Enrichir en variant les progressions, soutien et approfondissement

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Enrichir en variant les progressions, soutien et approfondissement
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Le fait islamique : Les premiers siècles de l’histoire de l’islam, Mohsen Ismail, 2005
Approfondissements
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Document 1
La charte de MEDINE
Au nom de Dieu, le Compatissant, le Miséricordieux.
1- Voici ce qu’a prescrit le Prophète Muhammad aux croyants et aux musulmans d’entre les Qurayshîtes
et les Yathrébîtes et à ceux qui les ont suivis puis se sont joints à eux et ont combattu avec eux.
2- Ceux-là forment une seule et même communauté, en dehors du reste des hommes.
3- Les émigrés Qurayshîtes, comme de règle chez eux, se cotiseront pour acquitter le prix du sang et
paieront en toute bienfaisance et en toute justice, parmi les Croyants, la rançon de leurs prisonniers.
4- Les Banû ‘Awf, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par le passé et
chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
5- De même, les Banû el-Hârith, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par le
passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
6- De même, les Banû Sâ‘da, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par le
passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
7- De même, les Banû Jushan, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par le
passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
8- De même, les Banû En Najjâr, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par
le passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
9- De même, les Banû ‘Amr Ben ‘Awf, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que
par le passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son
prisonnier.
10- De même, les Banû al-Nabît, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par
le passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
11- De même, les Banû al-Aws, comme de règle chez eux, se cotiseront de la même manière que par le
passé et chaque collectivité paiera, en toute bienfaisance et toute justice la rançon de son prisonnier.
12- Les croyants ne laisseront aucun des leurs sous la charge de lourdes obligations sans acquitter pour
lui, en toute bienfaisance, soit la rançon, soit le prix du sang. Aucun croyant n’ira à l’encontre du mawlâ
(client) d’un autre croyant.
13- Les croyants pieux devront se mettre contre celui d’entre eux qui aura commis une violence, un
crime ou encore une transgression de droit ou une perturbation quelconque parmi les Croyants. Et les
mains de tous se lèveront contre celui-là, fut-il fils de l’un d’eux.
14- Nul croyant ne devra, à cause d’un mécréant, tuer un autre croyant ni soutenir un mécréant contre
un croyant.
15- La garantie de Dieu étant une, la protection accordée par le plus humble d’entre les croyants devra
valoir auprès de tous, car les croyants sont mawlâs les uns des autres en dehors des autres hommes.
16- Ceux des juifs qui se rallieront à nous auront droit à notre aide et nos soins, sans qu’ils soient
opprimés, ni qu’il soit porté secours à quiconque contre eux.
17- La paix parmi les croyants étant une, nul croyant ne devra, dans un combat engagé pour la cause de
Dieu, conclure, en dehors d’autres croyants, une paix qui ne soit basée sur l’égalité et la justice entre
croyants.
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1
Document 2
Le statut du Coran
Au-delà des croyances qui changent de nature et des mythes qui se recréent en migrant d’un terrain sur
un autre, les sites sacrés semblent garder intacte ce que l’on peut considérer comme leur fonctionnalité
profonde. C’est en partant de cette proposition que l’on peut tenter de s’interroger sur le statut du Coran.
Ce livre sacré se caractérise par l’abondance visible des apports extérieurs qui le construisent. Ces
apports ont été reconnus comme étant essentiellement d’origine “ biblique ”. Il en est depuis longtemps
retenu l’attention en milieu non musulman. Même en dehors d’un contexte polémique, ils ont parfois
tendu à faire passer le Coran pour une mauvaise copie de l’Ancien Testament. On n’a guère aperçu que
raisonner ainsi conduit à une impasse. Fixée sur une origine, l’analyse ne parvient plus à s’interroger sur
ce qui importe bien davantage, la valeur d’usage de ces emprunts dans les sociétés musulmanes ellesmêmes, aussi abondant soient-ils. Représentés en fonction de l’origine invoquée, les éléments de texte
considérés ne sont plus regardés que par rapport à la source dont on les fait dépendre. L’analyse en
vient dès lors à accorder à cette source une sorte de primat mythique. Elle apparaît comme porteuse
d’élection du fait de la primogéniture qui lui est reconnue. Toute valeur réelle, toute originalité sont
déniées à ce que l’on considère comme un texte second. La religion qui se construit à partir d’un tel
substrat est vue comme tombante, fût-ce symboliquement, sous le pouvoir de celles auxquelles se
rattache le texte sacré déclaré primordial. La pensée occidentale n’en a pas fini aujourd’hui, même sur le
terrain scientifique, de se défaire de certains des grands mythes qui fondent son regard sur elle-même
depuis environ deux siècles, invoquant la perfection de ses origines de la philosophie grecque à
l’héritage judéo-chrétien. Ces domaines de représentations sont aussi d’une certaine façon des
domaines de croyance. Il y aurait lieu de leur appliquer un travail aussi critique que celui que nous ne
laissons pas de mettre en œuvre lorsqu’il est question de la pensée des autres.
