LA VULGARISATION DES SAVOIRS SCIENTIFIQUES - esad

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LA VULGARISATION DES SAVOIRS SCIENTIFIQUES - esad
la vulgarisation
des savoirs scientifiques
à l’ère de la révolution
numérique et ses dispositifs
de monstration
Camille Chatelaine
Pré-mémoire, semaine 23
ÉSAD Valence 2013
Sommaire
• Introduction — 5
• La vulgarisation scientifique — 7
Définition (vulgarisation/pédagogie/popularisation/éducation)
Pour qui, pour quoi ?
Transmission et vulgarisation au XIXe siècle
• La révolution numérique — 9
• L’imagerie comme récit — 9
Peut-on considérer les images comme des récits ?
(quel langage ? adaptation au public ?)
Quelles histoires ces images nous racontent-elles ?
(à travers l’histoire, ses outils de fabrication)
Comment diffusent-elles les savoirs ?
(ses médias, ses moyens de diffusion)
Conditionnent-elles notre rapport à la science ?
• Le cas de l’astronomie — 11
Étude précise des moyens de diffusion
et de fabrication des images de notre monde
La lune VS les trous noirs : étude de fabrication des images
• Entrevue — 21
Sébastien Fontaine, médiateur scientifique
au Palais de la découverte
• Notes de lecture — 23
• Temps X : étude d’une émission de vulgarisation des années 80 — 29
• Bibliographie — 31
Introduction
Mon défi pour le DNAT résidait dans la découverte d’une science
que je n’ai jamais maîtrisé : les mathématiques. Tout commence par
l’affect. Séduite par une iconographie que j’avais compilé lors d’un stage
sur la suite de Fibonacci, j’avais tenté d’appréhender la tension qui résidait dans ces images. Il est facile de comprendre pourquoi nous pouvons
les trouver séduisantes, leur beauté est immédiate et est le résultat d’une
construction esthétique qui dépasse l’entendement des hommes. Mais dès
lors que l’on s’intéressait à leur structure, je découvrais un autre monde,
celui des algorithmes, des théorèmes et d’un jargon que j’avais abandonné
quelques années auparavant. Mes recherches m’ont permis de comprendre très tôt que l’on pouvait jouir d’une compréhension, même partielle des mathématiques sans en devenir expert, et c’est la mission que je
m’étais donné pour ce diplôme : rendre accessible une beauté mathématique, un plaisir méconnu à un public non averti, et peut-être traumatisé
comme moi par les souvenirs scolaires. C’est une excursion que j’ai proposé, autour de récits mathématiques, pour tenter de convaincre un auditoire réfractaire au plaisir scientifique. Cette tentative de poétisation me
permettait d’établir un autre langage. Ainsi, à travers les images mises en
œuvre, j’ai tenté de recomposer un nouveau discours.
Séduction, plaisir, affect. Un champ lexical qui semble pourtant bien
loin de la réalité scientifique : vérité, impartialité, exactitude.
Comment on vulgarise les savoirs scientifiques depuis l’explosion
d’internet? Est ce que le numérique et sa production des images a changé
le rapport à la science ? Quels dispositifs de vulgarisation ?
5
La vulgarisation scientifique
Définition
Vulgarisation : Acte de transmettre des connaissances de façon pédagogique pour donner accès au savoir à un public large.
Pédagogie : L’art d’éduquer. Méthode d’enseignement qui transmet un
savoir, une pratique, un savoir-faire.
Popularisation : Rendre populaire, faire connaître au plus grand nombre.
Éducation : Signifie étymologiquement « guider hors de ». Apprentissage
et développement des facultés physiques, psychiques et intellectuelles.
Il me semble important de conserver le terme « vulgarisation » pour
définir le processus de transmission. Vulgariser provient du latin vulgaris
et signifie « répandre en mettant à la portée du grand public ». Il possède
aussi un sens péjoratif, qui est de « rendre ou faire paraître vulgaire ».
Vulgaire qui peut signifier banal, courant, ordinaire mais aussi commun,
bas ou grossier. Alors je m’interroge sur ce mot qui désigne l’acte de
transmission mais qui conserve selon moi une notion dépréciative. Est ce
qu’il nous indique que le contenu que l’on donne à voir au public passe par
un filtre qui le vide d’un peu de son essence, de sa vérité ? Cette transmission de savoir verticale, puisqu’elle appartient à des chercheurs scientifiques vers le public, est-elle occultée par ce filtre de la « vulgarisation » ?
