SEANCE 2 : Le préjudice

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SEANCE 2 : Le préjudice
UNIVERSITE PARIS 8 Vincennes – Saint-Denis
Année universitaire 2015-2016
TRAVAUX DIRIGES – 2ème année de Licence Droit
DROIT DE LA RESPONSABILITE
Cours de Monsieur le Professeur Christophe VERNIERES
SEANCE 2 : Le préjudice
Longtemps demeuré dans l’ombre des autres conditions que sont le fait générateur et la causalité,
le préjudice occupe désormais le devant de la scène.
La jurisprudence a joué un rôle essentiel dans cette promotion. Partisane de l’idéologie de la
réparation, la Cour de cassation a, depuis une trentaine d'années, su exploiter toutes les
potentialités de la notion afin d’étendre toujours plus l’indemnisation « au point que l’on peut se
demander si le tout réparer ne l’emporte pas sur le bien réparer » (Ph. Brun, « Rapport introductif » in La
responsabilité civile à l'aube du XXIe siècle, Bilan prospectif, Resp. civ. et assur. juin 2001, hors série,
p. 4).
I-
Le préjudice réparable
En première approche, on peut définir le préjudice comme « toute lésion d’un intérêt d’ordre
patrimonial ou extrapatrimonial subie par une personne, et pouvant consister en une perte ou en un gain manqué »
(Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2e éd, 2009, n°174). Il en résulte que tout
préjudice subi n’est pas nécessairement réparable.
Précisément, pour être réparable, le préjudice invoqué doit être direct, certain mais également
légitime. Il apparaît clairement aujourd’hui que ces trois caractères ne sont pas à mettre sur le
même plan. Quand on dit que le préjudice doit être direct, cela signifie qu’il doit découler
directement du fait dommageable. A dire vrai, ce n’est pas là une qualité particulière du préjudice,
mais le rappel du lien de causalité qui doit exister entre le fait générateur et le préjudice (le lien de
causalité fera l’objet d’une fiche de travaux dirigés). Les deux autres caractères du préjudice
réparable – la certitude et la légitimité – soulèvent en revanche plusieurs difficultés qu’il convient
d’analyser.
1- Le caractère certain du préjudice
Sans préjudice, pas de droit à réparation. L’existence du droit à réparation ne fait pas difficulté si
le dommage s’est déjà réalisé. Mais un préjudice futur peut, lui aussi, être considéré comme
certain. Tous deux certains, le préjudice actuel et le préjudice futur s’opposent au préjudice
éventuel, dont la réalisation n’est pas certaine et qui ne peut donner lieu à réparation, tant que
l’éventualité ne s’est pas transformée en certitude.
1 La distinction du préjudice futur (réparable) et du préjudice éventuel (non réparable) n’est pas
toujours aisée, comme en témoigne la jurisprudence relative à la perte d’une chance.
Document n°1 : Civ. 1re, 4 juin 2007, JCP 2007. I. 185, n°2, obs. Ph. Stoffel-Munck (non
reproduites).
Document n°2 : Civ. 2e, 17 février 1961, Bull. civ. II, n°137.
Document n°3 : Civ. 2e, 12 mai 1966, Bull. civ. II, n°564 ; Grands arrêts, t. 2, n°184 (non
reproduits).
Document n°4 : Civ. 1re, 2 avril 2009, JCP 2009. I. 248, n°4, obs. Ph. Stoffel-Munck (non
reproduites).
2- Le caractère légitime du préjudice
La jurisprudence a été confrontée à des cas où il y avait une souffrance subie par une personne,
mais où elle hésitait tout de même à accorder une réparation, jugeant l’intérêt de la victime non
juridiquement protégé.
Si la question de l’intérêt légitime ne se pose plus aujourd’hui pour la concubine, elle a récemment
été renouvelée par deux séries d’hypothèses :
-
Le cas de victimes en situation illicite :
Document n°5 : Civ. 2e, 24 janvier 2002, D. 2002. 2559, note D. Mazeaud (non reproduite).
Document n°6 : Civ. 2e, 22 février 2007, JCP 2007. I. 185, n°1, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RTD
civ. 2007. 572, obs. P. Jourdain (non reproduites).
Document n°7 : Civ. 2e, 30 juin 2011, RTD civ. 2011. 770, obs. P. Jourdain (non reproduites).
-
Le cas des dommages non juridiquement réparables en eux-mêmes :
Document n°8 : Ass. plén., 17 novembre 2000, Bull. AP, n° 9 ; D. 2001, p. 332, note D.
Mazeaud et P. Jourdain ; Grands arrêts, t .II, n°187 (non reproduits).
Document n°9 : Art. 1er, I, de la loi du 4 mars 2002, devenu l’art. L. 114-5 du Code de l’action
sociale et des familles.
Document n°10 : Civ. 1re, 24 janvier 2006, Bull. Civ. I, n°31 ; JCP.2006. II. 10062, note A.
Gouttenoire et S. Porchy-Simon (non reproduite).
Document n°11 : Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010.
2 II-
La diversité des préjudices
La poussée du besoin indemnitaire a entraîné une certaine prolifération des préjudices réparables,
à telle enseigne que certains considèrent que le principe n’est plus « toute faute appelle réparation »,
mais « tout dommage appelle condamnation » (Ph. Le Tourneau., Responsabilité en général, Répertoire
Dalloz).
1- La multiplication des préjudices individuels réparables
Lorsque le préjudice subi cesse d’être corporel ou matériel et revêt un caractère extrapatrimonial,
sa réparation peut susciter des objections. La jurisprudence a décidé, néanmoins, que le préjudice
réparable pouvait être moral.
Document n°12 : Ch. mixte 30 avril 1976, (2e espèce) D. 1977, p.185, note M. ContamineRaynaud (non reproduite).
La liste des différents chefs de préjudice n’est pas limitative : la jurisprudence n’hésite pas à
découvrir de nouveaux préjudices. Dans cette voie, elle a reconnu l’existence d’un « préjudice
spécifique d’anxiété ».
Document n°13 : Civ. 1re, 19 décembre 2006, n°06-11133.
Document n°14 : Soc., 11 mai 2010, Bull. V, n°106.
Document n°15 : Soc. 4 déc. 2012, n°11-26294
Document n°16 : Soc. 25 septembre 2013, n°11-20948 et n°12-20157.
2- L’apparition des préjudices collectifs
Le préjudice réparable s’entend classiquement du préjudice personnel à celui qui l’invoque. On
sait cependant que certaines personnes morales, et en particulier les associations, peuvent sous
certaines conditions défendre en justice les intérêts d’une collectivité d’individus.
Au-delà, la question de la réparation des préjudices collectifs se pose particulièrement pour le
préjudice écologique.
Document n°17 : Extraits du Rapport pour la réparation du préjudice écologique remis au Garde
des sceaux le 17 septembre 2013.
Exercice : Commentaire de Ass. plén., 17 novembre 2000 (doc 8) :
-
Etablir la fiche de l’arrêt
Analyser la solution de la Cour de cassation :
o Quels sont les arguments en faveur et en défaveur de la solution de la Cour de cassation ?
o La Cour de cassation a-t-elle réaffirmé sa solution ?
o Cette solution est-elle toujours de droit positif ?