Jacqueline CHABBI, Les seigneurs des tribus : L’islam de Mahomet, Paris, Editions Noêsis, 1997, pp.
57-58.
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Document 3
L’Homme face au Coran
Parler d’une méthodologie de l’exégèse coranique ne se limite pas à notre idée à l’aspect intellectuel
épistémologique, mais c’est bien le point de jonction avec la question de la foi et de la piété en sciences
islamiques. Le fait est qu’une méthodologie subordonne le texte coranique à un objectif de déduction de
codifications juridiques et dogmatiques, conduisant le croyant à se confirmer dans son rapport au texte
et domaine strictement utilitaire. De ce fait, le rapport au Coran ne va pas au-delà d’une mise en
application docile du sens apparent du texte en fonction des nécessités juridiques et dogmatiques qu’il
convient de satisfaire. Le plus dangereux est que cette relation au Coran engendre un état d’esprit
utilitariste vis-à-vis du texte; elle induit chez le musulman une foi “ étroite ”; il ne voit dans son rapport au
Coran que l’esprit utilitaire et superficiel. La particularité d’une foi générée dans la matrice de cette
mentalité est qu’elle se fonde sur la quiétude et la répétition, méconnaissant l’hésitation du croyant et
ses interrogations, et son aspiration à un cheminement spirituel. De ce fait, la dynamique de la foi
s’arrête au seuil des nécessités premières et superficielles, le reste n’étant que des tentations qu’il
conviendrait de réprimer. La foi se focalise alors sur ce qui est assuré et sur la quiétude de la répétition,
ce qui ne peut aboutir en cas de crise qu’à deux choses : l’indifférence ou la violence. L’indifférence
chez celui que la faiblesse de ses convictions a rendu incapable de tout effort. Quant à la violence, elle
est le fait de celui qui s’imagine que le sommet de la piété réside dans l’obstination à défendre la
littéralité des préceptes et la forme des liens établis, quel que soit la façon dont s’exerce cette entreprise
de sauvegarde.
L’autre méthodologie, étant donné qu’elle est critique et historique, peut restituer à la révélation la vitalité
de sa langue, de ses symboles et de sa vigueur spirituelle et intellectuelle. Il est probable que s’ouvrira
alors un espace pour un autre style de foi, fondée sur une certitude qui reste ouverte au
questionnement, fière de l’ampleur n’apporte au croyant qu’un surcroît d’humilité et d’ouverture à l’autre,
quelles que soient ses références. Cette méthodologie qui a commencé à émerger à l’époque moderne
à la faveur d’évolutions lentes dans la pensée islamique et du fait de l’influence des sciences humaines
et sociales, des questions qu’elles posent, de ce qu’elles poussent à engager comme changements qui
par plus d’un indice montrent leur force créatrice, peut-être est-ce méthodologique à laquelle a fait
allusion un mystique marocain contemporain en une expression concise : La révélation progressive du
Coran est achevée en tant que texte, mais pas en tant que sens.
H’mida ENNAIFER, Les commentaires coraniques contemporains. Analyse de leur méthodologie.
Rome, Éditions Pontificio Instituto di Studi Arabi e d’Islamistica (P.I.S.A.I.), 1998, pp. 104-105.
