Introduction1 1. Oui, la liberté humaine est limitée par la nécessité

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Introduction1 1. Oui, la liberté humaine est limitée par la nécessité
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Introduction1
La nécessité où se trouvent un artisan, un professeur ou un médecin de respecter des horaires, de faire preuve de
patience et de continuité dans l’effort, limite de fait, voire annule, leur pouvoir de réaliser sans entrave leurs
désirs − bref de jouir de leur liberté.
Or, si ce n’est pour subvenir à ses besoins, du moins pour être reconnu ou trouver place dans la société, l’homme ne
peut pas ne pas travailler : c’est une nécessité sinon naturelle, du moins sociale.
On ne saurait choisir, en ce sens, de rester oisif.
Toutefois, en se soumettant à cette nécessité d’exercer une activité pénible mais socialement utile, l’homme n’est-il pas forcé
de maîtriser ses désirs immédiats comme de développer ses capacités physiques et intellectuelles ?
Acquérant par là un pouvoir nouveau sur lui-même et sur le monde qu’il transforme grâce à son travail, n’accroît-il
pas sa liberté ? D’où le problème : la liberté humaine est-elle limitée − voire supprimée − ou au contraire accrue, par
la nécessité de travailler ?
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. Oui, la liberté humaine est limitée par la nécessité de travailler
A. Il existe une nécessité sinon naturelle du moins sociale de travailler
Le travail naît, en partie au moins, de la nécessité pour les hommes de satisfaire leurs besoins : ainsi travaille-t-on
pour se nourrir, se vêtir, construire une habitation.
Pourtant, contrairement à l’activité instinctive, le travail suppose la médiation de la vie sociale, par laquelle les
hommes regroupent leurs forces et compétences diverses pour subvenir à des besoins qu’ils ne peuvent pas satisfaire
isolément dans la nature. En cela consiste la division du travail ; celle-ci implique la participation consciente de
chacun à une œuvre collective, donc à la réalisation d’un intérêt commun.
En ce sens, le travail n’obéit pas seulement à une nécessité naturelle mais encore et surtout à une nécessité sociale.
B. La liberté est limitée par la nécessité sociale de travailler, laquelle prend des formes multiples
Précisément, l’homme ne fait pas le choix de travailler : cela lui est imposé par le type de société dans laquelle il vit,
ainsi que la valeur de son travail et les formes que celui-ci peut prendre. Ainsi dans les cités grecques de l’Antiquité,
le travail est-il méprisé et réservé pour cette raison à l’esclave, dans la mesure où il est encore considéré comme
assujettissant l’individu à la nécessité vitale : les esclaves nourrissent la cité.
Dans les sociétés modernes, au contraire, où il ne serait pourtant pas nécessaire que tous travaillent, s’il existait une
répartition plus homogène des richesses, la pénurie de travail pénalise l’individu, du fait de la valeur à la fois
économique, sociale et morale accordée au travail.
Il devient nécessaire − et non pas nécessairement vital − d’avoir un travail salarié, conformément à un idéal donné.
La liberté est donc bien, dans tous les cas, limitée par la nécessité sociale de travailler, laquelle prend des formes
multiples, voire opposées.
En d’autres termes, dans un contexte social et économique donné, l’homme ne choisit ni la valeur ni même souvent
la nature de son travail.
Conclusion et transition
La liberté est limitée par la nécessité de travailler, laquelle varie dans ses formes selon le type de société qui
l’impose.
Il reste que, forcé de canaliser son énergie dans une activité socialement utile, l’homme y découvre et développe ses
capacités et talents particuliers.
Précisément, la liberté ne consiste-t-elle pas dans l’accroissement de ses propres pouvoirs et facultés ?
2. Non, la liberté n’est pas limitée par la nécessité de travailler
A. La nécessité de travailler développe la liberté
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Communément, on croit volontiers que la liberté réside dans le pouvoir de réaliser tous ses désirs, sans contrainte.
On confond donc en ce sens la liberté avec une certaine conception − d’ailleurs illusoire − du bonheur : d’une part,
en effet, la réalisation totale de ses désirs est impossible. D’autre part, elle est assimilée à tort à la liberté, car celle-ci
ne rend pas nécessairement heureux ; ainsi la liberté de s’opposer à une décision arbitraire ou à un pouvoir injuste,
loin de procurer le bonheur ou la satisfaction, y fait-elle obstacle.
