1991 - Accueil
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*Titre : *Journal de l'année (Paris. 1967) *Titre : *Journal de l'année *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *1967-2004 *Type : *texte,publication en série imprimée *Langue : * Français *Format : *application/pdf *Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date </ark:/12148/cb34382722t/date> *Identifiant : *ISSN 04494733 *Source : *Larousse, 2012-129536 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34382722t *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 490 Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 1992 ; sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette édition numérique a été spécialement recomposée par les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. downloadModeText.vue.download 2 sur 490 downloadModeText.vue.download 3 sur 490 1 CHRONOLOGIE 1991 downloadModeText.vue.download 4 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 2 Janvier Mardi 1 CEE Le Luxembourg Le Luxembourg assure pour six mois la présidence tournante de la Communauté. COMECON Monnaie Le rouble transférable, unité des échanges au sein du bloc communiste de l’Est, cesse d’exister. La décision prise par les pays membres, en janvier 1990 à Sofia, d’effectuer leurs échanges commerciaux en devises convertibles et aux prix du marché entre en vigueur (éd. 1991). FRANCE Administration La réforme des PTT devient effective. La Poste et France Télécom abandonnent leur statut d’administration au profit de celui d’établissement autonome de droit public. Société La SNCF applique l’interdiction de fumer dans les trains de la banlieue parisienne. JORDANIE Vie politique Les Frères musulmans font leur entrée dans le gouvernement de M. Moudar Badran, où ils obtiennent quatre portefeuilles. Le mouvement islamiste intégriste constitue le principal groupe parlementaire depuis des élections législatives du 8 novembre 1989. Mercredi 2 FRANCE Sécurité Un dispositif anti-attentats baptisé « Vigipirate » est mis en place sur tout le territoire afin de prévenir d’éventuelles actions terroristes liées à la crise du Golfe. S A LVA D O R Conflit Dans l’est du pays, la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) abat un hélicoptère avec, à son bord, trois militaires américains, conseillers de l’armée salvadorienne. Deux d’entre eux, blessés, sont achevés par les maquisards. Le 21, le FMLN déclare que les auteurs de ce crime seront jugés. Jeudi 3 FRANCE Corse Après l’assassinat de trois personnalités de l’île en septembre et en décembre 1990 et au lendemain de la première « nuit bleue » organisée depuis la trêve décrétée le 31 mai 1988 par l’aile dure du FLNC, un Conseil des ministres restreint décide que la police et la justice devront « affirmer davantage l’autorité de l’État ». Le 8, l’aile modérée du FLNC annonce le « gel » de ses actions « militaires » (encadré Corse, u populu corsu). downloadModeText.vue.download 5 sur 490 CHRONOLOGIE 3 TURQUIE Conflits sociaux Ignorant les menaces du gouvernement, plus de un million et demi de travailleurs répondent au premier appel à la grève générale jamais lancé par les syndicats turcs pour protester contre la politique économique. Le 6, la marche sur la capitale des 48 000 mineurs de la ville de Zonguldak, qui ont arrêté le travail le 30 novembre 1990, est bloquée par la police (7 février). Vendredi 4 FRANCE Musique Au château de Versailles, un concert de gala organisé par l’Association des amis de Mozart inaugure les festivités de l’année du bicentenaire de la mort du compositeur. Ce dernier avait joué à Versailles, devant Louis XV, en 1764, à l’âge de huit ans. Dimanche 6 MALI Troubles Afin de mettre un terme au conflit qui avait éclaté en 1990, le gouvernement et les rebelles touareg signent, sous l’égide de l’Algérie, un accord de paix qui prévoit notamment l’instauration d’un régime d’« autonomie interne » dans la région targuie de l’Adrar. GUATEMALA Élection présidentielle Après une campagne électorale marquée par des violences, et au second tour de scrutin, le candidat du Mouvement d’action solidaire (centre droit), M. Jorge Serrano, est élu chef de l’État par 68,08 % des voix contre 31,92 % à son adversaire de l’Union du centre national (droite), M. Jorge Carpio. C’est la première fois en Amérique latine qu’un non-catholique, membre d’une secte protestante fondamentaliste, est élu chef d’État. Il prend ses fonctions le 14 et forme un gouvernement d’union nationale. HAÏTI Coup d’État À la suite de l’élection à la présidence, le 16 décembre 1990, du père Aristide, M. Roger Lafontant, ancien ministre de l’Intérieur de Jean-Claude Duvalier et ancien chef des « tontons macoutes », tente vainement de prendre le pouvoir avec l’aide de quelques militaires. Les pillages et les règlements de compte qui s’ensuivent font une centaine de morts (30 sept). Lundi 7 URSS Religion Pour la première fois depuis 1917, le Noël orthodoxe est jour férié dans les républiques de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie, de Moldavie et de Géorgie, où il a été reconnu comme fête légale. Mardi 8 FRANCE Sociétés Le groupe Moulinex annonce l’achat de son concurrent allemand Krups pour 550 millions de francs. Il devient ainsi le premier fabricant européen de petit électroménager. ARGENTINE Justice Un tribunal militaire condamne à la prison à perpétuité sept officiers, auteurs principaux de la mutinerie du 3 décembre 1990, downloadModeText.vue.download 6 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 4 parmi lesquels le colonel Ali Mohamed Seineldin. Mercredi 9 ENVIRONNEMENT Recherche Une Caravelle affrétée par des laboratoires français et allemands de chimie de l’atmosphère, et équipée d’instruments de mesure, entame une mission de 24 jours autour de la planète afin d’étudier le rôle de l’ozone dans la troposphère. Vendredi 11 SPORT Athlétisme Vingt-huit mois après sa disqualification pour dopage pendant les jeux Olympiques de Séoul et cinq mois après la levée des sanctions prises contre lui, le coureur canadien Ben Johnson effectue son retour à la compétition à Hamilton, au Canada. Samedi 12 PAY S ! B A S Culture L’Opéra d’Amsterdam présente la Main heureuse, d’Arnold Schönberg, et Neither, de Morton Feldman, dans des décors mo- numentaux du plasticien italien d’origine grecque Jannis Kounellis. POLOGNE Vie politique La Diète investit à une très large majorité le gouvernement de M. Jan Krzysztof Bielecki, nommé Premier ministre le 30 décembre 1990 par le président Lech Walesa pour diriger le cabinet jusqu’aux élections législatives anticipées prévues pour le printemps. Dimanche 13 PORTUGAL Élection présidentielle Le socialiste Mario Soares est réélu chef de l’État par 70,4 % des suffrages. Le candidat de droite obtient 14,1 % des voix, le candidat communiste 13 % et celui de l’extrême gauche 2,6 %. TCHÉCOSLOVAQUIE Vie politique Fondé le 19 novembre 1989 par le futur président Vaclav Havel, le Forum civique décide de se transformer en parti politique de centre droit. Malgré la résistance de son aile gauche composée des dirigeants historiques du mouvement, il se déclare hostile au « socialisme sous n’importe quelle forme » et favorable au « capitalisme » (10 février). URSS Nationalités Après que des renforts militaires ont été envoyés le 7 dans la République balte de Lituanie pour y faire appliquer la conscription obligatoire, l’armée soviétique, qui a déjà procédé à diverses opérations d’intimidation, donne l’assaut aux bâtiments de la radio-télévision de Vilnious. Le bilan des combats s’élève à 22 morts. Le président Mikhaïl Gorbatchev rejette la responsabilité de l’opération sur la hiérarchie militaire. PROCHE!ORIENT Otages Après la libération, la veille, par les autorités belges, du Palestinien Nasser Saïd, condamné à perpétuité pour un attentat meurtrier contre des enfants juifs à Anvers le 27 juillet 1980, les quatre derniers occupants du bateau de plaisance le Silco, enlevés avec Mme Jacqueline Valente en MédidownloadModeText.vue.download 7 sur 490 CHRONOLOGIE 5 terranée en 1987, sont libérés en Égypte (éd. 1991). CAP!VERT Élections législatives Ancien parti unique au pouvoir depuis l’indépendance, le Parti africain de l’indépendance subit un échec face au Mouvement pour la démocratie, qui remporte 56 des 79 sièges du Parlement (17 février). Lundi 14 URSS Vie politique Sur la proposition de M. Mikhaïl Gorbatchev, le Soviet suprême élit au poste de Premier ministre M. Valentin Pavlov, qui était ministre des Finances depuis juillet 1989. Celui-ci remplace M. Nikolaï Ryjkov, victime d’une crise cardiaque en décembre 1990. Le lendemain, le président accepte officiellement la démission du ministre des Affaires étrangères Édouard Chevardnadze présentée le 20 décembre 1990. M. Alexandre Bessmertnykh, ambassadeur à New York, lui succède (19 novembre). TUNISIE Attentat Bras droit de M. Yasser Arafat à la direction du Fath, Salah Khalaf, plus connu sous le nom d’Abou Iyad, est assassiné à Carthage avec deux autres dirigeants palestiniens. Le meurtrier du chef des services de sécurité et de renseignement de l’OLP est un garde du corps palestinien au service de l’organisation dissidente du Fath-Conseil révolutionnaire dirigée par Abou Nidal et réfugiée à Bagdad. Mardi 15 ALLEMAGNE Vie politique Au terme de cinq semaines de négociations, les trois partis de la coalition victorieuse aux élections du 2 décembre 1990 concluent un accord sur le programme et la composition du nouveau gouvernement du chancelier Helmut Kohl, qui entre en fonction le 17. Les postes clés ne changent pas de titulaires. Le Parti libéral (FDP) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU) obtiennent chacun un portefeuille supplémentaire au détriment de l’Union chrétienne-sociale (CSU). COLOMBIE Drogue Assuré de ne pas être extradé vers les ÉtatsUnis, le numéro deux du cartel de Medellín, Jorge Luis Ochoa, se rend aux autorités (25). Mercredi 16 FRANCE Administration Le Conseil des ministres approuve un projet de décret qui réglemente le « pantouflage », c’est-à-dire le passage des fonctionnaires dans le secteur privé. Celui-ci sera interdit si l’intéressé a entretenu un certain type de relations avec l’entreprise d’accueil au cours des cinq années précédentes, ou si sa nouvelle activité est incompatible avec ses anciennes fonctions. Justice Secrétaire général de la préfecture de la Gironde de 1942 à 1944 et ancien ministre, M. Maurice Papon gagne son procès en diffamation contre l’hebdomadaire le Nouvel Observateur, qui, dans un article du 21 juin downloadModeText.vue.download 8 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 6 1990, l’avait présenté comme « complice français du génocide ». URSS Vie politique Dans les Nouvelles de Moscou, MM. Stanislav Chataline et Nikolaï Petrakov, réformateurs et principaux conseillers économiques de M. Mikhaïl Gorbatchev, signent une lettre ouverte hostile à l’intervention de l’armée soviétique dans les pays Baltes qui équivaut de leur part à une démission. Jeudi 17 FRANCE Langue Afin de clore la polémique sur la réforme de l’orthographe, l’Académie française propose de soumettre à l’épreuve du temps ses « recommandations » adoptées par le gouvernement le 19 juin 1990. Elle déconseille de les faire appliquer de façon impérative par circulaire ministérielle (éd. 1991). NORVÈGE Souverain Souverain régnant le plus âgé au monde, le roi Olaf V, qui était monté sur le trône le 21 septembre 1957, meurt à 87 ans. Son fils, le prince Harald, lui succède. SPORT Rallye Endeuillé par le meurtre du pilote d’un camion d’assistance au Mali, le 11, le ParisDakar s’achève dans l’indifférence générale par la victoire du Finlandais Ari Vatanen sur Citroën ZX et du motard français Stéphane Peterhansel sur Yamaha. Golfe La guerre éd. 1991 9 janvier À Genève, la « rencontre de la dernière chance » entre le secrétaire d’État américain, James Baker, et le ministre irakien des Affaires étrangères, Tarek Aziz, proposée le 3 par le président George Bush, tourne au dialogue de sourds et aboutit à un échec. 12 janvier Le Congrès américain autorise le président Bush à engager les forces aimées pour faire appliquer les résolutions de l’ONU concernant l’occupation du Koweït par l’Irak. Le Parlement français agit de même le 16. Dans l’ensemble de la France, 200 000 personnes manifestent contre la guerre à l’appel, notamment, du Parti communiste et des Verts. Les manifestations pacifistes et pro-irakiennes se multiplient en Occident et dans les pays arabes. 13 janvier À Bagdad, l’ultime « mission de paix » du secrétaire général de l’ONU, Javier Perez de Cuellar, auprès du président Saddam Hussein échoue. 14 janvier Le plan de paix proposé par la France au Conseil de sécurité de l’ONU est repoussé par les États-Unis. 17 janvier À 2 h 40, heure locale, les forces coalisées placées sous commandement américain engagent l’opération « Tempête du désert ». Sur le terrain, 600 000 soldats alliés – dont 400 000 Américains et 12 000 Français – font face à 550 000 Irakiens. L’offensive est essentiellement aérienne. Des objectifs stratégiques en Irak et au Koweït sont la cible d’intenses bombardements. Les premiers bilans des états-majors alliés sont très positifs. Des attentats ont lieu contre des intérêts américains dans le monde. Ce sont les premiers d’une série de 70 commis au cours du conflit. Ils sont sans grandes conséquences. 18 janvier L’Irak tire un missile Scud, qui est détruit, sur l’Arabie Saoudite et plusieurs, qui blessent quelques personnes, sur Israël. Le 20, les États-Unis fournissent des missiles antimissiles Patriot à l’État hébreu en échange de son engagement de ne pas riposter immédiatement. 39 Scuds sont tirés contre Israël durant le conflit – faisant trois victimes – et 41 contre l’Arabie Saoudite (30 morts). Les tirs de missiles représentent quasiment la seule riposte militaire irakienne. 20 janvier Des aviateurs alliés prisonniers de l’Irak sont exhibés à la télévision irakienne qui andownloadModeText.vue.download 9 sur 490 CHRONOLOGIE 7 nonce, le 21, qu’ils seront détenus comme « boucliers humains » sur des sites stratégiques. Révisant à la baisse le bilan des destructions subies par l’Irak, les autorités militaires alliées déclarent que la guerre sera longue. 22 janvier Les Alliés constatent le sabotage d’installations pétrolières koweïtiennes par les forces irakiennes, qui provoque les semaines suivantes une marée noire dans le Golfe. Le président Gorbatchev, s’inquiète de « l’escalade » du conflit. 23 janvier La volonté d’éliminer le régime de Bagdad et son armée est clairement exprimée par l’état-major américain. Il annonce que les forces coalisées disposent à présent de la « supériorité aérienne ». L’aviation alliée effectue en moyenne plus de 2 500 sorties quotidiennes afin de laminer les positions irakiennes avant le déclenchement de l’offensive terrestre. 36 avions alliés seront détruits au cours du conflit. 24 janvier Les soldats américains libèrent l’îlot koweïtien de Qurah, au large de l’émirat. Le Japon, puis l’Arabie Saoudite et le Koweït, le 25, et l’Allemagne, le 29, annoncent qu’ils portent leur contribution financière à l’opération « Tempête du désert » respectivement à 13, 13,5 et 10,2 milliards de dollars. 26 janvier En quelques jours, une centaine d’avions civils et militaires irakiens se réfugient en Iran, où ils sont saisis. 29 janvier Les forces irakiennes pénètrent en Arabie Saoudite et s’emparent de la ville frontalière de Khafji, qui est reconquise le 1er février par les troupes coalisées. Depuis le sud du Liban, les forces de l’OLP tirent, jusqu’à la fin du mois, de nombreuses roquettes sur Israël, qui riposte par des bombardements. Le ministre français de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, démissionne. 4 février Le président iranien, Hachemi Rafsandjani, confirme la neutralité de son pays et propose sa médiation, qui n’aboutit pas. 6 février L’Irak rompt ses relations diplomatiques avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Arabie Saoudite et l’Égypte. Le roi Hussein de Jordanie accuse les Alliés de vouloir « la destruction de l’Irak et l’établissement d’un nouvel ordre régional ». 11 février À la suite de la mission d’évaluation du potentiel irakien – « la quatrième armée du monde » – effectuée sur place par le secrétaire à la Défense, Dick Cheney, et le chef d’état-major inte- rarmes, le général Colin Powell, le président Bush décide de différer l’offensive terrestre et de poursuivre les bombardements. Au total, 88 500 tonnes de bombes seront déversées par les Alliés sur l’Irak et le Koweït au cours de 106 000 sorties aériennes. 13 février À Bagdad, l’aviation américaine bombarde un bunker qui servait d’abri antiaérien, causant la mort de centaines de civils. 15 février Le Conseil de commandement irakien, la plus haute instance dirigeante, annonce que l’Irak est prêt à appliquer la résolution 660 du Conseil de sécurité de l’ONU à plusieurs conditions, qui sont déclarées inacceptables par les Alliés. Le président Bush appelle les Irakiens à renverser le régime de Saddam Hussein. 18 février À Moscou, Mikhaïl Gorbatchev soumet un plan de paix à Tarek Aziz, que l’Irak déclare accepter le 22, puis le 23 dans une version plus contraignante ; mais les Alliés le jugent insuffisant. 21 février Le président Saddam Hussein prononce un discours particulièrement intransigeant et belliqueux aux forts accents religieux. 22 février Le président Bush laisse à l’Irak jusqu’au 23 à midi, heure de Washington, pour entamer son retrait du Koweït. Au Koweït, les Irakiens détruisent systématiquement de nombreuses installations, notamment pétrolières, se livrent au pillage et effectuent des rafles de civils. 24 février À 6 h, heure locale, les forces coalisées, dont la division française « Daguet », engagent l’offensive terrestre. Leur progression au Koweït et en Irak est rapide. Les soldats irakiens résistent peu ; 60 000 sont faits prisonniers ou se rendent. 25 février Dans la base militaire saoudienne de Dahran, des débris de Scud tombés sur un bâtiment provoquent la mort de 28 soldats américains. 26 février Le président Saddam Hussein annonce la « victoire » de l’Irak et le retrait des troupes irakiennes du Koweït dans la journée. 27 février Koweït-Ville est libérée. À l’ouest de Bassorah, les Alliés affrontent les chars de la garde républicaine, formation d’élite de l’armée irakienne. Le soir, l’Irak déclare accepter toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Après 42 jours de guerre et 100 heures d’offensive terrestre, le président Bush annonce un cessez-lefeu provisoire qui prend effet à minuit, heure de Washington, soit 8 h, heure locale, le 28. downloadModeText.vue.download 10 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 8 Le bilan s’élève à moins de 200 tués dans les rangs des forces coalisées – dont 115 Américains et 2 Français – contre des dizaines de milliers de morts civils et militaires du côté irakien. Le potentiel militaire de l’Irak est aux deux tiers anéanti. 40 des 42 divisions irakiennes engagées sont détruites, mais 30 autres n’ont pas participé aux combats. Vendredi 18 FRANCE Censure Le préfet de la Loire interdit le concert de raï du chanteur algérien Cheb Khaled prévu le 19 à Saint-Étienne « compte tenu du climat psychologique inhérent au conflit du Golfe ». Le 24, à Marseille, Marcel Maréchal, directeur du Théâtre de la Criée, décide de reporter la présentation des Paravents de Jean Genêt en raison des « utilisations partisanes qui pourraient être faites de la pensée de l’auteur ». ALBANIE Islam À Tirana, dans la mosquée Etem Bey, se déroule la première séance de prières autorisée depuis 1967. ALGÉRIE Opposition À Alger, des dizaines de milliers de partisans du Front islamique du salut (FIS) défilent dans les rues pour soutenir l’Irak et réclamer l’instauration d’un État islamiste (éd. 1991). É TAT S ! U N I S Transports Victime de la politique de déréglementation et de la conjoncture économique, la compagnie aérienne Eastern Airlines, qui exploitait une flotte de 160 appareils, est mise en liquidation. Dimanche 20 URSS Nationalités À Riga, capitale de la République balte de Lettonie, des unités spéciales des forces de l’ordre soviétiques donnent l’assaut au bâtiment du ministère de l’Intérieur letton avant de se retirer. Quatre personnes sont tuées. Lundi 21 GROUPE DES SEPT Les ministres des Finances Les ministres des Finances des sept pays les plus industrialisés, réunis à New York, décident de réduire de 40 % la dette publique de l’Égypte et de la Pologne. Ces deux États appartiennent à la tranche inférieure des « pays à revenus intermédiaires ». MALI Troubles À Bamako, dans un climat de revendications en faveur du multipartisme, et à la suite de l’arrestation du secrétaire général de l’Association des élèves et étudiants du Mali, de jeunes manifestants et des casseurs participent à deux jours d’émeutes meurtrières sans précédent depuis l’indépendance en 1960 (encadré Afrique, la transition malienne). Mardi 22 É G L I S E C AT H O L I Q U E Le pape Jean-Paul II Le pape Jean-Paul II publie une encyclique, la huitième de son pontificat, intitulée Redemptoris missio – « la mission du RédempdownloadModeText.vue.download 11 sur 490 CHRONOLOGIE 9 teur » − et relative à « la valeur permanente du précepte missionnaire ». FRANCE Cinéma L’attrait de l’information télévisée et la peur des attentats ont fait chuter de 30 % la fréquentation moyenne des salles durant la semaine du 16 au 22. URSS Politique économique Un décret présidentiel interdit la circulation des grosses coupures de 50 et de 100 roubles. Les Soviétiques ont trois jours pour les échanger dans les banques après avoir justifié de leur provenance. Cette mesure, qui vise les trafiquants, les possesseurs de compte à l’étranger et les thésauriseurs, frappe aussi les petits épargnants. Mercredi 23 FRANCE Justice Inculpés en 1989 d’association de malfaiteurs pour des actes de terrorisme contre des foyers Sonacotra du Sud-Est commis en 1988, trois responsables du Parti nationaliste français et européen bénéficient d’un non-lieu devant la cour d’appel d’Aix-enProvence (éd. 1990). Presse Le groupe Hersant acquiert 24 % du capital du groupe l’Est républicain, qui édite notamment le quotidien nancéien du même nom. MONGOLIE v. États-Unis É TAT S ! U N I S Relations internationales Le président George Bush reçoit M. Punsalmaagiyn Otchirbat, premier chef d’État mongol à se rendre à Washington, et décide d’octroyer à la Mongolie le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée (éd. 1991). Jeudi 24 FRANCE Tourisme À Paris, le Salon mondial du tourisme ouvre ses portes dans un climat de morosité. La forte baisse d’activités de ce secteur est due à la peur des attentats, à la suspension des déplacements professionnels et au réflexe de repli sur soi engendrés par la crise du Golfe. Bourse Décidée le 10 mai 1989, la fusion avec Paris des six places régionales de Lyon, Lille, Nancy, Marseille, Bordeaux et Nantes entre en vigueur. La création d’un marché national est destinée à simplifier et à réduire le coût des transactions, ainsi qu’à renforcer la cohésion du marché français. Sport À Sofia, la Réunionnaise de dix-sept ans Surya Bonaly devient la première Française championne d’Europe de patinage artistique. PA P O UA S I E ! NOUVELLE!GUINÉE Troubles Au terme de deux ans de rébellion, les séparatistes de l’île de Bougainville signent un accord de paix reconductible tous les six mois avec le gouvernement papou. downloadModeText.vue.download 12 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 10 Vendredi 25 FRANCE Justice Le ministre Henri Nallet demande l’ouverture d’une enquête au sujet des propos de l’écrivain Gilles Perrault, qui, lors d’une conférence de presse donnée la veille, avait appelé à la « désertion » et au « sabotage de la machine de guerre française ». Bandes dessinées Le grand prix du XVIIIe Salon d’Angoulême est attribué à Marcel Gotlib, auteur de la Rubrique-à-brac, pour l’ensemble de son oeuvre. C O LO M B I E Drogue Dans la région de Medellín, une opération montée par l’unité d’élite de la police pour libérer deux otages – des journalistes enlevés en août 1990 par les narcotrafiquants – se termine par la mort de l’un d’entre eux, Diana Turbay, fille de l’ancien président de la République Julio Cesar Turbay, et de cinq ravisseurs (30). Samedi 26 TCHÉCOSLOVAQUIE Privatisations Une vingtaine de magasins de Prague sont cédés à des particuliers au cours de la première vente aux enchères de biens d’État organisée par le gouvernement. Le 27, à l’issue du second jour, tous les commerces proposés avaient trouvé acquéreur. CHINE Justice Après celle du 5, la deuxième série de jugements des anciens dirigeants du « printemps de Pékin » ménage les factions libérale et conservatrice chinoises ainsi que l’opinion internationale. Connu à l’étranger, le leader étudiant Wang Dan, qui est présumé s’être repenti et avoir dénoncé d’autres personnes, n’est condamné qu’à quatre ans de prison ; mais M. Ren Wanding, comptable et agitateur récidiviste, est condamné à sept années de détention (12 février et éd. 1990). Dimanche 27 SPORT Tennis Au stade Flinders Park de Melbourne, l’Allemand Boris Becker bat le Tchécoslovaque Ivan Lendl en finale des Internationaux d’Australie (1-6, 64, 64, 64). La veille, la Yougoslave Monica Seles avait remporté le titre féminin face à la Tchécoslovaque Jana Novotna (5-7, 6-3, 6-1). Somalie L’enfer « Si je dois aller en enfer, nous irons tous ensemble ». La menace proférée par le président Syaad Barre en décembre 1990 était un juste présage. Après plus de dix ans de guerre civile et près d’un mois d’offensive meurtrière, la chute de Mogadiscio et la fuite du dictateur somalien, le 27 janvier, ne mettent pas un terme aux rivalités ethniques et ne font pas espérer avant longtemps le redressement du pays, où règne la famine. La Somalie suit le chemin du Liberia. Le général Barre, commandant en chef de l’armée, avait pris le pouvoir le 21 octobre 1969 et engagé son pays sur la voie du socialisme ; mais le traité d’amitié et de coopération conclu avec l’URSS en juillet 1974 n’avait pas pu survivre au conflit engagé en novembre 1976 contre l’Éthiopie pour la conquête de l’Ogaden. En mars 1978, la Somalie repliait ses troupes et opérait un renversement d’alliance en accordant aux États-Unis, en avril 1980, des facilités militaires sur la mer Rouge. Les difficultés du régime réactivaient les divisions ethniques. Créé en avril 1981 par les Issaks, ethnie nordiste, le Mouvement national somalien (MNS) downloadModeText.vue.download 13 sur 490 CHRONOLOGIE 11 entamait une guérilla contre le pouvoir central. Il était bientôt imité par le Congrès de la Somalie unifiée (CSU), regroupant les Hawiyés au nord de la capitale, et le Mouvement patriotique somalien (MPS), qui rassemblait les Ogadens dans le sud. Abandonnant ses rêves d’unification nationale, le président, membre de l’ethnie minoritaire marehan, imposait une dictature tribale. Les États-Unis s’écartaient de la Somalie, qui se tournait alors vers la Libye. De larges portions du territoire passaient aux mains des rebelles. Les tentatives de libéralisation du régime n’empêchaient pas l’opposition légale de réclamer le départ du chef de l’État dans son « Manifesta » diffusé le 15 mai 1990. En décembre de la même année, le torpillage par le régime de la conférence de réconciliation nationale de Rome précipitait l’offensive finale. Celle-ci débute le 30 décembre. Surnommé le « maire de Mogadiscio », Syaad Barre est assiégé dans son palais par les troupes de la CSU. Les pays occidentaux évacuent leurs ressortissants. Désertée par ses habitants, la capitale est livrée au pillage. La nomination d’un gouvernement dirigé par l’opposition, le 21 janvier, et l’offre de démission du président Barre en l’échange d’un cessezle-feu, le 25, n’arrêtent pas l’avance des rebelles. Le 27, le dictateur rejoint sa région natale du Gedo, à la frontière kényanne. Le 28, M. Ali Mahdi Mohamed, membre du groupe du Manifesto, est nommé président de la République intérimaire par le CSU. Le MNS affirme aussitôt que cette nomination est contraire à l’accord passé le 2 octobre 1990 entre les trois mouvements de guérilla (18 mai). Lundi 28 FRANCE Sport La Commission nationale de discipline du football suspend M. Bernard Tapie de ses fonctions de président de l’Olympique de Marseille pour un an et M. Jean-Pierre Bernes, directeur général du club, pour six mois. Ils sont accusés de « manquement grave à la morale sportive ». M. Tapie dénonce un complot politique et annonce sa démission, avant de revenir sur sa décision. Mardi 29 FRANCE Presse Après La Cinq, TF1 est l’objet de critiques de la part des pouvoirs publics pour avoir diffusé, le 28, un reportage effectué en Arabie Saoudite sur un groupe de soldats français démoralisés. Il lui est reproché de ne pas avoir soumis ces images jugées partiales à la censure du Service d’information des armées (SIRPA). AFRIQUE DU SUD Troubles À Durban, la première rencontre entre M. Nelson Mandela, vice-président de l’ANC, et M. Mangosuthu Buthelezi, dirigeant du mouvement zoulou Inkatha, s’achève par un appel conjoint à la paix, en dépit des nombreuses divergences qui les séparent. Les affrontements entre les deux formations ont causé plus de 5 000 morts depuis 1986. CANADA Institutions Deux jours après le Parti québécois, principale formation de l’opposition, le Parti libéral au pouvoir à Québec présente au gouvernement fédéral un programme constitutionnel similaire qui prévoit l’organisation d’un référendum sur la souveraineté de la province en 1992, à défaut de l’octroi d’une « autonomie politique complète » au sein du pays. downloadModeText.vue.download 14 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 12 France Une certaine idée... de la guerre En 1916, le général Gallieni donnait sa démission de ministre de la Guerre ; en 1917, le général Lyautey faisait de même. Le 29 janvier 1991, M. JeanPierre Chevènement n’est donc pas le premier ministre français de la Défense à démissionner en temps de guerre. « Une certaine idée de la République m’amène à vous demander de bien vouloir me décharger de mes fonctions. La logique de guerre risque de nous éloigner chaque jour des objectifs fixés par les Nations unies. » Ces passages de la lettre de démission de M. Chevènement résument l’homme et la situation. Militant à vingt ans, en pleine guerre d’Algérie, du rapprochement franco-musulman, M. Chevènement est sollicité par l’orientaliste Jacques Berque, en 1984, pour devenir membre fondateur des Amitiés franco-irakiennes. Ne pense-t-il pas que la France, pays méditerranéen, doit faire la politique de sa géographie et, pour cela, se rapprocher de ses voisins du Sud, notamment des régimes arabes « avancés » ? Fondateur, au sein de la SFIO, du groupe anti-impérialiste CERES en 1964, il estime que les intérêts de son pays ne peuvent être les mêmes que ceux des États-Unis. Animé d’un grand dessein pour la France, le ministre de la Recherche et de la Technologie du gouvernement Mauroy démissionne une première fois faute de crédits suffisants. L’invasion du Koweït par l’Irak, le 2 août 1990, place M. Chevènement en porte à faux. Opposé à l’intervention armée préconisée par les États-Unis, il défend le principe de l’embargo contre celui du blocus. Il tente de minimiser la « logique de guerre » évoquée par le président François Mitterrand le 21 août, après la prise en otages des ressortissants étrangers. Il s’inquiète de l’envoi de la division « Daguet » en Arabie Saoudite, décidée le 15 septembre après la violation de la résidence de l’ambassadeur de France à Koweït, et qui prouve à ses yeux l’alignement croissant de la France sur les États-Unis. Il prédit une hécatombe en cas de conflit et assure que celui-ci ne réglera pas les problèmes de la région. Le 7 décembre 1990, puis le 7 janvier 1991, il propose secrètement sa démission ; en vain. Lors du déclenchement de l’opération « Tempête du désert », le 17 janvier, il défend l’application stricte de la résolution 678 en déclarant que l’intervention militaire française se limitera au territoire koweïtien. Il est démenti trois jours plus tard par le président Mitterrand. Lorsqu’il constate que la volonté américaine de détruire l’Irak est implicitement entérinée par l’amiral Lanxade, chef d’état-major particulier de la présidence de la République, il comprend qu’il n’est plus qu’un otage de l’Élysée. M. Jean-Pierre Chevènement est remplacé par M. Pierre Joxe, qui cède son poste de ministre de l’Intérieur à son ministre délégué, M. Philippe Marchand. Mercredi 30 POLOGNE Spectacles Le Théâtre dramatique de Varsovie présente Métro, première comédie musicale privée de l’ancien bloc de l’Est, produite par Wiktor Kubiak, président d’une société financière domiciliée aux Bahamas. COLOMBIE Otages Après de nouvelles concessions faites le 29 par le président Cesar Gaviria, les extradables du cartel de Medellín déclarent renoncer à exécuter les journalistes qu’ils détiennent encore et à reprendre les hostilités contre les autorités (25). SPORT Automobile Toyota est la première firme japonaise à remporter le prestigieux rallye de MonteCarlo. L’Espagnol Carlos Sáinz bénéficie d’un incident survenu au Français François Delecour, sur Ford, dans la dernière épreuve chronométrée. downloadModeText.vue.download 15 sur 490 CHRONOLOGIE 13 Jeudi 31 FRANCE Académie française Lors de la séance de réception de M. Michel Serres au fauteuil d’Edgar Faure, les académiciens décident de ne pas porter leur épée afin de manifester leur solidarité envers les soldats français engagés dans la guerre du Golfe. Musique À l’Opéra-Bastille, à Paris, est présentée la création française de l’opéra de Luciano Berio, Un re in ascolto, qualifié par l’auteur d’« action musicale ». ALLEMAGNE Politique financière Dix jours après un accord conclu à New York entre les sept pays les plus industrialisés sur la nécessité de baisser les taux d’intérêt pour éviter une récession économique mondiale, la Bundesbank relève son taux d’escompte de 6 % à 6,5 % afin de prévenir l’inflation. Le mois d’un téléspectateur Cette guerre n’en finit pas de commencer. On attend le plus grand spectacle télévisé du monde. L’embargo a déçu : un cargo intercepté, des camions bloqués sur une route du désert. Mais voici venir les combats en direct, avec les parents sur le divan, les enfants couchés sur le tapis. Avec une petite angoisse, un petit suspens : et si ça tournait mal. Les cinémas, les théâtres sont plus déserts que lors d’une finale de la Coupe du monde de football. Les chaînes de toute la planète ont envoyé leurs meilleures équipes. Dans les rédactions, on s’est arraché le titre glorieux de correspondant de guerre. On a recruté des stratèges étoiles, des spécialistes de cet « Orient compliqué » dont parlait de Gaulle. Le méchant, indispensable à tout drame, est là : Saddam Hussein. On va vivre chez l’ennemi : la CNN a conservé son antenne à Bagdad. L’écran va montrer le sang, les larmes et la peur. Ceux des autres. Très décevant, en définitive, tout cela. Saddam Hussein se montre peu ; il a la moustache faussement paterne d’un maquignon dans les foires de naguère. Hitler, avec ses discours hystériques, jouait cent fois mieux le rôle. Bagdad ? Des marchés croulant pour la circonstance sous les fruits et les légumes, des nuits striées de lueurs, quelques ruines choisies. Dans le désert, depuis des semaines, les caméras ont montré des soldats accroupis derrière leur mur de sable. On s’attend à les voir bondir. L’aviation a bien fait les choses. Lorsque les guerriers coalisés sortent de leurs tranchées, c’est en camion. L’offensive est une promenade militaire, avec des chars calcinés et des colonnes de prisonniers en fond de décor. Restent les fusées Scud. Elles ont entretenu chaque soir un frisson d’appréhension dans les salles de séjour, au fond des canapés. Partiront-elles ? Où tomberont-elles ? Leur match avec les engins antiengins Patriot maintient un intérêt que s’essoufflent à nourrir l’imagination des présentateurs et les élucubrations des experts. Mais les appréhensions des autres, ces Saoudiens, ces Israéliens surtout, pour qui ce n’est pas un jeu, sont bien monotones. Les programmes d’actualité rétrécissent : que de temps perdu pour une publicité qui se fait rare depuis le début du conflit ! Vivement que tout cela finisse pour que les affaires reprennent. 140 000 morts pour un feuilleton raté. La fiction, en définitive, dépasse la réalité. La guerre est bien plus excitante au cinéma. UN TÉLÉSPECTATEUR downloadModeText.vue.download 16 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 14 Février Vendredi 1 FRANCE Presse L’assemblée générale de la société éditrice du Monde élit M. Jacques Lesourne à la direction du journal, en remplacement de M. André Fontaine, qui occupait ce poste depuis 1985. AFRIQUE DU SUD Apartheid Lors de l’ouverture de la session parlementaire, le président Frederik De Klerk annonce la prochaine abolition des trois dernières lois qui régissent la ségrégation raciale. Il s’agit de la loi sur l’habitat séparé, de la législation sur la terre, qui réserve 87 % du territoire aux Blancs et partage les 13 % restant en bantoustans, et de la loi sur la classification de la population en fonction de la race (encadré Apartheid, la nouvelle Afrique du Sud). É TAT S ! U N I S Politique monétaire Au lendemain de l’augmentation du coût du crédit annoncée par l’Allemagne, les autorités décident d’abaisser le taux d’escompte de 6,5 % à 6 % pour lutter contre la récession économique (31 janvier). Dimanche 3 FRANCE Vie politique Le second tour des élections législatives partielles organisées à la suite de la démission de leur siège de député de trois rénovateurs RPR en décembre 1990 aboutit à la défaite de Mme Michèle Barzach face à M. René Galy-Dejean (RPR), dans la 13e circonscription de Paris, et à la réélection de MM. Michel Noir et Jean-Michel Dubernard, qui étaient opposés à des candidats du Front national dans les 2e et 3e circonscriptions de Lyon. Les taux d’abstention s’élèvent à 70 % en moyenne. ITALIE Partis politiques À Rimini, le congrès du Parti communiste italien décide sa transformation en Parti démocratique de la gauche (PDS). Certains membres du PCI refusent d’adhérer au PDS, qui comprend déjà plusieurs tendances (8). ISRAËL Vie politique La décision du Premier ministre Itzhak Shamir de faire entrer dans son gouvernement le chef controversé du parti d’extrême droite Moledet, M. Rehavam Zeevi, qui est violemment antiarabe, suscite des critiques jusque dans la majorité. MAROC Manifestations Plusieurs dizaines de milliers de personnes défilent dans les rues de Rabat à l’appel des partis de l’opposition en signe de solidarité avec l’Irak. Elles réclament notamdownloadModeText.vue.download 17 sur 490 CHRONOLOGIE 15 ment le retour du contingent marocain (1 200 hommes) envoyé en Arabie Saoudite. SPORT Ski À Saalbach, en Autriche, à un an des jeux Olympiques d’Albertville, les Français ne remportent que trois médailles – deux d’argent et une de bronze – au cours des championnats du monde dominés par les Autrichiens. Lundi 4 CEE Les Douze Les Douze décident de lever les sanctions financières contre la Syrie, adoptées en 1986 à la suite d’actes terroristes. FRANCE Spectacles À Paris, à l’Olympia, Guy Bedos, Smaïn et Michel Boujenah, respectivement pied-noir, beur, et juif, donnent un spectacle comique unique à l’initiative de deux organisations antiracistes. Mardi 5 FRANCE Défense Entré en service en 1971, le Redoutable, premier sous-marin nucléaire stratégique français, rejoint sa base de l’île Longue, dans la rade de Brest, au terme de sa 58e et dernière patrouille au service de la dissuasion nucléaire. Jardins La direction du Patrimoine annonce le lancement d’une opération de restauration des parcs de Versailles et de Trianon, qui doit s’étendre sur vingt ans et coûter 250 millions de francs. 