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À tous les marins sacrifiés dans l’invraisemblable massacre de Mers el-Kébir. À tous les rescapés de cette attaque inutile, hantés toute leur vie par le souvenir douloureux de leurs camarades disparus. À toutes celles et à tous ceux dont la vie a été bouleversée par la soudaine disparition d’un père et qui subissent encore la terrible souffrance de l’ostracisme et de la désinformation. LA MÉM O IRE MÉM IRE DE MERS EL - IK ÉBIR DE 1940 À NOS JOURS © Infomer - 2011 13, rue du Breil - CS 46305 - 35063 Rennes Cedex - France www.marines-editions.com Toute reproduction ou traduction, même partielle de cet ouvrage est soumise à l’autorisation écrite de l’éditeur. LL PRÉFACE | 4| ’évocation de Mers el-Kébir soulève encore les passions, même si les détails de la véritable histoire de cette dramatique affaire ne sont pas toujours bien connus. La flotte française, forte de 600 000 tonnes et bien que bridée par les accords de Washington, arrive en 1939 au quatrième rang des marines dans le monde. Le déroulement de la guerre ne lui permet pas d’exploiter son formidable potentiel. Dans son appel du 18 juin le général de Gaulle reconnaît que « certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l’ennemi ». Il ne mentionne pas la force navale qui représente toujours une puissance majeure, avec laquelle il faut compter dans le nouvel équilibre stratégique qui résulte de la défaite française. Le 22 juin 1940, le général Huntziger signe dans le célèbre wagon de Rethondes l’armistice franco-allemand. L’acte prévoit que « La flotte de guerre française — à l’exception de la partie qui est laissée à la disposition du gouvernement français pour la sauvegarde de ses intérêts dans l’empire colonial — sera rassemblée dans des ports à déterminer et devra être démobilisée et désarmée sous le contrôle respectif de l’Allemagne ou de l’Italie. La désignation de ces ports sera faite d’après les ports d’attache des navires en temps de paix. Le gouvernement allemand déclare solennellement au gouvernement français qu’il n’a pas l’intention d’utiliser pendant la guerre, à ses propres fins, la flotte de guerre française stationnée dans les ports sous contrôle allemand, sauf les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au dragage des mines. » La flotte de haute mer représente donc un enjeu important pour les belligérants car elle sort intacte de la débâcle, tout en n’ayant pas failli à ses missions sur et sous la mer ainsi que dans les airs. Dans cette guerre qui va dépasser la simple querelle de frontières pour se mondialiser, les océans vont représenter un enjeu majeur, comme aujourd’hui dans la guerre économique les limites terrestres ont laissé la place aux vastes défis maritimes où circulent les flux qui permettent à la planète de tourner. La flotte est répartie principalement entre Toulon, Alexandrie, Dakar et Oran et les ports anglais. Churchill ne veut pas courir le risque de la voir tomber dans le camp de l’adversaire. Pour pouvoir continuer à se battre sur terre il a besoin de conserver la maîtrise des mers. La flotte française constitue un danger si elle est utilisée par l’ennemi. Il prend la décision de saisir ou de neutraliser les unités françaises. Le 2 juillet il lance l’opération Catapult. Les bâtiments repliés dans les ports britanniques sont capturés par surprise, à Alexandrie un accord est trouvé entre les amiraux français et britanniques. Toulon n’a laissé que des mauvais souvenirs aux Britanniques. Ils y sont défaits en mer en 1744 et doivent se replier après la brève occupation de 1793 où Bonaparte commence à montrer son génie militaire. Mais surtout une attaque contre Toulon aurait pu susciter des réactions dangereuses. La flotte de Toulon ira donc seule à la rencontre de son destin tragique le 27 novembre 1942, passant à côté d’une conduite plus noble mais montrant à Churchill que les marins français avaient tenu leur parole de ne pas livrer leurs unités aux forces d’occupation. Une partie des unités continuera la lutte aux côtés des alliés et contribuera à la victoire finale : des marins vont également servir sur les unités britanniques sur mer comme dans les