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Document 4
Les mathématiques “ arabes ”, de la traduction à l’innovation
On peut multiplier les exemples qui, tous manifestent la liaison étroite entre la traduction, d’une part, la
recherche et l’innovation, de l’autre. Manquer cet aspect, c’est s’interdire de comprendre les propriétés
de cette traduction, ainsi que la diffusion du savoir traduit et les voies et les raisons des innovations.
En un mot, la traduction représente un grand moment d’expansion en arabe des mathématiques
hellénistiques. Or, c’est précisément à cette période, et dans ce milieu, celui de l’Académie (maison de
la Sagesse) de Bagdad, qu’Al-Khawârizmî rédige un livre dont le sujet, aussi bien que le style, sont
nouveaux. Dans ces pages, on voit pour la première fois l’algèbre comme discipline mathématique,
distincte et indépendante, tant pour le style de cette mathématique que pour l’ontologie de son objet, et,
surtout, la richesse des possibilités qu’elle offrait désormais. Le style, en effet, est à la fois algorithmique
et démonstratif. Il a, en outre, fallu concevoir un être mathématique suffisamment général pour recevoir
des déterminations de genres différents, mais doué, d’autre part, d’une existence indépendante de ses
propres déterminations. Chez al-Khawârizmî déjà (environ 830), l’objet algébrique renvoie aussi bien à
un nombre rationnel qu’à une quantité irrationnelle ou à une grandeur géométrique. La science ellemême, l’algèbre, doit être à la fois apodictique et appliquée. Or cette nouvelle ontologie, ainsi que la
combinaison des deux démarches, démonstrative et appliquée, ont frappé les philosophes de l’époque.
Sans nous étendre sur ces aspects, observons simplement que d’ores et déjà, avec cette algèbre, on
entrevoit l’immense potentialité dont disposeront les mathématiques à partir du IX ème siècle :
l’application des disciplines mathématiques les unes aux autres. En d’autres termes, si l’algèbre, en
raison de la généralité de son objet et de la nouvelle ontologie ainsi introduite, a rendu possible ces
applications, celles-ci à leur tour, par leur nombre et la diversité de leur nature, ne cesseront de modifier
la configuration des mathématiques après le IXème siècle.
Les successeurs d’al-Khawârizmî entreprennent progressivement l’application de l’arithmétique à
l’algèbre, de l’algèbre à l’arithmétique, de l’une et de l’autre à la trigonométrie, de l’algèbre à la théorie
euclidienne des applications furent toujours les actes fondateurs de nouvelles disciplines, ou tout au
moins de nouveaux chapitres. C’est ainsi que se constitueront l’algèbre des polynômes, l’analyse
combinatoire, l’analyse numérique, les résolutions numériques des équations, la nouvelle théorie
élémentaire des nombres, la construction géométrique des équations. A cela, nous devrions ajouter
d’autres conséquences, telle la séparation de l’analyse diophantienne rationnelle, devenue un chapitre à
part entière de l’algèbre sous le titre de l’ “ analyse indéterminée ”.
De telles applications expriment en réalité la double dialectique qui domine toute la production
mathématique au Xème siècle et au cours des sept siècles suivants : la dialectique entre l’algèbre et
l’arithmétique, et la dialectique entre l’algèbre et la géométrie. C’est dire que, pour comprendre la
majeure partie de l’activité mathématique pendant sept siècle au moins, il faut saisir le rôle capital de la
science nouvelle, l’algèbre, dans la naissance de cette dialectique, et ainsi se placer au cœur de ce
mouvement de réorganisation et de restructuration de ces disciplines l’une par l’autre.
Roshdi RASHED, Optique et mathématiques. Recherches sur l’histoire de la pensée scientifique en
arabe, Hampshire G.B, 1992, Variorum, pp. 351-352.
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Document 5
L’influence des mathématiques des pays islamiques
sur la science d’Europe occidentale
L’Espagne surtout devait jouer un rôle extrêmement important dans l’histoire de la culture. C’est dans ce
pays que se développèrent en particulier les contacts culturels et scientifiques entre pays islamiques et
pays chrétiens d’Europe. C’est dans les territoires espagnols libérés du joug musulman que s’installèrent
un grand nombre de savants de différents pays d’Europe pour apprendre les mathématiques, les
sciences naturelles et la philosophie. Au XIIème siècle, l’activité des traducteurs et des compilateurs des
ouvrages arabes ou traduits du grec en arabe était florissante.
