Grandeur, déclin et regain de dynamisme du

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Grandeur, déclin et regain de dynamisme du
Research Insight
Grandeur, déclin et regain de dynamisme
du marché indien de la microfinance
Septembre 2014
Résumé
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Après avoir de plus en plus failli à sa tâche consistant à fournir à la vaste population du
pays l’accès à des services financiers, le secteur financier indien vit à présent d’importants
changements conduits par le régulateur.
La banque centrale indienne (Reserve Bank of India, RBI), dirigée par l’éminent économiste
Raghuram Rajan, a commencé à prendre de courageuses décisions visant à accélérer
la prestation de services financiers à l’intention des 800 millions d’adultes vivant en Inde.
L’augmentation des revenus a en effet provoqué une hausse considérable de la demande
en services financiers.
Par le passé, les institutions de microfinance (IMF) intervenaient là où les banques
indiennes bien établies avaient échoué. Bien qu’un mélange d’insuffisance de soutien
réglementaire et d’opposition à l’échelon politique national ait gêné la croissance du
secteur, grâce à l’intensification de ses activités, la microfinance a mieux contribué que
tout autre modèle d’affaires à promouvoir l’inclusion financière.
Les élections de 2014 ont permis d’installer un gouvernement à parti unique stable pour
la première fois depuis 30 ans. Le programme de développement de ce gouvernement
se concentre sur le secteur privé et sa capacité à fournir des services essentiels tels que
l’accès aux installations sanitaires et aux comptes bancaires.
Simultanément, la banque centrale a reconnu que les IMF avaient un rôle clé à jouer dans
la mise en œuvre de sa stratégie d’inclusion financière et, en 2014, a accordé pour la
première fois une licence bancaire à une IMF, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour
l’ensemble du secteur indien de la microfinance.
Chère lectrice, cher lecteur,
« Dans un système financier efficace, le terrain de jeu est plat, ce qui permet
aux différentes institutions de se mettre
en concurrence et d’assurer une fonction.
Aucune institution ne domine les autres
en raison des privilèges dont elle bénéficie,
et la concurrence entraîne une répartition
efficace des ressources. Résultat : la société
tire le meilleur parti possible de ses ressources productives. Un système financier
efficace est également équitable car il s’agit
du seul moyen de faire valoir les intérêts
des masses consom­matrices, contrairement
à la ­tendance plus habituelle de protection
des producteurs privilégiés. »3
Le secteur financier indien a déjà été décrit comme « un moteur
tout déglingué amoureusement entretenu par une secte d’ingénieurs couverts de cambouis »1. Au cours des dernières décennies, il a de plus en plus failli à sa tâche consistant à donner
accès à des services financiers aux 800 millions d’adultes
vivant en Inde. Rares sont les banques privées qui se sont
développées, et celles qui ont réussi ce pari s’intéressent
essentiellement à la classe moyenne indienne, encore très
limitée en nombre. Sans la naissance des deux modèles
financiers innovants que sont les groupes d’entraide sous
contrôle public (self-help groups, SHG) et les institutions de
microfinance (IMF) du secteur privé, les ménages défavorisés,
qui constituent l’écrasante majorité de la population indienne,
auraient encore recours aux prêteurs non autorisés. Les deux
institutions susmentionnées fournissent des prêts de groupe à
des taux d’intérêt très compétitifs comparés à ceux pratiqués
par les prêteurs non autorisés.2 Bien que les deux modèles aient
réussi à toucher des dizaines de millions de clients, les IMF
sont parvenues à intensifier plus rapidement leurs activités et à
attirer davantage de financements que les SHG.
Il s’agit sans doute d’une des raisons pour lesquelles en 2010,
le secteur émergent de la microfinance a subi un brusque échec
d’origine politique menant à l’effondrement de plusieurs IMF.
Ces événements menaçaient d’anéantir les progrès réalisés dans
le domaine de l’inclusion financière et de le ramener 20 ans
en arrière. Heureusement, au cours des trois dernières années,
la microfinance du secteur privé a réussi à renaître de ses
cendres, en partie grâce à la création de nouveaux modèles
d’affaires. Cette renaissance est surtout le fait de la RBI et
de son gouverneur, l’économiste progressiste Raghuram Rajan,
qui a fait de l’inclusion financière et de l’intégration de nouveaux acteurs sur le marché deux de ses priorités à inscrire
sans équivoque dans sa politique :
Raghuram Rajan
M. Rajan a traduit ses paroles en actes. En avril 2014, la RBI
a annoncé qu’elle allait accorder une licence bancaire à une IMF.
