La stratégie des marques de distributeur au Québec

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La stratégie des marques de distributeur au Québec
La stratégie des marques de
distributeur au Québec
par : JoAnne LABRECQUE et
Philippe LEMBLÉ
Cahier de recherche n° 00-02
Septembre 2000
ISSN : 0846-0647
Copyright © 2000. La Chaire de commerce Omer DeSerres, École des Hautes Études Commerciales de Montréal.
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Résumé
La marque de distributeur, aussi appelée marque de magasin ou marque privée,
reflète le désir des chaînes de magasins d’obtenir une plus grande marge de
manœuvre et plus d’autonomie vis-à-vis des marques de fabricant. Elle représente un
outil stratégique permettant à l’enseigne de se différencier et d’atteindre ses objectifs
de rentabilité.
Bien que le Canada se hisse dans les premiers pays où le taux de pénétration des
marques de distributeur, en alimentaire, est le plus élevé, les études réalisées auprès
de chaînes de détaillants nationales sont rares. L’objectif de cette recherche
exploratoire est d’examiner quels facteurs favorisent la pénétration des marques de
distributeur au sein d’entreprises québécoises.
Des entretiens qualitatifs ont été menés auprès de directeurs de marketing et de
managers de marques provenant de distributeurs des secteurs de l’alimentaire, la
pharmacie, le vêtement et la quincaillerie/rénovation au Québec.
L’analyse des commentaires recueillis auprès des gestionnaires permet de constater
que la mise en marché de produits d’une MDD vise prioritairement à optimiser la
rentabilité des opérations, en second lieu, à fidéliser la clientèle et, en troisième lieu,
à doter le distributeur d’un pouvoir de négociation additionnel qu’une MDD bien
établie génère. Par ailleurs, la mise en marché de produits de MDD se ferait presque
toujours selon un cycle décalé par rapport à la mise en marché de produits ou de
catégories de produits de marques nationales. De cette façon, les distributeurs
réduisent les coûts de développement des produits, mais surtout, des coûts
promotionnels nécessaires pour créer la demande d’un nouveau produit.
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La stratégie des marques de distributeur au Québec
La marque de distributeur (MDD) est le terme général utilisé pour désigner la
marque apposée par un distributeur, grossiste ou détaillant, sur un produit pour
lequel il sous-contracte la production. Aussi appelée marque propre, marque maison
ou marque de magasin, elle a retenu l’attention au cours des dernières années tant des
distributeurs que des consommateurs et ce, pour différentes raisons. Pour le
distributeur, la gestion d’une MDD comporte plusieurs avantages. Entre autres, elle
permet de fidéliser la clientèle par une offre de produits plus différenciée et de
réaliser des marges de profit supérieures à celles obtenues pour la vente de produits
de marques nationales comparables. En contrepartie, la MDD offre aux
consommateurs des produits originaux à un excellent rapport qualité/prix. Ainsi,
nous avons pu observer depuis le début des années 90, qu’une attention plus
soutenue était accordée à la mise en marché de nouvelles MDD, et ce, dans plusieurs
secteurs du commerce de détail s’appliquant à divers types de produits, allant des
biens de consommation courante comme des produits alimentaires aux biens semidurables comme des articles de bricolage.
Jusqu’à présent, plusieurs chercheurs (Raju, Sethuraman et Dhar, 1995; Dhar et
Hoch, 1997; Hoch et Banerji, 1993; Richardson et al., 1994; Santi, 1997;
Sethuraman, 1992; etc.) ont étudié les MDD et se sont penchés principalement sur
l’étude des variables qui expliquent leur pénétration dans les produits alimentaires ou
autres biens de consommation courante vendus en supermarché. La plupart de ces
études ont été réalisées dans un contexte européen ou américain.
Dans cet article, il est question d’explorer comment les MDD percent le marché dans
quatre secteurs du commerce de détail québécois, notamment l’alimentaire, la
pharmacie, le vêtement et la quincaillerie/rénovation.