Au-delà des frontières espagnoles (en Sicile, par exemple), les savants européens continuèrent à
étudier la science arabe longtemps encore après le XIIème siècle. La connaissance des ouvrages d’Abû
Kâmil, par exemple, constitua la base sur laquelle se développèrent les recherches mathématiques de
Léonardo Fibonacci de Pise dans le domaine de l’arithmétique, de la géométrie et de l’algèbre. De
même les travaux de trigonométrie de Regiomontanus reposent sur ceux d’al-Farjânî et d’al-Battânî.
Les mathématiciens des pays islamiques exercèrent une influence féconde sur le développement de la
science en Europe et l’enrichirent aussi bien de leurs propres découvertes que de celles qu’ils avaient
héritées des Grecs, des Indiens, des Syriens, des babyloniens, etc. Les savants européens du Moyen
Âge purent ainsi disposer de bases solides qui les dispensèrent de refaire à nouveau le chemin
parcouru par leurs devanciers. Les mathématiciens d’Europe ont pu, sans trop de difficultés, assimiler
complètement les ouvrages des savants d’Orient et en poursuivre le développement puisqu’ils devaient
se heurter aux mêmes problèmes que ceux qui s’étaient posés aux savants de l’Islam. Il leur fallait
apprendre ou créer les algorithmes de mesure et de calcul fondamentaux dans le domaine de
l’arithmétique, de la géométrie, de l’algèbre et de trigonométrie.
Adolf P. YOUSCHKEVITCH, Les mathématiques arabes (VIIIème - Xvème siècle), Traduction française
de M. Cazenave et K. Jaouiche, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1976, pp. 163- 164.
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Document 6
Comment on gouverne des plantations ?
[...] Il faut, quand on plante un arbre, ne pas négliger, pour quelque motif que ce soit, de lui donner de
l’eau à quelque distance du pied, quand c’est dans un terrain élevé, non arrosé; pour celui qui l’est, on
donne une irrigation abondante tant au pied qu’à distance, afin que la terre végétale dissoute puisse
s’applique à la tige du jeune arbre de façon qu’il n’existe aucun interstice par lequel l’air (desséchant)
puisse s’introduire. On laisse ensuite les choses en tel état jusqu’à la mi-mars, alors on nettoie le terrain
à l’entoure de ce qui est bien repris et l’on enlève les mauvaises herbes qui auraient pu pousser; on
donne un binage (ou serfouissage) léger et superficiel en ramenant au pied du jeune plant de la terre
meuble. Les sujets plantés en automne et dont la reprise est assurée doivent être cultivés au pied quatre
fois, en laissant un intervalle de vingt nuits, entre chacun des deux labours qui seront d’un empan (0,231
m) de profondeur. Quant à ce qui aura été planté plus tard, on ne donnera de culture qu’après que la
reprise sera bien assurée et que déjà l’arbre sera enraciné. Prenez bien garde, en cultivant, de couper
quelques racines, ce qui affaiblirait le sujet et surtout l’olivier et les autres arbres qui, comme lui, ont
leurs racines près de la surface; il faut leur donner un labour au crochet ou avec tout autre instrument
analogue, jusqu’à ce que les racines aient acquis assez de force et n’aient plus à craindre d’être
coupées par l’instrument; on donne alors une culture plus profonde avec la pioche ou la bêche. Quand
on veut que le jeune plant donne des pousses dans l’année même, il faut au mois d’août enlever une
petite portion d’écorce au-dessus de la surface du sol; si l’arbre se trouve dans une condition chaude et
bonne, il poussera (comme on le désire); si on ne pratique point cette décoration, on ne le verra pousser
que la seconde année, au mois d’avril environ. Ces pousses qui se montrent au pied et le long de la tige,
doivent être enlevées à la main (par le pincement) et non avec l’instrument tranchant, on ne laissant au
sommet que ce qui est nécessaire pour y appeler la force qui s’accumule à l’extrémité des rameaux. Il
ne faut point porter l’instrument tranchant en fer sur l’arbre défectueux avant deux ans au moins, parce
que ce serait nuisible pour l’arbre et que cela le rendrait languissant. J’ai vu, dit l’auteur, de mes propres
yeux, sur un olivier sur lequel on avait pratiqué un retranchement de branches avant qu’il eût donné du
fruit : tout ce qui avait atteint par le fer fut brûlé, et l’arbre se flétrit et mourut. Cet accident est surtout à
craindre pour le jeune sujet replanté, dans sa première année.
