Lésions du complexe pulpo

Transcription

Lésions du complexe pulpo
Lésions du complexe pulpo-unguéal
T. Dubert
La reconstruction par lambeau des extrémités digitales n’est indiquée que si
la phalange ou les tendons sont exposés. Dans tous les autres cas, il vaut mieux
choisir la cicatrisation dirigée. La meilleure reconstruction du complexe pulpounguéal est la replantation des fragments lorsqu’elle est possible (1).
Ce chapitre traite des techniques de reconstruction lorsqu’il n’y a pas de
fragment replantable et lorsque l’os est exposé. Il s’agit ici de décrire la stratégie thérapeutique, plus que la description des lambeaux eux-mêmes qui sont
décrits ailleurs dans cet ouvrage.
Reconstruction dorsale
La perte de substance concerne l’unité unguéale. Il faut bien différencier le
lit de l’ongle et la matrice unguéale.
Lit de l’ongle
Le lit de l’ongle peut être reconstruit par une greffe de lit d’ongle qui est bien
préférable à une greffe de peau (2, 3, 4). Cette greffe n’est utile que si la perte
de substance mesure plus de 3 mm de diamètre (4) ; les petites pertes de substance seront comblées par la cicatrisation spontanée, à condition d’être couvertes par une table unguéale (naturelle ou prothétique).
La greffe peut être posée directement sur l’os, ou sur un sous-sol constitué
par un lambeau palmaire désépidermisé à sa partie distale et basculé à la face
dorsale (5). La greffe de lit d’ongle peut être prélevée au niveau d’un orteil
(fig. 1) ou sur une région adjacente au traumatisme, restée intacte au niveau
Fig. 1 – Greffe de lit d’ongle au niveau du gros
orteil. L’ongle est soulevé partiellement ou totalement en fonction de la taille de la perte de substance à combler. La greffe doit être suffisamment fine pour laisser apercevoir la lame de
bistouri en transparence lors du prélèvement.
Plus la greffe est fine, plus elle prend facilement
et moins elle laisse de séquelle sur le site
donneur. Lorsque cela est possible, il est plus
simple de prélever la greffe sur le doigt traumatisé lui-même ou sur un doigt voisin.
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Couverture des pertes de substance cutanée de la main et des doigts
du doigt traumatisé. Dans tous les cas, la greffe doit être très fine, prélevée
tangentiellement au bistouri froid. Le « truc », pour juger de l’épaisseur au
moment du prélèvement, est de vérifier que la lame du bistouri est visible en
transparence à travers la greffe (4).
La fixation de la greffe sur le site receveur est réalisée par des fils résorbables très fins (PDS 5-0 ou 6-0). La table unguéale du doigt traumatisé ou
d’un autre doigt, ou une prothèse unguéale est fixée par dessus de façon à
aplanir les sutures en modelant la cicatrisation. Cette prothèse doit être poussée
jusqu’au fond du repli unguéal proximal pour éviter les synéchies à ce niveau.
La table unguéale est fixée par un point en X passant par les replis unguéaux,
et respectant la matrice (fig. 2).
Fig. 2 – Fixation de la table unguéale (anatomique ou prothétique). La fixation se fait par un
point en X (résorbable chez l’enfant). L’aiguille
doit passer par les replis unguéaux latéraux et
épargner la matrice.
Matrice unguéale
La matrice unguéale ne peut pas être remplacée par une greffe non vascularisée. En cas de perte de substance importante touchant la matrice unguéale,
il faut commencer par compléter l’excision de la matrice. Pour que cette excision soit complète, il faut aborder la matrice en soulevant largement le repli
unguéal proximal. La couverture de l’ensemble de l’unité unguéale peut être
alors réalisée soit par un lambeau, soit par un transfert libre d’unité unguéale
d’orteil.