Typologie des MDD
Selon divers auteurs (Chetochine, 1992; Ducrocq, 1993; Maillard, 1989; Benoun et
Heliès-Hassid, 1995; Fitzell, 1992.), trois catégories de MDD existent sur le marché :
la contre-marque, la marque d’enseigne et la marque générique.
La contre-marque porte un nom original et ne possède aucun lien direct avec le
nom de l’enseigne ou son logo. Essentiellement, la contre-marque permet au
distributeur de miser sur une stratégie de différenciation de produits par une offre
diversifiée et originale en offrant aux clients des produits spécialement conçus pour
ses magasins. Comme le nom de cette marque n’est pas associé à l’enseigne, la
notoriété de la contre-marque est à bâtir, ce qui est une tâche ambitieuse et peut
représenter des frais de gestion importants. La contre-marque peut englober un
nombre restreint de catégories de produits, voire une seule. Les marques Charter
Collection, Concept XXV, Grenadier offertes dans les magasins La Baie, les marques
Basic Style, Collection Classique, Easy Wear vendues dans les magasins Reitmans
ou encore la marque Avanti disponible chez Réno-Dépôt, en sont des exemples.
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La contre-marque peut aussi être destinée à un grand nombre de catégories de
produits. Cette approche permet de réaliser des économies d’échelle grâce à la
standardisation des emballages de produits et de la distribution. Les distributeurs qui
opèrent plusieurs bannières, comme la Société Métro-Richelieu Inc., qui regroupe les
enseignes Métro, Richelieu et SuperC, peuvent ainsi réaliser des économies en
distribuant une seule marque dans les magasins de leurs différentes enseignes.
Plusieurs distributeurs ont fait l’introduction de contre-marques au cours des années
90. Les produits Nos Compliments chez IGA, Experience chez Provigo, Sélection
Mérite chez Métro, Option+ chez Uniprix, Endurance Plus chez Unitotal illustrent
cette approche. La contre-marque peut être issue d’un contrat exclusif établi entre le
distributeur et un designer qui donne son nom à la contre-marque, comme cela est le
cas dans le secteur des textiles. Un personnage public ou un organisme peut
également prêter son nom sous licence exclusive. Les produits de marque Wayne
Gretsky, disponibles dans les magasins La Baie, ou les produits McKids vendus dans
les magasins Sears en sont des exemples (Stern et al., 1996).
La marque d’enseigne, aussi désignée sous le vocable de marque parapluie,
constitue une marque corporative pouvant couvrir un grand nombre de catégories de
produits, voire tous les produits vendus par l’enseigne.
Dans plusieurs cas, le distributeur associe explicitement son nom ou une particule de
son nom aux produits. Il peut utiliser une présentation homogène pour l’ensemble
des produits ou varier les emballages, les couleurs et les motifs de présentation selon
la famille de produits (Fitzell, 1992). Si nous excluons le secteur du textile, les
marques d’enseigne englobent généralement des produits qui offrent un bon rapport
qualité/prix mais qui, en général, sont peu sophistiqués.
La marque d’enseigne a le grand avantage de créer une synergie entre la promotion
des produits et celle du magasin. Les coûts de publicité, qui représentent des coûts
importants dans le lancement d’une nouvelle marque, sont ici considérablement
réduits. Elle renforce aussi les liens entre les magasins d’un distributeur par
l’uniformisation des assortiments. Sa grande vertu consiste donc à renforcer la
relation entre le consommateur et le magasin.
En outre, la qualité devrait être uniforme à travers les catégories de produits pour
donner un message cohérent aux consommateurs. Les produits qui ne se conforment
pas aux critères de qualité établis devraient être commercialisés sous une autre
marque. Ainsi, le fait d’inclure des catégories de produits qui ne remplissent pas les
mêmes fonctions comme des articles d’hygiène, de beauté et des produits
alimentaires sous la marque d’enseigne, peut comporter certains risques si la
constance dans la qualité des produits des diverses catégories laisse à désirer. Cela
peut affecter négativement l’image de la marque, et parfois, l’image de l’enseigne.