airs. Mais à Dakar et Mers el-Kébir c’est le drame : la Royal Navy attaque les unités françaises au mouillage. Aujourd’hui, il n’est pas question de soulever des rancœurs qui auraient pu naître dans cette période. Si en juin 1940 Britanniques et Français étaient alliés, la situation avait évolué en juillet du fait de l’armistice. Les forces de l’Axe venaient de l’emporter en Pologne, Norvège, Belgique Luxembourg et en France, dominant l’Europe continentale. En 1940, on faisait encore la guerre dans l’honneur du film La grande illusion, hérité de la Grande Guerre. En juillet les soldats étaient dans l’incompréhension et la fatigue des | 5| drames de mai et de juin. Aujourd’hui les opérations ont pris une tournure tout autre quel que soit leur théâtre. Les événements de 1940 doivent être jugés avec le recul de l’histoire, de manière dépassionnée. Plus de 70 ans après, nos deux nations ont depuis longtemps retrouvé leur complicité pour lutter côte à côte sur de nombreux théâtres et construire l’Europe. Elles ont déjà montré qu’elles avaient pu se serrer les coudes pour bâtir ensemble un avenir meilleur. Les deux marines ont donné l’exemple : une frégate de la Royal Navy protégeait le Foch lors d’opérations au large de l’ex-Yougoslavie et les coopérations entre elles sont nombreuses. Ce remarquable ouvrage rend hommage aux près de 1 300 hommes qui ont donné leur vie en Méditerranée à proximité d’Oran « la radieuse » dans l’accomplissement de leur devoir, ainsi qu’à leurs veuves et orphelins qui ont continué à affronter seuls l’existence, dans la mémoire du disparu, pour que vive la France et qui toute leur vie ont rêvé que l’être cher frappait à leur porte avant de devoir admettre l’inadmissible, que la porte reste close. Certains sont morts dans des conditions épouvantables accentuant la peine et le désespoir de leurs êtres chers, mais la perte de la vie au combat présente trop souvent un caractère absurde et irrationnel. La majorité des marins morts pour la France servaient sur le cuirassé Bretagne et ont coulé avec lui. Cette région qui a donné tant d’hommes et aujourd’hui de femmes dans l’histoire de la Marine doit donc porter un regard particulier sur ces destins tragiques. Demain une frégate multimissions doit reprendre ce nom très riche pour la Marine. Souhaitons à l’équipage de savoir, tout le long de la vie de cette prestigieuse unité, se montrer digne de ses ancêtres. | 6| En ce début de Seconde Guerre mondiale, ces hommes ont été ramenés à terre pour être enterrés au plus près des lieux où ils avaient perdu la vie. Ces dépouilles victimes d’un combat naval font escale au-dessus de la rade de Mers el-Kébir où elles ont traversé des pages douloureuses d’histoire, mêlées à des conflits qui ne les concernent plus. Elles méritent le respect tout en reposant en paix. Elles ont trouvé, pas très loin de « Madame l’Afrique », un pays d’accueil dont l’immense majorité des habitants les accepte, mais elles appartiennent à l’histoire militaire française que nous ne pouvons pas renier dans l’isolement et dans l’oubli. Comment la France pourrait-elle rejeter le souvenir de ces êtres qui ont donné leur vie pour que nous puissions vivre aujourd’hui en paix ? En visite officielle à Oran, j’ai voulu me rendre sur la tombe de ces marins morts pour la France. Les circonstances ne l’ont pas permis. Je le regrette profondément, car un marin n’abandonne jamais les siens. Je souhaite que nombreux soient ceux qui mettront cet ouvrage dans une place d’honneur de leur bibliothèque pour éviter que le sang des 1 297 marins disparus dans la force de l’âge ne vienne alimenter l’océan de l’oubli. Amiral Alain Oudot de Dainville Ancien chef d’état-major de la Marine, mai 2011 | 7| | PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 4| | SOMMAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 8| | AVANT - PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 10| JUIN SOMMAIRE | 8| 1940 UN TOURNANT | UNE | L ' EXODE | L ' ANNONCE | LA FLOTTE GENÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 16| | ANGLETERRE DU 1 ER AU 3 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 106| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 