Cette attribution de licence a été la plus signifi­cative depuis
celle de 1993 qui avait fait suite à la crise de la balance des
paiements de 1991 et dont le but était d’auto­riser l’établissement de nouvelles banques privées. La RBI laisse ainsi entrevoir aux IMF la possibilité de devenir des banques à part entière
et les incite à s’engager dans le développement institutionnel
en récompensant leur réussite future par de nouvelles options
opérationnelles et financières, telles que l’autorisation d’accepter les dépôts du public. Un important facteur de réussite, qui
stimule la microfinance durable et a déjà fait ses preuves sur
des marchés avancés de la microfinance comme le Pérou4 ou le
Cambodge, vient donc d’être adopté par le régulateur indien.
Christian Etzensperger
Senior Research Analyst
1
The Economist, 30 novembre 2013.
2
achiket Mor : Committee on Comprehensive Financial Services
N
for Small Businesses and Low Income Households – Report,
banque centrale indienne (Reserve Bank of India), décembre 2013.
3
aghuram Rajan : A Hundred Small Steps – Report of the Committee
R
on Financial Sector Reforms. Soumis à la commission de planification
du gouvernement indien, 2008.
4
e Pérou, marché modèle de la microfinance, responsAbility Investments,
L
2011.
responsAbility Research Insight
3
Le développement du
­secteur financier indien
Ce succès récent est le résultat d’une révolution plutôt que
d’une évolution. Le secteur financier indien a fait l’objet de
contrôles gouvernementaux stricts et d’une répression financière entre 1947, année de l’indépendance indienne, et 1990,
date du début de la libéralisation du secteur. Pendant toute
cette période, l’Inde a été largement isolée du système financier international. Cette période commença par la décision
politique de nationaliser les principales banques du secteur
privé pour soutenir les stratégies de développement politico­économique de l’Inde à l’aube de son indépendance. Le
gouvernement a par la suite contrôlé le secteur en sa qualité
de propriétaire de nombreuses institutions financières et de
régulateur très strict des activités bancaires.
Le gouvernement indien, qui gérait les taux d’intérêt, contrôlait
en outre le flux de crédit et l’orientait vers les secteurs économiques et les entreprises de son choix. Les normes de comptabilité étaient insuffisantes et la communication financière
minimale. Il était demandé à la plupart des intermédiaires
financiers d’investir une part importante de leurs fonds dans
des titres publics pour permettre au gouvernement de refinancer ses coûteuses politiques fiscales à des tarifs échappant
au marché. Le niveau élevé de monétisation dans l’économie a
forcé le gouvernement à imposer de lourdes réserves obligatoires et le rationnement du crédit, ce qui ne fit que perturber
un peu plus l’activité du secteur financier. Les intermédiaires
financiers ont souffert d’un niveau de performance lamentable,
de niveaux de capital insuffisants et d’une médiocre qualité
d’actifs.
Banques indiennes : en progrès, mais encore en dessous
des exigences
La crise indienne de la balance des paiements de 1991 a entraîné des réformes économiques et bancaires fondamentales,
bien qu’elles ne furent instaurées que progressivement. Dans un
processus soigneusement étudié, de nouvelles banques du secteur privé ont obtenu une licence, et les banques du secteur
public ont réduit la participation étatique en levant des fonds
propres supplémentaires. Aujourd’hui, le volume du secteur
bancaire indien est modéré par rapport à l’économie du pays, et
il est dominé par les banques détenues par l’Etat. Le ratio d’actifs des banques commerciales par rapport au PIB est inférieur
à 100 %, et le ratio de crédit par rapport au PIB est légèrement
supérieur à 50 %.5 Le secteur se caractérise par une implication étatique certes forte, mais en baisse. Ses performances
sont moindres que celles des secteurs bancaires des autres
marchés émergents en raison de la faiblesse de sa rentabilité,
de la croissance du portefeuille et de sa portée. De plus, le secteur bancaire indien n’a pas encore vécu de crise structurelle majeure.