En cas de défaillance d’un produit, c’est la totalité de la marque qui risque d’en être
affectée. Les marques IGA, Métro, Bay Club, Gold International, Essaim, Ro-Na,
Unitotal sont des marques d’enseignes québécoises bien connues.
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La marque générique correspond aux produits libres lancés par la chaîne Carrefour
en France et aux produits blancs lancés aux États-Unis, ou encore, aux produits sans
nom No name products disponibles dans les magasins Loblaw. Ce type de marque
s’applique aux produits moyen/bas de gamme et à forte rotation, dont l’emballage, à
l’aspect dépouillé, est peu ou pas identifié à l’enseigne. On retrouve des produits de
marque générique principalement dans les secteurs alimentaires et pharmaceutiques.
La force de la marque générique est sa constance dans les bas prix, qui sont
généralement inférieurs de 10 % aux autres types de MDD, soit en moyenne de 30 %
à 40 % en dessous des marques nationales (Fitzell, 1982). L’attrait pour les marques
génériques, qui ont fait leur apparition à la fin des années 1970, a commencé à
s’estomper aux États-Unis au milieu des années 1980 en raison de leur inconsistance
dans les standards de qualité, leur emballage peu attirant, le manque de soutien du
détaillant concernant le marketing et l’amélioration de la situation économique des
ménages (Fitzell, 1992). Récemment, suite à l’acquisition de Provigo, Loblaw a
relancé au Québec les produits sans nom en déployant les produits à l’emballage
uniforme jaune dans ses magasins.
Contexte de l’étude
Quelques études empiriques menées par des chercheurs américains (Sethuraman,
1992; Hoch et Banerji, 1993; Dhar et Hoch, 1997) ont permis d’identifier des
variables ayant un impact significatif sur la part de marché des MDD. Ainsi, la
qualité du produit et sa constance, le volume des ventes de la catégorie, la marge
brute dans la catégorie, le nombre de marques nationales dans la catégorie, la
profondeur de l’assortiment, l’écart de prix entre marque nationale et MDD, les
dépenses de publicité par les fabricants de marques nationales, l’hétérogénéité dans
les parts de marché, et le nombre de magasins dans la chaîne affecteraient le volume
de ventes d’une MDD.
L’objectif visé dans cet article est de vérifier auprès de gestionnaires québécois les
aspects qu’ils considèrent dans la décision de développer et de maintenir une MDD.
Comme l’équilibre dans l’assortiment de produits entre le volume dédié aux marques
nationales et aux MDD est un aspect qui a peu été discuté, nous voulons également
explorer comment cet équilibre est établi au sein des entreprises consultées.
Pour répondre à ces objectifs, nous avons réalisé des entretiens de type qualitatif
auprès de gestionnaires provenant de 11 distributeurs et/ou chaînes de détaillants.
Les entreprises participantes provenaient de quatre secteurs du commerce de détail
notamment, l’alimentaire (Sobey’s Québec, Métro-Richelieu, Provigo); le vêtement
(A. Gold & Sons, La Baie, Reitmans); la pharmacie (Essaim, Uniprix) et la
quincaillerie/rénovation (Sodisco-Howden, Rona-Dismat, Réno-Dépôt). Les
gestionnaires de MDD ou les directeurs marketing au sein des entreprises
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sélectionnées ont été sollicités pour participer à des entrevues individuelles. La
section suivante présente les résultats de ces entrevues.
Résultats
Objectifs poursuivis par les distributeurs
Les commentaires que nous avons recueillis auprès des gestionnaires nous ont
permis de dégager sept objectifs poursuivis dans la mise en marché de MDD, dont
deux d’entre eux, la rentabilité supérieure des MDD et la recherche de la fidélisation
de la clientèle, ont été mentionnés par l’ensemble des gestionnaires.