25 000 des 60 000 arbres seront remplacés. Mercredi 6 LIBAN Troubles Un contingent de 1 500 soldats se déploie dans une partie du sud dur pays, restaurant ainsi l’autorité de l’État dans cette région chiite qui était aux mains des Palestiniens ainsi que des milices chiites d’Amal et du Hezbollah depuis le début de la crise libanaise, en 1975. Jeudi 7 E S PA C E La station soviétique Saliout-7 La station soviétique Saliout-7 se désintègre en rentrant dans l’atmosphère au-dessus des Andes. Divers débris tombent en Argentine. Lancée le 19 avril 1982, la plus perfectionnée des stations habitables de la première génération avait été abandonnée le 24 juin 1986. FRANCE Sécurité À Limoges, en Haute-Vienne, 400 personnes secondées par vingt spécialistes israéliens de la lutte antiterroriste assurent la sécurité du match de basket-ball LimogesTel Aviv, en raison du climat créé par la guerre du Golfe. G R A N D E ! B R E TA G N E Terrorisme À Londres, pendant une réunion du cabinet de guerre au 10, Downing Street, trois obus de mortier sont tirés depuis une camionnette en direction de la résidence du Premier ministre et de l’immeuble du Foreign downloadModeText.vue.download 18 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 16 Office. L’IRA revendique l’attentat, qui fait trois blessés. TURQUIE Conflits sociaux Les 48 000 mineurs de Zonguldak, sur la mer Noire, en grève depuis le 30 novembre 1990, reprennent le travail après la signature d’une convention collective (3 janvier). CHINE/INDE Relations À l’issue de la visite du ministre indien des Affaires étrangères à Pékin, les deux pays décident de rétablir leur commerce bilatéral interrompu depuis le conflit de 1962. Ce geste concrétise le réchauffement de leurs relations depuis la visite du Premier ministre indien, Rajiv Gandhi, dans la capitale chinoise en décembre 1988. INDE Armement Le gouvernement annonce le retour à Vladivostok du sous-marin d’attaque nucléaire que l’URSS lui avait « loué » en janvier 1988. C’était la première fois qu’un matériel de ce type était cédé par une puissance nucléaire à un pays tiers. Vendredi 8 FRANCE Équipement Le Premier ministre choisit la ville nouvelle de Melun-Sénart pour accueillir le grand stade de 80 000 places dont la France doit se doter pour prétendre à l’organisation de la Coupe du monde de football de 1998. ALBANIE Propriété privée Un décret autorise les Albanais à posséder une voiture particulière. Toutefois, aucune automobile n’est produite ni vendue dans le pays. ITALIE Partis politiques Après avoir échoué de dix voix le 4, M. Achille Occhetto, ancien secrétaire général du PCI, est élu premier secrétaire du nouveau Parti démocratique de la gauche (PDS) [3]. Pérou Un fléau de plus Il existe désormais une raison supplémentaire de mourir, au Pérou. Le 8 février, devant l’ampleur de l’épidémie de choléra qui contamine un millier de personnes par jour depuis la fin du mois de janvier, le gouvernement décrète l’état d’urgence sanitaire dans le pays et fait appel à l’aide internationale. Après avoir ravagé l’Europe à six reprises au XIXe siècle, le choléra, originaire d’Asie, a de nouveau quitté sa zone d’endémie traditionnelle, il y a une trentaine d’années, pour se répandre en Afrique. Responsable de cette septième pandémie qui touche une centaine de pays, le vibrion El Tor atteint à présent l’Amérique latine. La maladie, au délai d’incubation très court, se traduit par une infection intestinale aiguë qui entraîne une déshydratation souvent mortelle si elle n’est pas immédiatement traitée. Le seul vaccin efficace est très cher et n’est pas actuellement disponible en grande quantité. La qualité des infrastructures sanitaires péruviennes, qui sont toutefois rapidement débordées, permet de maintenir le taux de mortalité de la maladie en dessous de 1 %. L’épidémie est partie du port de Chimbote, situé à 700 km au nord-ouest de Lima. Elle s’est rapidement répandue à l’ensemble du littoral, avant de traverser les Andes, puis de contaminer les pays voisins en avril. Elle aurait pour foyer le plancton de l’océan Pacifique qui aurait contaminé la faune marine. Or l’un des plats traditionnels péruviens est le cebiche, à base de poisson cru et de fruits de mer, préparé dans des conditions d’hygiène souvent contestables. Ce n’est pas l’origine de l’épidémie qui importe, mais la qualité du terrain de propagation. La moitié des 22 millions de Péruviens n’ont pas accès à downloadModeText.vue.download 19 sur 490 CHRONOLOGIE 17 un réseau de distribution d’eau potable et les deux tiers ne disposent pas de tout-à-l’égout. Or le choléra se complaît dans les cloaques. Par ailleurs, les campagnes de prévention ont peu d’effets sur des populations pauvres et incultes, à qui la mort est familière. Au Pérou, on meurt aussi de tuberculose, de peste, de malaria, de rage, de lèpre et de fièvre jaune. Les séismes sont fréquents. Enfin, la guérilla est responsable de dix morts par jour dans les campagnes – autant que la délinquance urbaine. Le choléra risque d’aggraver la situation économique dont les déficiences sont en partie la cause de la propagation de la maladie. Le boycottage des produits alimentaires exportés par le Pérou est général, et le tourisme est réduit à néant. Aussi le président Alberto Fujimori tente-t-il de minimiser l’étendue de l’épidémie, multipliant les dégustations publiques de poisson cru. Mais, comme le dit M. Carlos Vidal, ministre de la Santé limogé le 18 mars en raison de la campagne trop zélée qu’il menait contre le choléra et de son opposition à la politique économique ultralibérale du gouvernement, « il y a le cebiche pour les riches et le cebiche pour les pauvres ». Samedi 9 URSS Nationalités 84,4 % des Lituaniens participent – et 90,4 % répondent positivement – au « référendum-sondage » sur l’indépendance de la république Balte organisé par le président Vytautas Landsbergis et jugé « illégal » par M. Mikhaïl Gorbatchev. Un référendum est prévu le 17 mars dans toutes les répu- bliques sur le traité de l’Union. JAPON Énergie Un incident sérieux, quoique bien contrôlé, affecte la centrale nucléaire de 500 mégawatts de Mihama, près de Kyoto, qui rejette une faible radioactivité dans l’atmosphère. Au cours du mois, des avaries survenues dans deux autres centrales relancent le débat sur la sécurité de l’ambitieux programme nucléaire japonais. AFRIQUE DU SUD Police Plus de 11 000 personnes sont interpellées dans le cadre de la plus vaste opération de « prévention du crime » jamais effectuée dans le pays. Elle vise notamment les ghettos noirs de la banlieue de Johannesburg. HAÏTI Vie politique Le président Jean-Bertrand Aristide, qui a pris ses fonctions le 7 février, nomme M. René Préval, agronome, au poste de Premier ministre. Ce dernier, qui cumule les portefeuilles de l’Intérieur et de la Défense, nomme le 19 un gouvernement composé de proches du président. Dimanche 10 FRANCE Sans-abri En raison du froid, la station de métro SaintMartin, entre République et StrasbourgSaint-Denis, désaffectée depuis 1939, est rouverte durant la nuit pour accueillir les déshérités. G R A N D E ! B R E TA G N E Institutions Le Sunday Times s’en prend à la « décadence » et à l’ « insensibilité » de la famille royale, la reine Élisabeth exceptée, au moment où des soldats britanniques sont engagés dans la guerre du Golfe. TCHÉCOSLOVAQUIE Partis politiques Constitué en parti le 13 janvier, le Forum civique décide de se scinder en deux formations indépendantes coiffées par un comité de coordination. Lors du dernier congrès exceptionnel organisé le 23, l’aile droite downloadModeText.vue.download 20 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 18 majoritaire, qui reste sous la présidence du ministre des Finances libéral Vaclav Klaus, est rebaptisée Parti démocratique civique ; l’aile gauche dirigée par le vice-Premier ministre Pavel Rychetsky, qui regroupe les dirigeants « historiques » du mouvement, prend le nom de Mouvement civique. CAMBODGE Conflit Tandis que les négociations de paix engagées par le Conseil national suprême, qui représente les quatre factions cambodgiennes, piétinent, les Khmers rouges bombardent Battambang, deuxième ville du pays. Lundi 11 L’Organisation des peuples et des nations non représentés (UNPO) L’Organisation des peuples et des nations non représentés (UNPO) se constitue à La Haye. Présentée comme une « ONU alternative », elle a pour but d’aider ses membres – au nombre de dix-huit : pays occupés, États fédérés, minorités ethniques ou culturelles – à « exprimer leurs doléances et leurs besoins dans les forums légitimes ». FRANCE Audiovisuel Le groupe public français Thomson lance sur le marché le Space System, premier téléviseur à adopter le format d’écran présentant un rapport de 16/9 entre la largeur et la hauteur, compatible avec les futures images de 1 250 lignes de la télévision à haute défi- nition (TVHD). Son prix est fixé à 35 000 F. ISLANDE Politique étrangère L’Althing est le premier Parlement occidental à reconnaître l’indépendance de la Lituanie et à demander à son gouvernement d’établir avec elle des relations diplomatiques. Mardi 12 FRANCE Environnement L’AFNOR est autorisée à délivrer le label « NF-Environnement » à des produits sélectionnés pour leurs qualités écologiques. CHINE Procès politiques La dernière série de condamnations des dirigeants du « printemps de Pékin » est marquée par de plus lourdes peines que les précédentes. Les journalistes économistes Wang Jun tao et Chen Ziming, récidivistes, sont ainsi condamnés à treize ans de prison (26 janvier). CORÉES Relations Pour la première fois, les deux Corées décident de présenter des équipes communes aux championnats du monde de tennis de table, en avril, au Japon, et de football, en juin, au Portugal. AFRIQUE DU SUD Troubles Le Congrès national africain (ANC) et le gouvernement précisent les termes de l’accord du 6 août 1990, qui porte notamment sur la suspension de la lutte armée par l’ANC. Les activités militaires de l’organisation noire seront limitées, mais ses manifestations de masse ne seront plus réprimées (encadré Apartheid, la nouvelle Afrique du Sud). downloadModeText.vue.download 21 sur 490 CHRONOLOGIE 19 Mercredi 13 FRANCE Consommation Malgré l’hostilité des professionnels, le Conseil des ministres adopte le projet de Mme Véronique Neiertz qui autorise la publicité comparative à condition qu’elle soit objective (18 mars). Sociétés L’achat filiale fait de péen de Thomson du voyagiste Club Aquarius et de sa Air Liberté par le Club Méditerranée ce dernier le troisième groupe eurotourisme derrière le britannique et l’allemand TUI. LIBERIA Guerre civile À Lomé, au Togo, les parties belligérantes signent, sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un accord d’application du cessez-le-feu conclu le 28 novembre 1990. Celui-ci prévoit notamment le désarmement des partisans de Charles Taylor, de Prince Johnson et des Forces armées nationales et la réunion d’une conférence nationale le 15 mars. Jeudi 14 ROUMANIE Politique foncière Le Parlement adopte une loi sur la redistribution des terres collectivisées entre 1949 et 1962 à leurs anciens propriétaires. L’opposition estime que le contrôle étroit de l’État sur cette opération en faussera les résultats (22). TCHÉCOSLOVAQUIE Politique étrangère Le gouvernement décide d’ouvrir un bureau de représentation sans statut diplomatique à Vilnious, en Lituanie, et d’accueillir à Prague un organisme lituanien similaire. PÉROU Vie politique Devant l’échec des mesures draconiennes adoptées le 8 août 1990 en vue de juguler l’inflation, le Premier ministre et ministre des Finances Juan Carlos Hurtado présente la démission de son gouvernement. Le 15, le président Alberto Fujimori nomme M. Carlos Torres pour lui succéder. Vendredi 15 P O LO G N E / H O N G R I E / TCHÉCOSLOVAQUIE Politique étrangère Réunis à Visegrad, en Hongrie, les dirigeants des trois pays manifestent leur volonté commune de quitter les structures socialistes et de s’intégrer aux instances européennes. Samedi 16 É TAT S ! U N I S Pacifisme À San Francisco, où le campus de Berkeley menait déjà le mouvement contre la guerre du Viêt-nam dans les années 1960, plusieurs milliers de personnes participent à une manifestation contre l’envoi de troupes américaines dans le Golfe. COLOMBIE Drogue À Medellín, un attentat à la voiture piégée revendiqué par le cartel de la drogue de Pablo Escobar fait 23 morts. Durant le mois, downloadModeText.vue.download 22 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 20 les massacres reprennent dans la « capitale » des narcotrafiquants. Dimanche 17 CAP!VERT Élection présidentielle Après l’adoption du multipartisme en octobre 1990, M. Antonio Mascarenhas Monteiro est élu chef de l’État par 72 % des voix contre 26,2 % au président sortant Aristides Pereira. C’est la première fois en Afrique qu’un chef de l’opposition accède au pouvoir à la suite d’une élection (13 janvier). Lundi 18 FRANCE Consommation Après la publication de la loi du 10 janvier 1991 qui interdit la publicité pour le tabac et l’alcool, la mise en vente par l’entreprise publique SEITA d’une cigarette blonde baptisée Chevignon, du nom d’une marque de vêtements pour jeunes, suscite des critiques jusqu’au sein du gouvernement. Sociétés Candidat malheureux depuis août 1989 à la reprise des chantiers navals de l’ex-Normed, à La Ciotat, Lexmar-France est placé en liquidation judiciaire. G R A N D E ! B R E TA G N E Terrorisme Deux attentats à la bombe revendiqués par l’IRA sont perpétrés dans les gares londoniennes de Paddington et de Victoria. Le second fait un mort et 43 blessés. Danse La mort du cygne À 9 ans, Peggy Hookham dansait déjà dans les rues de Shanghai où son père était en poste. Le 20 février, Margot Fonteyn – son nom de scène – s’éteint dans une ferme du Panama, à 71 ans. Ces deux dates délimitent le destin singulier de la plus grande danseuse britannique de ce siècle. Les débuts de Margot Fonteyn sont exemplaires. Formée par les meilleurs maîtres de ballet de Londres, elle débute en 1934, à l’âge de 14 ans, dans Casse-Noisette, et se distingue déjà par son perfectionnisme. Dès l’année suivante, elle se voit confier ses premiers grands rôles dans le Baiser de la fée, puis dans Giselle. L’Angleterre, qui n’a jamais applaudi d’étoile aussi jeune, est aussitôt séduite par l’élégance, le raffinement, la fragilité et la pudeur de cette jeune fille au visage gracieux et au corps merveilleusement proportionné. Margot Fonteyn préférera toujours la discrétion sensible d’un style simplement parfait aux spectaculaires exhibitions qu’affectionnent certaines danseuses. Au lendemain de la guerre, en 1946, son interprétation de la Belle au bois dormant lui confère une réputation mondiale. Dans la troupe du Sadler’s Ballet, qui devient le Royal Ballet, elle danse dès lors tous les grands rôles du répertoire classique, dont elle sait aussi s’échapper pour devenir la chatte blanche des Demoiselles de la nuit de Roland Petit, en 1948. À l’aube de la trentaine, et à la suite d’une blessure qui la tient momentanément éloignée de la scène, elle décide qu’elle s’arrêtera de danser à 35 ans. Mais la vie et la carrière de Margot Fonteyn vont être bouleversées par deux hommes dont les caractères « exotiques » tranchent avec l’apparente sagesse de la ballerine dont les mauvaises langues affirment qu’elle peut danser tous les rôles « sans renverser sa tasse de thé ». Le premier est un des admirateurs de ses débuts, jeune étudiant panaméen venu l’attendre dans les coulisses. En 1953, dix-huit ans plus tard, devenu ambassadeur, le fougueux Roberto Arias la retrouve pour l’épouser. De trafic d’armes en tentative de coup d’État, cet activiste politique l’entraîne dans une chorégraphie très nouvelle pour elle, jusqu’à l’attentat qui, en 1964, le laisse tétraplégique. Elle continuera à danser pour payer les dettes qu’il accumule et le soignera jusqu’à sa mort, en 1989. downloadModeText.vue.download 23 sur 490 CHRONOLOGIE 21 La poursuite de sa carrière a une autre raison. En 1961, elle rencontre le sauvage Rudolf Noureïev, qui vient de fuir l’URSS. La fascination est réciproque. Elle l’impose et connaît grâce à lui un second souffle. Leur différence d’âge – il a 22 ans, elle en a 42 – ne les empêche pas d’incarner durant plusieurs années, sur les scènes mondiales, où ils déchaînent l’enthousiasme, le couple idéal du ballet classique dont ils révolutionnent la technique. Margot Fonteyn met un terme à sa carrière au début des années 1970. Mardi 19 CEE Politique étrangère Constatant la « ferme volonté de M. Gorbatchev de poursuivre la perestroïka », les ministres des Affaires étrangères de la Communauté invitent la Commission à reprendre l’étude du programme d’aide à l’URSS adopté en décembre 1990 et suspendu après l’intervention de l’armée soviétique à Vilnious en janvier (13 janvier). URSS Vie politique Lors d’une intervention télévisée, M. Boris Eltsine, président de la République de Russie, demande la « démission immédiate » du président Mikhaïl Gorbatchev. Le lendemain, il est massivement désavoué par le Parlement soviétique. Mercredi 20 RELIGION Le Conseil oecuménique des Églises Le Conseil oecuménique des Églises (protestantes et orthodoxes) réuni depuis le 7 en assemblée générale à Canberra, en Australie, constate l’émergence, au sein des Églises du tiers-monde, d’un courant favorable à une théologie « contextuelle », qui leur permet d’interpréter l’Évangile à travers leur propre contexte culturel. FRANCE Criminalité À Paris, une femme gardien de la paix qui participait à un contrôle-radar sur le boulevard périphérique en compagnie d’un collègue est tuée par balles. C’est la première policière tuée en service (9 juin). ALBANIE Troubles À Tirana, des dizaines de milliers d’étudiants, en grève depuis le 6, déboulonnent la statue monumentale d’Enver Hodja. Le président Ramiz Alia accepte que l’université de la capitale, qui portait le même nom, soit débaptisée. Il annonce qu’il prend le contrôle du gouvernement jusqu’aux élec- tions du 31 mars et s’entoure d’une équipe de techniciens (22). YOUGOSLAVIE Nationalités Le Parlement de la Slovénie adopte à une écrasante majorité une résolution proposant aux autres républiques la « dissociation de la République socialiste fédérée en deux ou plusieurs États souverains et indépendants ». Le 21, le Parlement de la Croatie vote un texte identique. Jeudi 21 CONSEIL DE L’EUROPE La Tchécoslovaquie La Tchécoslovaquie devient le 25e État membre de l’organisation européenne. ITALIE Justice La cour d’appel de Palerme décide la remise en liberté de Michele Greco, considéré comme le chef de la Mafia sicilienne et condamné à la réclusion à perpétuité downloadModeText.vue.download 24 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 22 en décembre 1987. À l’instar de celui des 41 autres condamnés des « maxi-procès » de la fin des années 1980, son jugement n’avait pas pu être confirmé en appel dans les délais prévus. Un décret gouvernemental adopté le 1er mars autorise leur réincarcération. TCHÉCOSLOVAQUIE Propriété privée L’Assemblée fédérale adopte une loi qui prévoit l’indemnisation, en nature ou sous forme de titres, des anciens détenteurs de biens ayant fait l’objet de nationalisation après le « coup de Prague » du 25 février 1948. Vendredi 22 FRANCE Affaires Député de la Charente mis en congé du Parti socialiste le 17 octobre 1990, M. JeanMichel Boucheron est inculpé de corruption, complicité de faux et usage de faux en écriture de commerce, recel d’abus de biens sociaux et ingérence pour des faits relatifs à la gestion de la ville d’Angoulême, dont il fut maire de 1977 à 1989. Sport Le club de football des Girondins de Bordeaux est placé en redressement judiciaire. Le tribunal ne juge pas « sérieux » le plan de remboursement des 242 millions de francs de dettes présenté par M. Jean-Pierre Derose, qui a succédé le 7 à M. Alain Afflelou à la présidence du club. ALBANIE Troubles Autour de l’École militaire de Tirana, dont les élèves restent fidèles à la mémoire d’Enver Hodja, des affrontements armés entre les manifestants et les forces de l’ordre font au moins quatre morts (20). ALLEMAGNE Vie politique La commission chargée d’enquêter sur le passé de M. Lothar de Maizière, ancien Premier ministre de RDA, blanchit celuici des accusations de collaboration avec la Stasi, la police politique est-allemande. Ces attaques avaient entraîné sa démission du gouvernement du chancelier Helmut Kohl, le 17 décembre 1990. BULGARIE Politique foncière Adoptée par le Parlement, la loi sur la redistribution des terres collectivisées à leurs anciens propriétaires est accueillie avec satisfaction par la population (14). URSS Catastrophe La commission d’État chargée du contrôle de la sécurité dans l’industrie reconnaît pour la première fois que la mauvaise conception du réacteur de la centrale de Tchernobyl est la « cause fondamentale » de l’accident survenu le 26 avril 1986. Samedi 23 URSS Manifestations À Moscou, à l’occasion de la « fête de l’armée », des dizaines de milliers de personnes participent à un rassemblement conservateur en faveur du communisme. La veille et le lendemain, les partisans de M. Boris Eltsine sont aussi nombreux à descendre dans la rue pour défendre les principes réformateurs. THAÏLANDE Coup d’État Dans l’indifférence générale, l’armée renverse le gouvernement de M. Chatichai Choonhavan, Premier ministre depuis août 1988. Le général Sunthom Kongsompong, downloadModeText.vue.download 25 sur 490 CHRONOLOGIE 23 commandant en chef des forces armées, prend la tête d’un Comité national de la paix intérieure. Réunion Le chaudron Résultat d’un complot ou réaction spontanée, les violentes émeutes qui éclatent à Saint-Denis-dela-Réunion, le 23 février, témoignent surtout d’un profond malaise social. Dans ce contexte, la saisie de l’émetteur de Télé-Free-DOM a joué le rôle d’un puissant catalyseur. Le malaise réunionnais se confine généralement à la sphère privée : l’alcoolisme et la violence domestique, notamment, atteignent des taux record. Il arrive toutefois que des flambées de violence, comme celle de 1973, viennent ternir l’image paisible d’une île qui ne connaît ni revendication autonomiste ni problème ethnique. La réalité est plus brutale : 35 % de la population active au chômage, 50 000 bénéficiaires du RMI, 100 000 illettrés sur une population de 525 000 habitants. Tous les gouvernements ont privilégié l’assistance sociale au détriment de l’incitation économique. La Réunion exporte aujourd’hui un dixième de ce qu’elle importe. On comprend donc que Télé-Free-DOM, « une télé pauvre pour les pauvres », rencontre une très large audience parmi les habitants des cités HLM comme celles du quartier du Chaudron. Son directeur, M. Camille Sudre, est considéré par les uns comme le héros des libertés, et par les autres comme un dangereux mégalomane. La chaîne émet sans autorisation depuis 1986. Saisie, la justice n’a pas encore tranché. La CNCL puis le CSA ont refusé d’accorder une fréquence à Télé-FreeDOM, qui, de son côté, rejette tout compromis. Enfin, le 16 novembre 1990, le CSA a demandé la saisie de l’émetteur pirate, à laquelle les autorités procèdent le 25 février. Pourtant, depuis deux jours, quelques centaines de militants mêlés de jeunes désoeuvrés et de casseurs bravent l’interdiction préfectorale et affrontent les forces de l’ordre dans le quartier du Chaudron, à l’appel de M. Sudre. De nombreux magasins et entrepôts sont pillés, certains sont incendiés. Au moins dix personnes meurent carbonisées dans les décombres des bâtiments au cours de trois jours d’émeutes. La recherche des responsabilités fait naître de nombreuses polémiques. Le préfet accuse M. Sudre d’avoir « orienté » les casseurs vers des « cibles choisies ». Au terme d’une brève visite dans l’île, M. Louis Le Pensée dénonce une « attaque préméditée » et une « casse organisée ». De son côté, le maire socialiste de Saint-Denis, qui n’oublie pas qu’il doit en grande partie sa victoire électorale à Télé-Free-DOM, interprète les propos du ministre des DOM-TOM en s’en prenant au Parti communiste réunionnais (PCR). Les chômeurs du Chaudron paraissent bien oubliés (17 mars). Dimanche 24 GOLFE encadré Golfe, la guerre. Lundi 25 G R A N D E ! B R E TA G N E Église anglicane Mgr George Carey, nouvel archevêque de Cantorbéry entré en fonction le 1er janvier, se prononce en faveur de l’ordination des femmes (éd. 1989). MONGOLIE Vie politique Le Parti populaire révolutionnaire mongol au pouvoir décide d’abandonner les principes du marxisme-léninisme et déclare vouloir poursuivre « le but du socialisme scientifique par des voies démocratiques ». Pacte de Varsovie Euthanasie Vidé de sa substance, le « bloc de l’Est » abandonne à présent ses structures devenues sans objet. Le 25 février, les ministres des Affaires étrangères et downloadModeText.vue.download 26 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 24 de la Défense des six États membres du pacte de Varsovie décident la dissolution de sa structure militaire avant le 31 mars. Le « traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle » signé le 14 mai 1955 dans la capitale polonaise par l’URSS, la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Allemagne orientale, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et l’Albanie n’était pas exactement la réponse à la création de l’OTAN, le 4 avril 1949. Il sanctionnait, en fait, la fin des espoirs de l’URSS de voir se résoudre à son avantage le problème de l’unité allemande. Signés le 23 octobre 1954 par les alliés occidentaux, les accords de Paris prévoyaient en effet le rétablissement de la souveraineté de la RFA et son adhésion à l’OTAN. En dépit des efforts soviétiques, ces accords entraient en vigueur le 26 avril 1955. L’inéluctable réarmement allemand était en marche. Dès l’été 1955, les premières unités allemandes étaient constituées à l’Est comme à l’Ouest et intégrées à chaque alliance. Par son article 4, le pacte de Varsovie engageait chacun de ses signataires à accorder une « assistance immédiate par tous les moyens qui lui sembleraient nécessaires, y compris l’emploi de la force armée ». Il allait bientôt devenir l’instrument de la doctrine de « souveraineté limitée » de l’URSS. L’Encyclopédie militaire soviétique n’indique-telle pas que le rôle du pacte est de « défendre les conquêtes du socialisme et d’assurer la paix et la sécurité en Europe » ? Théâtre, en 1991, de la dissolution des structures militaires du pacte de Varsovie, Budapest se rappelle 1956. L’Albanie a quitté l’organisation du bloc de l’Est en 1968, après son rapprochement avec la Chine, et la RDA en 1990, du fait de l’unification allemande. Le traité de 1955 a perdu sa raison d’être depuis les accords sur le retrait des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie et de Hongrie avant le 30 juin 1991, signés respectivement le 26 février et le 10 mars 1990. Le principe du retrait des troupes soviétiques de Pologne est lui aussi acquis, même s’il subsiste un problème de date, l’Armée rouge désirant aligner son retrait de Pologne sur son retrait de l’ex-RDA, qui ne devrait pas avoir lieu avant 1994. Quelque peu effrayés par le vide ainsi créé en Europe orientale et soucieux de ménager l’URSS, ses anciens vassaux n’ont pourtant pas exigé la dissolution totale du pacte de Varsovie, dont les structures politiques doivent subsister encore quelque temps. Mardi 26 FRANCE Musique L’Opéra Bastille présente la première de la Dame de pique de Tchaïkovski, mise en scène par Andreï Konchalovski. ALLEMAGNE Fiscalité Le gouvernement rend public le détail des augmentations d’impôts et de taxes auxquelles il est contraint de procéder, malgré ses promesses, pour assurer le financement de la réunification, plus lourd que prévu. Mercredi 27 GOLFE encadré Golfe, la guerre. BANGLADESH Élections législatives Lors du premier scrutin démocratique et quasiment sans violence ni fraude depuis l’indépendance en 1971, le Parti national du Bangladesh (BNP) de la bégum Khaleda Zia, veuve de l’ancien président Zia ur-Rahman assassiné en 1980, remporte 138 sièges sur 300. Le parti de l’ex-président Hussein Mohamed Ershad parvient à conserver 35 sièges. AFRIQUE DU SUD Bantoustans Le gouvernement signe un accord avec les autorités du Ciskeï, qui prévoit l’administration des affaires courantes par Pretoria. Cet acte met fin de facto à l’« indépendance » de ce territoire que seule l’Afrique du Sud reconnaissait depuis 1981. downloadModeText.vue.download 27 sur 490 CHRONOLOGIE 25 Jeudi 23 FRANCE Cheptel Le ministère de l’Agriculture annonce qu’un premier cas d’encéphalite spongiforme bovine, dite maladie de la « vache folle », est apparu en France, dans le Finistère (éd. 1991). Justice La cour d’assises de Meurthe-et-Moselle condamne Simone Weber à vingt ans de réclusion criminelle. Elle est reconnue coupable du meurtre de son ancien amant, Bernard Hettier ; en 1980, mais acquittée pour l’assassinat de son prétendu mari, la même année. Le mois de Pierre Dabezies C’est évidemment la guerre du Golfe qui domine ce mois de février, au cours duquel les autres événements paraissent bien pâles : mise à l’écart des dernières grandes lois sur l’apartheid à Pretoria, émeutes sociales à la Réunion à la suite de la fermeture de « Télé-Free-DOM », naufrage de la Somalie, reprise du pouvoir par l’armée à Bangkok, manifestations prémonitoires à Vilnious, à Moscou même et en Albanie, enfin liquidation des structures militaires du pacte de Varsovie. Chronique subalterne : les yeux et les oreilles sont tournés vers le Koweït. Sous l’angle des combats, si le mois de janvier a été marqué par l’ouverture des hostilités et par l’irruption, dans le panorama stratégique, d’une guerre électronique toute nouvelle, bref si l’essentiel avait été jusque-là la destruction au loin du dis- positif irakien, la préoccupation majeure devient désormais l’offensive terrestre. Toutes forces réunies, l’aviation, épaulée par les canons du cuirassé « Missouri » et bientôt par des rampes mobiles de lance-roquettes multiples, pilonne donc la forteresse censée être tenue par un demi-million d’Irakiens, en même temps qu’elle finit de démanteler, non sans bavures parfois et non sans milliers de victimes, la machine de guerre adverse dont les avions, en particulier, privés d’infrastructure, s’efforcent de s’échapper en Iran. Le problème est, cependant, de savoir si la défense ennemie a des chances de s’effondrer brusquement, ou si l’on est condamné à un assaut meurtrier que les opinions publiques risquent de mal accepter. À cet égard, les alliés subissent les effets d’une double manoeuvre psychologique : la leur, d’abord, qui, à force de diaboliser l’Irak et son chef, supposé disposer de la « 4e armée du monde », en arrive à lui prêter des moyens démesurés ; ensuite, la guerre des nerfs menée par Saddam Hussein lui-même, dont l’intransigeance, les menaces et les initiatives inopinées – comme la marée noire – ne manquent pas d’impressionner. Le maître de Bagdad vise, en fait, les masses arabes, qui s’enflamment à Rabat, Alger, Tunis, Amman ou Karachi, au point que certains pays européens hésitent à s’engager et que l’on peut être, un temps, inquiet. À l’image des Scuds lancés sur l’Arabie et sur Israël, la manoeuvre ne tarde pas à apparaître, pourtant, comme un pétard mouillé. Le Conseil de sécurité, en dépit des réticences du Yémen, de Cuba, et, à un moindre degré, de la Chine, suit les États-Unis, quitte à sembler inféodé. Le plan de paix soviétique avorte devant la volonté du président Bush, dont les hésitations tactiques cachent mal la détermination d’aller jusqu’au bout. Ainsi, sans tenir compte des dernières palinodies de l’Irak, l’offensive finale est-elle déclenchée le 24 février, assortie d’une double surprise : d’une part, un mouvement tournant, auquel participe la division Daguet, enveloppe le Koweït à l’ouest au lieu et place du débarquement des « marines » que chacun attendait ; d’autre part, la coalition tombe en partie dans le vide, la garde républicaine et ses chars étant seuls en mesure de résister. Trois jours suffisent à sceller une victoire sans appel que Washington préfère, en définitive, circonscrire aux rives de l’Euphrate par peur, semble-t-il, du chaos qu’une poursuite vers Bagdad risquerait de créer. Le 27 au matin, le drapeau national flotte à nouveau sur Koweït Ville. Le monde bipolaire a vécu. Le triomphe de l’Amérique est sans limite. Il laisse présager, pour le mieux ou pour le pire, l’instauration d’un nouvel ordre international, sinon d’une hégémonie. PIERRE DABEZIES président de la Fondation pour les études de la Défense nationale downloadModeText.vue.download 28 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 26 Mars Vendredi 1 FRANCE Transports aériens Conformément à l’accord conclu le 30 octobre 1990 avec la Commission européenne en échange de l’acceptation par celle-ci du rapprochement entre Air France, UTA et Air Inter, le gouvernement autorise la concurrence sur certaines lignes aériennes intérieures et internationales qui sont attribuées à des compagnies privées (éd. 1991). ALLEMAGNE Vie sociale Premier accord de ce type depuis la réunification, une convention entre le patronat et le syndicat des métallurgistes du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale prévoit que la parité des salaires entre l’Est et l’Ouest dans ce secteur devra être atteinte d’ici trois ans. URSS Conflits sociaux Réclamant une amélioration des salaires et des conditions de travail, les mineurs du Kouzbass, en Sibérie, et du Donbass, en Ukraine, entament une grève illimitée (6 mai). É TAT S ! U N I S Vie de la nation À Washington, lors de sa première conférence de presse depuis la fin de la guerre du Golfe, le président George Bush déclare : « Nous avons enterré une fois pour toutes le syndrome du Viêt-nam. » COLOMBIE Guerre civile Après 24 ans de lutte armée, les 2 000 combattants de la guérilla maoïste de l’Armée populaire de libération déposent les armes pour se transformer en parti politique. Ceux du mouvement M-19 avaient fait de même en mars 1990 et ceux du Parti révolutionnaire des travailleurs en janvier. Samedi 2 GOLFE Conflit Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 686 qui fixe le cadre général des conditions du cessez-le-feu, très contraignant pour l’Irak (5). SRI LANKA Attentat Le ministre de la Défense et véritable homme fort de l’île, M. Ranjan Wijeratne, qui dirigeait la lutte contre la guérilla tamoule, est assassiné à Colombo. Dimanche 3 FRANCE Politique étrangère Dans une allocution radiotélévisée, le président François Mitterrand tire les leçons de la participation française à la libération du Koweït. Il déclare que « la France a tenu son rôle et son rang », annonce une modernisation de l’appareil de défense français downloadModeText.vue.download 29 sur 490 CHRONOLOGIE 27 et propose une réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU. URSS Nationalités Après les Lituaniens le 9 février, les Estoniens et les Lettons se prononcent à leur tour par référendum à 77 % en faveur de l’indépendance de leur République (31). SÂO TOMÉ ET PRÍNCIPE Élection présidentielle Candidat indépendant soutenu par l’opposition majoritaire à l’Assemblée, M. Miguel Trovoada est élu chef de l’État avec plus de 80 % des voix. Il doit remplacer M. Manuel Pinto Da Costa, président depuis l’indépendance, en 1975. Lundi 4 IRAK Troubles L’hodjatoleslam Mohamed Bakr El Hakim, chef de file des religieux chiites irakiens réfugiés à Téhéran, annonce que les insurgés chiites, qui se sont soulevés dans le sud du pays le 2, contrôlent Bassorah. Dans le même temps, la rébellion kurde, qui a débuté à la fin du mois de février, s’étend dans le Nord (11). CHILI Répression Le président Patricio Aylwin rend public le rapport de la commission « pour la vérité et la réconciliation » formée en avril 1990 sur son initiative pour enquêter sur les crimes commis sous le régime du général Augusto Pinochet de 1973 à 1989. Ce dernier en rejette les conclusions, qu’il juge « partiales ». Mardi 5 GOLFE Conflit Après avoir libéré 45 prisonniers, l’Irak annonce qu’il ne reste plus aucun membre des forces de la coalition détenu sur son territoire (7). Mercredi 6 GOLFE Conflit À Damas, les six pays membres du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Qatar, Émirats arabes unis, Bahreïn et Oman), l’Égypte et la Syrie concluent un accord destiné à instaurer un système de sécurité régional appuyé sur une force arabe de maintien de la paix (7). FRANCE Vie politique Dans un entretien accordé au Monde, M. Michel Rocard explique comment il veut faire passer dans les faits le « nouvel élan » souhaité par le président Mitterrand. SUISSE Consommation À Genève, la présentation par M. Zino Davidoff de sa nouvelle ligne de cigares de luxe fabriqués en république Dominicaine consacre son divorce avec la Cubatabaco de La Havane. INDE Vie politique Premier ministre minoritaire depuis le 9 novembre 1990, M. Chandra Shekhar, qui a perdu le soutien du parti du Congrès de M. Rajiv Gandhi, annonce la démission de son gouvernement. Le 13, le président downloadModeText.vue.download 30 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 28 Ramaswami Venkataraman dissout le Parlement (21 mai). É TAT S ! U N I S Politique étrangère Le président George Bush déclare devant le Congrès que « le temps est venu de mettre un terme au conflit israélo-arabe » sur la base, notamment, de « l’échange des territoires contre la paix » (12). France L’affaire Boudarel Les procès de l’Histoire peuvent-ils ne pas être idéologiques ? Les polémiques soulevées par le Bicentenaire de la Révolution ou par l’affaire Papon ont récemment relancé la question. Son actualité est confirmée par la campagne lancée, à partir du 6 mars, notamment par l’hebdomadaire d’extrême droite Minute, qui accuse de crime contre l’humanité Georges Boudarel, ancien « commissaire politique » dans un camp viêt-minh. L’affaire est en fait publique depuis le 13 février : au Sénat, lors d’un colloque sur le Viêt-nam, JeanJacques Beucler, secrétaire d’État sous le président Giscard d’Estaing et ancien prisonnier du Viêtminh, fait reconnaître à M. Boudarel ses activités au camp 113. En 1950, ce professeur de philosophie de 24 ans quittait en effet le lycée de Saigon pour se mettre au service du Viêt‑minh. Chargé d’inculquer la doctrine marxiste aux prisonniers français, il nie avoir eu sur eux le pouvoir de vie ou de mort que des anciens détenus lui prêtent et affirme que le très fort taux de mortalité dans les camps était dû à la malnutrition et aux maladies. Sa responsabilité mise à part, un fait est établi : seuls 10 754 prisonniers français sont rentrés vivants sur un total de près de 37 000. Aujourd’hui maître de conférence à l’université parisienne de Jussieu, le déserteur Boudarel a été amnistié par la loi du 18 juin 1966. Il s’est depuis lors écarté du communisme, jusqu’à devenir un spécialiste et un défenseur de la dissidence vietnamienne. Son « choix courageux » et son « refus de la sale guerre » – tout autant, probablement, que son « revirement » idéologique – lui attirent la sympathie d’intellectuels signataires d’un manifeste en sa faveur. À l’époque, ceux-ci partageaient ses convictions anticolonialistes, sans toutefois pousser l’inconscience – ou le « courage » –, jusqu’à les défendre sur le terrain. De son côté, au moment où l’affaire du « point de détail » resurgit, l’extrême droite profite de ce premier « crime contre l’humanité » ne faisant pas référence à la Seconde Guerre mondiale pour comparer la mortalité dans les camps vietminhs et dans les camps nazis et pour exiger que le professeur Boudarel subisse le même sort que son collègue révisionniste Bernard Notin. Le 18 mars, des manifestants clament : « Boudarel traître, Jospin complice », et, le 27 : « Jussieu sera le Diên Biên Phu des traîtres. » « La complexité supplémentaire de cette affaire tragique, qui est l’écho personnel de convulsions historiques immenses, est, je crois, que cet homme ancien n’est plus, affirme le ministre de l’Éducation le 17 ; le mieux est de le laisser face à sa conscience. » Jeudi 7 GOLFE Conflit Un premier contingent de soldats américains quitte l’Arabie Saoudite pour les ÉtatsUnis. L’Irak libère un millier de prisonniers koweïtiens (5 et 8). ALBANIE Exode Au lendemain d’affrontements meurtriers entre des candidats à l’exil et les forces de l’ordre dans le quartier des ambassades de Tirana, le port de Durrës est placé sous contrôle militaire afin d’endiguer l’émigration clandestine de milliers de personnes vers l’Italie, qui s’est amplifiée au début du mois. Devant les mauvaises conditions d’accueil à Brindisi, de nombreux réfugiés choisissent de regagner l’Albanie les jours suivants (éd. 1991). downloadModeText.vue.download 31 sur 490 CHRONOLOGIE 29 Vendredi 8 GOLFE Conflit Une quarantaine de journalistes occidentaux, dont dix-huit Français, arrêtés pour la plupart par l’armée irakienne aux environs de Bassorah le 3, sont libérés à Bagdad (20). FRANCE Société La cour d’assises de Paris condamne une Malienne à cinq ans de prison pour avoir pratiqué, en 1982 et 1983, l’excision des six fillettes d’un couple malien complice. Samedi 9 FRANCE Éthique Après la révélation de l’accord de principe donné par le ministère de la Justice à toute demande de détenu souhaitant bénéficier des techniques de la procréation médicalement assistée, le ministre de la Santé s’oppose à l’application systématique d’une méthode qui relève de la thérapeutique. Cinéma La 18e Nuit des césars consacre le succès de Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau, qui obtient dix récompenses. La Discrète de Christian Vincent reçoit trois distinctions. YOUGOSLAVIE Troubles À Belgrade, un adolescent et un policier sont tués lors d’affrontements entre les forces de l’ordre et des opposants anticommunistes. Composés en majorité d’étudiants, les manifestants réclamaient la « libération » de la télévision (13). Dimanche 10 ISRAËL Terrorisme À Jérusalem, à la veille de l’arrivée du secrétaire d’État américain James Baker, un Palestinien tue quatre Israéliennes à coups de couteau. BURKINA FASO Vie politique L’Organisation pour la démocratie laire-Mouvement du travail, parti sident Blaise Compaoré, abandonne marxisme-léninisme et se prononce veur de l’économie de marché. popudu préle en fa- S A LVA D O R Élections L’Alliance républicaine nationaliste (ARENA, droite), parti au pouvoir, perd la majorité absolue à l’Assemblée en n’obtenant que 39 sièges sur 84. Avec 8 députés, la Conver- gence démocratique, qui regroupe les trois partis de la gauche non communiste, fait son entrée au Parlement. Lundi 11 G R A N D E ! B R E TA G N E Société Le quotidien The Times rapporte qu’une jeune femme vierge de vingt ans a fait l’objet d’une insémination artificielle dans une clinique privée de Birmingham. IRAK Vie politique Réuni jusqu’au 13 à Beyrouth sous l’égide de la Syrie, le congrès de l’opposition irakienne (Kurdes, chiites, baasistes dissidents, natiodownloadModeText.vue.download 32 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 30 nalistes, communistes) tente d’occulter les divergences relatives à l’instauration d’un État islamiste ou d’un Kurdistan indépendant (16). ISRAËL Conflit Six membres d’un commando proche du mouvement islamiste Hamas sont tués par l’armée alors qu’ils tentaient de franchir la frontière jordano-israélienne. Mardi 12 PROCHE!ORIENT Diplomatie Au cours de la tournée « exploratoire » qu’il effectue du 8 au 16, le secrétaire d’État américain James Baker rencontre les dirigeants israéliens auxquels il demande de faire preuve de « souplesse » sur la question palestinienne, ainsi qu’une délégation de personnalités des territoires occupés (6 et 14 mars, et 26 avril). Mercredi 13 FRANCE Douanes Trois hauts fonctionnaires des douanes de Lyon et de Dijon sont inculpés d’infraction à la législation sur les stupéfiants pour avoir outrepassé leurs droits en vue de démanteler un réseau de trafiquants de drogue. Pêche M. Jacques Mellick, ministre de la Mer, présente au Conseil des ministres un plan de restructuration de la flotte de pêche qui prévoit la réduction de 10 % de la capacité de capture et la suppression de 1 000 bateaux. YOUGOSLAVIE Troubles À Belgrade, les milliers de manifestants anticommunistes qui occupaient depuis le 9 la place de la République, rebaptisée place de la Liberté, quittent les lieux après que les autorités ont annoncé la démission de cinq responsables de la télévision, la libération du chef du Mouvement du renouveau serbe, M. Vuk Draskovic, et la formation d’une commission d’enquête sur les événements du 9. Jeudi 14 F R A N C E / É TAT S ! U N I S Diplomatie Lors de leur rencontre à la Martinique, le président François Mitterrand assure le président George Bush du soutien qu’il apporte aux démarches américaines en faveur de la paix au Proche-Orient (12). Grande-Bretagne Les Six de Birmingham Il paraît difficile, en Angleterre, d’être à la fois sympathisant de la cause irlandaise et innocent. Après les « quatre de Guilford », reconnus non coupables en octobre 1989 après quinze ans de prison, et les sept membres de la famille Maguire injustement condamnés en 1976, libérés en 1985, et dont la réhabilitation est en cours, les « six de Birmingham » sont à leur tour innocentés le 14 mars 1991. Après plus de seize ans passés derrière les barreaux, Richard McIlkenny, Patrick Hill, William Power, John Walker, Gérard Hunter et Hugh Callaghan sont libres. Le 21 novembre 1974, des bombes explosent dans deux pubs de Birmingham, tuant 21 personnes et en blessant 162. C’est l’attentat le plus meurtrier jamais commis en Angleterre par l’Armée républicaine irlandaise (IRA). Dans le climat très tendu causé par la répétition d’actions terroristes aveugles, les policiers vont se montrer expéditifs. Le jour même, six Irlandais du Nord venant de downloadModeText.vue.download 33 sur 490 CHRONOLOGIE 31 Birmingham sont arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à prendre le bateau pour Belfast. Des « aveux » sont extorqués par la violence, confortés par les résultats « scientifiques » d’examens de laboratoire révélant des traces de nitroglycérine sur les mains des suspects. L’IRA, qui soutient habituellement ses militants emprisonnés, ne les reconnaît pas. En août 1975, les six hommes sont condamnés à la réclusion perpétuelle. Les violences policières sont reconnues lors d’un procès distinct, sans que leurs auteurs soient inquiétés, ni le procès principal remis en question. En 1987, un premier appel est rejeté. Des rumeurs insistantes circulent toutefois sur la fiabilité des tests opérés par l’expert du ministère de l’Intérieur et sur les méthodes très particulières de la brigade criminelle des West Midlands. Quelque temps plus tard, l’expert est mis à la retraite d’office et la brigade dissoute. C’est l’insistance de la presse qui incite les autorités à ordonner la révision du procès devant le tribunal londonien de l’Old Bailey et à décider, pour la première fois depuis 1978, la création d’une Commission royale, chargée de mettre en lumière les failles de la procédure pénale. Hormis les brutalités policières déjà connues, le procès en révision confirme que les « tests » appliqués à d’autres suspects avaient révélé les mêmes traces de nitroglycérine, probablement induites par le savon servant à nettoyer le matériel de laboratoire, et que les comptes rendus d’interrogatoire avaient été falsifiés. C’est tout le système judiciaire britannique qui est déclaré coupable. KOWEÏT Vie politique Seize jours après la libération de son pays, l’émir Cheikh Jaber al Ahmed al Sabah regagne discrètement Koweït-Ville qu’il avait quittée en août 1990. Accusés de col- laboration avec l’Irak, les Palestiniens qui vivent dans l’émirat font l’objet de représailles (30). Vendredi 15 A L B A N I E / É TAT S ! U N I S Diplomatie Les deux pays rétablissent leurs relations rompues en 1939. POLOGNE Dette Le Club de Paris, organe informel qui regroupe des États créanciers, annonce une réduction de 50 % de la dette publique polonaise qui atteint 33 milliards de dollars sur un endettement total de 43 milliards. Le 20, les États-Unis annoncent l’effacement de 70 % de leurs créances polonaises. YOUGOSLAVIE Vie politique Le président de la direction collégiale de la Fédération, le Serbe Borisav Jovic, provoque une crise institutionnelle en annonçant sa démission, justifiée par le refus de cette instance d’autoriser l’intervention de l’armée pour endiguer les risques de guerre civile. Le lendemain, le président de la Serbie, M. Slobodan Milosevic, déclare « morte » la présidence collégiale (20). SPORT Patinage artistique À Munich, les Français d’origine canadienne Isabelle et Paul Duchesnay remportent le titre de champions du monde de danse sur glace. Samedi 16 IRAK Vie politique Dans sa première conférence de presse depuis la fin des combats, le président Saddam Hussein promet des réformes démocratiques. Il annonce l’« écrasement » de l’insurrection chiite dans le sud du pays et downloadModeText.vue.download 34 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 32 prédit le même sort à la rébellion kurde dans le nord (22). SPORT Rugby En battant l’équipe de France au stade de Twickenham (21-19), l’équipe d’Angleterre remporte le Tournoi des cinq nations et réalise son neuvième grand chelem. Dimanche 17 FRANCE Polynésie française et Réunion ALBANIE Vie politique La libération des prisonniers politiques, qui avait débuté en janvier, s’achève officiellement. FINLANDE Élections législatives Avec respectivement 48 (– 8), 40 (– 13) et 11 (– 1) sièges sur 200, le Parti social-démocrate, le Parti conservateur et le Parti libéral suédois, membres de la coalition gouvernementale, perdent la majorité parlementaire. Le Parti du centre devient la première formation du pays avec 55 sièges (+ 15) (26 avril). URSS Vie politique Boycotté par six Républiques sur quinze (les trois pays Baltes, la Géorgie, l’Arménie et la Moldavie), le référendum national sur « le maintien d’une Union rénovée », qui mobilise 80 % d’électeurs, recueille 76 % de « oui ». Le taux est à peine supérieur à 50 % à Moscou et Leningrad, mais dépasse 90 % dans les Républiques d’Asie centrale. D’autre part, dans la République de Russie, près de 70 % des votants se prononcent en faveur de l’élection d’un président de Russie au suffrage