Couverture par greffe ou lambeau digital
Une greffe de peau est rarement possible, car la résection de l’unité unguéale
doit inclure le périoste pour éviter la survenue de résidus unguéaux. Il est donc
préférable de couvrir la perte de substance par un lambeau. Suivant l’état du
doigt et des doigts voisins, on peut faire soit un cross-finger désépidermisé,
soit un lambeau en îlot homodigital à pédicule rétrograde. L’aspect esthétique
sera d’autant plus acceptable que le lambeau aura une forme proche de l’unité
unguéale d’origine.
Lésions du complexe pulpo-unguéal
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Reconstruction par transfert libre partiel d’orteil
Le transfert libre d’unité unguéale d’orteil est prélevé « sur mesure » sur le
premier ou le deuxième orteil. Il est préférable d’y inclure un fragment osseux
et une partie de la pulpe, et cette technique s’adresse donc plutôt aux pertes
de substance étendues.
Eponychium (repli unguéal proximal)
Cette structure doit être reconstruite et recouvrir la partie proximale de la prothèse unguéale. Un lambeau local à pédicule latéral est la solution la plus
simple (fig. 3). Lorsque ce n’est pas possible, le « cross-finger » peut être une
bonne solution.
Exposition
de la matrice
unguéale
Le lambeau
recouvre
la matrice
Greffe de peau
Dessin du
lambeau
Fig. 3 – Reconstruction d’une perte de substance du repli unguéal proximal (eponychium) par
un lambeau local. Après cette reconstruction, une table unguéale (naturelle ou prothétique)
doit impérativement être poussée dans le repli proximal néoformé pour éviter les synéchies à
ce niveau.
Reconstruction palmaire
La technique dépend essentiellement de la taille de la perte de substance.
Perte de substance mesurant moins de 5 mm
C’est l’indication idéale d’un lambeau de Tranquilli-Leali/Atasoy.
Perte de substance mesurant entre 5 et 10 mm
Le lambeau de Tranquilli-Leali/Atasoy est trop petit ; il faut avoir recours à
un lambeau en îlot antérograde homodigital.
Perte de substance mesurant plus de 10 mm
Un lambeau en îlot antérograde homodigital serait trop petit, il faut avoir
recours à un lambeau en îlot rétrograde homo- ou hétérodigital, à un lambeau
thénarien ou à un transfert de pulpe (fig. 4).
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Couverture des pertes de substance cutanée de la main et des doigts
a
b
c
d
Fig. 4a-d – Transfert libre d’hémipulpe de gros orteil. a) La perte de substance dépasse 15 millimètres, expose le tendon et l’os et siège sur une pulpe dominante (pouce) ; b) La pulpe est
prélevée avec son pédicule (artère et au moins un nerf ), et une veine dorsale ; c) La séquelle
au niveau du pied est très minime ; d) Aucun lambeau local ne peut redonner un galbe pulpaire aussi satisfaisant.
Trucs et astuces
La mesure de la taille de la perte de substance est toujours sous-estimée :
il faut se souvenir qu’une pulpe normale dépasse de plusieurs millimètres
l’extrémité de la phalange.
Pertes de substance transversales
La reconstruction dépend du niveau de l’amputation par rapport à la matrice
unguéale.
Si la lésion passe par le lit unguéal et que la matrice est respectée :
– Lambeau de Tranquilli-Leali/Atasoy, si la lésion est très distale (il reste
environ 50 % de lit unguéal). Le lambeau est fixé à l’extrémité du doigt pour
couvrir la tranche osseuse. La reconstruction dorsale est inutile. L’ongle sera
un peu court, mais le résultat sera acceptable ;
– Reposition–lambeau, si la lésion est plus proximale, et que l’on dispose
d’un fragment non replantable. Le principe de cette technique est de reposer
la partie dorsale en greffe sur une pulpe reconstruite par un lambeau (1, 6-7).
