du domaine public.
Quant à la maîtrise de la fermentation, qui permet d’élaborer des variétés différentes de
Champagne (sec, brut,..) adaptées à la diversité des préférences des consommateurs, elle relève
de principes scientifiques et techniques (l’œnologie) depuis longtemps tombés dans le domaine
public et dont la mise en œuvre relève du savoir-faire propre à chaque producteur et de la
spécificité des actifs qu’il contrôle.
Restait le recours à la protection par des signes distinctifs, qui pouvaient, à l'époque en droit
français, prendre les formes de la marque, du nom commercial (nom d’un restaurant), de
l’enseigne (identification d’un lieu) et donner lieu à définition de droits privatifs. Nom
commercial et enseigne étant hors de propos restait la seule marque.
La marque est un signe distinctif qui remplit une mission d’information de l’acheteur en
permettant d’identifier le produit. Elle est garantie de provenance. Elle relie le signe distinctif, le
signifiant et le signifié, le produit avec toutes ses caractéristiques et sa qualité. La marque est
ancienne 96. Au Moyen Age le droit enregistre les marques individuelles des artisans et celles de
leurs corporations. Cependant, il s’agit moins d’une protection des producteurs que, d’une part
d’une protection du public (la marque atteste de la qualité artisanale et devient certification de
qualité) et d’autre part d’un moyen de discipline interne (l’on peut condamner le membre de la
corporation qui n’a pas suivi les conventions de fabrication de la corporation). Si le principe de
la marque est affirmé par la loi de 1824, sa protection n’interviendra qu’avec la loi de 1857. En
France la logique juridique de la marque n’en fait pas un symbole de qualité : le principe est que,
en dehors des marques collectives de certification, des labels agricoles et des certificats de
qualification organisés notamment par la loi du 10/1/1978, la marque ne garantit pas une
qualité (arrêt du Conseil d’Etat du 8/3/1978). Néanmoins elle facilite l’identification du produit,
permet au consommateur d’anticiper l’utilité qu’il retirera de la consommation dès lors qu’il
s’agit de marques de notoriété garantissant une constance du produit
Les premières actions de protection se sont fondées sur la loi de 1824 relative aux marques de
fabrique. Celle-ci, peu précise, a permis à de nombreux producteurs de vin mousseux de jouer de
la confusion avec le Champagne. Le marché des vins mousseux est différencié mais sans qu’il y
ait une véritable segmentation. L’action des Champenois se déroulera donc sur le terrain
judiciaire, au nom de la loi de 1824, pour faire admettre la différence entre mousseux de
Champagne et d’autres terroirs. La concurrence « déloyale » à laquelle étaient confrontés les
producteurs de Champagne, se déroulait en grande partie sur des marchés extérieurs, plus ou
moins lointains (le marché russe, les marchés coloniaux,..), et utilisait l’appellation générique
Champagne (« Champagne russe », « Champagne Pétroff »,..) plus qu’elle ne contrefaisait des
marques. Le dommage était collectif et les investissements privés dans l’enforcement freinés par
les pratiques de passager clandestin (quel producteur privé allait prendre l’initiative d’attaquer
en justice, à l’étranger, un producteur de « Champagne hongrois » alimentant le marché russe ?).
L’enforcement juridique via la défense d'une appellation générique paraissait économiquement
préférable.
L’enjeu en est d’abord la distinction entre méthode et terroir. Les vins de Champagne sont-ils
caractérisés par une méthode (la seconde fermentation en bouteille) auquel cas tous les vins
mousseux peuvent s’intituler vins à base de méthode champenoise (en l’absence d’une
protection de la technologie productive) et le marché est peu différencié ou sont-ils caractérisés
par l’utilisation d’un raisin issu d’un terroir donné ? Les producteurs arriveront à imposer,
96
Elle est propriété privative même si depuis la loi de 1964 des marques collectives sont possibles.
125
contre la référence à une méthode, l’idée d’une particularité de leur produit fondée sur l’origine
du raisin et à circonscrire ainsi un monopole strict. En 1844, à la suite de l’action en justice d’un
groupement de 10 négociants pour poursuivre les producteurs de Touraine pour usurpation de
nom et faire reconnaître le Champagne non comme méthode de vinification mais comme produit
d’un terroir, le Tribunal correctionnel de Tours condamne trois négociants locaux « attendu
qu’ils ont vendu du vin de Vouvray mousseux pour du vin de Champagne et ont ainsi trompé les
acheteurs sur la nature de la marchandise » 97. En 1882, de nouvelles actions des négociants et de
leur syndicat seront encore menées pour usurpation de la marque ou du mot champagne 98.
L’usurpation portera moins sur la marque, en cours de construction, - usurpation juridiquement
indéfendable - , que sur la dénomination Champagne, au nom de l’utilisation de la « méthode
champenoise ». La bataille judiciaire est complexe et l’est d’autant plus que les droits de
propriété ne sont pas encore assignés. Le 5/04/1886 une décision du tribunal de commerce de
Saumur déclare que le mot champagne est tombé dans le domaine public. Le 19/07/1887 elle
est infirmée par la Cour d’Appel d’Angers 99 : « sous peine d’infraction à la loi de 1824 sur les
marques de fabrique, seuls les vins mousseux récoltés et manutentionnés en Champagne
pouvaient être désignés sous le nom de cette province ». Le 23/11/1888 nouvelle décision
déclarant que le mot champagne est tombé dans le domaine public, le 11/04/1889 nouvelle
infirmation par la Cour d’Appel d’Angers. Le 26/07/1889 intervient la décision de la Cour de
Cassation confirmant la décision de la CA d’Angers du 19/07/1887 donnant raison aux
champenois : « le mot Champagne, en effet, est indicatif à la fois du lieu de production et de
fabrication de certains vins spécialement connus sous cette qualification ». Néanmoins, le
2/03/1891 une nouvelle décision du Tribunal correctionnel de Saumur déclare que le mot
champagne est tombé dans le domaine public, avec le 15/12/1891 une nouvelle infirmation par
la Cour d’Appel d’Angers et le 9/04/1894 une nouvelle décision de la Cour de Cassation donnant
raison aux champenois : l’appellation Champagne s’applique exclusivement aux vins à la fois
récoltés et fabriqués en Champagne. A partir de la promulgation de la loi de 1905 (cf. ci-dessous)
de nombreuses actions seront menées devant le tribunal de Reims et de lourdes peines
d’amendes prononcées.
Cependant une politique d’appellation n’était pas possible tant que les vins vendus en
Champagne mélangeaient des variétés de qualités très différentes, de provenances diverses et
parfois extérieures à la région 100. La diversité du produit reflétait l’existence de stratégies
opposées au sein du secteur, et, en premier lieu, au sein du négoce. Il faudra un processus
d’unification des intérêts autour de l’intérêt général du secteur du champagne, défini par les
grands négociants, pour que le passage à une stratégie d’appellation soit possible. Il faudra pour
cela aussi que ces derniers aient conquis un pouvoir économique et politique leur permettant de
se placer en leaders éclairés du secteur.
En même temps, les professionnels champenois s’emploieront à faire pression sur les pouvoirs
publics pour obtenir une réglementation plus stricte. Ainsi la loi du 1/08/1905 sur la loyauté
dans les transactions commerciales et la protection du consommateur, contre toute tromperie
sur l’origine, la composition et la qualité des produits, est-elle accompagnée d’un décret
d’application, pris en 1907, prévoyant qu’il peut être procédé à certaines délimitations afin de
protéger les appellations régionales de vins mousseux. La lutte devient alors la lutte pour la
délimitation. En 1906 proposition est faite au gouvernement par les représentants des vignerons
et des négociants : de définir deux catégories de vins effervescents qui ne sont pas du
Champagne, les vins mousseux (vins naturels) et les vins gazéifiés (vins artificiels) ; d’interdire
l’utilisation des termes champenois, champagnisé,.. ; de distinguer clairement sur les étiquettes
et placards publicitaires lieu d’origine et lieu de fabrication 101. La loi du 13/02/1911 contre les
97
cf. Garcia, op. cit. p. 65
cf. Garcia, op. cit p.65-68
99
cf. Garcia, op. cit. p.48
100
Ce n’est qu’à partir de 1911 que le Champagne sera élaboré à partir des seuls vins de terroir.
101
Il s’agit d’empêcher de jouer sur des confusions : mentionner sur l’étiquette que le vin a obtenu un diplôme
d’honneur à Reims, mentionner en gros caractères un siège social de l’imprimerie situé à Epernay,...
98
126
pratiques frauduleuses reprend ces demandes mais ne prévoit pas, à la demande du
gouvernement, de sanctions. La loi établit aussi la nécessité d’un certificat d’origine pour tout
transport de vin, de locaux séparés pour le traitement des vins locaux et des vins importés,
d’inscription du nom Champagne sur les bouchons. Enfin, le décret du 17/12/1908 délimite
géographiquement le territoire porteur de l’appellation et identifie vin mousseux de Champagne
et vin fabriqué à partir de raisin produit en Champagne.
3 - L'INNOVATION INSTITUTIONNELLE : LA PROTECTION ET LE GRAND COMPROMIS
Une opportunité : la grande crise du Champagne
La Grande Dépression du dernier quart du XIX° ainsi que la crise phylloxérique puis plusieurs
crises de sous-production au tournant du siècle conduisent à modifier les relations dans la
région. La viticulture la plus pauvre était incapable de résister aux crises et de soutenir la
concurrence des vins médiocres mais peu chers du Sud de la France. Beaucoup de vignes sont
alors abandonnées, une sélection des meilleures terres se fait : de plus de 56.000 hectares en
1862, 38.000 subsistent à la veille de la première guerre mondiale. La Champagne cesse d’être
le fournisseur en vins ordinaires de la région parisienne et se réorganise progressivement
autour des négociants qui profitent des difficultés pour accroître et restructurer leurs domaines
et concentrer la production et le négoce en privilégiant délibérément les débouchés extérieurs et
donc la production de vin effervescent.
S'ouvre en 1910 la "grande crise" des vins de Champagne, liée à une récolte désastreuse sur le
fond des difficultés relevées. Celle-ci constituera pour les grandes Maisons une extraordinaire
opportunité qu'elles sauront saisir pour définir une stratégie de sortie de crise, stratégie qui se
transformera en stratégie de développement, et imposer cette stratégie à l'ensemble du secteur.
Des vignerons pauvres, miséreux dans les phases de crise, travaillaient la vigne pour le compte
de négociants qui se développaient rapidement : entre les deux guerres la production, de l’ordre
de 25 millions de bouteilles, était fournie à 90% par les négociants (G. Clause, op. cit., p. 386).
Cependant, au sein du négoce, coexistaient des grandes maisons, qui, en principe au moins, se
spécialisaient de plus en plus dans la qualité, et d’autres négociants, moins regardants, qui
vendaient des vins incertains. Deux types de viticulture très différents étaient alors face à face.
Le segment haut du marché, domaine des Maisons (les grandes familles de négociants), avec ses
débouchés principaux sur les marchés étrangers était séparé du segment bas, de qualité instable
et souvent très médiocre, pour le marché intérieur.
Pour qu'un compromis stratégique soit possible encore fallait-il que certaines conditions
institutionnelles soient remplies.
Une première innovation institutionnelle : faciliter l'organisation collective des professions
Vignerons et négociants étaient nombreux et avaient des intérêts internes diversifiés car
nombre d’entre eux avaient des activités annexes (commerce d’autres vins, voire d’autres
produits, production de céréales,..) ou n’intervenaient dans le Champagne qu’à titre de
complément d’autres activités.
Différents facteurs externes ont facilité l’auto-organisation de chaque profession :
- l’accroissement de la demande de Champagne et celui de l’offre du fait
d’innovations techniques décisives, dans la période 1840-1870, ont poussé les
négociants à se spécialiser dans le Champagne et l’élaboration des vins mousseux (au
détriment des vins tranquilles de Champagne). Ils ont, de la même façon, incité les
vignerons à développer une monoproduction de raisin à vocation de Champagne
127
mousseux102. En retour, la stratégie de qualité qui s’est imposée a permis de limiter, à
l’intérieur de la zone de délimitation, et compte tenu de l’utilité de l’assemblage des
cépages, raisins et vins, les écarts de valeur entre crus 103. Les intérêts au sein de chaque
catégorie se sont ainsi unifiés.
- l’accroissement du pouvoir économique absolu et relatif des négociants
exportateurs qui ont joué les premiers la carte de la qualité et ont profité de leurs
stratégies de marque leur a permis d’imposer leur leadership sur le secteur ainsi que
l’extension de la stratégie de qualité par le recours à l’appellation. Les négociants
« fraudeurs » (ceux qui vendent sous couvert de vin de champagne du vin provenant
d’autres régions ou d’autres raisins) perdront la partie et devront abandonner leur
stratégie « attrape-tout » pour s’aligner sur la stratégie de qualité.
- la loi a été utilisée pour développer des regroupements institutionnels. La loi du
21/03/1884 sur les syndicats professionnels permet la création du Syndicat du
commerce des vins de Champagne 104, celle du 15/12/1888 autorise la création
d’associations syndicales pour lutter contre le phylloxéra, incite au développement
d’associations communales et régionales. En 1901 se constituera le premier syndicat de
vignerons, en 1904 la première Fédération des vignerons. Les crises favorisent
l’émergence de formes collectives d’organisation qui permettent la pression sur les
partenaires du secteur et sur les pouvoirs publics, et la négociation avec eux 105.
Ces divers éléments ont réduit les coûts d’organisation des coalitions et permis la mise en place
de négociations et d'actions concertées.
L’action concertée : le compromis autour d'une stratégie de développement par la qualité
Les divers acteurs ont été capables de mener une action commune concertée pour consolider et
approfondir systématiquement le fractionnement du marché. Elle s’est organisée autour d’une
stratégie type : l’abandon des importations de raisin étranger pour les négociants (impliquant
des sacrifices financiers pour eux et requérant donc une discipline contrôlée pour éviter le freeriding) et la spécialisation dans le traitement du raisin du terroir de façon à aboutir à une
intégration régionale complète.
Cependant c’est principalement l’impulsion du grand négoce champenois qui a été décisive. C’est
lui qui est à l’origine du regroupement des principaux négociants, c’est lui qui poussera les
vignerons à se regrouper pour affronter la crise du phylloxéra 106, c’est lui qui fera pression sur
les pouvoirs publics pour aller dans le même sens. C’est évidemment lui qui définira le sentier de
développement du secteur autour de la politique de monopolisation par la qualité et
l’appellation mais sera capable de l’imposer comme expression de l’intérêt de l’ensemble des
catégories d’acteurs du Champagne 107.
102
Une séparation s’est opérée entre producteurs de raisin à vocation de Champagne mousseux et producteurs
d’autres raisins et d’autres vins, avec une tendance à l’absorption de ces derniers dans le premier groupe, au fur
et à mesure de l’accroissement de l’écart de rentabilité entre raisin pour le Champagne et autres produits.
103
A la différence de ce qui existe dans la plupart des autres vignobles et de ce qui existait, en Champagne, il y a
quelques siècles : fin XVII°, le vin d’Asfeld dans les Ardennes, inclus dans la catégorie des vins de Champagne,
se vendait de 10 à 14 livres la pièce contre 500 à 600 pour celui de Sillery (Le Champagne, trois siècles.. op.cit.
p.69).
104
Il regroupe rapidement les principaux négociants représentant environ 4/5° des ventes. Le but premier du
regroupement est de lutter contre la contrefaçon auprès des tribunaux.
105
Lors de la crise du phylloxéra, les groupements de vignerons obtiennent des réductions de prix sur l’achat des
produits chimiques de traitement, des ceps destinés au replantage, organisent des garanties collectives pour les
banques, agissent auprès des parlementaires et des autorités politiques et administratives,..
106
De nombreux vignerons refuseront de participer aux syndicats anti-phylloxériques, de payer les cotisations
rendues obligatoires par leur institutionnalisation, avec l’aide des autorités. Le premier syndicat
antiphylloxérique créé en 1901 à l’initiative du négoce, est rejeté par les vignerons.
