Contrat et Patrimoine n°20 (Mars 2012)

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Contrat et Patrimoine n°20 (Mars 2012)
mars 2012
#
20
Votre avocat vous informe
contrat
& patrimoine
dans ce numéro
Contrat
Assurance
Consommation
EIRL
#Contrat
Civ. 1re, 9 févr. 2012,
n° 10-28.475
Paiement de la dette d’autrui :
recours du solvens contre le débiteur
Soit un tiers qui règle la dette d’autrui,
pour quelque cause que ce soit (erreur,
intention libérale, etc.). Cela est d’ailleurs
expressément prévu par l’article 1236,
alinéa 2, du Code civil, sans pour autant
que cette disposition n’envisage les
conséquences attachées à ce paiement.
Il s’agit alors de savoir si le tiers, c’està-dire le solvens, se voit reconnaître un
recours contre le débiteur. La réponse est évidemment positive si le solvens est intéressé à la dette,
ce qui est le cas, par exemple, s’il intervient à titre de caution. C’est également le cas s’il n’est pas
intéressé à la dette – c’est d’ailleurs le cas de figure visé par le texte précité – et qu’il bénéficie
d’une subrogation conventionnelle. Une troisième hypothèse mérite d’être envisagée : celle où le
tiers a payé la dette d’autrui sans être subrogé dans les droits du créancier. Plus exactement, s’il
l’a payée sciemment (cette précision mérite d’être apportée, car inversement, s’il a payé la dette
par erreur, il peut en réclamer le remboursement au débiteur sur le fondement de l’action en
répétition de l’indu). Bénéficie-t-il alors d’un recours contre le débiteur ?
Dans l’espèce qui nous intéresse ici, une personne, Michel, a acquitté, pour le compte de son
frère, Edmond, une dette de ce dernier auprès d’une banque. À la suite de quoi, Michel exerce
contre son frère un recours, pour obtenir le remboursement de ce qu’il a payé. Une juridiction
de proximité lui donne raison : le droit au remboursement se justifie par le fait que le débiteur
Edmond n’a pu démontrer que son frère, Michel, était animé d’une intention libérale.
Le jugement est cassé : le tiers solvens doit, pour obtenir gain de cause dans son recours,
démontrer que « la cause dont procède son paiement implique, pour le débiteur, l’obligation
de lui rembourser les sommes ainsi versées ». En d’autres termes, c’est au tiers solvens qui
exerce un recours qu’il appartient de prouver la raison qui justifie qu’il a spontanément payé le
créancier de son frère, le débiteur. Ce peut effectivement être par pure intention libérale – il n’y
a alors pas de recours – ou pour dépanner son frère, parce que ce dernier connaît des difficultés
passagères, de telle sorte qu’il n’est pas en mesure de payer ce qu’il doit à son banquier. Il y a
alors prêt, ce qui justifie le droit au remboursement du solvens. C’est au solvens qui réclame le
remboursement de ce qu’il a payé de démontrer à quel titre il a payé et que ce paiement emporte
droit à remboursement. Ce n’est pas à celui auquel un remboursement est réclamé d’établir qu’il
ne doit rien. Le reproche formulé par la Haute juridiction aux juges du fond est, en réalité, d’avoir
renversé la charge de la preuve.
Réticence dolosive à l’occasion d’une opération financière
À l’occasion d’une augmentation de capital, une société fait appel aux services d’un consultant
pour l’aider à trouver des partenaires financiers à même de participer à l’opération. Un contrat
en bonne et due forme est conclu entre les parties, dénommé « accord de service relatif à une
augmentation de capital », aux termes duquel il est expressément prévu que le consultant
s’engage à assister la société « dans la recherche de partenaires financiers, en contrepartie du
versement d’une commission de 1,5 % hors taxe calculée sur toute somme investie par les
candidats présentés par son entremise ». Pourtant, la relation contractuelle tourne court : le
consultant reproche à la société de l’avoir trompé sur la situation de l’un de ses salariés, élément
qu’il a découvert en cours de contrat, ce qui aurait conduit au retrait de l’un des investisseurs. Il
a ainsi recherché la responsabilité de la société et a demandé la réparation de son préjudice. Le
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Com. 7 févr. 2012,
n° 11-10.487
Civ. 1re, 9 févr. 2012,
n° 10-27.785
fondement invoqué est classique : il s’agit de l’article 1116 du Code civil, plus exactement de la
réticence dolosive, dont on sait, spécialement en droit des affaires, qu’elle peut être invoquée
pour obtenir des dommages-intérêts en lieu et place de l’annulation de la convention lorsqu’il
n’est pas pertinent que celle-ci soit anéantie rétroactivement.