universel (12 juin). ISRAËL Justice Le jeune Israélien qui avait tué sept Palestiniens à Rishon-le-Zion, près de Tel-Aviv, le 20 mai 1990, est reconnu sain d’esprit et condamné à la réclusion à perpétuité. P O LY N É S I E F R A N Ç A I S E Élections territoriales Le Rassemblement pour le peuple (apparenté RPR) de M. Gaston Flosse remporte 18 (+ 8) des 41 sièges de l’Assemblée territoriale. Avec 14 députés (– 9) l’Union polynésienne (majorité présidentielle) de M. Alexandre Léontieff perd la majorité. Le 21, M. Flosse est élu président du gouvernement, avec l’appui de Patrie nouvelle (5 sièges) de M. Emile Vernaudon, en remplacement de M. Léontieff. RÉUNION Troubles Après la visite du Premier ministre, M. Michel Rocard, qui a déclaré qu’il n’était pas le « père Noël », de nouvelles violences secouent Saint-Denis durant deux jours (encadré Réunion, le chaudron). Lundi 18 FRANCE Affaires Le ministre de l’Intérieur révoque l’inspecteur de police Antoine Gaudino pour manquement à l’obligation de réserve. Dans l’Enquête impossible (Albin Michel), celuici relatait les détails d’une enquête sur un réseau de fausses factures lié au financement du Parti socialiste, dont il avait été dessaisi en juin 1989 (éd. 1991). Justice La cour d’appel de Versailles aggrave les peines prononcées en mai 1990 contre downloadModeText.vue.download 35 sur 490 CHRONOLOGIE 33 M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, dans l’affaire du « point de détail ». Elle condamne celui-ci à 1,2 million de francs de dommages et intérêts (éd. 1988). Consommation Plusieurs quotidiens nationaux diffusent une publicité des Centres Leclerc qui rapproche les prix de produits vendus en grandes surfaces et chez de petits commerçants pour conclure à la nécessité de réglementer la publicité comparative (13 février). Finances La Banque de France abaisse son taux directeur de 9,25 % à 9 %. ALLEMAGNE Manifestations Comme à l’automne 1989, des dizaines de milliers de personnes défilent un lundi dans les villes de l’ex-RDA afin, cette fois, de protester contre l’aggravation du chômage et la politique du chancelier Helmut Kohl. G R A N D E ! B R E TA G N E Colonies Les dernières troupes britanniques quittent Gibraltar où elles étaient présentes depuis 1704. G R A N D E ! B R E TA G N E / A R G E N T I N E Relations Pour la première fois depuis la guerre de 1982, des Argentins sont autorisés à se rendre sur les îles Malouines pour se recueillir sur les tombes de leurs soldats. TOGO Vie politique Après une semaine de manifestations et d’affrontements meurtriers entre étudiants et forces de l’ordre, le président Gnassingbe Eyadéma, au pouvoir depuis 1967, annonce l’instauration du multipartisme et l’amnistie des prisonniers politiques. Mardi 19 BELGIQUE Opéra À Bruxelles, l’Opéra de la Monnaie présente la première de The Death of Klinghoffer, oeuvre de John Adams mise en scène par Peter Sellars, sur le thème du détournement de l’Achille-Lauro par un commando palestinien en 1985. BANGLADESH Vie politique Le président Shahabuddin Ahmed nomme Premier ministre la bégum Khaleda Zia, chef de file du Parti national, qui a remporté les élections législatives du 27 février. Mercredi 20 GOLFE Conflit Pour la première fois depuis la fin des combats, l’aviation américaine abat un chasseur bombardier irakien qui avait pris l’air en violation de l’accord de cessez-le-feu provisoire. Le 22, un second appareil est abattu dans les mêmes circonstances (22). YOUGOSLAVIE Vie politique Sous la pression du Parlement serbe, M. Borisav Jovic, qui venait de démissionner de son poste de président de la direction collégiale, décide de reprendre ses fonctions (15). downloadModeText.vue.download 36 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 34 Jeudi 21 G R A N D E ! B R E TA G N E Fiscalité Le gouvernement conservateur de M. John Major annonce l’abolition de la poll tax en avril 1993. Le mécontentement populaire suscité par cet impôt local par tête introduit en avril 1990 avait contribué à la chute de Mme Margaret Thatcher (éd. 1991). Vendredi 22 GOLFE Conflit Le Conseil de sécurité de l’ONU décide d’assouplir, notamment sur le plan alimentaire, l’embargo décrété contre l’Irak que la famine menace. FRANCE Justice L’ancienne présentatrice vedette de la télévision Danièle Gilbert est condamnée à six mois de prison avec sursis et 200 000 francs d’amende dans l’affaire d’escroquerie et de publicité mensongère de la bague de Rê (éd. 1990). Mode À Villars-de-Lans (Isère), le premier festival international du « pin’s » ouvre ses portes aux milliers de collectionneurs de ces broches émaillées aux thèmes les plus variés. IRAK Guerre civile Trois jours après l’annonce de la prise du centre pétrolier de Kirkouk par les rebelles kurdes, le chef du Parti démocratique du Kurdistan, M. Massoud Barzani, annonce que « 95 % du Kurdistan irakien est libéré » et invite les opposants à rentrer en Irak pour former « un gouvernement provisoire » (28). SOUDAN Législation Le code pénal islamique, la charia, qui prévoit des peines d’amputation, de lapidation, de flagellation et de crucifixion, entre en vigueur dans les régions musulmanes. Samedi 23 IRAK Vie politique Le président Saddam Hussein nomme un nouveau gouvernement qui ne remet pas en cause sa position dominante à la tête de l’État malgré la création d’un poste de Premier ministre qu’il confie à un bassiste modéré, M. Saadoun Hammadi (16). France La redistribution Libérés du consensus imposé par la participation française à la guerre du Golfe, les députés entament la session parlementaire extraordinaire par l’examen d’un projet de loi « sensible ». Celui-ci porte sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), subvention de l’État qui alimente pour près de 30 % en moyenne le budget des communes. Elle est adoptée en première lecture le 23 mars. Présenté par le ministre d’État chargé de la Ville, M. Michel Delebarre, ce projet vise à réduire les versements aux communes les plus riches – une centaine – pour augmenter ceux destinés aux communes les plus pauvres – quatre cents environ. Cette redistribution doit être de 400 millions de francs dès 1991, de 700 millions en 1992, avant d’atteindre un montant régulier de 1 milliard de francs à partir de l’année suivante, soit 1,5 % de l’enveloppe totale de la DGF versée aux communes en 1991. Cette mesure est renforcée, en Île-deFrance, par l’institution d’un fonds de solidarité intercommunale qui prévoit de prélever quelque downloadModeText.vue.download 37 sur 490 CHRONOLOGIE 35 500 millions de francs à une cinquantaine de communes disposant de ressources fiscales importantes pour les redistribuer à près de 500 communes plus démunies. Hormis des raisons techniques qui le justifient dans le cadre de la nouvelle politique de la ville défendue par le gouvernement, ce projet est l’occasion pour le Premier ministre de prouver qu’il lui est possible de trouver au Parlement des majorités autres que partisanes. À quelques mois des élections cantonales et régionales, cela ne démontre-t-il pas qu’il est aisé de débaucher les élus locaux intéressés par le projet, quelle que soit leur appartenance ? Dans l’opposition, les réactions sont diverses. Le RPR, qui voit dans le projet une charge contre Paris et son maire, estime que le système de péréquation entre communes d’Île-de-France est inconstitutionnel, car contraire au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques. Plus réservée dans son jugement, l’UDF condamne toutefois la « pénalisation des communes les mieux gérées » – M. François Léotard juge même qu’il est « idiot de penser qu’en appauvrissant les riches on va rendre plus riches les pauvres ». L’UDC est prête à voter le texte sous réserve de la création d’un système de solidarité financière entre les départements et d’une modification des critères de la redistribution. Le Front national ne voit dans le projet de M. Delebarre qu’un « impôt-immigrés ». De son côté, le PC estime qu’« il est normal de faire payer Neuilly pour Villejuif ». L’abstention de l’UDC, des communistes et d’une majorité de députés UDF permet l’adoption du texte. Dimanche 24 ROUMANIE Justice Après huit mois d’un procès annoncé comme un « nouveau Nuremberg » par les autorités, le tribunal militaire de Bucarest prononce des peines légères contre les 21 membres du comité politique exécutif du Parti communiste poursuivis pour « génocide ». Cinq sont acquittés et les autres sont condamnés – dont cinq avec sursis – pour « avoir favorisé » la répression. BÉNIN Élection présidentielle Au second tour de scrutin, le Premier ministre Nicéphore Soglo obtient 67,73 % des suffrages contre 32,27 % au président sortant, M. Mathieu Kérékou, au pouvoir depuis octobre 1972. Lundi 25 É TAT S ! U N I S Cinéma À Hollywood, Danse avec les loups de Kevin Costner domine la cérémonie de remise des Oscars en remportant sept récompenses. Afrique La transition malienne De plus en plus de pays du continent africain, Gabon et Côte-d’Ivoire en tête, adoptent le multipartisme. D’anciens opposants dirigent aujourd’hui São Tomé et le Cap-Vert, après avoir été régulièrement élus. Alors que, la veille encore, l’ancien dictateur du Bénin s’est incliné devant le verdict des urnes, le 25 mars, le président du Mali, le général Moussa Traoré, est déposé par l’armée faute d’avoir satisfait à temps les aspirations de son peuple. Appauvris par les errances du socialisme tropical, lassés de célébrer le culte de dirigeants corrompus et incompétents, séduits par la liquidation des régimes communistes de l’Europe de l’Est, les peuples de l’Afrique ont depuis quelque temps pris l’habitude de descendre dans la rue. Le 22, des élèves et étudiants maliens défilent dans Bamako pour réclamer une augmentation des bourses et la création d’une commission d’enquête sur les événements sanglants des 21 et 22 janvier. Suivis par des bandes de casseurs, les manifestants s’en prennent aux édifices publics. L’armée et la police tirent dans la foule. De violents affrontements se poursuivent les jours suivants. Émeutiers et opposants déclarent qu’ils iront « jusqu’au bout ». downloadModeText.vue.download 38 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 36 Le président Traoré affirme qu’il ne démissionnera pas, tout en promettant d’inscrire le multipartisme au programme du prochain congrès du parti unique. Trop tard. Après quatre jours d’émeutes, l’armée – celle-là même qui vient de participer à la répression – arrête le général au pouvoir depuis novembre 1968 et nomme le lieutenant-colonel Amadou Touré à la présidence d’un Conseil de réconciliation nationale (CNR). La chute du dictateur donne lieu à d’autres saccages, pillages et règlements de compte. Le bilan total des troubles s’élève à plus de 200 morts et des milliers de blessés. Après une période d’incertitude durant laquelle l’opposition discute les termes des accords passés avec l’armée, le CNR est remplacé par un Comité de transition pour le salut du peuple composé de civils et de militaires et présidé par le lieutenant-colonel Touré. L’armée promet de regagner les casernes avant la fin de l’année, date à laquelle des élections libres devront avoir été organisées. Le 2 avril, M. Soumana Sacko, haut fonctionnaire et ancien ministre réputé pour son intégrité, est nommé Premier ministre. Mardi 26 FRANCE Banlieues À Sartrouville (Yvelines), dans le centre commercial de la cité des Indes, un vigile arabe tue d’un coup de fusil à pompe un jeune homme d’origine maghrébine lors d’une altercation. Les trois nuits suivantes, des affrontements opposent des jeunes de la cité à la police. Sociétés Le groupe informatique public Bull annonce 6,8 milliards de francs de perte pour 1990 et 8 500 suppressions d’emplois pour 1991 et 1992. IRAN/ARABIE SAOUDITE Diplomatie Les deux pays rétablissent leurs relations rompues le 26 avril 1988. Jeudi 28 FRANCE Scandales À la suite des révélations d’un serrurier au sujet du cambriolage, en janvier, de la permanence électorale de M. Pierre Botton (RPR), gendre et adversaire politique du maire de Lyon, M. Michel Noir (ex-RPR), le chef de cabinet de ce dernier, M. Bernard Sarroca, est inculpé pour complicité de vol avec effraction et recel. URSS Manifestations À Moscou, après celui du 10, un nouveau rassemblement réunit 200 000 partisans de M. Boris Eltsine à l’appel du mouvement Russie démocratique, malgré l’interdiction du pouvoir central et la présence de nombreuses forces de l’ordre. IRAK Guerre civile La reconquête de la ville pétrolière de Kirkouk par l’armée régulière marque le reflux de la rébellion kurde. Les jours suivants, l’exode de la population kurde vers les frontières iranienne et turque commence (3 avril). INDE Démographie Les résultats provisoires du recensement effectué depuis le 9 février font état d’une population de plus de 843 millions de perdownloadModeText.vue.download 39 sur 490 CHRONOLOGIE 37 sonnes, en augmentation de 23,5 % par rapport à 1981. Vendredi 29 AUTRICHE Justice La cour d’assises de Vienne condamne à la réclusion à perpétuité ou à de lourdes peines de prison les quatre infirmières de l’hôpital de Lainz surnommées les « anges de la mort » pour l’assassinat de 41 vieillards dont elles prétendaient abréger les souffrances. ITALIE Vie politique Premier ministre depuis juillet 1989, M. Giulio Andreotti présente la démission de son gouvernement de coalition (démocrates-chrétiens, socialistes, républicains, sociaux-démocrates et libéraux), qui était divisé sur le projet d’élection du chef de l’État au suffrage universel défendu par les socialistes (19 avril). R UA N D A Guerre civile Le gouvernement et le Front patriotique ruandais concluent un accord de cessez-lefeu qui met fin aux combats consécutifs à l’offensive menée par des rebelles tutsis à partir de l’Ouganda depuis le 1er octobre 1990 (éd. 1991). Samedi 30 KOWEÏT Destructions Les experts de la compagnie de Red Adair, le « pompier volant », parviennent à éteindre le premier des 550 puits de pétrole (sur 950) incendiés par les Irakiens avant leur retrait. Dimanche 31 FRANCE Église catholique À Évry (Essonne), Mgr Guy Herbulot choisit le jour de Pâques pour poser la première pierre de la cathédrale de la Résurrection conçue par l’architecte suisse Mario Botta. C’est le premier édifice de ce type construit en France depuis un siècle. ALBANIE Élections législatives Lors du premier tour de la première consultation libre depuis 1946, le Parti du travail (communiste) remporte 64,5 % des suffrages contre 27 % au Parti démocratique de M. Sali Berisha. Les campagnes votent communiste à une forte majorité, mais M. Ramiz Alia, chef de l’État et du Parti, est battu à Tirana (7 avril). URSS Nationalités 90 % de Géorgiens participent et 98,9 % répondent positivement au référendum sur l’indépendance de la République jugé « illégal » par le pouvoir central (3). A F G H A N I S TA N Guerre civile Proche de la frontière pakistanaise, Khost est la première ville à tomber aux mains des moudjahidins depuis le retrait des troupes soviétiques, en février 1989. Le mois de Jean-Jacques Beucler Le mois de mars 1991 a mérité son nom. Nous sortions de la « guerre du Golfe » quand, curieusedownloadModeText.vue.download 40 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 38 ment, les médias nous ont replongés dans un vieux conflit de quarante ans, en s’emparant de ce qui devint « l’affaire Boudarel ». Le 13 février, au cours d’un colloque au Sénat, je démasque l’un des orateurs : il s’agit d’un professeur qui, pendant la guerre d’Indochine, a abandonné son poste à Saigon, proposé ses services à l’ennemi et accepté le rôle de « commissaire politique » dans un camp de prisonniers sous prétexte de « rééduquer » les militaires capturés par le Viêtminh. Ce camp – le 113 – détient un triste record de mortalité avec 2 à 8 décès par jour sur un effectif d’environ 250 « pensionnaires » renouvelés. Aujourd’hui, impuni, blanchi grâce à un amendement spécial ajouté en catimini en 1966 à une loi d’amnistie, il est professeur à Paris ! Nous étions pourtant rentrés de captivité pleins de philosophie et de tolérance. Nous n’avions pas idée de poursuivre les rares Français qui avaient trahi. La « chasse aux sorcières » ne nous tentait pas. Si l’intéressé avait manifesté quelques remords et si son Université avait eu un geste, nous n’aurions pas insisté. Mais il n’en a rien été, bien au contraire. L’opinion publique, dans sa grande majorité, est révoltée. Nous avons donc utilisé le seul créneau juridique encore possible car il est imprescriptible : « le crime contre l’humanité ». Cette horrible histoire aura du moins quelques répercussions positives : – elle prouve que le peuple de France sait encore se mobiliser pour manifester son indignation ; – elle démontre que la puissance des médias est indispensable pour soutenir une bonne cause ; – elle confirme l’urgente nécessité de soigner l’Éducation nationale, malade du sectarisme d’une minorité tyrannique ; – elle révèle la guerre d’Indochine, le sacrifice des 90 000 « morts pour la France », la souffrance des 35 000 prisonniers, dont seulement 10 000 survécurent ; – elle rappelle les trahisons de l’époque, le sabotage d’armements, l’attaque de trains de blessés, la désinformation perfide ; – elle aboutit à la conclusion qu’on ne peut pas toujours tricher impunément : tôt ou tard, la vérité triomphe. JEAN-JACQUES BEUCLER ancien ministre Météo : l’Hiver La première décade de l’hiver est dominée par la douceur et l’humidité. La majeure partie du pays est traversée par des perturbations plus ou moins actives circulant dans un flux d’O-S-O. Les températures sont de 3 à 9 °C supérieures aux normales ; les 21,6 °C et les 19,5 °C relevés à Mont-de-Marsan et à Bordeaux le 29 constituent de nouveaux records. Au 31 décembre, le rapport R/RU de la réserve d’eau disponible à la réserve utile n’est inférieur à 50 % qu’en Limagne et dans les départements de l’Eure, de l’Eure-et-Loir, des PyrénéesOrientales et de l’Aude. L’enneigement est bon dans tous les massifs : Haine 45-150 cm, les Arcs 40-185, l’Alpe-d’Huez 70-120, Serre-Chevalier 50-150, Gérardmer 80-100, Font-Romeu 50-70. L’abondance des pluies et le redoux provoquant la fonte des neiges entraînent la montée des eaux des fleuves et des rivières du quart nord-est du pays. Janvier En France comme en Europe occidentale, la première quinzaine est douce, pluvieuse et venteuse. Les températures ont en effet dépassé les moyennes de 4 à 11 °C et de nombreux records ont été battus. Parmi les températures minimales élevées, on peut citer : 9,3 °C à Châtillon-sur-Seine et 11,9 °C à Cognac le 10 et pour les températures maximales : 13,1 °C à Mâcon le 7, 17,5 °C à Strasbourg le 10. Les précipitations imputables aux perturbations de sud-ouest qui ont affecté la moitié nord du pays ont été très excédentaires de la Bretagne au Luxembourg. Ces perturbations ont été accompagnées de vents forts soufflant en rafales : 127 km/h à Cancale, le 5 à 16 h 35 ; 94 km/h à Melun et à Orléans, le 10 à 5 h. Dans le Sud-Est et en Corse, l’essentiel des pluies mensuelles est réalisé entre le 13 et le 15 janvier, alors que le massif du Queyras (Hautes-Alpes) reçoit d’abondantes chutes de neige. Les événements les plus remarquables de cette première quinzaine ont été, en France, les crues de la Marne, de l’Aisne, de la Seine et de la Saône du 2 au 5, la « crue du siècle » de la Meuse les 6 et 7 et, en Angleterre comme en Irlande, la très violente tempête qui a fait 30 morts ou disparus et occasionné d’énormes dégâts. Les types de temps plus variés de la seconde moitié du mois s’expliquent par le passage progressif du régime perturbé à des conditions nettement anticycloniques. Du 15 au 22, journées fraîches et douces alternent tandis que les températures sont conformes aux normales saisonnières. Du 22 au downloadModeText.vue.download 41 sur 490 CHRONOLOGIE 39 31, les températures sont de 3 à 7 °C inférieures aux moyennes, notamment dans le Nord-Est et le Centre-Est. La période allant du 15 au 31 janvier est caractérisée par une sécheresse quasi totale. En Iran, les pluies ininterrompues qui se sont abattues sur le Sistan-Balouchistan et sur les provinces très arides de Kerman et du Khorassan ont provoqué, du 25 au 31, des inondations dévastatrices et meurtrières. Février Les deux premières semaines ont été marquées par des températures de 11 à 13 °C inférieures aux normales dans la moitié nord du pays et par l’abondance de la neige. Les deux vagues de froid qui se sont succédé entre le 6 et le 16 s’expliquent par l’advection d’air froid sibérien (du 5 au 10) et d’air polaire (du 14 au 16) et par l’affrontement de ces masses d’air froid avec de l’air d’origine atlantique, plus doux et plus humide. Les températures ont atteint des valeurs records ; parmi les minimales, on peut citer : – 14,5 °C à Chartres, – 13,5 °C à Cognac, – 12,2 °C à Tours le 7, – 9,9 °C à Cherbourg le 8. et parmi les maximales basses : – 6,9 °C à Villacoublay, – 6,2 °C à Cherbourg le 7. Des chutes de neige plus ou moins importantes se produisent dans toute la France : 20 cm de neige dans le secteur Cannes-Grasse-Antibes le 6, 12 cm à La Rochelle le 8, 25 cm au Touquet, 28 cm à Châteauroux le 10, 10 cm à Trappes le 15. Ces conditions climatiques particulièrement sévères, mais normales pour la saison, ont fait plus de 20 victimes, perturbé la circulation sur les réseaux routier et ferroviaire et la distribution de l’énergie électrique. Toute l’Europe, à l’exception de la péninsule luso-ibérique, a subi ces grands froids. Les canaux de Venise et ceux des Pays-Bas sont gelés ; il a neigé pour la première fois depuis 56 ans sur le littoral méditerranéen de la Turquie ; la couche de neige a atteint 35 cm dans le Kent ; le 7, dans les Grisons, la température de – 34° a été relevée. Les chutes de grêle observées en Guadeloupe et à Saint-Martin les 6 et 7 février sont un phénomène rarissime. downloadModeText.vue.download 42 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 40 Du 16 au 26, la sécheresse et la douceur, consécutives à l’installation de pressions légèrement anticycloniques et à l’advection d’air chaud depuis le sud-ouest de l’Europe, se substituent à la froidure. Les deux derniers jours de février annoncent le retour d’un régime perturbé. Au 28 février, les réserves en eau du sol sont satisfaisantes et l’enneigement excellent dans les stations de sports d’hiver : Flaine 60-215 cm, les Arcs 110-295, l’Alpe-d’Huez 130-280, Font-Romeu 40-95… Mars Du 1er à l’équinoxe, le régime perturbé, la douceur et les vents prévalent. Des pluies abondantes et localement intenses sont relevées : 50 mm en 6 h à Conques le 7 ; 228 mm à Villefort du 6 au 8 ou 27 mm en 12 h au Bourget le 21. Les 20 °C sont atteints ou dépassés les 6 et 7 mars dans de nombreuses stations du Sud-Ouest du CentreEst et du Sud-Est. Les 14,3 °C mesurés à Montpellier le 21 sont le nouveau record mensuel, pour mars et avril, des températures minimales. Les vents forts de sud-est se manifestent sur tout le territoire. Ainsi, les deux premières décades de mars ont revêtu un caractère réellement printanier. Hors de France, l’actualité météorologique est marquée par les pluies diluviennes et les glissements de terrain qui, du 10 au 12, ont fait plus de 500 morts au Malawi. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 43 sur 490 CHRONOLOGIE 41 Avril Lundi 1 ALLEMAGNE Terrorisme Detlev Rohwedder, président de l’organisme officiel chargé de la privatisation de l’économie de l’ex-RDA, est assassiné à Düsseldorf par des membres de la Fraction armée rouge. YOUGOSLAVIE Nationalités Province autonome de la République de Croatie, mais peuplée majoritairement de Serbes, la Krajina proclame son rattachement à la République de Serbie par crainte de subir la domination croate. CHILI Terrorisme Le sénateur Jaime Guzman, ancien idéologue du régime du général Augusto Pinochet dont il était un très proche conseiller, est assassiné à Santiago. Mardi 2 ALBANIE Troubles À Shkoder, dans le nord du pays, après l’annonce de la victoire du Parti communiste au premier tour des élections législatives, le 31 mars, des affrontements entre la police et des manifestants qui tentaient d’incendier le siège local du Parti font quatre morts (7). URSS Politique économique Le décret présidentiel qui instaure une hausse des prix de 60 % en moyenne sur les produits de première nécessité entre en application. Le texte prévoit une augmentation des salaires qui doit la compenser dans une proportion de 85 %. Mercredi 3 GOLFE Le Conseil de sécurité de l’ONU Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 687 qui fixe les conditions d’un cessez-le-feu définitif dans le Golfe. Elle est officiellement acceptée par l’Irak le 11. Très contraignant, le texte prévoit notamment l’élimination des armes de destruction massive détenues par l’Irak (9). FRANCE Audiovisuel Le Premier ministre décide d’accorder une aide de 1 milliard de francs aux chaînes publiques de télévision, A2 et FR3, qui connaissent de graves difficultés financières. En contrepartie, ces chaînes devront prendre des mesures d’économie et de restructuration. IRAK Guerre civile L’armée annonce la reconquête de Soulaymaniyah, dernière ville encore tenue par les rebelles, dans le Kurdistan. Les réfugiés kurdes continuent d’affluer aux frontières iranienne et turque (4). downloadModeText.vue.download 44 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 42 Lettres La puissance et la grâce Après s’être trouvé aux principales zones de fracture de l’histoire de ce siècle, Graham Greene a choisi d’explorer l’ultime limite des choses. L’écrivain britannique, âgé de 86 ans, est mort le 3 avril à Vevey, en Suisse. Dans sa préface à la Puissance et la Gloire (1940), qui allait apporter à Graham Greene la reconnaissance mondiale, François Mauriac saluait l’homme entré « par effraction » dans le « royaume de la Grâce ». Il faisait allusion à la conversion de l’écrivain au catholicisme à l’âge de 23 ans. Il ne savait pas que la remarque vaudrait pour l’ensemble de sa vie et de son oeuvre. Dans son autobiographie, Graham Greene évoque son premier souvenir : « Je me revois assis dans un landau d’enfant, en haut d’une colline, un cadavre de chien en travers des pieds. » La colline appartient au paysage du Hertfordshire, où il est né le 2 octobre 1904. Mais, venant d’un homme qui suivit une psychanalyse à l’âge de 15 ans, il est difficile de faire la part de la fiction et de la mémoire dans ce souvenir où les ingrédients de ses romans – la vie, la mort, l’angoisse – se trouvent aussi intimement mêlés. Ses réflexions sur la loyauté et la trahison, autres de ses thèmes favoris, sont alimentées par sa vie d’écolier – son père est directeur de la pension qu’il fréquente –, puis par sa vie d’étudiant – en 1923, il flirte avec le Parti communiste. Estce le sentiment de la prééminence de la question du Bien et du Mal qui le conduit à la foi, en 1927, ou l’inverse ? La foi, en tout cas, l’amène au doute. Journaliste au Times à partir de 1936, il découvre, au fil de ses reportages, que la nécessité de l’action n’a d’égale que l’absence de raison d’agir, et en tire un désespoir tranquille. Les services de renseignement dans lesquels il sert durant la guerre font naître chez lui une fascination pour le monde des agents doubles. Au MI-6, son chef s’appelle Kim Philby. Graham Greene restera en relation avec lui bien après son passage à l’Est. Parmi les « effractions » qui lui confèrent la « Grâce » figurent celles qu’il commet dans son métier de journaliste en se faisant messager pour le rebelle Ho Chi Minh ou porteur de valises pour le guérillero Fidel Castro, ainsi que celles qu’il tente dans sa vie privée en cédant à une trouble curiosité pour la roulette russe. De ces flâneries au « bord vertigineux des choses » résulte, à partir de Tueur à gages (1936), une oeuvre variée au style dépouillé, principalement composée de romans d’espionnage métaphysiques et parfois burlesques inspirés de ses reportages, comme le Troisième Homme (1950), Un Américain bien tranquille (1955), Notre agent à La Havane (1960), ou bien encore d’oeuvres plus sombres telles que le Fond du problème (1948) ou le Facteur humain (1979). Jeudi 4 FRANCE Culture Une cérémonie bouddhique célébrée en présence du ministre Jack Lang marque l’inauguration de l’annexe restaurée du Musée national des arts asiatiques-Guimet, où sont présentées les collections japonaises de son fondateur, Emile Guimet. É TAT S ! U N I S Politique étrangère Interrogé au sujet de la répression que subissent les Kurdes irakiens, le président George Bush réaffirme que son pays n’entend pas « intervenir dans les affaires intérieures de l’Irak » ni « risquer de précieuses vies américaines ». Le 5, toutefois, il décide d’apporter une aide humanitaire aux réfugiés (5). Vendredi 5 ONU Sur l’initiative de la France Sur l’initiative de la France, le Conseil de sécurité adopte la résolution 688, qui condamne la répression des Kurdes en Irak et exige que ce pays facilite l’accès des organisations humanitaires internationales dans le Kurdistan (8). downloadModeText.vue.download 45 sur 490 CHRONOLOGIE 43 FRANCE Politique économique Un décret gouvernemental autorise l’ouverture minoritaire du capital des sociétés nationalisées aux fonds privés en cas d’accord stratégique. URSS/ROUMANIE Relations À Moscou, les présidents Ion Iliescu et Mikhaïl Gorbatchev signent le premier traité d’amitié, de coopération et de bon voisinage conclu entre un pays de l’ancien bloc socialiste et l’URSS depuis les bouleversements de l’automne 1989. Samedi 6 ITALIE Sport La Fédération de football suspend pour quinze mois l’Argentin Diego Maradona, capitaine de l’équipe de Naples, pour consommation de cocaïne (26). É TAT S ! U N I S Environnement À San José, en Californie, la société Browning-Ferris, spécialiste du traitement des déchets, ouvre un musée consacré aux ordures ménagères. Cet État détient, avec la ville de New York, le record mondial de production de déchets par habitant (éd. 1989). Dimanche 7 FRANCE Affaires À la suite d’une perquisition dominicale au siège d’Urbatechnic, un bureau d’études qui finance le Parti socialiste, M. Thierry Jean-Pierre, juge d’instruction au tribunal du Mans, est dessaisi de son dossier à la demande du parquet. Il instruisait une affaire d’accident du travail concernant une autre société qui aurait également alimenté les caisses du PS. Sa perquisition est qualifiée de « cambriolage judiciaire » par M. Georges Kiejman, ministre délégué auprès du Garde des sceaux (11 et 19). ALBANIE Élections législatives À l’issue du second tour de la première consultation libre depuis 1946, le Parti du travail (communiste) remporte 168 des 250 sièges au Parlement contre 75 au Parti démocratique, formation d’opposition (31 mars). Lundi 8 C E E Politique étrangère À Luxembourg, les chefs d’État et de gouvernement des Douze approuvent la proposition britannique de créer des « zones de protection » des populations kurdes, dans le nord de l’Irak, sous l’égide de l’ONU (14). FRANCE Théâtre La Nuit des Molières récompense Guy Tréjan et Dominique Valadié ainsi que la Tempête, de William Shakespeare et son metteur en scène Peter Brook, et le Souper, de Jean-Claude Brisville. Sophie Marceau est consacrée révélation théâtrale pour son rôle dans Eurydice de Jean Anouilh. ALLEMAGNE Xénophobie La suppression de l’obligation de visa pour six pays de la CEE signataires des accords de Schengen provoque un afflux de visiteurs polonais qui exacerbe les sentiments antipolonais chez certains Allemands. downloadModeText.vue.download 46 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 44 SÉNÉGAL Vie politique Le nouveau Premier ministre, M. Habib Thiam, forme un gouvernement qui compte pour la première fois des membres de l’opposition, parmi lesquels Me Abdoulaye Wade, adversaire du président Abdou Diouf lors de l’élection présidentielle de février 1988. PANAMA Vie politique Le limogeage des ministres démocrateschrétiens par le président Guillermo Endara – de plus en plus contesté – fait éclater la coalition gouvernementale au pouvoir depuis l’intervention armée américaine de décembre 1989. Mardi 9 GOLFE Le Conseil de sécurité de l’ONU Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 689 relative à l’emploi d’une force de maintien de la paix de 1 440 nommes, baptisée UNIKOM, dans une zone démilitarisée à la frontière entre l’Irak et le Koweït. FRANCE Relations internationales M. François Mitterrand et le président polonais Lech Walesa, qui est en visite officielle à Paris, signent un traité d’amitié et de solidarité. Consommation Risquant de tomber sous le coup de la loi interdisant la publicité pour le tabac du fait de la distribution d’une cigarette blonde sous son nom, la marque de vêtements pour jeunes Chevignon annonce la rupture de son contrat avec la SEITA, qui décide d’en arrêter la fabrication (18 février). URSS Nationalités À la suite du référendum du 31 mars, le Parlement de Géorgie est le second, après celui de Lituanie, le 11 mars 1990, à proclamer unilatéralement l’indépendance de sa République (16, et éd. 1991). France Coup de pompe Depuis Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Michelin domine le marché mondial du pneumatique. Après un siècle de cohabitation, la firme et la ville ne font plus qu’un. Lorsque Bibendum éternue, Clermont-Ferrand s’enrhume. On comprend donc l’effet produit sur la capitale auvergnate, le 9 avril, par la présentation du cinquième plan social depuis 1983. M. François Michelin, le seul gérant commandité de l’industrie française, annonce la suppression, d’ici fin 1992, de 16 000 emplois dans le monde – où la firme fait travailler 120 000 salariés dans 80 pays –, dont 4 900 en France, ce qui représente 13 % des effectifs ; 2 432 Clermontois sont concernés. Ils s’ajoutent aux 8 886 salariés partis en préretraite, retournés dans leur pays d’origine ou reconvertis à l’occasion des quatre précédents plans sociaux. Les syndicats dénoncent l’imprévoyance des élus qui, de leur côté, se tournent vers l’État. La situation de Clermont-Ferrand reflète par d’autres biais celle de l’Auvergne tout entière. Le spectre de la Lorraine et de sa sidérurgie plane. Les chiffres annoncés le 17 précisent l’ampleur de la crise. Michelin a enregistré un déficit de 5,27 milliards de francs en 1990, après un bénéfice de 2,65 milliards en 1989. En fait, à peine plus d’un tiers des pertes est imputable au déficit d’exploitation proprement dit. Bibendum connaît une diminution de ses résultats liée aux baisses de prix qu’il est obligé de consentir dans un marché dégradé et soumis à une forte concurrence. La crise a fait chuter les ventes d’automobiles et le progrès technique a réduit le taux de remplacement des pneumatiques. Le reste du déficit, hormis le coût des plans sociaux, représente les frais de restructuration. En dix ans, le nombre de fabricants est tombé de dix à cinq : l’américain Goodyear, ancien leader du secdownloadModeText.vue.download 47 sur 490 CHRONOLOGIE 45 teur, le japonais Bridgestone, actuel numéro deux après l’achat de l’américain Firestone, l’autre japonais Sumitomo, qui a acquis le britannique Dunlop, l’italien Pirelli, qui est sur le point de s’unir à l’allemand Continental ; et Michelin, actuel numéro un après l’achat de l’américain UniroyalGoodrich en 1989, pour 9 milliards de francs. Cette opération, ajoutée aux investissements nécessaires pour conserver son avance technologique, explique le fort endettement de la firme clermontoise. Celui-ci représente le taux record de 48,8 % de son chiffre d’affaires mondial, qui s’élève à 55 milliards de francs. Mercredi 10 ITALIE Catastrophe maritime Au large de Livourne, le ferry-boat MobyPrince éperonne le pétrolier Agip-Abruzzo à l’ancre. Les deux bateaux s’enflamment. Il n’y a qu’un survivant parmi les 140 passagers du ferry. TOGO Troubles À la suite des manifestations contre le régime du président Gnassingbe Eyadéma, les 8 et 9, à Lomé, l’armée mène une opération de représailles qui cause la mort de dixneuf personnes. Le 11, le Parlement adopte une loi d’amnistie et une autre autorisant la création de partis. Jeudi 11 FRANCE Vie politique L’Assemblée nationale rejette la motion de censure déposée, après le dessaisissement du juge Thierry Jean-Pierre, par les groupes RPR, UDF et UDC, qui estiment que « l’indépendance de la justice est bafouée » (7). Cour des comptes L’hebdomadaire l’Express révèle le contenu d’un rapport confidentiel de la Cour qui met gravement en cause la gestion financière de l’Institut de France, établissement public groupant les cinq académies. ITALIE Catastrophe maritime Au large de Gênes, le pétrolier chypriote Haven transportant 140 000 tonnes de brut s’enflamme à la suite d’une explosion qui provoque la mort de cinq marins. Durant tout le mois, une marée noire menace les côtes italiennes et françaises. TURQUIE Réformes Sur l’initiative du président Turgut Ozal, le Parlement lève l’interdiction de l’usage privé de la langue kurde, abroge le délit d’opinion et décide des remises de peine qui entraînent la libération de 43 000 des 46 000 détenus turcs. Ces mesures préfigurent une refonte de tout le système judiciaire. Vendredi 12 FRANCE Justice Après la cassation du jugement du 28 novembre 1989 qui condamnait Pascal Le Gac pour un double assassinat commis en 1988, la cour d’assises de l’Isère le condamne à nouveau à la réclusion perpétuelle assortie d’une période de sûreté de vingt ans (éd. 1990). Corse U populu corsu Depuis le rattachement de l’île à la France, en 1769, le pouvoir central lui a alternativement appliqué une politique d’autonomie, chère à Pascal Paoli, et downloadModeText.vue.download 48 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 46 une politique d’assimilation, inaugurée par Napoléon Bonaparte. Le statut adopté le 12 avril relève de la première. Mais la polarisation, autour de la notion de « peuple corse », du débat auquel il a donné lieu risque d’accroître encore l’incompréhension qui caractérise les relations entre l’île et la métropole. L’article premier du projet présenté en octobre 1990 par le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe énonce que « la République française garantit à la communauté historique et culturelle que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits, liés à l’insularité, s’exercent dans le respect de l’unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut ». Le texte crée surtout une collectivité territoriale de Corse dotée d’une assemblée et d’un conseil exécutif élu en son sein, qui dispose d’une quasi-autonomie de gestion. Inventée par Gaston Defferre, artisan de la décentralisation, la formule relative au « peuple corse » est imposée par le président François Mitterrand, malgré l’avis contraire du Conseil d’État. Elle satisfait à peu de frais l’aspiration des Corses – et notamment des organisations nationalistes – à la reconnaissance de leur identité insulaire. Hostile à la reconnaissance officielle du « peuple corse », qui accorde à celui-ci le droit de disposer de lui-même, ainsi qu’à d’autres dispositions du texte, l’opposition défend un statu quo. Après l’échec des travaux de la commission mixte paritaire, le texte est adopté par l’Assemblée grâce à l’abstention des communistes. Mais, le 9 mai, le Conseil constitutionnel, saisi par l’opposition, demande l’annulation de l’article premier : la Constitution ne connaît que « le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Les Corses disposent d’un statut qui les satisfait, mais ils savent que leur peuple n’existe pas pour la République. Dimanche 14 TURQUIE Réfugiés Sous la pression internationale, les autorités acceptent d’accueillir sur leur territoire 20 000 des 400 000 Kurdes qui se pressent dans des camps à la frontière turco-irakienne et qui meurent par dizaines chaque jour (16). EUROPE Finances La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), présidée par Jacques Attali et chargée d’accorder des prêts aux pays de l’Est, est inaugurée à Londres. CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères des Douze proposent, sur l’initiative de l’Allemagne, que le président irakien Saddam Hussein soit jugé par un tribunal international pour crimes de guerre et tentative de génocide. D’autre part, ils décident de lever les sanctions imposées à l’Afrique du Sud, hormis l’embargo sur les armes et le pétrole. FRANCE Politique étrangère Devant le Parlement européen de Strasbourg, M. Boris Eltsine est vivement pris à partie par M. Jean-Pierre Cot, président du groupe socialiste. Au cours de son voyage privé en France, le président de la Fédération de Russie rencontre brièvement, le 17, M. François Mitterrand. Mardi 16 POLOGNE Économie Installée dans l’ancien siège du Parti communiste, la Bourse de Varsovie ouvre ses portes. C’est la seconde place financière créée dans un pays de l’Est après celle de Budapest. downloadModeText.vue.download 49 sur 490 CHRONOLOGIE 47 URSS Nationalités Le président du Parlement de Géorgie, élu le 14 président de la République nouvellement indépendante, M. Zviad Gamsakhourdia, décrète la « désobéissance civile » à l’égard du pouvoir central (9). É TAT S ! U N I S Politique étrangère Le président George Bush accepte le principe d’une intervention de contingents américain, français et britannique en vue d’endiguer l’exode des Kurdes et d’établir, dans le nord de l’Irak, des camps d’accueil placés sous l’autorité de l’ONU. Les opérations communes débutent aussitôt, en dépit des protestations de l’Irak. Japon/URSS Les îles du désaccord Le Japon et l’URSS sont les derniers belligérants de la Seconde Guerre mondiale à n’avoir pas signé de traité de paix. Ils en conçoivent une méfiance réciproque que la détente n’a pas dissipée. Du 16 au 19 avril, M. Mikhaïl Gorbatchev est le premier dirigeant de son pays à se rendre en visite d’État au Japon depuis le tsarévitch Nicolas Alexandrovitch, futur Nicolas II. L’avenir incite les deux pays à une coopération que le passé leur interdit. Le projet de zone économique, où se conjugueraient la technologie et les capitaux nippons et coréens, la main-d’oeuvre chinoise et les ressources naturelles soviétiques, aiguise bien des appétits. Mais la normalisation préalable à tout projet commun entre Moscou et Tokyo achoppe sur le contentieux relatif aux quatre îles méridionales de l’archipel des Kouriles, occupées par l’URSS depuis 1945 et devenues l’Alsace-Lorraine des Japonais sous le nom de Territoires du Nord. Le développement vers l’Asie et le Pacifique constitue l’un des axes de la politique étrangère du président soviétique exposée dans son discours de Vladivostok du 28 juillet 1986. Devant la Diète japonaise, le 17, il montre la même détermination en présentant le projet d’un système de défense régional qui serait élaboré entre l’URSS, le Japon et les États-Unis avant d’être élargi à la Chine et à l’Inde. Mais, depuis 1986, l’URSS est passée du statut de superpuissance gagnée aux réformes, qui lui conférait une forte capacité de négociation, à celui de pays sous-développé, en quête d’aide économique et miné par les nationalismes. Le poids des conservateurs, qui sont hostiles à toute évolution favorable à la perestroïka, et de l’Armée rouge, qui est en mesure d’imposer le maintien de 10 000 soldats sur les îles litigieuses, s’ajoute à la menace d’explo- sion de l’empire sous la pression des nationalités à la première concession de frontières. La mariée apparaît d’autant moins belle aux Japonais qu’ils n’ont jamais vraiment goûté ses charmes et qu’ils ne se sentent pas eux-mêmes dans leur meilleure forme. Le communiqué final signé par M. Gorbatchev et le Premier ministre Toshiki Kaifu témoigne du peu de progrès enregistré dans les négociations sur les îles Kouriles. Certes, l’URSS admet pour la première fois l’existence d’un contentieux territorial entre les deux pays. Mais elle refuse de considérer comme base de discussion le communiqué commun de 1956 qui envisageait la restitution des deux îles de Sikotan et de Habomai contre la signature d’un traité de paix. M. Gorbatchev rentre à Moscou avec ses îles, mais sans dollars. Mercredi 17 FRANCE Outre-mer Au terme d’une rencontre de travail avec les élus de la Réunion, le ministre des DOMTOM annonce une série de soixante mesures économiques et sociales qui établissent un « pacte de solidarité » entre la métropole et l’île, après les émeutes de février (encadré Réunion, le chaudron). downloadModeText.vue.download 50 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 48 Jeudi 18 FRANCE RELATIONS INTERNATIONALES Roumanie Police À Lyon, quatre gardiens de la paix en service et en tenue, un sapeur-pompier et les épouses de deux d’entre eux sont arrêtés en flagrant délit de cambriolage d’un magasin. Finances locales Le Parlement adopte définitivement le projet de loi qui instaure une solidarité financière entre les communes (encadré France, la redistribution). ROUMANIE Relations internationales Malgré son intervention en faveur d’une démocratisation du pays, la visite officielle de M. François Mitterrand à Bucarest, la première d’un dirigeant occidental depuis la chute de Nicolae Ceaucescu, est considérée par l’opposition roumaine