Si le plaisir, plutôt que le bonheur, réside par conséquent dans la réalisation de mes désirs, la liberté, au contraire,
révèle ma capacité à faire des choix autonomes, en m’affranchissant, au besoin, de mes désirs et intérêts immédiats.
Or, précisément, c’est la raison pour laquelle la nécessité de travailler, en limitant la satisfaction de mes désirs, ne
limite pas pour autant ma liberté.
Par la contrainte du travail, en effet, l’homme soumet ses appétits au pouvoir de sa volonté et, ce faisant, il apprend à
s’en libérer : ainsi la patience, la concentration et la régularité dans le travail donnent-elles au menuisier ou au
musicien un véritable pouvoir sur lui-même, une maîtrise de soi sans laquelle il ne pourrait exploiter ses talents.
Il y a plus : le développement des talents et compétences manuels, artistiques, ou intellectuels, qui résulte de cet
effort fourni sous l’effet de la contrainte, accroît le pouvoir de l’homme dans le domaine qui lui est propre, en
rendant celui-ci de plus en plus habile ou performant.
Bref, par la nécessité de travailler, l’homme acquiert la maîtrise de lui-même ainsi que celle d’une technique ou d’un
art et développe en ce sens, plutôt qu’il ne limite, sa liberté.
B. La nécessité de travailler engendre une liberté proprement humaine
Toutefois, le travail n’implique pas seulement un certain niveau de compétence et un pouvoir sur soi : par lui,
l’homme réalise son humanité. En travaillant, en effet, en créant des cités, des institutions, des outils, il se transforme
lui-même en transformant la nature.
C’est ce que montre bien Hegel dans la dialectique des consciences, au chapitre 4 de la Phénoménologie de l’esprit.
À l’issue du conflit des consciences, par lequel chacune d’elles tente d’imposer son désir, soit de s’affirmer comme
valeur absolue, l’une des deux consciences va se soumettre à l’autre − renoncer à sa liberté au profit de sa vie. Telle
est la conscience de l’esclave. Sa soumission à l’égard du maître se traduit par un travail forcé, par la contrainte
absolue de travailler.
Et, cependant, paradoxalement, de cette nécessité ou aliénation, va surgir la liberté même de l’esclave : dans le
travail, en effet, l’esclave fait passer sa propre conscience dans l’objectivité, dans la matière. La conscience pénètre
dans ce qui n’est pas elle, l’esprit s’incarne dans des œuvres. Ainsi l’esclave peut-il se reconnaître et contempler dans
la nature par lui transformée, ainsi accède-t-il à la conscience de soi et à la liberté. Loin de la limiter, la nécessité de
travailler engendre donc une liberté proprement humaine. Cette liberté consiste à s’affranchir de la nature en la
dominant et en lui imprimant la marque de son esprit − en accomplissant, en même temps que son humanité, l’œuvre
de la culture.
Conclusion et transition
Par la contrainte du travail, l’homme développe doublement sa liberté : liberté de s’affranchir de ses désirs
immédiats et de les dominer, liberté d’accroître, ce faisant, ses possibilités dans un domaine de compétence donné. Il
y a plus : en humanisant la matière par son travail, l’homme réalise sa propre humanité car il se libère de la nature
qu’il transforme et dont il fait l’œuvre de l’esprit.
Toutefois, il existe bien des formes de travail en elles-mêmes aliénantes ou inintéressantes, telles que le travail à la
chaîne par exemple. La nécessité de travailler, dans ce cas, loin de déboucher sur une réalisation positive de soi, non
seulement limite mais interdit toute liberté.
3. La nécessité de travailler doit être d’ordre moral, et non pas seulement économique et social, pour
permettre le développement de la liberté
A. L’homme doit se libérer d’une forme de travail
De fait, la liberté humaine peut être limitée, voire supprimée, par la nécessité sociale et économique de
travailler − soit par un type de travail imposé par un contexte économique donné.
