L`étranger - L`Argentine et ses écrivains

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L`étranger - L`Argentine et ses écrivains
Livres Hebdo numéro : 0767
Date : 06/03/2009
Rubrique : avant critiques
Auteur : Véronique Rossignol
Titre : Santiago H. Amigorena
5 mars > ROMAN France
L’étranger
Portrait d’un fascinant lycéen, exilé argentin, par un camarade de classe, à Paris,
pendant l’année scolaire 1978-1979.
Surtout ne pas commencer la lecture par l’épilogue ! La précaution est indispensable si l’on veut
entrer avec l’innocence nécessaire dans le cinquième livre de Santiago H. Amigorena et conserver
jusqu’à la fin le mystère de sa place au sein du projet d’écriture de son auteur, né en Argentine en
1962. L’écrivain et scénariste arrivé en France à l’âge de 12 ans après avoir connu un premier exil de
six ans en Uruguay, a en effet entamé avec Une enfance laconique (POL, 1998) suivie d’Une jeunesse
aphone (POL, 2000) et d’Une adolescence taciturne (POL, 2002) une ambitieuse entreprise
autobiographique. 1978 revient en arrière : nous sommes l’année d’avant Le premier amour, le
dernier volet sorti en 2004. Le narrateur n’est plus un jeune exilé latino-américain qui préfère écrire
les mots qu’il ne parvient pas à dire. Celui qui dit « je » est élève dans une première littéraire d’un
lycée parisien du 13e arrondissement. Il se souvient d’un camarade de classe, étranger, qui ne faisait
rien comme tout le monde. Qui pleurait comme on rit, pouvait rester silencieux à côté des gens sans
parler, portait un poncho cet hiver-là. Ses congénères le trouvaient agaçant, prétentieux. Il
exaspérait le prof de français et le prof de gym mais envoûtait la prof d’histoire-géo. Lisait des
auteurs que personne n’avait jamais lus, écrivait des phrases à méditer sur le tableau. Et traînait
derrière lui, Don Juan malgré lui, des grappes de filles énamourées qu’il n’approchait pas. « Il était
étranger à beaucoup plus qu’un pays. »
Le lecteur qui avait goûté au style baroque tout en citations et en belle langue d’Amigorena dans
ces précédents livres, notamment dans Le premier amour où la graphorrhée prenait littéralement
chair, l’adolescent écrivant directement sur le corps de son amoureuse, va être un peu dérouté. Ici,
c’est plutôt le « lycéen 1978 » que le narrateur parle couramment. Son récit, profil bas, a la
décontraction un peu datée. Escamotant les « ne » avec une belle constance dans toutes les phrases
négatives, ressortant de la naphtaline des vieilles expressions « cracher sa Valda », « lâcher les
baskets », « se magner » qui ne disent sans doute à peu près rien aux digital natives d’aujourd’hui. On
a l’impression d’un temps préhistorique où écrire des poèmes pouvait encore être un moyen
d’attraper les filles, où aller au cinéma voir des films qui ne se périmaient pas en une semaine était
considéré comme une « sortie ». « C’était une période où la politique consistait encore à imaginer des
mondes possibles, plus justes, plus libres, et pas seulement à gérer l’impossibilité d’améliorer la
désespérante tristesse du nôtre. »
L’« élucidation », presque trop belle, fournit une clé dont on ne sait jusqu’à quel point elle
participe au brouillage des points de vue qui fonde l’entreprise littéraire d’Amigorena. C’est en tout
cas ce qui rend, rétrospectivement, cette nouvelle pièce au dossier assez intrigante.
VÉRONIQUE ROSSIGNOL
Santiago H. Amigorena
1978
POL
TIRAGE : 4 000 EX.
PRIX : 16 EUROS ; 286 P.
ISBN : 978-2-84682-308-1
SORTIE : 5 MARS