4727522 - Le Mexique, nouvelle terre d`aeronautique
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4727522 - Le Mexique, nouvelle terre d`aeronautique
20/05/08 P. 9 Enquête LES INDUSTRIELS DU SECTEUR SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUX À DÉLOCALISER DANS LE PAYS Le Mexique, nouvelle terre d’aéronautique Le Mexique attire les investisseurs aéronautiques. C’est nouveau et le phénomène s’amplifie. Les industriels européens trouvent dans ce pays ancré dans la zone dollar un remède à la faiblesse du billet vert qui les empêche de rester compétitifs et rentables. Leurs concurrents américains s’y implantent également pour produire à moindre coût. BRUNO LANCESSEUR NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL. B ienvenue dans l’Etat du Querétaro. Là se retrouve, à quelque 200 kilomètres au nord-ouest de la capitale mexicaine le gotha de l’aéronautique mondiale. A commencer par Bombardier. L’avionneur québécois adélocalisé, en 2007, à Querétaro, la capitale de l’Etat, une partie de la fabrication des aérostructures desesjetsd’affaires Global Express. Un an auparavant, il avait déjà transféré au Mexique une production de pièces jusqu’alors réalisée à Wichita (Etats-Unis), au Japon et en Irlande. L’exemple a été suivi par la société espagnole Aeronnova, sous-traitante de Boeing, d’Airbus et d’Embraer, qui vient d’investir 85 millions de dollars dans un nouveau site à Querétaro. Les deux fabricants d’avions d’affaires américains Cessna et Hawker Beechcratf sont, eux, installés depuis 2006 dans le nord du pays, à Chihuahua, et l’équipementier Goodrich a retenu Mexicali pour y fabriquer des systèmes destinés au Boeing 787. Pour sa part, le français Safran (Snecma, Messier-Dowty…) est devenu le premier employeur aéronautique du pays avec plus de 3.500 salariés répartis entre deux sites,Querétaro et Chihuahua. « D’ici à trois ans, je veux doubler la production de Safran en zone dollar, tout simplement parce qu’à chaque fois que le dollar perd 1 cent, cela nous coûte 22 millions d’euros de résultat », justifie le président du directoire, Jean-Paul Herteman. Ce dernier a d’ailleurs inauguré vendredi dernier, à Querétaro, Snecma America Engine Services (Sames). Ce site, qui représente un investissement de 40 millions d’euros, assurera la maintenance des moteurs CFM 56-5 des Airbus A320, puis, dès 2009, celle des CFM 56-7B des Boeing 737. Contrainte monétaire Les avionneurs européens sont en effet aujourd’hui confrontés à la quasi-stabilité du prix de vente de leurs appareils, alors que le niveau du billet vert les menace de produire à marge zéro. La plupart d’entre eux n’ont donc d’autrechoixquedemigrer vers la zone dollar. « Le niveau de la devise américaine menacenotre rentabilité etnotre capacité à autofinancer la recherche et le développement », s’inquiète Charles Edelstenne,président duGroupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) et de Dassault Aviation. « Nous sommes désarmés » face à la baisse du dollar, ajoute-t-il. Dans ce contexte, « les délocalisations constituent une arme décisive et nous allons être contraints d’y avoir de plus en plus recours ». « Aujourd’hui, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’aller vers des pays en dollar ou à bas coûts », plaide-t-il. Avec un euro qui frôle 1,60 dollar, améliorer sa productivité et utiliser les couvertures dechangenesuffit plus.Dece fait, certaines entreprises, en particulier des PME plus vulnérables parce que mal préparées à ce genre de « coup de grisou » monétaire, pourraient bientôt faire faillite, s’alarme le Gifas. Les acteurs du secteur acquittent, en effet, une partie de leurs factures en euros et sont le plus souvent contraints de facturer leurs produits en dollars, devise de référence de la profession.L’impactdelamonnaieaméricaine sur les coûts de production des pièces aéronautiques n’est pas nouveau, il est vrai, mais aujourd’hui la situation est plus dure.« Lorsque, dans les années 1980, Airbus nous a subitement annoncé qu’il ne nous protégerait plus contre le risque dollar, nousavonsdûnous adapter,unefois de plus, même si cela n’a pas toujours été facile », rappelle Yves Leclère, directeur général adjoint de la branche équipements de Safran. Pressions sur les prix Le Mexique apporte opportunément des solutions à ces problèmes de change, et permet en outre de bénéficier de coûts de main-d’œuvre réduits. « Dans notre nouveau site mexicain, un ouvrier gagne 560 dollars par mois, et un ingénieur entre 925 et 1.390 dollars. Ce qui représente un taux horaire de 5,80 à 8,70 dollars. C’est-àdire un différentiel de l’ordre de 30 % par rapport aux coûts salariaux en Amérique du Nord », expliquait il y a peu un industriel au quotidien américain « USA Today ». L’écart, suivant les fonctions, atteindrait jusqu’à 40 % par rapport aux salaires pratiqués en Europe. D’où l’engouement des sous-traitants aéronautiques. La pression