Les autres objectifs qui ne font pas l’unanimité, varient selon le secteur d’activité.
Par exemple, l’offre de produits différenciés est un aspect important qui a été relevé
par tous les gestionnaires, sauf ceux du secteur pharmaceutique.
La substitution constitue un critère qui importe surtout pour les gestionnaires du
secteur de la quincaillerie, même si elle touche également ceux des secteurs de
l’alimentaire et de la pharmacie.
Certains gestionnaires des secteurs pharmacie et quincaillerie nous ont indiqué
développer une MDD dans le but de renforcer le pouvoir de négociation du
distributeur face aux fabricants de marques nationales.
Dans certains cas, notamment pour le secteur de la quincaillerie l’objectif poursuivi
est d’offrir une alternative moins chère à la clientèle.
Tableau 1
Objectifs de mise en marché des MDD selon le secteur d’activité
Objectifs
Alimentaire
Pharmacie
Vêtement
Quincaillerie
333
333
333
333
Rentabilité supérieure
333
33
333
33
Fidélisation
33
33
33
Différenciation/exclusivité
333
333
Arme de négociation
33
3
Complémentarité
33
3
333
Substitution
333
Offrir alternative moins chère
3 : indique l’intensité au sein d’un groupe (333= maximum); évalué par le nombre de fois que les mots
clés sont cités et/ou d’après l’importance qu’en témoignent les personnes interviewées.
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Le développement d’une MDD s’associe donc aux tactiques stratégiques utilisées
pour maximiser la rentabilité du distributeur et pour fidéliser sa clientèle. Selon les
commentaires des gestionnaires rencontrés, l’effet positif des MDD sur la rentabilité
est atteint grâce à des marges supérieures à celles réalisées sur des produits de
marques nationales, alors que la fidélisation de la clientèle par la MDD s’accomplit
en lui offrant un assortiment de produits différencié.
La fidélisation de la clientèle se ferait aussi en traduisant les bénéfices réalisés sur les
MDD en baisses de prix avantageuses pour les clients sur des produits de marques
nationales pour lesquels ils sont sensibles aux prix ou sur d’autres produits qui ne
présentent peu ou pas de concurrence aux produits de MDD.
La source de profit des MDD deviendrait donc un avantage concurrentiel pour la
chaîne de détaillants qui réalise un volume de ventes intéressant sur ses produits de
MDD.
Critères de sélection des produits mis en marché
Nous avons demandé aux gestionnaires de nous faire part des critères qu’ils utilisent
dans la sélection des catégories et des produits à développer sous la MDD. Nous
avons classés ces critères selon l’objectif auquel ils se rattachaient le plus. Le tableau
2 présente cette compilation suivant le secteur d’activité. Dans ce tableau, nous
avons regroupé les objectifs de différenciation, complémentarité et l’offre d’une
alternative moins chère sous l’objectif de fidélisation puisque, indirectement, ils
contribuent tous à l’objectif de fidélisation.
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Tableau 2
Critères de sélection des catégories de produits relatifs
aux objectifs de mise en marché de MDD
CRITÈRES DE SÉLECTION RELATIFS
AUXOBJECTIFS DE MISE EN MARCHE DES
MDD
Alimentaire
Pharmacie
Vêtement
Quincaillerie
333
333
333
333
333
333
33
333
33
333
333
333
333
333
333
33
33
33
OBJECTIF : RENTABILITE SUPERIEURE
§
§
§
§
§
§
§
§
§
Potentiel de vente de la MDD
Marge détaillant supérieure à celle sur la
MN
Marge grossiste supérieure à celle sur la
MN
Taux de croissance rapide de la MN
Copie des produits de MN en croissance
Taux de croissance rapide de la MN
Taux de rotation des stocks élevé
Nature de la catégorie : produits de base,
produits prêts à consommer
Augmenter la performance de vente de la
catégorie
3
33
33
33
3
33
OBJECTF : FIDELISATION
§
Fixation d’un écart de prix entre MDD et MN
§
Existence d’une niche inexploitée
33
333
3
3
33
33
OBJ : NEGOCIATION AVEC
MANUFACTURIER
§
Copie des produits de MN qui sont en croissance
3
333
33
3
333
33
OBJECTIF : SUBSTITUTION
§
Copie des produits de MN qui sont en croissance
3 : indique l’intensité au sein d’un groupe (333= maximum); évalué par le nombre de fois que les mots clés
sont cités et/ou d’après l’importance qu’en témoignent les personnes interviewées.