C’est la politique qui guide les développements dans les
banques détenues par l’Etat, et aucune privatisation n’est
probable dans un futur proche. Il existe deux types de banques
détenues par l’Etat. D’abord, la State Bank of India (SBI) et
ses banques associées, techniquement considérées comme
des filiales, mais qui en pratique opèrent séparément. Ensuite,
les banques nationalisées qui étaient autrefois privées mais
sont passées sous le contrôle de l’Etat lors des deux vagues
de nationalisation de 1969 et de 1980.
Principales banques indiennes
Par actifs, au 31.12.2012
Nom
State Bank of India
Total d’actifs
en millions d’INR
Actifs en % du total des
actifs du secteur
Propriétaire
majoritaire
Etat
14 687
18,3
Bank of Baroda
5471
6,8
Etat
ICICI
5368
6,7
Privé
Punjab National Bank
4789
6,0
Etat
Bank of India
4526
5,6
Etat
Canara Bank
4123
5,1
Etat
HDFC
4003
5,0
Privé
Axis
3406
4,2
Privé
IDBI
Union Bank of India
3228
3119
4,0
3,3
Etat
Etat
Source : HIS Global Insight Banking Report India
5
Indicateurs du développement dans le monde,
Banque mondiale, 2012.
responsAbility Research Insight
4
Les niveaux de capital des banques indiennes détenues par
l’Etat sont comparativement bas. La forte croissance de leurs
activités de prêt conduit à un besoin continu de fonds supplémentaires à mesure que leurs bilans augmentent. Toutefois,
leur faible rentabilité limite la proportion de capital supplémentaire pouvant être générée par la conservation des bénéfices, si bien qu’elles dépendent des aspects juridiques pour
combler cette lacune. Le gouvernement indien étant déterminé à conserver sa participation majoritaire dans ces banques,
elles doivent s’assurer une participation étatique proportionnelle au niveau juridique pour éviter toute dilution. Les efforts
pour s’assurer l’attribution des fonds étatiques sont souvent
pénalisés par des retards dus aux difficultés budgétaires du
gouvernement. Les banques se trouvent alors dans une impasse et doivent supplier l’Etat de leur fournir une quantité
incertaine de capitaux.
La cotation en bourse et la levée de fonds privés ont fait passer
la participation étatique en dessous de 60 % pour environ la
moitié des banques du secteur public. Le gouvernement a
prudemment incité à la fusion des banques du secteur public.
Contre l’avis des syndicats bancaires et des partis politiques de
gauche, la SBI a fusionné avec deux de ses sept banques
associées d’origine et a déclaré avoir l’intention d’acquérir les
cinq autres. Cela paraît toutefois improbable en raison des
difficultés rencontrées avec les deux premières.
Prêt aux secteurs prioritaires : bienfait ou malédiction ?
Malgré la déréglementation totale des taux de rémunération
des dépôts décidée en 2011 et les quelques restrictions concernant les taux d’intérêt des prêts qui restent en vigueur, la
réglementation oblige toujours les banques à accorder une
part significative de leurs prêts à des domaines de l’écono­mie classés comme « prioritaires » par l’Etat. Il s’agit entre
autres du secteur agricole, des petites et micro entreprises, de
l’éducation et du logement. Les banques commerciales n
­ ationales sont tenues d’attribuer 40 % de leur crédit bancaire net
à ces secteurs.
Le prêt indirect accordé par les IMF à ces secteurs est considéré comme un prêt aux secteurs prioritaires (PSL) lorsque
certaines conditions sont remplies. Exemple : le revenu annuel
du ménage du client final ne doit pas dépasser INR 60 000
(USD 1000) en zone rurale ou INR 120 000 (USD 2000) en
zone urbaine. Le prêt ne doit pas dépasser INR 35 000
(USD 580) lors du premier cycle ni INR 50 000 (USD 825)
Les principales institutions de microfinance en Inde
La taille de la bulle représente le portefeuille de prêts brut.