En l’espèce, la société n’avait pas révélé que son directeur de développement, interlocuteur
privilégié du consultant dans l’exécution du contrat et présent, notamment, lors des négociations
avec les investisseurs potentiels auprès desquels il était présenté comme « homme clé de
l’équipe », avait, par le passé, fait l’objet d’une lourde condamnation (interdiction de gérer d’une
durée de vingt ans). L’argument avancé par le consultant tient à ce que, par son silence, la société
a dissimulé un fait qui, s’il avait été connu par un éventuel investisseur, l’aurait empêché de
contracter. De surcroît, le préposé occupant en réalité une fonction dirigeante au sein de la société
et jouant un rôle essentiel vis-à-vis des tiers, la dissimulation gardée sur ce fait présenterait un
caractère déterminant dans l’engagement des investisseurs ; or c’est seulement si le dol présente
un tel caractère – on parle alors de dol principal, par opposition au dol incident – qu’il peut être
retenu comme une cause de nullité de la convention (ou ici de responsabilité du « taisant »). Les
juges ont fait droit à cette argumentation, condamnant la société à verser des dommages-intérêts
au consultant. Celui-ci a même pu se prévaloir d’un double préjudice : l’un résultant d’une perte
de chance de ne pas réaliser l’objectif prévu, à savoir le « recrutement » d’investisseurs et de
percevoir la commission qui en résulte ; l’autre d’image pour avoir présenté aux investisseurs
potentiels des éléments d’information sur la société – de manière, on l’imagine laudative – en
totale contradiction avec la réalité, ce qui ne peut qu’altérer la confiance portée en lui par ses
clients. La Cour de cassation confirme, par la suite, la condamnation, axant son analyse sur le
caractère déterminant de la dissimulation, élément dont elle confirme qu’il relève de l’appréciation
souveraine des juges du fond, ajoutant toutefois que, pour être sanctionnée sur le fondement de
la réticence dolosive, elle doit revêtir un caractère intentionnel.
Date de formation du contrat de prêt d’argent entre particuliers
À quelle date est formé le contrat de prêt de somme d’argent entre particuliers ? C’est à cette
question que la Cour de cassation a été invitée à répondre. Contrairement au prêt consenti par un
professionnel du crédit, le prêt entre particuliers demeure un contrat réel. Il suppose donc, pour
sa formation, non seulement un échange de consentements, mais également la remise des fonds
qui en est l’objet. Il s’agit là d’un fait juridique, qui, en pratique, peut être difficile à établir. En
l’occurrence, sans doute animés par un souci de simplification, les juges du fond avaient considéré
que la reconnaissance de la dette fait présumer la remise des fonds. En d’autres termes, la date de
la remise était supposée être la date d’établissement de la reconnaissance de dette.
C’est ce raisonnement, fondé sur une présomption, qui est condamné par la Haute juridiction.
Fort curieusement, elle se fonde sur un élément purement factuel pour le détruire, qui tient à
ce que la reconnaissance de dette en question (établie le 31 oct. 1987) prévoyait expressément
que la remise des fonds n’interviendrait que quelque deux mois plus tard (précisément le
1er janv. 1988). Elle en déduit que, à la date de la reconnaissance de dette litigieuse, le contrat
de prêt ne pouvait être définitivement formé. La Cour de cassation invoque tout de même la
présomption d’existence de la cause (pour rappel, cette notion est destinée à permettre de valider
le contrat, lorsque la cause n’est pas exprimée, sans avoir à prouver celle-ci). On sait, en effet, de
longue date que, en matière de prêt, la cause de l’obligation de l’emprunteur réside dans la mise
à disposition des fonds. Pour la Cour de cassation, cette discordance de dates « ne pouvait faire
présumer [l’existence de] la cause de l’obligation de l’emprunteur prétendument constituée par
cette remise » à la date de l’établissement de la reconnaissance de dette. Il appartiendra donc
à la juridiction de renvoi de rechercher la date effective de remise des fonds, probablement par
une démarche très empirique, consistant par exemple en l’analyse des mouvements de fonds
intervenus sur les comptes bancaires de l’emprunteur au cours de la période litigieuse.