3 Bibliographie spéciale :
J.-L. Aubert, « Indemnisation d’une existence handicapée qui, selon le choix de la mère, n’aurait
pas dû être », D. 2001. Chron. P. 489.
L. Aynès, « Préjudice de l’enfant né handicapé : la plainte de Job devant la Cour de cassation », D.
2001. Chron. P. 492.
A. Bénabent, La chance et le droit, thèse, Paris 1971, préf. J. Carbonnier.
S. Borghetti, « Les intérêts protégés et l’étendue des préjudices réparables en droit de la
responsabilité civile extra-contractuelle », in Mélanges G. Viney, LGDJ, 2008, p. 145.
L. Cadiet, « Les métamorphoses du préjudice », in Les métamorphoses de la responsabilité, PUF,
1997, p. 37 et s.
C. Corgas-Bernard, « Le préjudice d’angoisse consécutif à un dommage corporel : quel avenir ? »,
RCA, 2010. Etude 4.
M. Fabre-Magnan, « L’affaire Perruche : pour une troisième voie », Revue Droits, 2002, n°35.
G. Ripert, « Le prix de la douleur », D. 1948, chron. p. 1 et s.
G. Viney, « Brèves remarques à propos d’un arrêt qui affecte l’image de la justice dans l’opinion »,
JCP 2001. I. 286.
4 Document n°1 : Civ. 1re, 4 juin 2007
Attendu que les époux X... ont assigné l'agent
judiciaire du Trésor devant les juridictions
judiciaires en condamnation de l'Etat en raison
du fonctionnement défectueux de la commission
de surendettement des Yvelines ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
:
Attendu que le moyen n'est pas de nature à
permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article
L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire
devenu l'article L. 141-1 du même code ;
Attendu que seule constitue une perte de chance
réparable, la disparition actuelle et certaine d'une
éventualité favorable ;
Attendu que pour condamner l'Etat à
indemniser les époux X..., au titre de la perte de
chance de pouvoir vendre leur maison hors la
barre du tribunal, l'arrêt retient que l'erreur de la
commission l'a conduite à ne pas user de la
possibilité qui lui est ouverte par l'article L. 331-5
du code de la consommation de requérir la
suspension de la saisie immobilière auprès du
juge ;
Qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé
que la décision d'irrecevabilité de la demande des
époux X... prise par la commission le 25 juillet
1996 avait été aussi motivée par le fait que leurs
ressources leur permettaient de faire face aux
prêts bancaires de sorte que leur chance
d'obtenir une suspension de la saisie immobilière
était dépourvue de toute certitude, la cour
d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales
de ses propres constatations a violé les textes
susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de
statuer sur le deuxième moyen : CASSE ET
ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt
rendu le 8 juillet 2005, entre les parties, par la
cour d'appel de Versailles ; remet, en
conséquence, la cause et les parties dans l'état où
elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être
fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de
Versailles, autrement composée ;
Document n°2 : Civ. 2e, 17 février 1961
SUR LE MOYEN UNIQUE : VU L'ARTICLE
1382 DU CODE CIVIL ;
ATTENDU QU'AUX TERMES DE CE
TEXTE, TOUT FAIT QUELCONQUE DE
L'HOMME, QUI CAUSE A AUTRUI UN
DOMMAGE OBLIGE CELUI, PAR LA
FAUTE DUQUEL IL EST ARRIVE, A LE
REPARER ;
ATTENDU
QUE,
SELON
L'ARRET
ATTAQUE,
PARTIELLEMENT
INFIRMATIF, DEMOISELLE X... FUT
BLESSEE DANS UN ACCIDENT DE LA
CIRCULATION
DONT
LA
RESPONSABILITE A ETE RECONNUE
INCOMBER ENTIEREMENT AU SIEUR Z...
;
ATTENDU QUE, POUR FIXER LE
PREJUDICE A HUIT MILLIONS DE
FRANCS, AU LIEU DE QUARANTE-SIX
MILLIONS DEUX CENT MILLE FRANCS
DEMANDES,
LA
COUR
D'APPEL
CONSIDERE
QUE
LA
VICTIME
N'EXERCAIT,
A
L'EPOQUE
DE
L'ACCIDENT,
AUCUNE
ACTIVITE
SALARIEE ET QUE, SI ELLE VENAIT DE
TERMINER DES ETUDES APPROPRIEES
ET DE FAIRE UN SEJOUR EN
ANGLETERRE, POUR AMELIORER SA
CONNAISSANCE DE LA LANGUE
ANGLAISE, EN VUE DE SE PREPARER A
LA PROFESSION D'HOTESSE DE L'AIR,
ELLE NE RAPPORTAIT PAS LA PREUVE
IRREFRAGABLE QU'ELLE AURAIT ETE
NECESSAIREMENT
ET
OBLIGATOIREMENT ENGAGEE EN
CETTE QUALITE ET QUE, DES LORS, UN
TEL CHEF DE PREJUDICE DEMEURAIT
INCERTAIN ET NE POUVAIT PAS ETRE
RETENU ;
MAIS ATTENDU QU'IL RESULTE DE CES
CONSTATATIONS ET ENONCIATIONS,
QUE SI, EN EFFET, L'ACCIDENT N'AVAIT
PAS
EU
POUR
CONSEQUENCE
CERTAINE DE PRIVER DEMOISELLE Y...