107
Il est révélateur que le premier syndicat de vignerons, fondé en 1901 par Edmond Bin se dénomme Syndicat
général des vignerons de la Champagne viticole délimitée.
128
Si le drapeau rouge flotte en 1911 sur des mairies du vignoble aubois comme du vignoble
marnais, ce qui en sortira, en fin de compte, c’est la protection par l’appellation qui permettra
aux « maisons » d’engranger des surprofits. Mais qui assurera aussi un débouché final pour le
produit Champagne et indirectement pour le raisin des vignerons autour de la consécration de la
particularité du vin de Champagne.
La crise se dénouera grâce à la reprise des ventes, favorisée par la protection de l’appellation. La
victoire que représente celle-ci oblige les acteurs champenois à une action concertée, donc des
compromis inter-professionnels et des mesures de discipline interne. Le syndicat des vignerons
reprend le contrôle de sa base, le négoce exclut les fraudeurs. Une négociation concertée des
cours est esquissée qui renforce la position des vignerons par rapport au négoce,
traditionnellement dominant. Tout cela se met en place autour du développement de l’idée d’un
« intérêt collectif de la profession » commun à chaque groupe et allant dans le même sens, les
négociants dépendant du produit et les vignerons du débouché, sur la base de l'appartenance à
un même territoire. Deux arrêts de la Cour de Cassation, les 9/4/1894 et 29/2/1912 déclarent
que les deux syndicats représentent une même communauté et défendent le même intérêt
collectif. Celui-ci s’identifie de plus en plus à l’idée d’un patrimoine viti-vinicole à défendre, le
« particularisme champenois », patrimoine qui mérite et exige « protection ».
Le compromis territorial
Dès que le principe d'une délimitation d'une zone d'appellation pour segmenter le marché final
des vins effervescents entre Champenois et producteurs des autres régions est posé, émerge la
question de la taille du club titulaire de ce patrimoine (un club restreint aux Marnais ou un club
large des Champenois), question qui peut remettre en cause l'accord sur la qualité du fait de
caractéristiques de développement différenciées : l’Aube a des vins de moins bonne qualité, par
suite de raisons climatiques mais aussi d’un moindre développement de politiques de qualité,
propose des produits à prix nettement inférieur aux prix marnais, ce qui s’oppose à la stratégie
globale des grandes maisons marnaises.
Le lobbying pour la délimitation des aires de production a commencé tôt, dès la préparation de
la loi de 1905. Deux députés de la Marne ont alors déposé sans succès des amendements
prévoyant cette délimitation. La lutte des Marnais pour imposer une délimitation assez stricte
s’est faite au nom des « usages locaux constants ». Ils ont refusé le résultat de l’enquête du
Ministère de l’Agriculture proposant d’inclure dans la zone délimitée 37 communes de
l’arrondissement de Soissons et opposé une délimitation autour de l’ensemble de la Marne plus
le canton de Condé-en-Brie. Les vignerons de l’Aube ont alors engagé des luttes forcenées pour
être intégrés dans la zone. A la suite de multiples manœuvres au Parlement, la Commission des
boissons de l’Assemblée a proposé d’inclure dans la zone la Marne, plus 44 communes de
l’arrondissement de Château-Thierry, plus 36 communes de l’arrondissement de Soissons. Cette
délimitation a été approuvée par le Conseil d’Etat et s’est traduite par le décret du 17/12/1908.
Le vignoble de l’Aube est donc exclu par ce décret mais celui-ci ne contient pas de mesures
d’application. Les négociants « fraudeurs », habitués à utiliser du raisin moins cher venu de
l’Aube, anticipant les effets de la délimitation stricte, accroissent brutalement, dans une logique
d’opportunisme, leurs achats de raisin et de vin aubois. D’où affrontement entre vignerons
marnais et négociants fraudeurs, et, indirectement, entre Marnais et Aubois. Emeutes, jacqueries
et révoltes se développent tandis que chaque camp essaie d’accentuer sa pression sur les
parlementaires et l’administration locale. Vignerons marnais et vignerons aubois manifesteront,
les uns pour une délimitation stricte, les autres pour une délimitation large, mais tous avec des
drapeaux rouges, contre les pouvoirs publics et les négociants. Le mot d’ordre de la grande
manifestation des vignerons de 1911 à Epernay est : « A bas la fraude ! Vive la Champagne
viticole délimitée !». En janvier 1911, naît la Fédération des vignerons de l’Aube qui organise de
violentes manifestations, analogues à celles des marnais. A Troyes se rassemblent des armées de
vignerons armés de pioches sous le slogan « Champenois nous fûmes ! Champenois nous
resterons et ce sera comme cela ! » 429 conseils municipaux sur 446 démissionnent. Sous la
pression, le Sénat décide de supprimer la délimitation, le décret de 1908, ce qui déclenche une
129
violente réplique dans la Marne, sur fond de vendange catastrophique en 1910, de chute du prix
du raisin, d’endettement lié à la crise phylloxérique 108.
Le 11 avril 1911 le drapeau rouge flotte sur Damery. On chante l’Internationale, on accuse les
négociants de s’approvisionner dans l’Aube, voire encore plus à l’extérieur du cœur de la
Champagne, on saccage les chais des négociants accusés d’acheter le raisin aubois et de soutenir
les producteurs aubois, on occupe les bâtiments publics. La répression s’organise avec
l’occupation du vignoble par 40.000 hommes de troupe et, dans le même temps, le Sénat renonce
à revenir sur le décret de délimitation.
Une tentative de solution est recherchée dans le décret du 3/6/1911 qui, dans cette situation de
crise, décide d’une délimitation relativement large du territoire donnant droit à l’appellation,
mais distingue néanmoins entre types de Champagne en créant un champagne de seconde zone
(avec l’appellation « Champagne deuxième zone ») pour les producteurs aubois. Cela ravive les
troubles, les Aubois s’estimant dévalorisés et les Marnais privés de leur droit au monopole de
l’appellation. Le gouvernement, par la loi du 6/5/1919, se « défausse » sur le judiciaire, les
« sages ». La loi prévoit une délimitation judiciaire : tous les territoires ont, a priori, droit à
l’appellation sous réserve d’action contraire devant les tribunaux 109. La loi reprend le texte de la
loi précédente de 1905 sur les pratiques frauduleuses et y ajoute des sanctions en cas de non
observation. Elle prévoit en outre qu’une aire d’appellation conforme aux « usages locaux, loyaux
et constants » sera définie. Tout viticulteur estimant qu’un de ses collègues ne respecte pas cet
adage peut porter l’affaire devant les tribunaux. Un décret du 19/08/1921 complète la loi du
6/05/1919 en aggravant les sanctions encourues. Ils distinguent les vins mousseux à appellation
d’origine, dont le Champagne, les vins mousseux ordinaires, les vins mousseux produits en cuve
close, les vins mousseux gazéifiés, réglementent l’étiquetage. Ils ouvrent la voie à de nombreuses
actions en justice de la part du syndicat des vignerons et de celui des négociants avec des
condamnations (mais le terme champagnisé reste admis et ne sera interdit qu’après 1927).
Si le monopole champenois est ainsi nettement réaffirmé et si les droits à l’appellation se
trouvent « enforcés » la délimitation du club n’est toujours pas réglée. En 1919 les Aubois
prennent l’appellation Champagne et les Marnais répondent par des procès. La Cour d’Appel de
Paris (arrêts des 16 et 17/2/1923) et la Cour de Cassation (arrêts des 26 et 27/5/1925)
donnent raison aux Aubois car le territoire donnant droit à l’appellation doit être compris
comme celui de l’ancienne province de Champagne. En 1922 le Ministère de l’agriculture crée
une Commission consultative pour étudier les mesures permettant d’intensifier les exportations
de vins et d’assurer le respect, national et international, des appellations d’origine. En 1925
commencent les travaux pour délimiter le Bordelais et reprennent les pourparlers pour une
délimitation du Champagne. Pour en bénéficier et en bénéficier avant les autres régions viticoles,
les Marnais acceptent la délimitation large à condition que l’Aube utilise les cépages
traditionnels marnais. Le 3/2/1927 le Président de la Commission des boissons de la Chambre
des députés rend une sentence arbitrale acceptée par tous et ensuite incorporée à la loi du
22/7/1927. Celle-ci impose un compromis réinsérant les producteurs aubois dans la zone de
délimitation (dans la limite des terrains déjà plantés en vigne, ce qui limite beaucoup la zone
potentielle et donne une garantie de qualité, les terres plantées les premières étant censées être
les plus aptes à la vigne), mais les obligeant à s’aligner sur la stratégie de qualité des négociants
marnais en définissant des critères stricts de qualité (limitation des cépages autorisés, des
rendements, méthodes de viticulture,...). Le texte de la loi réaffirme aussi la nécessité d’une
fermentation en bouteille contre la tentative d’élargir les méthodes à la fermentation en cuve
close au risque de la qualité et de la non-discrimination avec les concurrents.
108
La situation du vignoble était désastreuse, notamment du fait des épidémies : il a fallu replanter les vignes à la
suite du phylloxéra, donc s’endetter, le mildiou a également frappé la vigne, les dernières récoltes sont
mauvaises. Beaucoup de vignes avaient été vendues ou hypothéquées.
109
article 1 : “toute personne ou tout syndicat “qui prétendra qu’une appellation d’origine est appliquée, à son
préjudice direct ou indirect et contre son droit, à un produit naturel ou fabriqué et contrairement à l’origine de ce
produit ou à des usages locaux, loyaux et constants, aura une action en justice pour faire interdire l’usage de cette
appellation” ; article 17 : « l’appellation d’origine Champagne donnée dans la déclaration de récolte sera acquise
si, dans un délai d’un an, elle n’est pas contestée ». cf. JL.Barbier, op. cit. t 1.
130
L'institutionnalisation de la stratégie de qualité et la consécration du particularisme champenois
La protection par l'appellation est présentée comme garantie du consommateur, selon
l’argument habituel utilisé dans le lobbying en direction des pouvoirs publics (l’A.O fera
d’ailleurs, par la suite, partie du Code de la consommation). Un second argument, nouveau, est
introduit, qui se réfère aux producteurs, les vignerons, en tirant parti des difficultés qui se
manifestent dans la période de crise 110 : il faut leur permettre de survivre pour que l’excédent de
coût représenté par la qualité soit couvert 111 ; la protection de l’appellation, en protégeant le
débouché du Champagne et en éliminant la concurrence déloyale, permet cela. En fin de compte,
la Champagne sera la première région viticole à être officiellement délimitée.
L’innovation institutionnelle, après une phase d’exacerbation des antagonismes, modifiera
le système organisationnel pour restructurer le rapport de force et recréer de la concurrence
paisible ou négociée. La révolte de 1911 marquera un moment décisif dans
l’institutionnalisation de la concertation après une phase d’affrontement tendu entre les
professions. Dans un premier temps, en effet, la crise exacerbe les intérêts, leur antagonisme et
leur choc, mais les polarise autour de positions communes à chaque camp, donc les unifie et
incite à l’action concertée. E.Bin, fondateur du premier syndicat de vignerons lors des prémices
de la crise du secteur, s’écrie devant ses compagnons : « Faites comme les négociants, groupezvous. Isolés vous n’êtes rien et ne serez jamais rien ; groupés , vous serez tout 112 ». Quand le prix
du raisin s’effondre, en particulier parce que les négociants ont considérablement accru leur
stockage de vins extérieurs à la région, anticipant la sortie du décret de délimitation qui
empêchera ces importations, les vignerons de Damery se regroupent pour lutter contre le prix
trop bas du raisin. Le conflit avec les négociants se noue brutalement : les négociants décident
qu’aucun achat de raisin ne sera plus fait à Damery. La révolte se développe alors jusqu’à
l’intervention de l’armée.
Dans un second temps, la crise permet de dégager un compromis en mettant au premier plan les
intérêts communs, c-a-d qu’elle fait le tri entre les intérêts. Une partie des intérêts de chaque
camp est considérée comme partagée avec l’autre camp, une partie des oppositions annihilée (la
lutte des vignerons ne se fait pas contre les négociants en général mais contre les « négociantsfraudeurs »). Ce qui reste de facteurs d’opposition, est d’abord minimisé par rapport à la lutte
commune contre l’ennemi commun, les boucs émissaires, en l’espèce les Aubois, figure des
étrangers à la région, et les négociants-fraudeurs, figure des traîtres à la région. Cela peut alors
devenir l’objet de compromis. Les acteurs extérieurs à l’affrontement, porteurs d’autres intérêts,
interviennent aussi pour pousser au compromis et limiter l’affrontement qui a des effets
externes sur eux. Les pouvoirs politiques régionaux et nationaux interviendront pour dénouer la
situation, accepteront de remettre en cause le projet du Sénat de supprimer toute délimitation,
et imposeront la loi de 1911 qui empêche les importations de vins extérieurs.
L’unification autour des grands négociants sur une stratégie de qualité suppose d’offrir des
débouchés, sur un marché en expansion, aux producteurs et négociants de taille moindre. Or,
ceux-ci, du fait des investissements qu’exige une politique de marque, ne peuvent y recourir. La
stratégie d’A.O, bien de club, leur permet au contraire d’assurer leur développement. Ils
bénéficieront de l’effet d’entraînement et de réputation créé par l’investissement préalable de la
qualité des grandes marques et de leur pénétration des marchés extérieurs. Un accord implicite
se noue ainsi entre grand négoce et reste du secteur : en échange de la socialisation au profit du
club régional des effets de l’investissement dans la qualité du grand négoce, le secteur s’aligne
sur sa politique de qualité.
110
La crise des années 1910 venant après celle du phylloxéra dégrade considérablement les conditions de vie
quand elle ne crée pas de la misère dans toute une partie du vignoble.
111
Le président des négociants écrit à ses adhérents et aux viticulteurs : « pour que le vigneron reste à la vigne et
puisse la cultiver, surtout dans un temps où les gros salaires du dehors peuvent l’attirer, il faut que sa vie et son
travail soient assurés par un prix de vente suffisamment rémunérateur. Hors de là, pas de remède. » cité par
J.L.Barbier, op. cit. t 1, p. 107.
112
Le Champagne, trois siècles. Op.cit. p.137.
131
La défense du particularisme champenois sera une constante de la politique des organisations
professionnelles et de leurs relais politiques. Le Comité national des appellations d’origine, créé
en 1935, a pour objet d’étendre au niveau national « l’expérience » de réglementation menée en
Champagne. Le projet initial de création du CNAO 113 indiquait explicitement qu’ «aucune
réglementation ne sera édictée pour l’appellation Champagne dont le statut a été établi par la
loi». Les Champenois, désireux de conserver la possibilité d’établir, selon les besoins, des
réglementations plus précises ou des modifications de celles-ci, firent pression pour obtenir la
reconnaissance de leur particularisme. Le texte définitif du décret-loi contient une formulation
exactement inverse de la précédente : « une réglementation spéciale pourra être édictée pour
l’appellation Champagne afin de compléter ou de modifier le statut établi par la loi ». De plus, le
texte prévoyant la formation de Comités d’experts régionaux, le secteur anticipa leur création
afin d’en contrôler la composition et le fonctionnement en établissant une « Commission spéciale
de la Champagne viticole ». Celle-ci, dominée par les représentants des professions du
Champagne (représentation paritaire des vignerons et du négoce) privera de tout pouvoir le
Comité régional d’experts créé ensuite dans le cadre du décret-loi, prendra le contrôle de
l’administration locale du secteur viti-vinicole et s’adressera directement au pouvoir central
pour présenter ses demandes. La défense du particularisme champenois conduira, dans la même
logique, à négocier en 1940 la création d’un Bureau national de répartition des vins de
Champagne qui restera contrôlé par les professions du secteur et n’obéira pas au modèle qui
sera imposé dans les autres régions. Sa transformation en CIVC, de statut dérogatoire par
rapport à l’organisation corporative de l’agriculture et du reste de la viticulture, mais qui dispose
de compétences toujours plus étendues et de pouvoirs toujours plus efficaces va dans le même
sens.