#ASSURANCE
Souscription du contrat d’assurance : sens et preuve du formalisme du questionnaire
Selon l’article L. 113-2, 3o, du Code des assurances, l’assuré est obligé de répondre exactement
aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par
lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de
nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge. Toute la difficulté liée à
cette disposition réside dans le fait que ce formulaire de déclaration du risque, au sens matériel
et concret, n’est pas une obligation (V. l’expression « notamment »), quoiqu’il soit évidemment
encore assez fréquent.
Dans un arrêt du 10 janvier 2012 la Cour expose que le formalisme ainsi prévu implique que les
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Crim. 10 janv. 2012,
n° 11-81.647
questions que l’assureur entend, au regard des éléments qui lui ont été communiqués, devoir poser
par écrit, notamment par formulaire, interviennent dans la phase précontractuelle. Si l’assureur
veut prouver que les questions ont bien été posées avant la souscription du contrat d’assurance
et donc ainsi établir que l’assuré a été mis en mesure d’y répondre en connaissant leur contenu,
il doit le faire en produisant ces questions avec les réponses qui y ont été apportées. En d’autres
termes, si l’assureur veut démontrer qu’une série d’interrogations a été adressée à l’assuré, et ce
pendant la période précontractuelle, encore faut-il qu’il puisse prouver ces questions.
Dès lors – c’est là qu’intervient la solution apportée par la Cour de cassation –, un assureur
ne peut se prévaloir des conditions particulières, quand bien même celles-ci comporteraient un
paragraphe « déclaration » où l’on pourrait trouver certaines dispositions se rapportant à des
renseignements prétendument communiqués par l’assuré. Le même assureur ne peut pas plus se
prévaloir d’une attestation recueillie de l’assuré postérieurement à la signature de la police, pour
rapporter la preuve de l’antériorité des questions qu’il est autorisé à poser par écrit à l’assuré, avant
la conclusion du contrat. En l’espèce, la compagnie d’assurance ne pouvait solliciter la nullité du
contrat, motif pris de ce que son assuré n’avait pas déclaré une condamnation antérieure pour
conduite sous l’empire d’un état alcoolique, ce qui l’avait d’ailleurs amené à ce qu’il perde son
permis pour insuffisance de points.
La décision de la Chambre criminelle confère toute sa force au formulaire de déclaration des
risques. La pratique d’un questionnaire écrit s’impose. C’est, semble-t-il, la seule qui est à même
de prouver que le processus d’information précontractuelle a été régulièrement respecté. Ainsi, à
des fins probatoires, la matérialité du questionnaire s’avère cruciale, et l’on ne peut se contenter
des seules déclarations présentes dans les conditions particulières.
#CONSOMMATION
Civ. 1re, 15 févr. 2012,
n° 11-14.605
Défaillance ou remboursement anticipé d’un crédit à la consommation : absence de
capitalisation des intérêts
La capitalisation des intérêts ne peut être accordée à l’établissement de crédit prêteur en cas de
remboursement anticipé ou de défaillance de l’emprunteur. C’est ce qu’a décidé le 9 février 2012
la première Chambre civile dans cet arrêt publié au Bulletin. Pour ce faire, la Cour s’est appuyée
sur une disposition du Code de la consommation, l’article L. 311-32, afin de mettre à l’écart
l’article 1154 du Code civil. Les intérêts de la dette ne porteront pas eux-mêmes intérêt.
Ce texte prévoit que « les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une
demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit
dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière ». Hormis le cas
des comptes bancaires, l’anatocisme n’est donc pas interdit, il est sérieusement encadré. Mais il
faut compter avec l’article L. 311-32 du Code de la consommation, dont le libellé est exactement
repris par le nouvel article L. 311-23, issu de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, et qui dispose
qu’« aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 31129 à L. 311-31 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de remboursement
par anticipation ou de défaillance prévus par ces articles ». Nulle trace dans ces dispositions de la
possibilité d’une capitalisation. Dès lors, elle doit être interdite, par application toute simple de la
règle selon laquelle le spécial déroge au général. L’article L. 311-32 du Code de la consommation,
aujourd’hui l’article L. 311-23, écarte l’article 1154 du Code civil.