Nombre d’emprunteurs actifs (en millions)
7
SKS
6
5
4
Janalakshmi
Spandana
Bandhan
3
Ujjivan
2
1
Asmitha
Satin
Share
0
Muthoot Equitas
-1
0
500
1000
1500
2000
2500
Nombre d’agences
Source : MFIN Micrometer, mars 2014
responsAbility Research Insight
5
Catégories des institutions de microfinance indiennes
Taille du portefeuille
Elevée
Institutions de financement de véhicules
•AU Finance
•Equitas Vehicle Finance
•ESSKAY Finance
•Sakthi Finance
•IKF
Institutions de prêts de groupe
•Bandhan
•Equitas Microfinance
•Ujjivan
•Janalakshmi
•Grameen Koota
•Satin Creditcare
•Utkarsh
•Suryoday
•Sonata
•ESAF
Moyenne
Institutions de financement de logements
•Aptus Value Housing Finance
•Shubham Housing Development Finance
•Vishwakriya Housing Finance
•Equitas Housing Finance
•Home First Finance
Institutions de prêts individuels
•Vistaar Financial Services
•Electronica finance
•Intellegrow
•Five Star Credit
Petit(e)
Moyen
Elevé
Nombre d’institutions existantes
Source : responsAbility Investments
lors des cycles suivants. L’endettement total de l’emprunteur
ne peut pas dépasser INR 50 000 (USD 825). La durée
de prêt est plafonnée à 24 mois si le prêt est supérieur à
INR 15 000 (USD 250). L’emprunteur ne peut bénéficier de
prêts de plus de deux organismes. De plus, un plafond de
marge de 12 % et un plafond de taux d’intérêt de 26 %
(calculé sur la base d’un amortissement dégressif) sont imposés à toutes les IMF.
Alors que les banques du secteur privé voient d’un œil plutôt
négatif les restrictions liées aux PSL, les IMF dépendent quant
à elles dans une large mesure de ce moyen de refinancement.
Depuis 50 ans, le PSL est l’un de piliers de la stratégie de
développement intérieur de l’Inde, et l’abandon soudain de
cette politique semble extrêmement improbable. Il est
néanmoins possible qu’elle soit progressivement abandonnée
à moyen ou long terme, bien qu’aucun plan concret n’ait encore été examiné. Cet abandon progressif ne serait pas un
problème pour les IMF si elles disposaient d’autres possibi­
lités de refinancement à l’échelon national, d’où l’importance
de la décision récemment prise par le régulateur d’autoriser
les IMF à se transformer en banques de dépôt.
responsAbility Research Insight
6
Le marché indien de la
microfinance aujourd’hui
Le marché réglementé de la microfinance en Inde dispose
aujourd’hui de plus de 28 millions de clients, ce qui représente
un chiffre record. Presque 50 institutions réglementées sont
au service de ces clients. Le marché est concentré, puisque les
10 principales IMF s’occupent à elles seules de 21,6 millions
d’emprunteurs au total, ce qui indique clairement que des
économies d’échelle sont à l’œuvre. Au cours de l’année fiscale
qui s’est achevée le 31 mars 2014, le secteur a attiré
4,7 millions de nouveaux clients et a augmenté de 35 % son
portefeuille de prêts brut.6 La plus grande partie de cette
croissance est compensatoire, car encore aujourd’hui seulement
8 % des adultes indiens ont contracté un prêt auprès d’une
institution financière formelle, seulement 12 % possèdent un
compte d’épargne dans une institution de ce type et seulement
35 % disposent d’un compte bancaire (dont plus de la moitié
ne présentent aucun mouvement ou peu de mouvement).7
L’objectif défini par la RBI est d’arriver à 100 % d’adultes
titulaires d’un compte bancaire le 1er janvier 2016.
Le marché de la microfinance en Inde est constitué des
catégories suivantes :
Institutions de prêts de groupe : en termes de nombre d’institutions, de portefeuille total et de couverture de la clientèle, il s’agit du segment le plus important du marché de
la microfinance. Ces institutions de prêt s’occupent de
­l’immense majorité des 28 millions de clients de la microfinance en Inde.
■
■
I nstitutions de financement de véhicules : un nouveau segment constitué d’institutions fournissant des prêts pour
l’achat de véhicules commerciaux a vu le jour. Le financement de véhicules commerciaux et de deux-roues est certes
monnaie courante en Inde depuis plusieurs années, mais
jusqu’ici, il s’adressait surtout aux grands emprunteurs
­(souvent des propriétaires de flotte) disposant de documents
comptables et financiers. Les nouvelles institutions actives
dans ce domaine ciblent quant à elles les emprunteurs sans
antécédents de crédit ni preuves de revenus qui, dans la
plupart des cas, achètent un véhicule pour la première fois.
Ces institutions financent l’achat de véhicules neufs et
d’occasion. Environ 10 à 15 institutions opèrent dans ce
segment et disposent de portefeuilles de crédit s’étalant
de USD 10 millions à USD 100 millions.