D'UNE SITUATION QUI N'ETAIT QUE
FUTURE ET HYPOTHETIQUE, IL NE
L'AVAIT PAS MOINS EMPECHEE DE
METTRE A PROFIT L'APTITUDE A
POSTULER
L'EMPLOI
CONSIDERE,
QU'ELLE S'ETAIT ACQUISE PAR LE
5 TRAVAIL SPECIALEMENT ACCOMPLI ET
PAR LES DEPENSES PARTICULIERES
EXPOSEES POUR S'Y PREPARER ;
ATTENDU QU'EN SE REFUSANT, DES
LORS, A TENIR COMPTE DE CET
ELEMENT DE PREJUDICE ACTUEL ET
CERTAIN, DONT IL LUI AURAIT
APPARTENU
D'EVALUER
SOUVERAINEMENT
LE
MONTANT,
L'ARRET A VIOLE LE TEXTE SUSVISE ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE,
MAIS
SEULEMENT
EN
CE
QUI
CONCERNE
LA
FIXATION
DU
PREJUDICE SUBI PAR DEMOISELLE X...,
L'ARRET RENDU ENTRE LES PARTIES
PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS, LE 13
JUIN 1958
Document n°3 : Civ. 2e, 12 mai 1966
SUR LE PREMIER MOYEN : ATTENDU
QUE LE POURVOI REPROCHE A
L'ARRET
ATTAQUE
QUI,
APRES
DECISION PASSEE EN FORCE DE CHOSE
JUGEE
DECLARANT
BENNOUN
ENTIEREMENT
RESPONSABLE
DE
L'ACCIDENT DONT AVAIT ETE VICTIME
DEMOISELLE
X...,
ACTUELLEMENT
EPOUSE Z..., A FIXE L'IMPORTANCE DU
PREJUDICE DONT RESTAIT ATTEINTE
LA DEMANDERESSE A L'ACTION ET LE
MONTANT DES DOMMAGES-INTERETS
AUXQUELS ELLE ETAIT EN DROIT DE
PRETENDRE,
D'AVOIR
REFUSE
D'ACCUEILLIR LA DEMANDE DE
DEMOISELLE X..., EN TANT QU'ELLE
SOLLICITAIT UNE INDEMNITE POUR
L'OBLIGATION DANS LAQUELLE ELLE
SE SERAIT TROUVEE DE RENONCER A
LA CARRIERE A LAQUELLE ELLE
PRETENDAIT SE DESTINER SANS
RECHERCHER
SI
LA
VICTIME
REMPLISSAIT
OU
NON,
AVANT
L'ACCIDENT,
LES
CONDITIONS
D'APTITUDE POUR POSTULER A CETTE
CARRIERE;
MAIS ATTENDU QUE LA COUR D'APPEL
RELEVE
QU'AU
MOMENT
DE
L'ACCIDENT, DEMOISELLE X... ETAIT
AGEE DE 19 ANS ET VENAIT
D'ECHOUER A LA PREMIERE PARTIE DU
BACCALAUREAT, QUE LA VOCATION
QU'ELLE ALLEGUAIT A UNE CARRIERE
DE PHARMACIENNE, QU'ELLE ETAIT
TRES
LOIN
D'AVOIR
ABORDEE,
DEMEURAIT UNE PURE HYPOTHESE;
ATTENDU QU'AYANT AINSI CONSTATE
QUE DEMOISELLE X..., QUI N'AVAIT PAS
TERMINE SES ETUDES SECONDAIRES
ET VENAIT MEME D'ECHOUER AU
PREMIER EXAMEN QUI DEVAIT LES
SANCTIONNER, N'AVAIT ENTREPRIS
AUCUNE DES ETUDES SPECIALES
POUVANT LUI DONNER ACCES A LA
PROFESSION ENVISAGEE, LES JUGES
DU FOND ONT PU ADMETTRE QU'ELLE
NE POUVAIT SE PLAINDRE D'AVOIR
ETE PRIVEE DES AVANTAGES D'UNE
CARRIERE,
QUI
N'ETAIENT
QUE
PUREMENT
HYPOTHETIQUE
ET
QU'ELLE
INVOQUAIT
AINSI
UN
PREJUDICE
INCERTAIN,
NON
SUSCEPTIBLE DE REPARATION;
D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN N'EST PAS
FONDE;
Document n°4 : Civ. 2e, 2 avril 2009
Sur les moyens uniques des pourvois principal et
incident :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que M. X..., qui avait confié à M. Y...,
avocat, la défense de ses intérêts dans un litige
l'opposant à la société de crédit Cetelem, a
recherché la responsabilité de ce professionnel
en lui reprochant de n'avoir pas assigné en
garantie la société d'assurance Cardif ;
Attendu qu'après avoir confirmé le manquement
fautif de cet avocat à son devoir de diligence,
l'arrêt attaqué, pour élever à la somme de 10 000
euros le montant des dommages-intérêts auquel
il condamne M. Y..., retient que M. X... ne
démontre pas que l'appel en garantie de la
société Cardif aurait été couronné d'un succès
judiciaire complet, que ses prétentions quant à
une garantie intégrale, par la société précitée,
sont purement hypothétiques, et qu'en réalité,
6 celui-ci a perdu une chance de voir ses
prétentions soumises à un débat judiciaire et à
un examen par la juridiction saisie de la demande
de remboursement présentée par la société
Cetelem ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, pour
évaluer le préjudice pouvant résulter de la faute
de l'avocat, s'il existait une chance sérieuse de
succès de l'action en garantie qu'il avait été
chargé d'engager contre la société Cardif, en
reconstituant fictivement, au vu des conclusions
des parties et des pièces produites aux débats, la
discussion qui aurait pu s'instaurer devant le juge
entre M. X..., la société Cetelem et la société
Cardif si cette dernière avait été appelée en
garantie, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale ;
PAR CES MOTIFS :CASSE ET ANNULE,
sauf en ce qu'il a jugé que M. Y... avait commis
un manquement à son devoir de diligence, l'arrêt
rendu le 7 novembre 2007, entre les parties, par
la cour d'appel de Besançon ; remet, en
conséquence, sur les autres points, la cause et les
parties dans l'état où elles se trouvaient avant
ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie
devant la cour d'appel de Dijon ;
Document n°5 : Civ. 2e, 24 janvier 2002
bulletins de salaires, il résultait d'attestations que
Mlle X... percevait aussi des rémunérations non
déclarées ;
Qu'en statuant ainsi alors que de telles
rémunérations, provenant d'un travail dissimulé,
n'ouvrent pas droit à indemnisation, la cour
d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer
sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses
dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 1999, entre
les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
remet, en conséquence, la cause et les parties
dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt
et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d'appel d'Aix-en-Provence
Attendu selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 29
avril 1999) que Mlle X... a été victime d'un
accident de la circulation dont la société
Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF)
a été déclarée tenue de réparer les conséquences
dommageables ; […]
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu qu'une victime ne peut obtenir la
réparation de la perte de ses rémunérations que
si celles-ci sont licites ;
Attendu que pour évaluer comme elle l'a fait les
pertes de salaire subies par Mlle X... durant la
période de son incapacité temporaire totale de
travail la cour d'appel a relevé qu'outre les
rémunérations justifiées par la production de
Document n°6 : Civ. 2e, 22 février 2007
mer (la société) en paiement d'une certaine
somme ; que la juridiction de proximité a, par
jugement du 1er juillet 2005, ordonné la
réouverture des débats pour que les parties
produisent toutes pièces pouvant attester de la
présence de M. X... au casino de Trouville-surMer dans le courant des années 2002 à 2005 ;
que M. X... a versé aux débats des notes d'hôtels
qui établissaient sa présence à Trouville-sur-Mer
en 2002, 2004 et 2005 ;
Attendu que, pour condamner la société à payer
à M. X... une somme à titre de dommagesintérêts, le jugement retient qu'il est établi par
diverses pièces au dossier que M. X... avait
séjourné plusieurs fois à Trouville-sur-Mer
durant ces dernières années ; que sa présence
dans la salle des machines à sous et le fait qu'il ait
pu jouer sont révélateurs d'une faute de la
Sur le moyen unique, pris en sa troisième
branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu qu'une victime ne peut obtenir la
réparation de la perte de ses rémunérations que
si celles-ci sont licites ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que M. X...
