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L I V R E S
À vrai dire.
Livre de l’après-pouvoir
Václav Havel
traduit du tchèque par Jan Rubes
Éd. l’Aube, Paris, 2007, 438 p., 24 €
L
E 3 FÉVRIER 2003, Václav Havel achève son mandat au Château de Prague: le dissident anti-totalitaire laisse la place au nouveau président de la
République tchèque, son rival Václav Klaus, élu à la
magistrature suprême avec des voix communistes.
Le départ de Havel met un terme à une période
dense de l’histoire tchécoslovaque et tchèque, que certains observateurs ont déjà qualifiée de postcommuniste.
Ce livre d’entretiens, peut-être le dernier – Havel est malade –, est curieusement
construit: les questions du journaliste Karel Hvízd’ala sont entrecoupées de notes prises
par Havel au cours de ses mandats présidentiels et de ses réflexions, couchées par écrit
durant un séjour à Washington en 2005.
Ouvrage composite, décousu; mais ouvrage construit qui, au fil des pages – et à
condition toutefois, pour le lecteur, de connaître quelque peu l’histoire tchécoslovaque
–, trouve un rythme de narration, un fil rouge qui relie les notes du président aux prises
avec les tracas quotidiens des réceptions et des discours au récit des années dissidentes et
présidentielles, prolongé par ses « réflexions américaines » de 2005.
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histoire & liberté
Havel balaie la totalité de sa vie publique et privée. De sa naissance en 1936 dans une
famille bourgeoise à la révolution de velours de décembre 1989 en passant par ses
séjours en prison, ses deux femmes, Olga puis Dosa, ses quinze années au Château de
Prague et, bien sûr, son œuvre de dramaturge et d’essayiste, l’auteur de La Fête en plein
air, interrogé par écrit par Hvízd’ala, avec lequel il avait rédigé Interrogatoire à distance
en 1986, brosse le portrait passionnant d’un président dont la tâche n’est pas seulement
de conduire une nation « capturée » par le communisme, mais également de bâtir un
État démocratique.
Le nouveau gouvernement qui succède à l’un des régimes communistes les plus durs
d’Europe de l’Est doit en effet établir une constitution démocratique (dont Havel
influence l’élaboration qui a eu lieu au château de Lány), composer un gouvernement provisoire, réconcilier les citoyens (les collabos et les victimes du régime) – Havel se défend, à
ce sujet, d’avoir « trop amnistié » en janvier 1990 –, conforter l’indépendance du pays sur
la scène internationale – d’où ses nombreux voyages à l’étranger –, « absorber » les cadres
communistes bientôt reconvertis à la démocratie libérale et au libre-échange. De manière
générale, Havel n’est pas tendre avec ses compatriotes: il relève à plusieurs reprises le petit
esprit plébéien des Tchèques. Ses discours du Nouvel An étaient souvent critiques à l’égard
de l’économie tchèque ou du racisme anti-tzigane qui anime parfois ses compatriotes.
Havel revient aussi longuement sur sa rivalité avec l’économiste conservateur Václav
Klaus, aujourd’hui président, et, à un degré moindre, sur ses relations avec l’ancien
Premier ministre social-démocrate Milos Zeman. De Klaus, Premier ministre
entre 1993 et 1997, chef du Parti civique démocratique (ODS), Havel ne pense rien de
flatteur: il constate sa haute idée de lui-même, son opportunisme méprisant, son goût
du pouvoir, son nationalisme tourné contre un regroupement centre-européen ou
l’Union européenne, mais il reconnaît sa valeur intellectuelle et ses compétences d’économiste. Il insiste sur la coresponsabilité de Klaus et du nationaliste slovaque Vladimir
Meciar dans la partition pacifique de la Tchécoslovaquie en 1992, qui provoqua sa
démission de la présidence tchécoslovaque, avant qu’il se présente et soit élu à celle de la
République tchèque en 1993. De Zeman, cet « économiste de showbiz » candidat lui
aussi à la succession en 2003, Havel souligne le caractère facétieux. Têtu, dénigreur, voire
méchant, Zeman n’en reste pas moins un excellent orateur dont les bons mots étaient
appréciés. L’atmosphère qui l’entourait n’était pas aussi étouffante qu’autour de Klaus.
Dès son entrée au Château, Havel reconnaît qu’il a été totalement absorbé par sa
tâche de président. Le temps lui manquait pour écrire des pièces de théâtre, la charge
présidentielle le contraignait à adopter un ton plus diplomatique qu’il ne le souhaitait. Il
remarque qu’il n’a pas, durant ses mandats, pris la mesure des transformations techniques (téléphonie, informatique, Internet) qui bouleversaient la planète. Il lui était tout
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simplement impossible de vivre comme tout le monde. Mais Havel a conscience également que le destin lui a offert la possibilité de participer aux grandes mutations du
monde de la période post-communiste.
De ce livre étrangement composé, se dégage néanmoins une impression de cohérence: l’homme, le dramaturge, le dissident et le président cohabitent dans la même
personne, s’abreuvent aux mêmes principes éthiques et concourent à l’élaboration
d’une même œuvre. Cet ouvrage est, en quelque sorte, le testament éthique du seul
intellectuel d’envergure devenu président en Europe.
Philippe Boulanger
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