Ibn Al ‘Awwâm (à Séville dans la deuxième moitié du douzième siècle), Kitâb al-Filâha, Le livre de
l’agriculture. Traduction de l’arabe de J.J. Clément-Mullet, revue et corrigée par Mohammed EL FAÏZ,
Paris, Actes Sud/ Sindbad, 2000, pp. 190-191.
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Document 7
L’éducation musicale
Nous avons expliqué comment l’art de la musique peut naître sous la forme d’une disposition naturelle,
se développer et évoluer jusqu’à son parfait épanouissement. Nous allons montrer maintenant comment,
au moyen de l’étude, on acquiert un talent musical.
Les différentes parties de l’art musical pratique s’acquièrent par l’étude. Le débutant cherchera tout
d’abord à imiter les mouvements que fait un artiste accompli pour produire les mélodies sous une forme
sensible. Il s’efforcera de reproduire ce qu’il voit et ce qu’il entend. Quand il aura pu retenir la musique
qu’il aura entendue, quand il aura pu la graver dans son imagination, quand enfin il aura acquis une
certaine capacité lui permettant de la reproduire, il se dispensera alors d’un modèle. Lorsqu’il aura
franchi cette étape, il exercera à la vitesse jusqu’à ce qu’il devienne capable de jouer n’importe quoi
avec dextérité et sans effort; il sera alors un musicien accompli, ou encore il aura simplement atteint un
degré de talent que ses aptitudes naturelles ne lui permettent pas de dépasser. L’élève n’arrive à retenir
une composition musicale, à se la figurer et la fixer dans son imagination qu’après une longue
expérience. C’est pourquoi l’idée musicale ne va pas sans une certaine disposition à la réaliser en acte.
Quand il s’agit d’apprendre à composer, il faut entendre beaucoup de musique de divers genres; une
longue expérience, et des études suivies sont aussi nécessaires. Il faudra ensuite pouvoir comparer ces
divers genres entre eux, analyser les mélodies, et se rendre compte de l’effet produit par chaque note.
Ces études seront poursuivies jusqu’à ce que le musicien soit en mesure de composer des mélodies en
s’inspirant de celles qu’il a apprises. C’est là, du reste, la méthode que l’on emploie dans d’autres arts,
tel que la rhétorique et la littérature.
Al-Fârâbî (872-950), Kitâb al-Mûsîqâ al-Kabîr, Grand traîté de la musique, traduction française par
Baron. Rodolphe D’Erlanger, Paris, Librairie Orientaliste Paul Geutner, 1930, pp. 23-24.
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Document 8
De l’amour et des amants
Le secret replié
La dissimulation du langage est un des traits de l’amour. L’amant, quand on l’interroge, nie et se
compose une apparence sereine. A le voir, il est réservé et détaché. Mais ce qu’il dédaigne est
seulement enfui dans son secret; la peine d’amour brûle comme braise sous ses côtes. Elle éclate au
jour dans les gestes et le regard, elle y rampe comme la flamme sur le charbon, comme l’eau sur l’argile.
Il est possible qu’au début de l’affaire, un observateur d’une sensibilité un peu fruste y soit foulé; plus
tard, quand la souveraineté de l’amour est bien établie, c’est impossible.
Ce qui pousse souvent l’amant à la dissimulation, c’est qu’il veut se garder de porter public la marque de
l’amour, dont il croit qu’elle qualifie les esprits vains. Il la fuit et se débat. C’est une erreur. Un Musulman
doit s’abstenir de ce que Dieu Tout-Puissant a interdit, et qui relève des propres choix, dont on lui
demandera compte le Jour de la Résurrection. Quant à trouver beau ce qui l’est, quant à succomber à
l’amour, c’est une loi de la nature. La religion ne le prescrit ni le défend, s’il est vrai que les âmes sont
dans la main de Celui qui les anime. Leur seul devoir est de savoir et de considérer où se trouve la
frontière entre le vide de l’erreur et la cible de la vérité, et de nouer de certitude au vrai. L’amour
appartient à la Création; les hommes, eux, ne sont maîtres que de leurs corps et de leurs gestes, parce
qu’ils ont appris à les régler. J’écris :
Ils ignorent l’amour, me blâme de t’aimer;
Mais injure ou silence, tout cela m’est égal.