comme une « caution » au régime de M. Ion Iliescu. Vendredi 19 FRANCE Affaires La chambre d’accusation de la cour d’appel d’Angers déclare conforme au droit l’ouverture de la procédure menée par le juge d’instruction Thierry Jean-Pierre contre la société Urbatechnic. L’opposition réclame la démission du garde des Sceaux, M. Henri Nallet, et du ministre délégué à la Justice, M. Georges Kiejman (7). GRÈCE Terrorisme À Patras, l’explosion accidentelle de la bombe que transportait un Palestinien cause la mort de sept personnes. ITALIE Vie politique Le Parlement accorde son investiture au septième cabinet formé par M. Giulio Andreotti, démissionnaire depuis le 29 mars. Il s’agit du cinquantième gouvernement en quarante-cinq ans de république. Après le retrait des républicains, la coalition au pouvoir depuis 1983 comprend encore les démocrates-chrétiens, les socialistes, les sociaux-démocrates et les libéraux. KOWEÏT Droits de l’homme Dans un rapport sévère, Amnesty International dénonce les « arrestations arbitraires, tortures et meurtres » commis dans le pays depuis la fin des combats, principalement à l’encontre de Palestiniens. Samedi 20 FRANCE Presse De nombreux médias participent à la première Journée internationale de la liberté de la presse, organisée par l’association Reporters sans frontières. Dans son rapport annuel, celle-ci relève que 40 journalistes ont été tués en 1990 dans l’exercice de leurs fonctions ou du fait de leurs opinions, et que 1,5 milliard de personnes vivent dans des régimes de censure. Accident À Pompignan, dans le Tarn-et-Garonne, sept personnes, qui assistaient à un concert dans l’église du XIXe siècle, sont tuées par l’effondrement de la voûte. downloadModeText.vue.download 51 sur 490 CHRONOLOGIE 49 ISLANDE Élections législatives Le Parti de l’indépendance (conservateur) remporte 26 sièges (+ 8) sur 63 à l’Althing contre 32 à la coalition de centre-gauche (sociaux-démocrates, agrariens et socialistes de gauche) au pouvoir depuis septembre 1988. Le 29, le leader conservateur, M. David Oddsson, forme un gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates (10 sièges). KOWEÏT Vie politique Démissionnaire depuis le 20 mars, le prince héritier Saad al Abdallah al Sabah forme un nouveau gouvernement qui est contrôlé, comme le précédent, par la famille des Al Sabah. A F G H A N I S TA N Conflit Le tir de missiles Scud par les forces gouvernementales sur Asadabad, ville proche de la frontière pakistanaise et contrôlée par la résistance, fait des centaines de victimes. É TAT S ! U N I S / V I Ê T ! N A M Relations Les deux gouvernements annoncent l’ouverture prochaine à Hanoi d’un bureau américain chargé d’enquêter sur les soldats portés disparus pendant la guerre du Viêtnam. Ce sera la première représentation officielle américaine dans le pays depuis 1975. Dimanche 21 FRANCE Viticulture Après un début de printemps chaud, le retour du gel provoque de sérieux dégâts dans les vignobles, de la Loire jusqu’au Bordelais. ALLEMAGNE Vie politique Après avoir perdu le pouvoir dans le Land de Hesse en janvier, le Parti chrétien-démocrate (CDU) du chancelier Helmut Kohl subit un nouveau revers électoral lors des élections en Rhénanie-Palatinat, fief de la CDU depuis 45 ans. Lundi 22 FRANCE Sociétés À l’usine Peugeot-Citroën de Poissy (Yvélines), de nouveaux horaires entrent en vigueur : ils portent à près de dix heures la durée quotidienne de travail et à trois le nombre de jours de repos hebdomadaire. Cette nouvelle organisation doit permettre d’allonger la durée d’utilisation des matériels, d’augmenter les rendements et de créer des emplois. CAMEROUN Vie politique Alors que de violentes émeutes secouent le pays depuis le début du mois, le Parlement vote l’amnistie des prisonniers et des exilés politiques et le rétablissement de la fonction de Premier ministre. Le 25, le président Paul Biya nomme à ce poste M. Sadou Hayatou. CENTRAFRIQUE Vie politique Le président André Kolingba se prononce en faveur de l’instauration prochaine du multipartisme. Mardi 23 FRANCE Politique étrangère En dépit des réserves occidentales suscitées par le soutien de l’OLP à l’Irak dans le conflit downloadModeText.vue.download 52 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 50 du Golfe, le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas rencontre M. Yasser Arafat lors d’une visite en Libye. ALLEMAGNE Propriété privée La Cour constitutionnelle fédérale décide que les expropriations agricoles effectuées entre 1945 et 1949 dans la partie du pays sous occupation soviétique ne seront pas remises en cause. Mais les anciens propriétaires pourront être indemnisés. TCHÉCOSLOVAQUIE Nationalités Le Parlement de Bratislava démet de ses fonctions le Premier ministre slovaque, le nationaliste Vladimir Meciar. Dissident du Parti public contre la violence (VPN) – version slovaque du Forum démocratique – et très populaire, celui-ci s’opposait de plus en plus au pouvoir fédéral. URSS Vie politique Les dirigeants de la Russie et de huit autres républiques favorables au traité de l’Union signent avec M. Mikhaïl Gorbatchev une déclaration commune qui vise à apaiser les tensions politiques. Ils acceptent le plan anticrise présenté le 9 par le président soviétique, qui prévoit notamment l’arrêt des grèves et l’instauration d’un « régime de travail spécial dans les industries de base ». NIGERIA Troubles Le couvre-feu est imposé dans le Nord où les fondamentalistes chiites favorables à l’instauration de la charia provoquent des émeutes qui durent plusieurs jours et font plus de deux cents morts. SPORT Tennis Revenant à la compétition après huit ans d’absence, le Suédois Björn Borg, âgé de 34 ans, est battu au premier tour du tournoi de Monte-Carlo par le jeune Espagnol Jordi Arrese. Mercredi 24 FRANCE Politique sociale Le Premier ministre et le ministre des Affaires sociales présentent au Conseil des ministres le Livre blanc sur l’avenir des retraites. Le document propose d’augmenter la durée de cotisation nécessaire pour obtenir des droits à taux plein, et de favoriser un système de capitalisation à côté du système actuel de répartition. HONGRIE Propriété privée Le Parlement adopte la loi sur l’indemnisation des petits propriétaires expropriés par le régime communiste en 1949. Jeudi 25 CEE Éthique La commission de la santé publique du Parlement de Strasbourg adopte une proposition de résolution qui admet le principe de l’euthanasie. C’est la première prise de position d’une instance internationale sur ce sujet délicat. FRANCE Justice La cour d’assises de la Haute-Garonne condamne à la réclusion criminelle à perpétuité quatre parachutistes de la base de Francaval reconnus coupables de quatre assassinats et de viols. Les peines de deux d’entre eux sont assorties de la période de sûreté maximale de trente ans. downloadModeText.vue.download 53 sur 490 CHRONOLOGIE 51 Art À Paris, le Centre Georges-Pompidou présente une exposition consacrée à André Breton et l’art, intitulée La beauté sera convulsive. Vendredi 26 FINLANDE Vie politique À la suite des élections législatives du 17 mars, M. Esko Aho, chef du Parti du centre, forme un gouvernement de coalition majoritaire (centristes, conservateurs, libéraux-suédois, chrétiens). C’est la première équipe dirigeante ne comprenant pas de parti de gauche depuis 1975. ISRAËL Diplomatie La troisième visite à Jérusalem en trois semaines du secrétaire d’État américain James Baker ne permet pas de rapprocher les positions des deux pays sur l’organisation de la conférence de paix au ProcheOrient (30 octobre). ARGENTINE Drogue De retour dans son pays, le footballeur Diego Maradona, interpellé en flagrant délit, est accusé de « détention et distribution » de cocaïne (6). Samedi 27 SALVADOR Guerre civile Les négociations entre le gouvernement et la guérilla du Front Farabundo-Marti de libération nationale (FMLN) aboutissent à de premiers accords. Ceux-ci prévoient l’établissement d’une commission d’enquête sur les crimes commis par les militaires, et l’adoption de réformes constitutionnelles destinées à renforcer le pouvoir civil. Lundi 29 A N TA R C T I Q U E Environnement Réunis à Madrid, les 26 parties consultatives et les 13 États simples adhérents au traité de Washington du 1er décembre 1959 adoptent un moratoire de 50 ans sur l’exploitation minière du « sixième continent » (éd. 1991). FRANCE Chine et Nouvelle-Zélande ITALIE Sociétés Entamée en mai 1988, la bataille juridicopolitico-financière pour le contrôle de Mondadori aboutit à un accord entre MM. Carlo De Benedetti et Silvio Berlusconi, qui se partagent les avoirs du premier groupe de communication italien. CHINE Relations internationales Deux ans après les événements de la place Tiananmen, à Pékin, et la condamnation du régime par la communauté internationale, la visite du ministre français Roland Dumas scelle la normalisation des relations entre les deux pays. NOUVELLE!ZÉLANDE Relations internationales La visite du Premier ministre français Mi- chel Rocard met fin à l’affaire du RainbowWarrior qui pesait sur les relations entre les deux pays depuis 1985. downloadModeText.vue.download 54 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 52 Mardi 30 FRANCE/ALLEMAGNE Relations culturelles À Strasbourg, la chaîne de télévision française La Sept et la chaîne de télévision allemande ARTE créent un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) qui institue une chaîne culturelle franco-allemande destinée à devenir européenne. ISRAËL Terrorisme À Bethléem, un Palestinien tue à coups de couteau une touriste française qu’il avait prise pour une Américaine. LIBAN Guerre civile À la date prévue par le décret du 28 mars adopté en application des accords de Taëf, les milices libanaises, palestiniennes et proiraniennes rendent aux autorités ou transfèrent en d’autres lieux leurs armes lourdes et moyennes. BANGLADESH Catastrophe naturelle Le littoral oriental, autour de la ville de Chittagong, est dévasté par un cyclone. La violence du vent et la montée des eaux provoquent la mort de dizaines de milliers de personnes. TAIWAN Conflit Le président Lee Teng-hui annonce l’abrogation de l’état d’urgence, justifié par la menace de « rébellion communiste » et instauré en 1948 par Tchang Kaïchek. LESOTHO Coup d’État Le président du Conseil militaire, le général Justin Metsing Lekhanya, qui avait pris le pouvoir le 19 janvier 1986, est renversé sans effusion de sang par l’armée. Il est remplacé par l’un de ses proches, le colonel Elias Pishona Ramaema. É TAT S ! U N I S Politique financière Après la réunion des ministres des Finances des sept pays les plus industrialisés, le 28 à Washington, au cours de laquelle ceux-ci ne sont pas parvenus à s’accorder sur une politique des taux d’intérêt, la Réserve fédérale baisse son taux d’escompte de 6 % à 5,5 % afin de tenter de contenir la récession économique. Le mois de Guy Tréjan N’y voyez ni vanité, ni modestie ! mais avril 1991 est surtout pour moi la nuit du 8, au Théâtre des Champs-Élysées, lorsque Vittorio Gassmann a lu : « Le Molière du meilleur comédien 1991 est attribué à Guy Tréjan dans Heldenplatz. » J’avais déjà joué Thomas Bernhard dix ans auparavant : la pièce s’intitulait le Président ; elle était mise en scène par Roger Blin et l’auteur était pratiquement inconnu en France. Je dois à Jorge Lavelli et au Théâtre de la Colline d’avoir joué le rôle du professeur Schuster, un de ceux qui m’ont le plus comblé. On me demande parfois où j’ai placé mon « Molière » chez moi. Sur ma cheminée ? Mais oui, bien sûr ! Je n’en ai pas honte ! Mon mois d’avril est tout entier consacré à des activités théâtrales fort différentes. À Lille, en ce mois ensoleillé, presque estival, je flâne pendant la journée dans une ville méconnaissable depuis ma dernière visite, il y a quelques années. Ses immeubles ravalés, mis en valeur, ses rues piétonnes animées, ses terrasses de cafés, de restaurants bondées, ses magasins avenants, son superbe musée, sa jeunesse, et l’accueil d’un public, qui, une fois encore, se montre plus enthousiaste que celui du Midi. Étrange barrière qui rend plus réceptifs les gens du Nord que ceux du Sud, l’inverse se produisant dans l’art lyrique. Et, dès mon retour à Paris, les répétitions de Volpone de Ben Jonson, superbement adapté par Jules Romains. Univers totalement différent. Devoir passer de la rigueur, de l’an- goisse, de la peur, de l’agressivité de Heldenplatz à l’indolence, la volupté, mais aussi la duplicité et la cruauté de Volpone ! Deux expériences en ce mois downloadModeText.vue.download 55 sur 490 CHRONOLOGIE 53 d’avril, qui me comblent, m’exaltent ! Un mois parmi les autres : merveille de notre métier, ils se suivent mais ne se ressemblent jamais. À Lille, je vais au cinéma, ce qui m’arrive rarement à Paris, et vois Cyrano de Bergerac. Magnifique Depardieu, magnifique réalisation et, ne l’oublions pas, magnifique Edmond Rostand ! Et je me rattrape ! Je vois presque chaque jour un nouveau film, à l’heure où les salles sont presque vides et me permettent de croire que le film n’est projeté que pour moi. J’ai horreur des commentaires de mes voisins pendant la séance. Tout à l’heure, un nouveau public, chaque soir différent, réagissant d’une autre façon, attentif à d’autres propos. Public inattendu. Public à conquérir. Le Bonheur ! GUY TRÉJAN downloadModeText.vue.download 56 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 54 Mai Mercredi 1 G R A N D E ! B R E TA G N E Législation La Chambre des communes passe outre à l’opposition de la Chambre des lords et approuve une loi qui rend imprescriptibles les crimes contre l’humanité et permet de juger les anciens nazis réfugiés dans le pays. URSS Célébration Pour la première fois depuis la Révolution, le 1er mai ne donne pas lieu au traditionnel défilé sur la place Rouge, à Moscou, mais à un simple meeting organisé par les syndicats officiels. ANGOLA Conflit Après seize ans d’une guerre civile qui a fait plus de 100 000 morts, et au terme de douze mois de discussions sous l’égide de l’ONU, le gouvernement du président Eduardo Dos Santos et les rebelles de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), dirigée par M. Jonas Savimbi, concluent un accord de paix à Estoril, au Portugal. Ce traité, ratifié le 31 mai, stipule l’arrêt des hostilités dès le 15, la fusion des troupes belligérantes en une seule armée et des élections pluralistes à la fin de 1992. Jeudi 2 YOUGOSLAVIE Troubles À Borovo-Selo, agglomération à majorité serbe de la république de Croatie, une quinzaine de personnes, dont douze policiers, sont tuées lors d’affrontements entre les forces de l’ordre croates et des commandos venus de Serbie (15). Eglise catholique Cent ans après Le 15 mai 1891, la publication par Léon XIII de l’encyclique Rerum novarum sur la question sociale faisait entrer la papauté dans le siècle. Cent ans après, Jean-Paul II poursuit, avec l’encyclique Centesimus annus rendue publique le 2 mai, le dialogue entre l’Eglise et la société, entretenu à diverses dates anniversaires par Pie XI, Jean XXIII et Paul VI. La doctrine sociale de l’Église énoncée dans Rerum novarum défend les principes de la justice des salaires, de la dignité des conditions de travail, de la propriété privée conçue comme un élément du bien commun, et de la nécessité des corps intermédiaires pour tempérer les excès de l’initiative privée et publique. Cette révolution morale, qui consistait à rappeler que l’esprit évangélique ne devait pas être absent des relations d’échanges, éclatait en pleine révolution industrielle. Elle allait entretenir pendant un siècle l’image d’une Église partisane d’une troisième voie, entre libéralisme et socialisme, mais muette sur la capacité effective d’un « système économique » en tant que tel à servir les fins de la société. L’encyclique Sollicitudo rei socialis de mars 1988, qui adoptait « une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral aussi bien que du collectivisme marxiste », défendait encore cette position. Depuis lors, l’effondrement du communisme d’État sous la pression même des « foules oudownloadModeText.vue.download 57 sur 490 CHRONOLOGIE 55 vrières » est venu bouleverser les données de l’analyse. Jean-Paul II lui consacre tout un chapitre de son texte. Désormais, la stérilisante comparaison ne s’impose plus et le bilan des tares et des bienfaits du capitalisme peut être dressé. « Peut-on dire qu’après l’échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l’emporte et que c’est vers lui que s’orientent les efforts des pays [de l’Est comme du tiers monde] qui cherchent à reconstruire leur économie et leur société ? » demande le souverain pontife. Oui, si « capitalisme » est synonyme d’« économie libre » ; non, si la liberté économique « n’est pas encadrée par un contexte juridique ferme ». Explorant ce dernier thème, le saint-père affirme qu’une « démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme sournois ou déclaré », et dénonce la « déviation des moeurs politiques » au profit des « intérêts particuliers ou à des fins idéologiques » et aux dépens de la « primauté de l’homme ». Encyclique qui veut faire des vérités du christianisme la vérité de l’État, Centesimus annus reçoit un accueil favorable étrangement unanime, des ultralibéraux aux communistes. Vendredi 3 PAYS!BAS/JAPON Sociétés Au terme d’un accord, le groupe suédois Volvo, le japonais Mitsubishi et l’État néerlandais se partagent à égalité le capital de la filiale hollandaise du constructeur automobile partenaire de Renault. SUISSE Banques Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de l’argent, la Commission fédérale des banques émet une circulaire qui inter- dit l’usage des prête-noms. Cette pratique permettait aux gérants de fortunes de ne pas dévoiler le nom de leurs clients. Le texte doit entrer en vigueur le 1er juillet. É TAT S ! U N I S Télévision La chaîne CBS présente le 356e et dernier épisode du feuilleton Dallas, dont la diffusion avait commencé le 2 avril 1978. Samedi 4 HONGRIE Funérailles La dépouille du cardinal Jozsef Mindszenty, opposant au régime communiste, mort en exil à Vienne en 1975, est ramenée dans son pays natal et inhumée dans la crypte des primats hongrois, à Esztergom, en présence du Premier ministre Joszef Antall. É TAT S ! U N I S Présidence M. George Bush est hospitalisé pour deux jours à la suite de troubles du rythme cardiaque dus à une hyperthyroïdie. Dimanche 5 INDE Nationalités Dans l’État de Jammu-et-Cachemire, 70 séparatistes musulmans sont tués par l’armée lors d’un accrochage survenu à la frontière avec le Pakistan. Lundi 6 URSS Nationalités Le président Mikhaïl Gorbatchev justifie par la nécessité de désarmer les milices l’intervention de l’armée soviétique contre des villages arméniens du Haut-Karabakh, downloadModeText.vue.download 58 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 56 qui a causé plusieurs dizaines de morts en une semaine. Décentralisation Les gouvernements soviétique et russe signent l’accord sur le transfert de l’administration des mines de charbon de Sibérie à la Fédération de Russie. Les mineurs du Kouzbass, qui s’étaient mis en grève le 1er mars pour obtenir cette réforme, reprennent alors le travail. É TAT S ! U N I S Émeutes Après deux jours de violences raciales, déclenchées par un incident entre un policier noir et un Salvadorien, le maire de Washington instaure le couvre-feu dans le quartier hispanique et noir de Mount Pleasant. Celui-ci est levé le 9. Sociétés Au terme d’une OPA lancée en décembre 1990, le géant des télécommunications American Telephon Telegraph (ATT) achète la firme informatique National Cash Register (NCR) pour 7,4 milliards de dollars. Mardi 7 FRANCE Violences Lors d’une perquisition opérée à la suite d’une rixe survenue le 4 dans le centre commercial d’Ermont (Val d’Oise), un adolescent suspecté se tue en se jetant par la fenêtre. BANGLADESH Catastrophe naturelle Alors que le bilan provisoire du cyclone du 30 avril s’élève à plus de 130 000 morts, le pays est de nouveau éprouvé par des tornades, qui font des centaines de victimes dans la région de Dacca. Mercredi 8 FRANCE Sociétés Le groupe pétrolier Elf achète pour 8 milliards de francs le domaine minier exploité en mer du Nord par la compagnie américaine Occidental. TUNISIE Troubles Deux étudiants sont tués lors d’affrontements avec les forces de l’ordre dans plusieurs facultés de Tunis gagnées par l’agitation islamiste (18). Jeudi 9 FRANCE encadré Corse, u populu corsu. G R A N D E ! B R E TA G N E Recherche La revue Nature rend compte des travaux de deux chercheurs britanniques, MM. Robin Lovell-Badge et Peter Goodfellow, qui, les premiers, sont parvenus à obtenir un changement génétique de sexe chez un mammifère, en l’occurrence une souris. L’animal est toutefois stérile. CHINE/URSS Relations Au lendemain de la première visite en Chine d’un ministre soviétique de la Défense, l’ambassade d’URSS à Pékin publie un communiqué affirmant que les deux downloadModeText.vue.download 59 sur 490 CHRONOLOGIE 57 pays ne représentent plus une « menace » l’un pour l’autre (16). Vendredi 10 ONU Le secrétaire général Le secrétaire général Javier Perez de Cuellar lance un appel à la communauté internatio- nale en faveur de l’Afrique, dont 30 millions d’habitants seront menacés par la famine au cours de l’année 1991. BELGIQUE Violences À Bruxelles, dans les quartiers de SaintGilles et de Forest, des jeunes Maghrébins affrontent violemment la police durant trois nuits. Ils protestent contre la multiplication des contrôles d’identité. ROUMANIE Opposition À Bucarest et dans d’autres grandes villes, le jour de l’ancienne fête nationale, des milliers de personnes, dont la dissidente Doina Cornea, réunies à l’appel d’organisations monarchistes, réclament le retour du roi Michel. SUISSE Politique étrangère Abandonnant sa position traditionnelle, le gouvernement déclare que l’adhésion à la CEE « devient l’option à étudier en priorité ». ISRAËL Relations internationales M. Alexandre Bessmertnykh effectue la première visite d’un ministre des Affaires étrangères de l’URSS à Jérusalem depuis la fondation de l’État hébreu. Les deux pays, qui n’ont pas encore pleinement rétabli leurs relations diplomatiques, décident de maintenir le dialogue au plus haut niveau. Dimanche 12 FRANCE Fête nationale À Paris, la police réprime brutalement le défilé monarchiste traditionnel en l’honneur de Jeanne d’Arc, place des Pyramides, qui était interdit pour la deuxième année consécutive. ALBANIE Vie politique Le Parlement approuve la composition du gouvernement que M. Fatos Nano a constitué après les élections du 31 mars et du 7 avril remportées par le parti du travail (communiste). L’opposition refuse d’y participer. POLOGNE Vie politique L’ancien Premier ministre polonais, candidat à l’élection présidentielle, M. Tadeusz Mazowiecki, est élu président de l’Union démocratique, nouveau parti regroupant trois formations issues de Solidarité. URSS Désarmement Le dernier des missiles SS-20, dont le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) du 8 décembre 1987 prévoyait l’élimination, est détruit près de la mer Caspienne. NÉPAL Élections législatives Lors du premier scrutin depuis l’établissement d’une monarchie constitutionnelle et l’autorisation du multipartisme en avril 1990, le parti du Congrès, principale fordownloadModeText.vue.download 60 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 58 mation de l’opposition, remporte 110 des 205 sièges du Parlement (29). Lundi 13 MONDE Démographie Dans son rapport annuel, le Fonds des Nations unies pour les activités en matière de population (FNUAP) estime à 9 milliards de dollars le coût de la planification familiale nécessaire pour limiter le chiffre de la population mondiale à 6,4 milliards d’individus en l’an 2000. É G L I S E C AT H O L I Q U E Doctrine À Fatima, dernière étape de sa visite entamée le 10 au Portugal, le pape Jean-Paul II dénonce la nouvelle forme d’athéisme et de matérialisme qui menace selon lui de se substituer au marxisme. FRANCE Sociétés Après plus de deux mois de bataille procédurière, le fabricant américain de matériel électrique Square D accepte l’OPA de 2,23 milliards de dollars lancée sur son capital par le groupe Schneider. Ce dernier accède ainsi au premier rang mondial des appareils de distribution électrique de basse et moyenne tension. URSS Audiovisuel Un mois avant l’élection du président de la Fédération de Russie au suffrage universel, la Radio-télévision russe diffuse sa première émission, mettant ainsi fin au monopole des ondes dans le pays (12 juin). É TAT S ! U N I S Désarmement Le président George Bush déclare que son pays renonce à toute utilisation de l’arme chimique, même en riposte à une attaque de ce type, et propose de détruire l’ensemble des stocks américains en dix ans. Ce revirement doit faciliter l’adoption de la convention internationale en discussion à Genève. Mardi 14 FRANCE Partis politiques L’Assemblée nationale approuve la création de la commission d’enquête sur le financement des formations politiques, proposée en avril par M. Pierre Mauroy, premier secrétaire du Parti socialiste, en réponse aux accusations portées contre le PS. Transports Le gouvernement approuve le schéma directeur du développement du réseau ferré à grande vitesse, qui prévoit la mise en service de 4 700 km de lignes d’ici 2015-2025, pour un coût estimé à 210 milliards de francs. CORÉE DU SUD Émeutes À Séoul, à l’occasion des obsèques d’un étudiant tué par la police le 26 avril, de violents affrontements opposent des dizaines de milliers de jeunes aux forces de l’ordre. Entre cette date et la démission du gouvernement, le 22, huit étudiants hostiles au régime s’immolent par le feu. AFRIQUE DU SUD Justice La Cour suprême de Johannesburg condamne à six ans de prison Mme Winnie Mandela, épouse du leader noir, reconnue coupable d’enlèvement et de complicité de coups et blessures sur la personne d’un jeune noir assassiné par son garde du corps downloadModeText.vue.download 61 sur 490 CHRONOLOGIE 59 en janvier 1990. Mme Mandela, qui fait appel, est laissée en liberté (éd. 1991). Mercredi 15 FRANCE Vie politique En poste depuis le 10 mai 1988, M. Michel Rocard présente la démission de son gouvernement à la demande du président François Mitterrand. Désignée pour lui succéder, Mme Édith Cresson est la première femme à occuper le poste de Premier ministre en France. Son gouvernement formé le 16 est marqué par la constitution d’un grand ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, qui exerce sa tutelle sur l’Industrie, le Commerce extérieur, les PTT, le Commerce et l’Artisanat. M. Mitterrand confie à Mme Cresson la tâche d’oeuvrer à l’établissement d’« une France plus forte en Europe » à l’horizon 1993. YOUGOSLAVIE Institutions La Serbie et ses alliés (Kosovo, Voïvodine et Monténégro) empêchent le Croate Stipe Mesic, qui n’est pas communiste, d’assumer la présidence collégiale tournante de la Fédération. C’est la première fois depuis son entrée en vigueur, en 1974, que ce processus institutionnel automatique ne fonctionne pas (2 et 19). SPORT Football À Rotterdam (Pays-Bas), l’équipe britannique de Manchester United remporte la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe en battant l’équipe espagnole du FC Barcelone (2-1). Jeudi 16 URSS Relations internationales Au cours de la visite de cinq jours de M. Jiang Zemin à Moscou, la première d’un secrétaire général du Parti communiste chinois depuis celle de Mao Zedong en 1957, les deux pays signent un accord sur le tracé de la partie orientale de leur frontière commune (9). ISRAËL Diplomatie À l’issue de sa quatrième navette au ProcheOrient depuis la fin de la guerre du Golfe, le secrétaire d’État américain James Baker constate que de nombreuses divergences subsistent entre les États-Unis et Israël au sujet de l’organisation d’une conférence internationale de paix (30 octobre). ZAÏRE Justice La Cour suprême de Kinshasa condamne à des peines allant jusqu’à la réclusion perpétuelle les auteurs du massacre d’étudiants sur le campus de Lumumbashi, le 12 mai 1990. L’ancien gouverneur de la province du Shaba et le chef de la garde civile figurent parmi les condamnés (éd. 1991). Vendredi 17 FRANCE Transports Une panne du logiciel informatique des services de la navigation aérienne paralyse le trafic de l’aéroport d’Orly et oblige 1 700 passagers à passer la nuit dans l’aérogare. downloadModeText.vue.download 62 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 60 ROUMANIE Minorités Dans deux villages proches de Bucarest, des Roumains détruisent une trentaine de maisons appartenant à des Tsiganes Ursars. MEXIQUE Violences Dans la prison de Matamores, l’affrontement de deux bandes rivales de trafiquants de drogue fait 18 morts et une cinquantaine de blessés. Samedi 18 U R S S / G R A N D E ! B R E TA G N E Coopération scientifique Premier cosmonaute britannique, Mlle Helen Sharman s’envole de la base de Baïkonour (Kazakhstan) à bord du vaisseau spatial Soyouz TM-12, à destination de la station orbitale Mir, pour une mission de huit jours. TUNISIE Opposition Le quotidien gouvernemental la Presse annonce la découverte d’un « complot » fomenté par le mouvement clandestin Ennahdha dans le but d’établir un État islamiste. Des centaines de suspects, dont de nom- breux militaires, sont arrêtés (8). SOMALIE Sécession Implantée dans le Nord, la guérilla du Mouvement national somalien (MNS) décide de fonder une république du Somaliland dans l’ancien protectorat britannique du même nom. Le MNS rompt ainsi avec le Congrès somalien unifié qui contrôle la capitale depuis la chute du président Syaad Barre, le 27 janvier (encadré Somalie, l’enfer). Dimanche 19 FRANCE Armement Sur la base d’Istres (Bouches-du-Rhône), le prototype de l’avion de combat Rafale équipé de réacteurs SNECMA effectue son premier vol. CHYPRE Élections législatives Avec 20 sièges sur 56, le Rassemblement démocratique (conservateur) renforce sa première place. Avec 18 sièges, le Parti communiste enregistre une forte progression. YOUGOSLAVIE Nationalités Les habitants de la république de Croatie se prononcent par référendum à 94,17 % en faveur de sa transformation en un État « souverain et indépendant » libre de s’associer aux autres républiques yougoslaves, mais la minorité serbe boycotte le scrutin (15). Lundi 20 POLOGNE Israël URSS Législation Le Soviet suprême ratifie le projet de loi autorisant l’émigration, qui doit entrer en vigueur en janvier 1993. GOLFE Conflit Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 692 qui crée un Fonds alimenté downloadModeText.vue.download 63 sur 490 CHRONOLOGIE 61 par l’Irak et destiné à réparer les dommages de guerre causés notamment au Koweït. ISRAËL Relations internationales Devant la Knesset, le président polonais Lech Walesa « demande pardon » aux juifs pour la collaboration de certains de ses compatriotes à l’holocauste perpétré par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, notamment en Pologne. LESOTHO Violences À Maseru, des émeutes raciales dirigées contre des ressortissants indiens et chinois de Taïwan font 34 morts en une semaine. Mardi 21 FRANCE Cinéma Le film des Américains Joel et Ethan Coen, Barton Fink, remporte la Palme d’or du 44e festival de Cannes ainsi que deux autres prix. MAROC Justice La cour d’appel de Rabat condamne à la réclusion à perpétuité Mahmoud Belfikh, reconnu coupable d’avoir violé et assassiné Cécile Roussel, onze ans, enlevée le 7 mars 1990 à Montpellier (Hérault) [éd. 1991]. Inde La malédiction des Gandhi Le retour à la stabilité constituait le thème de la campagne du parti du Congrès pour les élections législatives. L’assassinat de Rajiv Gandhi, le 21 mai, lors d’une réunion électorale près de Madras, risque d’approfondir encore la crise que connaît l’Inde depuis la mort de sa mère Indira, tuée par ses gardes du corps sikhs le 31 octobre 1984. Cet attentat met peut-être définitivement fin au règne d’une dynastie qui a dirigé le pays durant la plupart des 44 années de son indépendance. Le 23, Sonia Gandhi refuse en effet d’assurer la succession de son mari, comme le lui demandaient les caciques du parti. Rajiv Gandhi avait succédé à sa mère à la tête du gouvernement et du parti du Congrès qui avait remporté un immense succès aux élections anticipées de décembre 1984. Ancien étudiant de Cambridge marié à une Italienne, devenu « dauphin » après la mort accidentelle de son frère Sanjay le 23 juin 1980, l’ancien pilote de ligne s’était brillamment converti à la politique. Pendant cinq ans, le petit-fils de Nehru avait tenté de sortir son pays de l’isolement économique et de le conduire sur la voie du progrès en s’appuyant sur une middle-class naissante qui lui devait son existence. Mais, mal entouré et trop peu conscient de l’inertie d’un pays aux multiples spécificités, il était de plus discrédité par une série de scandales. Aux élections de novembre 1989, le parti du Congrès perdait plus de la moitié de ses sièges. M. V. P. Singh, chef du Janata Dal, devenait Premier ministre, avant d’être remplacé en novembre 1990 par M. Chandra Shekhar, dissident du même parti. La mort de Rajiv Gandhi survient alors que le pays est déchiré comme jamais, et que l’ancien Premier ministre passait pour l’un des rares dirigeants capables de garantir l’unité nationale. Le terrorisme sikh ensanglante le Pendjab et au-delà. Les séparatismes du Cachemire et de l’Assam se sont mués en luttes armées. La vaine intervention du corps expéditionnaire indien contre les indépendantistes tamouls du Sri Lanka a laissé des traces chez leurs « cousins » du Tamil Nadu. La volonté de M. Singh d’augmenter les quotas d’emplois publics réservés aux membres des castes inférieures a ravivé un conflit latent. Devant ces dangers, le Bharatiya Janata Party mène avec succès une croisade fondamentaliste et nationaliste en faveur du renouveau hindouiste. Lors des élections, qui sont repoussées au mois de juin, les Indiens devront choisir entre le refuge dans un passé quelque peu obscur et le pari sur un avenir conduit par un parti usé et à présent décapité (15 juin). downloadModeText.vue.download 64 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 62 Afrique L’imbroglio abyssin Il déclarait en juin 1990 que son pays était « au bord de l’effondrement ». Son offre de démission, en avril, suivie de l’acceptation du multipartisme et de la nomination d’une nouvelle équipe, dont un vice-président d’origine tigréenne, n’aura servi à rien. Le 21 mai, le président Mengistu Haïlé Mariam quitte son pays pour le Kenya, puis le Zimbabwe, sans que l’on sache s’il s’agit d’une fuite ou du résultat d’un complot. Ce militaire ambitieux, intelligent et sans scrupules a dirigé dans l’ombre la révolution qui a conduit à la destitution du négus Haïlé Selassié en septembre 1974. En trois ans, il élimine ses adversaires et monopolise le pouvoir. En mars 1978, il reconquiert l’Ogaden envahi par la Somalie, mais se heurte bientôt au Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), en lutte depuis l’annexion de leur province en 1962, puis au Front populaire de libération du Tigré (FPLT), fondé en 1975. En septembre 1984, le « négus rouge » s’allie avec l’URSS et érige son pays en république populaire. La défection de nombreux membres de son équipe, la grogne de son armée et le désengagement soviétique l’isolent peu à peu. L’avance des rebelles n’est pas interrompue par le départ du chef de l’État, qui est remplacé par son vice-président, le général Tesfaye Kidane. Alors que l’armée se débande, les rebelles encerclent Addis-Abeba. Les 24 et 25, Israël évacue par voie aérienne 14 400 falachas (juifs éthiopiens), comme cela avait été déjà fait en 1984 pour quelque 12 000 d’entre eux. Le 27, à Londres, un accord de cessez-le-feu est conclu entre le gouvernement et les mouvements de guérilla regroupés au sein du Front révolutionnaire démocratique du peuple éthiopien (FRDPE) de M. Mêles Zenawi. Les États-Unis, qui dirigent les négociations, invitent alors les troupes du FRDPE, dominé par le très stalinien FPLT, à prendre le contrôle d’Addis-Abeba, afin de ne pas retarder inutilement l’inévitable. La capitale est investie le 28 sans résistance. L’installation d’un gouvernement de transition, auquel le FPLE ne souhaite pas participer, et l’organisation d’élections libres ainsi que d’un référendum d’autodétermination en Érythrée sont prévues. Mais, le 29, à Addis-Abeba, des manifestations en faveur de l’unité nationale sont violemment réprimées. Mercredi 22 FRANCE Vie politique Le discours de politique générale du Premier ministre Édith Cresson devant l’Assemblée nationale est jugé sans relief et dénué de propositions concrètes par la classe politique. IRAK Réfugiés Le gouvernement et les forces alliées de l’opération Provide Comfort concluent un accord sur l’évacuation des soldats et des policiers irakiens de la ville de Dohouk (350 000 habitants avant l’exode), située à la limite de la zone de sécurité, en vue de favoriser le retour chez eux des Kurdes. É TAT S ! U N I S Politique étrangère Le secrétaire d’État James Baker affirme que la poursuite des implantations juives dans les territoires occupés par Israël constitue le « principal obstacle à la paix » au ProcheOrient. Le 24, les États-Unis inspirent une déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamne l’expulsion de quatre Palestiniens vers le Liban. Liban/Syrie Le chemin de Damas « Fraternité, coopération et coordination » selon les uns, « vassalisation », « tutelle » ou « annexion » d’après les autres, le traité signé par les présidents syrien Hafez el-Assad et libanais Elias Hraoui, le 22 mai à Damas, est diversement apprécié. Le texte entériné le 27 par les Parlements libanais et syrien requiert des deux pays « le plus haut degré de coordination dans tous les domaines », notamment ceux de la défense et de la politique étrangère. Un Conseil suprême composé des principaux dirigeants des deux pays mène cette coopération. downloadModeText.vue.download 65 sur 490 CHRONOLOGIE 63 Ces relations privilégiées entre le Liban et la Syrie étaient déjà inscrites dans le document d’« entente nationale » adopté à Taëf (Arabie Saoudite) le 22 octobre 1989, et accepté par l’ensemble de la classe politique libanaise, hormis le général chrétien Michel Aoun. Toutefois, les ministres maronites Georges Saade, président du parti kataeb (Phalanges), et Roger Dib, représentant de la milice des Forces libanaises, émettent des réserves sur le texte alors que le colonel Kadhafi, chef de l’État libyen, lance un « appel pressant à l’union immédiate entre la Syrie et le Liban », qui constituent, selon lui, « une province unique que l’impérialisme avait divisée ». Mais le président Assad sait trop bien jouer de la guerre civile entre les Libanais pour écouter ce conseil. Consacré par le traité, le protectorat syrien sur le Liban existe dans les faits depuis longtemps. Les crises libanaises sont toutes nées de divergences entre Beyrouth et Damas. Une partie de la population libanaise en est consciente qui, après seize ans de guerre, trouve que ce traité est un moindre mal. Dans le cadre de leur nouvelle politique procheorientale issue de la guerre du Golfe, les États-Unis ont donné leur aval au traité syro-libanais, huit ans après avoir inspiré le traité israélo-libanais jamais signé par l’ancien président Aminé Gemayel. Mais l’État hébreu n’est pas disposé à laisser son principal ennemi contrôler un peu plus son espace frontalier. Dans les jours qui ont précédé la signature du texte, l’aviation israélienne a effectué des raids dans le sud du Liban, tandis que l’ALS, milice pro-israélienne, se livrait à des démonstrations de force dans la zone de sécurité qu’elle occupe à la frontière sud du Liban, région où l’armée libanaise tente de se déployer. Jeudi 23 COCOM La réunion à Paris La réunion à Paris de l’organisme occidental de surveillance des exportations vers les pays de l’Est aboutit à la réduction de moitié de la liste des produits de haute technologie soumis à son contrôle. Vendredi 24 FRANCE Réfugiés Trois jours après la nomination d’un conciliateur, le gouvernement accorde une au- torisation provisoire de séjour à quelque 200 étrangers déboutés de leur demande d’asile, qui observaient une grève de la faim dans plusieurs villes (23 juillet). ITALIE Société La chaîne privée Cinque diffuse un clip appelant à dénoncer à la police les agissements de la mafia. URSS Catastrophe nucléaire À Vienne, les représentants des républiques d’Ukraine et de Biélorussie dénoncent l’« optimisme » du rapport officiel de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur les conséquences sanitaires de l’explosion, le 26 avril 1986, de la centrale de Tchernobyl. AFRIQUE DU SUD Vie politique L’absence du Congrès national africain (ANC) affaiblit l’impact du « sommet sur la violence et l’intimidation » organisé à Pretoria sur l’initiative du président Frederik De Klerk, en vue de résoudre le problème des troubles interethniques qui déchirent les ghettos noirs. CAMEROUN Troubles Confronté à une vague d’agitation organisée par l’opposition qui réclame la convocation d’une Conférence nationale, le président Paul Biya place sept des dix provinces du pays sous administration militaire. downloadModeText.vue.download 66 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 64 Samedi 25 IRAN Politique étrangère Organisée à Ispahan par la République islamique, la conférence sur la coopération pétrolière dans les années 1990 témoigne de la volonté d’ouverture politique du pays en direction de l’Occident, de l’Arabie Saoudite et des monarchies du Golfe. SURINAM Élections législatives Hostile aux militaires, qui ont repris le pouvoir en décembre 1990, le Front nouveau pour la démocratie remporte 30 des 51 sièges de l’Assemblée. Avec 12 sièges, le Parti national démocratique du colonel Desi Bouterse, ancien président, progresse. Dimanche 26 URSS Nationalités Président en exercice de la république de Géorgie, M. Zviad Gamsakhourdia est confirmé à son poste, au suffrage universel, par 87 % des voix. THAÏLANDE Catastrophe aérienne Un Boeing-767 de la compagnie autrichienne Lauda Air explose en vol après avoir décollé de Bangkok. Il n’y a pas de survivants parmi les 223 passagers. L’enquête conclut à une erreur de commande des réacteurs. ALGÉRIE Opposition À Alger, devant l’échec de la grève générale à laquelle il avait appelé à partir du 25, le Front islamique du salut organise des défilés quotidiens pour réclamer la modification de la loi électorale et une élection présidentielle anticipée. Lundi 27 FRANCE Banlieues Interpellé à la suite des violences survenues durant le week-end dans la cité HLM du Val-Fourré, un jeune homme d’origine ma- rocaine âgé de 18 ans, Aïssa Ihich, meurt durant sa garde à vue au commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines). Asthmatique, il n’avait pas été autorisé à recevoir les médicaments que lui avait apportés sa famille. Commerce extérieur Pour la première fois dans les relations entre les deux pays, la publication des résultats du mois d’avril fait apparaître un excédent dans les échanges entre la France et l’Allemagne. Sociétés Le groupe Pinault achète la chaîne de distribution de meubles Conforama à LVMH pour 4,4 milliards de francs. Mardi 28 CORÉE DU NORD Politique étrangère Devant le risque de l’admission de la seule Corée du Sud aux Nations unies, le régime de Pyongyang déclare abandonner sa position hostile à la participation simultanée des deux pays à l’organisation internationale. downloadModeText.vue.download 67 sur 490 CHRONOLOGIE 65 É TAT S ! U N I S Transports L’État du Texas choisit le TGV français pour assurer la liaison à grande vitesse entre les villes de Houston, Dallas et San Antonio. Mercredi 29 OTA N Les ministres de la Défense Les ministres de la Défense des quinze États membres du commandement intégré approuvent une réorganisation de l’alliance atlantique qui prévoit notamment la création d’une « force de réaction rapide » à laquelle la France se déclare opposée. FRANCE Économie Le ministre Pierre Bérégovoy présente au Conseil des ministres une série de mesures destinées à enrayer l’aggravation du déficit de l’État. Des augmentations de recettes et des diminutions de dépenses doivent permettre d’économiser 17 milliards de francs en 1991. Exposition Cocher de fiacre, un dessin de Georges Seurat, est volé lors de la rétrospective présentée depuis le 13 avril au Grand Palais, à Paris, à l’occasion du centenaire de la mort du peintre. ALLEMAGNE Transports À Kassel est inauguré le train à grande vitesse allemand, Intercity Express (ICE), qui doit circuler entre Hambourg et Munich. ESPAGNE Terrorisme À Vic, près de Barcelone, l’explosion d’une voiture piégée devant le bâtiment abritant les logements des gardes civils provoque la mort de neuf personnes. Le 31, la police démantèle le « commando Barcelone » de l’ETA militaire présumé responsable de l’attentat. NÉPAL Vie politique Dirigeant du parti du Congrès qui a remporté les élections législatives du 12, M. Girija Prasad Koirala est nommé Premier ministre et forme le premier gouvernement démocratique depuis 1960 (12). É TAT S ! U