■
■
Institutions de financement de logements sociaux : un certain nombre d’institutions s’attachant exclusivement à
­financer le logement de clients défavorisés sont entrées sur
le marché au cours des trois dernières années. Sans véritables preuves de revenus, ces clients n’ont pas accès aux
crédits hypothécaires résidentiels proposés par les banques
et autres institutions financières formelles.
Institutions de prêts individuels : ce segment, qui n’en est
qu’à ses débuts, comprend des institutions de prêts de
groupe qui ont inclus le prêt individuel à leurs modèles
­d’affaires, ainsi que des institutions se consacrant exclusivement au prêt individuel. Des 10 à 15 principales IMF,
presque toutes proposent des crédits individuels. Toutefois,
avec moins de 10 % du portefeuille de prêts total, le portefeuille des prêts individuels reste faible, et le nombre
­d’institutions de crédit se consacrant aux prêts individuels
est lui aussi limité.
6
MFIN Micrometer, mars 2014.
7
ase de données Global FINDEX 2011 de la Banque mondiale, ainsi que Franklin Allen,
B
Asli Demirguc-Kunt, Leora Klapper et Maria Soledad Martinez Peria : « The Foundations
of Financial Inclusion : Understanding Ownership and Use of Formal Accounts », Policy
Research Working Paper Series 6290, Banque mondiale, 2012.
responsAbility Research Insight
7
Prêt individuel : une révolution venue de l’intérieur
Actuellement, le secteur indien de la microfinance s’oriente
de plus en plus vers le prêt individuel. Cette tendance s’explique par le fait qu’un grand nombre de clients ont déjà prouvé
leur solvabilité sur plusieurs cycles de prêts de groupe et
qu’ils demandent maintenant des conditions plus souples et
des volumes de crédit plus importants. En même temps,
ces clients n’ont toujours pas accès aux services financiers
proposés par les banques commerciales, car ils ne sont pas
encore en mesure de présenter des preuves de leurs revenus
ni de garantie physique. Cela crée des opportunités de marché
significatives pour les IMF qui peuvent proposer des prêts individuels et des services financiers s’y rapportant.
Pour les IMF qui n’accordaient jusqu’alors que des prêts
de groupe, cette tendance au prêt individuel représente un
défi important. Les principaux piliers du modèle du prêt de
groupe sont l’auto-sélection par les clients, la responsabilité
conjointe, le prêt de volumes de crédit plus faibles, la brièveté
des durées, les processus standardisés et le degré élevé de
contrôle. Ces caractéristiques permettent la reproduction aisée
de ce modèle tout en maintenant une qualité élevée du
portefeuille.
Afin d’assurer une transition réussie du prêt de groupe au prêt
individuel, la responsabilité conjointe, un élément clé du prêt
de groupe, doit être remplacée par des mécanismes individuels. Ce modèle de prêt individuel nécessite une évaluation
systématique du client par un personnel à la fois qualifié et
expérimenté. Mais ces deux éléments sont absents du modèle
de prêt de groupe actuel. Les IMF répondent à ces défis en
établissant leurs propres services spécialisés (voire, dans certains cas, leurs propres agences spécialisées) chargés de gérer
les prêts individuels ou en s’axant sur les prêts individuels
octroyés en échange de garantie physique – pour lesquels les
actifs tenant lieu de garantie sont des éléments essentiels
dans le processus d’évaluation du prêt. Le passage aux prêts
individuels sera facilité par la présence de bureaux de crédit
fonctionnant correctement (c’est-à-dire les bureaux privés
Highmark et Equifax, ayant tous deux bénéficié d’une licence
de la RBI en 2010).
Dans les Etats du nord et les régions rurales de l’Inde, l’attri­
bu­tion de prêts de groupe continue de croître à un rythme
respectable. Dans les Etats du sud et les zones urbaines,
toutefois, ce modèle est en train d’atteindre lentement son
point de saturation. Le taux de croissance ralenti des marchés
développés s’explique notamment par la nouvelle exigence,
issue de la réglementation des PSL, qui veut qu’un emprunteur ne puisse bénéficier des services de plus de deux IMF.