interdit de jeux à sa demande, depuis 1991, a
continué à fréquenter le casino de Trouville-surMer, malgré cette interdiction dont il n'a jamais
demandé la levée ; que, le 12 avril 2005, il a
gagné une somme de 4 000 euros en jouant aux
machines à sous ; qu'alors qu'il tentait d'encaisser
cette somme par l'intermédiaire d'une tierce
personne, le casino, s'apercevant de cette
manoeuvre, a refusé de lui payer ses gains ; qu'il
a assigné la société du Casino de Trouville-sur-
7 société, celle-ci ayant enfreint l'obligation
d'interdiction de jeux de certaines personnes qui
pesait sur lui ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le
contrat de jeu liant M. X... à la société étant nul,
celui-ci devait être débouté de sa demande de
paiement de son gain, la juridiction de proximité,
qui n'a pas tiré les conséquences légales qui
s'évinçaient de ses propres constatations, a violé
le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de
statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses
dispositions, le jugement rendu le 7 novembre
2005, entre les parties, par la juridiction de
proximité de Pont-l'Evêque ; remet, en
conséquence, la cause et les parties dans l'état où
elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour
être fait droit, les renvoie devant la juridiction de
proximité de Caen ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Document n°7 : Civ. 2e, 30 juin 2011
2°/ que ne commet aucune faute l'établissement
de jeux qui exploite ses machines à sous dans
une pièce qui y est spécialement dédiée et dont
aucune prescription légale ou réglementaire ne
soumet l'accès à une vérification d'identité ;
qu'en considérant qu'elle avait commis une faute
engageant sa responsabilité en n'instaurant pas
de pratiques propres à interdire l'accès à cette
salle aux personnes figurant sur la liste nationale
des personnes exclues des salles de jeux, la cour
d'appel a violé l'article 1382 du code civil,
ensemble l'article 14 du décret du 22 décembre
1959 dans sa rédaction antérieure au décret du
13 décembre 2006 et l'article 22 de l'arrêté du 23
décembre 1959 ;
Mais attendu que l'arrêt retient que Mme X... ne
demande pas le règlement de sommes gagnées
au jeu; que la société n'a pris aucune disposition
pour assurer l'efficacité de la mesure d'exclusion
des salles de jeux concernant Mme X... en raison
de son addiction au jeu ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour
d'appel a déduit à bon droit que Mme X... n'était
pas privée d'un intérêt légitime à agir et qu'était
caractérisée une abstention fautive de la société,
génératrice d'un préjudice réparable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 mai
2010), que Mme X... a été interdite de jeux à sa
demande par l'autorité administrative à compter
du 8 janvier 2001, pour une durée de cinq ans ;
qu'ayant cependant continué à fréquenter les
salles de jeux de la société du Casino de La Baule
(la société) jusqu'en 2004, en y accumulant des
pertes, Mme X..., a assigné la société en
dommages-intérêts sur le fondement de la
responsabilité délictuelle ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de
déclarer recevable l'action de Mme X... et de la
condamner à lui payer diverses sommes à titre de
dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'une victime ne peut obtenir la réparation
de la perte de ses rémunérations que si celles-ci
sont licites ; qu'en indemnisant le préjudice
allégué par Mme X... résultant des pertes de jeux
qu'elle avait subies, quand elle constatait que le
contrat de jeu la liant à Mme X... était nul
comme reposant sur une cause illicite du fait de
l'inscription de cette personne sur la liste
nationale des personnes exclues des salles de
jeux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences
légales de ses propres constatations et a violé les
dispositions de l'article 1382 du code civil ;
8 Document n°8 : Ass. plén., 17 novembre 2000
Sur le deuxième moyen, pris en sa première
branche du pourvoi principal formé par les
époux X..., et le deuxième moyen du pourvoi
provoqué, réunis, formé par la caisse primaire
d'assurance maladie de l'Yonne :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu qu'un arrêt rendu le 17 décembre 1993
par la cour d'appel de Paris a jugé, de première
part, que M. Y..., médecin, et le Laboratoire de
biologie médicale de Yerres, aux droits duquel
est M. A..., avaient commis des fautes
contractuelles à l'occasion de recherches
d'anticorps de la rubéole chez Mme X... alors
qu'elle était enceinte, de deuxième part, que le
préjudice de cette dernière, dont l'enfant avait
développé de graves séquelles consécutives à une
atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé
dès lors qu'elle avait décidé de recourir à une
interruption volontaire de grossesse en cas
d'atteinte rubéolique et que les fautes commises
lui avaient fait croire à tort qu'elle était
immunisée contre cette maladie, de troisième
part, que le préjudice de l'enfant n'était pas en
relation de causalité avec ces fautes ; que cet
arrêt ayant été cassé en sa seule disposition
relative au préjudice de l'enfant, l'arrêt attaqué de
la Cour de renvoi dit que " l'enfant Nicolas X...
ne subit pas un préjudice indemnisable en
relation de causalité avec les fautes commises "
par des motifs tirés de la circonstance que les
séquelles dont il était atteint avaient pour seule
cause la rubéole transmise par sa mère et non ces
fautes et qu'il ne pouvait se prévaloir de la
décision de ses parents quant à une interruption
de grossesse ;
Attendu, cependant, que dès lors que les fautes
commises par le médecin et le laboratoire dans
l'exécution des contrats formés avec Mme X...
avaient empêché celle-ci d'exercer son choix
d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la
naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce
dernier peut demander la réparation du préjudice
résultant de ce handicap et causé par les fautes
retenues ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire
de statuer sur les autres griefs de l'un et l'autre
des pourvois :
CASSE ET ANNULE, en son entier, l'arrêt
rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la
cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence,
la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris,
autrement composée que lors de l'audience du
17 décembre 1993.
9 Document n°9 : Art. 1er, I, de la loi du 4 mars 2002, devenu l’art. L. 114-5 du Code de l’action
sociale et des familles.
« Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice
lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les
mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des
parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée,
les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure
les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de
ce dernier relève de la solidarité nationale. »
Document n°11 : Civ. 1re, 24 janvier 2006
Sur le moyen unique :
Vu l'article Ier du protocole n° 1 à la Convention
de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales ensemble l'article Ier I de
la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de
santé, devenu l'article L. 114-5 du Code de
l'action sociale et des familles, les articles 1165 et
1382 du Code civil ;
Attendu que Mme X... a donné naissance, le 11
janvier 1996, à une enfant présentant de graves
malformations de la colonne vertébrale ; que
Mme X... et M. Y..., agissant tant en leur nom
personnel qu'en leur qualité de représentants
légaux de leur fille ont recherché la
responsabilité de M. Z..., gynécologueobstétricien qui avait pratiqué sept échographies
ainsi que la réparation de leur préjudice moral et
du préjudice subi par l'enfant du fait de son
handicap, en faisant valoir que les échographies
réalisées par ce praticien auraient dû permettre
de diagnostiquer les malformations et
d'envisager une interruption de la grossesse ;
Attendu que pour décider que M. Z... n'avait pas
engagé sa responsabilité à l'égard de l'enfant,
l'arrêt attaqué relève que les fautes retenues à
l'encontre de ce praticien ne sont pas à l'origine
des malformations dont est atteinte l'enfant et
qu'il n'existe donc pas de lien de causalité entre
ces fautes et le préjudice de cette dernière ;
Attendu, cependant, que dès lors que les fautes
commises par le médecin dans l'exécution de son
contrat avec Mme X... avaient empêché celle-ci
d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse
afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un
handicap, ce dernier pouvait, avant l'entrée en
vigueur de la loi susvisée, demander la réparation
du préjudice résultant de ce handicap et causé
par les fautes retenues ;
Attendu que l'article 1er I de ladite loi, déclarée
applicable aux instances en cours, énonce que
"nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul
fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité
d'un professionnel de santé est engagée vis-à-vis
des parents d'un enfant né avec un handicap non
décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute
caractérisée, les parents peuvent demander une
indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce
préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant tout au long de la vie de
l'enfant, de ce handicap et que la compensation
de ce dernier relève de la solidarité nationale" ;
Attendu, toutefois, que si une personne peut être
privée d'un droit de créance en responsabilité,
c'est à la condition, selon l'article 1er du
protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, que soit respecté le juste
équilibre entre les exigences de l'intérêt général
et les impératifs de sauvegarde du droit au
respect des biens ; que tel n'est pas le cas en
l'espèce, dès lors que la loi susvisée, en prohibant
l'action de l'enfant et en excluant du préjudice
des parents les charges particulières découlant du
handicap de l'enfant tout au long de la vie, a
institué un mécanisme de compensation
forfaitaire du handicap, sans rapport raisonnable
avec une créance de réparation intégrale, quand
Mme X... et M. Y... pouvaient en l'état de la
jurisprudence, applicable avant l'entrée en
vigueur de cette loi, légitimement espérer que
leur fille serait indemnisée au titre du préjudice
résultant de son handicap ;
D'où il suit que, ladite loi n'étant pas applicable
au présent litige, la cassation est encourue ;
10 PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce
qu'il a débouté Mme X... et M. Y... de leur
demande en réparation du préjudice subi par
l'enfant, l'arrêt rendu le 11 avril 2001, entre les
parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en
conséquence, quant à ce, la cause et les parties
dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt
et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d'appel de Paris ;
Document n°12 : Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 avril 2010 par le Conseil d’État (décision n° 329290 du 14 avril
2010), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de
constitutionnalité posée par Mme Viviane L. et portant sur la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit :
– des premier et troisième alinéas de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles,
– du 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et
des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, […]
1. Considérant qu’aux termes du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « Nul ne
peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice
lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les
mesures susceptibles de l’atténuer.
« Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des
parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée,
les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure
les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de
ce dernier relève de la solidarité nationale.
« Les dispositions du présent paragraphe I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles
où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation » ;
2. Considérant que les trois premiers alinéas du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002
précité ont été codifiés à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le 1 du paragraphe
II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée ; que le 2 de ce même paragraphe II a repris le dernier
alinéa du paragraphe I précité en adaptant sa rédaction ;
- SUR LE PREMIER ALINÉA DE L’ARTICLE L. 114 5 DU CODE DE L’ACTION SOCIALE ET
DES FAMILLES :
3. Considérant que, selon la requérante, l’interdiction faite à l’enfant de réclamer la réparation d’un
préjudice du fait de sa naissance porterait atteinte au principe selon lequel nul n’ayant le droit de nuire à
autrui, un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que cette interdiction, qui
prive du droit d’agir en responsabilité l’enfant né handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal,
alors que ce droit peut être exercé par un enfant dont le handicap a été directement causé par la faute
médicale, entraînerait une différence de traitement contraire à la Constitution ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes
fondamentaux... du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales » ;
qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des
dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs
ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice
de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l’article
61-1 de la Constitution, à l’instar de l’article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir
général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne
seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d’une disposition législative aux droits et
libertés que la Constitution garantit ;
5. Considérant que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la
loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne
11 s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à
l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement
qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des termes des deux premiers alinéas de l’article L. 114-5 du
code de l’action sociale et des familles qu’il n’est fait obstacle au droit de l’enfant de demander réparation
aux professionnels et établissements de santé que lorsque la faute invoquée a eu pour seul effet de priver
sa mère de la faculté d’exercer, en toute connaissance de cause, la liberté d’interrompre sa grossesse ; que
ces professionnels et établissements demeurent tenus des conséquences de leur acte fautif dans tous les
autres cas ; que, par suite, le premier alinéa de l’article L. 114-5 n’exonère pas les professionnels et
établissements de santé de toute responsabilité ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu’après l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2000 susvisé, le
législateur a estimé que, lorsque la faute d’un professionnel ou d’un établissement de santé a eu pour seul
effet de priver la mère de la faculté d’exercer, en toute connaissance de cause, la liberté d’interrompre sa
grossesse, l’enfant n’a pas d’intérêt légitime à demander la réparation des conséquences de cette faute ;
que, ce faisant, le législateur n’a fait qu’exercer la compétence que lui reconnaît la Constitution sans porter
atteinte au principe de responsabilité ou au droit à un recours juridictionnel ;
8. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions contestées ne font obstacle au droit de l’enfant né
avec un handicap d’en demander la réparation que dans le cas où la faute invoquée n’est pas à l’origine de
ce handicap ; que, dès lors, la différence de traitement instituée ne méconnaît pas le principe d’égalité ;
9. Considérant, par suite, que les griefs dirigés contre le premier alinéa de l’article L. 114-5 du code de
l’action sociale et des familles doivent être écartés ;
- SUR LE TROISIÈME ALINÉA DE L’ARTICLE L. 114 5 DU CODE DE L’ACTION SOCIALE ET
DES FAMILLES :
10. Considérant que, selon la requérante, l’exigence d’une faute caractérisée pour que la responsabilité des
professionnels et établissements de santé puisse être engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un