N I S Désarmement Le président George Bush présente un plan de contrôle des armements nucléaires, chimiques, biologiques et balistiques au Proche-Orient qui exhorte les pays fournisseurs à la « réserve ». SPORT Football À Bari (Italie), l’Étoile rouge de Belgrade remporte la Coupe d’Europe des clubs champions en battant l’Olympique de Marseille à l’issue de l’épreuve des tirs au but (5-3). Vendredi 31 FRANCE Société La Cour de cassation déclare illicite la pratique des « mères porteuses », jugée contraire au principe de l’indisponibilité du corps humain. Sport La chaîne de télévision Canal + prend le contrôle financier du Paris-Saint-Germain dans le cadre du plan de relance du football à Paris. downloadModeText.vue.download 68 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 66 Juin Samedi 1 FRANCE Scandale Le Dr Michel Garetta, directeur du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), présente sa démission. Il était accusé par l’hebdomadaire l’Événement du Jeudi d’avoir continué, en 1985, à distribuer des produits sanguins qu’il savait contaminés par le virus du sida. Dimanche 2 ALLEMAGNE Vie politique Lors des élections régionales dans la villeÉtat de Hambourg, le Parti chrétien-démocrate (CDU) du chancelier Helmut Kohl enregistre un net recul au profit du Parti social-démocrate (SPD). Lundi 3 FRANCE Désarmement La présidence de la République publie un « plan de maîtrise des armements et de désarmement » qui prévoit notamment l’adhésion de la France au traité de nonprolifération nucléaire (TNP) signé par les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne le 1er juillet 1968. URSS Nationalités Le jour de la publication du rapport officiel qui décharge l’armée de toute responsabilité dans les événements meurtriers survenus le 13 janvier à Vilnious, en Lituanie, des troupes soviétiques se livrent à des manoeuvres d’intimidation autour du Parlement de la République balte. LIBAN Conflit Durant trois jours, l’aviation israélienne lance des raids meurtriers sur les positions palestiniennes situées dans le sud du pays, alors que l’ALS, milice pro-israélienne, effectue des manoeuvres de blindés dans la « zone de sécurité » frontalière. JAPON Catastrophe naturelle Dans l’île de Kyushu, l’éruption du volcan Unzen provoque la mort de 40 personnes, dont les volcanologues français Maurice et Katia Krafft. Mardi 4 É G L I S E C AT H O L I Q U E Voyage pontifical Au cours de sa quatrième visite dans son pays natal depuis le début de son pontificat, Jean-Paul II condamne fermement la légalité de l’avortement, dont la Diète polonaise doit prochainement débattre. La comparaison que le pape établit entre les « cimetières des enfants non nés » et ceux des victimes des camps de concentration suscite de vives protestations. downloadModeText.vue.download 69 sur 490 CHRONOLOGIE 67 ALBANIE Vie politique Confronté à une grève générale depuis trois semaines, M. Fatos Nano présente la démission du gouvernement communiste qu’il avait formé le 12 mai (11 et 12). ALGÉRIE Troubles À Alger, les forces de l’ordre évacuent les places publiques occupées depuis le 26 mai par les militants du Front islamique du salut (FIS). Le bilan officiel des violents affrontements qui s’ensuivent s’élève à 17 morts (5). É TAT S ! U N I S Éthique À l’hôpital de Duarte, en Californie, une jeune fille leucémique de 19 ans reçoit une greffe de moelle osseuse prélevée sur sa petite soeur de 13 mois. Celle-ci avait été conçue dans ce but, en l’absence de donneur compatible. Mercredi 5 URSS Aide économique À Oslo où il est venu recevoir le prix Nobel de la paix, M. Mikhaïl Gorbatchev lance un appel à un « soutien massif » de l’Occident à la perestroïka dont « le monde a tout autant besoin que l’Union soviétique » (13). ALGÉRIE Troubles Dans un communiqué télévisé, le président Chadli Bendjedid annonce l’instauration de l’état de siège, le report sine die des élections législatives prévues pour le 27 juin et le renvoi de M. Mouloud Hamrouche, Premier ministre depuis septembre 1989, qui est remplacé par M. Sid Ahmed Ghozali. Le 6, le couvre-feu est instauré dans la capitale et les départements limitrophes (4 et 7). Apartheid La nouvelle Afrique du Sud Le président Frederik De Klerk l’avait promis le 1er février : le 5 juin, le Parlement abroge deux des dernières lois discriminatoires, qui portaient sur la propriété foncière (Land Act) et l’habitat séparé (Group Areas Act). Le 17, il fait de même avec l’ultime législation raciale relative à la classification de la population selon la couleur de la peau (Population Registration Act). Ces mesures d’abolition, qui font suite à celle, le 15 octobre 1990, de la loi régissant l’accès aux lieux publics (Separate Amenities Act), entrent en vigueur à la fin du mois. Le système institutionnel de l’apartheid a vécu. Dès 1911, des textes législatifs sud-africains faisaient référence aux différents groupes raciaux. En 1913, le Land Act attribuait 87 % des terres à la minorité blanche contre 13 % aux Noirs (les Blancs constituent aujourd’hui 13,5 % de la population, les Noirs, 75,2 %) ; mais c’est le Parti national, formation afrikaner parvenue au pouvoir en 1948, qui institutionnalisait le principe du « développement séparé ». Dès 1950 était adoptée la classification par races de la population, pierre angulaire de la ségrégation. La loi sur le logement, qui confinait les Noirs dans des ghettos situés hors des villes, date aussi de 1950. En 1953 était voté le Separate Amenities Act, qui définissait les règles de l’« apartheid mesquin ». À partir de 1959, le programme qui consistait à transformer les réserves instituées par le Land Act en États indépendants entrait en application. Entre 1960 et 1989, 3,5 millions de Noirs étaient déplacés vers dix « bantoustans » ou « homelands » décrétés « autonomes » entre 1963 et 1984, puis « indépendants », pour quatre d’entre eux, entre 1976 et 1981. Malgré l’opposition du Parti conservateur, M. De Klerk, élu le 20 septembre 1989, a commencé à bâtir la « nouvelle Afrique du Sud », annoncée dans son discours « historique » du 2 février 1990. De nombreuses inégalités demeurent toutefois, à commencer par celles inscrites dans la Constitution de 1983. Le principe « un homme, une voix », notamment, n’a pas été encore formellement accepté. De flagrantes disparités économiques et downloadModeText.vue.download 70 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 68 sociales subsistent également. C’est sur ce terrain que M. De Klerk gagnera ou perdra son pari. La libération de tous les prisonniers politiques et l’adoption de mesures contre les violences interethniques demeurent pour l’ANC des préalables à la levée de l’embargo décrété par la communauté mondiale contre le régime de Pretoria. De leur côté, les hommes d’affaires ont hâte que cesse cette ségrégation… commerciale (éd. 1991). Jeudi 6 FRANCE Transports Le groupe Bolloré prend le contrôle de l’armateur Delmas-Viel-jeux et devient ainsi le numéro deux français du transport de marchandises derrière la SCETA, filiale de la SNCF. LIBAN Vie politique Le gouvernement nomme 40 députés au Parlement élu en 1972, dont 31 pour occuper des postes vacants. Le nombre total des députés s’établit ainsi à 108, répartis à égalité entre chrétiens et musulmans, conformément aux accords de Taëf du 22 octobre 1989. France Monsieur Jadis La littérature, l’amitié, l’alcool sont les quelques rares choses auxquelles il s’appliquait vraiment. Le reste n’était pour lui que prétexte à exercer son esprit désinvolte et joyeusement pessimiste. Ce monde, qui ne roulait pas dans le bon sens à ses yeux, s’est pour lui arrêté de tourner le 6 juin. Antoine Blondin est mort. Vive Monsieur Jadis. Né à Paris en 1922, le fils de la poétesse Germaine Blondin effectue de brillantes études. Pendant la guerre, il part travailler en Allemagne au titre du STO. À son retour, il se lance dans le journalisme sportif et dans la littérature. Les deux disciplines n’en forment qu’une pour cet amoureux de l’épique. Le succès littéraire venu, il continuera de pratiquer l’une et l’autre. Ainsi, il couvrira longtemps le Tour de France pour le journal l’Équipe. Et tous les piliers de rugby deviendront ses amis. Le succès vient tôt. En 1949, il obtient le prix des Deux-Magots pour son premier roman, l’Europe buissonnière. Les maîtres penseurs du Paris d’après-guerre l’étiquettent de droite, pour la jouissance gratuite qui émane de sa prose, lui qui ne songe pas à sauver les masses par la littérature. Regroupés autour de Roger Nimier sous l’appellation de « hussards », Antoine Blondin, Jacques Laurent, Michel Déon, Félicien Marceau et quelques autres partagent ce même ghetto. Les Enfants du Bon Dieu en 1952 et l’Humeur vagabonde en 1955 confirment la rupture de Blondin avec l’« engagement » de l’époque. Le succès populaire prend les traits de Gabin et de Belmondo qui incarnent magnifiquement, à l’écran, les personnages d’Un singe en hiver, prix Interallié 1959. Il y est question d’amitié, d’alcool et de littérature. La disparition de Nimier en 1962 marque profondément Blondin. Avec Monsieur Jadis (1970), il se réfugie dans sa mémoire, entouré des habitués du Bar-Bac. Quat’Saisons (1970) raccourcit sa prose aux dimensions de la nouvelle. De plus en plus, Blondin boit sa vie qu’il ne parvient toujours pas à accommoder à l’état des choses. Ses traits se chiffonnent et bientôt, la barbe envahit un visage d’où émergera jusqu’au bout un regard d’enfant malicieux. Vendredi 7 OTAN Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères des pays membres, réunis à Copenhague, reconnaissent pour la première fois l’existence d’une compétence européenne en matière de sécurité et de défense, qu’ils jugent complémentaire de celle de l’Alliance atlantique. ALGÉRIE Vie politique Après avoir obtenu du Premier ministre Sid Ahmed Ghozali l’assurance de l’organisation d’élections législatives et présidentielle downloadModeText.vue.download 71 sur 490 CHRONOLOGIE 69 avant la fin de l’année, le Front islamique du salut (FIS) met un terme à la grève générale déclenchée le 25 mai (5 et 18). Samedi 8 FRANCE Sport À Paris, l’équipe de l’AS Monaco bat l’Olympique de Marseille (1-0) en finale de la Coupe de France de football. CONGO Institutions À Brazzaville, la conférence nationale réunie depuis près de trois mois élit M. André Milongo Premier ministre à titre provisoire et le dote de la plupart des pouvoirs jusquelà détenus par le président Denis Sassou Nguesso. C O LO M B I E Vie politique Sur la demande de l’Assemblée constituante, autorité suprême élue en décembre 1990, le président Cesar Gaviria annonce la dissolution du Parlement et l’organisation d’élections anticipées pour le mois d’octobre (27 octobre). Dimanche 9 FRANCE Violences À Mantes-la-Jolie (Yvelines), une femme gardien de la paix et un jeune Algérien sont tués lors d’une intervention policière contre des voleurs de voitures. Les syndicats de policiers dénoncent l’absence de « consignes claires » pour maintenir l’ordre dans les quartiers difficiles (20 février et 12 juin). JORDANIE Institutions Un congrès de personnalités représentant toutes les tendances politiques adopte une charte nationale qui reconnaît notamment le multipartisme (18). SPORT Tennis À Roland-Garros, l’Américain Jim Courier bat son compatriote André Agassi en finale des Internationaux de France (3-6, 6-4, 2-6, 6-1, 6-4). La veille, la Yougoslave Monica Seles l’avait emporté sur l’Espagnole Arantxa Sanchez (6-3, 6-2). Lundi 10 ALLEMAGNE Commerce extérieur Pour la première fois depuis dix ans, le pays enregistre un déficit commercial de 1,4 milliard de Deutsche Mark principalement dû au processus de réunification. MADAGASCAR Manifestations À Antananarivo, des dizaines de milliers de personnes se rassemblent sur la place du 13 mai-1972 pour réclamer l’abrogation de la Constitution socialiste mise en place en 1975 par le président Didier Ratsiraka, et l’organisation d’une conférence nationale. Ce mouvement se poursuit les jours suivants (20). É TAT S ! U N I S Cérémonie Les soldats de l’opération « Tempête du désert » dans le Golfe participent à une gigantesque parade sur Broadway, à New York (65). downloadModeText.vue.download 72 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 70 Mardi 11 FRANCE Environnement M. Raymond Lévy, P-DG de Renault, présente un programme de collecte et de recyclage des déchets générés par l’automobile. Le 18, M. Jacques Calvet, P-DG de PSA, fait visiter au ministre Brice Lalonde un centre expérimental de retraitement des épaves de voitures. ALBANIE Vie politique Nommé le 5, M. Ylli Bufi forme un gouvernement de coalition chargé de préparer les élections générales prévues en 1992 (4). É TAT S ! U N I S Aide internationale La Maison-Blanche annonce l’octroi à l’Union soviétique d’une garantie de crédit de 1,5 milliard de dollars pour l’achat de produits alimentaires américains. France Action santé Augmenter les recettes et réduire les dépenses sont les moyens, peu originaux mais éprouvés, choisis par le gouvernement pour tenter une fois de plus de « boucher le trou de la Sécu ». Estimé à 23 milliards de francs pour 1991, ce « trou » s’explique en partie par le freinage de la croissance économique et la dégradation de l’emploi. Le 12 juin, le Conseil des ministres adopte un relèvement de la cotisation salariale d’assurance-maladie de 0,9 % ainsi que diverses mesures d’économie. Il s’agit autant, pour le Premier ministre Édith Cresson, d’éviter une rupture de trésorerie d’ici à la fin de l’année que de prévenir une réapparition du dossier avant les élections législatives de 1993. L’augmentation de la cotisation doit rapporter 8 milliards de francs en 1991 et 23 en 1992. Les mesures d’économie, qui ne sont pas encore toutes arrêtées mais qui doivent comprendre une augmentation du forfait hospitalier et des limitations tarifaires, sont évaluées à 2 milliards de francs en 1991 et à 7 en 1992. Ces mesures d’urgence n’empêchent pas le ministre des Affaires sociales Jean-Louis Bianco de promouvoir les réformes structurelles du financement de la Sécurité sociale engagées par le gouvernement Rocard. En attendant le développement de mesures de prévention à grande échelle, très onéreuses, des accords garantissant un certain montant d’honoraires en échange d’une limitation du volume d’activité ont déjà été signés avec certains représentants des laboratoires d’analyses médicales et des cliniques privées. Les professions de santé sont opposées à ce principe de l’« enveloppe globale », qui équivaut à une « étatisation » des soins, ainsi qu’au projet d’abonnement entre les médecins généralistes et leurs patients, qui menacerait le libre choix du malade. Elles sont aussi hostiles aux mesures d’économies du plan de redressement de la « Sécu », dont elles feront en partie les frais. Leur coordination, Action Santé, avait appelé à une manifestation à Paris le 11 juin, au cours de laquelle près d’une centaine de milliers de membres des professions médicales ont posé à l’État et aux Français la question : quelle médecine, et à quel prix ? Mercredi 12 FRANCE Audiovisuel M. Hervé Bourges, P-DG commun d’A2 et de FR3, présente un « Plan stratégique pour les télévisions publiques » qui prévoit de fortes réductions d’effectifs. Banlieues Le gouvernement adopte une série de mesures d’urgence destinées à calmer la grogne des policiers et à prévenir l’agitation des jeunes. Des activités d’été sont proposées à ces derniers (9). ALBANIE Vie politique Lors de son congrès, le Parti du travail (communiste) est rebaptisé Parti socialiste. Une « rénovation totale » de ses structures est annoncée par son nouveau président, le downloadModeText.vue.download 73 sur 490 CHRONOLOGIE 71 réformateur Fatos Nano. L’héritage d’Enver Hodja est remis en cause (4). BELGIQUE Monarchie Le Sénat entérine la révision constitutionnelle qui permet à une femme d’accéder au trône. URSS Vie politique Le président en exercice de la Fédération de Russie, M. Boris Eltsine, est confirmé dans ses fonctions par le suffrage universel. Il est élu au premier tour de scrutin, avec 57,3 % des voix. Les réformateurs Gavriil Popov et Anatoli Sobtchak sont également consacrés à leurs postes respectifs de maire de Moscou et de Leningrad. Toponymie Les habitants de Leningrad se déclarent à 54 % favorables à ce que leur ville retrouve son nom de Saint-Pétersbourg (6 septembre). SRI LANKA Guerre civile À Kokkidicholai, sur la côte massacre au moins 150 civils guise de représailles contre séparatistes du LTTE (Tigres l’Eelam tamoul) [21]. est, l’armée tamouls en les actions des libérateurs de TOGO Troubles Après deux jours de violents affrontements entre des opposants, en grève générale depuis le 6, et les forces de l’ordre, le gouvernement promet l’organisation d’une conférence nationale. Jeudi 13 GROUPE DES SEPT Diplomatie Les sept pays les plus industrialisés (G7) invitent M. Mikhaïl Gorbatchev à les rejoindre « immédiatement après » leur sommet de Londres, le 17 juillet (encadré Groupe des sept, la table des grandes). CANADA Catastrophe naturelle Les incendies qui éclatent dans le nordest de la province du Québec ravagent 250 000 hectares de forêts au cours du mois. Vendredi 14 ITALIE Réfugiés Après avoir accueilli 24 000 fugitifs albanais en mars, le gouvernement déclare que les candidats à l’exil qui tentent encore de traverser l’Adriatique seront désormais considérés comme des clandestins. Le 15, quelque 800 Albanais sont refoulés (encadré Italie, la nouvelle vague). SUÈDE Politique étrangère Après le revirement de son parti sur la question de la neutralité du pays, le Premier ministre social-démocrate Ingvar Carlsson annonce devant le Parlement qu’il présentera officiellement la candidature de son pays à la CEE le 1er juillet. SUISSE Société À l’occasion du 700e anniversaire de la Confédération, les femmes se mettent en grève afin de protester contre la discrimination dont elles sont encore l’objet, dix ans downloadModeText.vue.download 74 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 72 après l’introduction dans la Constitution d’un article reconnaissant l’égalité des sexes. TCHÉCOSLOVAQUIE Construction européenne À Prague, dans son discours de clôture des Assises de la confédération européenne organisées sur son initiative, le président François Mitterrand prend acte des réserves du président Vaclav Havel. Ce dernier critique une institution qui inclurait l’URSS mais pas les États-Unis, et qui apparaît comme un substitut à l’intégration des pays de l’Est dans la CEE (18). PHILIPPINES Catastrophe naturelle Réveillé depuis la fin du mois de mai, le volcan Pinatubo, situé au nord-ouest de Manille, fait ses premières victimes. Au cours du mois, 300 personnes au moins sont tuées par des explosions et des coulées de boue. Samedi 15 ALLEMAGNE Manifestations Lors des obsèques de leur chef Rainer Sonntag, assassiné le 31 mai, 1 200 militants néonazis défilent dans les rues de Dresde. INDE Élections législatives Les résultats du scrutin sont favorables au parti du Congrès de Rajiv Gandhi – assassiné le 21 mai – qui remporte 223 sièges (+ 30) sur 511, et au Bharatiya Janata Party (droite hindouiste), qui obtient 119 sièges (+ 31). Au Pendjab, l’attaque de deux trains par des terroristes sikhs cause la mort de 76 passagers hindous (21, et encadré Inde, la malédiction des Gandhi). Lundi 17 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte la résolution 700 qui laisse à la charge de l’Irak le coût de l’élimination de ses armes de destruction massive (28). A L L E MA G N E / P O LO G N E Relations À Bonn, le chancelier allemand Helmut Kohl et le Premier ministre polonais Krzysztof Bielecki signent un traité « de bon voisinage et de coopération » qui consacre les nouveaux rapports établis entre les deux pays (éd. 1991). AFRIQUE DU SUD encadré Apartheid, la nouvelle Afrique du Sud. Mardi 18 JORDANIE Vie politique Le roi Hussein nomme Premier ministre M. Taher Masri, d’origine palestinienne, en remplacement de M. Moudar Badrane. Premier groupe à l’Assemblée, les Frères musulmans ne participent pas au gouvernement. ALGÉRIE Vie politique M. Sid Ahmed Ghozali forme un gouvernement de techniciens qui ne comprend aucun dignitaire du FLN. Un ministre des Droits de l’homme est nommé (5 et 25). É TATS!UNIS/EUROPE Relations À Berlin, le secrétaire d’État américain James Baker prône la création d’une « comdownloadModeText.vue.download 75 sur 490 CHRONOLOGIE 73 munauté euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok ». Mercredi 19 FRANCE Immigration Une vive polémique est provoquée par le discours prononcé à Orléans par M. Jacques Chirac, qui évoque « l’overdose » d’étrangers dont souffre le pays et qui plaint le « travailleur français » indisposé par « le bruit et l’odeur » de ses voisins immigrés. HONGRIE URSS TCHÉCOSLOVAQUIE URSS URSS Politique étrangère Les derniers soldats soviétiques quittent la Hongrie et la Tchécoslovaquie, avec une dizaine de jours d’avance sur le calendrier prévu. Colombie Reddition conditionnelle En justifiant la « guerre totale » décrétée en août 1989, puis la politique de main tendue adoptée en septembre 1990, la reddition de Pablo Escobar, le 19 juin, constitue une victoire pour le président Cesar Gaviria. Chef du cartel de Medellín qui contrôle 80 % du trafic de cocaïne à destination des États-Unis et qui affiche des revenus annuels de 4 milliards de dollars, Pablo Escobar est devenu, selon la revue américaine Forbes, l’une des dix personnes les plus riches au monde ; il était aussi l’homme le plus recherché de Colombie. À la fois aimé et craint, généreux et psychopathe, « Don Pablo » a une égale réputation de Robin des Bois et d’Al Capone. Outre le trafic de cocaïne et l’élimination du ministre de la Justice Lara Bonilla en avril 1984, il serait impliqué dans l’assassinat d’un directeur de journal, d’un procureur de la nation et de trois candidats à la présidence. Celui du libéral Luis Carlos Galan, en août 1989, déclenchait les foudres du pouvoir, qui autorisait l’extradition des « barons » de la drogue vers les États-Unis. Annoncé en septembre 1990, l’abandon de cette mesure était l’une des conditions posées par Escobar pour sa reddition. Ses autres exigences, relatives à sa sécurité, ont aussi été satisfaites. Une luxueuse prison dominant Medellín a été installée sur mesure. Plus que la police, Pablo Escobar craint en effet ses rivaux des cartels de Cali ou de Llanos. Quant à la justice, il s’y soumet en « bouc émissaire » animé d’un souci de « transparence et de clarté ». La police et l’armée colombiennes ainsi que la justice américaine se disent « flouées » par cette reddition conditionnelle qui leur paraît mal augurer des suites judiciaires de l’affaire. Le président Gaviria a beaucoup cédé pour obtenir ce succès, qui lui permet de faire face aux critiques relatives aux négociations de Caracas avec la guérilla et à l’opposition d’une partie de la classe politique à ses projets de modernisation du régime. D’autre part, il est avéré que l’arrestation de ses « barons » n’affecte pas le trafic international de la drogue : le cas Noriega l’a suffisamment prouvé (éd. 1990). Jeudi 20 CSCE Le Conseil des ministres Le Conseil des ministres des Affaires étrangères, réuni pour la première fois à Berlin, décide d’admettre l’Albanie comme 35e membre et de créer une procédure de « consultation et de coopération » pour les « situations d’urgence ». FRANCE Ordre public Réfugié politique depuis juin 1974, M. Abdelmoumen Diouri est expulsé vers le Gabon selon la procédure de l’urgence absolue. Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé À qui appartient le Maroc ?, très critique endownloadModeText.vue.download 76 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 74 vers le roi Hassan II, qui devrait paraître à l’automne (10 juillet). Musées Entièrement réaménagée en vue d’accueillir des expositions d’art contemporain, la galerie nationale du Jeu de paume rouvre ses portes au public avec une présentation des dernières oeuvres de Jean Dubuffet. Académie française Accueilli sous la Coupole par Jacques de Bourbon-Busset, José Cabanis, élu le 21 juin 1990, prononce l’éloge de Thierry Maulnier. ALLEMAGNE Institutions Par 336 voix contre 321, les députés du Bundestag choisissent Berlin comme capitale du pays unifié. Le Bundesrat, seconde chambre du Parlement, doit toutefois rester à Bonn. MADAGASCAR Vie politique Le Comité des forces vives qui regroupe les mouvements d’opposition favorables à la démission du président Didier Ratsiraka annonce son intention de former un « gouvernement provisoire » chargé de réformer les institutions et d’organiser des élections (10). Vendredi 21 KOWEÏT Économie L’émirat produit de nouveau plus de pétrole qu’il n’en consomme et reprend ses exportations, alors que seuls 170 des 600 puits qui avaient été enflammés par les Irakiens avant leur retrait ont pu être éteints (5 novembre). INDE Vie politique Président du parti du Congrès désigné au poste de Premier ministre, M. P. V. Narasimha Rao prête serment. Le 23, il forme un gouvernement minoritaire composé de membres de son parti (15). SRI LANKA Guerre civile À Colombo, un attentat à la voiture piégée, dirigé contre le principal quartier général de l’armée, est attribué à la guérilla tamoule ; il fait près de 70 morts (12). Samedi 22 FRANCE Aéronautique Au Salon du Bourget, le Premier ministre Édith Cresson annonce le lancement du Programme de recherche sur la propulsion hypersonique avancée (PREPHA). Doté d’un budget de 500 millions de francs sur quatre ans, il doit permettre la mise en place des moyens nécessaires à l’élaboration, en 2010-2015, de moteurs capables de propulser des avions, des missiles ou des engins spatiaux à des vitesses pouvant atteindre Mach 25. ALBANIE Relations internationales À Tirana, des centaines de milliers de personnes acclament M. James Baker qui effectue la première visite d’un secrétaire d’État américain dans le pays. É TAT S ! U N I S v. Albanie downloadModeText.vue.download 77 sur 490 CHRONOLOGIE 75 Dimanche 23 Mardi 25 FRANCE Violences À Narbonne (Aude), dans la cité HLM des Oliviers, des enfants d’anciens harkis, qui commettent des dépradations depuis le 20 dans le but d’attirer l’attention sur leur sort, affrontent violemment les forces de l’ordre. SPORT Automobile Présente aux 24 Heures du Mans depuis 13 ans, Mazda est la première voiture japonaise à remporter l’épreuve. Lundi 24 CEE Les ministres des Finances Les ministres des Finances parviennent à un accord sur l’unification des taux de TVA. Le taux minimum – qui est en France de 18,6 % – est fixé à 15 %. FRANCE Sociétés Le groupe Carrefour achète la société Euromarché pour 5,2 milliards de francs et devient le numéro un français de la grande distribution, devant Leclerc. JAPON Scandale Les présidents de Nomura, première société de courtage du monde, et de Nikko, troisième maison de titres japonaise, présentent leur démission. Ils avouent avoir illégalement compensé les pertes boursières de leurs gros clients et accordé leurs services à l’un des chefs de la mafia nippone. YOUGOSLAVIE Nationalités Les Parlements de Zagreb et de Ljubljana proclament la « souveraineté et l’indépendance » des Républiques de Croatie et de Slovénie. Cette « dissociation », qui n’est pas une « sécession », est condamnée par le pouvoir central comme par les États occidentaux (27). ALGÉRIE Troubles Des affrontements meurtriers opposent durant deux jours les islamistes aux forces de l’ordre qui enlevaient les panneaux « commune islamiste » accrochés par le FIS au fronton des mairies qu’il contrôle depuis les élections de juin 1990 (18 et 30). Mercredi 26 FRANCE Administration Le rapport annuel de la Cour des comptes dénonce notamment la gestion de Thomson-CSF, des ASSEDIC de la région parisienne, des parcs nationaux, de la Météorologie nationale, le fonctionnement du plan câble de France-Télécom, le coût de la Tête Défense et du ministère des Finances de Bercy et les carences de l’hospitalisation publique et privée. Il souligne d’autre part l’action de ses cours régionales. G R A N D E ! B R E TA G N E Justice La cour d’appel de Londres innocente les sept membres de la famille Maguire, d’origine irlandaise, condamnés en 1976 pour downloadModeText.vue.download 78 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 76 avoir prétendument fabriqué des bombes pour l’IRA. Assurances Numéro un mondial, la compagnie Lloyd’s annonce, pour la première fois depuis 1967, un déficit de plus de 500 millions de livres pour l’exercice 1988 et se montre pessimiste quant aux résultats des trois années suivantes. KOWEÏT Justice Alors que la loi martiale en vigueur depuis la libération de l’émirat en février est levée, les autorités décident, sous la pression internationale, de commuer en peines de prison à vie les 29 condamnations à mort de « collaborateurs » prononcées depuis le 19 mai par les tribunaux d’exception. CAMBODGE Conflit À Pattaya, en Thaïlande, la réunion du Conseil national suprême qui rassemble les quatre factions khmères aboutit à un accord sur le cessez-le-feu permanent, l’arrêt des aides militaires étrangères et l’installation du CNS à Phnom-Penh (17 juillet). CHINE Drogue Devant le développement du trafic et de la consommation de stupéfiants dans le pays, les autorités annoncent le lancement d’une « guerre populaire antinarcotique ». Jeudi 27 FRANCE Législation Le Parlement adopte définitivement le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, qui prévoit la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes entre la France, l’Allemagne et le Benelux. Conflits sociaux Après avoir paralysé durant 26 jours le trafic de la gare Saint-Charles, à Marseille, les agents de manoeuvre de la SNCF reprennent le travail après avoir obtenu certains avantages, mais pas la prime-repas quotidienne de 25 francs qu’ils réclamaient. Justice La cour d’assises de Haute-Saône condamne à la réclusion perpétuelle Xavier Curtet, le jeune marginal auteur de l’incendie d’un immeuble de Belfort, le 8 mars 1989, dans lequel 15 personnes avaient trouvé la mort. Musique Plusieurs groupes de rap, la musique favorite des jeunes révoltés des banlieues, animent la traditionnelle garden-party organisée à l’hôtel Matignon à l’occasion de la fin de la session ordinaire du Parlement. Ventes À l’hôtel Drouot, une tête fang originaire du Gabon est adjugée à un collectionneur suisse au prix record de 2,5 millions de francs. YOUGOSLAVIE Troubles Dans la République de Slovénie, des combats opposent l’armée fédérale venue prendre le contrôle des postes frontières avec l’Italie, l’Autriche et la Hongrie, et les milices Slovènes. Une quarantaine de personnes sont tuées avant la fin du mois (28). VIÊT!NAM Vie politique Le VIIe Congrès du Parti communiste au pouvoir est marqué par un rajeunissement de l’équipe dirigeante et par un encouragement aux réformes économiques engagées. downloadModeText.vue.download 79 sur 490 CHRONOLOGIE 77 Vendredi 28 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte une déclaration demandant à l’Irak de cesser d’entraver la mission des experts internationaux chargés d’inspecter les sites nucléaires (17 et 12 juillet). COMECON Les neuf pays membres Les neuf pays membres du marché commun socialiste (URSS, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Bulgarie, Roumanie, Mongolie, Viêt-nam, Cuba), réunis à Budapest, entérinent un état de fait en prononçant la dissolution de la structure créée en 1949. MANCHE Tunnel Sur le chantier, les équipes française et britannique achèvent le percement de la troisième et dernière galerie. FRANCE Vie privée Le Parlement adopte définitivement le projet de loi sur la réglementation des écoutes téléphoniques. YOUGOSLAVIE Troubles Sous la pression des trois ministres délégués par la CEE, les Républiques de Slovénie et de Croatie décident la suspension pour trois mois de leur déclaration d’indépendance du 25 (25, 30). Dimanche 30 YOUGOSLAVIE Nationalités La direction collégiale de la Fédération nomme à sa présidence le Croate Stipe Mesic dont elle avait refusé la désignation le 15 mai (2 juillet). ALGÉRIE Troubles Après une nouvelle nuit d’émeutes à Alger, l’armée investit le quartier général du Front islamique du salut (FIS) et procède à l’arrestation des deux dirigeants du mouvement intégriste, MM. Abassi Madani et Ali Benhadj, qui sont accusés de « conspiration armée contre la sécurité de l’État ». Les jours suivants, des centaines de militants du FIS sont interpellés (25). Le mois de Hervé Bourges Notre système audiovisuel boite bas depuis l’arrivée des chaînes commerciales en 1985. Et surtout depuis la privatisation de TF1 en 1987. La première chaîne de télévision, la plus ancienne, la plus populaire ; celle d’Intervilles et de Cinq Colonnes à la une, du Théâtre de la Jeunesse et de la Caméra explore le temps… Antenne 2 et FR3 sont restées dans le secteur public, mais ces deux grandes chaînes, auxquelles chaque téléspectateur consacre une heure par jour en moyenne, semblent vouées à aller de crise en crise, et à naviguer sans boussole : quatre présidents se sont succédé à leur tête depuis 1986. L’opinion a été témoin de ce désordre. Elle y a même assisté en direct. Au programme : des professionnels désorientés, des émissions annulées, un dernier trimestre 1990 marqué par des conflits insolubles. À l’ordre du jour de la conférence de presse commune Antenne 2-FR3, ce mardi matin 12 juin à 11 h 30 : la présentation des programmes d’été. Mais ce n’est pas pour cette raison que les journalistes et les professionnels du petit écran se pressent dans les salons de l’hôtel George V : ils attendent des diagnostics, et des propositions. downloadModeText.vue.download 80 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 78 Les pertes d’Antenne 2 pour 1990 s’élèvent à 744,2 millions de francs ; celles de FR3 à 178,8 millions. Les budgets de l’exercice 1991 sont adoptés en déficit… La crise n’est pas seulement financière, mais il faut bien commencer par là : assainir la situation, et vite. Un débat plutôt vif a lieu au sein du gouvernement ; mais, finalement, celuici accordera les aides indispensables : cinq cents millions tout de suite pour reconstituer le capital d’Antenne 2, et un milliard supplémentaire pour A2 et FR3, inscrit au budget de 1992, afin de re- mettre les compteurs à zéro. En contrepartie, les deux chaînes du service public doivent procéder à une réorganisation en profondeur, et dresser un Plan stratégique pour les trois années à venir. Pourquoi un Plan stratégique ? Parce qu’on ne ressuscitera pas la télévision de papa. Aujourd’hui, les téléspectateurs disposent d’un choix élargi. Il y a six chaînes ; bientôt, le câble et le satellite. La télévision n’est plus un monopole d’État ; il faut donc mieux définir le rôle du service public. Apporter de vraies garanties de pluralisme et d’indépendance, dans le domaine de l’information, en particulier ; offrir la palette la plus large d’émissions ; proposer le meilleur service. Mais pas question de spécialiser une chaîne ; de la transformer en chaîne thématique… Antenne 2 et FR3 appartiennent à la collectivité nationale et doivent par conséquent proposer tous les types d’émissions à toutes les catégories de téléspectateurs. Chacune selon sa personnalité, son histoire… Antenne 2, plus sensible à la mode, mais populaire et de qualité ; FR3, régionale, différente, innovante. La télévision publique dispose d’une chance unique : ses deux réseaux. Deux chaînes bien coordonnées offrent la certitude de pouvoir proposer un choix véritable, entre des programmes de distraction et des émissions de découverte. Au cours des années qui viennent, afin d’accentuer la coordination et la cohérence des programmes, le Plan stratégique Antenne 2-FR3 prévoit de rapprocher davantage les équipes d’Antenne 2 et celles de FR3, notamment dans les domaines de l’information, des sports et des émissions pour la jeunesse. Ce projet est ambitieux ; nous l’avons baptisé : la Télévision pour tous. HERVÉ BOURGES Météo : le Printemps La première décade du printemps (21-31 mars) se caractérise par un temps maussade. L’arrivée d’air sec et frais depuis le NE entraîne la baisse des températures puis l’apparition de gelées matinales dans la moitié nord du pays entre le 28 et le 31. Dans les régions méditerranéennes, une dépression progressant depuis le sud de l’Espagne vers le golfe de Gênes est à l’origine des fortes pluies qui s’abattent sur l’Aude du 21 au 25 mars (107 mm à Lézignan et 101 mm à Carcassonne en 72 heures) et d’abondantes chutes de neige sur la chaîne des Pyrénées. Avril Ce mois peut paraître normal à celui qui compare les températures moyennes mensuelles aux moyennes trentenales. En réalité, avril 1991 a été marqué par le contraste thermique saisissant entre la chaleur quasi estivale de la période allant du 7 au 16 et le froid hivernal qui a régné sur tout le pays tout au long de la deuxième quinzaine. Les températures maximales les plus élevées et les températures minimales les plus basses ont ainsi atteint des niveaux records. Parmi les premières, on retiendra : 27 °C à Dax le 10, 23,2 °C à Villacoublay, 24,6 °C à Orléans le 11, 25,8 °C à ParisMontsouris le 12 (ancien record : 24,9 °C en 1939) et, parmi les secondes : – 3,2 °C à Vannes, – 5 °C à Poitiers, – 3,5 C à Châteauroux, – 5,8 °C à Aurillac... le 21, – 3,4 °C à Agen et à Dijon ou – 5,2 °C à Mende le 22... Les gelées du 21 – point culminant de la vague de froid, survenant après une période chaude qui avait été favorable à la floraison des arbres fruitiers, de la vigne et du colza – ont provoqué des dégâts considérables dans les vignobles du Bordelais et de la Champagne, dans les vergers de la Garonne et de la Loire, de l’Aquitaine et de la Lorraine. Les précipitations mal réparties dans le temps et dans l’espace sont le fait de perturbations relativement peu actives circulant dans des flux de sudouest les 4 et 5, de nord du 18 au 20 et de nordouest les 24 et 25. Les abats pluviométriques sont excédentaires dans l’Ouest et en Corse, normaux dans le Nord et le Sud-Ouest et déficitaires dans les autres régions ; dans le Centre-Est le déficit est de l’ordre de 40 %. Des chutes de neige plus ou moins importantes ont été observées du 18 au 20 en Île-de-France, en Lorraine, dans le Limousin, en Haute-Corse, en Normandie et sur la Côte d’Azur. downloadModeText.vue.download 81 sur 490 CHRONOLOGIE 79 Au 30 avril, le bilan hydrique des sols est meilleur qu’au 30 avril 1990. Le rapport R/RU est inférieur à 70 % dans le quart sud-est du pays et en Alsace, à 50 % dans les Pyrénées orientales, dans les Alpesde-Haute-Provence, dans le Var et en Limagne. Hors de France, l’actualité est dominée par les tornades meurtrières qui, le 26, balaient sept États du Middle West (32 morts dont 22 dans la seule bourgade d’Andover au Kansas) et surtout par le cyclone et l’onde de tempête associée qui, le 30 avril, ravagent le sud-est du Bangladesh. Les régions de Chittagong et de Cox’s Bazar, celle de Chukoria ainsi que les îles de Maheskhali, Kutubdia, Sandwip, Hatiya ont été les plus touchées. Le bilan est extrêmement lourd : 139 000 morts, 1 000 km de digues détruits… des dégâts estimes à 17 milliards de F. Mai Avec des températures mensuelles de 0,1 à 2,2 °C inférieures aux normales, mai est un mois plutôt frais. Peu de records de températures ont été battus, sauf dans les stations de l’île de beauté : à Ajaccio, par exemple, 18,3 °C et 8,7 °C sont les nouvelles moyennes mensuelles des températures maximales et minimales. Concernant la pluviométrie, l’essentiel des pluies est enregistré pendant la première quinzaine, caractérisée par une succession ininterrompue de perturbations circulant dans un flux de nord. Des pluies abondantes et parfois intenses sont ainsi observées dans les Pyrénées-Atlantiques (55 mm à Accous et à Lescun le 1er mai, 86 mm à Laruns-Hourcat le 9), dans l’Aude (71 mm à Lézignan et 91 mm à Mouthoumet les 8 et 9) et en Corse (40 mm à Bastia, 67 mm à Oletta et 51 mm à Cap Sagro en 12 h le 3). D’importantes chutes de neige se produisent sur les Pyrénées les 2 et 9 mai. La persistance de hautes pressions pendant la deuxième quinzaine explique l’absence quasi totale de pluie sur l’ensemble du territoire. Des records de sécheresse ont été battus dans certaines régions ; downloadModeText.vue.download 82 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 80 à Quimper, Vichy et Châtillon-sur-Seine, il n’est tombé que 7, 18 et 11 mm de pluie. Au 31 mai, le rapport R/RU de la réserve en eau disponible à la réserve utile n’est supérieur à 60 % qu’au nord de la ligne Brest-Rennes-Charleville, ainsi qu’en Aquitaine et Midi-Pyrénées et dans les départements de la Haute-Vienne et de la Corrèze. Juin La période allant du 1er au solstice d’été a vu se succéder épisodes de douceur (du 1er au 3 et du 9 au 15) et épisodes de fraîcheur (du 4 au 8 et du 16 au 21). C’est au cours de ces derniers que les températures minimales ont atteint des valeurs records : 1,1 °C au Bourget le 4, –0,1 °C à Châtillonsur-Seine, 1,2 °C à Beauvais et 0,2 °C à Nevers le 5. Le régime perturbé, qui n’a connu aucune réelle interruption, explique la faiblesse de l’insolation, la fréquence des jours de pluie et le léger déficit thermique. Les précipitations ont été relativement importantes sur la moitié nord du pays (51 mm en 48 h à Quimper les 5 et 6 juin, 52 mm en 24 h à Lyon-Satolas les 15 et 16). Signalons le violent orage accompagné de grêle qui s’est abattu le 21 juin sur la commune de Rebenacq (les grêlons, gros comme des balles de tennis, ont endommagé 150 maisons). Au terme de ce printemps 1991, les spécialistes estiment que la recharge des nappes d’eau souterraines est insuffisante et que le Poitou-Charentes, le Nord-Pas-de-Calais, la basse Normandie et la Bourgogne risquent de connaître une pénurie pendant l’été. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 83 sur 490 CHRONOLOGIE 81 Juillet Lundi 1 ECONOMIE MONDIALE Pétrole Le premier sommet qui instaure un dialogue entre 25 pays producteurs et consommateurs et neuf organisations économiques internationales est organisé à Paris sur l’initiative de la France et du Venezuela. CEE Les Pays-Bas Les Pays-Bas assurent pour six mois la présidence tournante de la Communauté. PACTE DE VARSOVIE Les six pays membres Les six pays membres (Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie et URSS), réunis à Prague, décident la dissolution des dernières structures encore existantes de l’alliance du bloc socialiste (encadré Pacte de Varsovie, euthanasie). ALLEMAGNE Politique économique Les plus fortes hausses d’impôts de l’histoire du pays entrent en vigueur. (L’impôt sur le revenu, notamment, est augmenté d’une « contribution de solidarité » de 7,5 %.) Leur effet est compensé par des hausses de salaire. URSS Vie politique Après avoir renoncé à créer un parti d’opposition, neuf réformateurs, dont MM. Édouard Chevardnadze et Alexandre Iakovlev, annoncent la création d’un « mouvement pour les réformes démocratiques » (4). LIBAN Conflit Le déploiement de l’armée régulière dans le sud du pays se heurte à la résistance des combattants de l’OLP qui défendent leur bastion de Saïda. Le 4, après de violents combats, les Palestiniens acceptent de se regrouper dans leurs camps et de restituer ou de transférer leurs armes. JAPON Politique financière Pour la première fois depuis février 1987, le gouvernement décide une baisse du taux d’escompte de 6 à 5,5 %, afin de relancer l’économie et de satisfaire les besoins de financement mondiaux. É TAT S ! U N I S Cour suprême Le président George Bush nomme un autre Noir, M. Clarence Thomas, conservateur, pour succéder à M. Thurgood Marshall, libéral, qui avait démissionné le 27 juin (15 octobre). Mardi 2 FRANCE Jeux de mots La cour d’appel de Versailles relaxe M. JeanMarie Le Pen qui était poursuivi pour injures publiques envers un ministre après avoir utilisé l’expression « Durafour-crédownloadModeText.vue.download 84 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 82 matoire » devant l’université d’été du Front national à Cap d’Agde, le 2 septembre 1988. YOUGOSLAVIE Guerre civile Dans la République de Slovénie, les combats reprennent entre l’armée fédérale et les unités de défense territoriales (5). BURKINA FASO Institutions Une nouvelle Constitution qui consacre le multipartisme est adoptée par référendum. Des élections générales sont prévues pour les mois de novembre et de décembre. Le 25, le président Blaise Compaoré décrète une amnistie pour tous les détenus politiques. Mercredi 3 FRANCE Législation Le Parlement adopte les projets de loi d’orientation sur la ville et de réforme hospitalière. Banditisme À Paris, une intervention de la brigade des stupéfiants au siège du Hell’s Angels Moto Club permet de saisir de nombreuses armes et de la drogue. Neuf personnes sont interpellées. IRLANDE DU NORD Conflit Les premières négociations depuis 1974 entre unionistes protestants et nationalistes catholiques, menées depuis le 17 juin sous l’égide des autorités britanniques, aboutissent à un échec. É TAT S ! U N I S Industrie informatique Le numéro un mondial IBM signe avec son concurrent Apple un accord technologique qui prévoit notamment de rendre leurs systèmes compatibles. Jeudi 4 FRANCE Immigration L’ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua (RPR) dépose une proposition de loi qui prévoit l’instauration de quotas d’étrangers « par nationalité et par profession » (8). URSS Vie politique L’ancien ministre réformateur des Affaires étrangères Édouard Chevardnadze quitte le Parti communiste (1er). COLOMBIE Institutions L’Assemblée constituante élue en décembre 1990 achève ses travaux. La nouvelle Constitution libérale réforme le fonctionnement de tous les corps de l’État, autorise le divorce et interdit l’extradition des Colombiens. SPORT Alpinisme Après dix jours d’ascension en solo, la Française Catherine Destivelle ouvre une nouvelle voie dans la face ouest de l’aiguille des Drus (3 754 m), dans le massif du Mont-Blanc. Vendredi 5 CSCE Le comité d’urgence Le comité d’urgence installé à Prague charge la CEE d’une mission de dialogue en Yougoslavie. downloadModeText.vue.download 85 sur 490 CHRONOLOGIE 83 CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères déci- dent le gel des aides à la Yougoslavie et l’embargo sur les matériels militaires. Ils menacent de revenir sur leur position favorable au maintien de la Fédération en cas de nouvelle offensive de l’armée fédérale. FRANCE Vie politique Le Parlement adopte une proposition de loi qui autorise la publicité des auditions des commissions d’enquête parlementaire. Sport La Ligue nationale de football décide la descente en deuxième division des clubs de Brest, Nice et Bordeaux en raison de leurs graves difficultés financières. YOUGOSLAVIE Guerre civile Deux jours après l’arrêt des combats, qui ont fait 74 morts depuis le 27 juin, les autorités de la République de Slovénie acceptent de libérer les soldats de l’armée fédérale faits prisonniers et de lever le blocus des casernes, mais refusent d’abandonner le contrôle des frontières (CSCE et CEE, et 8). ÉTHIOPIE Vie politique À Addis-Abeba, la conférence nationale confirme les anciens rebelles tigréens dans leurs fonctions dirigeantes transitoires. Elle prévoit des élections générales en 1993 et l’organisation, d’ici là, d’un référendum d’autodétermination en Érythrée (encadré Afrique, l’imbroglio abyssin). Finances mondiales La banque saute Créée en 1972 par un banquier pakistanais dans le but de financer les activités des hommes d’affaires musulmans, la Bank of Credit and Commerce International (BCCI), basée au Luxembourg, était devenue l’une des plus grosses banques privées au monde, avec 20 milliards de dollars d’actifs. Le 5 juillet, les autorités financières de sept pays, Grande-Bretagne en tête, prennent la décision sans précédent de suspendre ses activités et de geler ses avoirs pour « fausse comptabilité et dissi- mulation de pertes ». Autrement dit, pour blanchiment d’argent. La fraude pourrait atteindre – voire dépasser – les 10 milliards de dollars. Les jours suivants, la plupart des 69 pays où la BCCI était implantée prennent des dispositions identiques. En 1988 déjà, la filiale de Tampa (Floride) de la BCCI avait été condamnée à 15 millions de dollars d’amende pour avoir recyclé les narcodollars de l’homme fort du Panama, Manuel Noriega. En 1990, son fondateur cédait 77 % du capital de la banque à l’émir d’Abou Dhabi cheikh Zayed alNahyane. Le nouveau scandale est révélé au grand jour par un audit comptable commandé par la Banque d’Angleterre à la suite des dénonciations d’un employé de la BCCI. Mais la banque faisait l’objet d’une surveillance de certaines banques centrales depuis 18 mois. Pourquoi avoir tant attendu pour agir, se demandent les milieux financiers ? Le Financial Times avance des réponses qui font sortir l’affaire de son cadre strictement financier. La Banque d’Angleterre aurait connu depuis plusieurs mois l’étendue des malversations de la BCCI. Mais, outre que certains clients de la banque possédaient de gros intérêts en Grande-Bretagne, le cheikh Zayed est un allié de la Couronne. La contribution de l’émir au financement de l’opération « Tempête du désert » pourrait expliquer le ménagement dont il aurait fait l’objet. Il aurait cependant été le premier informé des activités de sa banque. Le quotidien financier britannique révèle également que la CIA aurait utilisé la BCCI pour financer des opérations clandestines à l’étranger. L’« Irangate » et l’aide à la rébellion afghane sont évoqués. D’autre part, selon le Sunday Times, le terroriste Abou Nidal et les intégristes chiites du Djihad islamique auraient été de fidèles clients de la BCCI. Les retombées du scandale n’épargnent ni l’Afrique, ni l’Amérique latine, ni l’Asie. Le commerce des armes et le trafic de drogue sont au centre de toutes les fraudes. Le Premier ministre britannique John Major et le président américain George Bush apparaissent en première ligne ; M. Major parce que ses anciennes fonctions de chancelier de l’Échiquier auraient dû ne rien lui laisser ignorer des enquêtes en cours downloadModeText.vue.download 86 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 84 sur la BCCI ; M. Bush parce que son candidat au poste de directeur de la CIA, M. Robert Gates, qui est aussi son conseiller diplomatique, ne serait pas étranger à certaines opérations réalisées sous le couvert de la BCCI. Dimanche 7 FRANCE Sport Le Grand Prix de France de formule 1 se dispute pour la première fois sur le nouveau circuit de Nevers-Magny-Cours (Nièvre). JORDANIE Défense Un décret royal abroge la loi martiale en vigueur depuis 1967. SPORT Tennis À Wimbledon, l’Allemand Michael Stich remporte les Internationaux de GrandeBretagne en battant son compatriote Boris Becker (6-4, 7-6, 6-4). La veille, l’Allemande Steffi Graf s’était imposée face à l’Argentine Gabriela Sabatini (6-4, 3-6, 8-6). Lundi 8 FRANCE Immigration Lors d’un entretien télévisé, le Premier ministre Édith Cresson évoque le recours à des charters pour renvoyer chez eux les étrangers en situation irrégulière (4 et 10). YOUGOSLAVIE Guerre civile Dans l’île de Brioni, les autorités slovènes, croates et fédérales adoptent, sous l’égide de la « troïka » européenne, une déclaration commune qui prévoit un cessez-le-feu, le retour de l’armée fédérale dans les casernes, la suspension des déclarations d’indépendance slovène et croate, et la reprise des négociations sur l’avenir du pays (5 et 18). Mardi 9 Les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU Les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, qui réalisent 80 % du commerce mondial des armements, s’entendent sur la nécessité de limiter la dissémination des armes de destruction massive, notamment en direction du Proche-Orient. Cette région compte neuf des dix plus gros acheteurs d’armes du monde. FRANCE Politique industrielle Le gouvernement annonce qu’il autorise le groupe informatique japonais NEC à acquérir 4,7 % du capital de la firme publique Bull. Théâtre En ouverture du 44e festival d’Avignon, Jorge Lavelli met en scène la pièce Comédies barbares de Ramon del Valle-Inclan, dans la Cour d’honneur du palais des Papes. AFRIQUE DU SUD Relations internationales Le pays obtient sa réintégration dans le mouvement olympique dont il avait été exclu en 1970 en raison de sa politique d’apartheid (encadré Apartheid, la nouvelle Afrique du Sud). Mercredi 10 FRANCE Immigration Le Conseil des ministres approuve le dispositif visant à renforcer la lutte contre les downloadModeText.vue.download 87 sur 490 CHRONOLOGIE 85 clandestins, que présente Mme Édith Cresson (8). Raison d’État Le tribunal administratif de Paris juge que le recours à la procédure d’urgence absolue lors de l’expulsion de Abdelmoumen Diouri, le 20 juin, vers le Gabon, constituait un excès de pouvoir. L’opposant marocain rentre en France le 16. CHINE Esclavage Dans la province du Shanxi, 11 personnes sont condamnées à mort et exécutées pour avoir enlevé 90 femmes et les avoir vendues en Mongolie intérieure. É TAT S ! U N I S Relations internationales Le président George Bush annonce la levée partielle des sanctions économiques contre l’Afrique du Sud adoptées en décembre 1986 (encadré Apartheid, la nouvelle Afrique du Sud). Jeudi 11 Une éclipse de soleil Une éclipse spectaculaire de 3 h 25 min balaie l’hémisphère Sud entre Hawaï et Brasilia. FRANCE Collaboration La cour d’appel de Paris décide la mise en liberté de Paul Touvier jusqu’à son procès. Arrêté en mai 1989, l’ancien chef de la Milice de Lyon en 1943-1944 est accusé de crime contre l’humanité. ARABIE SAOUDITE Catastrophe aérienne Un DC-8 de la compagnie Nigérian Airways s’écrase peu après son décollage de l’aéroport de Djedda. On dénombre 261 victimes. CHINE Catastrophe naturelle À la suite des inondations qui ont dévasté le centre et l’est du pays, faisant des milliers de morts et des millions de sans abri, les autorités lancent un appel à l’aide internationale. Vendredi 12 ONU Les cinq membres permanents Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité mettent sévèrement en garde l’Irak contre le non-respect des obligations relatives à la destruction de son potentiel nucléaire (5 août). FRANCE Armement Le gouvernement annonce l’abandon du projet de missile nucléaire stratégique mobile S45 qui devait remplacer les engins fixes de type S3 enterrés dans le plateau d’Albion. TURQUIE Répression Le lendemain de l’assassinat à Paris d’un opposant turc membre de l’organisation clandestine d’extrême gauche Dev Sol, dix militants de la même formation sont tués par la police à Istanbul. Les jours suivants, dans le sud-est du pays, des affrontements entre l’armée et les séparatistes kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) font 18 morts. JAPON Assassinat Le traducteur des Versets sataniques, l’ouvrage de Salman Rushdie condamné par les intégristes islamistes, est retrouvé assassiné. downloadModeText.vue.download 88 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 86 Le traducteur italien du même livre avait été agressé à Milan le 3 (éd. 1990). MAURITANIE Institutions La nouvelle Constitution, qui prévoit notamment l’instauration du multipartisme, est approuvée massivement par référendum. France Fils de qui ? Sauvés en 1962 des représailles du FLN grâce au sens de l’honneur de certains officiers français plus que par volonté politique, parqués dans des camps à leur arrivée en France, considérés comme des « traîtres » en Algérie et comme des « Arabes » en France, refoulés dans les consciences à l’instar des événements dont ils sont issus, « oubliés de l’histoire » depuis trente ans, ils seraient aujourd’hui près de un demi-million, ces Français musulmans, anciens supplétifs de l’armée française en Algérie, et leurs familles, que l’on appelle les « harkis ». Depuis 1975, leur colère éclate régulièrement. Le 12 juillet, à la suite d’une de ces révoltes, le gouvernement annonce un énième plan en leur faveur. Depuis le 20 juin, les enfants de harkis entretiennent l’agitation dans les cités du midi de la France. Moins soumis, moins résignés ou honteux que leurs pères, ces jeunes de vingt ans, dont 80 % sont au chômage, réclament du travail, des logements décents et plus de considération. Après les affrontements avec la police survenus à Narbonne, plusieurs d’entre eux ont été arrêtés. Mais des barrages continuent d’être dressés sur les routes de la région. Le festival d’Avignon est menacé. Le 28 juin, le Premier ministre Édith Cresson a reçu le rapport de la « mission de réflexion » nommée par son prédécesseur en décembre 1990. Ses propositions vont de l’érection d’un monument aux musulmans morts pour la France à la promotion d’un « islam français », en passant par la lutte contre l’échec scolaire, le versement d’un revenu minimum aux anciens harkis et la résorption des derniers camps. Les enfants de harkis réclament « des actes, du concret ». Ils ne sont pas entendus. Modestes et manquant d’originalité, les mesures annoncées le 12 par le Premier ministre ne reprennent qu’un tiers des propositions avancées par le rapport du 28 juin. L’enveloppe budgétaire de 100 millions pour 1991 est toutefois rétablie. « Le droit, pas la charité », proclament les banderoles de la manifestation du 13 juillet à Paris. Le 17, le ministre des Affaires sociales Jean-Louis Bianco trouve des mots plus justes en annonçant des initiatives locales concrètes, mais surtout en reconnaissant les responsabilités de la gauche et en évoquant la « volonté politique » du gouvernement qui « ne manque pas de coeur ». Un moment calmés par la libération de certains de leurs camarades incarcérés, les enfants de harkis reprennent pourtant dès la fin du mois leurs actions, que le gouvernement juge désormais « injustifiées ». Ils réclament notamment la création d’un secrétariat d’État spécifique et s’organisent de leur côté en coordination nationale. Les conclusions de la « mission de réflexion » étaient claires : « Si le gouvernement trouvait que nos propositions coûtent trop cher, il prendrait le risque d’avoir ensuite à payer encore davantage. » C’est ce que certains, qui ne furent pas écoutés, affirmaient déjà en 1954, à propos de l’Algérie. Samedi 13 FRANCE Squatters À Paris, quai de la Gare (XIIIe arr.), des dizaines de familles africaines et françaises sans abri, soutenues notamment par l’Association droit au logement et l’abbé Pierre, occupent un terrain appartenant à la Ville et jouxtant le chantier de la Bibliothèque de France. Dimanche 14 FRANCE Cérémonies Le traditionnel défilé militaire sur les Champs-Élysées met à l’honneur les 3 000 homes du dispositif « Daguet » qui ont participé à l’opération « Tempête du downloadModeText.vue.download 89 sur 490 CHRONOLOGIE 87 désert » dans le Golfe entre septembre 1990 et mars 1991. SYRIE Relations internationales Le président Hafez el Assad donne une réponse favorable aux propositions américaines de conférence de paix au Proche-Orient. Lundi 15 FRANCE Politique économique Une opération financière entre l’État, Usinor-Sacilor et le Crédit Lyonnais permet à la banque publique de contrôler 20 % (2,5 milliards de francs) du capital du groupe sidérurgique national. Le 17, la Banque nationale de Paris annonce une prise de participation de 10 % (1 milliard de francs) dans le capital de la compagnie aérienne publique Air France. IRAK Intervention étrangère Les forces alliées stationnées depuis le mois d’avril dans le nord du pays pour assurer la protection des populations kurdes achèvent leur retrait. Elles sont remplacées par des « casques bleus » de l’ONU. Une force multinationale de dissuasion est installée en Turquie, près de la frontière irakienne. É TAT S ! U N I S Banques La Chemical Bank et Manufacturers Hanover annoncent leur fusion. Le nouvel établissement sera le numéro deux du secteur bancaire américain. Le 25, NCNB et C&S/ Sovran font de même, donnant ainsi naissance au troisième groupe bancaire du pays (12 août). Mardi 16 E S PA C E La fusée Ariane La fusée Ariane place sur orbite le satellite européen ERS-1 chargé d’étudier l’environnement de la planète. Madagascar Forces vives L’opposition malgache réunie au sein du Comité des forces vives tire sa légitimité des centaines de milliers de manifestants qui, depuis le 10 juin, répondent quotidiennement à son appel. Le 16 juillet, elle nomme un président-bis et un gouvernement-bis plus étoffé que l’équipe désignée le 20 juin. Gagnés à leur tour par le vent de révolte qui balaie l’Afrique, les Malgaches sont nombreux à exiger la fin du régime socialiste du président Didier Ratsiraka, au pouvoir depuis 1975, à qui ils reprochent d’avoir conduit le pays à la misère. Ses timides ouvertures libérales, en 1989, n’ont convaincu personne. Ses propositions d’amendements constitutionnels, le 13 mai, arrivent trop tard. C’est bien l’avènement d’une « troisième République malgache » qui est à présent réclamé. Le 8 juillet, le Comité des forces vives décrète une grève illimitée. Ce jour-là, 400 000 personnes – un tiers de la population d’Antananarivo – défilent dans les rues de la capitale. Le 9, le pouvoir et l’opposition, qui dialoguent depuis le 25 juin sous l’égide du Conseil des Églises chrétiennes de Madagascar, s’entendent pour organiser une « concertation nationale ». Mais le 15, le président Ratsiraka oppose une fin de non-recevoir aux demandes de démission préalable. Le lendemain, sous la pression de ses partisans, le Comité des forces vives nomme le général à la retraite Jean Rakotoarison, ancien chef d’état major de l’armée, et le professeur Albert Zafy, ministre avant 1975, aux fonctions respectives de président et de Premier ministre de transition. Le 22, le gouvernement-bis nomme ses premiers membres dont certains, portés par la foule, prennent possession de leur ministère attitré. L’armée ne résiste pas. Mais, le 23, l’état d’urgence downloadModeText.vue.download 90 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 88 est décrété. Il n’est pas respecté, ni imposé par la force. Toutefois, le 27, après trois de ses ministres, M. Zafy est à son tour enlevé par des militaires. Le 28, le président Ratsiraka se résout à sortir du silence qu’il observait depuis le début de la crise pour annoncer la dissolution du gouvernement, l’ouverture d’une concertation sur la révision de la Constitution, l’organisation d’un référendum et d’élections législatives, enfin, la libération des ministres-bis enlevés ; mais l’opposition rejette ses concessions. La victoire totale n’est-elle pas proche ? (10 août). Mercredi 17 CAMBODGE Institutions À Pékin, à la suite d’un accord entre les communistes prochinois et provietnamiens, les quatre factions khmères réunies au sein du Conseil national suprême (CNS), organe provisoire chargé d’instaurer un régime démocratique, élisent à leur tête le prince Norodom Sihanouk (26 juin, et encadré Cambodge, les Khmers bougent). É TAT S ! U N I S Défense Un accord conclu avec les Philippines prévoit la fermeture en 1992 de la base aérienne de Clark, première implantation militaire américaine à l’étranger, qui a été endommagée par l’éruption du volcan Pinatubo en juin. Malgré le maintien de la base navale de Subic-Bay, cette décision accentue l’allégement du dispositif militaire américain en Extrême-Orient. Groupe des Sept La table des grands Quelle plus haute tribune que celle du sommet des sept pays les plus industrialisés (G7 : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon) pour plaider l’intégration de son pays dans l’économie mondiale et, par là-même, dans le « concert des nations » ? M. Mikhaïl Gorbatchev ne s’y est pas trompé en s’invitant à Londres, où les Sept l’ont finalement convié à une séance de travail, le 17 juillet, à l’issue de leur réunion annuelle. Les arguments du président soviétique sont connus. Fort de son extrême faiblesse, il affirme que le succès de la perestroïka et finalement de la détente internationale dépend de l’aide économique de l’Occident, qui achèterait ainsi sa propre tranquillité en subventionnant l’économie soviétique. Proches voisins de l’ex-puissant ennemi, les Européens, Allemagne en tête, abondent dans son sens, mais réclament un « partage du fardeau ». Plus circonspects, les Américains du Nord et les Japonais exigent des preuves. Or, M. Gorbatchev n’a toujours pas de plan concret à présenter. Simple liste de bonnes intentions, la lettre qu’il envoie le 12 à ses hôtes reprend des éléments du « plan anticrise » du Premier ministre Valentin Pavlov, entravé par les bouleversements que connaît l’Union, et du programme de son conseiller Grigory Iavlinsky, que son libéralisme radical rend tout aussi inapplicable. La déclaration publiée à l’issue du sommet de Londres réaffirme le soutien de l’Occident à l’URSS, mais confirme que son aide sera liée à la mise en oeuvre des réformes. Le résultat de la rencontre entre M. Gorbatchev et les Sept est tout aussi riche d’opportunités, et tout aussi pauvre en contributions financières. L’accord traduit surtout une volonté « d’aider l’URSS à mobiliser ses ressources substantielles », autrement dit, à s’aider elle-même. Il lui est proposé un statut de « membre associé » au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale (BIRD), sans pour autant qu’elle puisse en obtenir des prêts, ainsi qu’une coopération permanente avec l’OCDE et la BERD ; une intensification de l’assistance technique occidentale ; une aide au rétablissement de ses échanges avec ses voisins d’Europe centrale et un développement de son commerce avec l’Occident ; un suivi de la rencontre assuré par le président en titre du G7 – M. Helmut Kohl en 1992 – ; enfin, une visite prochaine des ministres des Finances et des responsables de la petite et moyenne industrie des Sept. Mais le principal, pour M. Gorbatchev, n’est-il pas que le G7 soit de facto devenu le G8 ? downloadModeText.vue.download 91 sur 490 CHRONOLOGIE 89 Jeudi 18 FRANCE Relations internationales Dans un entretien accordé à la chaîne américaine de télévision ABC, le Premier ministre Édith Cresson évoque « l’homosexualité » qui existe « dans la tradition anglo-saxonne » (24) ainsi que la vie de « fourmis » que mèneraient les Japonais. Ces propos suscitent de vives réactions en France et à l’étranger. Industrie Les pouvoirs publics donnent leur accord au plan de reprise de VEV-Prouvost, troisième groupe français du textile, mis au point par les banques créancières afin d’éviter le dépôt de bilan de la société. F R A N C E / É TAT S ! U N I S Assurances Le groupe privé AXA annonce une prise de participation de 40 % dans le capital d’Equitable Life, quatrième assureur américain, pour un montant de 1 milliard de dollars. YOUGOSLAVIE Guerre civile La présidence collégiale de la Fédération annonce le retrait de l’armée de Slovénie dans les trois mois. Elle reconnaît ainsi implicitement la souveraineté Slovène (22). IRAK Guerre civile Après de violents combats avec l’armée, les peshmergas reprennent le contrôle de la ville de Souleymanieh, dans le Kurdistan. ISRAËL Violences Le rapport judiciaire sur la fusillade de l’esplanade des Mosquées, qui avait fait 22 morts palestiniens le 8 octobre 1990, condamne l’attitude des policiers mais ne préconise pas de poursuites contre eux (éd. 1991). ALGÉRIE Politique économique Lors d’une conférence de presse, le Premier ministre Sid Ahmed Ghozali défend le projet de vente d’une partie des réserves pétrolières algériennes à des compagnies étrangères pour résoudre le problème de l’endettement du pays. MEXIQUE Relations internationales À Guadalajara, le premier sommet latinoibérique, qui réunit 19 pays d’Amérique latine, l’Espagne et le Portugal, consacre les retrouvailles entre les anciennes colonies et leurs anciennes métropoles. Vendredi 19 AFRIQUE DU SUD Vie politique L’hebdomadaire de gauche Weekly Mail révèle que le gouvernement a remis des fonds au mouvement zoulou Inkatha afin de financer sa propagande dirigée contre l’ANC dans le Natal. Samedi 20 URSS Politique intérieure Un décret du président de Russie, M. Boris Eltsine, interdit l’activité des partis politiques sur les lieux de travail. downloadModeText.vue.download 92 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 90 Lundi 22 ALLEMAGNE Scandale Devant l’émoi provoqué dans le pays et à l’étranger par la mise en chantier d’un supermarché dans le périmètre de l’ancien camp de concentration de Ravensbrück, à 600 mètres du mémorial, les autorités et les promoteurs conviennent de mettre un terme au projet. ROUMANIE Justice Au terme de près de neuf mois de procès, la Cour suprême militaire de Bucarest condamne le général Iulian Vlad, ancien chef de la Securitate, à neuf ans de prison pour « incitation au génocide », en raison de son rôle dans la répression des manifestations anticommunistes de décembre 1989. YOUGOSLAVIE Guerre civile Dans la République de Croatie où vivent 12 % de Serbes, les incidents entre les deux communautés s’intensifient. Les combats entre l’armée fédérale et les forces croates, qui se déroulent principalement dans la région de la Slavonie, font environ 150 morts durant le mois (18). Mardi 23 FRANCE Immigration Le gouvernement publie une circulaire sur la régularisation du statut des demandeurs d’asile déboutés, qui propose d’« apporter une solution exceptionnelle à des situations anciennes ». Elle ne bénéficie qu’à 15 % des 100 000 personnes concernées. FRANCE/ALLEMAGNE Sociétés Un accord industriel et financier entre Daimler-Benz et Sogeti est rendu public. Il prévoit l’acquisition par la firme allemande de 34 % du capital de la société mère de Cap Gemini, numéro un européen pour les services informatiques, et permet sa prise de contrôle majoritaire en 1995. Mercredi 24 FRANCE Justice Le tribunal correctionnel de Carcassonne condamne à des peines de prison avec sursis et à la privation des droits civiques 17 soldats parachutistes du 3e RPIMa, qui avaient effectué une « expédition punitive » dans la ville, le 18 novembre 1990 (éd. 1991). G R A N D E ! B R E TA G N E Société Le Premier ministre John Major annonce que les homosexuels seront désormais autorisés à occuper des postes dans la haute fonction publique (18). INDE Politique économique Confronté à une grave crise financière, le gouvernement autorise les prises de participation étrangère majoritaire dans la plupart des secteurs industriels. downloadModeText.vue.download 93 sur 490 CHRONOLOGIE 91 Jeudi 25 É TAT S ! U N I S Espace Les autorités annoncent l’arrêt de la construction des navettes spatiales et le re- tour à l’utilisation de lanceurs traditionnels. Vendredi 26 CEE/JAPON Relations économiques Au terme d’un an et demi de négociations, les Douze adoptent un compromis sur les importations d’automobiles japonaises. Il prévoit la suppression totale des quotas en l’an 2000 et leur limitation à 16 % du marché – contre 11,2 % actuellement – d’ici là. URSS Vie politique Le plénum du PCUS adopte le projet de programme social-démocrate du Parti présenté par M. Mikhaïl Gorbatchev, qui rompt avec les dogmes du marxisme-léninisme. Il doit être soumis au congrès du PCUS prévu en novembre. Samedi 27 URSS Vie politique Principal inspirateur de la perestroïka, M. Alexandre Iakovlev annonce sa démission de son poste de premier conseiller de M. Mikhaïl Gorbatchev. Dimanche 28 SPORT Cyclisme L’Espagnol Miguel Indurain remporte le Tour de France. Lundi 29 FRANCE Prospective Une étude de l’INSEE affirme que, dans la première décennie du XXIe siècle, la baisse de la population active pourrait exiger le recours à une main-d’oeuvre immigrée pour maintenir la croissance économique. Industrie navale La société marseillaise Sud-Marine étant mise en liquidation judiciaire, les salariés du groupe décident d’occuper le site (13 août). URSS Nationalités À Moscou, MM. Boris Eltsine et Vytautas Landsbergis signent un traité bilatéral qui consacre la reconnaissance par la Fédération de Russie de la souveraineté de la Lituanie, après celle de l’Estonie et de la Lettonie en janvier. Mardi 30 FRANCE Société À Amiens, pour la première fois, trois responsables de messageries roses sont condamnés par la cour d’appel à verser 1 franc de dommages et intérêts aux associations familiales qui les poursuivaient pour outrage aux bonnes moeurs et incitation à la débauche. downloadModeText.vue.download 94 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 92 URSS Nationalités Sept gardes-frontières lituaniens sont tués à la frontière entre la Lituanie et la Biélorussie. Les autorités de Vilnious soupçonnent le KGB. A F G H A N I S TA N Conflit À Islamabad, les divers mouvements de résistance, le Pakistan et l’Iran acceptent le plan de paix des Nations unies comme base de règlement. É TAT S ! U N I S / U R S S Sommet À Moscou, la sixième rencontre entre MM. Mikhaïl Gorbatchev et George Bush inaugure « des relations fondées non sur la confrontation militaire mais sur la coopération économique et en matière de sécurité ». Le président américain annonce l’octroi à l’Union soviétique de la clause de la nation la plus favorisée (31). HAÏTI Justice Auteur d’un coup d’État manqué en janvier, Roger Lafontant, ancien chef des « tontonsmacoutes » sous la dictature des Duvalier, est condamné à la prison à perpétuité. Mercredi 31 FRANCE Environnement Gelés par le gouvernement Rocard sous la pression de l’association écologiste Loire vivante, les projets de barrages de Serre-de-laFare, sur la Loire, et de Chambonchard, sur le Cher, sont définitivement abandonnés. Audiovisuel À la suite des plaintes déposées notamment par TF1 et M6, le gouvernement et la Commission de Bruxelles parviennent à un accord qui réduit de 50 à 40 % le quota d’oeuvres françaises imposé aux chaînes de télévision. É TAT S ! U N I S / U R S S Sommet Réunis à Moscou, MM. Mikhaïl Gorbatchev et George Bush signent le traité START qui prévoit la réduction de 25 à 30 % des armements stratégiques de leurs deux pays. Alors qu’Israël n’a toujours pas donné sa réponse aux propositions de paix américaines, ils annoncent la convocation en octobre, sous leur parrainage, d’une conférence sur le Proche-Orient (encadré Proche-Orient, l’auberge espagnole). Le mois de Catherine Destivelle La voie ouverte par Catherine Destivelle dans les Drus, entre celle tracée par Bonatti et l’Absolu de Grenier et Camison, a demandé dix jours pour aboutir dans la nuit du 4 au 5 juillet. Mille mètres de parois encore inviolées : au siècle de la précipitation et de la vitesse comme étalon, une performance de cette dimension exige du temps et des moyens, mais aussi une force de caractère hors du commun. – Catherine Destivelle, la montagne a-t-elle toujours été votre objectif ? Toute petite, mes parents m’emmenaient en forêt de Fontainebleau à l’assaut des rochers et l’escalade était donc pour moi un jeu naturel. À 14 ans, quand il a fallu choisir un sport, j’ai choisi évidemment l’escalade. Mais la montagne n’est venue que plus tard, après la compétition en salle et la kinésithérapie, un métier que je ne voulais pas faire éternellement. Et puis, je devais courir après l’image que l’on donnait de moi. – Y a-t-il une différence énorme entre la montagne et l’escalade en salle ? Tout est différent. L’escalade en salle est aseptisée, presque un spectacle organisé. Il n’y a guère de risques. Tout est prévu et, finalement, ce n’est pas plus dangereux que le football. Dans la compétition, il faut simplement arriver en haut, le plus loin possible par le chemin le plus difficile. La montagne c’est tout autre chose : un univers exidownloadModeText.vue.download 95 sur 490 CHRONOLOGIE 93 geant ; pour le vaincre, il faut de la patience et de l’obstination. Il ne faut jamais s’arrêter de penser. Là-haut, où l’ordre est fondamental, où tout objet, tout outil, est précieux, il ne faut rien égarer. J’ai eu autrefois une fracture de la colonne vertébrale due peut-être à une négligence. – Cet exploit d’une femme, comment les hommes l’ont-ils accueilli ? Certains se sont étonnés ; d’autres ont cherché à minimiser ma victoire ; les « grands » m’ont félicitée. Une querelle d’éthique et de territoire sans doute ; mais je ne sens pas tellement une concurrence masculine qui pourrait me gêner. Et puis, d’ailleurs, après ma victoire en montagne, je me suis rapidement aperçue que la Terre continuait de tourner et que, pour moi, les Drus, c’était fini. Il fallait déjà penser à la suite. On me dit que j’ai fait des émules et que j’étais un bon exemple pour la jeunesse. Tant mieux si cela a été utile pour cela aussi. – Et en dehors de l’escalade ? Autrefois, il y a longtemps..., le poker. Aujourd’hui, l’écriture, un livre. C’est le deuxième. Il y a eu un film, aussi. Mais la musique a été une passion. Jusqu’à 20 ans, j’ai joué de la flûte. J’ai même fait partie d’un orchestre classique. Dans une île déserte, je prendrais avec moi Bach et Mozart, bien que j’aime écouter aussi le rock ou le jazz. La musique « classique » contemporaine m’échappe. Vous savez, l’escalade n’est pas mon obsession*. *Propos recueillis par Laurent Leblond. CATHERINE DESTIVELLE downloadModeText.vue.download 96 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 94 Août Jeudi 1 FRANCE Transports La suppression de la première classe dans le métro parisien entre en vigueur. Celuici était le dernier au monde à conserver ce privilège, qui n’était déjà plus accordé qu’entre 9 h et 17 h depuis 1982. Politique économique Le ministre de l’Economie et des Finances, M. Pierre Bérégovoy, annonce l’introduction en Bourse de 22 % du capital du Crédit local de France, établissement public voué au financement des collectivités locales. Pour la première fois, la cession d’actifs publics ne renforcera pas le capital de l’entreprise concernée, mais viendra alimenter les caisses de l’État. Le 29, le gouvernement se déclare favorable à la vente de participations minoritaires dans certaines entreprises publiques. Musique Le Corum de Montpellier présente, en version de concert, la première française d’Ivan IV le Terrible, un opéra méconnu de Georges Bizet composé en 1865. URSS Relations internationales À l’issue du sommet de Moscou, le président américain George Bush se rend à Kiev, capitale de l’Ukraine, où il met en garde les Républiques soviétiques contre « la voie sans espoir de l’isolement ». PROCHE!ORIENT Diplomatie Recevant le secrétaire d’État américain James Baker, qui effectue sa sixième tournée dans la région depuis la fin de la guerre du Golfe, le Premier ministre israélien Itzhak Shamir lui donne son accord conditionnel à la convocation de la conférence de paix. Le 2, l’OLP fait de même (encadré Proche-Orient, l’auberge espagnole). AUSTRALIE Société Une mère est condamnée à verser des dommages et intérêts à sa fille pour « négligences » pendant sa grossesse. L’enfant est née handicapée à la suite d’un accident de la circulation survenu à sa mère enceinte. Celle-ci ne portait pas de ceinture de sécurité. É TAT S ! U N I S Défense Le gouvernement annonce que le coût de l’opération « Tempête du désert » a été de 61 milliards de dollars et que les contributions étrangères se sont élevées à 54 milliards de dollars. Vendredi 2 ARGENTINE/CHILI Relations Lors de la visite officielle à Buenos Aires du président chilien Patricio Aylwin, les deux pays signent un accord sur le tracé de leur frontière commune, longue de 5 400 kilomètres, qui était l’objet de querelles depuis plus d’un siècle. downloadModeText.vue.download 97 sur 490 CHRONOLOGIE 95 Dimanche 4 AFRIQUE DU SUD Naufrage Le paquebot grec Océanos sombre entre les ports d’East-London et de Durban. Les 580 passagers et hommes d’équipage sont sauvés. Lundi 5 IRAK Armement Le Conseil de sécurité de l’ONU indique que l’Irak a reconnu avoir fabriqué du plutonium et mené des recherches sur les armes bactériologiques. TURQUIE Intervention armée Après l’enlèvement de dix touristes allemands dans l’est du pays, le 1er, et l’attaque d’un poste de gendarmerie à la frontière irakienne, le 4, l’armée lance une opération d’envergure contre les bases arrière du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) situées en Irak. É TAT S ! U N I S Crimes Après l’arrestation du « tueur de Milwaukee » (Wisconsin), le 22 juillet, auteur présumé de dix-sept assassinats en dix ans, un homme, interpellé dans le Mississippi, avoue avoir tué soixante personnes depuis 1974. Mardi 6 FRANCE Crime Les corps des cinq membres d’une famille française habitant Valenciennes (Nord) sont retrouvés près de Tournai, en Belgique. Accompagnés de trois enfants, Frédéric et Anne-Marie Roucoult étaient venus récla- mer le remboursement d’une voiture d’occasion qui s’était révélée gagée. Le 9, l’ancien propriétaire du véhicule avoue le quintuple assassinat. URSS Vie politique Le secrétaire général du Parti communiste de Russie (PCR), le conservateur Ivan Polozkov, est acculé à la démission pour n’avoir pas su faire face à la progression de M. Boris Eltsine. Le réformateur Alexandre Routskoï, qui avait appelé à la formation d’un Parti rénové, est exclu des rangs du PCR. France La vengeance des mollahs Il avait échappé à une première tentative d’assassinat, le 18 juillet 1980, à Neuilly-sur-Seine (Hautsde-Seine), au cours de laquelle le commando dirigé par le Libanais pro-iranien Anis Naccache – gracié le 27 juillet 1990 – avait tué deux personnes. Le 6 août, les tueurs sont plus chanceux et plus discrets. Les corps de Chapour Bakhtiar et de son secrétaire, tués à l’arme blanche, ne sont découverts que le 8, dans la villa de Suresnes qu’occupait le dernier chef de gouvernement du chah d’Iran, exilé en France depuis 1979. Une faille dans le système de protection de Chapour Bakhtiar, que dirigeait son propre fils Guy, inspecteur des Renseignements généraux, laisse 36 heures d’avance aux assassins. Cet attentat survient alors que M. François Mitterrand n’attend plus que le règlement du contentieux lié au financement du programme Eurodif par le régime du chah en 1974 pour aller sceller les retrouvailles franco-iraniennes à Téhéran. Il place en première ligne le président « libéral » Hachemi Rafsandjani, contesté par l’aile dure du régime iranien pour sa politique d’ouverture sur l’extérieur. Enfin, cet acte terroriste intervient au moment où se négocie la libération des derniers otages des intégristes chiites pro-iraniens au Liban, contre celle, notamment, des terroristes musulmans emprisonnés en Occident. downloadModeText.vue.download 98 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 96 Les soupçons de la police s’orientent vers les derniers visiteurs reçus par la victime. Le soir du double crime, Ali Rad Vakili et Mohammad Azadi, tous deux munis de passeports iraniens, accompagnaient chez l’ancien Premier ministre l’un de ses proches, Farqdoun Boyer Ahmadi. La diffusion par la police de leurs photographies, le 10, suscite des témoignages. Un chauffeur de taxi se rappelle les avoir chargés en Haute-Savoie le 7. Le même jour, porteurs de passeports turcs munis de faux visas, ils sont refoulés à la frontière suisse. Les enquêteurs suivent la trace des suspects dans le sudest de la France durant plusieurs jours, grâce aux indices grossiers qu’ils laissent derrière eux. Les 14 et 15, ils sont localisés à Genève, où ils échappent de peu à la police. Le 21, Ali Rad Vakili est arrêté de façon fortuite à Genève. Le 27, la Suisse accepte de l’extrader vers la France. Mercredi 7 FRANCE Assurances Le ministre de l’Economie et des Finances, M. Pierre Bérégovoy, annonce une série de mesures destinées à simplifier le système du bonus-malus et à le rendre plus équitable. MAROC Répression L’organisation Amnesty International réclame au roi Hassan II la libération des militaires condamnés pour complot contre le chef de l’État en août 1973. Les prisonniers sont internés au fort de Tazmamart, dans le massif de l’Atlas. Jeudi 8 FRANCE Spectacles Après l’interdiction par le maire de Puteaux (Hauts-de-Seine) des spectacles de La Mano Negra pour menace de troubles à l’ordre public et de Royal de Luxe pour des raisons de sécurité, le groupe rock et la troupe de rue se produisent sans incident sur l’esplanade de la Défense, en présence de nombreuses forces de police. LIBAN Otages Le mouvement chiite intégriste pro-iranien du Djihad islamique libère le journaliste John McCarthy, enlevé le 17 avril 1986 à Beyrouth. Ce dernier est porteur d’un message destiné au secrétaire général de l’ONU, qui propose l’échange des otages occidentaux et des soldats israéliens disparus au Liban contre des prisonniers et des terroristes chiites (11). Le même jour, l’Organisation de défense des droits des prisonniers revendique l’enlèvement à Beyrouth du Français Jérôme Leyraud, administrateur de Médecins du monde au Liban. Elle menace de l’exécuter si un nouvel otage occidental est libéré. Devant la condamnation des autorités et des mouvements islamistes, le Français est relâché le 11. RÉPUBLIQUE DOMINICAINE Justice Président social-démocrate de 1982 à 1986, M. Jorge Blanco est condamné pour corruption à 20 ans de prison et à une forte amende. Italie Nouvelle vague Après l’arrivée massive d’Albanais en mars, 24 000 réfugiés étaient parvenus à rester en Italie. Le gouvernement romain avait alors pris de sévères dispositions contre ceux qu’il considérait comme des « clandestins ». En juin, un nouvel exode était refoulé. Trompés par de fausses rumeurs, prêts à tout pour quitter leur pays où « il n’y a rien », ils sont encore des milliers, le 8 août, à forcer l’entrée des ports de la côte des Pouilles, à bord de cargos qu’ils ont pris d’assaut à Durrës et à Vlora. Pour des raisons humanitaires, les autorités italiennes autorisent le débarquement des réfugiés. À downloadModeText.vue.download 99 sur 490 CHRONOLOGIE 97 Bari, où ils sont 12 000 environ, ils sont aussitôt parqués sur une jetée et dans le vieux stade municipal, comme leurs prédécesseurs, en attendant d’être reconduits dans leur pays. Les conditions inhumaines d’hébergement et d’hygiène qui régnent sur le quai et dans le « camp de concentration de la Vittoria » s’ajoutent à la révolte désespérée des Albanais. Le soir même et le lendemain, certains d’entre eux s’opposent violemment à la police en cherchant à forcer les enceintes du stade et du port. Les téléspectateurs européens découvrent avec gêne les images de policiers frappant ces parias à moitié dévêtus en raison de la chaleur. Le président italien Francisco Cossiga parle de « tragédie de dimension biblique ». Tandis que les autorités albanaises placent les quatre grands ports du pays sous contrôle militaire afin d’endiguer le flot des réfugiés, le gouvernement italien propose d’augmenter jusqu’à 100 milliards de lires – 500 millions de francs – l’aide à son voisin d’outre-Adriatique. À Tirana, la responsabilité de la vieille garde communiste est mise en cause. À Rome, certains parlent de chantage à l’aide humanitaire. Un pont aérien est organisé et plusieurs ferry-boats sont réquisitionnés pour rapatrier de force ou par ruse les Albanais humiliés. En trois jours, 17 000 réfugiés sont ainsi renvoyés chez eux. Le 12, ils ne sont plus que quelques centaines d’irréductibles à refuser de quitter le stade ou le quai où ils se retranchent. Les 17 et 18, après avoir cédé à la promesse d’un accueil provisoire dans diverses villes italiennes, ils sont une fois de plus trompés et discrètement rapatriés. Vendredi 9 FRANCE Environnement Sous la pression du ministre Brice Lalonde, le gouvernement décide de faire déplacer l’entrée du futur tunnel routier du Somport hors des limites du parc national des Pyrénées. Samedi 10 CHINE Politique étrangère À l’occasion de la visite à Pékin du Premier ministre japonais Toshiki Kaifu, le gouvernement annonce son intention de signer le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et d’engager un dialogue international sur les droits de l’homme. CHINE/VIÊT!NAM Diplomatie Les deux pays annoncent la normalisation de leurs relations, gelées depuis 1978. MADAGASCAR Troubles À Antananarivo, deux mois après le début des manifestations demandant son départ, le président Didier Ratsiraka fait tirer sur la foule qui participait à une « marche de la liberté » vers le palais présidentiel. Le bilan officiel de la répression, qui dure trois heures, est de 12 morts, mais la presse d’opposition en dénonce près de deux cents (26, et encadré Madagascar, forces vives). CANADA Vie politique Le congrès du Parti conservateur, au pouvoir, reconnaît à une large majorité le droit à l’autodétermination de la province du Québec (29 janvier). Dimanche 11 LIBAN Otages L’Organisation de la justice révolutionnaire, groupe chiite intégriste pro-iranien, libère l’homme d’affaires américain Edward Tracy, enlevé à Beyrouth le 21 octobre 1986. Le 12, à Genève, le secrétaire général de l’ONU Javier Perez de Cuellar engage des pourpardownloadModeText.vue.download 100 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 98 lers avec les parties intéressées au règlement du problème des otages (8). Lundi 12 IRAK Armement Les autorités présentent aux experts occidentaux un supercanon de plus de 50 mètres de long, de 350 millimètres de diamètre et de 700 kilomètres de portée (éd. 1991). É TAT S ! U N I S Transports aériens Delta Air Lines rachète pour 1,39 milliard de dollars une partie des biens et des lignes de la Pan American World Airways, qui a déposé son bilan le 8 janvier. La Compagnie devient ainsi le premier transporteur américain. Créée en 1927, la Pan Am n’avait réalisé que quatre exercices bénéficiaires depuis vingt ans. Banques Le numéro deux du secteur bancaire, BankAmerica, renforce sa position en achetant Security Pacific, cinquième établissement américain, pour 4,3 milliards de dollars (15 juillet). Mardi 13 FRANCE Constructions navales Les salariés de Sud-Marine et le tribunal de commerce de Marseille acceptent le plan de reprise de l’entreprise en liquidation judiciaire présenté par le groupe René Brisard, leader français de la machine-outil (29 juillet). Sociétés Le groupe de M. Bernard Tapie cède 45 % du capital de son holding allemand qui contrôle la firme Adidas. L’opération vise à honorer la première échéance du remboursement de l’emprunt contracté pour l’achat du fabricant d’articles de sport en juillet 1990 (éd. 1991). É TAT S ! U N I S Guerre du Golfe Le Pentagone, qui publie le bilan définitif des pertes humaines durant l’opération « Tempête du désert », indique que 35 des 148 morts américains ont été victimes de « tirs amis ». Mercredi 14 URSS Économie Les cinq Républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizie et Turkménie) signent un accord de coopération économique indépendant du traité de l’Union en préparation. URSS/ISRAËL Relations Les autorités des deux pays signent un protocole d’accord sur la mise en service par les compagnies aériennes El Al et Aeroflot de vols directs vers l’État hébreu pour les émigrants juifs soviétiques. LAOS Institutions L’Assemblée nationale adopte la première Constitution depuis l’indépendance, en 1975. Le texte définit un système de « démocratie populaire » – et non « socialiste ». Il introduit le libéralisme économique, mais n’autorise pas le multipartisme. Le 15, l’Assemblée élit à la tête de l’État M. Kaysone Phomvihane, président du Parti communiste depuis 1955, en remplacement du prince Souphanouvong, démissionnaire pour raison de santé. downloadModeText.vue.download 101 sur 490 CHRONOLOGIE 99 PÉROU Esclavage Les cadavres de dizaines d’enfants sont retrouvés dans un charnier proche d’une mine d’or de la province de Madre de Dios. SPORT Voile Dans l’île de Cowes, en Grande-Bretagne, l’équipe de France remporte pour la première fois l’Admiral’s Cup, championnat du monde officieux de course au large qui comprend notamment l’épreuve du Fastnet. Jeudi 15 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte la résolution 706 qui autorise l’Irak à reprendre pendant six mois ses exportations de pétrole jusqu’à 1,6 milliard de dollars. Une partie de cette somme doit être consacrée à l’achat de produits de première nécessité. 