MN : marque nationale.
Trois critères font l’unanimité auprès des gestionnaires, notamment, le potentiel des
ventes qu’offre la catégorie ou un produit en particulier, les marges avantageuses
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pour le grossiste ou pour le détaillant. Ces trois critères supportent tous l’atteinte de
l’objectif visant la recherche d’une rentabilité supérieure.
Même s’ils peuvent être associés à d’autres objectifs, plusieurs autres critères cités
par les gestionnaires s’inscrivent également dans la logique de rentabilité supérieure.
Ceci est le cas des aspects suivants : le taux de croissance rapide des produits de
marques nationales, le taux élevé de rotation des stocks, la contribution à augmenter
la performance des ventes de la catégorie de produits, la capacité à réaliser le volume
minimum de ventes pour l’année, qui sont toutes des variables contribuant à la
rentabilité globale d'un commerce.
Pour plusieurs détaillants, la possibilité de fixer un écart de prix entre le produit de
MDD et celui de la marque nationale, où l’existence d’une niche inexploitée leur
permet de développer des produits de MDD qui viseront à fidéliser la clientèle ou à
se différencier. Par ailleurs, certains détaillants décideront de développer des copies
de produits pour lesquels les ventes des produits de marques nationales affichent une
croissance rapide dans l’intention de contrebalancer le pouvoir de négociation des
manufacturiers.
Cette analyse permet de constater que la mise en marché de produits d’une MDD
vise prioritairement à optimiser la rentabilité des opérations, en second lieu, à
fidéliser la clientèle et, en troisième lieu, à doter le distributeur d’un pouvoir de
négociation additionnel qu’une MDD bien établie génère.
Si on compare les critères de sélection mentionnés par les gestionnaires rencontrés
avec ceux relevés dans les études antérieures (Tableau 3), nous pouvons constater
une similitude, principalement dans les critères qui supportent l’objectif de
rentabilité supérieure. Les résultats des études antérieures démontrent l’importance
de critères qui définissent l’intensité de la concurrence dans la sélection des produits
de MDD.
Ainsi, le nombre de marques nationales dans la catégorie, la profondeur de
l’assortiment, l’hétérogénéité des parts de marché et les dépenses de publicité des
fabricants de marques nationales sont toutes les variables dont l’impact sur la
sélection des produits de MDD a été reconnu dans des recherches antérieures. Les
gestionnaires que nous avons rencontrés n’ont formulé aucun commentaire qui se
rapportait directement à ces aspects. Ils ont par contre spécifié des critères associés à
la qualité des produits, à la nature du produit et à l’existence d’une niche inexploitée
qui n’apparaissaient pas dans les résultats des études passées.
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Tableau 3
Comparaison de critères de sélection des catégories de produits
Études antérieures
Potentiel des ventes de la MDD (catégorie?)
Copie des produits de MN qui sont en croissance
Taux de croissance rapide de la MN
Étude Québec
ü
ü
ü
ü
ü
ü
ü
Volume du produit minimum à écouler pour l’année
Nombre de magasins dans la chaîne
Augmenter la performance de vente de la catégorie
Fixation d’un écart de prix entre MDD et MN
Marge détaillant supérieure à celle sur la MN
Marge grossiste supérieure à celle sur la MN
Nombre de marques nationales dans la
catégorie
Profondeur de l’assortiment
Hétérogénéité des parts de marché
Dépenses de publicité des fabricants de MN
Qualité du produit et sa constance
ü
ü
ü
ü
ü
Existence d’une niche inexploitée
ü
ü
Nature de la catégorie : produits de base, produits
prêts à consommer, etc.