“ Tu abandonnes, me dit-on, toute réserve,
Toi savant dans la Loi, et toujours en prière! ”
Je leur réponds : Vraiment, tous ces mots sonnent faux.
Un homme tel que moi bannit les doubles faces.
Quand Muhammad a-t-il interdit la passion?
Est-elle clairement défendue dans le Livre?
Si je ne commets pas l’interdit qui fait craindre
Un visage confus au Jour du Jugement,
Je n’ai cure des mots qui blâment mon amour,
Quels qu’ils soient, sur ma vie, ouverts ou chuchotés.
Un homme n’est lié vraiment que par ses choix;
Va-t-on le critiquer pour tous les mots qu’il tait
Ibn Hazm al-Andalussî (994-1064), Tawq al-Hamâma fî-l-ulfa wa-l-ullâf, Collier de la colombe sur
l’amour et les amants, Traduit de l’arabe, présenté et annoté par Gabriel Martinez-Gros, Paris, Éditions
Sindbad, 1992, pp. 77-78.
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Document 9
Les croisades vues par un Chroniquer musulman,
La prise de Jérusalem par les Francs
[...]En cette même année vers la fin du mois de rajab (juin), les Francs se sont dirigés vers Jérusalem.
Tout au long de leur chemin, les gens s’enfuyaient d’eux et quittaient leurs demeures. C’était au
commencement de la moisson que les Francs ont envahi al-Ramlah et s’en sont rendus maîtres avant
de marcher sur Jérusalem. Après avoir élevé une tour du côté des murailles de cette ville, ils ont
combattu ses habitants et les ont mis à mal.
Tout en prenant connaissance du départ d’al-Afdhal venant d’Egypte à la tête d’une puissante armée en
vue de les combattre, de les défaire et donc pour secourir la ville et la protéger, les Francs se sont
acharnés dans leur combat. Ils ont poursuivi la bataille tout au long de la journée avant de se retirer et
de la reprendre le lendemain. Or, au couché du soleil, lorsque les musulmans sont descendu du haut
des remparts, les Francs y ont pris pied après avoir escaladé la tour, ce qui a conduit à la fuite des
assiégés. A ce moment-là, ils ont attaqué la ville et se la sont soumise. Enormes ont été les pertes
humaines, de sorte que certains habitants ont cherché refuge dans le sanctuaire; quant aux juifs on les a
brulés vifs lorsqu’ils ont mis à feu l’église dans laquelle on les a rassemblés. Les Francs ont également
détruit les monuments des saints et la tombe d’Abraham. Le 22 sha‘bân (15 juillet) de cette année, le
sanctuaire leur a été livré sans coup férir. Lorsque al-Afdal et son armée sont arrivés, c’était déjà trop
tard!
Le 14 ramadan (7 août) et après avoir été rejoint par l’armée des villes côtières, al-Afdal a établi son
camp à l’extérieure de la ville d’Ascalon espérant l’arrivée des renforts par mer. Mais l’armée franque
s’est élancée sur lui. Devant cette attaque massive, l’armée égyptienne s’est trouvée dans l’obligation de
se retirer pour entrer dans la ville d’Ascalon. C’est là où l’efficacité des sabres des Francs était telle que
les musulmans étaient battus à plate couture. La tuerie n’a épargné ni les fantassins, ni les volontaires,
ni les habitants de la ville. Dix milles âmes environ ont péri et le camp était pillé. Ce à la suite de quoi, alAfdal a rebroussé chemins avec ses proches vers l’Egypte.
Abû Ya ‘lâ Hamza IBN AL-QALÂNISSÎ (1073-1160), Dhayl Târîkh Dimashq (Appendice de l’Histoire de
Damas), Beyrouth, Imprimerie des Pères Jésuites, 1907, pp. 136-137.
Texte traduit de l’arabe par, Mohsen ISMAIL, publié dans Historia N° 630, Paris, juin 1999, pp. 50- -51.
