En regardant passer le train
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En regardant passer le train
En regardant passer le train Le passage d'un train paraît aller de soi mais une observation attentive fait naître des questions sur cette géométrie et physique du quotidien. Regardons cela de plus près et avançons quelques réponses. En marchant le long d'une voie de chemin de fer, on peut lever la tête au passage d'un train pour apercevoir le point de contact entre le bras mécanique de la locomotive, appelé pantographe, et le câble d’alimentation électrique, appelé caténaire, ou plus précisément le fil de contact (la caténaire est l’ensemble des câbles participant à l’alimentation, voir figure ci-dessous). Figure 1 : Le pantographe (image SNCF) Mais aviez-vous remarqué que le câble ne touche pas exactement le milieu du pantographe comme on pourrait s'y attendre ? Non pas que les ingénieurs ferroviaires aient fait n'importe quoi… En fait, il y a bien des endroits où la caténaire arrive au milieu du pantographe, mais pas en permanence. Sa disposition n'est pas exactement parallèle aux rails et donc à la direction du train mais change le long du trajet, avec une amplitude d'environ 20 cm. Si la caténaire louvoie ainsi, c'est pour qu'elle ne soit pas toujours en contact avec le même point du pantographe et donc limiter les phénomènes d'usure – le plat du pantographe en carbone étant de toute façon une pièce soumise à usure. Le contact avec le cuivre de la caténaire (plus précisément du fil de contact) offre ainsi une bonne conduction électrique et une réduction de l’usure. Figure 2 : Le fil de contact de la caténaire décrit un Z entre deux poteaux (pylônes), afin de ne pas user le pantographe toujours au même point (image blog www.maths-et-physique.net). En complément allez voir la vidéo du record de vitesse TGV Est du 3 avril 2007 , et vous verrez dans les premières minutes le Z du fil de caténaire louvoyer à grande vitesse. En prenant maintenant du recul par rapport à la voie, on peut observer comment le système fonctionne dans l'axe vertical. Plutôt que d'être réglé à une hauteur fixe, le pantographe est muni d'une articulation qui le tend comme un ressort et l'adapte aux variations de hauteur de la caténaire au-dessus de la voie. En effet, parce qu'elle est suspendue entre deux poteaux, la caténaire ploie sous son propre poids et se courbe. La forme ainsi obtenue, que l'on pourrait prendre pour un arc de parabole comme le fit Galilée, est en fait "chaînette" (d'où le mot "caténaire", qui vient du latin "catena" pour "chaînette"). Jean Bernouilli, Huygens et Leibniz la définirent pour la première fois et indépendamment en 1691, en réponse à un défi lancé par Jacques Bernouilli (frère de Jean) : la chaînette, forme que prend sous son propre poids un fil suspendu à ses deux extrémités, est engendrée par un cosinus hyperbolique (elle a pour équation y = ch x) ; sa pente est plus "douce" que celle de l'hyperbole. Figure 3 : L’ensemble de la caténaire, avec son fil de contact, pratiquement à l’horizontale, le fil porteur, qui lui a la forme de chaînette, ainsi que les pendules de contact entre les deux fils (NB : dans la suite du texte, on emploiera le terme « caténaire » à propos du seul fil de contact. En pratique, un système de câble porteur a été mis au point pour limiter les variations de hauteur de la caténaire, c'est-à-dire sa "flèche". Ce câble porteur en bronze, qui est situé au-dessus de la caténaire, lui est attaché à des intervalles très réguliers. La caténaire s'aligne alors presque à l'horizontale et ne subit qu'une flèche acceptable qui est liée à l’écartement entre suspenseurs et non plus à celui entre les poteaux. Pour les trains circulant à grande vitesse, il est indispensable que la flèche soit constante (pour une distance entre poteaux de 54m, elle se limite à environ 5,4cm soit 1‰). Les liaisons entre le câble porteur et la caténaire sont alors des pendules de longueur variable, suivant le même principe que les ponts suspendus. Longitudinalement, la tension mécanique de l’ensemble est précisément réglée par des tendeurs munis de contrepoids qui exercent une traction constante sur les deux câbles. Figure 4 : La tension mécanique est assurée à la fois par le poteau tronqué, au fond, avec ses câbles qui tendent le câble porteur, et par les contrepoids le long du poteau principal. Cette photo est prise en été, les contrepoids touchent presque le sol, suite à la dilatation des câbles porteurs due à la chaleur (photos droits réservés www.photos-trains.ch) Si le train que l'on regarde passer est un TGV, on peut se rendre compte d'une autre difficulté technique : le passage du pantographe, et la force de soulèvement qu'il exerce sur la caténaire, la fait osciller selon une amplitude pouvant atteindre 30 cm à très grande vitesse. La vitesse de propagation de l'onde, qui peut se calculer connaissant la densité de la caténaire et sa tension, vaut environ 500 km/h. La vitesse du train ne doit pas s'approcher de ce "mur de la caténaire" (une analogie avec le mur du son) pour éviter la dégradation du captage du courant voire la rupture du câble. Ceci explique que lors des trajets commerciaux de la SNCF, la vitesse soit limitée à 70 % de la vitesse de propagation des ondes c’est-à-dire 350 km/h. Pour élever en exploitation le mur de la caténaire, ou lors des records de vitesse, les ingénieurs ont le choix entre abaisser la densité de la caténaire (en utilisant un autre matériau, comme le cadmium) ou augmenter sa tension mécanique. Comme le cuivre des 15 000 km de caténaires du réseau ferroviaire français ne se remplace pas si facilement, on comprend pourquoi il est si important que la caténaire soit bien tendue mécaniquement ! Mais ce que l'on remarque le plus au passage d'un train, ce sont les éclairs bleutés qui peuvent apparaître quand des impuretés ou des défauts mécaniques de la caténaire viennent perturber cette belle mécanique. Bien qu'impressionnants, ces arcs électriques se produisent lors d’une perte de contact entre la caténaire et le pantographe et n'ont aucune incidence immédiate sur le fonctionnement du train, même s'ils peuvent fragiliser la caténaire sur le long terme. L'inspection des caténaires reste donc la garantie d'une bonne gestion de l'infrastructure ferroviaire, ce qui passe par un personnel qualifié et des équipements spécialisés comme des wagons laveurs munis de lances à eau, pour nettoyer les résidus de la pollution atmosphérique qui se sont déposés sur les caténaires et les isolateurs. Figure 5 : Un wagon-laveur de la SNCF en action (photo Cité des sciences et de l’Industrie) Pour en savoir plus : Jean-Marc Allenbach et coll. (2008), Traction électrique, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes Roland Lehoucq et Jean-Michel Courty, "Chevaucher les ondes", Pour la Science, n° 286, pp. 106107, août 2001. SNCF, “Grâce au panto, la loco est branchée !” "La traction électrique : caténaire" Article "Chaînette" sur Wikipédia Crédits : Deuxième labo SARL pour la Fondation C.Génial