ü
Taux de rotation de stock élevé
Équilibre entre l’offre de marques nationales et celle de MDD
Peu d’études ont été effectuées sur l’importance que les produits de MDD peuvent
prendre dans une catégorie. Les résultats d’études antérieures sur cette question se
résument à ceux de Vishwanath et Mark (1997) qui nous indiquent que la part de
marché que va s’accaparer une marque dépend de sa position face aux marques
concurrentes, à savoir s’il s’agit d’une marque dominante ou secondaire, et du degré
de « supériorité » de la catégorie de produits. Même si les gestionnaires s’interrogent
sur la question de l’équilibre à atteindre entre l’offre de marques nationales et celle
de MDD, leur expérience dans la gestion de ce type de marque est souvent trop
réduite pour se prononcer sur la nature de cet équilibre. C’est du moins le cas dans le
secteur pharmaceutique. Les gestionnaires reconnaissent que les ventes peuvent
plafonner, mais se sont montrés peu précis sur la répartition des ventes après
l’introduction du produit de MDD.
Reconnaissant la rentabilité supérieure des MDD et le pouvoir d’attraction des
marques nationales, les gestionnaires du secteur du vêtement constatent qu’il y a une
décision à prendre quant à l’importance à accorder aux produits de MDD et à ceux
des marques nationales dans la sélection de l’assortiment de produits. Ils n’arrivent
toutefois pas à exprimer ou à quantifier les proportions optimales à accorder à ces
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deux types de marques. Selon l’un d’entre eux, l’idéal, serait d’arriver à faire comme
l’entreprise américaine Gap, qui a démarré en vendant des marques nationales et qui
a développé ses produits de MDD, dont les ventes ont évolué avec succès jusqu’à
représenter cent pour cent des ventes.
L’emphase sur le développement de MDD est assez récent dans le secteur de la
quincaillerie. Les marques nationales occupent une place importante dans
l’assortiment de produits, puisque ce sont elles qui créent la demande et qui jouent le
rôle d’attirer la clientèle. Ainsi, la pénétration des produits de la MDD dans ce
secteur tend à suivre un cycle décalé de celui de la marque nationale.
Lorsqu’un fabricant met sur le marché un produit innovateur, une période de temps
considérable peut s’écouler avant que les produits commercialisés sous une MDD
soient introduits. Une fois que les ventes du nouveau produit s’accaparent d’une part
de marché significative, il devient intéressant pour le distributeur de développer un
produit similaire pour bénéficier du potentiel de la nouvelle demande.
La majorité des produits commercialisés sous une MDD correspondent donc à des
copies de marques nationales. En phase de maturité, la MDD peut atteindre les
niveaux de ventes de la marque nationale, voire la supplanter, si cette dernière arrive
en phase de déclin. La MDD serait donc rarement présente au début du cycle de vie
du produit, et pourrait obtenir une forte pénétration en fin de cycle, même si elle
atteint un plafond de ventes.
Les gestionnaires interrogés reconnaissent que leurs MDD sont, en général, loin
d’être à maturité et qu’elles ont leur place dans ce marché. Par exemple, à long
terme, les quincailleries de proximité pourraient avoir un assortiment composé
majoritairement de MDD, reflétant les comportements des consommateurs qui ne
sont pas sensibles à la marque pour certains types d’articles. Si optimum il y a, dans
la pénétration des MDD, il n’est pas toujours recherché par les entreprises
interrogées.