CONCLUSION
A l’issue de cette période, le Champagne a atteint sa maturité. La gestion concertée est en place.
La stratégie globale de monopole par la segmentation du marché final fondée sur la qualité et ses
stratégies éléments sont définitivement consacrées. Le processus de construction de l’A.O a doté
le secteur du Champagne d’un patrimoine indissociablement formé d’un patrimoine juridicojudiciaire (l’A.O, les marques, les réglementations, les disciplines), d’un patrimoine économique
(rentes foncières, procédés de production, réseaux de commercialisation et profits associés) et
d’un patrimoine institutionnel (la gestion concertée d’une partie des problèmes du secteur).
Cette patrimonialisation ancre les innovations réalisées dans une logique territoriale et permet
de les consolider, de les protéger et de les valoriser.
Les grandes maisons de Champagne ont eu le rôle déterminant pour refouler les stratégies
alternatives, imposer à l’ensemble du secteur la stratégie de qualité et en organiser la mise en
œuvre. Celle-ci a affronté les stratégies juridiques et judiciaires adverses des concurrents et l’a
emporté. En outre, comme stratégie de construction de la protection autour d’une appellation
régionale large, elle a impliqué des politiques d’accompagnement spécifique, dans le cadre d’un
club défini par sa base géographique régionale. Elle a eu pour condition préalable une
concertation interne et, en retour, a obligé à modifier les comportements internes et est devenue
un facteur d’unification des stratégies autour d’une stratégie dominante et d’organisation des
manœuvres autour d’elle par la lutte énergique contre le free riding. La stratégie d’A.O.C, bien de
club, permet aux producteurs et négociants de taille moindre d’assurer leur développement. Ils
bénéficieront de l’effet d’entraînement et de réputation créé par l’investissement préalable de la
qualité des grandes marques et de leur pénétration des marchés extérieurs. Cette politique sera
soutenue par les vignerons, producteurs de raisin, qui verront ainsi consacré leur monopole
d’approvisionnement en raisin114. L’objectif d’un « juste » prix du raisin, permettant à tous les
113
cf. J.L.Barbier, op. cit. t 1, p. 252.
L’article premier des statuts du Syndicat des vignerons énonce comme l’un des objectifs « lutter pour la
suppression de la fraude afin de diminuer la surproduction » (Le Champagne, Trois siècles..., op. cit. p. 139).
114
132
acteurs du secteur de vivre dignement, fait partie du compromis méso-économique
institutionnel ; celui-ci, dont la stabilité doit rompre avec l’instabilité passée, permet en outre un
investissement régulier du vigneron dans l’élévation de la qualité du raisin 115. Un accord
implicite se noue ainsi entre grand négoce et reste du secteur : en échange de la socialisation au
profit du club régional des effets de l’investissement dans la qualité du grand négoce, le secteur
s’aligne sur sa politique de qualité.
Le système de l'appellation permettra de segmenter le marché en deux grandes catégories,
les vins pétillants ordinaires et les vins pétillants de qualité, à savoir les champagnes. Partant
d’un avantage comparatif de qualité et de notoriété au début de la phase de développement des
vins pétillants, avantage attesté par le fait que de nombreux concurrents étrangers à la région
tentent d’utiliser le nom de champagne et reconnaissent implicitement ainsi la qualité des vins
issus du terroir, ils vont l’amplifier et le transformer en avantage définitif. Le Champagne est
alors érigé en bien de luxe, les bases d'un exceptionnel essor sont posées, le processus
d'innovation a produit un résultat jusque là inespéré ...
115
Le président des négociants écrit à ses adhérents et aux viticulteurs : « pour que le vigneron reste à la vigne et
puisse la cultiver, surtout dans un temps où les gros salaires du dehors peuvent l’attirer, il faut que sa vie et son
travail soient assurés par un prix de vente suffisamment rémunérateur. Hors de là, pas de remède. », cité par J.L.
Barbier, 1981, op. cit. t 1, p. 107. A contrario l’instabilité était forte dans le système antérieur. Ch. Muntz (1893)
cité par E. Lessard et J.C. Barbier (1981) donne les prix payés au kg. de raisin par les maisons Moët et Chandon
et Clicquot : pour le raisin d’Ay 2,5 en 1891, année presque normale, 3,75 en 1892 année de faible production,
1,10 en 1893 année d’abondance et de bonne qualité ; pour le raisin d’Hautvillers respectivement 2,0 - 2,50 0,75 ; pour celui de Pierry 1,9 - 2,25 - 0,87 ; pour celui de Cramant 2,5 - 2, 75 - 1,20.
133
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Lessard E. et Barbier J-L., 1981, Le Champagne CNDP, CRDP Reims
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Williamson, O.E. 1981 Contract Analysis : The Transaction Cost Approach. In P.Burrows and
C.G.Veljanovski ‘Eds.), The Economic Approach to Law, Butterworths, London.
134
POSTPONEMENT PRACTICES IN THE
WINE INDUSTRY: THE
CONTRADICTORY IMPACT OF
TRADITIONS
Tatiana BOUZDINE- CHAMEEVA a Susanne CHOLETTE b, C. MAURACHER c, Maurizio CANAVARI d
a
Wine & Spirits' Management research team, BEM-Bordeaux Management School
corresponding author: [email protected] )
b
Department of Decision Sciences, College of Business, San Francisco State University
c
Department of Management, Ca’ Foscari University, Venice
d
Dipartimento di Economia e Ingegneria agrarie, Alma Mater Studiorum-Università di Bologna
Resumé
La croissance mondiale des exportations et la prolifération des marques, notamment des marques
privées, amènent les établissements vinicoles à répartir la production entre un nombre croissant de
canaux de vente avant de connaître les demandes. Un producteur peut se protéger contre
l’incertitude de la demande en reportant les processus de finition qui différencient les produits de
chaque canal. Si le report complique les processus de production - il faut garder des stocks
intermédiaires pour les finir plus tard - il améliore la flexibilité.
Le report permet de réelles économies de coût, améliore la réactivité dans la gestion de canaux
de ventes multiples; cette stratégie a été utilisée avec succès dans diverses secteurs d’activité. Nous
explorons les facteurs qui peuvent contribuer à l’utilisation de cette stratégie dans le secteur
vitivinicole. En quoi les entreprises des régions, dans lesquelles la gestion de canaux de vente
multiples est une tradition, sont-ils différents de ceux des régions plus nouvelles ou moins établies
commercialement? Les traditions influencent-elles l'utilisation de ces pratiques? Les régions plus
nouvelles sont elles plus ouvertes à l'expérimentation?
Nous examinons des entreprises sur leurs pratiques actuelles dans six régions du monde – en
France, en Italie et aux États-Unis. 745 réponses ont été obtenues dans ces trois pays, et nous
considérons que haut niveau des résultats descriptifs permettent d'effectuer une comparaison
interculturelle. Les pratiques courantes d'exportation reflètent la disparité entre les régions connues
pour leur tradition de produire les vins et les producteurs de nouveau monde. Nous observons que
les pratiques régionales sont très différentes en ce qui concerne les ventes de marques multiples et
135
des pratiques du report ("tiré- bouché"). Les producteurs des nouvelles régions sont globalement en
retard en utilisations de ces pratiques mais parfois plus ouverts aux innovations.
Abstract
With worldwide growth of exports and proliferation of multiple brands, including private labels,
wineries must allocate production across an increasing number of sales channels before demands are
known. Misallocation may simultaneously result in surpluses in some channels and lost sales in
others. A winery may hedge against demand uncertainty by postponing the finishing processes that
differentiate each channel’s products. While such delay results in more complex production
processes, as intermediate inventories must be stored and then finished at a later date, greater
flexibility results.
Postponement offers cost savings and increased responsiveness for handling multiple channels, this
strategy has been used successfully in different industries. We attempt to analyse the wine sector.
How do wineries from regions with a tradition of managing multiple sales channels differ from
wineries in newer or less commercially established regions? Is there an impact of traditions on the
choice of the postponement practices? Are the new regions producing and commercializing wine
more open to experimentation and innovation?
We survey wineries on their current practices within six wine regions within France, Italy and the
United States. As we aim to explore cross-country differences, no formal hypotheses or patterns will
be defined a priori. We consider some high level descriptive results in comparing these 745
responses from the three countries. Current exporting practices more closely reflect the traditional
boundaries between the old and new world. We see very different regional practices with respect to
wineries sales of multiple brands and witness a division between the old world and the new world
producers with respect to postponement.
1 - INTRODUCTION
The environment in which wine companies operate today is becoming increasingly complex. The
world wine sector is competitive, vulnerable, and in perpetual transformation. Traditions related to
knowledge, process and values in European wine producing countries, their long-standing history of
commercial development could be considered as a strong advantage in this dynamic environment.
However the newcomers might be more open to changes, more flexible and innovative while
traditions might become a burden for the companies in developing new practices or adapting to this
new market conditions.
136
In Europe, the wine sector is highly regulated, especially in France and Italy, where wine production
must conform to certain rules and defined quotas such as the restrictive "Appelations d’Origine
Controlées". Over the last decade New World wines are rapidly developing and can now penetrate
European and overseas markets more easily. Customers are increasingly open to trying new wines
and the traditional wine producing countries like France, Italy or Spain find sometimes themselves on
a collision course with these new competitors in markets. The future prospects cannot be taken for
granted and the company search for new solutions, re-evaluate their positions and distribution
channels, investigate new strategic options that might permit it to regain a competitive advantage in
this changing environment.
Postponement, the purposeful delayed differentiation of products, could help better allocate
production across an increasing number of sales channels. The object of this study is to analyse
current postponement practices in the wine sector of France, Italy and USA (California). Yet extant
research documents few success stories from food and beverage producers. We investigate what
factors may contribute wineries’ use of postponement and explore how do wineries from a region
with an established tradition of managing multiple sales channels differ than wineries from newer
regions? At the same time we examine the impact of traditions on the choice of the postponement
practices. A comparison of the attitudes of the more and less commercially established regions
towards experimentation and innovation is in the focus of our study.
1.1.
Postponement as a Channel Management Tool
A new winery may bottle its wines under its own brand for sale in the local market. However, as
wineries develop, they may add sales channels, often with different packaging and labelling
requirements. Wineries may sell under a variety of brands, including second labels. In particular, the
growing consumer acceptance of retailers’ house brands has led growth in private label (Marque de
Distributeur or MDD) wines and also co-labelled wines, wines bearing both the producer and retailer
names. Likewise, the global wine trade continues to expand, even within regions that have not
traditionally supported exports. In order to export, wineries may need to translate labels or meet
other requirements specific to the target market. Wineries everywhere face a growing need to
manage multiple sales channels.
With these opportunities come burdens, as wineries must allocate production across multiple
sales channels before demand is known. Misallocation may result in surpluses in some channels and
lost sales opportunities in others. A winery may hedge against demand uncertainty by postponing
the finishing processes that differentiate each channel’s products. While such delay may result in
more complex production processes, as intermediate inventories must be stored and then finished at
a later date, more flexibility results. Postponement is an established strategy in many industries; Van
Hoek et al. (1999) provide examples from a variety of sectors, including a food producer that utilizes
deferred packaging at a regional warehouse near the destination market.
Many approaches to postponement exist; Zinn and Bowersox (1988) define the levels of form
postponement: manufacturing, assembly, packaging and labeling. No specific mention of wine
production and distribution is made, but the authors state the circumstances that may make
different levels of postponement appealing to winemakers. While manufacturing postponement is
not feasible for an agricultural product with a specific growth and harvest cycle such as wine grapes,
assembly postponement may be appropriate for channel-specific or target market-specific blend
recipes: perhaps a winery may adjust percentages of component varietals to meet the tastes of
consumers in different export markets. Packaging postponement is appropriate when the product is
sold in multiple sizes or formats, such as 750ml bottles versus magnums. Labelling postponement
should be considered when the product is marketed under several brands utilizing the same bottling
format. Delayed boxing and palletizing wine as appropriate for the intended destination can be
considered as a final type of postponement.
137
1.2.
Barriers to Postponement and the Motivation for this Research
While postponement has been shown to improve efficiency as early as 1950, industry adaptation has
been slow, with implementations predominantly in the automotive and high technology sectors
(Yang et al., 2005). Agribusiness, in particular, has been cited by Van Hoek (1999) as one of the least
agile adapters. Cholette (2009) considers a hypothetical winery, as shown in Figure 1, with four
distinct demand channels and demonstrates holding aside a portion of unfinished inventory, either at
the labeling or bottling stage should significantly improve profitability when channel demands are
uncertain, few other papers document actual practices by wineries. Yet a survey of California
wineries (Cholette, 2010) shows that while some engage in some form of postponement, but that,
overall postponement is not widespread or perhaps even understood. While immigrants in California
have been making wine for centuries, prohibition and other obstacles have prevented Californian
winemakers from having more than a few decades of engaging in sophisticated channel management
strategies. We posit that a more established wine region may approach postponement different. We
thus turn to France and Italy, the countries with long-standing traditions of exporting and use of
secondary labels. The research methodology, the exploratory findings, implications for practice and
recommendations for further research follow.
Figure 1: Postponement and Product Differentiation
Branded
Private
Tanked wine
Bottling
Blank
wine
Labeling
process
Label A
Private
Bulk wine channel
Unlabeled
Label B
Private
We put forward the following research hypothesis: The adoption of postponement practices may
be influenced by winery-specific characteristics, such as:
- region (we expect new world producers to lag behind old-world producers in using
postponement);
– production volume (we expect larger wineries will be more likely to utilize postponement than
smaller wineries);
- product portfolio/market channels (number of labels; exporting practices; use of private/colabeling – we expect that wineries that support multiple channels will be more likely to postpone).
138
2
- RESEARCH METHODOLOGY
2.1 Survey design
We survey wineries on their current practices within six wine regions within France, Italy and the
United States. As we aim to explore cross-country differences, no formal hypotheses or patterns will
be defined a priori. We also ask wineries about their own anticipated practices and predictions for
neighboring wineries for the near future.
Wineries in two regions, California (U.S.) and Bordeaux (France) receive a relatively short survey of 13
questions and 23 questions respectively, compared with that administered within the Italian regions.
Most questions are formatted to be either yes/no/NA (not applicable) or a yes/no/”no opinion”
multiple-choice selections to make the survey simple, quick, and reduce the possibility of respondent
error. Although it may seem inappropriate for yes/no questions, the N/A response was purposely
included to encourage respondents who were unsure about their winery’s status or confused by the
question to select this option.
While survey instruments were not identical between regions, they had a core set of common
questions. The first question concerns size, as measured in annual 750ml bottle equivalents
production; level of wine quality and percentage sales within each channel ( for Bordeaux) ; a further
breakdown of sales channels is probed and additional questions with respect to management
practices ( for Italy). We consider 3 practices: exporting (including if exports have different labeling
requirements); multiple brands, with a focus on Private Labels and postponement. For each of these
three practices we ask about current usage, anticipated near future adoption and anticipated future
adoption of other wineries within the region. This non-uniformity of survey instruments is necessary
to record information specific to the individual region and allows participants to customize surveys to
meet their research needs. While not identical, the survey instruments overlap either directly or
implicitly for all of the questions addressed by this paper.
2.2
Survey methodology
As with the instruments, the survey methodology differs by region. This difference better permits the
research to be conducted independently by separate researchers, as appropriate to the resources
available. While the surveys were administered with a separation of two years, we anticipate little
temporal distortion in the results.
We first consider California, a new world producer. The sample frame is the 1480 wineries found in
the leading industry directory (Wines and Vines, 2006) that provide email addresses. This frame
represents approximately 60% of the state’s wineries. A web-based questionnaire results in 142
complete responses. Our response rate of 11% is low, but is favorable compared with similar large
scale internet surveys. According to Wine Institute (2008) statistics our frame represents 60% of the
state’s wineries. Our 142 complete responses result in a 10% response rate. While low, it is favorable
to other large scale internet based surveys such as that of Skjoett-Larsen et al. (2003) who receive
218 responses, for 8% response rate on a study of CPFR practices. More details on the California
survey methodology are found in Cholette (2010).