handicap non décelé pendant la grossesse, ainsi que l’exclusion, pour ces parents, du droit de réclamer la
réparation du préjudice correspondant aux charges particulières découlant de ce handicap tout au long de
la vie porteraient également atteinte au principe de responsabilité ainsi qu’au « droit à réparation intégrale
du préjudice » et méconnaîtraient le principe d’égalité ;
11. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire
tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en principe, tout fait quelconque de
l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la
faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette
dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions
dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu’il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce
principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée
aux droits des victimes d’actes fautifs ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de
l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;
. En ce qui concerne l’exigence d’une faute caractérisée :
12. Considérant qu’en subordonnant à l’existence d’une faute caractérisée la mise en œuvre de la
responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé vis-à-vis des parents d’un enfant né avec
un handicap non décelé pendant la grossesse, le législateur a entendu prendre en considération, en l’état
des connaissances et des techniques, les difficultés inhérentes au diagnostic médical prénatal ; qu’à cette
fin, il a exclu que cette faute puisse être présumée ou déduite de simples présomptions ; que la notion de «
faute caractérisée » ne se confond pas avec celle de faute lourde ; que, par suite, eu égard à l’objectif
poursuivi, l’atténuation apportée aux conditions dans lesquelles la responsabilité de ces professionnels et
établissements peut être engagée n’est pas disproportionnée ;
. En ce qui concerne l’exclusion de certains préjudices :
13. Considérant, en premier lieu, que les professionnels et établissements de santé demeurent tenus
d’indemniser les parents des préjudices autres que ceux incluant les charges particulières découlant, tout au
long de la vie de l’enfant, de son handicap ; que, dès lors, le troisième alinéa de l’article L. 114-5 du code
de l’action sociale et des familles n’exonère pas les professionnels et établissements de santé de toute
responsabilité ;
12 14. Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte des travaux parlementaires de la loi du 4 mars 2002
susvisée que les dispositions critiquées tendent à soumettre la prise en charge de toutes les personnes
atteintes d’un handicap à un régime qui n’institue de distinction ni en fonction des conditions techniques
dans lesquelles le handicap peut être décelé avant la naissance, ni en fonction du choix que la mère aurait
pu faire à la suite de ce diagnostic ; qu’en décidant, ainsi, que les charges particulières découlant, tout au
long de la vie de l’enfant, de son handicap, ne peuvent constituer un préjudice indemnisable lorsque la
faute invoquée n’est pas à l’origine du handicap, le législateur a pris en compte des considérations éthiques
et sociales qui relèvent de sa seule appréciation ;
15. Considérant que les dispositions critiquées tendent à répondre aux difficultés rencontrées par les
professionnels et établissements de santé pour souscrire une assurance dans des conditions économiques
acceptables compte tenu du montant des dommages-intérêts alloués pour réparer intégralement les
conséquences du handicap ; qu’en outre, le législateur a notamment pris en compte les conséquences sur
les dépenses d’assurance maladie de l’évolution du régime de responsabilité médicale ; que ces dispositions
tendent ainsi à garantir l’équilibre financier et la bonne organisation du système de santé ;
16. Considérant, en troisième lieu, que les parents peuvent obtenir l’indemnisation des charges
particulières résultant, tout au long de la vie de l’enfant, de son handicap lorsque la faute a provoqué
directement ce handicap, l’a aggravé ou a empêché de l’atténuer ; qu’ils ne peuvent obtenir une telle
indemnisation lorsque le handicap n’a pas été décelé avant la naissance par suite d’une erreur de diagnostic
; que, dès lors, la différence instituée entre les régimes de réparation correspond à une différence tenant à
l’origine du handicap;
17. Considérant, en quatrième lieu, que le troisième alinéa de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale
et des familles prévoit que la compensation des charges particulières découlant, tout au long de la vie de
l’enfant, de son handicap relève de la solidarité nationale ; qu’à cette fin, en adoptant la loi du 11 février
2005 susvisée, le législateur a entendu assurer l’effectivité du droit à la compensation des conséquences du
handicap quelle que soit son origine ; qu’ainsi, il a notamment instauré la prestation de compensation qui
complète le régime d’aide sociale, composé d’allocations forfaitaires, par un dispositif de compensation au
moyen d’aides allouées en fonction des besoins de la personne handicapée ;
18. Considérant que, dans ces conditions, la limitation du préjudice indemnisable décidée par le législateur
ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des buts poursuivis ; qu’elle n’est contraire ni au
principe de responsabilité, ni au principe d’égalité, ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit ;
- SUR LE 2 DU PARAGRAPHE II DE L’ARTICLE 2 DE LA LOI DU 11 FEVRIER 2005 SUSVISÉE
19. Considérant qu’aux termes du 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée : «
Les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles tel qu’il résulte du 1 du
présent II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4
mars 2002 précitée, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de
l’indemnisation » ;
20. Considérant que, selon la requérante, l’application immédiate de ce dispositif « aux instances en cours
et par voie de conséquence aux faits générateurs antérieurs à son entrée en vigueur » porte atteinte à la
sécurité juridique et à la séparation des pouvoirs ;
21. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ;
22. Considérant en conséquence que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou
valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général
suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de nonrétroactivité des peines et des sanctions ; qu’en outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune
règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même
de valeur constitutionnelle ; qu’enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement
définie ;
23. Considérant que le paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est entré en vigueur le
7 mars 2002 ; que le législateur l’a rendu applicable aux instances non jugées de manière irrévocable à cette
date ; que ces dispositions sont relatives au droit d’agir en justice de l’enfant né atteint d’un handicap, aux
conditions d’engagement de la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l’égard des
parents, ainsi qu’aux préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée ; que, si les motifs
d’intérêt général précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux
13 instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des
modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé
une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice ; que, dès lors, le 2 du paragraphe II de
l’article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée doit être déclaré contraire à la Constitution,
DÉCIDE:
Article 1er.- Les premier et troisième alinéas de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles
sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Le 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est contraire à la
Constitution.
Document n°13 : Ch. mixte 30 avril 1976
VU L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL,
ENSEMBLE LES ARTICLES 2, 3 ET 10 DU
CODE DE PROCEDURE PENALE ET LES
ARTICLES 731 ET 732 DU CODE CIVIL;
ATTENDU QU'IL RESULTE DE CES
TEXTES QUE TOUTE PERSONNE
VICTIME D'UN DOMMAGE, QUELLE
QU'EN SOIT LA NATURE, A DROIT D'EN
OBTENIR L'INDEMNISATION DE CELUI
QUI L'A CAUSE PAR SA FAUTE; QUE LE
DROIT A REPARATION DU DOMMAGE
RESULTANT DE LA SOUFFRANCE
MORALE EPROUVEE PAR DES PARENTS
EN RAISON DE LA MORT DE LEUR FILS,
VICTIME D'UN ACCIDENT, DONT LA
RESPONSABILITE INCOMBE A UN TIERS,
ETANT NE DANS LEUR PATRIMOINE, SE
TRANSMET A LEUR DECES, A LEURS
HERITIERS;
ATTENDU QU'ALIZAN A ETE DECLARE
COUPABLE
D'UN
HOMICIDE
INVOLONTAIRE COMMIS LE 17 JANVIER
1971 SUR LA PERSONNE DE PATRICK X...
PAR LA JURIDICTION PENALE; QUE LE
PERE DE CE DERNIER EST DECEDE LE
12 JUILLET 1972; QUE POUR DECLARER
IRRECEVABLE LA DEMANDE DES
HERITIERS DU PERE DE PATRICK X...
EN CE QU'ELLE TENDAIT A OBTENIR
L'INDEMNISATION DE LA SOUFFRANCE
MORALE QU'IL AVAIT SUBIE DU FAIT
DE LA MORT ACCIDENTELLE DE SON
FILS, L'ARRET ENONCE QUE X... PERE
N'AVAIT INTRODUIT AUCUNE ACTION
A CETTE FIN AVANT SON DECES;
ATTENDU QU'EN STATUANT AINSI, LA
COUR D'APPEL A VIOLE LES TEXTES
SUSVISES;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE L'ARRET RENDU LE
26 OCTOBRE 1973 PAR LA COUR D'APPEL
DE
POITIERS
(CHAMBRE
CORRECTIONNELLE),
MAIS
SEULEMENT EN CE QU'IL A DECLARE
IRRECEVABLE LA DEMANDE DE
DOMMAGES-INTERETS FORMEE PAR
LES CONSORTS X..., EN REPARATION DU
PREJUDICE MORAL CAUSE A LEUR PERE
A RAISON DU DECES DE PATRICK X...;
REMET, EN CONSEQUENCE, QUANT A
CE, LA CAUSE ET LES PARTIES AU MEME
ET SEMBLABLE ETAT OU ELLES
ETAIENT AVANT LEDIT ARRET ET,
POUR ETRE FAIT DROIT, LES RENVOIE
DEVANT LA COUR D'APPEL D'ANGERS.