D’après Baudouin Jurdant 1, la vulgarisation scientifique « […] définie
par la formule du « vouloir-savoir ce que l’on savait déjà », est faite de
ré-appropriation du discours scientifique par le langage courant. » Il la
définie comme une littérature et non pas comme un enseignement, même
si la vulgarisation opte pour le même système de transmission, de celui
qui possède le savoir à celui qui ne sait pas. Seulement, il indique qu’elle
transite par la forme d’un texte, alors que l’enseignement serait d’une
manière idéale un acte de parole. La vulgarisation est ainsi définie:
vouloir savoir ce que l’on savait déjà. Le discours scientifique serait donc
remanié, ré-approprié par le langage courant et avec des métaphores qui
répondent au schéma narratif.
Baudouin Jurdant indique clairement que la transmission du savoir est
d’abord soumise à une sélection. Comme si tous les savoirs ne devaient
être dévoilés. L’information passe donc par un filtre sélectif, le « vulgarisateur » qui doit définir un langage pour transmettre l’information sélectionnée. Cette transmission est à sens unique: verticale, puisque du scientifique au « profane ». Aussi, ces transmissions de savoirs ne seraient que
le résultat d’une demande du public. La population porterait en elle des
1 — Baudouin Jurdant, né en 1942, est spécialiste des questions de vulgarisation scientifique,
professeur en Sciences de l’information et de la communication, à l’université Paris Diderot.
Il est Docteur de 3e cycle en psychologie.
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questions auxquelles la vulgarisation apporterait des réponses consensuelles, à l’aide d’un savoir scientifique façonné, trié. « Le public a le droit
de savoir, dit-on, il a droit de regard sur la vérité, ou du moins sur une part
de celle-ci car on veut craindre les effets qu’un dévoilement total ne
manquerait pas d’avoir. »
Donc pour Baudoin Jurdant, l’acte de vulgarisation n’est autre qu’un
« spectacle, monstration simple de ce qui fut dé-montré, défilé carnavalesque de concepts » qui répond à l’attente du public, en se parant de
repères littéraires et en offrant « sans douleur » un savoir pré-fabriqué.
Et c’est ce qu’appuie Ernest Renan lorsqu’il déclare au XIXème « La
science populaire est profondément antipathique, car pour rendre intelligible au vulgaire les hautes théories, on est obligés de les dépouiller de
leur forme véritable. » Pour qui, pour quoi ?
Triste conception de la vulgarisation. Je n’arrivais pas à croire que de
célèbres vulgarisateurs avaient pu consacrer toute leur vie à une quête
vaine. Pourquoi vulgariser ? Pour qui ? Nous pouvons trouver des éléments
de réponses dans Savants et ignorants, une histoire de la vulgarisation des
sciences de Daniel Raichvarg 2 et Jean Jacques 3. L’acte de vulgarisation
n’est pas sans fondement, puisque son but premier était de servir la religion. En effet, montrer au peuple les merveilles de la nature ne pouvait
que prouver le pouvoir et la bonté de Dieu. Une femelle hareng pondait
mille œufs à elle seule: n’était-ce pas un cadeau du créateur pour nourrir
les hommes ?
Plus tard, la vulgarisation devenait essentielle pour justifier les travaux
scientifiques auprès de la population.
La vulgarisation possédait le devoir de partage : faire circuler les
savoirs, c’était donner une chance à la population de leur trouver une
utilité dans la vie quotidienne, et donc d’améliorer la société. (à préciser)
La révolution numérique
Je m’interroge sur ce que l’on peut appeller aujourd’hui la vulgarisation
scientifique. Si, au XIXème siècle elle possédait une place particulière,
notamment dans des revues spécialisées, quels dispositifs sont mis en
place aujourd’hui quant à la diffusion des savoirs scientifiques? La révolution numérique a t-elle changé l’accès aux sciences? Est ce que la production des images numériques au XXIème siècle médiatise notre rapport
aux savoirs?