Bordeaux, the world’s most well-established wine region, is considered next. The sample frame is the
1378 Bordeaux wineries from an industry database, which comprise more than 15% of all Bordeaux
wineries and are representative for the region in terms of both size and operations scale. A team of
students contacts participants via telephone and collects a total of 275 complete responses, a
139
respectable response rate of 20%. As with the California respondents, there may be some nonresponse bias. The full details of the survey methodology are found in Berger (2010).
Within Italy we consider Veneto, Emilia Romagna, Abruzzo and Le Marche. These four are selected
from Italy’s 20 wine regions for both practical survey administration reasons and also because these
regions seem likely to represent a diversity of exporting and economic practices. Three different
student teams are engaged to administer the survey. The first team samples 44 of the 210 medium
and large wineries and 79 of the approximately 1,100 small wineries found within the Veneto, where
data is collected via questionnaires mailed to participants previously recruited by telephone. We
receive 123 complete responses. The second team surveys the wineries of Emilia Romagna; 230
associates of the Regional Cellar Showroom are contacted by mail, with 120 responses collected, a
52% response rate. The last teams considers the remaining two regions, contacting 170 wineries by
mail as identified from their respective regional associations. These are comparatively smaller, and
the team collects 85 complete responses from both, a 50% response rate. The total number of
responses collected within Italy is 328.
3 - FINDINGS
We present the results from California, France and Italy side by side to explore regional
differences in practices and predictions. The comparisons are presented in percentage terms to
avoid size biases related to the number of respondents. While the the California respondents
answered all survey questions, some of the French and Italian respondents occasionally do not
respond to questions, so percentages may not sum to 100%.
3.1 Winery size
The size of a winery is likely to influence its propensity to engage in many practices that we ask
about. In particular, due to economies of scale, market reach and firm maturity, we would expect
larger wineries to be more likely to export and support multiple sales channels. We suspect they
would also be more likely engage in postponement practices. Thus, it is important to consider
whether the samples are representative of their population. Figure 2 presents a percentage
breakdown of the wineries size, as measured by annual output of 750ml bottles. Although no
definitive information is publically available for the population distribution for California, Cholette
(2010) shows that the respondent distribution is comparable with those from other state winery
surveys.
Data published by the Interprofessional Council of Bordeaux Wines (CIVB, 2009) and the analysis
presented in Plan "Bordeaux tomorrow" (2010) show that the results of the collected in France
reflect the true size distribution of Bordeaux wineries. The Italian data collected in the four regions
represent diverse exporting and economic practices.
Figure 2 shows that almost half the wineries in France and Italy regions fall within the smallest size
category, and very few can be categorized as large (more than 1.2 million bottles of annual
production) which is opposite to the Italian data sample While the percentage of California wineries
monotonically decreases by size, in Bordeaux, the second largest size group produces between 600
to 1200 thousand bottles per year, while in Italy a large number of wineries are of medium size.
While a greater proportion of larger respondents are found in the Italy sample, the groups of
respondents are roughly comparable by size. We do not define sizes below 60,000 bottles, as we
expect very small wineries will likely not engage in most of the practices surveyed.
140
Figure 2: Sizes of Bordeaux and California Respondents
3.2 Summary of Exporting Practices and Expectations
Figure 3 summarizes the responses for wineries in each region with respect to their current and
anticipated future exporting practices, and also predictions for whether more wineries in the region
will export in the near term. Italian and French respondents export currently more than the California
wineries ( 56% compared to 71% and 86% for Bordeaux and Italy respectively). However, Bordeaux
wineries do not anticipate greatly expand exporting practices in the next 5 years, with only a 1%
increase expected within the group, compared to a 14% increase for California and the similar
projections given by Italian wineries.
141
Figure 3: Exporting Practices and Predictions, by Region
3.3 Secondary and Private Labeling Practices and Expectations
We next consider secondary labeling practices, where Figure 4 summarizes the related survey
responses side by side, revealing some interesting differences between the regions. Bordeaux
wineries are more likely to produce multiple brands, with a slim majority (52%) of the respondents
having more than one brand, compared to only 44% of those from California and 30% of those from
Italy. However, when asked whether any of those multiple brands are private label/Marque de
Distributeur, MDD, very few (14%) of the Bordelaise respondents with multiple brands had them,
compared to a strong majority of California (63%) and Italian (72%) respondents with multiple
brands. Although the tradition of second labels is associated with Bordeaux, it is still surprising to see
such a strong difference between the regions.
Figure 4: Secondary and Private Label Practices and Predictions, by Region
142
When asked for prediction, Bordeaux winemakers seem lukewarm to private label wines, only 18% of
the respondents expect to product a private label wine, an increase from the 7% who currently do. In
a question specific to the French survey instrument, Berger (2010) notes only 4% of the Bordelaise
respondents sell more than 10% of their wine through the MDD channel. Both Californian and Italian
respondents are likewise not enthusiastic about this channel; only 36% and 38% of respondents
respectively expect to have a private label in 5 years, a modest rise from the 28% who currently do.
As seen by the last column in Figure 4, respondents in France and California regions had less certainty
about regional growth in sourcing private label wines while Italian wineries are more enthusiastic
about that practice.
Nonetheless, 68% of Italian, 52% of Californian and 31% of the Bordeaux respondents expect more
wineries in their region to produce private label wines. Comparing these figures to the low responses
to the prior question, it appears both groups recognize that private labeling is a growing channel, but
they prefer to leave it to neighbors. Private labeling is not the most desirable sales channel from a
winemaker’s perspective, with lower profit margins and prestige and the danger of the private label
retailer switching to another winemaker. We would expect California wineries would rather sell their
excess or less select wines as second vin rather than as MDD.
3.4
Postponement Practices and Expectations
Our final survey results that can be compared across regions relate to postponement. Figure 5 shows
that more than 60% of Italian wineries and half of the Bordeaux respondents practice some form of
postponement, compared to the 30% of the California respondents. There as not much enthusiasm
for the practice, as respondents in all regions expect a slight decrease future practice, and the most
popular response for predicting neighbors’ adoption of the practice is “not sure.” While it might be
expected that larger wineries are more likely to postpone than smaller ones, an examination of the
Bordeaux and Italian responses does not suggest size matters greatly. As discussed in Cholette
(2010), while a greater percentage of the medium to large California respondents use postponement,
the small number of total participants engaged in this practice prevents much more than speculation.
Figure 5: Postponement Practices and Predictions, by Region
143
Considering the wineries that postpone, we survey at what stage they start. Figure 6 shows that
Italian practitioners of postponement predominately postpone at the blending stage. California is
more likely to postpone early too, at the blending or bottling stage, whereas the majority of
Bordelaise postponement practitioners wait until labeling. This result contradicts the accepted
wisdom among postponement experts, which is that firms with more experience and sophistication
in their operational processes tend to postpone earlier in the production process. Traditional style of
Bordeaux wine making may play here an important role. We could refer for example to Van Hoek
(1999) who finds not only that food companies lag behind other sectors in adopting postponement,
but also that their level of postponement is often the most shallow, occurring at the very end of the
production process, with the implication that this illustrates the relative inexperience in the sector.
Figure 6: Stage of Earliest Postponement, by Region
144
Wineries with multiple sales channels requiring product differentiation should be more likely to
postpone. Although a winery may have additional channels than just private labels and exports, we
specifically consider these two. . Figure 7 aggregates respondents by regions, dividing wineries into
four categories: wineries that neither export nor produce private labels, that engage just exports,
just private labeling, or that engage in both. Wineries with limited channels are less likely to
postpone, whereas wineries with both an export and private label program are the most likely to
postpone.
Figure 7: Postponement given Diversity of Channels
4 - CONCLUSIONS
145
We first consider some high level descriptive results in comparing these 745 responses from the
three countries. By size category, the California and Bordeaux winery respondents show a similar
pattern; nearly half of the respondents produce under 60 000 750ml bottle equivalents annually,
whereas 80% of the Italian respondents are larger. In fact, 22% of the Italian respondents produce
more than 1 200 000 750ml bottle equivalents annual, compared to 2% in both California and
Bordeaux.
Current exporting practices more closely reflect the traditional boundaries between the old and
new world. Just over half (58%) of California respondents currently export, while 72% of the
Bordeaux respondents and 76% Italian respondents export. Californian respondents anticipate
improving their exporting rates, as 71% anticipate exporting within the near term (5 years), while the
Bordelaise do not anticipate further export growth. Italian respondents anticipate even further
growth, with 86% planning to export).
We see very different regional practices with respect to wineries sales of multiple brands. For
California, 44% of the respondents support multiple brands, and for those that do, nearly two-thirds
(63%) provide a private label brand. Just over half (51%) of the Italian respondents support multiple
brands, and of those that do, for the vast majority (83%) at least one of their brands is a private or
co-labelled wine. This is in marked contrast to Bordeaux; for the slight majority (52%) that produce
multiple brands, only 14% provide a private label wine. Respondents from these regions all seem to
share little enthusiasm for private labelling, anticipating only modest increases in the practice. This is
understandable given the lower profit margins and lack of prestige and market power that this
channel conveys.
We again witness a division between the old world and the new world producers with respect to
postponement. The long-standing commercial traditions prevail in the old world. Only 31% of
California respondents use some form of postponement, as compared to 53% of Bordeaux and 64%
of Italian respondents. We also consider the depth of postponement; different levels of
postponement are possible, ranging from holding back inventory prior to final blending, holding back
blended wines in flavour-neutral tanks prior to bottling, warehousing filled, blank bottles prior to
labelling or postponing final palletizing or packaging of finished bottles. Respondents from newer
commercially established regions like California who do postpone predominately (51%) do so at the
bottling, then blending stage (30%). They are more open for experimentation while traditional
Bordeaux wineries do not consider this practice attractive and prefer to trust their established
oenological tastes than to innovate with tastes and flavours. Although there are some inter-regional
differences, early postponement common with the Italian respondents, with 58% starting at the
blending and 26% at bottling. This is in marked contrast to those who postpone in Bordeaux, the
majority (54%) of whom wait until labelling stage to postpone. Even in regions where the
postponement is common, producers show little enthusiasm for the practice or expectations for
what the future may hold.
We plan to expand this cross-cultural study by including additional regions. In particular, we
expect to be able combine survey results from wine producing areas of the new world in Australia or
New Zealand. Through evaluating the practices and attitudes of additional regions we hope to
improve our understanding of how the wine industry is evolving worldwide, analyse in depth the
impact of traditions on adapting new practices and predict the operational strategies that will be
necessary for gaining a competitive advantage in the changing environment of the wine market.
146
REFERENCES
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Bouzdine-Chameeva T., S. Cholette (2011) "Postponement Practices in the Wine Industry:
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International Academy of Wine Business Research conference, France June 9-11
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Postponement”, International Journal of Production Research, Vol. 47, No. 13, pp. 3587-3609.
Cholette, S. (2010) “Postponement Practices in the Wine Industry: Adoption and Attitudes of
California Wineries,” Supply Chain Forum: an International Journal, Vol. 10, No. 1, pp. 4Cholette S, Mauracher C., Canavari M., Bouzdine-Chameeva T. (2011) "Postponement Practices in
the Wine Industry: A Cross-Country Comparison of Adaptation and Attitudes" Proceedings of the 4th
International Conference of American Association of Wine Economists, Bolzano, Italy, June 26-28th
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Perspectives and Empirical Evidence”’ International Journal of Physical Distribution and Logistics
Management, Vol. 33, No. 6, pp. 531-549.
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http://www.wineinstitute.org/resources/statistics/article124, (accessed January 18, 2008).
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Postponement”, International Journal of Production Research, Vol. 43, No. 5, pp. 991-1005.
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Postponement”, Journal of Business Logistics, Vol. 9, No. 2, pp. 117-136.
147
The impact of ownership changes in
wine sector on innovation:
Family transmission versus Chinese
investment
Armand BAJARD, Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA, Wenxiao ZHANG
BEM Bordeaux Management School, France
([email protected]; [email protected]; [email protected] )
Resumé
Les changements de propriétaires, soit du fait de la transmission d'une génération à la suivante, soit
du fait de la vente à des investisseurs étrangers, affectent fortement le développement de
l'entreprise et apportent des transformations aux niveaux stratégiques, organisationnels et
financiers. Le produit lui-même, les processus technologiques, l’orientation de l'entreprise sur
marché, et même le paradigme sont amenés à subir une réévaluation fondamentale qui détermine
l'avenir stratégique de l'entreprise et conduit soit à des changements radicaux, soit à la rénovation
du processus. Celui-ci inclut des innovations radicales, le développement de nouveaux services, et
l’entrée sur de nouveaux marchés. Pour le secteur vitivinicole, un lien avec le passé et les traditions
est ancré dans la culture, l'histoire, et même la terre. Comment les stratégies d'innovation et les
traditions cohabitent-elles dans ce secteur ? Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à
Bordeaux pour étudier les changements dans le secteur vitivinicole.
Le secteur des vins de Bordeaux a connu des périodes britanniques, espagnoles, américaines ou
russes dans son histoire. Aujourd'hui, les investissements étrangers représentent autour de 5% des
terroirs des vignobles en Bordelais; plus de 100 sur à peu prés 9000 appartiennent aux investisseurs
allemands et britanniques, suivi par des investisseurs et des entreprises chinois. Les chinois qui ont
commencé à acheter des châteaux en 2008 possèdent actuellement une vingtaine de châteaux et ils
sont en cours de négociations sur une autre petite vingtaine. En 2011, la Chine (sans Hong-Kong) est
devenue le plus grand importateur de vins de Bordeaux en volume avec 314 000 hectolitres au prix
total de 231 Mln €. Quels sont les choix stratégiques dans les deux types de changements de
propriétaire ? Existe-t-il des différences dans les stratégies d'innovation ? Constate-t-on des
renforcements des stratégies traditionnelles ?
Le modèle de 4P d'innovations: Produit, Processus, Positionnement et Paradigme (Anthony, 2012)
est scruté à travers l'analyse méticuleuse des interviews avec les propriétaires d'entreprises viticoles
d'origine française et chinoise. Les innovations au niveau du Produit concernent le goût,
l'assemblage, les étiquettes, les services et elles sont plutôt appliquées par les entreprises familiales.
Les innovations de Processus peuvent subir des changements de volume de production et de choix
de canaux de distribution; des modifications de régulations ou des contrats, etc. Celles-ci sont
fréquemment utilisées par les investisseurs chinois. Les innovations de Positionnement agencent le
prix, le(s) marché(s), les clients. Le P de Positionnement est présent dans deux types de changement
de propriétés transmission dans la famille et achat par des investisseurs. Quant au Paradigme, il est
déterminé plus globalement par la façon de fonctionner et la manière de voir les choses; ce type
d'innovations radicales trouve ses racines dans les différences culturelles, et les nouvelles propriétés
chinoises s'en servent plus souvent.
148
Notre étude permet de proposer un point de vue conceptuel sur la place des innovations par rapport
aux traditions dans les entreprises familiales du secteur vitivinicole. Les deux types de transmission
de propriété emploient l'innovation différemment tant au niveau des produits, des processus que
des niveaux de positionnement. Ils divergent encore davantage pour ce qui est de l’organisation et
des stratégies d’investissement.
La méthodologie de recherche de l’étude met en œuvre les techniques de la cartographie. L'étude
est basée sur des interviews avec les propriétaires d'entreprises viticoles d'origine françaises et
chinoises. L'analyse comparative est basée sur les conclusions des entrevues, ainsi que des sources
secondaires de type rapports d'entreprise et documents issus des médias. Cette étude nous permet
de proposer un point de vue conceptuel sur les innovations par rapport aux traditions dans les
entreprises familiales du secteur vitivinicole. Les deux types de propriété emploient l'innovation
différemment tant au niveau des produits, des processus et des niveaux de commercialisation. Ils
divergent encore davantage pour ce qui est de l’organisation et des stratégies d’investissement. En
conclusion, sur la base de nos résultats, nous allons présenter une vision à plusieurs niveaux
concernant les changements de propriétaire de l’exploitation.