23| | ALEXANDRIE DU 3 AU 7 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 113| L ' ARMISTICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 24| | DAIK AR DU 3 AU 8 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 117| . . . . . . . . . . . . . . . . . | 31| | AU | AUX ANTILLES CONVOITÉE NAVAL DE DE DÉCISIF . . . . . L ' OPÉRATION L ' OPÉRATION CATAPULT MAROC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 120| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 120| CATAPULT POUVAIT - ON ÉVITER | MERS EL - IK ÉBIR DU 3 AU 6 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 42| | MERS EL - IK ÉBIR LE 4 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 90| | COMMENT EN EST - ON ARRIVÉ | MERS EL - IK ÉBIR LE 5 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 93| | ENTRE MÉMOIRE ET PARDON . . . | MERS EL - IK ÉBIR LE 6 JUILLET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 94| | UNE VÉRITÉ PARADOXALE . . . . . CE ? DRAME ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 124| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 134| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 142| LÀ | CORRESPONDANCE | BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . | REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . DES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 157| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 158| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 159| GRADES | 9| MERS EL-IKÉBIR 70 ANS APRÈS AVANT - PROPOS | 10| Il existe aujourd’hui un nombre assez considérable d’ouvrages évoquant directement ou indirectement la tragédie de Mers el-Kébir. Beaucoup d’entre eux font preuve de partialité s’ajoutant parfois à une incompétence évidente en ce qui concerne le monde maritime. Ils n’hésitent pas à s’engager sans retenue dans la controverse au risque de travestir la réalité historique qui a pourtant petit à petit émergé malgré toutes les tentatives, non avouées, de faire en sorte que l’on ne parlât pas de ce sujet dérangeant. Le voile se déchire aujourd’hui et des historiens mieux formés à la recherche historique se sont penchés ,et continuent de le faire, sur des aspects mal connus de la Seconde Guerre mondiale. L’entreprise est délicate mais elle est indispensable car il faut savoir appréhender l’histoire dans toute sa profondeur, sa réalité, ses nuances et rappeler les drames humains vécus par toutes les victimes de ce conflit hors du commun. Il convient ainsi d’encourager tous les témoignages qui peuvent faire progresser la vérité comme l’écrit si justement l’historien Robert Belot : « Il faut sans cesse se rappeler que la perception contemporaine des faits correspond très rarement à la perception que nous en avons aujourd’hui, le dévoilement de cette distorsion étant justement le travail de l’historien ». C’est dans cet esprit que nous avons voulu réaliser cet ouvrage, partant du constat que cet épisode atypique de notre histoire avait bénéficié d’une couverture médiatique (essentiellement photographique) exceptionnelle pour l’époque, mais finalement peu ou mal exploitée de nos jours par les commentateurs. Et cet appel à témoins que nous avons lancé au sein de l’Association des anciens marins et des familles des victimes de Mers el-Kébir ou auprès des sympathisants a été très vite suivi d’effets et nous a permis de réunir de nouvelles sources documentaires précieuses car souvent inédites. À partir de ces images ou de ces documents, nous avons cherché à illustrer les différents aspects du drame en privilégiant le côté personnel et humain exempt de toute contrainte hiérarchique et trop souvent négligé par des chroniqueurs tellement empêtrés dans la polémique qu’ils en ont oublié les hommes, disparus ou rescapés, qui se sont trouvés confrontés à une situation à laquelle ils n’étaient pas préparés : une situation brutale, inimaginable qui a véritablement marqué un tournant dans cette guerre qui n’en était encore qu’à ces débuts. En effet, les images ont souvent plus de force évocatrice que les mots, à la condition toutefois de les examiner avec patience, compétence et un certain sens critique capable de détecter l’erreur mais aussi le truquage