«Si l’autorité du verbe a longtemps prévalu, l’image restreignant son rôle
à celui d’une illustration du propos, les temps modernes vont progressivement accréditer la vue en tant qu’agent de connaissance» Jaques Monnier-Raball, _À images scientifiques nouvelles réalités?_, Rencontres
internationales de Lure 2003.
L’image devient l’objet. Il n’est plus outil de son étude, et la distance
entre lui et son image produite s’annihile. Les moyens de fabrication de
l’image se complexifient, son résultat se spectularise et entre dans un jeu
de séduction avec son lecteur. (cf. _Spaceship earth: the image archive of
nasa’s earth observatory_, Robert Simmon)
Transmission et vulgarisation au XIXe siècle
2 — Daniel Raichvarg est professeur des universités. Il dirige le Centre de recherches
sur la culture, les musées et la diffusion des savoirs (CRCMD, université de Bourgogne, Dijon).
Ses travaux de recherche portent sur la culture scientifique et technique. Il pratique la vulgarisation des sciences par l’intermédiaire du théâtre avec sa compagnie les Bateleurs de la Science.
Vue du nord de la ville d’ Al-Basrah, en Irak, 2001.
3 — Jean Jacques (1917-2001) était chimiste au Collège de France et philosophe.
Il s’est consacré à la chimie des hormones et à la culture scientifique.
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Le cas de l’astronomie
L’étude de l’imagerie de la vulgarisation scientifique laisse aisément
imaginer la complexité et l’étendue de la tâche. Il me fallait donc désigner un cas d’étude plus précis, faire un zoom sur une science et son
imagerie, pour peut-être par la suite émettre des hypothèses plus générales. J’ai donc choisi l’astronomie. En effet, cette science semble se
définir par sa relation évidente au public : il est facile d’entretenir un
rapport à la science des astres en observant simplement les étoiles.
J’émet aussi l’hypothèse qu’elle captive un grand nombre de curieux,
d’amateurs, de lecteurs, car elle soulève immédiatement l’émerveillement
des hommes : quel est ce monde qui nous dépasse et dans lequel nous
vivons, qu’est ce qui peut bien graviter autour de nous? C’est en étudiant
ce qui dépasse notre environnement terrestre que l’homme espère comprendre la place qu’il tient dans l’univers, et se surprend à fantasmer
d’autres mondes.
De plus, l’astronomie entretient un rapport particulier avec les outils
de « fabrication d’images » et d’observation, puisqu’elle est basée sur
l’observation du ciel. Alors qu’avant les hommes tentaient de cartographier la lune visible à l’œil nue de notre planète, l’invention de la lunette
et plus tard de la photographie, bouleverse la conception de notre satellite. Il devient ainsi possible de produire des images de science et donner
à voir à la population la vérité lunaire.
La lune VS les trous noirs : étude de la fabrication des images
Étude d’une collection iconographique de la Lune et des trous noirs.
Tandis que la Lune est un objet visible de la Terre et qu’elle sucite l’intéret des astronomes depuis l’Antiquité, le terme de «trous noirs» est
apparu à la fin du XVIIIème siècle dans le cadre des recherches d’Isaac
Newton sur la gravitation universelle. Contrairement à notre satellite, ils
sont invisibles depuis notre planète, et ne peuvent être photographiés.
Toutes les images que nous en possédons sont fabriquées à partir de
calculs scientifiques.
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Galilée, cartographie, 1609.
Malapert, cartographie, 1619.
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Hevelius, cartographie, 1647.
Riccioli Grimaldi, cartographie, 1651.
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Lunar Orbiter 1, photographie, 1966.
16
Apollo 16, photographie, 1972.
17
Georges Méliès, film, 1902.
Représentation de Coyolxauhqui, déesse de la Lune
chez les Aztèques.
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Entrevue
N. B : J’ai recontré Sébastien le 18 septembre 2013 au Palais de
la découverte, à Paris. Après une première prise de contact, j’ai décidé
de lui envoyer ultérieurement mes questions.
Sébastien Fontaine
Médiateur scientifique au Palais de la découverte.
Département astronomie.
QUESTION 1
Ernest Renan* «la science populaire est profondément antipathique, car
pour rendre intelligible au vulgaire les hautes théories, on est obligé de
les dépouiller de leur forme véritable» L’avenir de la science, 1849.