Abstract
The ownership changes, either transmission from one generation to another or selling the property
to foreign investors affect strongly the development of small and medium size enterprises. This
renewal may result in a transformation of the company, introducing radical innovations, developing
new services and accessing new markets. Product itself, process, company's position and even
paradigm could undergo a thorough assessment of the strategic development which could lead
either to revolutionary radical changes or to certain renovation processes. In any case it remains
important to maintain a link with the past and the traditions, which are embedded in the culture, the
history and even the land itself. This is true for such a specific sector as wine production and
commercialization.
Our study focuses on the ownership change in Bordeaux wine sector, comparing innovation and
traditional strategies in the two kinds of an ownership change: business transmission within a family
and a purchase of business by a foreign investor, in particular by Chinese individual investors or
Chinese companies. This trend becomes more and more emphasized during the last five years when
China has moved to a position of a leader in exporting Bordeaux wines. Bordeaux wine sector has
known the British, Spanish, American or Russian periods in its history. What does this new one,
Chinese, brings to Bordeaux producers in terms of innovation and change?
The research methodology employs case study approach supported by mapping technique. The study
is based on the interviews of wine company owners of French and Chinese origin. The comparative
analysis is based on the emerging data from the interviews and secondary sources from the company
reports, and media materials. This empirical study allows us to propose a conceptual view on
innovations versus traditions in family businesses in the wine sector. The two kinds of ownership
employ innovation differently in product, process, and marketing levels. They diverge even more in
organization innovation and investments strategies. In conclusion basing on our findings we put
forward a multi-dimensional approach on the analysis of innovations' impact under ownership
change in wine business.
149
INTRODUCTION
The ownership changes, either transmission from one generation (GTG) to another or selling the
property to foreign investors strongly affect the development of small and medium size enterprises.
This renewal may result in a profound transformation of the company, introducing radical
innovations, developing new services and accessing new markets. Product itself, process, company's
position and even paradigm (e.g. new "green marketing" paradigm) could undergo a thorough
assessment of the strategic development which could lead either to revolutionary radical changes or
to certain renovation processes (Bessant and Tidd, 2007). In any case it remains important to
maintain a link with the past and the traditions, which are embedded in the culture, the history and
even the land itself (Ocasio et Joseph, 2005). This is particularly true for such a specific sector as wine
production and commercialization.
The wine sector is known for its strong family traditions - the wineries are frequently transmitted
from generation to generations, and the generations are keen on keeping the family imprint (Bajard,
2011). Even in such a newer or less commercially established wine regions of the New Wine World
as New Zealand, keeping a winery as a family business for several generations becomes a practice.
According to Smyrnios & Dana (2007) study, out of 70% of family businesses surveyed in New
Zealand wine sector the larger proportion refers to the first generation (57%), followed by 30%
belonging to the second generation and halving further on to the third generation (13%). Wine
business by definition is attached to the land, the history of the land and therefore gains to a great
extent in experience and knowledge in the context of family traditions
Bordeaux wine sector, analysed in our study, witnesses its strong attachment to the family business
traditions as it is developed through the centuries as a traditional network of small family businesses
in wine production and wine commercialisation. Surprisingly the evolution of the landscape of the
World Wine market during the two last decennia have brought changes into this long-established
Bordeaux wine scene (Bisson et al., 2002).
The French wine industry is highly regulated and highly fragmented. It is mainly made of small vine
growers and wine makers, wine merchants and wine brokers. As a result, each actor is very sensitive
to production and sales variations. Over the last years, due to the pressure of the World Trade
Organization and the European Union, the import barriers have decreased. Together with a trend to
buy New World wines, Bordeaux wines met difficulties on their traditional markets in UK, Canada or
Belgium. At the same time Asian market development (in particular with success in Hong-Kong,
China, Japan) opens strong opportunities for Bordeaux wines and new prospects on wine exports in
this part of the world where wine consumption is growing.
As a result, Bordeaux wine sector has been facing new challenges (Bouzdine-Chameeva, 2006). A
number of signs of weakening of the sector are observed, including bankruptcies of some small wine
producers and wine wholesale businesses; consolidation of wine producers and some consolidation
of wine merchants, signs of vertical integration and more aggressive sales approaches by local and
international players. Due to these new circumstances, certain sedition trends become evident
through the ownership changes of Bordeaux wine properties. There is still an important number of
wineries which are transmitted to a new generation, nevertheless there appears a certain number of
wine family business, who sell their property to corporations or groups (e.g. AXA insurance company,
LVMH group) or to foreign investors either for a better development or because of eventual
bankruptcy.
According to a source at SAFER (2010), the government land-registry agency, foreign investors today
own around about 5% of Bordeaux’s 120,000 hectares, and this numbers is on a constant rise.
Today, out of more than 9000 chateaux in Bordeaux (CIVB, 2011), more than one hundred chateaux
are controlled by German and UK investors followed by Chinese investors, who started investing into
wine properties recently, only since 2008, however the pace of Chinese acquisitions is very high. By
150
February of 2012, between twenty and thirty wine properties already belong to Chinese investors
(César, 2011; Niedercorn, 2012).
What happens after the change of a wine property's ownership? A number of investors keep the
traditions of the property, some start changes little by little, and others undertake radical
innovations concerning all spheres of business – starting from the product itself (e.g. moving from
producing white wines to red wines in Entre-deux-Mers district) up to a replacement of the existing
distribution chain. How does the ownership change impinge on the strategic development of the
company? Whether keeping long-standing traditions or introducing radical modernization become a
key to success?
Some of the Bordeaux’s most prestigious wine properties have been owned by foreign families for
decades – Chateau Margaux is in the hands of the Greek Mentzelopoulos family, Chateau Leoville
Barton belongs to the Irish Barton family for six generations, Chateau Kirwan has the German
owners, Schyler family, behind it. It is known that the foreign entry and the cultural exchange must
even reinforce in the new owners the value of local traditions; some of them might become even
more French than the local owners of French origin (Barkema et al, 1996). The investors from the Old
World in Bordeaux were almost always adopting the Bordeaux model of wine production and
commercialising: exporting to multiple markets basing on strong wine merchants traditions in
Bordeaux. They were more interested in minor changes (like labels, variety of product; production
volume). However newer Chinese owners, after investing into the property, consider innovations of
different nature, more radical (e.g. some of them drop completely the traditional channels deciding
to sell the entire production for Chinese market).
Our article focuses on the ownership change in Bordeaux wine sector, comparing innovation and
traditional strategies in the two kinds of an ownership change: business transmission within a family
and an acquisition of business by a foreign investor, in particular by Chinese individual investors or
Chinese companies. This trend becomes more and more emphasized during the last five years when
China has become an importer number one of Bordeaux wines (Euromonitor International, 2007;
CIVB, 2011). Bordeaux wine sector has known the British, Spanish, American or Russian periods in its
history. In what does this new one, Chinese, period differ from the previous ones if so? What does ir
bring to Bordeaux producers in terms of innovations and changes?
We investigate what factors may contribute wineries’ successful development and innovations. At
the same time we examine the impact of the change of ownership in a SME in wine sector on the
innovation practices. A comparison of the attitudes of the French owners (GTG transmission) and of
the Chinese owners (foreign investment) towards innovations and traditions is in the focus of our
study.
The article is organized as follows. We start with the literature review on ownership changes and
ownership governance, their impact for SMEs, then we present the concepts of innovation and
tradition as they appear in the literature to highlight the previous works on the strategic impact of
the ownership change on the company development. Basing on this analysis we generate a
conceptual model of innovations for SMEs in wine sector. Further on we describe research context
and research methodology before turning to our findings. Finally, we discuss the findings in light of
existing theories, stressing in particular the systemic analysis of the innovation levels and their
specific interchange within the wine sector.
1-LITERATURE REVIEW
There exist a huge body of literature on the ownership changes (e.g. Gabrielsson et Huse,
2004; Carpenter and Fredrickson, 2001; Pohl et al., 1997), most of them focus on cooperate
governance change (e.g. Fama et Jensen, 1983; Cherif, 1999; Keil et al, 2008). There is much less
written on the ownership changes in the SMEs (e.g. Filatotchev et al, 2001), and on the global
analysis of the interplay and trade-off between traditions and innovations in SMEs is almost absent in
literature (e.g. Rubinstein, 2001; Chouaibi et al, 2010).
151
1.3.
Ownership change
The aim of the ownership change is to improve organizational performance through restructuring,
cost reduction, strategic reorientation, product development and innovation, or by using a
combination of these measures (Carliner, 1988). Following Brown and Medoff (1988), two radically
different types of the ownership change exist: the company owners are replaced by the new
investors from outside the company, and the owners/ managers come from inside the company.
We propose to summarize the main research findings on the ownership changes in the table below:
Current
research
streams
Legal and
economic
approach
Aspects of ownership
change put forward
Références
Key points
Legal and economic
issues
La Porta et al., (1999 et
2000)
Provide empirical evidence on the
relationship between corporate ownership
patterns and legal and economic aspects
of firm’s performance
Access to new
networks
Filatotchev et al., 2001;
Mey er, 1998; Pohl et
al., 1997
Managerial
opportunities
Makhija, 2004
Adequate strategic
responses
Sanders and Carpenter,
1998
Competitiveness
Carpenter and
Fredrickson, 2001
Human
resources
approach
Human resources
Issues
Mayer, 1997
Technology
transfer stream
Technology transfer
Issues
Albert G.Z. Hu et al,
2003
The strategic foreign investors have an
incentive to provide portfolio firms
with access to their contractual
networks and resources
Ownership concentration may be an
effective governance factor that limits
managerial opportunism
An increase in complexity associated
with strategic restructuring also
imposes new demands on managerial
ability to develop adequate strategic
responses to the changing
environments
An increase in complexity associated
with strategic restructuring lead to
strategic errors and loss in
competitiveness
A dispersed ownership structure may
reduce the ability of the employer to
enter in long-term relationships with
workers. Individual shareholders can
use the “exit” option, and depress the
development of human capital.
Technology transfer affects productivity
only through its interactions with in-house
R&D. Foreign direct investment does not
appear to facilitate the adoption of marketmediated foreign technology transfer.
Strategy
approach
Table 1: The main research findings of ownership change
Small equity investors may positively affect corporate innovation activity because it favors the
commitment of capital to long-term investment projects (Bradley et al., 1984). At the same time,
however, it also pushes managers towards short-run strategies because it increases the probability of
an ownership change due to takeover (Shleifer and Summers, 1988).
152
The ownership structure can directly affect corporate innovation by influencing the incentives of
firm-external investors to participate in innovative activities. The approach proposed by Lacetera
(2001) the corporate ownership structure influences innovation because it affects those who make
investment decisions, what type of investment to consider and how to distribute the returns within
the firm. The empirical study of the ninety-five Tunisian engineering firms (Chouaibi et al, 2010)
reveals a significant impact of the organization structure on the innovation policy of a firm.
The objective of this paper consists in examining the impact of ownership structure on the
innovation strategies of a firm in wine sector known for traditions. Tradition could be sometimes
seen as a constraint towards innovation in wine sector (e.g. Celhay, 2008; Celhay et Trinquecoste,
2008)), it is important to understand whether the ownership change by itself brings the new
practices which could stimulate innovations processes.
1.4.
Corporate governance
A considerable number of studies devoted to corporate governance have been published during the
last ten years (Demirag et al., 2000; Keasey et al., 2005). We summarize the main research findings
on the corporate governance theories in the table below:
Current research stream
Agency theory
Stakeholder-agency
theory
Agency costs approach
Governance mechanisms
Références
Jensen and Meckling, 1976, Hart,
1995; Gabrielsson and Huse, 2004
Hill and Jones, 1992
Fama and Jensen, 1983; Eisenhardt,
1989, Belloc, 2009
Brunninge et al. (2007)
Scholes et al. (2007)
Governance mechanisms
in SMEs
Mainkar et al., 2006; Uhlaner et al.,
2007 Uhlaner et al., 2012; BerentBraun, 2012
Major focus on
Large corporations
The issues of organizational management and
business ethics
The impact of the corporate governance
analyzed via costs.
On the ability of SMEs to introduce strategic
change.
On in the negotiation process associated with
the management activities
The relationship between product
proliferation and entry of new products in
family businesses.
Table 2: The corporate governance theories
The agency theory (Jensen and Meckling, 1976) and the stakeholder-agency theory (Hill and Jones,
1992) are the two prevailing streams in the studies of the corporate governance. While the
stakeholder-agency theory puts forward the issues of organizational management and business
ethics, addresses morals and values in managing an organization, the agency costs approach was
one of the first tools on corporate governance analysis for a firm and involved the theory of property
rights, costs and finance which allowed to consider the “separation of ownership and control,” the
“social responsibility” of business, the definition of a “corporate objective function,” the
determination of an optimal capital structure, the specification of the content of credit agreements,
and the supply side of the completeness of markets problems". It is obvious that the agency costs
approach proposes quite a simplistic view (Fama and Jensen, 1983; Eisenhardt, 1989) on the impact
of the corporate governance though predicts that diffusing equity ownership might negatively affect
corporate innovation activity (Belloc, 2009).
Most of the recent studies on corporate governance have been performed for large corporations
(Hart, 1995; Gabrielsson and Huse, 2004) which is definitely beyond our research scope as we
examine governance issues in SMEs, and mainly in privately-held SMEs (Uhlaner et al., 2007). The
agency issues may arise in SMEs, for example between family owners and managers (Schulze et al.,
2003) in case when owners hire general managers (the case of some Chinese investors in Bordeaux
wine properties).
153
Montemerlo (2005) suggests that family-owners take part in key decisions affecting corporate
governance at three levels: at the level of strategy, the financial level and the organizational level.
These three factors affect the company undergoing the ownership change. At the strategy level an
entrepreneurial vision could be brought (as the family ownership can be seen as an incubator of a
long-term vision). Patient risk capital could be provided on the financial level (as families accept less
dividend payouts and center on equity). In terms of organization, right people (whether or not they
belong to the family) are brought into the key roles, and supported in their changes.
Brunninge et al. (2007) investigate how governance mechanisms affect the ability of SMEs to
introduce strategic change. Hoskisson et al. (2002) argue that differences among owners’
constituencies’ preferences for corporate innovation strategies SME ownership and governance
systems significantly influence the development of knowledge-based resources necessary for
internationalization. Scholes et al. (2007) examine the role of governance mechanisms in the
negotiation process associated with the management buy-out or management buy-in. Other
theoretical works (Mainkar et al., 2006; Uhlaner et al., 2007 Uhlaner et al., 2012; Berent-Braun, 2012)
shed light on the governance of SMEs, and on the relationship between product proliferation and
entry of new products in family businesses.
1.5.
Innovations versus Traditions
1.5.1. Traditions
The development of business comprises and maintains a link with the past. Tradition, considered as
an attachment, is embedded in the culture, the history and the local territory (Ferrucci et al, 2008;
Flor and Oltra, 2004). The tradition implies a dependency on long-established values and a strong
attachment to the past and is allied to meaning, knowledge, talents and values. As family business
depends upon the transmission of knowledge, traditions and ethics, it was essential that the old
generations dedicate time and efforts on educating and training younger generations to prepare
them for the taking over the business in future. This is particularly valuable for a wine sector.
Wine represents is a unique product which combines land, technology and culture, edges history, art
and terroir. Traditions bring special value in family business in wine sector, that is why wine
producing companies are keen on preserving knowledge and hold on traditions. As an example, we
could refer to the AOC system which imposes strict regulations on the types of grapes, and/or of the
number of branches, plant density, production quantity, etc 116. It is based on the years of experience
and on the long-established traditions in the wine regions. The objective is to keep the image of the
company and make the good quality wine.
According to the discussion of the association of PFV (Premum Familiae Vini), which includes the
world’s leading wine family business of Bordeaux (e.g. Château Mouton Rothschild) keeping
traditions in wine sector mainly refer to the following activities: exchanging viticulture/oenological
information and promoting traditional methods to underpin the wine quality and the respect for
terror; promoting and defending the ethical values.