aujourd’hui si banalisé à l’heure du numérique et déjà utilisé par certains commentateurs peu regardants sur l’authenticité de leurs illustrations. En outre, les circonstances particulières de l’action, confinée dans un espace géographique restreint et sur une période très brève, ont permis à quelques amateurs témoins de l’attaque de prendre des vues exceptionnelles que n’auraient pas reniées les correspondants de guerre qui ont souvent couvert tous les théâtres d’opération pendant et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, dont on n’imaginait pas encore en juillet 1940 qu’elle deviendrait le gigantesque holocauste que l’on sait. Outre les légendes des photos, que nous avons conçues dans un souci pédagogique, il fallait par ailleurs rendre compréhensible l’interprétation des photographies ou des documents et, à cet effet, nous avons pris le parti de les classer en privilégiant la chronologie combinée à une approche thématique. Le tout s’articule autour d’un texte de présentation qui relie les faits aux causes puis aux conséquences, à partir des principales recherches historiques tant françaises que britanniques, américaines ou même allemandes, tout en cherchant à éviter de faire dire à l’histoire ce qu’on voudrait qu’elle dise. Notre but est donc d’interpeller le lecteur pour lui montrer que l’histoire officielle est souvent présentée comme définitive alors que la recherche historique ne s’arrête pas et avec elle les perspectives et les éclairages changent. En outre, le devoir de mémoire ne saurait se limiter à l’évocation de cet acte fratricide si singulier qu’il échappe à la logique. Car il y a un « après », tout aussi révélateur d’une volonté systématique de stigmatiser ou d’étouffer toute velléité d’évoquer cet épisode « politiquement incorrect » de notre histoire maritime. Il nous est donc apparu indispensable d’illustrer ce qui s’était passé par la suite, en particulier grâce à l’Association des anciens marins et des familles des victimes de Mers el-Kébir créée en 1984 et qui poursuit avec détermination et persévérance son combat pour la mémoire de ces marins dont il importe de continuer à défendre la dignité et le souvenir de leur sacrifice. Telles sont les raisons qui nous ont amenés à évoquer les grandes dates de commémoration (1990 le cinquantenaire, puis en 2000 et plus récemment 2010 avec le 70e anniversaire), les lieux de mémoire (Brest, Toulon, Nîmes, Carnon, Pornic…), les pèlerinages en Algérie sans oublier le douloureux épisode de la profanation des tombes, le retour des restes d’un marin inconnu de Mers el-Kébir, les monuments érigés à la mémoire des marins, jusqu’à l’hommage rendu aux marins disparus à Brest en 2006 par l’ambassadeur de Grande-Bretagne et la visite de notre délégation à Portsmouth en 2007 à l’invitation de l’Association des anciens marins du HMS Hood. Plus de soixante-dix ans après l’opération Catapult, une question lancinante se pose, à laquelle nous n’avons encore aujourd’hui aucune réponse satisfaisante et exempte de toute polémique : pouvait-on éviter ce drame ? Et si, comme l’ont d’ailleurs affirmé en leur temps certains amiraux britanniques et non des moindres, cette action n’était pas nécessaire sur le plan stratégique, comment justifier le massacre inutile de ces marins qui se sont défendus avec tant de courage, aux dires de leurs adversaires eux-mêmes qui ont cru, ou à qui l’on a fait croire, qu’ils ne se défendraient pas et s’enfuiraient à la première salve ? C’est pourquoi nous avons saisi l’occasion de battre en brèche certaines idées préconçues martelées depuis des décennies, en ponctuant textes et illustrations de citations d’auteurs ou de personnalités, principalement britanniques, qui montrent l’inutilité (unnecessary*, c’est-à-dire inutile, qui n’est pas nécessaire, ont écrit des amiraux britanniques) de ce massacre rendu inévitable par la volonté d’un seul homme. La publication de la Mémoire de Mers el-Kébir traduit non seulement la volonté de l’Association de se donner les moyens de fournir de nouvelles clés d’interprétation de ce drame, mais résulte aussi d’un travail collectif auquel ont contribué de nombreuses personnes – familles des victimes ou