- Question de définition: Si vulgariser provient du latin vulgaris, qui signifie rendre vulgaire, cet acte de transmission ne possède t-il pas intrinsèquement une notion dépréciative? Comment le vulgarisateur se ré-approprie le discours scientifique sans le dénaturer de sa substance complexe? /
occultant le travail de recherche scientifique?
- Est ce que la vulgarisation est une transmission de savoir populaire, à
l’inverse de l’éducation/pédagogie?
QUESTION 2
Camille Flammarion, astronome français mais aussi célèbre vulgarisateur
scientifique a écrit dans Uranie, en 1889: « la rénovation de l’astronomie
servirait peu au progrès général de l’humanité si ces connaissances restaient enfermées dans le cercle restreint des astronomes de profession. Il
faut prendre le flambeau à la main, accroître son éclat, le porter sur les
places publiques, dans les rues populeuses, jusque dans les carrefours»
«[la science] a le suprême avantage de façonner les yeux à bien voir et
l’esprit à raisonner juste.» Jean-Louis de Lanessan, Préfaces d’Émile
Gautier, Les Étapes de la science, 1892 D’après Michel Foucault «Un savoir, c’est (aussi) l’espace dans lequel le
sujet peut prendre position pour parler des objets auxquels il a affaire
dans son discours.» L’archéologie du savoir, 1969, p238
- Quels sont les enjeux de la vulgarisation scientifique?
QUESTION 3
- Êtes-vous un vulgarisateur? Quels sont les outils, les vecteurs de transmission des savoirs scientifiques en 2013? Les systèmes de monstration? 20
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Notes de lecture
N. B. : J’inclue ici deux petites prises de notes d’un article et d’une conférence. Selon moi, elles sont importantes car elles semblent soulever des
points intéressants, telle que la part de séduction dans l’actuelle producion d’images par la NASA, et la question de l’impartialité.
Robert Simmon
Spaceship earth : the image archive of nasa’s earth observatory.
Robert Simmon nous apprend que son rôle est de traiter les images
pour qu’elles aient l’air de ressembler à ce que nous attendons. Ce que
devraient être des images satellites, parce qu’elles appartiennent à un
consensus commun. Son rôle est donc de traiter les images ainsi.
Il respecte tout de même le travail des scientifiques en utilisant les bases
de données d’informations que lui fournissent les chercheurs. Il pense
qu’une image séduisante interloquera plus facilement son lecteur, qu’il
prendra plaisir plus de plaisir à la contempler, et donc passera plus de
temps à l’étudier et peut-être la comprendre, l’interpréter. Son travail est
de rendre séduisantes les images qu’il produit pour « éduquer » les gens
au « data visualizing ».
Il utilise différents outils pour rendre compte d’un objet, dont la photographie et les radar image, qui produisent d’après lui des images plus abstraites et plus difficiles à comprendre.
«Some software uses algorithms based on the specific wavelengths of
each band to adjust the pan-sharpened image, but it still seems to take
a lot of tinkering, so I don’t mess with it that often. (For example, most
of the data in Google Earth is pan-sharpened, and none of it looks quite
right)» Attention, apparemment Google earth fait sa petite cuisine
concernant leur rendu image!
«I’m a bit obsessed with the aesthetics as a way to promote understanding. There’s reasonably good evidence that information that we find
attractive is also more credible, so I think if I make beautiful imagery,
people will understand it better.»
«Beauty helps move people from a glancing view to longer study.»
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Notes de lecture
Monique Sicard
Les images et le devisement du monde, la science aux origines
de la vidéosphère, conférence, CNRS, 2004.
« Nous vivons dans une vidéosphère. »
« Nous savons aujourd’hui que nous sommes tributaires de ce monde
d’images, et nous devons nous contenter des images comme accès
au savoir, n’ayant pas accès toujours aux objets même de la réalité. »
« L’image, c’est ce qu’il reste quand l’objet à disparu. »
« Les images retiennent, multiplient, distribuent et finalement
façonnent l’objet. »
« Les objets d’études des astronomes sont inaténiables, intouchables, et
cet éloignement même va être source d’interrogations, sur le rapport
entre l’image et son objet, et sur l’image elle-même. »
Niépce tente de mettre au point un procédé qui lui permettra de se
passer du lithograveur et du dessinateur (à l’époque, la lithogravure venait
d’être mise au point en Allemagne). Son but était de reproduire une
image grâce à la lumière en se passant de l’intervention de l’homme. Il
recherchait à produire rapidement une image qui n’a besoin de personne
mise à part de la nature. Il recherchait comment fabriquer une image
« objective ». Lorsqu’il met au point son invention, Niépce hésite quant
au nom qu’il souhaite lui donner. Il a nottamment l’idée de la nommer
« phusalétotype » qui signifie « écriture de la vérité de la nature ». Cette
hypothèse du nom parle bien des enjeux de cette nouvelle façon de produire des images : elle est la « vérité » et constitue la mémoire d’un objet
éphémère.