imposée sur les prix par Boeing et Airbus est si forte aujourd’hui que même des équipementiers américains délocalisent certaines fonctions au Mexique pour améliorer leur capacité concurrentielle. General Electric prévoit ainsi d’embaucher 600 ingénieurs supplémentaires dans son centre de design de Querétaro, qui emploie déjà 1.000 personnes. Quant à l’électronicien Honeywell, il a inauguré en 2006 un nouveau centre de tests, un investissement de 40 millions de dollars. « Nous devons générer de la productivité partout où cela est possible, nous n’avons pas le choix », affirme Yves Leclère. « Il faut certainement s’attendre à ce que les emplois spécialisés quittent l’Europe pour aller dans des pays “low cost” », estime un sous-traitant qui requiert l’anonymat. D’ailleurs, le mot « délocalisation » est souvent banni du vocabulaire des chefs d’entreprise, qui préfèrent parler de « désensibilisation » au dollar. Tous droits réservés − Les Echos − 2008 Du bon usage des délocalisations Stratégie. Que délocalise-t-on dans l’industrie aéronautique ? « D’abord les pièces élémentaires comme les pièces de structure métallique et les sous-ensembles simples de structure, dont la main-d’œuvre représente 20 % à25 % du coût ; les harnais et faisceaux, à l’image de Labinal en Afrique du Nord ; puis des systèmes plus complexes comme les portes d’un avion ; et jusqu’aux chaînes d’assemblage, telle celle que construit Airbus en Chine.Plutôtquedeparler de délocalisation,il vaudrait mieux utiliser le terme de construction d’unréseau industriel mondial proche des clients en forte expansion », indique Eric Bernardini, directeur général du cabinet de conseil en restructurations Alix Partners. « Même en matière de recherche et développement, ajoute-t-il, il faudrait raisonner non pas en voulant tout garder en Europe, mais plutôt en s’interrogeant sur la façon de tirer parti des compétences et de la compétitivité d’autres régions du monde, Inde, Chine, Etats-Unis », ainsi que l’ont fait GE Aerospace ou Honeywell. Les industriels de l’aéronautique souffrent de trois maux essentiels, assure Eric Bernardini : une capacité de production insuffisante alors que les carnets de commandes des avionneurs sont pleins jusqu’en 2012, des stocks de pièces trop importants et une productivité insuffisante. Afin d’éviter la disparition de nombre de sous-traitants, souvent pas assez capitalisés pour pouvoir continuer à se développer, le directeur général d’Alix Partners prône une accélération des regroupements. Car, estime-t-il, si les patrons de PME ne bougent pas, « ils risquent de disparaître lors des concentrations et rationalisations de la “supply chain” provoquées par les grands donneurs d’ordre ou d’être rachetés par des sociétés d’investissement, ce qui peut être une bonne alternative pour relancer leur compétitivité. Voire, de plus en plus, d’être rachetés par des investisseurs ou des sociétés de pays émergents comme l’Inde, la Chine, quand ce n’est pas par des fonds d’investissement du MoyenOrient ». Certaines PME l’ont déjà compris, et bâtissent des partenariats et des réseaux mondiaux. 500 km Mexicali ÉTATS-UNIS Chihuahua Golfe du Mexique Monterrey MEXIQUE Etat du Querétaro Querétaro ETATS-UNIS MEXIQUE Guadalajara Océan Pacifique Mexico Puebla BEL. GUAT. HOND. Coûts comparés du travail manufacturier En indice 11 113 Allemagne 10 00 100 Etats-Unis 91 Japon 12 Mexique 9 Russie Inde 5 Chine 3 idé / Source : AlixPartne AlixPartners / Photos : Siprotel Labinal, I. A. Montes Benitez A l’image de Labinal (groupe Safran), implanté à Chihuahua (photo de gauche), et de Snecma, qui compte 3.500 salariés dans le pays, notamment à Querétaro (photo de droite), nombre de constructeurs et sous-traitants aéronautiques choisissent le Mexique afin d’y bénéficier des faibles coûts de la main-d’œuvre tout en contrant l’« effet dollar ». PourcequiestduMexique,ses atouts ne sont pas que monétaires. Les industriels de l’aéronautique apprécient sa frontière commune avec les Etats-Unis et l’existence d’un accord commercial, le North American FreeTradeAgreement (Nafta), facilitant les échanges avec ce débouché clef pour eux. Le pays offre, en outre, un bon compromis territorial entre les marchés d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud, les coûts de transport de pièces détachées se révélant plus élevés lorsqu’elles proviennent de Chine, du Maroc ou d’Europe. Mexico joue le jeu Le gouvernement mexicain a d’ailleurs biencompris l’intérêt qu’ilavait àaccueillir sur son territoire les avionneurs et leurs équipementierspuisqu’en échangedefacilités administratives et fiscales ils génèrent des emplois nouveaux.C’estpourquoi,par exemple, il s’est engagé à donner une dimension internationale à l’aéroport de Querétaro afin de désengorger celui de Mexico City. Un investissement de 12 millions de dollars avec, en perspective, la création de 10.000 mètres carrés d’ateliers destinés à