1.5.2. Innovations
A number of researchers suggest various definitions of “innovations” in the literature, Joseph
Schumpeter is often considered as the first economist who drawn attention to the innovation. He
suggested five types of innovations (Schumpeter, 1934):
1)
2)
3)
4)
5)
Product innovation-introduction of a new product/a qualitative change in an existing product;
Process innovation-new to an industry;
Market innovation-the opening of a new market;
Input innovation-development of new sources of supply for raw materials or other inputs;
Organization innovation-changes in industrial organization.
116
For example, AOC « Médoc » is given to the wine producers with wine production do not exceeding 50
hectoliters per hectare of vines; with vines' density between 5000 and 10 000 vines per hectare, etc.
154
As we consider the companies who undergo the ownership change, it becomes obvious that the
organization innovation is somehow included in cooperate governance change which is incontestably
linked with the ownership change.
Another innovation model we refer to in our analysis has been developed by Moore (2005) and
contains a four-zone innovation model for the high-technology sector. This model includes product
leadership zone, customer intimacy zone, operational excellence zone and category renewal zone.
The parameters of this model correspond to the first three dimensions of the Schumpeter’s model Product, Process and Market
The most recent development of the analysis of innovations belongs to Scott (2012) who has
suggested a 4P model on innovation: Product, Process, Position and Paradigm innovation. The first
three P of innovation fit perfectly well with Product, Process and Market innovations' variables put
forward in Schumpeter's' model. The Paradigm innovation concerns the revolutionary change and
refers mainly to high- technological businesses and highly entrepreneurial approach in family
business (see for example, Uhlaner et al. 2012).
SMEs of a larger size adapt more quickly and in a more structured way to the changes (Motwani et al,
1999; Cosh and Hughes, 2000; Oliver et al, 2000 and Keizer et al, 2002). The general argument still
emphasis on the product innovations, they point out product innovations are predominant in SMEs
and that there is a significant impact of these on growth of firm turnover (Vareska van de Vrande et
al, 2009).
The SMEs are highly innovative by nature. Acquired firms are more likely to innovate following
Arnold and Javorcik (2009), who establish that total investment and investment in new machinery by
Indonesian firms increase under foreign ownership. In contrast, Stiebale and Reize (2011) find no
evidence of foreign acquisition affecting innovation activities in German firms. A foreign firm could
bring with it lower innovation costs if it has a lower cost of capital (Desai, Foley and Hines, 2004;
Desai, Foley and Forbes, 2008; Manova, Wei and Zhang, 2010) or access to proprietary technologies
(Caves, 1996; Antras, 2003; Antras and Helpman, 2004), but it could also bring larger benefits of
innovation. Guadalupe et al. (2011) find that the higher levels of innovation by foreign subsidiaries
are, in large part, driven by firms that export through a foreign parent. Process innovation, product
innovation and assimilation of foreign technologies are associated with increased market access
through the foreign parent.
Our objective for this study is to observe the interplay of traditions and innovations in wine SMEs and
to observe the impact of ownership structure on the innovation strategies. The ownership change
brings strategic, governance and organizational changes and it is important to understand whether
these changes affect other dimensions of innovation processes.
2- CONCEPTUAL MODEL OF INNOVATION IN WINE SECTOR OF SMES
Basing on the literature and the described models we attempt to adapt them to the case of wine
sector and suggest a model which describes a situation of the SMEs ownership changes. Governance
has strong influence on the innovation decision progress, and there are distinctive differences
between the two kinds of ownership changes – transmission from a generation to generation and a
foreign investor's property acquisition.
As we consider the ownership change, whether we talk about family shareholders or about foreign
investors, governance change and organization innovations inevitably take place in this situation.
Following Montemerlo (2005), the ownership changes affects corporate governance at three levels:
strategy level, financial level and organizational level. These three levels undergo a thorough
assessment under the ownership change; therefore our consideration of innovations goes beyond
these inevitable organizational and financial changes, which are evident and expected. We focus
then more on product, process and position innovations which take place under the ownership
change. They are less apparent and are not compulsory.
155
Therefore based on the literature review, we suggest considering a conceptual model of innovations,
which take place within an organizational change due to the ownership transmission. Our model is
based on the three principal dimensions emphasized in all the models presented in literature:
Product, Process, and Position innovation.
Figure 1: Conceptual model of Innovations within the ownership changes
Ownership change brings innovations
(strategic/ organizational/ financial)
Process
Product
innovation
-Qualitative
-Taste
Innovation
-Production volume
-Distribution channel
Position
innovation
-Market
-Customer
In this model, we favor Position innovation (following the 4P models), rather than Market innovation
(following Schumpeter), because the Position innovation includes and goes beyond Marketing
innovation; it is more rich and consistent with the specific wine sector.
The introduced conceptual model enables us to compare the different influences of ownership
change on innovations in the case of transmission from GTG, and in the case of foreign investors'
acquisitions. We attempt to summarize our ideas in the two hypothesis formulated below:
H1. GTG transmission and foreign acquisition as different ownership changes in family business
in wine sector impinge the innovations of different types in product, process and position level.
H2. Both kinds of ownership transmission are focus more on Position innovation.
2.1 Research setting and methodology
A suitable empirical setting for our research objective is a Bordeaux wine sector which is
considered as a very traditional one dominated by SMEs of family businesses. The study is based on
the interviews of wine company owners of French and Chinese origin. The comparative analysis is
based on the emerging data from the interviews and on the secondary sources from the company
reports, and media materials.
2.2 Research setting and design
For design the case study, we have conducted the interviews with two French owned wineries
transmitted from generation to generations, and two wine properties in Bordeaux region newly
acquired by Chinese investors.
The company A is the Chinese owned company acquired several years ago, and the company B
has been purchased by Chinese investor in January of 2012. The company C belongs to the second
generation of French owners, and the company D is the third French generation wine family
business.
156
We interviewed managers and/or owners in a semi-structured format. Our interview questions
(see Appendix 1) focused on the companies’ acquisition reasons, the change of the corporate
governance following the ownership change, innovations on product, process and position. Each
interview lasted one hour and a half at average. We have examined the reasons of the purchase, the
innovation they brought, and the traditions which they tend to keep.
The whole questionnaire consists of four parts, including company's basic background, the activities
focused on preserving traditions, the innovation strategies, and the future perspectives. We
proceeded to interview owners in an open-ended format as recommended by Yin (2009) to expand
the depth of data gathered and to increase the amount of information sources..
We used data from interviews with wine property owners/managers in Bordeaux wine region to
better understand their decision making process concerning the innovations to be brought and
traditions to be preserved, and why they made their decisions.
Our research design is presented in figure 2:
Figure 2: Research design
2.3 Research methodology
To achieve our objective we have employed content analysis (Neuendorf, 2002) and mapping
technique (e.g. Eden and Ackermann 1998, Bouzdine- Chameeva, 2006). Content analysis has been
used for the in-depth overview of innovation dimensions and parameters suggested by the
conceptual model which we have put forward.
Drawing on the interview materials, we elaborated the innovation parameters which refer to the
suggested model:
Traditions: Viticulture/ History/ story/ culture/ wineries/ / Keep/ stay/ classic
Corporate Governance: shareholder/ decision/ invest/ financial/family/ ownership/ strategy
Innovation (general issues): new/ Change/try/difference/ special/ revolution/ unique/ideas/ create
Product innovation: Taste/ label/ Package/quality
Process innovation: production/ technical/channel/ trade/importers/ supermarket
Marketing innovation: market/ price/promotions/ customers/ wine tourism
We then use mapping technique for understanding causal relations between ownership and
traditions; ownership and innovation and define the links between innovation parameters and
dimensions. First we draw individual causal maps, and then we combine them into a collective map
for all the interviews. Mapping enables us to reveal causes and effects and pinpointed the
importance of ownership changes on strategic, financial and organisational level as well ( for more
information on the technique see for example Ginsberg, 1994; Eden and Ackermann, 1998).
157
3- FINDINGS
3.1 Content analysis findings
The results of the content analysis performed for the interviews with owners and managers of the
four wineries in Bordeaux regions are presented in Table 3.
Chinese owned companies
Company A
Company B
French owned companies
Company C
Company D
Traditions
88
66
60
74
Corporate Governance change
257
141
160
169
General Innovations ( create)
146
20
136
68
Product innovation
217
70
99
138
Process innovation
83
87
87
100
Position innovation
347
264
291
275
Table 4: Comparisons of innovation parameters in the two kinds of ownership changes
We observe that all respondents are strongly focused on Position innovation, which appears to be
most frequently referred to by all the respondents. The ownership change pushes them to develop
new market, focus on new customers, and find the new ways to promote. This development is a
priority axe of their innovations. The ownership change is directly linked to the governance changes
which are emphasized by all the respondents – modification of contracts, recruitments, choice of key
people become an evidence of this type of innovation process. Corporate governance gets on the
second position in the interviews' analysis. The third axe of innovations is seen differently by the
respondents : they focus either more on the product or on the process. We present below a moredetailed analysis performed for each winery.
The company A of an average for the Bordeaux region size (32 hectares, annual production of
150,000 bottles) is one of the first acquisitions made by Chinese investors in the area. They center
strongly on Position innovation and on Governance changes. They have completely replaced the
governance framework, modified the structure hiring a new manager for the property, responsible
for most of the decisions and dependent directly on the general manager. What concerns Position
innovation, they gave up all the existed distribution channels, double the price and started selling
wine only to the Chinese market. Despite the radical innovations made, they attempt to keep
traditions in some sense, by promoting chateau histories, or by keeping old traditional labels.
The company B (60 hectares, annual production of 400,000 bottles), is the biggest investment of
Chinese investors in chateau acquisitions in France. Newly bought in January of 2012, they have
already put in place different changes on winery's Position, on the Process of wine making and on the
Product itself. Instead of 100% sales to China, the company B prefers to keep selling 20% of the wine
stock of the previous vintages to the existed channels. This export decision is made to assure the
international image of a brand. They have hired a new wine maker to develop a new higher quality
wine, and then sell this wine directly to the Chinese market. The company has put in place the
cooperation with top luxury brands in France (as Louis Vuitton, for example) for new label design, for
new bottles design and target to upgrade the image and get into the top players' niche of luxury
wines. In terms of Governance changes, they keep former employees; have employed a new Chinese
158
manager to govern the chateau and a new famous French wine maker to innovate the whole wine
making process.
The family business of the company C (28 hectares, annual production of 120,000 bottles), owned by
the second generation of French winemakers, pursue General innovations policy, “changed
everything here and there, but small changes”. The company endeavors keeping the traditions.
Nevertheless Governance changes have taken place and the equilibrium between Position, Product
and Process innovation is roughly maintained in this case.
The company D (92 hectares, annual production of 650 000 bottles), belongs to the third generation
of French wine producers who fervently follow traditions. Several attempts of Product innovation
(new product design - rose wine instead of red wine; new label design) failed, and since that the
introduced changes are mainly incremental.
It is important to emphasize that many innovations introduced by the foreign investors (in our case,
the companies A and B owned by Chinese investors) are possible due to the financial capital they
possess ( e.g. Zahraet al, 2006), while the GTG French owners, more restricted and limited in their
financial capacities, and therefore they prefer to innovate slightly and slowly.
3.2
Mapping
From the individual map of the chateau C owner (Figure 3), we can observe his perception of
innovations and the causality of his thoughts and associations. Using mapping technique enable to
perceive the reasoning behind the actions (Ginsberg, 1994) and investigate the roots of the
innovations which are put in place along with the ownership change.
Figure 3: Individual map of the French owner of the company C
Giving an example of the innovations, the owner of the company C discussed the change of
consumer tastes and wine quality issues. From product innovation and quality, the owner moves to
technical aspect of wine making and to new technology which contribute into process innovation.
The analysis of shareholders issues and the role of family in Governance innovation, the interviewer
underlined the importance of traditions, history, and the promotion of the vineyard story on the
website (a new tool of marketing innovation).
159
In Figure 4 we present a collective map aggregating the individual maps of the four
performed studies:
Figure 4: Collective view on the role of innovations in the ownership change
Corporate governance change happens during the ownership change at the level of internal and
external governance.
Internal governance
We have observed through the interviews that changing the ownership in family business in wine
sector, leads frequently to employment changes - new employees are hired to perform new tasks
and to adapt to new conditions; they are normally more experienced in the new targeted markets.
For instance in the case of the GTG transmission wineries employ people who speak Chinese
language and possess the knowledge of the Chinese market. At the same time, the Chinese investors
(the company B, for example) prefer to employ new wine makers who can produce better quality of
wines for their customers who search luxury products.
External governance
In the case of the GTG transmission the owners are willing to keep family traditions inherited from
parents or from older generations, the traditions which may concern long-standing partnership
within the organizations and associations, networks or institutions. The new investors, both company
A and company B, are more enthusiastic on developing new networks, contact different kinds of
associations participate in government network and elaborate intensive contacts with media in there
respective markets.
Profile 1: Product innovation
Both transmission from generation to generation and transmission to foreign owners have
introduced product innovation. The GTG mainly focuses on the new product, while the foreign
owners change product with an objective to better adapt it the new market requirements. The
traditional family business in Bordeaux wine sector consider introducing minor changes (regular
changes of labels or packaging), while the new Chinese owners prefer radical innovation though
keeping tradition for them is seen through keeping labels and emphasizing the winery's history to
attract Chinese customers.
160
Profile 2: Process innovation
Most family GTG keep the production volume and focus on maintaining wine quality and brand.
Chinese investors prefer to increase the production (even get out of the AOC regulations) by
introduce new technical tools for big demands of the market.
For distribution channels, the GTG are more inclined to keep the old network and channels for the
sales, they mainly cooperate the wine merchants, or develop direct sales (using Facebook channel,
Internet sites of e-commerce, etc).
The Chinese investors prefer to sell everything to their own import company in China, and build their
own distribution channels in China, through their “Guan Xi” and their existing channels or shops.
Profile 3: Position innovation
In both parties, we witness the customer and market changes as the main issues and challenges they
are facing now. As consumption in traditional countries decreases, they are forced to enter new
markets, and attract new customers. The GTG is more inclined to keep the existing sales network,
use wine exhibitions and saloons or visit customers (or distributers) to learn more about them and to
promote wine more or less directly. On the contrary, Chinese investors ( the company A, for
example) prefer to give up the old network of the old business, sell part or totally all produced wines
to Chinese market, and invite their main customers to visit the property and develop wine tourism
options and activities as a part of the promotion practices.
CONCLUSIONS
We have performed the empirical study to propose a conceptual view on innovations versus
traditions in family businesses in the wine sector. In this research we have presented the analysis of
Bordeaux wine business ownership change, focusing on two extreme types of transmission, from
generation to generation and from a French owner to a Chinese investor.
The choice of the new owners depends on the cooperate governance, including; the company
develop strategies, new organizations as well as the financial support. Different kinds of ownership
have their own advantages with innovations process. We observe from our findings, that the two
kinds of ownership put forward different dimensions of innovations, which validate our first
hypothesis.
In both of the cases of the innovation strategies focus on Position innovation. This result confirmed
our second hypothesis. The GTG mainly developed traditions and brought innovation according their
own resources, slowly and slightly on general innovations, while the new ownership has more
innovations on the position and channels, though keeping traditions on the production, history and
quality.
To conclude we could state that the two kinds of ownership employ innovation differently in
product, process, and position/marketing levels. They diverge even more in organization innovation
and investments strategies. A multi-dimensional approach to the analysis of innovations' impact
under ownership change in wine business is the necessity. We plan to model this approach
mathematically in our future studies .
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165
MOTIVATIONS POUR ENTREPRENDRE
DANS UNE VITICULTURE DURABLE
Pierre MORA ; Christophe BEY ; Manzoom AKHTER
BEM Bordeaux Ecole de Management, Talence
Contact : [email protected]
Résumé
Dans un contexte de baisse constante de la superficie cultivée en France au cours de 2000-2010,
l'augmentation de la vigne selon des pratiques agricoles durables se confirme. Le but de cette
présentation est de comprendre la motivation pour entreprendre une telle conversion. Lors d'une
précédente étude, un travail exploratoire a permis une première approche du modèle de Waley et
Taylor. La présente étude développe, selon une méthode projective la discussion sur ce modèle. Les
résultats montrent que les motivations éthiques vis-à-vis de la terre, des gens qui travaillent dans la
vigne et des consommateurs, sont reliées à la recherche d'une cohérence globale.