Cela signifie que les prêteurs doivent aussi adopter une ­
approche plus restrictive concernant l’acquisition de clients,
participant ainsi à la tendance au prêt individuel et à des
volumes moyens de crédit plus importants.
responsAbility Research Insight
8
L’importance d’une réglementation
bancaire forte et efficace
La RBI est sans doute l’institution publique indienne la plus
éminente, et elle a su prouver qu’elle était un régulateur ban­caire fort et efficace. Au cours des dernières années, elle a mené
des actions décisives afin d’assurer le développement sain du
secteur bancaire, sans intervention apparente et significative de
l’Etat. La RBI a adopté une approche active en ce qui concerne
l’évaluation et l’amélioration de son cadre réglementaire, et a
apporté des améliorations continues à ses capacités réglementaires et de surveillance. La RBI a prouvé qu’elle avait progressivement su rendre la réglementation financière plus sévère, en
faisant preuve d’initiative pour identifier les facteurs de risque et
en mettant en œuvre des politiques réglementaires anticycliques. La RBI a mis en place des exigences de solvabilité basées
sur la réglementation Bâle III prescrite par le Comité de Bâle sur
le contrôle bancaire, et qui vont même au-delà de celles-ci.
Des critiques font toutefois cas du manque d’indépendance formelle de la RBI et de certaines incohérences révélées par la
structure de sa gouvernance. Elles ont également relevé que la
transparence de son bilan laissait fortement à désirer et qu’elle
n’avait pas encore eu à gérer de crise du secteur bancaire. Toutefois, pour les segments les plus défavorisés de la population
indienne qui n’ont pas accès aux services financiers, l’échec le
plus cuisant de la RBI à ce jour a été son incapacité à poursuivre avec rigueur un programme de promotion de l’inclusion
financière par l’intermédiaire du secteur de la microfinance.
Une solution à cet échec a été proposée en 2013 par la nomination d’un nouveau gouverneur à la tête de la RBI.
Un programme axé sur l’inclusion financière
Raghuram Rajan, ancien chef économiste du Fonds monétaire
international et professeur à l’Université de Chicago, a été
nommé gouverneur de la RBI en septembre 2013. Lors de son
discours d’investiture, il a annoncé un programme axé sur le
développement du secteur financier et l’inclusion financière.
Le marché a été informé de ce programme par le biais d’un
livre blanc révolutionnaire intitulé A hundred small steps
(cent petites avancées), publié en 2008 par un comité de la
commission de planification du gouvernement indien, présidé
par Raghuram Rajan.
La « révolution Rajan » est tombée à point nommé, puisqu’elle
coïncide avec un regain de dynamisme du secteur de la microfinance. Partiellement en raison de l’inertie des banques indiennes, ce secteur émergent s’est développé rapidement au
cours des deux dernières décennies. Il a aussi survécu à une
sévère crise provoquée par les politiciens de l’Etat d’Andhra
Pradesh en 20108, dont il est sorti plus fort et plus innovant
qu’avant. L’établissement de bureaux de crédit et l’adoption de
pratiques de prêt différentes du modèle traditionnel de prêt de
groupe ont participé à ce regain de dynamisme. Ce qui manquait jusqu’alors était une vision réglementaire cohérente et un
programme de soutien à ces changements bénéfiques au sein
du secteur privé.
En octroyant une licence bancaire à l’IMF Bandhan en avril
2014, le régulateur a exprimé clairement que les IMF pouvaient
maintenant aspirer à devenir des banques. La RBI a aussi annoncé que le processus de candidature pour l’obtention d’une
licence bancaire allait se dérouler de manière continue, ce qui
permettra aux IMF d’atteindre plus facilement une croissance
stratégique et un développement institutionnel, conditions
nécessaires pour attirer les dépôts d’argent de clients. Pour la
première fois en Inde, les IMF ont la possibilité de devenir des
institutions bien réglementées capables de proposer toute la
gamme de services financiers au vaste segment défavorisé de
la population indienne. L’Inde est donc sur la bonne voie pour
reproduire le modèle de réussite qui a mené à une inclusion
financière d’envergure dans des pays comme le Pérou, le
Cambodge et le Kenya.