Document n°14 : Civ. 1re, 19 décembre 2006
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche
:
Vu l'article 455 du nouveau code de procédure
civile ;
Attendu que le 23 mars 1992, un stimulateur
cardiaque équipé d'une sonde auriculaire de
marque Accufix fabriquée par la société
Telectronics pacing system (TPLC) a été
implanté à Mme X... souffrant d'une insuffisance
cardiaque ; que le 1er février 1995, cette sonde,
mal positionnée, a été remplacée par une sonde
de marque Encor également fabriquée par la
société TPLC ; qu'à la suite de ruptures sur
certaines sondes de marque Accufix du fil de
rétention susceptibles, en cas de sortie de la
gaine de protection, d'entraîner des blessures et
14 parfois un décès et après un retrait du marché de
ce type de sonde, Mme X... a sollicité une
expertise en référé et recherché la responsabilité
de la société TPLC ;
Attendu que la cour d'appel a débouté Mme X...
de sa demande d'indemnisation d'un préjudice
moral, sans répondre à ses conclusions
invoquant l'existence d'un dommage lié à sa
crainte de subir d'autres atteintes graves et à
l'impossibilité d'être libérée du risque de rupture
présenté également par la sonde de marque
Encor et d'envisager ainsi sereinement son
existence et son avenir, méconnaissant ainsi les
exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de
statuer sur la première branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions
concernant l'article 700 du nouveau code de
procédure civile, l'arrêt rendu le 25 novembre
2004, entre les parties, par la cour d'appel de
Lyon ; remet, en conséquence, sur les autres
points, la cause et les parties dans l'état où elles
se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Document n°15 : Soc., 11 mai 2010
Vu leur connexité, joint les pourvois n° A 0942.241 à T 09-42.257 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X... et
seize autres salariés de la société Ahlstrom ont
cessé leur activité professionnelle et présenté leur
démission pour prétendre au bénéfice de
l'allocation de cessation anticipée d'activité des
travailleurs de l'amiante (ACAATA) en
application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du
23 décembre 1998 ; qu'ils ont saisi la juridiction
prud'homale pour qu'il soit jugé que la rupture
du contrat de travail était la conséquence de leur
exposition fautive par l'employeur à l'amiante et
pour demander la condamnation de la société à
leur payer des sommes correspondant à la
différence de revenus entre leur salaire et le
montant de l'ACAATA ainsi qu'une somme au
titre du préjudice d'anxiété ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Ahlstrom fait grief aux
arrêts de l'avoir condamnée à verser aux salariés
une somme à titre de dommages et intérêts en
réparation d'un préjudice d'anxiété, alors, selon
le moyen :
1°/ que l'existence d'un risque non réalisé se
confond avec l'anxiété que ce risque peut générer
de sorte qu'en allouant une réparation distincte
de ce chef, la cour d'appel qui assimile à tort le
bénéfice d'une surveillance médicale postprofessionnelle facultative à une prétendue
«obligation de se plier à des contrôles» et qui ne
caractérise pas ainsi l'existence d'un élément
objectif distinct de l'angoisse, ne justifie pas
légalement sa décision tant au regard de l'article
1147 du code civil que de l'article 81 de la loi du
19 décembre 2005 sur le financement de la
sécurité sociale ;
2°/ que si l'anxiété suscitée par l'exposition au
risque constituait un trouble psychologique
suffisamment caractérisé pour appeler une
«réparation spécifique», il ne saurait être pris en
charge que dans les conditions prévues par les
articles 451-1 et 461-1 et 461-2 du code de la
sécurité sociale ; qu'à défaut de la moindre
demande formulée par le demandeur au titre
d'une quelconque maladie professionnelle, la
cour
d'appel
ne
pouvait
transférer
l'indemnisation d'un tel trouble sur l'entreprise et
qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a violé les
textes susvisés ;
Mais attendu que, sans méconnaître les
dispositions du code de la sécurité sociale visées
dans la seconde branche du moyen, la cour
d'appel a relevé que les salariés, qui avaient
travaillé dans un des établissements mentionnés
à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une
liste établie par arrêté ministériel pendant une
période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante
ou des matériaux contenant de l'amiante, se
trouvaient par le fait de l'employeur dans une
situation d'inquiétude permanente face au risque
de déclaration à tout moment d'une maladie liée
à l'amiante et étaient amenés à subir des
contrôles et examens réguliers propres à
réactiver cette angoisse ; qu'elle a ainsi caractérisé
l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété et
légalement justifié sa décision ;
15 Document n°16 : Soc. 4 déc. 2012
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 9 septembre
2011), qu'engagée le 23 décembre 1968 en
qualité d'ouvrier spécialisé par la société
Moulinex, Mme X... a exercé des activités
syndicales à compter de 1971 ; que, suite à
l'ouverture le 7 septembre 2001 d'une procédure
de redressement judiciaire de la société puis à
l'adoption d'un plan de cession, elle a été
licenciée le 27 décembre 2002 ; qu'elle a été
admise au régime de l'Allocation de cessation
anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante
(ACAATA) ; […]
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de
fixer la créance de la salariée sur le passif de la
liquidation judiciaire de la société Moulinex à
une certaine somme à titre de dommages et
intérêts en réparation du préjudice d'anxiété subi
alors, selon le moyen, que si les salariés, qui ont
travaillé dans un des établissements mentionnés
à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre
1998 et figurant sur une liste établie par arrêté
ministériel pendant une période où y étaient
fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux
contenant de l'amiante peuvent se trouver par le
fait de l'employeur dans une situation
d'inquiétude permanente face au risque de
déclaration à tout moment d'une maladie liée à
l'amiante et subir de ce fait un préjudice
spécifique d'anxiété qu'il appartient à l'employeur
d'indemniser, encore faut-il qu'ils aient été
amenés à subir des contrôles et examens
réguliers propres à réactiver cette angoisse ;
qu'en l'espèce, en ayant jugé que Mme X... avait
subi un préjudice spécifique d'anxiété en raison
de son exposition à l'amiante qu'il appartenait à
son employeur d'indemniser sans rechercher,
comme elle y était pourtant invitée, si cette
salariée avait été amenée à subir des contrôles et
examens réguliers propres à réactiver cette
angoisse, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale au regard de l'article 1147 du code
civil, ensemble le texte précité ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté
que la salariée, qui avait travaillé dans l'un des
établissements mentionnés à l'article 41 de la loi
n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur
une liste établie par arrêté ministériel pendant
une période où y étaient fabriqués ou traités
l'amiante ou des matériaux contenant de
l'amiante, se trouvait, de par le fait de
l'employeur, dans une situation d'inquiétude
permanente face au risque de déclaration à tout
moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'elle se
soumette ou non à des contrôles et examens
médicaux réguliers, a ainsi caractérisé l'existence
d'un préjudice spécifique d'anxiété et légalement
justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Document n°17 : Soc. 25 septembre 2013, n°11-20948 et n°12-20157
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par une lettre
du 13 avril 2004, M. X..., salarié de la société ZF
Masson, a présenté sa démission pour prétendre
au bénéfice de l'Allocation de cessation anticipée
d'activité des travailleurs de l'amiante
(ACAATA) en application de l'article 41 de la loi
n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'il a
ultérieurement saisi la juridiction prud'homale
afin d'obtenir la condamnation de son ancien
employeur à lui verser diverses sommes à titre de
dommages-intérêts ; que par un jugement du 7
juin 2005, la société ZF Masson a été placée en
redressement judiciaire, M. Y... étant désigné en
qualité de commissaire à l'exécution du plan
puis, par ordonnance du 11 avril 2007, M. Z...