La technique (fig. 5) consiste à exciser toute la pulpe du fragment amputé,
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b
a
c
d
Fig. 5a-d – Reconstruction d’une amputation distale par « reposition-lambeau ». a)
L’amputation très distale enlève une grande partie du lit unguéal mais respecte la matrice. La
phalange est fracturée. Presque toute la pulpe est amputée ; b) Le fragment distal est débarrassé de toute la pulpe en conservant la table unguéale, le fragment de phalange et le lit de
l’ongle ; c) Le fragment distal est reposé puis ostéosynthésé par une broche axiale ; d) La pulpe
est reconstruite par un lambeau en îlot homodigital antérograde.
en ne conservant que le segment osseux et l’appareil unguéal solidaires. Cet
ensemble est ostéosynthésé par une broche axiale sur la partie proximale de
la phalange distale. La pulpe est ensuite reconstruite par un lambeau (lambeau
en îlot homodigital antérograde le plus souvent). L’extrémité de la broche est
utilisée pour fixer le lambeau au bout du doigt. Ce procédé n’est utilisable
que si la matrice unguéale a été épargnée par le traumatisme.
Si la lésion a traumatisé la matrice (amputation à travers ou en amont de
la matrice), une reposition-lambeau donnerait un résultat catastrophique. Il
n’y a plus assez de pulpe pour un lambeau de Tranquilli-Leali/Atasoy. Il reste
deux options : le raccourcissement avec couverture distale par un lambeau, la
reconstruction par un transfert libre d’extrémité complète d’orteil (fig. 6).
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Couverture des pertes de substance cutanée de la main et des doigts
a
b
Fig. 6a-c – Perte de substance complète de
la phalange distale. Reconstruction pulpounguéale par transfert libre de la phalange
distale du deuxième orteil. a) Amputation
complète chez une jeune fille de 18 ans ;
b) Le transfert comprend toute la phalange
distale du deuxième orteil, avec le support
osseux, la pulpe et l’unité unguéale complète ;
c) Le résultat final, plus acceptable sur le plan
esthétique, et sensible.
c
Pertes de substance latérales
C’est un cas particulier de combinaison de perte substance pulpo-unguéale,
qui ne concerne qu’un côté de l’extrémité du doigt. C’est une bonne indication de transfert partiel d’orteil composite ongle/os/pulpe lorsque l’amputation dépasse 50 % de la largeur. Lorsque la perte de substance est plus petite,
on peut accepter un rétrécissement de l’ongle, et reconstruire l’hémi-pulpe
manquante par un transfert en îlot de la pulpe adjacente.
Au niveau du pouce
Les indications sont les mêmes que pour les doigts longs. La seule différence
consiste à utiliser le lambeau de Moberg-O’Brien, c’est-à-dire un lambeau en
îlot homodigital antérograde pédiculé sur les deux axes vasculonerveux. Ce
lambeau apporte une plus grande quantité de tissu.
Conclusion
Les indications ne sont pas uniquement fonction des considérations anatomiques. Pour les lambeaux homodigitaux, il faut préférer ceux qui donnent
la meilleure sensibilité. Les lambeaux libres doivent être réservés aux grandes
pertes de substance des pulpes dominantes.
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Références
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l’adulte. In: Monographie du GEM n° 27 « L’ongle », Expansion Scientifique Française,
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4. Shepard GH (2000) Traitement des dystrophies unguéales par greffes fines de lit unguéal.
In: Monographie du GEM n° 27 « L’ongle », Expansion Scientifique Française, Paris,
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5. Dumontier C, Tilquin B, Lenoble E, Foucher G (1992) Reconstruction des pertes de substance distales du lit unguéal par un lambeau d’avancement pulpaire désépidermisé. Ann
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6. Douglas B (1959) Successful replacement of completely avulsed portions of fingers as composite grafts. Plast Reconstr Surg 23: 213-25
7. Foucher G, Braga Da Silva J, Boulas J (1992) La technique de « reposition-lambeau » dans
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