sympathisants – qui ont participé à la collecte des documents ou à leur mise en forme en vue de cette édition et que nous remercions chaleureusement. Il importe désormais que cet ouvrage puisse être largement diffusé non seulement dans notre entourage familial mais aussi vers un cercle élargi de lecteurs intéressés y compris dans le grand public, afin de rappeler que pendant cette guerre particulièrement cruelle nos marins ont eu souvent à affronter des situations aussi tragiques qu’inattendues et parfois difficiles à comprendre par nos contemporains. | 11| Les prota gonistes du drame… PP ROTAGONISTES DU DRAME L'amiral Gensoul et le CV Danbé sur la passerelle du Dunkerque. L'amiral Darlan. 12 L'amiral Darlan et Sir DudleyPound, First Sea Lord. Les autorités françaises et anglaises dont l'amiral Darlan et Sir Dudley Pound. 1 1940 JUIN UN | UNE | L ' EXODE | L ' ANNONCE | LA FLOTTE NAVAL GENÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |16| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |23| L ' ARMISTICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |24| . . . . . . . . . . . . . . . . . |31| CONVOITÉE DE DE . . . . . L ' OPÉRATION CATAPULT TOURNANT DÉCISIF L’attaque de la flotte française par une escadre britannique, les 3 et 6 juillet 1940, a marqué à jamais la mémoire des rescapés comme celle des proches des marins disparus. Assimilés à des vaincus, ils ont été traités comme les complices d’une défaite honteuse et leur silence, interprété comme de la pudeur, n’était en fait que le résultat d’une véritable autocensure en réponse à certains milieux prompts à pratiquer, et ce encore de nos jours, un véritable ostracisme à leur égard et qui faisait revivre en eux les effets du terrible traumatisme qu’ils avaient subi pendant ce drame impensable. En effet, le sujet est resté longtemps un véritable tabou dénoncé en son temps par l’amiral Gensoul lorsqu’il rapporta, lors de sa déposition devant la commission Sablé, en mai 1946 : « Le souvenir de ces morts dérange tout le monde parce que l’événement échappe à la logique. Il est à part des tragédies de la guerre. Personne n’a intérêt à ce qu’on en parle de trop ». Pourtant, une telle tragédie ne peut se comprendre sans un minimum d’éclairage, tant cette période sombre, tumultueuse, incertaine de notre histoire donne lieu à des interprétations aussi diverses que contradictoires. En ce début de XXIe siècle, 70 ans après, on ne peut se satisfaire de l’hypothèse de la reddition possible ou envisageable de la flotte française, cheval de bataille churchillien que l’histoire officielle a retenue. Cette thèse est toujours relayée par certains historiens consacrés par les médias qui, ainsi, absolvent de toute responsabilité le véritable commanditaire de cette tragédie : Winston Churchill. Et pourtant, tous ceux qui ont échappé à cette mort brutale gardent en eux le sentiment du devoir accompli, de l’honneur préservé. Ils donnent ainsi une belle leçon de courage et de dignité aux générations futures en quête d’idéal. Il est donc primordial, impératif, de poursuivre avec détermination et persévérance ce devoir de mémoire, afin de compenser une désinformation toujours présente. « Nos morts ne doivent pas entrer dans l’Histoire par la petite porte » a inlassablement répété, Mme Grall, première présidente de notre association. Cet album est un relai entre générations. C’est aussi un hommage rendu à tous ces marins que l’Histoire veut confiner à jamais dans la poussière de l’oubli. AA Une entente cordiale, protection des convois dans l'Atlantique nord Souvenons-nous. Le repli vers l’Afrique du Nord, durant la première quinzaine de juin, était envisageable à condition d’être accompagné d’une infrastructure économique suffisante, d’un pouvoir politique uni et décidé, enfin d’un soutien sans faille de l’allié britannique. Après le 16 juin, il est trop tard car les pourparlers d’armistice sont engagés. Après la rupture du front de la Somme, la France perd la bataille de France. Reynaud hésite à prendre la direction d’Alger, Pétain et Weygand sont contre le repli proposé par de Gaulle. Les atermoiements d’un gouvernement aux abois et le manque de liaison finiront par déboussoler