PAPA, j`avais 14 ans quand j`ai découvert que tu étais devenu
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PAPA, j`avais 14 ans quand j`ai découvert que tu étais devenu
PAPA, j’avais 14 ans quand j’ai découvert que tu étais devenu alcoolique. Tu venais de faire une chute de vélo suite à un malaise et on t’avait transporté à l’hôpital. Quand Maman m’a dit cela je suis tombée de haut, je ne comprenais rien, tu étais devenu prisonnier de l’alcool et je n’avais rien vu. Je suis allée te voir et cette visite m’a traumatisée, tu étais en psychiatrie entouré de patients atteints de maladies mentales et j’avais envie de hurler, de te sortir de là. Du haut de mes 14 ans j’étais révoltée, je me demandais vraiment ce qui nous arrivait, je pensais vivre un vrai cauchemar. Ce que j’ignorais, c’est que nous partions vers un chemin de souffrances, de mensonges, de désillusions, d’espoir qui allait durer 4 longues années. Si je n’avais rien vu jusqu’alors, ton alcoolisme s’est vite imposé à notre famille, les mauvais jours sont vite devenus plus nombreux que les bons. Lorsque tu avais bu tu n’étais pas violent mais tu devenais une vraie loque et j’étais si triste de te voir ainsi, j’avais honte de toi, je ne voulais pas que les clients te voient ainsi au magasin, j’aurais voulu te cacher, cacher notre misère. Je t’aimais toujours, mais comme c’était difficile, maman pleurait en silence, Sophie était petite, elle ne disait rien, je voulais croire qu’elle ne se rendait pas compte de l’état dans lequel tu étais, moi j’avais beaucoup de colère envers toi, je me fâchais, tu t’excusais, tu me disais que tu allais arrêter de boire. Chaque fois j’ai voulu y croire, hélas les rémissions de quelques semaines sont vite passées à une poignée de jours. La vie de famille était rythmée par l’alcool. J’aidais maman de mon mieux au magasin et pour la partie traiteur car lorsque tu avais bu tu n’arrivais plus à travailler. Elle me disait toujours de ne rien montrer devant les clients qui n’avaient pas à supporter nos soucis. Dans tout ce chaos je me souviens que tu te raccrochais beaucoup à Sophie, je crois qu’elle était pour toi comme une lumière dans l’épais brouillard où tu te trouvais. Notre famille était bouleversée, il n’y avait plus de joie de vivre, les jours gris la tristesse nous étouffait tous les 4, les bons jours nous n’osions pas bouger de peur que ce mieux si fragile, si éphémère ne nous échappe encore. J’étais au lycée, j’avais une très bonne amie, pourtant jamais durant ces 4 longues années je n’ai pu lui confier mon lourd chagrin, j’avais trop honte et pourtant je suis sûre qu’elle savait. Dans nos cœurs nous étions aussi malades que toi et en plus il fallait supporter le regard des autres, je découvrais avec tristesse qu’on se moque d’un malade alcoolique. En juin 77, je passais l’oral du bac de français. Toi, papa, la veille tu avais été appelé par un agriculteur pour débiter une bête qui s’était cassé une patte. Tu as passé toute la nuit là-bas, tu es rentré dans la matinée épuisé, hélas l’alcool en avait rajouté. Tu ne tenais pas debout, tu as voulu aller te coucher mais tu es tombé au pied de l’escalier, incapable de te relever. J’étais furieuse après toi, maman était seule au magasin, je t’ai traîné comme j’ai pu, marche par marche, je t’ai couché et puis je suis partie passer mon bac !!! Pour la première fois j’ai voulu me confier à une cousine qui passait l’épreuve en même temps que moi. Elle m’a répondu « Ah, ton père était encore saoul ! ». J’ai pris cette remarque comme un coup de poignard, ainsi elle savait mais elle ne comprenait rien, elle te prenait pour un ivrogne alors que tu étais malade, j’avais encore plus honte et je suis allée passer mon oral de bac avec toute cette révolte dans le cœur. Je me souviens aussi d’un devoir de math en terminale, j’avais révisé jusqu’à 4h du matin et puis devant ma feuille, plus rien, le trou noir, le ras le bol. En me rendant ma copie (j’avais 1/20) le prof m’a humiliée devant toute la classe. J’ai ravalé ma peine et ma honte, pourtant j’aurais