#EIRL
Précisions réglementaires sur l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée
Un décret du 30 janvier 2012 vient compléter le régime à la fois juridique, fiscal et comptable de
l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Il est entré en vigueur le 1er février 2012.
Règles de publicité (art. 1er)
Le décret n° 2012-122 du 30 janvier 2012 impose une information des tiers du lieu où a été
déposée la déclaration d’affectation du patrimoine lorsque l’EIRL s’est immatriculé à un nouveau
registre, notamment à l’occasion d’un transfert de siège de l’entreprise. Cette information
s’effectue auprès du registre du commerce et des sociétés ou du répertoire des métiers, selon que
l’entrepreneur exerce une activité commerciale (C. com., art. R. 123-48, 3°, nouv.) ou artisanale
(Décr. n° 98-247, 2 avr. 1998, art. 10 bis, IV, al. 2, nouv.). Aucune mesure de publicité n’est, en
revanche, prévue en ce qui concerne les EIRL exerçant une activité libérale ou agricole.
Déclaration d’affectation (art. 2 et 4)
Le décret garantit à l’entrepreneur individuel exerçant une activité antérieure et restant assujetti
au régime d’imposition réel et à l’impôt sur le revenu – ce qui veut dire très concrètement qu’il n’a
pas opté pour l’impôt sur les sociétés, ainsi qu’il en a le droit – la neutralité fiscale du passage au
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Décr. n° 2012-122,
30 janv. 2012, JO 31 janv.
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Votre avocat vous informe
mars 2012
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régime de l’EIRL, en évitant que l’affectation d’éléments constitutifs du patrimoine ne génère des
plus-values soumises à taxation. Pour cela, il doit déclarer, sur la déclaration d’affectation, outre la
valeur vénale ou la valeur d’utilité des éléments constitutifs du patrimoine professionnel affecté,
la valeur comptable nette de ceux-ci « telle qu’elle figure dans les comptes du dernier exercice
clos à la date de constitution du patrimoine affecté s’il est tenu à une comptabilité commerciale,
soit la valeur d’origine de ces éléments telle qu’elle figure au registre des immobilisations du
dernier exercice clos diminuée des amortissements déjà pratiqués s’il n’est pas tenu à une telle
comptabilité » (C. com., art. R. 526-3, al. 1er, 7°, compl.). C’est l’une ou l’autre de ces valeurs
qui doit alors être retenue pour les besoins des obligations comptables de l’EIRL (art. R. 526-10-2
nouv.).
L’EIRL doit également mentionner dans la déclaration d’affectation les documents attestant de
l’accomplissement de certaines formalités : publicité en cas d’affectation d’un bien immobilier,
évaluation en cas d’affectation d’un bien dont la valeur déclarée est supérieure à 30 000 b, accord
du conjoint ou du coïndivisaire en cas d’affectation d’un bien commun ou indivis mentionnées
aux articles L. 526-9 à L. 526-11 (art. R. 526-3, al. 1er, 9°, nouv.). Enfin, si l’entrepreneur individuel
est mineur, la déclaration d’affectation doit être accompagnée des pièces justifiant de son identité
de l’entrepreneur individuel et de l’obtention de l’autorisation de ses représentants légaux de
constituer une entreprise sous le régime de l’EIRL (art. R. 526-3, al. 2, nouv.).
Biens nécessaires à l’activité (art. 3)
Le patrimoine professionnel affecté comprend obligatoirement « l’ensemble des biens, droits,
obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l’exercice de son
activité professionnelle » et facultativement ceux qui lui sont simplement utiles (C. com., art. L.
526-6, al. 2). La notion de bien nécessaire à l’activité pêche par son imprécision, ce qui est source
d’insécurité juridique. Le décret du 30 janvier 2012 vient opportunément mettre un terme à
cette incertitude : il précise que « les biens, droits, obligations et sûretés nécessaires à l’exercice
de l’activité professionnelle s’entendent de ceux qui, par nature, ne peuvent être utilisés que
dans le cadre de cette activité ». C’est dire que les biens mixtes, à usage à la fois domestique et
professionnel, peuvent ne pas être affectés au patrimoine professionnel…. alors même qu’ils sont
nécessaires à l’exercice de l’activité.
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