Les élections générales de 2014 et
la ­croissance du secteur privé
Les événements de l’arène politique ont stimulé le secteur privé
indien comme cela avait été rarement le cas auparavant. En mai
2014, les plus grandes élections jamais organisées au monde ont
rendu leur verdict. 814 millions d’Indiens étaient appelés à voter,
soit 100 millions de plus que lors des précédentes élections
générales de 2009. Le Bharatiya Janata Party (parti du peuple
indien) de Narendra Modi, qui avait fait campagne sur des propositions libérales et l’appel au développement du secteur privé, a
obtenu la majorité absolue des suffrages, mettant fin à 30 ans de
coalitions politiques complexes. L’Inde est donc désormais dirigée
par un gouvernement à parti unique stable qui mène une politique
forte de développement. Il s’agit sans aucun doute des conditions
les plus favorables à la croissance pour les décennies à venir.
8
Pooja Yerramilli : The Politics of the Microfinance Crisis in Andhra
Pradesh, India, 2013.
responsAbility Research Insight
9
Conclusion
Le secteur financier indien connaît actuellement des changements fondamentaux conduisant à la libéralisation et au regain
de dynamisme d’un secteur depuis longtemps en sommeil.
En tant que régulateur financier du pays, la RBI a joué le rôle
important de leader du développement du secteur financier
en prenant de courageuses décisions pour la promotion de l’inclusion financière parmi la vaste population adulte indienne
composée de 800 millions d’habitants.
Fait rare, le régulateur a envoyé un signal fort en accordant une
licence bancaire à une IMF, reconnaissant que les IMF avaient
réussi à étendre leur offre et à atteindre les segments défavorisés
d’une population qui n’a pas accès aux services financiers. Bénéficiant du soutien récent du régulateur, les principales IMF ont
maintenant la possibilité de devenir des banques à part entière.
Au sein de ce secteur, le passage de plus en plus fréquent
des prêts de groupe aux prêts individuels ou octroyés en contre­
partie de garantie physique donne naissance à de nouveaux
modèles d’affaires. Résultat : des modèles de prêts établis,
utilisés sur les marchés matures de la microfinance du monde
entier, sont mis en œuvre en Inde. Ces approches témoignent
de la croissance rapide du segment de la population indienne
amené à gérer des flux de plusieurs dollars par jour.
En conséquence, les investisseurs qui investissent dans le
développement du secteur financier peuvent maintenant trouver
une multitude de bénéficiaires qui contribuent à l’essor du
vaste marché indien, certains ayant même le potentiel de
façonner l’avenir du secteur financier de ce pays.
Des études, des publications et divers
contenus vidéo sont disponibles sur : www.responsability.com/multimedia/fr
A propos de l’auteur :
Christian Etzensperger est analyste de
recherche senior chez responsAbility
Investments AG. Il est titulaire d’un MA en
économie et d’un MSc (avec distinction)
en développement économique de l’Université de Glasgow, Adam Smith Business
School, et peut se prévaloir du titre de
Chartered Alternative Investment Analyst
(CAIA). Avant de rejoindre responsAbility Investments AG en 2010, il
a occupé le poste d’analyste quantitatif auprès de la Banque Vontobel
et celui de macroéconomiste et d’analyste industriel au Credit Suisse.
Christian Etzensperger, Senior Research Analyst
[email protected], +41 44 254 32 79
A propos de responsAbility
Avec un portefeuille de plus de USD 2,2 milliards, responsAbility
Investments AG est l’un des principaux gestionnaires de fonds indépendants dans le monde, spécialisés dans les secteurs liés au développement économique des pays émergents : la finance, l’agriculture,
l’énergie, la santé et l’éducation. responsAbility investit en dette ou
en capital dans des entreprises non cotées offrant des solutions et des
services adaptés aux populations à revenu faible et contribuant ainsi
fortement à la c­ roissance économique et au progrès sociétal des pays
émergents. r­ esponsAbility propose aux investisseurs privés et institutionnels des solutions professionnelles de gestion de placements.
responsAbility investit en Inde depuis 2008. Son exposition y a été
multipliée par quatre au cours des trois dernières années, passant de
USD 30 millions à USD 120 millions, alors que de nombreux investisseurs ne faisaient plus confiance au secteur financier indien à la suite
de la crise de l’Andhra Pradesh. Depuis 2011, une équipe locale basée
au bureau de responsAbility à Mumbai se consacre au marché indien.
Ce document a été élaboré par responsAbility Investments AG. Les informations contenues dans le présent document (ci-après « informations ») se basent sur des sources considérées comme fi
­ ables ;
toutefois, il n’y a aucune garantie quant à l’exactitude et à l’exhaustivité de ces dernières. Les informations peuvent être modifiées à tout moment sans obligation d’en informer les destinataires.
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