C’est le cas dans les sociétés esclavagistes, ou, selon Marx, dans les sociétés d’économie capitaliste : ainsi existe-t-il
en effet un travail exploité, dans lequel l’homme, loin de développer ses talents et capacités, aliène sa force de travail
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pour la mettre au service de la classe détentrice des objets et des moyens de production.
Bien que le contexte socio-économique ait profondément changé, on retiendra néanmoins de cette analyse que la
nécessité de travailler, lorsqu’elle soumet l’homme exclusivement aux impératifs du profit et de la productivité, le
dépossède de sa liberté.
Toutefois, la substitution de la machine à l’homme, la réduction du temps de travail et la disparition progressive du
travail salarié, dans les sociétés modernes, annoncent une libération du travail plutôt qu’elles n’évoquent une
aliénation généralisée par le travail. Celui-ci, sous la forme qu’on lui connaissait en tout cas jusqu’à présent − celle
du travail salarié − , est, semble-t-il, de moins en moins nécessaire − et doit être peu à peu conçu sous d’autres
formes − comme travail social (d’aide aux enfants en échec scolaire, aux personnes en difficulté, etc.), bénévole, non
nécessairement productif.
Mais, précisément, cette nécessité de réinventer de nouvelles formes de travail, dégagées des seuls impératifs de la
production, ne prouve-t-elle pas que le travail lui-même est l’une des conditions de possibilité de la liberté ?
B. L’universelle nécessité du travail délimite la liberté et prépare à la moralité
Certes, il est une forme de liberté, rigoureusement individuelle, que la nécessité de travailler limite par définition :
celle de choisir son activité du moment, d’en changer quand on le désire, de se reposer quand on en éprouve le
besoin.
Pourtant, la liberté n’est véritablement humaine que lorsqu’elle est limitée − ou, plus exactement, délimitée : la
liberté de tout faire au contraire dresse les hommes les uns contre les autres et interdit entre eux tout rapport
d’harmonie et d’entente mutuelle. En ce sens, la vraie liberté est nécessairement sociale : c’est pourquoi la nécessité
de travailler qui force l’homme à participer à une œuvre collective, à se soumettre à des règles communes (au sein
d’une entreprise, d’une école ou d’une troupe artistique par exemple) et, ce faisant, le socialise, contribue largement
à la réaliser.
Ajoutons qu’en favorisant l’apparition d’une liberté sociale, la contrainte du travail prépare l’homme à une liberté
morale. Comme le remarque Kant, dans la troisième proposition d’une Idée d’une histoire universelle au point de
vue cosmopolitique, la nature semble avoir voulu que l’homme naisse, contrairement à l’animal, faible et démuni,
c’est-à-dire incapable d’obtenir sans travail les moyens de se nourrir et de pourvoir à sa sécurité, afin de le forcer à
ne participer “ à aucun autre bonheur, à aucune autre perfection que ceux qu’il s’est créés lui-même, libre de
l’instinct, par sa propre raison ”.
Ainsi l’homme parvient-il, sous l’effet premier de cette universelle et providentielle nécessité de travailler, à “
l’estime raisonnable de soi ”, au respect de soi-même − condition de toute dignité et de toute vraie liberté.
Il existe donc, en ce sens, un devoir ou une obligation morale de travailler.
Conclusion
Il est une contrainte économique et sociale de travailler qui asservit l’homme aux impératifs de la productivité − ce
qu’attestent le cas du travail aliéné ou les nouvelles formes d’esclavage apparues dans les sociétés modernes.
Hors de ce contexte, pourtant, comme activité rationnelle et consciente par laquelle l’homme développe ses capacités
et parvient à l’estime de soi, le travail semble obéir à quelque nécessité naturelle qui, loin de limiter la liberté, la
rendrait proprement humaine et morale.
C’est pourquoi, il convient de faire du travail l’objet d’une obligation morale ou d’un devoir − l’effet, en un mot,
d’une nécessité interne que l’homme doit, pour accroître sa liberté, être capable de s’imposer à lui-même.
Ouvertures
LECTURES
− Hegel, Phénoménologie de l’esprit, chapitre 4, Aubier.
− Marx, Manuscrits de 1844, Gallimard, coll. “ Bibliothèque de la Pléiade ” ; Le Capital, Éditions sociales.
− Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Bordas.
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