La gestion des marques maison dans le secteur de l’alimentation a pris un tournant
au Québec au début des années 90. Au Canada, le premier distributeur alimentaire à
innover en matière de marque maison, est sans contredit Loblaw, avec le
développement de la marque President’s Choice. L’innovation de Loblaw dans les
années 80 a été de développer des produits de marque maison de qualité supérieure à
ce que les consommateurs étaient habitués, et des produits originaux.
Réalisant le potentiel de marché des produits de MDD et les bénéfices rattachés, tant
pour les consommateurs que pour le distributeur, les distributeurs québécois n’ont
pas tardé à emboîter le pas. Par exemple, à la fin de 1999, Métro Richelieu comptait
dans son assortiment de produits un millier de produits de marque Sélection Mérite,
comparativement à 2 500 produits President’s Choice chez Loblaw. Aujourd’hui, les
ventes de certains produits de marque Sélection Mérite, dont les biscuits, les
fromages, les céréales et les yogourts, surpassent les ventes des produits de marques
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La stratégie des marques de distributeur au Québec
nationales réalisées dans les magasins de Métro Richelieu (InfoPresse, janvierfévrier 2000 p 58).
Forts de leur expérience avec les MDD, les gestionnaires du secteur alimentaire
rencontrés se sont prononcés d’une façon plus précise sur la question de la
détermination de l’équilibre entre la MDD et les marques nationales que ceux des
autres secteurs de détail. Ils reconnaissent que des seuils de ventes minimal et
optimal existent, mais qu’ils varient selon la catégorie de produit.
D’une part, les produits de MDD doivent réaliser un volume de ventes acceptable
pour motiver l’octroi d’un espace tablette suffisant qui permet d’obtenir un impact
visuel minimum. Par exemple, exposer une seule unité de produit en tablette ne
facilite pas la reconnaissance du produit chez le consommateur et contribue à
maintenir un faible volume de ventes. Lors de l’introduction et de la période de
croissance des ventes d’un produit de MDD, le distributeur peut retirer les produits
de marques nationales de l’assortiment dont la contribution aux ventes de la
catégorie est faible, gardant ainsi que les marques à plus forte rotation. Tant que le
rendement total de la catégorie de produits augmente, il est avantageux pour le
distributeur de pousser sa MDD.
Ainsi, les gestionnaires du secteur alimentaire estiment qu’un point d’équilibre existe
entre l’offre de produits de MDD et de marques nationales, lequel dépendrait de la
catégorie de produit et varierait dans le temps. Ce niveau serait atteint lorsque la
MDD a utilisé tout son potentiel de dynamisation de la catégorie. Des objectifs de
ventes ou de parts de marchés sont fixés à partir du rendement que la MDD apporte à
la catégorie de produit. Certains gestionnaires affirment que le point d’équilibre est
réévalué régulièrement, plusieurs fois par année.
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La stratégie des marques de distributeur au Québec
Figure 1
Volume
de ventes
MN
MDD
T0
T1
Temps
MDD = marque de distributeur
MN = marque nationale
Les commentaires recueillis auprès des gestionnaires des différents secteurs du
commerce de détail permettent de dégager quelques considérations générales sur la
part qu’occupent des produits de MDD au sein d’une catégorie.
D’une part, la mise en marché de produits de MDD se ferait presque toujours selon
un cycle décalé par rapport à la mise en marché de produits ou de catégories de
produits de marques nationales. De cette façon, les distributeurs réduisent les coûts
de développement des produits, mais surtout, des coûts promotionnels nécessaires
pour créer la demande d’un nouveau produit. Par ailleurs, en sélectionnant les
produits qui affichent déjà un succès ou un fort potentiel de succès, ils peuvent
réduire considérablement leur risque financier.
Une autre constatation se rapporte à la position optimale à donner aux produits de
MDD dans la catégorie de produits. Cette dernière semble varier selon les conditions
du marché, mais aussi selon la sensibilité du consommateur à l’image de marque, ou
à l’importance accordée à la marque dans le processus de décision du consommateur.