MOTS CLÉS: industrie du vin, motivation à entreprendre, PME, viticulture durable
INTRODUCTION
Le développement durable est peut-être l'un des thèmes les plus étudiés actuellement. Il s'agit "d'un
développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures à satisfaire leurs propres besoins» [CDD, 2001]. Les chercheurs affirment que l'action
entrepreneuriale peut préserver les écosystèmes, lutter contre le changement climatique, réduire la
dégradation de l'environnement et la déforestation, d'améliorer les pratiques agricoles et
l'approvisionnement en eau douce, et de maintenir la biodiversité [Cohen et Winn, 2007; doyen et
McMullen, 2007]. Il existe de nombreux exemples de cas où l'action entrepreneuriale durable crée
des opportunités pour les investisseurs, les entrepreneurs, et des économies [Easterly, 2006; Hart,
2005].
Les PME ont souvent des problèmes majeurs concernant la limitation de leurs ressources, la
connaissance limitée des techniques pour faire face à leur propre impact environnemental.. Elles
présentent des caractéristiques différentes vis-à-vis de l'environnement. Une variété d'approches est
nécessaire pour atteindre l'engagement maximum et amélioration de l'environnement par
l'ensemble des PME [al Parker et al., 2009].
La littérature a montré que les PME ont souvent besoin de temps dans l'adaptation des mesures
environnementales. Les motivations diffèrent. La compréhension des opportunités que représente le
développement durable nécessite d'aller au-delà des questions strictement économiques [Baron et
Ensley, 2006]. C'est pourquoi, de nombreux chercheurs ont identifié les facteurs qui motivent les
entrepreneurs à investir dans des mesures environnementales [Sandhu et al, 2010;. Masurel, 2007 et
Kuratko et al, 1997.].
166
L'entrepreneuriat responsable dans la viticulture est un domaine nouveau et largement inexploré.
Pour autant, au cours des dernières années, vins bio ou naturels ont développé une présence notable
sur la scène mondiale du vin. Le secteur vitivinicole européen est très diversifié, très dynamique et en
constante évolution. Au cours des cinq dernières années, la conversion des vignobles en viticulture
biologique se développe en France. Chaque année, depuis 2006 une croissance comprise entre 20 et
25% a été observée (le processus de conversion nécessité trois années) avec une accélération ces
dernières années : +39% en 2009 par rapport à 2008. Indépendamment de la croissance récente, les
raisins biologiques ne représentent encore qu'environ 4% de tous les vignobles français.[BOUZDINECHAMEEVA,2011].
Masurel [2007] a étudié pourquoi les PME investissent volontairement dans les questions du
développement durable. L'auteur a déclaré que l'emploi est la première raison pouvant expliquer la
motivation des PME à investir dans des mesures environnementales. Les questions managériales
viennent ensuite. Les respect de règles semble être un source de motivation, moins importante. De
cela, il peut être conclu que la motivation des PME à investir dans les questions environnementales
ne peut pas être d'amélioré en tant que telle. Pour Gombauldt et Versteege [1999] il est nécessiare
de distinguer l'aspect interne [la réduction des coûts, l'amélioration de la qualité] et externe [les
autorités, le secteur lui-même, les fournisseurs, les concurrents, le marché et la société dans son
ensemble]. Walley et Taylor [2002] estiment que les entrepreneurs verts se distinguent souvent par
une combinaison d'influences internes et externes. Ils observent que les variables les plus
explicatives les plus pertinentes sont le contexte externe [contexte structurel] et l'orientation
personnelle de l'entrepreneur.. Dans cette étude, nous explorons les motivations des producteurs de
vin à investir dans le viticulture biologique. Puis basée sur la typologie proposée par Walley et Taylor
[2002], nous identifions le type de producteurs de vin bio. Ce document est divisé en trois parties.
Dans la première partie, nous décrivons le concept de d'entrepreneuriat durable. En parallèle nous
décrivons brièvement l'impact environnemental de la production de vin. Puis nous présentons la
méthodologie suivie avant de regrouper les résultats qualitativement et quantitativement. En fin de
compte nous présentons quelles peuvent être, selon nous, les implications managériales de cette
recherche.
CADRE CONCEPTUEL
Le terme "entrepreneur" a été utilisé depuis le 16e siècle [Latha et Murthy, 2009]. Le chercheur en
sciences sociales Richard Cantillon introduit le mot «entrepreneur» dans les années 1700 pour
décrire ceux qui "achètent les marchandises du pays à un certain prix et les renvendent à un prix
incertain". Depuis, le terme «entrepreneur» a été défini, redéfini, classé, voire modélisé. Un résumé
des définitions des entrepreneurs a été compilé par Kao [1991], voir le tableau 1, pour dépeindre ses
différentes facettes.
Une vue d'ensemble sur le terrain propose un cadre global qui localise la recherche en
entrepreneuriat à l'intersection de l'étude des individus et des équipes [entrepreneurs], [les
possibilités conditions environnementales], et les modes d'organisation de nouvelles entreprises [].
Aldrich [2005], après avoir examiné cette approche, met en évidence quatre principales approches.
Un groupe de chercheurs lient entrepreneuriat avec la création de nouvelles organisations. Un autre
groupe étudie la forte croissance et la création de richesse par les entreprises. Un troisième groupe,
suivant la tradition schumpétérienne, se centre sur l'esprit d'entreprise lors de l'innovation et de la
création de nouveaux produits et marchés. Le quatrième groupe, suite aux travaux de Kirzner,
s'intéresse à la reconnaissance et à la poursuite d'opportunités rentables. Bien que ces approches
varient dans leurs principes, ils epartagent explicitement ou implicitement une hypothèse sousjacente que la création de richesses est un objectif fondamental de la démarche entrepreneuriale.
Nous reconnaissons volontiers que, dans de nombreux cas, la création de richesse est le but principal
de "entrepreneuriat." Cependant, de nombreux illustrent le fait que les individus se livrent souvent à
l'entrepreneuriat pour des motifs autres que la financiers.
167
TABLE 1: Quelques définitions de l'entrepreneur
Auteur
Cantillon, R [1730]
Nicolas, A [1767]
Say, J.B. [1810]
Définition
Une personne à son compte avec des resultants
aléatoires.
Un leader, un meneur
Un coordinateur de production avec des talents de
management humain
Schumpeter, J. [1910]
Un innovateur créatif
Knight, F [1921]
Un manager responsable de la création et du contrôle
Stepaneck, J.E. [1960]
Une personne apte à déceler des opportunités et d'y
répondre
Un preneur de risque raisonné
McClelland, D.C. [1961]
Un "faiseur de décision"
Budner, R [1962]
Une personne ouverte à des situations ambigües
Collins, O. [1964]
Une personne ayant de forts besoins d'autonomie
Litzinger, W.D. [1965]
Une personne autonome nécessitant peu de soutine
Rotter, J.B. [1976]
Un contrôleur de gestion interne
Penrose, E [1959]
Timmons, J.A. [1985]
Un comportement général
Kao, J [1991]. The Entrepreneur. New Jersey. Prentice Hall
L'ENTREPRENEURIAT DURABLE
Le développement durable se réfère à «un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins» [CDD, 2001]. Il y
a de nombreuses définitions de la durabilité et du développement durable. Patzelt et Shepherd
[2011] ont défini l'esprit d'entreprise durable "comme la découverte, la création et l'exploitation des
opportunités pour créer des biens et des services futurs qui soutiennent l'environnement naturel et /
ou communautaire et de fournir un supplément de développement pour les autres". L'esprit
d'entreprise durable est donc une combinaison de développement durable, et de entrepreneuriat. .
Masurel [2007] mentionne que l'esprit d'entreprise durable peut être défini comme «une
menegement de l'entreprise pour faire des choix équilibrés entre actionnaires, employés et
environnement». Le concept général du développement durable implique qu'il y a des limites à la
disponibilité des ressources environnementales et à la capacité de la biosphère à absorber les
activités humaines. Ainsi, le développement durable doit-il entraîner un processus de changement
dans lequel l'exploitation des ressources, la direction des investissements, l'orientation des
développements technologiques et le changement institutionnel sont tous mis en cohérence avec
l'avenir mais aussi avec les besoins actuels.
L'ENTREPRENEURIAT DURABLE DANS LE SECTEUR VITICOLE
Une nouvelle tendance dans le marché mondial du vin marqué par une grande diversité, est
l'émergence de vins biologiques. Au cours des dernières années, naturel - organique ou bio – les vins
ont développé une présence notable sur la scène mondiale du vin. La durabilité du marketing et de
promotion des questions environnementales sont devenues pour leur part une force motrice sur le
168
marché mondial du vin [Brugarolas et al. 2005]. Les producteurs du Nouveau Monde sont souvent
innovateurs comme par exemple en Nouvelle-Zélande, pays qui cultive son image «verte» [Hughey et
al. 2005]. L''Australie pour sa part face au réchauffement climatique se touren elle aussi rapidement
vers la viticulture biologique [Lockshin et al. 2008], de même que le Chili [Gibb, 2009]. En Europe,
2,5% de toutes les zones de production étaient consacrés à des raisins biologiques en 2006 [Willer,
2008]. Le secteur vitivinicole européen est pour sa part très diversifié et dynamique. Dans l'Union
Européenne, l'Italie est le plus grand producteur de produits agricoles biologiques aveci près de 18%
du total des cultures biologiques. Sa couverture végétale biologique et le nombre d'opérateurs de
produits biologiques continue d'y croître régulièrement [Llorens Abando et Rohnerthielen, 2007] . Au
cours des cinq dernières années, la reconversion en viticulture biologique s'accélère également en
France, avec un taux annuel de conversion qui varie entre 20-25% par an depuis 2006 [la période de
conversion dure trois ans], pour atteindre près de 39% de croissance en moyenne en 2009 par
rapport à 2008. Malgré cette croissance récente, les raisins biologiques ne représentent encore
qu'environ 4% de tous le vignoble français. Beaucoup de petits vignobles en France, sont gérés avec
des méthodes similaires à des techniques organiques avec des traditions locales et en minimisant
l'utilisation de produits chimiques. Depuis 1990, le terme «viticulture raisonnée» ou de vigne
conduite selon les principes d'une agriculture raisonnéd, ont été utilisés de plus en plus. Cela exprime
la culture de la vigne avec un minimum d'intrants chimiques, seulement dans des situations extrêmes
[BOUZDINE-CHAMEEVA, 2011].
L'impact de la production de vin sur le réchauffement climatique est principalement le résultat des
émissions de CO2. L'impact relatif des différentes étapes à savoir les processus de vin, la
production,le refroidissement, l'embouteillage , le conditionnement, le transport et ont
respectivement connu une croissance de 38%, 21%, 25%, 9% et 7% . [Zabalza et al. , 2003]. Aranda et
al. [2005] concluent également que la contribution des différentes étapes de la chaîne
d'approvisionnement du vin à l'impact environnemental est de 31% pour la vigne, 27% pour la cave,
et 42% pour l'expédition. Le principal impact sur le vignoble est causé par les engrais et les pesticides,
environ 39% de l'impact environnemental total. Ardente et al. [2006] ont également signalé que la
production et l'emballage des bouteilles contribuent à 44,8% de l'impact environnemental global.
Gonzales et al. [2006] ont recours à cinq étapes de la chaîne logistique: production viticole et
vinicole, embouteillage, expédition, et élimination. L'impact sur le changement climatique reste
cependant avant tout du aux processus de fabrication dans vins dans la cave, responsables pour
55,9% de la contribution totale. La conduite de la vigne est le second poste avec 25,6%. La phase de
mise en bouteille et l'expédition contribuent à peu près également à l'impact carbone, avec 13,7% et
13,8% respectivement.
On le voit donc : les préoccupations environnementales peuvent représenter une facette de
l'entrepreneuriat : ces "green entrepreneurs" ont donné lieu à plusieurs recherche. Nous retiendrons
ici celle de Walley et Taylor, qui servira de base de réflexion pour définir notre question de
recherche. Walley et Taylor [2002] ont en effet proposé un cadre pour étudier les influences sur ce
type d'entrepreneurs ainsi que les motivations de ces porteurs de projets durables. Ces auteurs
estiment que les entrepreneurs verts"" se caractérisent pas des données qui leur sont personnelles
mais aussi par des éléments de leur environnement. Ils proposent par ailleurs une typologie faite de
quatre profils : innovateurs opportunistes [influencée principalement par les facteurs structurels, tels
que la réglementation], visionnaires [motivés par une transformation du monde et une plus grande
durabilité], non-conformistes éthiques [caractérisé par une orientation durable via des réseaux et
relations amicales ou professionnelles ainsi qu'un expérience passée] et entrepreneurs ad hoc [dont
la motivation est à la fois financière, mais aussi faite de cas et de rencontres spécifiques].
Notre objectif est donc ici d'illustrer et de mesurer en quoi cette typologie est pertinente dans le cas
spécifique de l'exploitant en viticulture biologique, que celui-ci ait choisi d'acquérir une exploitation
biologique, de le reprendre ou bien encore de convertir son vignoble pour passer du traditionnel aux
169
principes de l'agriculture raisonnée (nota : à l'époque de la collecte des données – automne 2011 –
on ne pouvait encore employer le vocable de "vin biologique").
METHODOLOGIE
Une précédente étude conduite auprès de vingt-deux producteurs convertis à la viticulture bio nous
a permis de servir de base afin d'approcher les différentes dimensions du modèle de Waley et Taylor.
Par ailleurs, le modèle proposé par Patzelt et Shepherd [2011] confirme nos constatations selon
lesquelles il existe un lien entre les connaissances des menaces que représentent le risque
environnemental et l'esprit d'entreprise. Ce modèle suggère que plus la perception de la menace
climatique est forte, plus la reconnaissance des possibilités de développement durable est aussi
affirmée.
Tableau 5 : Adaptation de la typologie de Waley et Taylor
De façon très résumée, nous pouvons retenir de cette étude les points suivants :
Tout d'abord nous notons une forte propension à exprimer la motivation par le biais de l'éthique, de
la philosophie de la vie et de la sensibilité de l'environnement. C'est de loin le thème le plus cité dans
notre échantillon [âge, région, modalité de conversion ou de la région d'origine]. Nous avons noté
par ailleurs de très faibles relations entre ces quatre dimensions. En outre, on observe que le profil
opportuniste (type1), peut-être plus le fait de jeunes ou d'entrepreneurs récemment convertis au
bio; la jeunesse marque également le type 3 (éthique). Peu d'éléments marquants peuvent
caractériser les types 2 (business motivation) et 4 (aléatoire).