voulu lui crier que je n’en avais rien à faire de ses math, que ma vie n’était pas facile, mais je n’ai rien dit. Vraiment les autres ne comprenaient rien. Ces autres anonymes qui nous ont fait tant de mal, ces autres qui m’envoyaient une lettre abjecte, j’ai eu si mal et en plus maman était hospitalisée, je t’en voulais papa de devoir supporter toute cette souffrance. Ce même week-end tu étais allé conduire maman à l’hôpital pour des prélèvements aux poumons, nous étions très inquiets pour elle, toi après l’avoir quittée, tu n’as pas oublié d’aller acheter de l’alcool. Je ne sais plus comment je l’ai su, mais c’était trop, je te trouvais si égoïste, tu pensais plus à ton fichu alcool qu’à maman. Comment pouvais-tu être tombé si bas ? Je ne savais pas encore que l’alcool était une drogue. Nos relations se dégradaient de plus en plus, notre famille était totalement à l’envers, maman et toi n’étiez plus vraiment un couple, moi je prenais un rôle que je n’aurais jamais dû prendre, m’occuper de ma petite sœur comme si j’avais été sa maman, c’était moi qui te réprimandait, qui te disait ce que tu devais faire et toi tu t’excusais, plus rien n’avait de sens chez nous. Nous étions tous si tristes, tu souffrais aussi de nous voir ainsi si malheureuses. Je sais que tu voulais t’arrêter de boire, tu disais que tu y arriverais tout seul, pourtant maman te parlait souvent de tonton Jean et des Amis de la Santé. Je sais maintenant que tu n’étais pas encore prêt à dire NON à l’alcool, cet alcool qui te retenait prisonnier. Je me suis souvent dit que le soleil ne nous illuminait pas tous de la même façon, pour moi il n’avait plus ni chaleur, ni lumière, tout était devenu sombre, triste et froid. J’étais jalouse du bonheur des autres, pourquoi avaient-ils le droit d’être heureux et pas nous ? J’avais honte de toi, de nous, j’étais sûre que tout le monde se moquait de nous et je ne pouvais pas l’accepter parce qu’en dépit de toute cette douleur, je t’aimais et je ne voulais pas qu’on te fasse du mal. J’avais vraiment compris que tu étais malade et les autres te prenaient pour « un pauvre type qui se saoulait », ils ne comprenaient rien et on ne pouvait pas se cacher, on vivait en vitrine avec toute cette saloperie d’alcool qui nous collait à la peau. Maman débordait d’amour pour nous, c’est sans doute ce qui nous a permis de tenir, toi aussi papa c’est parce que tu nous aimais si fort qu’un jour de septembre 79, « au bout du rouleau », tu as enfin accepté de te faire soigner. Le départ a été forcé certes, après tu as accepté de rencontrer René et puis la porte d’une nouvelle vie s’est entrouverte. Le soleil a recommencé à briller, à nous réchauffer, comme c’était bon. Nous redevenions une vraie famille même si nous avions peur que ce bonheur nouveau nous échappe à nouveau, c’était il y a 34 ans. Depuis maman et toi n’avez cessé de tendre la main à ceux qui comme vous souffrent de l’alcool. Nous avons retrouvé notre papa qui nous a toujours aimé mais ne savait plus nous le dire. Nous avons retrouvé notre maman joyeuse, souriante. Le bonheur était enfin de retour chez nous. A toi et maman je veux vous dire MERCI de nous avoir toujours aimées et de vous être aimé audelà de toutes les difficultés. Rien de ce qui nous arrive n’est dû au hasard, tout est à notre service pour grandir. Dans toute épreuve nous avons toujours le pouvoir de choisir et nous avons choisi d’aller vers la LUMIERE et l’AMOUR. Ce que je suis devenue papa, ce qu’il y a de beau et de vrai en moi, c’est aussi à ces années d’alcoolisme que je le dois Tout ce que j’ai vécu à tes côtés m’a permis de devenir la femme que je suis et je t’en remercie. Je n’ai aucun regret, nous avions à vivre cette épreuve, nous avons tous fait de notre mieux dans la douleur. Cette épreuve nous a soudé tous les 4, elle a embelli les liens entre nous. Je suis fière de toi, de tes engagements aux Amis de la Santé et ailleurs. Je suis admirative devant ta grande disponibilité et l’inconditionnel soutien de maman puis de Monique. Merci papa d’être celui que tu es.