Le potentiel de part de marché des produits de MDD qui entrent dans une catégorie
de produits pour lesquels les consommateurs sont très conscients de la marque sera
plus limité. Certains fabricants de marques nationales peuvent, si la part de marché
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La stratégie des marques de distributeur au Québec
de la MDD devient trop importante, répliquer de façon à limiter les gains de part de
marché pour la MDD. Ils peuvent menacer de retirer leurs produits des magasins, ce
qui est exceptionnel, diminuer ou augmenter leurs investissements promotionnels.
Comme les distributeurs ont des budgets promotionnels assez limités relativement à
ceux des fabricants, ils ne peuvent pas supporter tous leurs produits avec la même
intensité et constance.
En fait, les produits de MDD tirent leur épingle du jeu en adoptant un
positionnement semblable à celui des marques nationales, ou en se positionnant
comme le produit qui offre le meilleur rapport qualité/prix.
Dans le cas d’une catégorie de produits pour laquelle les consommateurs sont moins
sensibles à la marque, l’avantage d’un prix inférieur pour la MDD peut amener une
forte proportion de consommateurs à délaisser les marques nationales pour adopter la
MDD. Si la MDD ne représente pas un parfait substitut, l’introduction du produit de
MDD peut générer une demande additionnelle, augmentant ainsi la demande totale
de la catégorie. Cela pourrait aussi être le cas des catégories pour lesquelles les
marques nationales sont en croissance.
La stratégie à établir pour atteindre un mix de composition optimale entre les
produits de MDD et ceux des marques nationales relève davantage d’une analyse cas
par cas, catégorie par catégorie, selon l’influence que possèdent les marques de
fabricants auprès des consommateurs, que d’une règle générale.
Dans certaines catégories de produits, la MDD ne percera peut-être jamais, dans
d’autres, elle pourrait supplanter les autres marques nationales.
Dans l’atteinte de son objectif de rendement, le distributeur doit donc prendre en
compte le pouvoir attractif des marques nationales en leur donnant l’espace et la
visibilité adéquate. Dans le cas où les marques nationales sont peu connues, comme
c’est le cas pour certains segments de marché dans le secteur vêtement, le potentiel
de développement de la MDD peut aller jusqu’à composer l’assortiment en magasin
à cent pour cent.
La mise en marché de la MDD se fait alors selon le mêmes tactiques que pour celle
d’une marque nationale : création d’une image de marque et d’une notoriété via une
campagne de communication agressive. C’est le cas des magasins GAP et LEVI’S.
Pour terminer, nous avons voulu présenter l’ensemble des variables susceptibles
d’influencer la pénétration des produits de MDD dans une catégorie de produits.
Pour ce faire, nous avons retenu les variables identifiées dans la littérature et par les
gestionnaires que nous avons rencontrés. La figure 2 illustre cette synthèse.
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La stratégie des marques de distributeur au Québec
Figure 2
Variables qui influencent la pénétration de la MDD
Présence de
produits de
MN en
Niche
inexploitée
Ventes au détail/catégorie
Profondeur de
l’assortiment
Nombre de
marques
nationales dans la
catégorie
Pénétration de la
MDD dans la
catégorie
Écart de prix entre
marque nationale
et MDD
Intensité de la
promo./pub. des
Nombre de magasins dans
la chaîne
Hétérogénéité des parts de
marché de la catégorie
Rendement de la
catégorie de
Marge
brute
Qualité du
produit
différentes marques
MN: marque nationale
Les rectangles en trait plein illustrent les variables qui ont été identifiées tant par les
gestionnaires interrogés que dans les recherches antérieures. Les rectangles avec des
tirets représentent les variables que nous avons retrouvés dans la littérature
seulement. Les deux variables présentées dans les ovales regroupent les variables
mentionnées pas les gestionnaires seulement, soit : la présence de produits de marque
nationale en croissance et d’une niche encore inexploitée.
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