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Document 10
AU DELÀ DES CIEUX
La demeure du philosophe allemand Nietzsche
Partout, l’Être est en lutte avec le non-Être, et nul ne connaît le secret de cette voûte tournante. Partout
la mort porte le message de la vie. Oh! Heureux l’homme qui sait ce que c’est que la mort. Partout la vie
est à bon marché comme le vent, elle est instable, mais est en quête de stabilité! Mes yeux ont vu cent
mondes éphémères, jusqu’à ce que mon regard parvienne aux confins de la création. Dans chaque
monde, j’ai vu une autre lune et d’autres Pléiades, d’autre coutumes, d’autres formes de vie! Le temps,
dans chacun de ces mondes, s’écoulait comme un flot, ici lent, là plus rapide : en un lieu notre année
équivalait à un mois, dans un autre, à un instant; ce qui était beaucoup en un monde était peu dans un
autre. Notre esprit, dans un monde, était plein de talents, dans autre monde, humble et méprisé!
Aux confins de ce monde contingent, se trouvait un homme à la voix pleine de passion : son regard était
plus perçant que celui de l’aigle, son visage trahissait la passion qui embrasait son cœur. A chaque
instant augmentait la fièvre dans son sein, et il avait sur les lèvres un vers qu’il répétait sans cesse : “ Ni
Gabriel, ni paradis, ni dieu, seulement une poignée de terre brûlée du désir du cœur! ”
Je dis à Rûmî1: “ Qui est ce fou? ” Il répondit : “ C’est un sage allemand. Il tient entre deux mondes; le
chant de la flûte est un chant antique. Cet Hallâj2 sans corde et sans gibet redisait de nouveau et
différemment des paroles anciennes. Ses paroles étaient audacieuses et ses pensée élevées; les
Occidentaux furent coupés en deux par le glaive de ses discours! Il ne trouva aucun compagnon dans
ses extases : il était ivre de Dieu, on le prit pour un fou! Les intellectuels ne connaissent rien à l’amour et
à l’ivresse : ils le remirent aux mains des médecins. Chez ces derniers, il n’y a que fraude et
qu’hypocrisie : malheur à l’homme ivre de Dieu qui naît en Europe! Avicenne ne tient compte que des
traitements donnés dans les livres : on te perce une veine ou bien l’on te donne une pilule somnifère.
Niezsche fut un Hallâj étranger à sa propre patrie; il échappa aux mollahs, mais les médecins le tuèrent!
Il n’y avait pas en Europe d’homme connaissant la Voie mystique; or, sa mélodie était trop puissante
pour les cordes de son luth. Personne n’indiqua le chemin à ce voyageur, et cent accidents lui arrivèrent
en cours de route. Il était une monnaie, et personne n’en fit l’essai; il était un théoricien de l’action, et
personne n’en fit un homme d’action. Un amant qui se perd dans ses propres soupirs, un voyageur qui
s’égare sur son propre chemin! Son ivresse brisa tous les flacons, il s’arracha de Dieu et à la fin de luimême. Il voulait percevoir avec son œil extérieur l’union de la Beauté et de la Puissance. Il voulait que
jaillît de l’eau et de la terre ce fruit qui ne peut être produit que par le cœur seul. Ce qu’il cherchait, c’est
le degré de la Majesté divine, et ce niveau est au delà de la raison et de la sagesse. La vie est le
commentaire des mystères du “ Soi ”
Mohammad IQBÂL (1877- 1938), Le Livre de l’éternité, Traduit par Eva MEYEROVITCH et Dr
Mohammad MOKRI, Paris, éditions ALBIN MICHEL, 1962, pp. 119-121.
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Rûmî : Jalâl al-dîn al-Rûmî (1207- 1273), est le plus grand poète mystique de langue persane. Dans ses poèmes, il
explique le mysticisme à la lumière de sa propre expérience et exprime un amour universel. Musulman convaincu, il affirme la
validité de toutes les religions.
2
Hallâj : Hussein ibn Mansûr al-Hallâj (857-922), mystique musulman accusé de panthéisme, il est excommunié par les
autorités religieuses et politiques. C’est sa revendication publique “ je suis la Vérité ” qui a fourni le prétexte à sa
condamnation à mort.
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