étant désigné en qualité de mandataire ad hoc ;
[…]
Sur le premier moyen du pourvoi incident de
l'AGS et le premier moyen du pourvoi incident
de l'employeur, réunis :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de fixer au
passif de la société ZF Masson, une somme à
titre de dommages-intérêts réparant le préjudice
d'anxiété, alors, selon le moyen, que le salarié
exposé au risque de contamination à l'amiante du
fait de son employeur ne peut obtenir la
réparation de son préjudice d'anxiété que s'il est
amené à subir des contrôles et examens réguliers
propres à réactiver cette angoisse ; que la cour
d'appel a, au cas d'espèce, réparé le préjudice
d'anxiété du salarié, tout en constatant qu'il ne
justifiait pas d'un suivi médical ou psychologique
particulier ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel,
qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses
propres constatations, a violé l'article 41 de la loi
du 23 décembre 1998, ensemble l'article 1382 du
code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté
que le salarié, qui avait travaillé dans l'un des
établissements mentionnés à l'article 41 de la loi
16 n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur
une liste établie par arrêté ministériel pendant
une période où y étaient fabriqués ou traités
l'amiante ou des matériaux contenant de
l'amiante, se trouvait, par le fait de l'employeur,
dans une situation d'inquiétude permanente face
au risque de déclaration à tout moment d'une
maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non
à des contrôles et examens médicaux réguliers, a
ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice
spécifique d'anxiété ; que le moyen n'est pas
fondé ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et
quatre autres salariés de la société Babcock
Wanson (la société) ont présenté leur démission
pour prétendre au bénéfice de l'allocation de
cessation anticipée d'activité des travailleurs de
l'amiante (ACAATA) en application de l'article
41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale afin
d'obtenir la condamnation de la société à leur
verser diverses sommes à titre de dommagesintérêts réparant leur préjudice économique,
ainsi qu'un préjudice d'anxiété résultant de leur
exposition à l'amiante ; […]
Mais sur le troisième moyen, pris en sa
cinquième branche :
Vu l'article 1147 du code civil et le principe de la
réparation intégrale du préjudice ;
Attendu que pour condamner leur ancien
employeur à leur verser diverses sommes en
réparation
du
préjudice
résultant
du
bouleversement de leurs conditions d'existence,
la cour d'appel énonce que les salariés exposés à
l'amiante subissent un risque de diminution de
leur espérance de vie et de développer une
maladie grave les empêchant d'envisager
sereinement leur avenir ; qu'ils peuvent être
amenés à modifier, en raison de ce risque, les
orientations de leur vie quotidienne et leurs
projets de vie ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnisation
accordée au titre du préjudice d'anxiété répare
l'ensemble des troubles psychologiques, y
compris ceux liés au bouleversement dans les
conditions d'existence, résultant du risque de
déclaration à tout moment d'une maladie liée à
l'amiante, la cour d'appel a violé le texte et le
principe susvisés ;
Document n°18 : Extraits du Rapport pour la réparation du préjudice écologique remis
au Garde des sceaux le 17 septembre 2013
LA DEFINITION DU PREJUDICE ECOLOGIQUE
Certains juges acceptent d’indemniser directement le préjudice écologique pur. En jurisprudence,
la réparation du dommage écologique a été « plus ou moins admise dans quelques espèces
isolées : à propos des boues rouges en Corse1 ou de la pollution de la baie de Seine2 ». Mais la
fixation « d’une indemnité en cas de dommage écologique est toujours très délicate pour le juge.
[...]. Désormais les juges n’hésitent plus à reconnaître l’existence d’un préjudice écologique3
distinct de tout préjudice matériel ou moral ».
Dans l’arrêt ERIKA du 25 septembre 2012, la Cour de cassation reconnaît de manière explicite la
notion de préjudice écologique, dans l’acception qui en a été retenue par la cour d’appel (cette
dernière ayant reconnu le préjudice écologique pur) : « Attendu que les énonciations de l’arrêt
attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans
insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était
saisie et a ainsi justifié l’allocation des indemnités propres à réparer le préjudice écologique,
consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ».
Il est précisé que la cour d’appel de Paris avait explicitement qualifié le préjudice écologique de
préjudice objectif et l’avait défini précisément en ces termes : « toute atteinte non négligeable à
l’environnement naturel, à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les
paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments qui est sans
répercussions sur un intérêt humain particulier mais qui affecte un intérêt collectif légitime ».
17 Cependant, comme l’indique le rapport précité du sénateur Alain ANZIANI « en droit, plusieurs
personnes entendues ont souligné que l’arrêt de la Cour de cassation méritait une consolidation
législative qui, seule, permettrait d’éviter d’éventuels errements ou contradictions de la
jurisprudence ».
En effet, la Cour de cassation n’a pas tiré toutes les conséquences de cette décision, en ordonnant
en quelque sorte la réparation d’un préjudice moral « second » des associations de protection de
l’environnement et des collectivités territoriales, évalué de manière identique à leurs préjudices
propres alors que le préjudice écologique pur présente un caractère objectif.
A partir de ces données et de ces réflexions, plusieurs options étaient offertes au groupe de
travail.
La première, retenue par la proposition de loi du sénateur Bruno RETAILLEAU, conduisait à ne
pas définir le préjudice écologique pur, en se limitant à en consacrer le caractère réparable.
La seconde consistait à reprendre les termes de la LRE mais cela aboutissait à une définition
inopportune, dès lors qu’elle était destinée à être intégrée dans le Code civil.
Le groupe de travail a donc considéré qu’il était nécessaire à la fois de préciser dans la loi le
contenu du préjudice écologique (1) et de mentionner une possible référence à la nomenclature
écologique (2).
1. PROPOSITION D’UNE DEFINITION GENERALE DU PREJUDICE ECOLOGIQUE
Le groupe de travail propose donc de définir le préjudice écologique comme celui qui résulte
d’une atteinte aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés
par l’homme de l’environnement et en excluant explicitement les préjudices individuels et certains
préjudices collectifs qui sont réparés selon les modalités du droit commun. La notion
d’écosystème est ici privilégiée car elle est, selon les écologues et les économistes, plus pertinente
que celle de milieu naturel.
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