La pratique de la photographie semblait exclure l’homme, ce qui
bouleversa leur rapport au monde.
Mais à la fin du 19e siècle, les astronomes s’interrogent sur la nature des photographies qu’ils produisent. Sont-elles vraiment exactes ?
Peuvent-elles réellement être considérées comme « objectives », porteuse
de la « vérité » ?
La photographie rend les objets du monde quantifiables. Les images
scientifiques nous donnent un accès simple aux objets de la nature, tout
comme la télévision nous donne ce même accès aux réalités du monde.
« Et ces images là, comme je vous l’ai dit, nous sommes bien obligés de
faire avec, et nous sommes bien obligés de les croire. »
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Images d’un trou noir produites par des calculs :
Jean-Alain Marck
Jean-Alain Marck, Trous noirs (Les), extrait d’une vidéo, 1993.
Jean-Pierre Luminet
Nous observons que ces images, censées reproduire de façon mathématique le même objet astronomique, le trou noir, diffèrent. D’un chercheur
à l’autre, d’un outil à l’autre, d’une époque à l’autre, cet univers constitué
par les images est donc mouvant.
Simone Sicard précise que lorsqu’elle était enfant, l’image du système
solaire était triste, marron et gris, et qu’il s’est désormais doté d’un tas de
couleurs vives, grâce aux astronomes. Nous pouvons émettre l’hypothèse
que cette image de notre système est sensible d’évoluer encore. Alors
qu’en sera t-il dans trente ans ?
Lorsque Lœwy et Puiseux réalisent différents clichés de la lune, toujours en prenant soin d’être dans les même conditions, celles-ci donnent
à voir différentes choses. Ils s’interrogent alors sur la vérité photographique. Alors qu’on lui avait donné le statut d’appartenir à la nature, l’intervention humaine est remise en cause. Décider du temps de pose, choisir
le moment, la lumière, donne lieu à des photographies différentes,
et inclut donc des éléments subjectifs dans la réalisation d’une photographie. Il n’est plus question d’impartialité.
Jean-Pierre Luminet, Les Trous Noirs, Le Seuil / Points Sciences,
Paris, 1992.
Hubert Reeves
Alain Riazuelo, image simulée d’un trou noir stellaire situé à
quelques dizaines de kilomètres d’un observateur, 2006.
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Temps X : étude d’une émission de vulgarisation des années 80
Igor et Grichka Bogdanoff sur le plateau de temps X, 1979.
Temps X était un magazine télévisuel diffusé pour la première fois en
avril 1979, et programmé jusqu’en 1987. Animé par Igor et Grichka
Bogdanoff, cette émission traitait de sujets scientifiques —tels que les
avancées technologiques, les ovnis, la conquête spatiale, le voyage dans le
temps— spéculait sur le futur et faisait la promotion de livres ou de films
de science-fiction. Elle était la première dans le paysage de la télévision a
mêler culture populaire et vulgarisation scientifique. Il suffit de regarder
son générique pour en comprendre les rouages. Le spectateur est propulsé dans l’espace, et c’est la vision d’une planète inconnue qui interpelle.
Elle tourne sur elle-même et possède un satellite qui se meut dans le
paysage interstellaire. Spectateur de 2013, les effets spéciaux sont aujourd’hui risibles, mais laissent imaginer, à l’époque du premier Star
Wars, sa perception par nos contemporains des années 80. Un soleil
apparaît au milieu de l’écran et vient éclairer cette mystérieuse planète.