L'orientation spontanément commerciale des producteurs bio, en ce moment n'est pas aujourd'hui
une réalité. L'expression d'un forme de "philosophie de vie" passe avant. Toutefois, il serait erroné
d'en conclure que «biologique et marketing sont incompatibles". Par ailleurs, l'analyse des entretiens
montre un certain pouvoir de différenciation du bio qui pourrait être une force pour le vin bio. Tout
d'abord, le client, qui est souvent le consommateur, est clairement identifié par le producteur. Celuici peut dans la plupart des cas, se le représenter et l'identifier. Nous savons que ce n'est pas le cas
traditionnellement dans la viticulture conventionnelle. En outre, nos interlocuteurs ont souligné la
chaîne de distribution, généralement très courte. Cette proximité est vécue comme un avantage
concurrentiel. Un autre élément du «marketing mix» est la promotion d'une marque ombrelle forte,
représentée par la marque "AB" [l'agriculture biologique] logo. Il rassemble sous ce signe distinctif
une grande production présente en permanence dans les points de vente. Or nous savons que, pour
les vins français, cette constance fait souvent défaut. Enfin, le faible traitement phytosanitaire de la
170
vigne permet plus facilement d'exprimer les spécificités des sols, qui ont tendance, en viticulture
conventionnelle à voir leur influence s'estomper en raison d'une certaine standardisation de la
conduite de la vigne. D'où la justification des producteurs bio à revendiquer une forme de marketing
qui leur soit propre, et finalement un modèle d'affaires différent. Toutefois, certaines menaces sont
source de préoccupation pour les acteurs commerciaux de notre échantillon. Tout d'abord, la
montée en puissance potentielle de certains acteurs économiques puissants adoptant des
techniques de marché de masse et, menaçant " l'esprit de l'économie bio". En outre, les producteurs
biologiques qui s'estiment plutôt comme des "collègues" seraient amenés, face à une massification, à
adopter des comportement proches de la compétition classique. Cette menace, souvent
mentionnée, ruinerait des années fondées sur la confiance et la solidarité dans un secteur longtemps
resté marginal [moins de 3% du marché domestique français]. De telles pratiques ont également été
signalées à l'international où des producteurs espagnols et italiens praiquent des méthodes
promotionnelles agressives. Enfin dernière contrainte identifiée dans le discours des producteurs :
leur difficulté dans certaines régions, pour obtenir la reconnaissance de «l'inter-profession", qui,
loin de les soutenir, "ne reconnaît pas les leurs efforts accomplis." Pour lutter contre cette mise à
l'écart, deux initiatives sont mises en évidence par les producteurs biologiques. La première consiste
en l'augmentation du niveau des exigences pour obtenir la certification biologique. La seconde vise à
convertir ses propres clients traditionnels pour les faire passer de vins conventionnels à des vins bio,
après avoir obtenu sa certification. L'autonomie concerne donc tout autant la commercialisation que
la production.
À l'issue de cette approche qualitative, deux prolongements sont à envisager : tout d'abord, vérifier
les tendances observées qualitativement, sur un plus large échantillon. Ensuite étudier en quoi une
typologie de l'entrepreneur-viticulteur bio pourrait apparaître dans l'avenir si ce segment maintient
son potentiel de croissance. Dans ce cas, chaque producteur concerné devra positionner clairement
son offre en particulier sur les trois principales dimensions du modèle de Walley et Taylor :
opportuniste [volume, le bénéfice] visionnaire [la gouvernance industrielle] l'éthique [de la qualité
des processus et des produits]. Les outils de marketing pourraient être alors d'une grande utilité pour
les producteurs bio. La réponse à ces questions nécessite donc une approche quantitative qui devra
cependant mixer sa méthodologie avec une approche projective afin de garder un minimum de non
directivité face à un concept aussi complexe que celui de la motivation.
Validation quantitative par une méthode projective
Pour associer les contraintes d'une validation quantitative et les nécessités d'un semi directivité,
nous avons eu recours à une technique visuelle dite du "mur d'images".
1°- Approche projective de la motivation entrepreneuriale dans la viticulture
biologique
L'expression de la motivation reposant pour une large part sur des éléments inconscients ou peu
maîtrisés par le sujet, nous avons tout d'abord adopté une méthode projective permettant de
mettre au jour par une approche spontanée, puis de préciser chacune des quatre dimensions du
modèle de Waley et Taylor. L'échantillon était constitué de 88 producteurs dont une partie est en
viticulture biologique ou biodynamique et une autre en viticulture traditionnelle (groupe de
contrôle). Cette technique projective dite du "mur d'images" consiste à proposer à la personne
enquêtée de choisir, pour exprimer la motivation à se convertir au bio, trois images parmi plusieurs,
puis de s'exprimer sur les raisons de son choix. Chacune des images a ici été choisie comme se
rapportant à l'une des quatre dimensions. Le traitement a été effectué grâce à une analyse au
module lexical de du logiciel SphinxOnline.
171
Vingt-cinq images étant présentes, une fréquence moyenne s'établit à 4% (100/25). Six images se
détachent nettement et sont sur représentées : G (59%), T (55%), K (24%), Y (22%), H (14%), R(8%). A
l'exception de l'image K, toutes les images correspondent au type 3 (éthique), ce qui confirme notre
interprétation lors des 22 entretiens précédents, loin devant les trois autres familles de motivation.
2°- Corrélations des critères de motivation et spécificités des producteurs bio
Le but est ici de mesurer le poids de chacune des dimensions identifiées préalablement ainsi que les
liens qui les structurent. Par ailleurs, nous avons tenté une explication de la contribution de ces
dimensions pour expliquer la satisfaction globale à se convertir au bio.
Afin de mesurer ces liens entre les différentes dimensions de la motivation, une série de questions
appelant des réponses sous forme d'échelles (1 à 6) a été élaborée. L'administration à distance des
données ainsi que leur traitement ont été également été réalisés avec le logiciel Sphinx Online.
Nous présentons tout d'abord les liens les plus remarquables entre les variables qui constituent la
motivation à développer une production biologique. Puis nous décomposons cette motivation en
trois dimensions : perception de l'environnement, désir de progresser, critères éthiques. Chacun des
tableaux présente les moyennes selon chaque type de producteurs, puis la moyenne générale et
enfin, une analyse de variance permet d'exprimer le pouvoir discriminant de chaque critère. Enfin,
nous tentons de repérer des variables explicatives de la satisfaction globale à s'être converti au bio.
a- Représentation de la motivation sous forme bi variée
La fig 6 représente les critères de motivation ayant, deux à deux, les plus fortes corrélations (en
rouge : le coefficient de corrélation). Une interprétation de ces liens laisse à penser que trois groupes
se dégagent :
172
-
-
Changer : se groupe est constitué de motivations ayant pour la plus part un caractère
évolutif du métier selon trois directions : en interne dans la façon de concevoir son
travail et de le pratiquer, puis dans la relation au marché et le consommateur et enfin
face aux événements notamment climatiques.
Expérimenter : cette deuxième dimension restreinte à deux critères donne un
caractère expérimental à la démarche vers le bio, ainsi qu'une dimension technique.
Militer : ce dernier groupe ouvre sur le désir d'amélioration des conditions de travail
et de satisfaction des salariés ainsi que sur le désir militant.
Facilité de mise
en oeuvre
Cohérence
éthique
Nouveaux
procédés
Respect du
consommateur
.81
Travailler
autrement
.77
Accomplissement
personnel
.80
.86
.79
.77
.77
Variété des
travaux
.77
Challenge
Changement
climatique
.76
Motivation
salairés
.75
Démarche
militante
Fig 6 : Dimensions de la motivation sous forme bi variée
173
b- Analyse selon trois principaux groupes de critères
- Perception de l'environnement
Nous avons tout d'abord repris des variables qui peuvent avoir une influence sur une pratique
viticole bio afin de mesurer l'attention portée par les producteurs rencontrés
"- Selon vous, l'entrepreneur bio est particulièrement attentif aux éléments suivants …"
Types
de
interrogés
Critères
environnementaux
producteurs Ensemble
Bio
ou Traditionnel
biodynamie
Moyenne
ANOVA
F
1-p
significativité
Influence
4,78
4,53
4,72
1,29
74,13%
Son
réseau
de 4,23
connaisseurs, d'experts
3,79
4,12
3,68
94,39%
Apporteurs
2,47
2,53
2,49
0,03
16,12%
4,15
4,06
4,13
0,14
29,26%
3,34
2,89
3,24
1,81
82,05%
de 3,14
3,61
3,25
2,55
88,97%
3,68
4,11
3,78
2,29
86,99%
Agréments, concours et 2,93
médailles
3,24
3,00
0,74
60,17%
Monde
3,11
0,81
0,81
62,47%
familiale
de capitaux
Canaux
de distribution
Instances
professionnelles
Mécanismes
subventions
Média et manifestations
2,79
politique
Tab 7: Critères environnementaux
174
On observe donc ici que les producteurs bio attachent de façon significative nettement plus
d'importance au "réseau de connaisseurs et d'expert" ainsi qu'aux aux "instances professionnelles".
175
- Démarche de progrès
Une deuxième dimension étudiée est la démarche de progrès que la conversion au bio peut
représenter pour un viticulteur traditionnel.
" – Selon vous entreprendre dans la viticulture bio est le signe d'une volonté de progresser grâce à …"
Types
de
interrogés
Critère de démarche
producteurs Ensemble
Bio
ou Traditionnel
biodynamie
Moyenne
ANOVA
F
de progrès
1-p
significativité
Variété de travaux à 2,83
réaliser
3,11
2,91
0,56
53,56%
Des challenges
3,47
4,33
3,71
5,81
98,20%
Des perspectives de 3,47
meilleure rentabilité
3,22
3,40
0,46
49,07%
Une facilité de mise en 2,98
œuvre
1,94
2,69
7,44
99,19%
De nouveaux procédés 3,24
à expérimenter
3,83
3,41
2,87
90,85%
Une anticipation sur le 3,32
changement climatique
4,06
3,52
4,07
95,47%
Rencontre de nouveaux 3,62
consommateurs
3,39
3,55
0,46
49,14%
Recherche d'un
conformisme
2,11
0,87
0,87
64,24%
à relever
non 2,43
Tab 8 : Démarche de progrès
Cette deuxième série de critères, montre une grande disparité d'opinions sur la "facilité de mise en
œuvre" perçue avant tout par les producteurs bio. A contrario et toujours de façon différenciée, "les
challenges à relever", " les nouveaux procédés à expérimenter" et "une anticipation du
176
réchauffement climatique", expliquent, selon les producteurs traditionnels, cette volonté de
conversion.
177
- Critères éthiques
Enfin, une série d'expressions éthiques comme sources de la motivation à se tourner vers la
viticulture bio ou biodynamique est étudiée :
" – Selon vous, entreprendre dans la viticulture biologique est avant tout le signe …"
Critères
Types de producteurs interrogés
Ensemble
ANOVA
Bio
ou
biodynamie
Moyenne
F
Traditionnel
éthiques
1-p
significativité
Volonté d'indépendance
2,86
2,58
2,78
0,70
58,89%
Accomplissement
personnel
3,50
4,00
3,65
1,50
77,66%
Reconnaissance
2,98
2,53
2,84
1,38
75,60%
Plus de relations humaines
2,98
2,53
2,84
0,06
19,93%
Cohérence intérieure sur le
plan éthique
3,62
4,11
3,77
1,30
74,29%
Désir
de
différemment
travailler
3,55
4,16
3,73
2,18
85,88%
le
3,87
4,58
4,08
2,92
91,15%
Améliorer la motivation
des salariés
2,84
3,11
2,92
0,68
58,07%
Démarche
3,16
3,00
0,18
0,18
32,26%
sociale
Respecter
consommateur
militante
Tab 9 : Critères éthiques
Cette troisième dimension montre une forte disparité d'opinion sur deux critères : d'une part "le
respect du consommateur" et d'autre part " le désir de travailler différemment". Ces deux critères
sont perçus comme un moteur de motivation de façon plus intense par les producteurs
traditionnels.
3°- Satisfaction globale
Ayant extrait les facteurs de motivation les plus saillants, au sens de l'ANOVA, nous avons dans un
deuxième temps tenté de mesurer leur impact sur la "satisfaction globale" au travers des jeux de
corrélations entre critères. Cette analyse ne concerne bien évidemment que les producteurs
178
concernés (donc déjà en bio ou en biodynamie). La question sur la satisfaction globale était libellée
en ces termes : "- Finalement êtes-vous globalement satisfait de vous être lancé dans le bio ?"
Satisifaction
globale
Satisifaction globale
travailler dif
féremment
respect con
sommateur
challenge
facilité mise en
oeuvre
nouveaux
procédés
climat futur
réseau con
naisseurs
1,00
travailler différemment
-0,10
1,00
respect consommateur
0,09
0,76
challenge
-0,08
0,76
0,70
1,00
facilité mise en oeuvre
-0,01
-0,22
-0,28
0,14
0,07
0,13
0,13
0,42
0,72
1,00
-0,09
0,78
0,70
0,59
-0,01
0,26
1,00
réseau connaisseurs
0,05
-0,15
-0,43
-0,14
0,28
0,03
-0,23
1,00
institutions
0,00
0,04
-0,08
0,10
-0,05
-0,10
-0,32
0,36
nouveaux procédés
climat futur
institutions
1,00
1,00
1,00
Tab 10 : Explication de la satisfaction globale selon les critères les plus discriminants
La matrice des coefficients de corrélation montre un faible pouvoir d'explication de la satisfaction
globale par les critères sélectionnés. A ce stade, il n'existerait donc pas de lien clairement identifié
entre telles dimensions de la motivation et la satisfaction à s'être converti.
Cependant, il ne s'agit ici que de tendances observées : la taille réduite de l'échantillon ne nous
permet pas à ce stade, d'affirmer plus catégoriquement de véritables explications de la satisfaction à
se convertir en bio. Enfin, notons qu'une analyse exhaustive de toutes les dimensions de la
motivation sur l'ensemble de la population des producteurs bio et biodynamie ne laisse émerger
qu'un seul critère réellement relié à la satisfaction globale : l'influence du milieu familial (.58).
Remarques concernant l'influence des variables d'identité
Diverses variables propres à la personne interrogée et aux conditions de son exploitation (surface,
région, ancienneté de la conversion) n'ont pas apporté d'informations significatives. Par contre, le
croisement de l'âge du producteur et de sa formation a montré un lien entre "séniors" et "self made
man". Nous avons donc observé plus précisément leur opinion sur l'ensemble des dimensions de la
motivation. Tout d'abord une plus grande hétérogénéité des opinions sur ces critères marque ce
groupe de producteurs. Puis, deux critères semblent, faiblement, caractériser un peu mieux ce profil :
l'importance des "institutions et instances professionnelles" ainsi que les "intermédiaires et
distributeurs". Ces deux traits semblent plus illustrer des comportements opportunistes qu'éthiques,
à l'opposé de l'opinion parfois répandue que "les nouveaux producteurs bio se convertissent du fait
de la croissance de ce segment de marché". Ici aussi, une vérification sur un plus large échantillon
serait nécessaire pour le confirmer.
CONCLUSION
Ayant assimilé les producteurs bio à des «greens entrepreneurs", peut-on les considérer à part au
sein de cette tribu ? Existe-t-il une spécificité de la motivation propre aux viticulteurs bio ? La
réponse est "oui" dans la mesure où, dans notre échantillon, ce type de producteur donne une place
beaucoup plus forte aux aspects éthiques. En ce sens nos résultats réfutent une partie de la
typologie de Walley et Taylor. Deux explications peuvent être données à cet écart. Tout d'abord, on
pourra penser que le terme "d'entrepreneur" ne revêt pas tout à fait le même sens pour un
producteur bio, avant tout agriculteur très proche de la terre, et pour celui qui investit dans les green
technologies du type énergie, transport, habitat. Par ailleurs, notre échantillon regroupe des
exploitants individuels ou des entreprises familiales dont le capital n'est pas ouvert, contrairement
au green entrepreneurs associant, du fait d'une forte présence de nouvelles technologies, d'autres
apporteurs de capitaux.
Des travaux complémentaires devront préciser, avec le temps et le développement rapide de cette
viticulture, comment la motivation des nouveaux entrants dans cette niche en expansion, dans un
179
marché français en stagnation. Deux types de motivation, non analysées à ce stade du
développement de la filière bio, menace en effet l'esprit des pionniers : d'une part un effet de masse
où l'objectif premier serait celui des économies d'échelle et d'une "industrialisation du bio", et
d'autre part une lutte concurrentielle du fait de gros opérateurs (négoce industriel, unions de
coopératives) qui donneraient un nouveau visage à ces entrepreneurs. L'étude des motivations
risquera alors de révéler davantage de comportements opportunistes.
Avant cette échéance, une autre urgence managériale apparait : celle de réduire drastiquement
l'emploi de pesticides dans la vigne. On sait désormais en effet que la Gironde, premier département
producteur de vin de France est aussi l'un de ceux qui connaît le plus de cancers de toutes sortes
dans la population des travailleurs de la vigne.
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