30 % des revenus pétroliers du pays doivent financer les indemnités de guerre. É G L I S E C AT H O L I Q U E À Czestochowa À Czestochowa, sanctuaire mariai du sud de la Pologne, et à l’occasion de la sixième Journée mondiale de la jeunesse, le pape Jean-Paul II appelle un million de pèlerins à une « nouvelle évangélisation » de l’Europe. ALLEMAGNE Politique financière Devant l’augmentation de l’inflation, qui pourrait dépasser 4 % en 1991 contre 2,5 % en 1990, la Bundesbank décide de porter son taux d’escompte de 6,5 à 7,5 %. Vendredi 16 É G L I S E C AT H O L I Q U E Voyage pontifical Le pape Jean-Paul II effectue jusqu’au 20 la première visite d’un souverain pontife en Hongrie. URSS Vie politique Ancien conseiller de M. Mikhaïl Gorbatchev et principal inspirateur de la perestroïka, M. Alexandre Iakovlev annonce sa démission du Parti communiste, dénonçant la menace d’un « coup d’État » de la part de la direction du PCUS. A F G H A N I S TA N Conflit L’aviation effectue de nombreux raids de bombardements dans les régions contrôlées par la guérilla le long de la frontière soviétique. MAROC Grâce royale Une quarantaine d’opposants condamnés pour « crimes touchant à la sécurité de l’État » sont libérés. AFRIQUE DU SUD Vie politique Les autorités de Pretoria et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés signent un accord qui prévoit l’amnistie de tous les délits politiques et qui permet donc le retour d’exil de plusieurs milliers de réfugiés. Samedi 17 ALLEMAGNE Cérémonie À la demande de la famille Hohenzollern, les cendres du roi de Prusse Frédéric II le Grand (1740-1786) et celles de son downloadModeText.vue.download 102 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 100 père Frédéric-Guillaume Ier (1713-1740), jusque-là inhumées à Hechingen, en BadeWurtemberg, sont transférées au château de Sans-Souci, à Postdam, en Prusse (exRDA). De nombreux Allemands critiquent le caractère militaire donné à l’événement. Dimanche 18 ALGÉRIE Opposition Après le refus du Front islamique du salut (FIS) de participer à la table ronde entre les autorités et les formations politiques, le gouvernement annonce la libération de plus de 300 militants islamistes emprisonnés depuis le 5 juin. É TAT S ! U N I S Scandales Les trois principaux dirigeants de Salomon Brothers, l’une des principales banques d’affaires de Wall Street, annoncent leur démission. Ils avouent avoir été informés des irrégularités commises par certains de leurs collaborateurs sur le marché des bons du Trésor. MEXIQUE Élections À l’issue d’une campagne dominée par la propagande du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), au pouvoir depuis 1929, celui-ci remporte 290 des 300 sièges de députés, 31 des 32 sièges de sénateurs à pourvoir et les six postes de gouverneurs en jeu. URSS Le putsch 18 août À 16 h 50 (heure locale), à Foros (Crimée), où il se trouve en vacances depuis le 4, le président Mikhaïl Gorbatchev reçoit une délégation venue lui annoncer sa destitution et lui demander de l’entériner. Il refuse. 19 août À 6 h 20, l’agence Tass annonce que M. Gorbatchev est « incapable d’assumer ses fonctions pour raisons de santé ». L’état d’urgence est décrété dans certaines régions de l’URSS. Pendant sa durée, le pouvoir est transféré à un comité d’État pour l’état d’urgence présidé par le vice-président soviétique, M. Guennadi Ianaev, et composé notamment de M. Valentin Pavlov, Premier ministre, de M. Vladimir Krioutchkov, directeur du KGB, du maréchal Dimitri Iazov, ministre de la Défense, et de M. Boris Pougo, ministre de l’Intérieur. Des blindés font mouvement vers le centre de Moscou, où ils prennent le contrôle de points stratégiques. Peu avant midi, le président de Russie Boris Eltsine grimpe sur un char posté devant la « Maison-Blanche », siège du Parlement russe, pour condamner le « coup d’État réactionnaire », appeler à la grève générale et demander aux soldats de se rallier au peuple. Plusieurs milliers de ses partisans élèvent des barricades autour de la « MaisonBlanche ». Le président américain George Bush apporte son soutien à M. Eltsine et annonce le gel des relations américano-soviétiques. Vers 17 h 30, M. Ianaev décrète l’état d’urgence dans la capitale. En Russie, des mineurs se mettent en grève. En Lituanie, dont les autorités appellent la population à la résistance passive, des militaires soviétiques investissent des bâtiments publics. Les cours boursiers chutent sur les diverses places mondiales. 20 août Les putschistes apparaissent divisés et ne parviennent pas à obtenir le soutien total des appareils de l’État et du Parti. L’Estonie proclame son indépendance. La CEE annonce la suspen- sion de son aide à l’URSS. Dans la soirée, le président de la République du Kazakhstan exige que M. Gorbatchev confirme en personne son empêchement. Des manifestations hostiles au coup d’État se déroulent dans diverses Républiques de l’Union. À Moscou, les manifestants réunis autour du Parlement de Russie défient le couvre-feu, qui est instauré à partir de 23 h. Tombé soudainement malade, M. Pavlov est remplacé par le premier vice-Premier ministre Vitali Dogoujiev. Dans la nuit, trois jeunes manifestants sont tués lors d’incidents isolés avec l’armée. Mais un grand nombre de soldats fraternisent avec les Moscovites. 21 août Vers midi, le Parlement de Russie annonce que les putschistes tentent de fuir la capitale. Dans l’après-midi, l’échec du coup d’État est downloadModeText.vue.download 103 sur 490 CHRONOLOGIE 101 confirmé et les autorités légales reprennent leurs activités. Toutes les décisions du comité sont annulées. L’armée regagne ses casernes. À 15 h, un premier contact téléphonique est établi avec M. Gorbatchev. La Lettonie proclame son indépendance. À Moscou, M. Pougo se donne la mort tandis que les sept autres membres du comité d’État pour l’état d’urgence sont arrêtés. Le journal télévisé de 20 h annonce que le président soviétique « contrôle pleinement la situation ». 22 août Peu après 2 h, M. Gorbatchev et sa famille arrivent à Moscou. Au cours de la journée, les marchés boursiers se redressent. Dans l’aprèsmidi, lors d’une conférence de presse, M. Gorbatchev reconnaît ses erreurs dans le choix de ses collaborateurs. Il déclare qu’il tirera les « dures leçons » du coup d’État, mais confirme son attachement aux « principes socialistes ». Il refuse de condamner le Parti communiste dans son ensemble. L’agence Tass publie les décrets de nomination des nouveaux responsables du KGB, du ministère de la Défense et du ministère de l’Intérieur, qui appartiennent à un milieu proche de celui des putschistes. Au même moment, devant plus de 100 000 personnes réunies devant la « Maison-Blanche », M. Eltsine réclame la réforme du pouvoir politique de l’Union. Il suspend les directeurs de la radiotélévision nationale et de l’agence Tass, ainsi que la parution de la Pravda. Dans la soirée, devant le siège moscovite du KGB, les manifestants déboulonnent la statue de Félix Dzerjinski, fondateur de la Tcheka, première police politique du régime soviétique. D’autres statues et symboles communistes sont abattus les jours suivants à travers tout le pays. 23 août À 16 h, M. Gorbatchev se rend au Parlement de Russie où il est rudement pris à parti par les députés. M. Eltsine le force à lire le compterendu du Conseil des ministres du 19, qui prouve la compromission du gouvernement. Puis le président russe signe un décret suspendant les activités du Parti sur le territoire de la République de Russie, malgré la désapprobation du président soviétique, qui estime que le PCUS peut être réformé. Les sièges du PC de Russie et du KGB et leurs archives sont placés sous scellés. Le gouvernement est dissous et les responsables nommés la veille par Gorbatchev sont remplacés par des réformateurs proches du président de Russie : M. Vadim Bakatine à la tête du KGB, le maréchal Evgueni Chapochnikov à la Défense et M. Victor Barannikov à l’Intérieur. 24 août Les obsèques des trois manifestants tués le 21 rassemblent plus d’un million de personnes dans les rues de Moscou. M. Gorbatchev démissionne de son poste de secrétaire général du PCUS et appelle le comité central à se dissoudre, ce qu’il fait le 25. M. Ivan Silaev, Premier ministre de Russie, est nommé chef du gouvernement soviétique par intérim et placé à la tête d’un comité inter-Républiques chargé des réformes économiques. La Russie reconnaît l’indépendance des Républiques baltes d’Estonie et de Lettonie, et l’Ukraine proclame la sienne. Ancien chef d’état-major des armées et conseiller de M. Gorbatchev, le maréchal Sergueï Akhromeev se suicide. 25 août La Biélorussie proclame son indépendance. 26 août M. Nikolaï Kroutchina, administrateur du comité central, se donne la mort. Accusé par M. Eltsine d’être l’« idéologue » du coup d’État, le président du Soviet suprême, Anatoli Loukianov, démissionne. M. Gorbatchev annonce l’accélération des réformes et la reprise du processus de signature du traité de l’Union. Le président de Russie menace de « révisions de frontière » les Républiques qui quittent l’Union unilatéralement. L’Islande et le Danemark reconnaissent l’indépendance des pays Baltes. Le 27, la CEE fait de même. 27 août La Moldavie proclame son indépendance et affirme sa volonté d’être « réunifiée » avec la Roumanie. 28 août M. Boris Pankine est nommé au poste de ministre des Affaires étrangères en remplacement de M. Alexandre Bessmertnykh, limogé le 23 en raison de son attitude ambiguë durant le putsch. De nouveaux responsables sont désignés à la tête de l’agence Tass, de la radio-télévision nationale et de la Pravda. 29 août Le Soviet suprême suspend les activités du PCUS dans toute l’URSS et se dissout. La Russie signe avec l’Ukraine un accord de coopération qui garantit notamment le respect de leurs frontières communes. Elle fait de même avec le Kazakhstan le 30. 30 août L’Azerbaïdjan proclame son indépendance. 31 août L’Ouzbékistan et le Kirghizstan proclament leur indépendance. downloadModeText.vue.download 104 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 102 2 septembre Les États-Unis reconnaissent l’indépendance des trois États baltes. La Chine fait de même le 7. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie intègrent la CSCE le 10 et l’ONU le 17. 5 septembre Le Congrès des députés du peuple adopte un dispositif transitoire qui attribue aux Républiques de nombreuses prérogatives du pouvoir central. Il crée un organe exécutif, le Conseil d’État, composé du président soviétique et des dirigeants des Républiques qui acceptent le principe du maintien de l’Union. La signature d’un traité d’« union d’États souverains » et celle d’un traité d’union économique sont prévues. 6 septembre Le Conseil d’État reconnaît l’indépendance des pays Baltes. Leningrad reprend officiellement son ancien nom de Saint-Pétersbourg. Lundi 19 FRANCE Politique étrangère Au cours d’un entretien télévisé consacré au coup d’État en URSS, le président François Mitterrand adopte un ton mesuré à l’égard des putschistes. Très critiqué par l’opposition, il tente de se justifier le 21, lors d’un nouvel entretien. É TAT S ! U N I S Violences interethniques Dans le quartier new-yorkais de Brooklyn, à la suite d’un accident meurtrier de la circulation, de jeunes Noirs et des juifs orthodoxes s’affrontent pendant trois nuits. Mardi 20 INDE Troubles Assiégés par la police à Bangalore, des militants de l’organisation séparatiste sri lankaise du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul), assassins présumés de Rajiv Gandhi, se suicident (encadré Inde, la malédiction des Gandhi). Vendredi 23 FRANCE Accident maritime L’épave de la Jonque, le chalutier de Concarneau qui avait coulé dans des circonstances obscures le 14 mai 1987 au large de Brest, est renflouée à la demande de la justice. Les familles des marins ont accusé la Marine nationale, qui s’en défend, d’être responsable du naufrage. YOUGOSLAVIE Guerre civile Devant la pression militaire des autonomistes serbes de la région de Slavonie aidés par l’armée fédérale, les autorités de la République de Croatie appellent la population à s’organiser en vue d’une guerre totale. Samedi 24 FRANCE Cérémonie Au centre tibétain de la côte de Jaure, en Dordogne, où il anime un rassemblement bouddhique, le dalaï-lama célèbre la Journée pour la paix dans le monde aux côtés de l’abbé Pierre et du secrétaire d’État à l’action humanitaire, Bernard Kouchner. Lundi 26 MADAGASCAR Vie politique Nommé Premier ministre le 8, M. Guy Razanamasy forme un gouvernement qui ne comprend que deux membres de l’opposidownloadModeText.vue.download 105 sur 490 CHRONOLOGIE 103 tion. Il est rejeté par le « cabinet-bis » formé en juillet par M. Albert Zafy (23 novembre). Mardi 27 CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères imposent leur médiation dans la crise yougoslave, sur l’initiative de la France. Ils décident d’organiser une conférence de paix et de créer une commission d’arbitrage. Ils mettent en cause l’armée fédérale et exigent qu’un cessez-le-feu soit établi le 1er septembre. Les jours suivants, le plan est accepté par les six Républiques et par la direction collégiale. CAMBODGE Conflit Réunis à Pattaya, en Thaïlande, les quatre factions khmères qui composent le Conseil national suprême (CNS) s’entendent sur les aspects militaires du règlement de paix. Elles acceptent notamment que les effectifs des combattants soient réduits de 70 % (encadré Cambodge, les Khmers bougent). Mercredi 28 FRANCE Postes Le gouvernement du Chili réagit vivement à l’émission d’un timbre situant l’île de Pâques, chilienne depuis 1888, en Polynésie française. La France présente ses excuses et le timbre est retiré de la vente. LIBYE Irrigation À Benghazi, le colonel Muammar aiKadhafi inaugure la première tranche du « grand fleuve artificiel », pipe-line de plusieurs centaines de kilomètres de long destiné à transporter l’eau des nappes situées dans le sous-sol du désert vers les régions littorales. TOGO Institutions À Lomé, la Conférence nationale achève ses travaux après avoir adopté une Constitution instaurant un régime semi-présidentiel et nommé Me Kokou Koffigoh, un opposant modéré, Premier ministre jusqu’à l’élection présidentielle prévue en juin 1992. La plupart des prérogatives du président Gnassingbe Eyadéma lui sont attribuées. Liban L’exilé Après l’acceptation par la France des conséquences politiques des accords de Taëf conclus en octobre 1989, le « cas Aoun », qui revêtait un caractère symbolique pour les deux parties, constituait le dernier contentieux entre Paris et Beyrouth – ou Damas. La grâce accordée le 28 août au général maronite permet aux deux pays de rétablir leurs pleines relations. L’ex-commandant en chef de l’armée, nommé à la tête d’un gouvernement militaire à la fin du mandat du président Aminé Gemayel, en septembre 1988, avait exercé pendant deux ans sur l’enclave chrétienne de Beyrouth-Est un pouvoir plébiscitaire que le gouvernement civil régulier de M. Selim Hoss lui contestait. Après des mois d’affrontements meurtriers avec les forces libano-syriennes et de luttes fratricides avec la milice de M. Samir Geagea, un assaut massif le forçait à se réfugier à l’ambassade de France le 13 octobre 1990. Le gouvernement prosyrien l’accusait de rébellion, d’abus de pouvoir et de détournement de fonds. Lassés de cette guerre vaine, même ses plus fervents partisans accueillaient la paix avec soulagement. La situation était aussi gênante pour la France, dont M. Michel Aoun incarnait la mauvaise conscience d’avoir « lâché » l’Orient chrétien. Elle l’était aussi pour le Liban, pour lequel le général maronite constituait l’obstacle vivant à une totale réconciliation nationale. Le 26 août, le Parlement libanais adopte un projet de loi d’amnistie. Prévu par les accords de Taëf, celui-ci couvre toute la période du conflit depuis 1975. Deux jours plus tard, downloadModeText.vue.download 106 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 104 le président Elias Hraoui signe le décret de grâce du général Aoun et de ses deux compagnons, les généraux Edgar Maalouf et Issam Aboujamra. L’exdirigeant chrétien devra observer un exil de cinq ans et s’abstenir de toute activité politique. D’autre part, les autorités libanaises, syriennes et françaises s’entendent pour que le général Aoun ne soit pas autorisé à s’établir à Paris et que les 32 millions de dollars déposés à l’étranger, qui constituent son « trésor de guerre », soient gelés. Le 30, M. Michel Aoun gagne la France, qui lui a accordé l’asile politique, et s’installe avec sa famille, qui l’avait précédé, dans la luxueuse villa Deslys, à Marseille. Après quelques entretiens politiques avec la presse, il est rappelé à l’ordre par le gouvernement français (éd. 1991). Jeudi 29 FRANCE Vie politique À la suite de l’effondrement du Parti communiste de l’URSS, le chef de file des opposants à la direction du Parti communiste français, M. Charles Fiterman, appelle les militants du PCF – qui est « menacé dans son existence même » – à « animer l’effort de renouvellement de l’identité communiste ». Vendredi 30 SIERRA LEONE Institutions Lors d’un référendum, la nouvelle Constitution instaurant le multipartisme est approuvée par près de 60 % des votants. É TAT S ! U N I S Construction aéronautique La société Boeing annonce qu’elle met fin à la production du 707, dont le prototype avait effectué son premier vol le 15 juillet 1954. En 37 ans, 1 010 appareils de ce type ont été construits par la firme. SPORT Athlétisme À Tokyo, au cours des championnats du monde, l’Américain Mike Powell effectue un saut en longueur de 8,95 mètres. Il bat de cinq centimètres l’ancien record du monde. Samedi 31 SINGAPOUR Élections législatives Au pouvoir depuis 1959, le Parti d’action du peuple remporte 77 (– 3) des 81 sièges à pourvoir, perdant ainsi sa prépondérance politique absolue. Le mois de Vladimir Volkoff C’est peut-être le 20 août 1991 qu’a commencé le XXIe siècle. Un siècle libre de la menace communiste. Depuis le 7 novembre 1917, le monde entier n’était plus qu’une grosse grenouille de plus en plus fascinée par la couleuvre communiste qui s’apprêtait à l’avaler. Et voilà que la couleuvre, qui avait fait quelques bouchées de la Russie, de l’Europe de l’Est, de Cuba, une bouchée à peine plus grosse de la Chine, s’est révélée incapable d’avaler un homme qui la défiait. À peu près seul. Debout sur un char. Pas son char à lui : celui de l’ennemi, envoyé pour l’intimider dans un premier temps, pour l’éliminer si l’intimidation n’agissait pas. On a beaucoup parlé du Chinois arrêtant le char de Pékin. C’était beau. Ça n’a pas empêché la fusillade qui a suivi. On était toujours au XXe siècle, le siècle communiste. Le Russe, lui, est monté sur le char. Et il n’y a pas eu de fusillade. On était déjà au XXIe siècle. À moins, bien sûr, que notre espérance fragile ne soit fracassée et que le néocommunisme ne revienne en force. Si, dans les siècles futurs, on écrit l’histoire, on y rendra sûrement hommage à Mikhaïl Gorbatchev pour avoir porté la main sur l’édifice communiste et avoir déclenché une avalanche – qu’il était loin downloadModeText.vue.download 107 sur 490 CHRONOLOGIE 105 de prévoir. Il ne voulait, lui, que rendre le communisme plus efficace, ou au moins plus viable, ou au moins le retaper un peu, quoi... La démarche de Boris Eltsine est différente. Communiste nourri dans le sérail (à supposer que sérail soit une métaphore appropriée au Parti), apparatchik de haute volée, Boris Eltsine découvre, lui, que le communisme n’est pas réparable ; que, par conséquent, il devait être tordu dès le début. Deux bonds successifs de la pensée humaine, déjà estimables par eux-mêmes, mais, venant d’hommes politiques, presque incroyables. Surtout lorsqu’on pense à tous les frétillements et les tortillements, non pas tant des rouges que des roses occidentaux, qui, à défaut de la mise, voudraient tout de même sauver la face. Impossible, affirme Boris Eltsine. On ne peut rien sauver de cet héritage-là : il faut le refuser en bloc. On lui demande : « Avez-vous honte de ce qu’a fait ce parti dont vous étiez un membre éminent ? » Il répond : « Oui, j’ai honte. » Si le XXe siècle a commencé en retard, en 1914, par la plus grande catastrophe de tous les temps, le XXIe semble avoir pris de l’avance en allumant une flammèche d’espoir dans la nuit du 20 août 1991. Soufflons dessus. Pas trop fort. De peur de l’éteindre. VLADIMIR VOLKOFF downloadModeText.vue.download 108 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 106 Septembre Dimanche 1 AELE Le Liechtenstein Le Liechtenstein devient le septième membre à part entière de l’Association européenne de libre-échange, créée en mai 1960, qui regroupe l’Autriche, l’Islande, la Finlande, la Norvège, la Suède et la Suisse. Lundi 2 URSS Nationalités En conflit depuis trois ans avec la république mère musulmane d’Azerbaïdjan, aujourd’hui indépendante, la région autonome du Haut-Karabakh, principalement peuplée d’Arméniens, proclame à son tour son indépendance (23). CHINE Relations internationales Le Premier ministre britannique John Major est le premier dirigeant occidental à se rendre dans le pays depuis la répression du « printemps de Pékin ». Il déclare que « le monde n’a pas oublié juin 1989 ». Mardi 3 FRANCE Assurances La Fédération française des sociétés d’assurances et le ministère de la Santé concluent une convention qui engage les assureurs à ne plus refuser leurs services aux séropositifs. Depuis 1989, la plupart des compagnies exigeaient que les personnes voulant assurer des capitaux supérieurs à 1 million de francs subissent un test de dépistage de la maladie. Mercredi 4 URSS Nationalités En réaction à la proclamation d’indépendance de l’Ukraine, le 24 août, la république autonome de Crimée, qui en fait partie mais qui est peuplée majoritairement de Russes, vote une déclaration de souveraineté, « base de la future participation au traité de l’Union ». AFRIQUE DU SUD Institutions Devant un congrès extraordinaire du Parti national, le président Frederik De Klerk présente son projet de « gouvernement constitutionnel dans une démocratie participative », qui prévoit l’application du principe « un homme, une voix » revendiqué par les Noirs (encadré Apartheid, la nouvelle Afrique du Sud). Jeudi 5 FRANCE Partis politiques Menés par M. Charles Fiterman, 13 contestataires, sur les 142 membres du comité central du Parti communiste convoqué en downloadModeText.vue.download 109 sur 490 CHRONOLOGIE 107 séance extraordinaire, rejettent le rapport de la direction sur les événements d’août en URSS et l’effondrement du PCUS. É TAT S ! U N I S Justice À Miami s’ouvre le procès du général Manuel Noriega, ancien homme fort du Panamá, renversé à la suite de l’intervention de l’armée américaine en décembre 1989. L’accusé encourt 140 années de prison pour avoir, notamment, reçu 4,6 millions de dollars des cartels de la drogue colombiens (éd. 1990). Vendredi 6 ALLEMAGNE Vie politique Dernier chef du gouvernement est-allemand, M. Lothar de Maizière annonce sa démission de son poste de vice-président de l’Union chrétienne démocrate (CDU), pour cause de dissensions internes (22 février). URSS encadré URSS, le putsch VANUATU Vie politique À la suite du renversement par le parlement du Premier ministre Walter Lini, qui avait mené le pays à l’indépendance en 1980, M. Donald Kalpokas est élu à la tête du gouvernement de l’ancien condominium fran- co-britannique du Pacifique sud. M. Kalpokas avait remplacé M. Lini à la présidence du parti Vanuaaku le 7 août (2 décembre). S A H A R A O C C I D E N TA L Conflit Après l’arrivée d’un premier contingent de « casques bleus » de la force des Nations unies (MINURSO) à Laayoune le 5, l’accord de cessez-le-feu conclu en juin entre en vigueur. C’est la première étape du plan de paix de l’ONU qui doit conduire à un référendum d’autodétermination dans le territoire, au début de l’année 1992. SURINAM Élection présidentielle Le collège électoral élit à la tête de l’État M. Ronald Venetiaan, candidat du Front pour la démocratie qui représente les trois principales ethnies (Indiens, Créoles, Javanais). Le 16, il remplace M. Johan Kraag, installé par les militaires après leur coup d’État du 24 décembre 1990. Samedi 7 CEE Diplomatie Présidée par le Britannique lord Carrington, la conférence de paix sur la Yougoslavie s’ouvre à La Haye en présence des présidents des six républiques fédérées, des autorités fédérales et des ministres des Affaires étrangères des Douze. Aucun des accords de cessez-le-feu conclus au cours du mois n’est longtemps respecté sur le terrain (18). Dimanche 8 YOUGOSLAVIE Fédération 95 % des électeurs de la Macédoine se prononcent par référendum en faveur de l’indépendance de leur république. Elle est proclamée le 15. SPORT Tennis À Flushing Meadow, le Suédois Stefan Edberg bat l’Américain Jim Courier en finale des Internationaux des États-Unis (6-2, 6-4, 6-0). La veille, la Yougoslave Monica Seles avait emporté le titre féminin contre l’Américaine Martina Navratilova (7-6, 6-1). Mais le héros de l’épreuve est l’Américain downloadModeText.vue.download 110 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 108 Jimmy Connors, qui, à 39 ans, est parvenu en demi-finale. Lundi 9 FRANCE Présidence Avec 3 764 jours de présence à l’Elysée, M. François Mitterrand égale le record de longévité d’un président de la République française établi par le général de Gaulle. Accident Une information judiciaire est ouverte après l’irradiation subie en août par trois ouvriers intérimaires qui travaillaient sur l’accélérateur de particules d’une usine de Forbach (Moselle). G R A N D E ! B R E TA G N E Violences Après les banlieues d’Oxford, de Cardiff et de Birmingham en août, celle de Newcastle est pendant quatre jours le théâtre d’affrontements entre des groupes de jeunes et les forces de l’ordre. URSS Union La république du Tadjikistan proclame son indépendance. Mardi 10 CSCE Une réunion Une réunion de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe se tient à Moscou jusqu’au 4 octobre. Consacrée aux droits de l’homme, elle est en fait dominée par le problème des minorités en Europe. FRANCE Danse La compagnie de Merce Cunningham inaugure le festival d’Automne de Paris avec son spectacle Loosestrise, présenté en création mondiale au Théâtre de la Ville. Mercredi 11 FRANCE Politique étrangère Au cours de la sixième conférence de presse de sa présidence, M. François Mitterrand propose une réunion des quatre puissances atomiques en Europe (États-Unis, URSS, France, Grande-Bretagne), afin d’assurer le « strict contrôle » des armes nucléaires. LIBAN Conflit L’armée israélienne remet à la Croix-Rouge les corps de neuf membres du Hezbollah tués au Liban durant ces dernières années. De son côté, l’Armée du Liban-Sud (ALS), milice pro-israélienne, libère 51 prisonniers libanais détenus dans la « zone de sécurité » située à la frontière de l’État hébreu (24). Jeudi 12 FRANCE Relations internationales À Paris, le directeur de la Banque de France remet une barre d’or à son homologue de Lituanie. Ce geste symbolique annonce la restitution des 2 246 tonnes d’or lituanien conservées par la France depuis l’occupation de la République balte par l’URSS en 1939. LITUANIE v. France downloadModeText.vue.download 111 sur 490 CHRONOLOGIE 109 É TAT S ! U N I S Politique étrangère Le président George Bush menace d’opposer son veto à l’octroi de garanties bancaires, pour un montant de 10 milliards de dollars, sollicitées le 6 par Israël. Craignant que les prêts ne servent à financer la colonisation juive des territoires occupés, il propose d’en remettre de quatre mois le débat devant le Congrès afin de ne pas compromettre la Conférence de paix sur le ProcheOrient (encadré Proche-Orient, l’auberge espagnole). Vendredi 13 FRANCE Société Mis en cause par la presse dans l’affaire des fausses factures de la région nantaise, Yves Laurent, maire socialiste de Saint-Sébastien-sur-Loire (Loire-Atlantique) et chargé de mission auprès du ministre de la Ville, se donne la mort. IRAK Vie politique À l’issue du congrès du parti Baas, M. Saadoun Hammadi, Premier ministre depuis le 23 mars, est limogé. La nomination de son successeur, M. Mohamed Hamza el Zoubeidi, consacre le durcissement du régime. MAROC Répression Membre d’une organisation marxiste interdite, condamné à la réclusion perpétuelle en 1977 pour « complot contre la monarchie » et « atteinte à la sûreté de l’État », M. Abraham Serfaty est expulsé vers la France, qui réclamait sa libération et qui lui accorde l’asile politique. É TAT S ! U N I S Politique financière La Réserve fédérale abaisse le taux d’escompte de 5,5 % à 5 % afin de favoriser la reprise économique. É TAT S ! U N I S / U R S S Relations À Moscou, le secrétaire d’État américain James Baker et son homologue soviétique Boris Pankine concluent un accord sur l’arrêt de leur aide militaire respective à la rébellion et au gouvernement de l’Afghanistan au 1er janvier 1992. Samedi 14 ITALIE Cinéma Le Lion d’or de la 48e Mostra de Venise est attribué à Urga, du Soviétique Nikita Mikhalkov. AFRIQUE DU SUD Conflit Une vingtaine d’organisations politiques, syndicales et religieuses, dont l’ANC et le mouvement zoulou Inkatha, signent un accord destiné à mettre fin aux affrontements interethniques meurtriers dans les cités noires, qui ont encore fait 2 000 morts en un an. Le texte est paraphé par le président Frederik De Klerk. Dimanche 15 HONGKONG Élections législatives Lors du premier scrutin démocratique organisé dans la colonie britannique, les libéraux emportent 16 des 18 sièges soumis au suffrage universel sur les 60 que compte le Conseil législatif, simple chambre d’enregistrement. Malgré une participation infédownloadModeText.vue.download 112 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 110 rieure à 40 %, ces résultats constituent une défaite pour la Chine populaire. Le 21, le gouverneur nomme des représentants apolitiques au Conseil pour y remplacer des personnalités prochinoises. MAURICE Élections législatives L’Alliance gouvernementale (gauche) qui soutient M. Anerood Jugnauth, Premier ministre depuis 1982, remporte 57 des 62 sièges du Parlement. Suède Le « modèle » déposé Au pouvoir à Stockholm depuis 1932 – hormis une parenthèse « bourgeoise » de 1976 à 1982 –, les sociaux-démocrates avaient érigé leur régime politico-économico-social en « modèle ». Le royaume parvenait à marier protection sociale et croissance industrielle, dans le cadre d’une stabilité politique reposant sur un large consensus, tant populaire que partisan. Celui-ci n’existe plus. Le 15 septembre, 47,1 % des électeurs votent pour les quatre partis « bourgeois » (conservateurs, libéraux, centristes et chrétiens-démocrates ; 170 sièges au Riksdag), contre 38,2 % pour les sociaux-démocrates (138 députés). Premier ministre depuis mars 1986, M. Ingvar Carlsson démissionne le 16. Le 4 octobre, le conservateur Carl Bildt forme le nouveau gouvernement. Le modèle suédois reposait sur une négociation générale des salaires entre le patronat uni (SAF) et le syndicat unique (LO). Fondée sur les besoins du secteur exportateur, elle s’appliquait à toutes les entreprises. D’autre part, des prélèvements fiscaux élevés permettaient une politique d’« État-providence » axée sur la formation plus que sur l’indemnisation du chômage. Le haut niveau du PNB et les nombreuses « dévaluations compétitives » effectuées par le gouvernement aidaient beaucoup au fonctionnement du système. En 1991, il est prévu que la production industrielle baisse de 6 %, que le PNB recule de 1 %, que les prix augmentent de 9 % et que le taux de chômage dépasse 3 % – chiffre qui menace de doubler en 1992. Provoquée principalement par l’envolée des salaires, la crise que traverse la Suède révèle, selon le bloc bourgeois, l’échec du modèle, et, selon les sociaux-démocrates, ses excès. Depuis quelques années, ceux-ci ont introduit une dose de libéralisme dans leur politique, en levant le contrôle des changes, en réduisant les impôts, en limitant l’interventionnisme de l’État, en effectuant des privatisations partielles et en modifiant le régime laxiste de l’assurance-maladie. Trop peu et trop tard selon l’opinion. En Suède, comme dans tous les pays qui s’habituent à la richesse, le repli sur les valeurs-refuges et sur l’individualisme commence à l’emporter sur la solidarité, base du fameux modèle. L’entrée au Parlement des chrétiens-démocrates (7,2 % des voix ; 26 députés) et surtout les 6,8 % de suffrages recueillis par la Nouvelle Démocratie le prouvent. Créé en février, ce parti populiste a fait campagne sur le refus des impôts, de la bureaucratie... et des contraventions automobiles. Avec 25 députés, il jouera le rôle d’arbitre aux côtés d’une coalition « bourgeoise » minoritaire dépourvue de cohésion. Lundi 16 FRANCE Politique économique Le Premier ministre Édith Cresson présente un « plan global » pour les PMEPMI. Annoncé comme la première étape du « programme Matignon », ce dispositif comprend principalement des mesures fiscales qui correspondent à des abandons de recettes de 8,2 milliards de francs pour 1992 et 1993 (25). PROCHE!ORIENT Conflit Le secrétaire d’État américain James Baker effectue jusqu’au 20 sa septième tournée dans la région depuis mars. PHILIPPINES Vie politique Le Sénat refuse de ratifier l’accord conclu le 17 juillet avec les États-Unis sur la reconduction pour dix ans du bail de la base navale de Subic Bay. Le Sénat et le gouvernedownloadModeText.vue.download 113 sur 490 CHRONOLOGIE 111 ment s’entendent sur un délai d’évacuation de trois ans. Mardi 17 ONU L’Assemblée générale L’Assemblée générale approuve par acclamation l’entrée dans l’organisation des deux États coréens, ainsi que des États fédérés de Micronésie, des îles Marshall et des trois États baltes. Ces admissions portent à 166 le nombre de membres des Nations unies. FRANCE Vie politique Lors de la première audition publique de la Commission d’enquête parlementaire sur le financement des partis, le président du Front national, M. Jean-Marie Le Pen, qui n’était pas invité, dénonce le « climat de corruption de la vie publique ». SUISSE Société Les magasins d’alimentation Migros et les restaurants Mövenpick annoncent qu’ils renoncent à vendre du foie gras, afin de protester contre le gavage des oies. URSS Réhabilitation La justice soviétique lave Alexandre Soljenitsyne de l’accusation de « trahison » qui avait conduit à son exil forcé en 1974. LIBERIA Conflit La réunion en Côte-d’Ivoire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aboutit à un accord avec le chef du Front national patriotique du Liberia (FNPL), Charles Taylor. Les rebelles du FNPL, qui contrôlent 90 % du territoire libérien, acceptent de déposer les armes si la Force ouest-africaine d’interposition (ECOMOG), qui protège le gouvernement intérimaire de M. Amos Sawyer, est réorganisée. Mercredi 18 FRANCE Relations internationales Allemagne Budget Le Conseil des ministres adopte le projet de loi de finances pour 1992. Un frein est imposé aux dépenses publiques, en hausse de 2,9 % seulement par rapport à 1991. En l’absence d’augmentation des impôts de l’État, les recettes ne progressent que de 2,6 %. Le déficit prévu est de près de 90 milliards de francs (16 novembre). ALLEMAGNE Relations internationales La visite de trois jours à Bonn et dans l’exRDA qu’effectue le président François Mitterrand permet un rapprochement des positions des deux pays en matière de politique européenne, notamment sur les dossiers de l’union économique et monétaire, de la crise yougoslave et de l’élargissement de la CEE. YOUGOSLAVIE Conflit Les combats meurtriers qui opposent depuis juillet les Croates aux Serbes appuyés par l’armée fédérale gagnent Zagreb, capitale de la Croatie. 20 % du territoire de la république sont contrôlés par les Serbes. Tandis que les Croates assiègent les casernes fédérales, la marine de guerre fédérale impose un blocus aux ports de la côte adriatique (7 et 19). A F G H A N I S TA N Vie politique Désireux d’« assurer l’unité nationale », le gouvernement décide de restaurer la downloadModeText.vue.download 114 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 112 citoyenneté de l’ancien roi Zaher Shah, qui avait été privé de ses droits et s’était exilé à la suite de l’instauration du régime procommuniste en avril 1978. Jeudi 19 CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères des Douze ne s’accordent pas sur l’envoi en Croatie d’une force européenne d’interposition, comme l’avaient proposé la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. La France demande que le Conseil de sécurité de l’ONU se saisisse du dossier (18 et 20). AUTRICHE Archéologie Le corps momifié d’un homme ayant vécu à l’âge du bronze ancien (2000-1800 av. J. C.) est découvert à 3 200 mètres dans le glacier du Similaun, à la frontière italienne. Ses vêtements et ses instruments l’identifient comme un chasseur. AFRIQUE DU SUD Relations internationales Le ministre délégué de l’Industrie et du Commerce extérieur, M. Dominique Strauss-Kahn, est le premier membre d’un gouvernement français à se rendre à Pretoria depuis 1975. L’ANC tente de freiner ce rapprochement économique qu’il juge prématuré. La France maintient son embargo sur le charbon sud-africain. Vendredi 20 FRANCE Justice Chargé d’instruire le dossier de l’attentat contre un DC-10 d’UTA, le 19 septembre 1989, le juge Jean-Louis Bruguière présente aux familles des 170 victimes, à huis clos, un film reconstituant les faits. Il déclare disposer d’un « faisceau de preuves et de présomptions » qui impliquerait les services de renseignement de la Libye. YOUGOSLAVIE Conflit L’armée fédérale lance une offensive blindée dans la partie de la Croatie qui borde la Voïvodine. Les villes de Vukovar, Osijek et Vinkovici sont encerclées (19 et 25). Samedi 21 FRANCE Terrorisme Chargé de l’instruction du dossier sur l’assassinat de Chapour Bakhtiar, M. JeanLouis Bruguière inculpe Massoud Hendi de « complicité d’assassinat ». Cet Iranien aurait aidé les tueurs à entrer en France. Immigration Dans un article publié par le Figaro Magazine, M. Valéry Giscard d’Estaing se prononce en faveur de la substitution du « droit du sang » au « droit du sol » pour l’acquisition de la citoyenneté française. Il qualifie d’« invasion » le phénomène migratoire en France. Ses propos suscitent de vives réactions dans la classe politique. Musique Après sa réfection, le Théâtre impérial du château de Compiègne, dont la construction avait débuté en 1867 pour être interrompue en 1870, accueille le public pour la première fois. Pierre Jourdan y met en scène l’opéra Henry VIII de Camille Saint-Saëns. downloadModeText.vue.download 115 sur 490 CHRONOLOGIE 113 URSS Union Les Arméniens se prononcent massivement, par référendum, en faveur de l’indépendance de leur république. Dimanche 22 ALLEMAGNE Violences Les autorités du Land de Saxe (ex-RDA) se décident à prendre des mesures pour mettre fin aux attaques répétées, depuis le 17, à Hoyerswerda, d’un foyer d’immigrés vietnamiens et mozambicains par des néonazis. Lundi 23 URSS Nationalités Les présidents de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan signent un accord de cessez-le-feu négocié grâce à la médiation du président russe Boris Eltsine et de son homologue kazakh (2). IRAK Défense Des experts de l’ONU, qui avaient saisi des documents concernant les recherches nucléaires irakiennes, sont retenus à Bagdad par l’armée pendant douze heures, puis de nouveau du 24 au 27. Zaïre Mobutu chahuté Une inflation de 500 %, un pays riche ruiné par une mauvaise gestion, une unité nationale en décomposition, un isolement international croissant, une corruption et un népotisme omniprésents : « Le bilan de 31 ans d’indépendance est globalement négatif », avait affirmé le Premier ministre lors de l’ouverture de la Conférence nationale, le 7 août. En allant au-devant des remarques de l’opposition, M. Mulumba Lukoji tentait d’éviter au régime du président Mobutu Sese Seko, qui a accordé le multipartisme en avril 1990, d’être à son tour balayé par le processus de démocratisation en cours en Afrique. Il est bientôt dépassé par la réalité. Le 23 septembre, la mutinerie d’une brigade de l’armée dont la solde n’a pas été payée conduit à deux jours d’émeutes et de pillages à Kinshasa et dans les grandes villes du pays. Militaires et civils s’en prennent aux magasins ainsi qu’aux biens des coopérants étrangers, dont ils épargnent les personnes. 