Le son du générique s’accélère, celui-là même composé par Didier Marouani, qui explore les sonorités des synthés. Puis, le titre apparaît en
miroir avec des effets de fondu des lettres: Temps x. Le générique utilise
déjà tous les codes de la science-fiction. Puis, apparaissent les deux
présentateurs, les jumeaux Bogdanoff, habillés en combinaison d’astronaute, grises clinquantes. Ils présentent l’émission dans un vaisseau
spatial d’où l’on peut apercevoir le paysage galactique par les fenêtres. Ce
sont des illustrations. Le décor est mis en place. La particularité de cette
émission scientifique réside dans son format. Ce ne sont pas des scientifiques sexagénaires assis autour d’une table à débattre de la recherche
qui sont filmés, mais bien des animateurs déguisés en conquérants de
l’espace évoluant dans un décor fantasmatique, qui s’adressent directement au spectateur en utilisant le langage courant. Ils sont là pour nous
faire rêver, tout en nous contant des histoires scientifiques, ponctuées par
des extraits de films de science-fiction. Il n’existe plus d’émission de ce
genre actuellement, et pourtant, tout porte à croire que celle-ci a suscité
beaucoup d’intérêts de la part de leurs spectateurs, enfants ou adultes, et
allumé un certain intérêt pour les sciences. Sa théâtralisation rendait son
contenu divertissant, mais pas pour autant superficiel, puisque les thèmes
abordés étaient souvent enrichis par des intervenants experts. Je m’interroge sur la place d’une telle émission aujourd’hui sur nos écrans. Temps x
fut conçu dans un contexte particulier: l’essor de la science-fiction en
littérature et au cinéma, à l’aube du XXIème siècle, à vingt années près
de l’an 2000, source de toutes les spéculations. Comment une émission
comme telle serait-elle reçu aujourd’hui? À l’heure d’internet, où tous les
contenus semblent accessibles quelque part sur la toile, où les fantasmes
du futur sont révolus.
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Bibliographie
Livres :
Centre Georges Pompidou, Cartes et figures de la terre, Paris,
24 mai-17 novembre 1980.
Peckere Jean-Claude, La photographie astronomique,
Fernand Nathan, 2003.
De Lalande Joseph Jérôme, Astronomie des Dames, 1785.
Barthes Roland, L’analyse structurale du récit, Seuil, 1981.
Daston Lorraine, Galison Peter, Objectivté, Les Presses du réel, 2012.
Raichvarg Daniel, Jacques Jean, Savants et Ignorants : une histoire
de la vulgarisation des sciences, Seuil, 2003.
Sicard Monique, La fabrique du regard, Odile Jacob, 1998.
Benjamin Walter, Petite histoire de la photographie, Allia, 2012.
Bruno Latour, Petites leçons de sociologie des sciences,
Éditions La Découverte, 2006.
Joachim Herrmann, Atlas de l’astronomie, Le livre de poche, 2006.
Articles :
Monnier-Raball Jacques, À images scientifiques nouvelles réalités,
Typ, N° 1, Printemps 2004 : Une et mille vies, C&F Editions, 2004.
Darius Jon, Images scientifiques. Perceptions et leurres,
Images and understanding, H. Barlow, C. Blackemore, M. WestonSmiths éd., Cambridge University Press, 1990.
Schlüpmann Klaus, Que disent les images de vulgarisation,
et que ne disent-elles pas ?, Revue européenne des sciences sociales,
Tome XXXV, Librairie Droz, 1997.
Pasveer Berkino, Fabriquer le corps, images radiologiques et médecine, (?)
Cressan Alain, Le récit comme élucidation, L’ expérience du récit,
École Supérieure d’Art de Bretagne Brest-Lorient-Quimper-Rennes,
site de Lorient, 2012.
Simmon Robert, Spaceship Earth : The Image Archive of NASA’s
Earth Observatory, http://blogs.walkerart.org/design/2009/10/22/
spaceship-earth-the-image-archive-of-nasas-earth-observatory/
Jurdant Baudouin, Vulgarisation scientifique et idéologie, 1969.
Conférences :
Sicard Monique, Les images et le devisement du monde, la science
aux origines de la vidéosphère, CNRS, 2004.
Sites internet :
Images des maths, http://images.math.cnrs.fr/
La main à la pâte, http://www.fondation-lamap.org/
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Camille Chatelaine
Mémoire #3, semaine 38
ÉSAD Valence 2013