le Haut Commandement en Afrique du Nord. En ce début juin, le cabinet de guerre britannique est obnubilé par l’idée que la flotte puisse tomber aux mains des Allemands 7 JUIN L'amiral Dudley Pound suggère à son Amirauté : « La seule solution possible est de couler la flotte française, même si la France accepte de la saborder car je doute qu’elle nous la livre, nous devons torpiller ses navires nous-mêmes. » Le Hood vu du Dunkerque. Timoniers anglais et français aux postes de veille sur la même passerelle. Le Dunkerque vu du Hood. | 16| JUIN 1940 | UN TOURNANT DÉCISIF | Une entente cordiale, protection des convois dans l 'Atlantique nord… UNE FLOTTE CONVOITÉE VANT L ' ARMISTICE Les protagonistes du drame 10 JUIN Les prota gonistes du drame… AA VANT L ' ARMISTICE Churchill ordonne de prendre dès que possible le contrôle des navires de commerce français. Il crée une cellule chargée de décrypter les messages français (les codes du Narval, réfugié à Malte après l’appel du 18 juin, pillés par un commando anglais lui permettront à partir du 25 juin de traduire l’ensemble des messages de l’amirauté française et en particulier ceux de Darlan signés sous le pseudonyme de Xavier 377). 11 JUIN Churchill et l'amiral Cunninghan. L'amiral Cunninghan. Nouvelle étude des états-majors anglais qui conclut « tout doit être tenté pour persuader autant de navires que possible de se joindre à notre flotte ou être fait pour presser les Français de saborder toutes leurs unités. » L’irréparable n’est pas encore à l’étude mais Churchill, habile et rusé, suit attentivement le cours des événements. 12 JUIN Weygand estime nécessaire « de mettre fin au combat » et d’envisager une proposition d’armistice. 13 JUIN Réception du Dunkerque et du Strasbourg par la Royal Navy. À Cangé, près de Tours, Pétain résume la position française (cf. Pétain, Marc Ferro) : « Le renouveau français, il faut l’attendre en restant sur place. » 15 JUIN L’obsession de Darlan est alors de sauver la flotte. Les pourparlers d’armistice le préoccupent, il veut des assurances car il n’ignore pas l’importance de la question maritime dans les prochaines négociations. Il fait accélérer les préparatifs d’appareillage de la flotte et envisage de l’envoyer vers les ports anglais, en particulier le Jean Bart et le Richelieu (promesse faite à Churchill) ou vers l’Afrique du Nord. Reynaud s’oppose à Weygand, mais l’un comme l’autre oublient de faire l’inventaire avec Darlan des solutions envisageables pour la flotte. Selon l'amiral Auphan « la flotte serait passée dans les ports alliés sans sourciller, si le ministre de la Marine dans le cabinet dont faisait partie le général de Gaulle, lui avait donné l’ordre. Monsieur Reynaud, ministre de la Défense nationale, pouvait le donner avant de démissionne ». L'amiral Somerville. 18 | JUIN 1940 | UN TOURNANT DÉCISIF | 19| JUIN Bordeaux, Reynaud démissionne, le président Lebrun fait appel à Pétain. À Londres, de Gaulle à Churchill « La flotte ne sera jamais livrée, d’ailleurs, c’est le fief de Darlan, un féodal ne livre pas son fief. Pétain, lui-même n’y consentirait pas ». Dès cette date, cependant, sous la pression churchillienne, l’Amirauté britannique adresse à l’amiral North à Gibraltar et l’amiral Cunningham à Alexandrie, le message suivant (cf. D. Brown : The Road to Oran) : « Dans l’éventualité où la France serait amenée à conclure une paix séparée, il a été demandé à l’Amirauté française d’envoyer la force de Raid à Gibraltar, où elle se trouverait sous notre contrôle. Si cette proposition n’est pas acceptée et au cas où ces bâtiments risqueraient de tomber aux mains ennemies, vous pourrez être amené en dernier ressort à les détruire, en particulier le Dunkerque et le Strasbourg ». Darlan succède à Campinchi et devient ministre de la Marine militaire et marchande. Pétain espère rassurer ainsi les Anglais qui s’interrogeaient sur l’avenir de la flotte. En siégeant au conseil des ministres, Darlan ne veut laisser à personne le soin de discuter des problèmes maritimes dans le cadre d’une future convention. FF Sous les ordre de l'amiral Gensoul Sous les ordres de l ’amiral Gensoul 16 ORCE DE RAID 17 JUIN Intervention maladroite et gênante