l’industrie aéronautique étrangère. Conscients de voir arriver sur leur territoire des industries à haute valeur ajoutée, les pouvoirs publics s’efforcent de leur faciliter la tâche. Ainsi, les accompagnentils en facilitant les créations de sites et en rationalisant les législations sur les exportations et les importations de matériels aéronautiques.Enseptembredernier, Mexico a signé un nouveau Bilateral Aviation Safety Agreement avec les Etats-Unis. Désormais, les autorités mexicaines sont autorisées à certifier les équipements aéronautiques au lieu d’avoir à les expédier de l’autre côté de la frontière pour qu’ils y reçoivent cet agrément. La proximité du Mexique avec leur grand voisin du Nord présente un autre avantage :lesEtats-Unisabritent plus dela moitié de laflottemondialed’avions régionaux. Flotte à laquelle l’une des filiales de Safran, Messier-Dowty, fournit ses trains d’atterrissage. Du coup, le groupe français envisage de créer un holding au Mexique qui contrôlera toutes ses activités dans le pays. Airbus s’interroge de son côté sur l’opportunité de s’y implanter. Dassault Aviation, qui possède de longue date un site aux Etats-Unis, dans l’Arkansas, pour l’aménagement intérieur de ses Falcon, cherche lui aussi à abaisser le prix de revient de son futur avion d’affaires. Largement mondialisés, Airbus et Boeingnesont pasétrangers àcetteaccélération des délocalisations. Près de 80 % de la productiondu dernier-né del’avionneur américain, leB787, est confié àdes fournisseurs japonais, italiens, français, américains, suédois… Ce qui complexifie un peu plus la chaîne de production du programme. Et Airbus suivra certainement son exemple avec le futur A350XWB, dont au moins 50 % de la production devrait être délocalisée. Un exemple qui fait des émules Une telle stratégie ne profite pas qu’au Mexique.Denombreuxautres pays entendent d’ailleurs se doter d’un pôle aéronautique pour attirer les investissements étrangers. Le Maroc, la République tchèque, la Chine, l’Inde ou encore le Brésilsontsurles rangs afin d’accueillirdes acteurs européens et nord-américains. Il en va de même pour les Emirats arabes unis et l’Argentine, qui entretiennent également des projetstantcivils quemilitaires. Certains patrons hésitent encore à sauterlepasàcausedesrisquesliésaumanque de scrupules decertains paysen matière de propriété industrielle. Autre préoccupation récurrente : les coûts inhérents aux problèmes de qualité ou au turnover souvent élevé des employés. C’est une réalité inévitable au démarrage d’une activité industrielledans une régionàbas coûts,sur laquelleonferme lesyeuxcompte tenu des gains espérés. Le directeur général du cabinet de conseil en restructurations Alix Partners rappelle que « le différentiel pour un industriel estd’au moins 25 %netquand il délocalise hors d’Europe ». Et les risques sur l’emploi dans l’Hexagone ? Olivier Andries, directeur général adjoint du groupe Safran, en charge de la stratégie, tranche la question : « Avoir créé 15.000 emplois dans ces pays nous a permis d’être très compétitif et de préserver nos 40.000 emplois en France. » Le Maroc, une destination « naturelle » pour les constructeurs français Langue. De l’autre côté de la Méditerranée, le Maroc fait figure de partenaire naturel aux yeux de nombreux équipementiers et sous-traitants aéronautiques français en quête de coûts de production compétitifs. Comme le Québec dans les années 1990, il bénéficie de quelques atouts clefs pour attirer les investissements hexagonaux et, en premier lieu, la langue française, utilisée dans tous les milieux d’affaires et politiques. De l’avis des patrons de PME, c’est un argument de poids dans le choix de la destination lorsqu’il faut se délocaliser. Depuis quelques années déjà, des entreprises tricolores (Labinal, Daher, Souriau…) sont implantées soit à Casablanca, soit à Tanger, qui joue la concurrence en offrant tous les atouts d’une zone franche. Le groupe Safran, à travers ses filiales, est aujourd’hui le premier employeur du secteur aéronautique dans le pays avec 1.700 personnes et prévoit d’en embaucher 1.000 autres à court terme. Le royaume chérifien fait valoir ses avantages en termes de coût de maind’œuvre, mais ne veut pas être reconnu seulement pour cela. Il a aussi l’ambition de créer des pôles industriels durables pour le secteur aéronautique et de la défense. En début d’année, s’est même tenu à Marrakech le premier Salon aéronautique, Aeroexpo, destiné à célébrer des années d’efforts pour accueillir des fournisseurs de l’industrie aéronautique civile et militaire. D’ailleurs, il s’en est fallu de peu que l’armée de l’air marocaine n’achète des Rafale en lieu et place des F-16 américains. Un contrat qui aurait fait du Maroc le premier client à l’export pour l’appareil de Dassault Aviation et aurait certainement accéléré le développement des coopérations entre les Français et les Marocains dans ce secteur.