de Pétain, à la radio : « C’est le cœur serré que je vous dis, aujourd’hui, qu’il faut cesser le combat. » Ses propos, qui laissent entendre que l’armistice est acquis alors que les discussions n’avaient fait l’objet d’aucune concertation préalable, mettent Darlan dans l’embarras. Il réagit aussitôt et câble : « Quelle que soit l’évolution de la situation, la Marine peut être certaine qu’en aucun cas la flotte ne sera livrée intacte. J’ai donné l’ordre à la flotte de combattre avec la plus grande énergie jusqu’à ce qu’un ordre de moi, authentique, lui dise le contraire ». L’attitude de Darlan, devenu ministre, évolue. Il admet le bien-fondé de l’armistice et ceci se retrouve dans son message dans la soirée du 17 juin : « Repli flotte en Angleterre devenant de moins en moins probable, prévoir repli colonial ». Les 17 et 18 juin, le porte-avions Ark Royal, le cuirassé Hood et neuf destroyers placés sous les ordres du VA Wells appareillent pour Gibraltar. C’est cette escadre qui prendra par la suite le nom de Force H et interviendra à Mers el-Kébir Catapultage sur le cuirassé Strasbourg. 18 JUIN Dans la nuit du 17 juin, Darlan envoie le message suivant aux amiraux Nord et Ouest : « Ne laissez aucun bâtiment tomber intact aux mains de l’ennemi ». Darlan se trouve conforté par la position du gouvernement qui, à l’unanimité, se prononce « contre la remise d’un bâtiment quelconque à l’Allemagne ou à l’Italie quelles que puissent être les conséquences de ce refus ». Si le 18 juin reste marqué par l’appel du général de Gaulle que l’histoire a retenu, il est nécessaire de rappeler l’exode naval qui avait pour objet d’échapper à l’emprise ennemie. Le cuirassé Strasbourg. | 20| JUIN 1940 | UN TOURNANT DÉCISIF | Le cuirassé Dunkerque. L ' EXODE NAVAL Sous les ordres de l'amiral Gensoul Sous les ordres de l ’amiral Gensoul FF ORCE DE RAID À la veille de la prise des ports par les Allemands et grâce à des combats d’arrière-garde organisés par des détachements de la Marine à Landerneau et Hennebont, l’amiral de Laborde, qui commande à Brest, réussit à faire évacuer en 10 heures 86 bâtiments de guerre dont le cuirassé Richelieu et 76 navires de commerce. Même départ précipité de Lorient, Cherbourg ou Bordeaux sans oublier le Jean Bart, autre cuirassé, en cours d’achèvement, qui fait une évacuation extraordinaire de Saint-Nazaire. 19 000 marins et militaires de l’armée de Terre, 2 500 hommes et passagers de la marine marchande s’échappent ainsi, auxquels il convient d’ajouter des centaines de pêcheurs. Ainsi, 70 000 tonnes de navires de guerre (1/10 de la flotte) et 300 000 de bâtiments de commerce (1/7 de la marchande), trouvent « refuge » dans les ports anglais, comme à Plymouth le cuirassé Paris, le contre-torpilleur Triomphant ou le sous-marin Surcouf. Aux Antilles, sont mouillés le porte-avions Béarn et les croiseurs légers Émile Bertin et Jeanne d’Arc. Le cuirassé Richelieu fait route sur Dakar. Le cuirassé Jean Bart arrive à Casablanca. La force X de l’amiral Godfroy stationne à Alexandrie. Des sous-marins sont à Beyrouth. La force du Raid de l’amiral Gensoul est à Mers el-Kébir. Les croiseurs légers des divisions Bourragué et Marquis sont basés à Alger. Mise en alerte, l’escadre de la Méditerranée à Toulon est prête aussi à partir. Cette activité intense n’échappe qu’à un seul homme, Churchill qui, de parfaite mauvaise foi, n’hésita pas à affirmer, dans ses Mémoires : « Aucun navire français ne bougea pour se mettre hors de portée de la puissance allemande qui se déployait rapidement, donc la Marine a abandonné ses navires à l’ennemi ». 19 JUIN A Bordeaux, Darlan déclare à Sir Alexander, premier Lord de l’Amirauté (ministre de la Marine), l’amiral Sir Dudley Pound, premier Lord de la Mer (commandant en chef de la Royal Navy) et Lord Lloyd, ministre des Colonies, « Je vous donne ma parole d’honneur que la flotte française ne sera jamais livrée et qu’elle sera plutôt détruite que subir une infamie ». Le cuirassé Bretagne. Le cuirassé Provence. 22 Le transport d'aviation Commandant Teste. Chargement d'un Potez sur le Commandant Teste, le 3 juillet. Un Morane dans le hangar du Commandant Teste. | JUIN 1940 | UN TOURNANT DÉCISIF | 23|