10 500 Belges et 6 000 Français vivent dans l’ancien Congo belge. Dès le 24, près d’un millier de parachutistes français et belges interviennent, avec l’accord des autorités, afin de protéger l’évacuation des ressortissants de leurs pays. Elle se déroule dans le calme. La répression des troubles par les forces loyalistes fait officiellement 117 morts. Le 29, après avoir octroyé aux militaires une solde exceptionnelle, le maréchal Mobutu nomme à la tête de l’armée un de ses fidèles, le général Mahele Liyeko, et charge le chef de file de l’opposition, M. Étienne Tshisedeki, de former le gouvernement. Cette double nomination illustre la séparation entre pouvoir militaire et pouvoir politique. La lutte s’engage aussitôt entre le maréchal-président, qui exige que l’ex-parti unique détienne la moitié des portefeuilles, et M. Tshisedeki, qui affirme son intention de ne pas partager le pouvoir, et qui traite bientôt M. Mobutu de « monstre ». Mais en dépit d’un accord sur la composition du gouvernement, le président Mobutu révoque M. Tshisedeki le 21 octobre. De nouvelles émeutes éclatent à travers le pays. La nomination de M. Mungul Diaka au poste de Premier ministre, le 23, ne les fait pas cesser. Ancien membre de la « nomenklatura » passé dans l’opposition – tout comme M. Tshisedeki –, M. Diaka est jugé trop docile par celle-ci. Ce gage accordé aux Occidentaux par le maréchal Mobutu – il avait d’abord songé à nommer un militaire – ne trompe personne. Le 25, Paris et Bruxelles décident de rapatrier leurs troupes. Dernier pays à fournir une aide de coopération au Zaïre, la France annonce qu’elle met fin à celle-ci. « Personne n’a le droit de me dicter ma conduite », s’indigne le président zaïrois. Le 31 octobre, l’opdownloadModeText.vue.download 116 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 114 position décide de former un « gouvernementbis » (25 novembre). Mardi 24 FRANCE Justice Dans l’affaire des irrégularités commises à l’occasion de l’arrestation des « Irlandais de Vincennes », le 28 août 1982, le tribunal correctionnel de Paris condamne le préfet Christian Prouteau et M. Jean-Michel Beau, ancien officier de gendarmerie, à quinze mois de prison avec sursis pour « complicité de subornation de témoins ». L’ancien capitaine Paul Barril bénéficie des effets de la prescription. ALLEMAGNE Espionnage Chef des services de renseignements estallemands jusqu’en 1987, M. Markus Wolf, qui s’était réfugié en URSS en 1990 puis avait gagné l’Autriche au début du mois, offre sa reddition à la justice allemande. URSS Troubles Après l’occupation de l’immeuble de la radiotélévision de Tbilissi par des opposants le 22, le président Zviad Gamsakhourdia instaure l’état d’urgence en Géorgie. La garde nationale s’est ralliée aux manifestants qui critiquent son autoritarisme et réclament sa démission depuis le 2 (12 octobre et 22 décembre). LIBAN Otages L’Organisation de la justice révolutionnaire libère le Britannique Jack Mann, âgé de 77 ans, enlevé à Beyrouth le 12 mai 1989 (11). Mercredi 25 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte la résolution 713 qui impose un embargo sur les livraisons d’armes à destination de la Yougoslavie. Par respect du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, il refuse l’envoi d’une force d’interposition réclamée par la France. FRANCE Formation professionnelle Le Premier ministre Édith Cresson présente au Conseil des ministres un plan en faveur de l’apprentissage, second volet du « programme Matignon ». Le nombre d’apprentis doit passer de 200 000 à 400 000 en cinq ans (16). Transports M. Bernard Attali, président d’Air France, annonce un plan stratégique qui vise à sortir la compagnie du déficit d’ici à 1993. Il prévoit 3 000 suppressions d’emploi et l’abandon de la marque UTA. ROUMANIE Troubles À Bucarest, durant trois jours, des milliers de mineurs venus protester contre la politique de rigueur du gouvernement affrontent les forces de l’ordre. Cinq personnes sont tuées. Le Premier ministre Petre Roman présente sa démission, qui est acceptée par le président Ion Iliescu le 27. Il est remplacé le 1er octobre par son ministre des Finances Theodor Stolojan. IRAK Défense Après les menaces du président George Bush et le transfert en Arabie Saoudite de nouveaux armements américains, les autorités acceptent le survol de leur territoire par des hélicoptères des Nations unies. Ces appareils doivent transporter les experts downloadModeText.vue.download 117 sur 490 CHRONOLOGIE 115 chargés de surveiller l’élimination des armes de destruction massive. É TAT S ! U N I S Édition La suite d’Autant en emporte le vent, écrite par Alexandra Ripley et intitulée Scarlett, est publiée simultanément dans dix pays, dont la France. L’éditeur Warner Books a versé 4,5 millions de dollars aux descendants de Margaret Mitchell pour obtenir leur autorisation. SALVADOR Guerre civile Après douze ans d’affrontements qui ont fait 75 000 morts, le gouvernement et la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) parviennent à un accord de principe. Conclu sous l’égide du secrétaire général de l’ONU Javier Perez de Cuellar, le texte prévoit une réforme de l’armée, en plus de celle des institutions déjà acceptée (31 décembre). Jeudi 26 ENVIRONNEMENT Le Xe congrès forestier mondial Le Xe congrès forestier mondial, organisé à Paris depuis le 17, aboutit à un compromis entre la volonté de sauvegarde exprimée par les pays du Nord et la liberté d’exploitation revendiquée par les pays du Sud. JAPON Relations internationales L’empereur Akihito entame à Bangkok la première visite d’un souverain nippon en Asie du Sud-Est depuis la Seconde Guerre mondiale. Présentée comme une tournée de réconciliation, celle-ci le conduit en Thaïlande, en Malaisie et en Indonésie. Vendredi 27 FRANCE Politique étrangère En dépit des protestations de la Chine populaire, le gouvernement autorise les industriels français à vendre à Taïwan des coques de frégates non armées. États-Unis/URSS La « pax universalis » Signé le 31 juillet par les États-Unis et l’URSS, le traité START sur la réduction des armements stratégiques est obsolète avant même d’avoir été ratifié. Présenté comme un événement « historique » après des années de mise au point, il est dépassé par les surenchères de ses signataires. Le 27 septembre, le président George Bush présente une initiative de désarmement nucléaire unilatérale à laquelle le président Mikhaïl Gorbatchev s’associe bientôt. Après avoir évoqué, le 23, devant l’Assemblée des Nations unies, le « partage des responsabilités » dans l’établissement d’une pax universalis, M. Bush tire les enseignements pratiques des récents événements de Moscou. Ceux-ci ont révélé les conséquences possibles de l’éclatement de l’Union sur la maîtrise des armements nucléaires. Il s’agit donc de donner au président de l’URSS les moyens de contrôler... son désarmement. M. Bush annonce l’élimination des armes à courte portée basées à terre ou en mer et propose celle des missiles balistiques à têtes multiples basés à terre. Il suspend l’état d’alerte permanent des bombardiers stratégiques et renonce à moderniser les mis- siles Midgetman et MX. Il propose enfin d’associer l’URSS au programme de défense antimissile issu de la « guerre des étoiles ». Le président américain précise qu’il attend de son homologue soviétique des mesures analogues. Dès le lendemain, le chef du Kremlin déclare approuver dans son principe le plan américain. La France et la Grande-Bretagne s’en félicitent, tout en défendant leur « dissuasion minimum ». Le 5 octobre, M. Gorbatchev présente ses contrepropositions. Approuvant l’élimination des armes tactiques citées par M. Bush, il va plus loin en prodownloadModeText.vue.download 118 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 116 posant la destruction des armes de courte portée aéroportées. Or celles-ci demeurent le seul instrument américain de défense sur l’Europe dans la doctrine du « couplage » appliquée par l’OTAN. Il approuve la suspension de l’alerte atomique permanente et des programmes d’armements stratégiques en cours ; il annonce une réduction de son arsenal stratégique plus importante que celle prévue par le traité START, ainsi que la diminution de 700 000 hommes des effectifs de l’Armée rouge ; il se déclare prêt à collaborer au projet de « guerre des étoiles » ; enfin, il annonce un moratoire unilatéral d’un an sur les essais nucléaires. Samedi 28 PROCHE!ORIENT Conflit À Alger, le Conseil national palestinien, parlement en exil de l’OLP, accepte le principe d’une participation palestinienne à la conférence de paix israélo-arabe. Aboul Abbas, qui était accusé de terrorisme par les ÉtatsUnis, annonce sa démission du Comité exécutif de l’organisation (éd. 1991). SALVADOR Justice Premier militaire de ce rang à être ainsi jugé, un colonel est reconnu coupable d’avoir été l’instigateur de l’assassinat de six prêtres jésuites et de deux femmes, en novembre 1989. Dimanche 29 ALGÉRIE Troubles Instauré le 5 juin pour contrer l’agitation islamiste, l’état de siège est levé. France Jacquerie « Pas de pays sans paysans ! » La dernière manifestation du monde agricole à Paris remontait à 1982. Mme Édith Cresson était alors ministre de l’Agriculture. Le 29 septembre, ils sont 200 000 à arpenter le pavé de la capitale à l’appel de la FNSEA et du CNJA, pour attirer l’attention du pays sur leur sort. La manifestation, qui se déroule dans le calme et la bonne humeur, est précédée d’une distribution de produits régionaux dans diverses mairies d’arrondissement. Baisse des cours de la viande bovine et ovine, fiscalité lourde et inadaptée, imbroglio et saupoudrage des aides sectorielles, importations des pays de l’Est, projet de réforme de la PAC, menace du GATT : les revenus agricoles ont diminué en moyenne d’un quart en vingt ans ; durant la même période, plus d’un million d’emplois ont disparu ; l’endettement des exploitants devient insupportable. Déçus de n’être pas écoutés, les paysans – jeunes et en total désarroi pour la plupart – se font entendre depuis quelque temps. Ils accrochent des carcasses de moutons aux grilles des préfectures, arrosent de purin les façades des sous-préfectures, incendient les perceptions, détruisent les chargements des camions immatriculés à l’étranger, bousculent les gendarmes. Engagées avant la manifestation du 29 septembre, ces jacqueries s’intensifient après l’annonce par le ministre Louis Mermaz d’un plan d’urgence pour les éleveurs. Le 9 octobre, ce dernier présente une série de mesures sociales et fiscales à court terme destinées à satisfaire les revendications les plus urgentes autant qu’à mettre fin à l’agitation des campagnes. Les intéressés jugent l’effort insuffisant. Durant le mois d’octobre, une trentaine de déplacements ministériels en province doivent être annulés. Le président n’est pas épargné. Le 19, M. François Mitterrand convoque une cellule de crise chargée de faire respecter l’autorité de l’État. Le 22, sur les ondes de France-Inter, il dénonce les « bandes » d’agriculteurs qui « mettent en péril la République ». Mais, dans une déclaration au Journal du Centre du 24, le président approuve la plupart des revendications paysannes et propose la réunion d’« états généraux » sur les zones rurales. Ceux-ci sont convoqués pour le premier semestre 1992. Les dirigeants agricoles appellent au calme, qui revient bientôt. downloadModeText.vue.download 119 sur 490 CHRONOLOGIE 117 Lundi 30 É TAT S ! U N I S Marée noire L’État d’Alaska et la société Exxon parviennent à un accord sur la réparation des dégâts causés par l’échouage du pétrolier Exxon-Valdez dans la baie du PrinceGuillaume, le 24 mars 1989. La compagnie, qui a déjà consacré plus de 2 milliards de dollars aux opérations de nettoyage, devra verser 1,025 milliard de dollars d’indemnités aux victimes civiles. HAÏTI Coup d’État Premier président du pays élu démocratiquement, en décembre 1990, le père JeanBertrand Aristide est renversé par un putsch dirigé par le général Raoul Cédras, commandant en chef de l’armée. L’ancien chef des « tontons-macoutes », Roger Lafontant, est tué dans sa prison. Le 1er octobre, le père Aristide parvient à quitter l’île, où l’armée fait régner la terreur. Le mois de Raymond Lacombe Le 29 septembre, nous étions 300 000 ! 300 000 ruraux venus à Paris depuis les plus profonds terroirs de France témoigner dans le calme et la dignité de notre désarroi présent, de nos espoirs de demain. 300 000 agriculteurs, artisans, commerçants, élus de nos bourgades..., réunis en famille pour rappeler à nos cousins de la ville que, même aujourd’hui, à l’heure des hypermarchés et des satellites, sous les pavés, il y a partout et il y aura toujours la terre. Étonnés de notre nombre, de cette ambiance à la fois grave et bon enfant qui s’imposait à tous, c’est pourtant avec angoisse que nous foulions le bi- tume de la capitale : la France entendrait-elle notre cri d’alarme, comprendrait-elle notre message ? L’agriculture française se meurt, et avec elle dépérit l’ensemble du monde rural. Le milieu urbain, quant à lui, implose sous les coups d’une surconcentration anarchique. L’un souffre d’anémie, l’autre d’obésité. Mais combien de temps une tête qui ne cesse d’enfler peut-elle survivre à un corps atrophié ? Nous sommes bien loin du combat corporatiste. C’est une véritable question de société qui est ainsi posée aux pouvoirs publics et à tous les Français. C’est alors qu’en ce premier dimanche d’automne, en ce « Dimanche des terres de France », l’inespéré se réalise. Autour des hommes, des produits et des musiques de nos régions, les langues se délient et retrouvent les accents oubliés. La surprise, voire la suspicion s’effacent. Les a priori s’effondrent. La communion est parfaite entre deux mondes à qui l’on a trop longtemps fait croire qu’ils pouvaient s’épanouir l’un sans l’autre. Parisiens et ruraux redécouvrent cette précieuse alchimie des différences, qui a fait de la France un pays envié dans le monde entier, une terre de cocagne riche d’une diversité sans pareille. Ce 29 septembre 1991 à Paris, une longue marche commence. Elle interroge directement les pouvoirs publics et les élus de la nation. Sauront-ils saisir cette chance, et enfin envisager le vrai débat d’aménagement du territoire qui permettra de dessiner, par une planification forte et un engagement de l’État, une nouvelle carte économique et sociale respectant les équilibres entre ville et campagne ? Nous le savons, le chemin est encore long et semé d’embûches. Mais, s’il est vrai qu’il n’y a que le premier pas qui coûte, alors nous pouvons tout de même être optimistes. Car, ce premier pas, nous l’avons fait ensemble, le dimanche 29 septembre 1991. RAYMOND LACOMBE président de la FNSEA Météo : l’Été La dernière décade de juin débute avec des températures de saison, de 2 à 5 °C supérieures aux normales, et s’achève dans la fraîcheur. Pendant cette période, marquée par le passage de plusieurs perturbations peu actives et le renforcement des pressions les 29 et 30, les précipitations sont faibles. Signalons cependant les violents orages, accompagnés de grêle et très localisés, qui ont salué l’arrivée de l’été. Le 22 juin, Mirecourt, Poussay et Mazirot, dans les Vosges, ont subi un déluge de downloadModeText.vue.download 120 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 118 grêle ; en Bourgogne, une centaine d’hectares des vignes les plus prestigieuses de la Côte-de-Nuits (Chambertin, Charmes, Clos-la-Roche...) ont été ravagés par la pluie et la grêle. Juillet est chaud et orageux. Les températures sont supérieures aux normales de 1 °C dans l’Ouest et en Corse, de 1 à 2 °C dans le Nord, le Sud-Ouest, le Sud-Est et le Centre-Est, de plus de 2 °C dans le Nord-Est. Quelques records sont battus ; pour les températures maximales : 35,7 °C à Nevers, 37,5 °C à Auxerre le 11 ; 36,9 °C à Montpellier le 13, 38 °C à Nîmes-Courbessac le 20 et, parmi les minimales élevées : 23,2 °C à Carpentras le 9 et à Salon-de-Provence le 15. Les précipitations sont excédentaires dans le Nord et le Sud-Ouest, normales dans l’Ouest et le Nord-Est, déficitaires dans le Centre-Est (28 %), le Sud-Est (53 %) et la Corse (57 %). Les pluies orageuses, abondantes et souvent intenses enregistrées du 4 au 7 et les 29 et 30 juillet, ont la même origine : l’advection depuis le sud d’air chaud et humide imputable à la présence de gouttes froides d’altitude. Parmi les précipitations remarquables, nous retiendrons : 66 mm à Quimper le 5 et 58 mm le 6 ; 52 mm à Lille le 7 et surtout le 30, 265 mm à Châteauneuf-du-Pape, 195 mm à Orange ou 200 mm à Roquemaure. Ces dernières pluies ont provoqué des inondations brutales dans le Gard et le Vaucluse. Au 31 juillet, le bilan hydrique diffère d’une région à l’autre. Le rapport R/RU de la réserve disponible à la réserve utile est supérieur à 50 % en Picardie, en Bretagne, dans le Cotentin et dans le Nord, mais il est inférieur à 10 % dans la Limagne, le Lyonnais, le Bourbonnais, en Touraine et en Alsace. Ailleurs dans le monde, l’actualité est dominée par des inondations dévastatrices et meurtrières consécutives à des pluies exceptionnelles. Tel est le cas en Corée du 19 au 22 juillet, en Roumanie du 26 au 29 (près de 100 morts), en Inde où, le 30, un village est détruit par la crue subite d’une rivière (500 morts). En Chine, où les pluies de mousson downloadModeText.vue.download 121 sur 490 CHRONOLOGIE 119 n’ont pas cessé depuis la mi-mai, les eaux du Yangzi Jiang et de ses affluents ont submergé des millions d’hectares dans le Anhui, le Jiangsu, le Hubei et le Shandong. Le bilan de l’inondation du siècle est très lourd : près de 2 000 morts, des millions de sans-abri, les cultures anéanties... En Espagne, la chaleur caniculaire a fait plus de 100 morts entre le 15 et le 22 ; à New York, la température s’est maintenue à 38 °C sous abri du 20 au 23 juillet ! Août Ce mois restera dans les mémoires comme très chaud et sec. Les températures moyennes sont supérieures de 2 °C aux normales sur tout le pays ; l’écart est de 2,6 C dans le Sud-Est, de 2,8 °C dans le Nord-Est et même de 4,1 °C dans le Sud-Est. De nombreux records sont battus : 37,5 °C à Albi et 37 °C à St-Girons le 6 ; 36,3 °C à Bergerac le 25 ; 37,7 °C à Agen, 39,5 °C à Beauchalot et 41,2 C à Trensacq le 28. Août 91 a été le mois le plus chaud à Toulouse-Blagnac depuis 1947, avec 24,2 °C et à Bourges depuis 1913, avec 22,5 °C. Précisons que les 320 heures d’ensoleillement mesurées à Bourges sont un nouveau record en la matière. Le déficit pluviométrique supérieur à 60 % quelle que soit la région considérée a dépassé 70 % dans le Nord-Est, le Sud-Est et la Corse. La modicité des pluies s’explique par la faible activité des rares perturbations qui ont traversé le pays et par l’établissement plus ou moins durable de pressions élevées. Les pluies les plus intenses ont été relevées sous orages le 31 dans le Sud-Ouest : 35 mm en 1 heure à Mont-de-Marsan, 27 mm en 40 minutes à Dax ou 61 mm en 30 minutes à Haut-Maves. Au 31 août, les réserves en eau dans l’horizon supérieur des sols sont très faibles dans tout le pays. Au sud de la ligne La Rochelle-Metz, le rapport R/ RU est inférieur à 10 % ou même nul. Au nord de cette ligne, il n’est qu’exceptionnellement supérieur à 40 %, comme en Bretagne, dans le Cotentin et en Picardie, par exemple ; 40 départements contre 27 en juillet ont pris des mesures visant à réduire la consommation d’eau. Certaines régions du monde ont connu des intempéries catastrophiques. Du 2 au 4 août, les pluies torrentielles qui s’abattent sur le Tyrol, la région de Linz et la Bavière provoquent coulées de boue, glissements de terrain et inondations. À Passau (Bavière), le Danube atteint sa cote maximale. Du 17 au 19, l’ouragan Bob a balayé la côte est des États-Unis. En Asie du Sud-Est, la mousson est très abondante et les typhons très nombreux. Septembre Les deux premières décades du mois se caractérisent par des températures élevées et de courts épisodes pluvieux (du 4 au 7 et du 10 au 13). Les températures maximales atteignent des valeurs record dans l’Ouest le 5 : 32,6 °C à Vannes, 30,6 °C à Lorient… mais le 13, la première gelée, avec 0,5 °C est observée à Villacoublay. Les pluies orageuses qui se sont abattues sur la Gironde le 5, la région toulousaine les 10 et 11, les Cévennes le 11 (46 mm en 1 heure à Vialat) ou sur la région de Marseille le 12 ont provoqué des inondations spectaculaires. Elles ont surtout contribué à améliorer le bilan hydrique des sols ; le rapport R/RU est supérieur à 40 % sur plus de la moitié du pays. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 122 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 120 Octobre Mardi 1 FRANCE Transports Le Premier ministre, Mme Édith Cresson, inaugure la ligne de métro sans pilote ORLYVAL, qui relie la gare RER d’Antony à l’aéroport d’Orly. TCHÉCOSLOVAQUIE Relations internationales En visite à Paris, le président Vaclav Havel signe avec M. François Mitterrand un traité d’amitié et de coopération. Le 3, les chefs de la diplomatie tchécoslovaque et soviétique paraphent un traité similaire ; le 6, un troisième traité est signé avec la Pologne (8). Mercredi 2 FRANCE Publicité Le premier groupe français, Eurocom, et le troisième, Roux-Séguéla-Cayzac-Goudard (RSCG), annoncent leur fusion. Euro-RSCG devient le premier publicitaire européen et le sixième mondial. CEE Turbulences Pour les Douze, principalement occupés à bâtir une Union économique et monétaire ainsi qu’une politique étrangère et de sécurité commune, la politique industrielle ne constitue toujours pas une priorité. Ce domaine est absent du traité de Rome de 1957 comme de l’Acte unique de 1986. Le respect du libre jeu de la concurrence tient en revanche une large place dans l’un et l’autre texte, comme garantie du développement harmonieux d’un grand marché sans frontières internes. Mais quelle place doivent occuper les exigences de la concurrence interne au regard de celles de la compétition internationale ? C’est le problème que soulève le veto opposé le 2 octobre par la Commission de Bruxelles au rachat de l’avionneur canadien De Havilland au groupe Boeing par les constructeurs français Aérospatiale et italien Alenia. Le 21 décembre 1989, sous la présidence française, les ministres des Douze décidaient qu’à partir du 1er octobre 1990, les concentrations d’entreprises donnant naissance à des groupes de plus de 5 milliards d’écus (35 milliards de francs) de chiffre d’affaires seraient soumises à l’autorisation de la Commission. Les 52 concentrations étudiées depuis lors, comme le mariage Renault-Volvo ou la fusion entre Air France, Air Inter et UTA, ont toutes été approuvées par la direction générale de la concurrence, sous réserve, parfois, de certains aménagements. Le commissaire britannique Sir Leon Brittan justifie ce premier avis négatif, entériné par la Commission puis par le Parlement de Strasbourg, par la menace que ferait peser sur ses concurrents européens – en l’occurrence British Aerospace et Fokker – le nouvel ensemble, qui s’approprierait 50 % du marché mondial et 67 % du marché européen des avions de transport régional. Mais les principaux concurrents des ATR franco-italiens et des Dash canadiens sont fabriqués au Brésil ou en Indonésie plus qu’en Europe, où la Commission elle-même préconise la restructuration d’un secteur aéronautique que sa surcapacité industrielle rend vulnérable. En bon Britannique, M. Brittan a fait prévaloir le réflexe de protection des Européens contre la CEE sur celui de l’engagement de l’Europe dans le monde de demain, mais la Commission souhaitait aussi rappeler à l’ordre la downloadModeText.vue.download 123 sur 490 CHRONOLOGIE 121 France, trop peu soucieuse de la réglementation européenne à ses yeux. Jeudi 3 ALLEMAGNE Cérémonie À Hambourg, la célébration de la première « fête de l’unité » donne l’occasion aux dirigeants de condamner les violences xénophobes dirigées contre les immigrés, qui se poursuivent toutefois au cours du mois à travers le pays. YOUGOSLAVIE Conflit Après avoir constaté le « danger de guerre imminent », les représentants de la Serbie et du Monténégro ainsi que des provinces autonomes serbes du Kosovo et de la Voïvodine accordent à la présidence collégiale réduite au « bloc serbe » le droit constitutionnel de gouverner par décrets ainsi que le commandement suprême de l’armée fédérale (8). Prix Nobel Bulletin de victoire « C’est un honneur pour l’Afrique du Sud », a déclaré le président Frederik De Klerk à l’annonce de l’attribution, le 3 octobre, du prix Nobel de littérature à Nadine Gordimer, distinguée par l’Académie suédoise pour son talent à décrire « les conséquences qu’impliquent pour les êtres humains les distinctions raciales ». Mais en Afrique du Sud, les comptes rendus officiels de l’événement n’ont pas évoqué l’aspect politique des romans de Nadine Gordimer, ni son engagement personnel aux côtés de Nelson Mandela. Les réactions des autorités sont toutefois très différentes de celles qui avaient marqué l’attribution du prix Nobel de la paix 1984 à l’archevêque anglican du Cap, Mgr Desmond Tutu. Cette première distinction était un message d’encouragement à la lutte anti-apartheid, la seconde apparaît comme un bulletin de victoire. Entre les deux dates, la « nouvelle Afrique du Sud » du président De Klerk est née et les lois ségrégationnistes ont été abolies. Née en 1923 d’un père lituanien et d’une mère anglaise dans une petite ville minière de la banlieue de Johannesburg, Nadine Gordimer a passé son enfance à lire avant de se mettre tout naturellement à écrire. Ses premières nouvelles paraissent dans les plus prestigieuses revues littéraires avant qu’elle ait 20 ans. Son talent à dresser des scènes de genre et à brosser des tableaux intimistes la font comparer à Katherine Mansfield. Émue par la montée de l’apartheid après la guerre, sensibilisée par le milieu juif dans lequel elle vit, elle fréquente cette intelligentsia blanche libérale qui soutient les revendications défendues par l’élite noire. Refusant de quitter son pays comme le font certains de ses confrères au moment le plus sombre du régime d’apartheid, elle entre dans les rangs de l’ANC et défend le recours de l’organisation noire à la violence. Certains de ses romans, A World of Strangers (1958), The Late Bourgeois World (1966) et Burger’s Daughter (1978), sont interdits par la censure. L’interdiction de ce dernier – inspiré du destin de Bram Fischer, chef du PC sud-africain clandestin, il raconte la quête d’identité de la fille d’un communiste blanc mort en détention – ne dura toutefois pas longtemps. L’audience mondiale de son auteur ne la rendait plus possible. Le message de la littérature sud-africaine engagée commençait de faire son effet. Vendredi 4 EUROPE Industrie aéronautique À Toulouse, à l’occasion de la célébration du vingtième anniversaire d’Airbus, le consortium de constructeurs allemands, britanniques, espagnols et français fête la sortie de chaîne du prototype de son premier quadriréacteur, l’A-340. Ce très-longcourrier est présenté comme le concurrent du Boeing-747. Le 25, il effectue son premier vol. downloadModeText.vue.download 124 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 122 BELGIQUE Vie politique À la suite de la rupture entre les sociauxchrétiens flamands et les socialistes francophones, tout deux membres de la coalition au pouvoir, le Premier ministre Wilfried Martens présente la démission de son gouvernement. Le 7, les élections législatives anticipées sont fixées au 24 novembre. TCHÉCOSLOVAQUIE Vie politique Le Parlement adopte une loi d’épuration qui interdit l’accès à la fonction publique pendant cinq ans à certaines catégories d’anciens responsables communistes. JAPON Vie politique Après l’échec des deux projets de loi sur la participation de son pays à une force des Nations unies et sur la réforme du système électoral, M. Toshiki Kaifu, Premier ministre depuis août 1989, présente la démission de son gouvernement (27). Samedi 5 URSS Aide économique Le FMI (Fonds monétaire international) accorde à l’Union soviétique le statut d’« associé spécial », qui ne lui permet pas d’obtenir des prêts, mais l’autorise à bénéficier d’une assistance technique (17). YOUGOSLAVIE Monarchie En visite à Belgrade à la demande de l’opposition anticommuniste, le prince Alexandre Karadjordjević, fils du roi Alexandre Ier, se pose en « protecteur de tous les Serbes » (8). Dimanche 6 PAYS DE L’EST Relations Réunis à Cracovie, les présidents hongrois Jozsef Antall, polonais Lech Walesa et tchécoslovaque Vaclav Havel décident de renforcer leur coopération régionale et demandent l’association de leurs pays à l’Alliance atlantique et à l’Union de l’Europe occidentale. PORTUGAL Élections législatives Le Parti social-démocrate (centre droit) du Premier ministre Anibal Cavaco Silva conserve la majorité absolue au Parlement, avec 135 sièges sur 230. Le Parti socialiste n’atteint pas 30 % des voix et le Parti communiste passe pour la première fois de son histoire au-dessous de la barre des 10 %. Lundi 7 Le prix Nobel de médecine Le prix Nobel de médecine est attribué aux Allemands Erwin Neher et Bert Sakmann pour leurs découvertes concernant « la fonction individuelle de certains canaux ioniques de la cellule » qui révolutionnent la biologie cellulaire. URSS/POLOGNE Relations Les deux pays parviennent à un accord sur le retrait des 50 000 soldats soviétiques avant la fin de 1992. LIBYE Fléau Au terme d’une campagne d’un an qui a coûté 100 millions de dollars, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) annonce l’éradication downloadModeText.vue.download 125 sur 490 CHRONOLOGIE 123 de la lucilie bouchère, la « mouche tueuse » qui menaçait les cheptels africains. HAÏTI Vie politique Contraint par l’armée, le Parlement élit président par intérim le doyen de la Cour de cassation, M. Joseph Nerette, qui est chargé d’organiser des élections dans un délai de trois mois (8). Mardi 8 ONU L’OMS et l’UNICEF L’OMS et l’UNICEF annoncent que 100 millions d’enfants de moins d’un an sont à présent vaccinés contre les six prin- cipales maladies infectieuses (rougeole, diphtérie, coqueluche, tétanos, polyomiélite et tuberculose) dans les pays en voie de développement. La vaste campagne lancée il y a 15 ans a fait passer le taux de vaccination de 5 % à 80 % dans cette population. FRANCE Archéologie Le maire de Paris Jacques Chirac annonce les découvertes de trois pirogues et de nombreux objets néolithiques datant du chasséen ancien (4300-4000 av. J.-C.), effectuées sur un chantier du parc de Bercy, en août et septembre. ALLEMAGNE/TCHÉCOSLOVAQUIE Relations À l’occasion de la visite du président Richard von Weizsäcker à Prague, les ministres des Affaires étrangères allemand et tchécoslovaque signent un traité d’amitié. Les problèmes des indemnités réclamées par la Tchécoslovaquie au titre des réparations de guerre, et par les Sudètes expatriés de force après 1945, ne sont pas réglés. YOUGOSLAVIE Conflit À l’expiration du moratoire de trois mois réclamé par la CEE pour obtenir l’arrêt des combats, les républiques de Croatie et de Slovénie confirment leurs déclarations d’indépendance adoptées le 25 juin. L’aviation fédérale bombarde le palais présidentiel de Zagreb, capitale de la Croatie (15). OEA Sanctions En réaction au coup d’État du 30 septembre à Haïti, l’Organisation des États américains décrète un embargo commercial et le gel des actifs haïtiens à l’étranger. Plusieurs pays, dont la France et les États-Unis, s’associent à ces décisions. Mercredi 9 FRANCE Vie politique Le Conseil des ministres adopte deux pro- jets de loi sur le statut des élus locaux qui leur accordent une protection professionnelle et leur garantissent une retraite, mais diminuent globalement le montant de leurs indemnités. Grands travaux Le maire de Paris, M. Jacques Chirac, demande au président de la République d’arrêter les travaux de la Bibliothèque de France le temps d’examiner les points de litiges soulevés par les 566 signataires d’une lettre ouverte critiquant les choix techniques retenus. Un audit est confié au Conseil supérieur des bibliothèques, mais les travaux continuent. downloadModeText.vue.download 126 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 124 Jeudi 10 FRANCE Exposition À Paris, le Grand Palais présente une vaste rétrospective de l’oeuvre de Théodore Géricault à l’occasion du bicentenaire de la naissance du peintre. CUBA Vie politique Lors de l’ouverture du IVe congrès du Parti communiste, M. Fidel Castro confirme le maintien de la stricte orthodoxie marxiste du régime. Vendredi 11 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution 715 qui place l’industrie militaire et paramilitaire de l’Irak sous le contrôle des Nations unies. URSS Renseignement Le Conseil d’État décide la dissolution du Comité pour la sécurité d’État. Le KGB doit être remplacé par quatre services indépendants, dont certains seront interrépublicains. Samedi 12 FRANCE Spectacles Créée en 1985 à Londres et en 1987 à New York, la comédie musicale de Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil, « les Misérables », tirée de l’oeuvre de Victor Hugo, est présentée à Paris, au Théâtre Mogador. Elle a déjà attiré 21 millions de spectateurs dans le monde. Ventes À Monaco, la dispersion par Sotheby’s des 546 lots de la collection de Boris Kochno, collaborateur de Serge de Diaghilev et compagnon du peintre et décorateur Christian Bérard, rapporte plus de 21 millions de francs. URSS Vie politique En Géorgie, après plus d’un mois de conflit entre le président Zviad Gamsakhourdia et l’opposition, qui réclame son départ, le Parlement vote une diminution des pouvoirs du chef de l’État. BRÉSIL Voyage pontifical Le pape Jean-Paul II effectue jusqu’au 21 une visite dans le plus grand pays catholique du monde, où il s’est déjà rendu en 1980. À cette occasion, le saint-père condamne l’essor des sectes, plaide en faveur de la réforme agraire et prend la défense des Indiens. Dimanche 13 BULGARIE Élections législatives Avec 106 sièges sur 240, le Parti socialiste, ex-communiste, perd la majorité absolue au Parlement. Soutenue par le président Jeliou Jelev, l’Union des forces démocratiques devient la première formation du pays en remportant 110 sièges. ALGÉRIE Vie politique Le Parlement dominé par le FLN rejette l’essentiel des projets de réforme électorale présentés par le Premier ministre Sid Ahmed Ghozali. Le 15, le président Chadli Bendjedid fixe le premier tour des élections downloadModeText.vue.download 127 sur 490 CHRONOLOGIE 125 législatives au 26 décembre (encadré Algérie, l’enjeu). Lundi 14 Le prix Nobel de la paix Le prix Nobel de la paix est attribué à la Birmane Aung San Suu Kyi, dirigeante de l’opposition à la junte militaire, « pour son engagement en faveur de la démocratie et des droits de l’homme ». La lauréate est en résidence surveillée depuis juillet 1989. Mardi 15 Le prix Nobel d’économie Le prix Nobel d’économie est attribué au Britannique Ronald Coase pour ses recherches sur le rôle des firmes dans l’économie. ROUMANIE Vie politique Le Parlement investit le gouvernement d’« ouverture » de M. Theodor Stolojan, qui ne comprend toutefois que deux membres de l’opposition. YOUGOSLAVIE Fédération Le Parlement de Sarajevo proclame la souveraineté de la république de Bosnie-Herzégovine, qui est majoritairement peuplée de musulmans. É TAT S ! U N I S Cour suprême Le Sénat confirme la nomination du juge noir conservateur Clarence Thomas. Ce dernier avait été accusé, le 6, de « harcèlement sexuel » par une ancienne collaboratrice. Mercredi 16 Le prix Nobel de physique Le prix Nobel de physique est attribué au Français Pierre-Gilles de Gennes pour avoir montré « la valeur générale des changements de phase dans des systèmes aussi différents que les aimants, les supraconducteurs, les cristaux liquides ou les polymères ». Le prix Nobel de chimie Le prix Nobel de chimie récompense les travaux du Suisse Richard Ernst sur les développements et les applications de la spectroscopie à résonance magnétique nucléaire (RMN). FRANCE Politique sociale Le Conseil des ministres adopte deux mesures pour l’emploi présentées par Mme Martine Aubry, ministre du Travail. Il s’agit d’une exonération des charges sociales pour l’embauche de jeunes sans qualification et de l’octroi de crédits d’impôts pour l’emploi de personnel de service. Santé Le gouvernement et la Sécurité sociale décident de mettre en place, en concertation avec les professionnels, un dispositif permettant une maîtrise de la croissance des dépenses sanitaires, qui atteint 7 % par an (éd. 1991). FRANCE/ALLEMAGNE Relations En vue du Conseil européen de décembre, les deux pays rendent public un programme destiné à donner une « nouvelle impulsion » à la sécurité européenne. Il prévoit le renforcement de la coopération entre l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et l’OTAN, ainsi que la constitution d’un corps d’armée franco-allemand (encadré CEE, au forceps). downloadModeText.vue.download 128 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 126 INDE Terrorisme À Rudrapur, dans l’État de l’Uttar-Pradesh, un attentat commis par des sikhs fait plus de 50 morts. C’est la première fois qu’une action de cette ampleur a lieu hors du Pendjab. É TAT S ! U N I S Massacre À Killeen (Texas), un homme armé d’un pistolet semi-automatique tue 22 personnes dans une cafétéria avant de se donner la mort. Jeudi 17 FINANCES MONDIALES Le FMI et la Banque mondiale Le FMI et la Banque mondiale achèvent leur réunion annuelle commencée le 15 à Bangkok. La CEE, les États-Unis et le Japon décident d’accorder une aide d’urgence de 7,5 milliards de dollars à l’Union soviétique (5). OTA N Les ministres de la Défense Les ministres de la Défense des États membres décident une réduction de 80 %, en deux à trois ans, des armes nucléaires tactiques de l’Alliance stationnées en Europe. FRANCE Accident ferroviaire En gare de Melun (Seine-et-Marne), la collision entre le Nice-Paris et un train de marchandises qui ne s’était pas arrêté à un feu rouge fait 16 morts. Conflits sociaux La répression policière brutale d’une manifestation d’infirmières suscite des critiques dans la classe politique. Politique financière La Banque de France abaisse son taux directeur de 9 à 8,75 % en vue s’assouplir les conditions du crédit. Vendredi 18 FRANCE Archéologie Le ministère de la Culture décide de classer la grotte ornée de peintures et de gravures datant du paléolithique supérieur (12 00011 0001 av. J.-C.) découverte durant l’été dans les calanques de Marseille par M. Henri Cosquer. URSS Union Huit républiques – toutes sauf l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine – signent un traité économique, également paraphé par le président Mikhaïl Gorbatchev. Simple déclaration de bonnes intentions, il n’aborde aucun des points essentiels de la coopération interrépublicaine. YOUGOSLAVIE Conflit Le projet d’« union souple de républiques souveraines et indépendantes », présenté à la conférence de La Haye par la CEE comme base de règlement politique, est rejeté par la seule Serbie. Elle lui oppose le projet d’une « mini-Yougoslavie » constituée des républiques qui voudront en faire partie et de « régions autonomes serbes » de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Un dixième cessezle-feu est conclu, qui n’est pas plus respecté que les précédents (8 et 23). downloadModeText.vue.download 129 sur 490 CHRONOLOGIE 127 Dimanche 20 SUISSE Élections législatives Les quatre partis de la coalition gouvernementale (radicaux, socialistes, démocrates chrétiens, démocrates du centre), au pouvoir depuis 1959, conservent 147 sièges (– 14) sur 200. Le score des formations écologiste, libérale, populiste et d’extrême droite est en progression. TURQUIE Élections législatives Avec 115 sièges (– 177) sur 450, le Parti de la mère patrie (ANAP, centre droit) du président Turgut Ozal cède la première place sur l’échiquier politique au Parti de la juste voie (DYP, conservateur) de M. Suleiman Demirel, qui obtient 178 élus (+ 119). Lundi 21 FRANCE Santé Le magistrat chargé d’instruire les plaintes de transfusés contaminés par le virus du Sida prononce l’inculpation du professeur Jacques Roux, ancien directeur général de la Santé, et des docteurs Robert Netter, ancien directeur du laboratoire national de la santé, et Michel Garretta, ancien directeur du CNTS. LIBAN Otages La milice pro-israélienne de l’Armée du Liban Sud (ALS) libère 15 prisonniers chiites libanais détenus dans la zone de sécurité qu’elle occupe à la frontière de l’État hébreu. Quelques heures plus tard, le Djihad islamique libère le professeur américain Jesse Turner, enlevé à Beyrouth le 24 janvier 1987 (18 novembre). ZAÏRE encadré Zaïre, Mobutu chahuté Mardi 22 ÉGLISE ORTHODOXE Hiérarchie Le saint-synode de l’Église de Constanti- nople élit patriarche oecuménique le métropolite Bartholomée de Chalcédoine. Intronisé le 3 novembre, le nouveau chef spirituel des 200 millions de chrétiens orthodoxes remplace Dimitrios Ier, décédé le 3 octobre. EUROPE Un accord Un accord en vue de l’instauration, en 1993, d’un Espace économique européen (EEE) est conclu entre les Douze de la Communauté économique européenne (CEE) et les sept membres de l’Association européenne de libre échange (AELE). Mercredi 23 YOUGOSLAVIE Conflit L’armée fédérale bombarde le centre historique du port de Dubrovnik, ancienne Raguse, qui est assiégé depuis trois semaines (18). Cambodge Les Khmers bougent À feu et à sang depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Indochine est-elle sur le chemin de la paix ? Le 23 octobre, la Conférence internationale de Paris downloadModeText.vue.download 130 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 128 sur le Cambodge aboutit à un accord qui met fin à 21 ans de guerre dans ce pays. Le 18 mars 1970, le prince Norodom Sihanouk était renversé par les républicains de Lon Nol. Le Viêt-cong alimentait la guérilla communiste des Khmers rouges, qui se rapprochèrent pourtant bientôt de Pékin. Le 17 avril 1975, Phnom Penh tombait. Le président Khieu Samphan et son Premier ministre Pol Pot soumettaient alors le pays à un programme de « régénération » appuyé sur la terreur dont le bilan est estimé à (au moins) un million de morts. Le 25 décembre 1978, à la suite d’un incident de frontière, le Viêt-nam envahissait le Cambodge, forçant les Khmers rouges à recommencer la guérilla. Le 21 juin 1982, les hommes de Pol Pot, les répu- blicains de Son Sann et les sihanoukistes s’allient au sein d’une coalition dirigée par le prince. Les premières négociations avec le régime de Phnom Penh ont lieu en décembre 1987. La Conférence internationale d’août 1989 est un échec. Mais, sous la pression internationale et après le virage stratégique opéré par l’URSS, alliée du Viêt-nam, ce dernier retire l’essentiel de ses troupes en 1989. Le 9 septembre 1990, les quatre factions cambodgiennes forment un Conseil national suprême (CNS) dont Sihanouk prend la tête l’année suivante. Le 26 novembre 1990, l’ONU présente un plan de règlement. L’accord de Paris prévoit la création d’une Autorité provisoire de l’ONU pour le Cambodge (APRONUC), le désarmement et la démobilisation des belligérants, le rapatriement volontaire des populations déplacées ou réfugiées, le partage du pouvoir entre l’APRONUC, le CNS et l’administration existante durant la période transitoire, l’élection d’une Assemblée constituante au début de 1993, la neutralisation du Cambodge et, enfin, les modalités de reconstruction de son économie exsangue. Il s’agit de la plus importante opération jamais réalisée par l’ONU et ses « casques bleus ». Mais l’accord est bien fragile. Il n’a d’autre valeur que celle que lui attribue chacune des factions dans sa stratégie de reconquête du pouvoir. Jeudi 24 FRANCE Opinion Un sondage de la SOFRES révèle que 32 % des Français se déclarent plutôt d’accord avec les idées défendues par M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national. Vendredi 25 FRANCE/IRAN Relations Les deux pays parviennent à un accord au sujet du remboursement du prêt octroyé en 1975 par le régime du chah pour la réalisation du programme nucléaire Eurodif. La France devra verser 1,2 milliard de dollars à l’Iran en plus des 630 millions de dollars déjà remboursés. ZAÏRE encadré Zaïre, Mobutu chahuté BULGARIE Relations internationales Le gouvernement de Sofia est le premier, après ceux des États baltes, à établir des relations diplomatiques avec la Fédération de Russie. Samedi 26 URSS Union Les électeurs de Turkménie se prononcent à une forte majorité, par référendum, en faveur de l’indépendance de leur république. Celle-ci est proclamée le 27. downloadModeText.vue.download 131 sur 490 CHRONOLOGIE 129 Dimanche 27 FRANCE Justice Après trois semaines d’audience, la cour d’assises du Var rend son jugement dans l’affaire de la succession Canson. Reconnue coupable de faux et usage de faux, extorsion de signatures, non-assistance à personne en péril et séquestration, Joëlle Pesnel est condamnée à 13 ans de réclusion criminelle (éd. 1989). POLOGNE Élections législatives Les premières élections totalement libres depuis 1936 sont marquées par un taux d’abstention de 56,8 %. Seuls deux des trente partis en compétition dépassent la barre des 10 % : l’Union démocratique de l’ancien Premier ministre Tadeusz Mazowiecki (12,31 %; 62 sièges sur 460) et l’Alliance de la gauche démocratique (ex-communiste ; 11,98 % ; 60 députés). URSS Nationalités Dans la république de Tchétchéno-Ingouchie, les opposants musulmans au pou- voir central russe organisent des élections, malgré l’interdiction de Moscou. Chef de la rébellion qui dure depuis deux mois, le général Djokhar Doudaev est élu président. C’est la première atteinte à l’intégrité de la Fédération de Russie. JAPON Vie politique Soutenu par le principal clan du Parti libéral démocrate (PLD), celui de l’ancien Premier ministre Noboru Takeshita, M. Kiichi Miyazawa est élu à la présidence du parti au pouvoir. Le 5 novembre, la Diète l’élit à la tête du gouvernement en remplacement de M. Toshiki Kaifu (4). COLOMBIE Élections législatives Le Parti libéral au pouvoir remporte la majorité absolue des suffrages, tandis que son rival traditionnel, le Parti conservateur, s’effondre, avec seulement 5 % environ des voix. Le taux d’abstention est de 65 %. Lundi 28 URSS Vie politique Le président de la Russie Boris Eltsine présente le plan de sauvetage de sa république, qui prévoit la libération des prix avant la fin de l’année, la privatisation de l’économie et une réforme agraire. Il annonce son intention d’appliquer lui-même ce programme en assurant les fonctions de Premier ministre russe. Le 1er novembre, il obtient un accroissement de ses pouvoirs présidentiels. Mardi 29 GRANDE!BRETAGNE/VIÊT!NAM Relations Les deux triement Hongkong tannique pays signent un accord sur le rapaforcé des « boat-people » détenus à et auxquels le gouvernement brirefuse le statut de réfugiés. SPORT Automobile Après plusieurs déclarations critiques d’Alain Prost à l’encontre des formule 1 de Ferrari, le constructeur italien annonce la rupture du contrat qui le liait au pilote français. downloadModeText.vue.download 132 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 130 Mercredi 30 FRANCE Relations internationales Le président François Mitterrand reçoit le président Mikhaïl Gorbatchev dans sa résidence de Latche (Landes). Le 31, lors d’une conférence de presse commune, il réaffirme son soutien au pouvoir central soviétique. Justice Chargé du dossier de l’attentat du 19 septembre 1989 contre un DC-10 d’UTA, le juge Jean-Louis Bruguière délivre quatre mandats d’arrêt internationaux contre des agents des services secrets libyens. Santé Le ministre Jean-Louis Bianco annonce la conclusion d’un accord entre l’État et les compagnies d’assurances qui prévoit l’indemnisation de tous les séropositifs contaminés avant le 1er janvier 1990 à la suite d’une transfusion sanguine. Proche-Orient L’auberge espagnole Pour la première fois depuis 1948, les Israéliens, les États arabes et les Palestiniens se retrouvent autour de la même table. Le 30 octobre, dans la salle des Colonnes du palais royal de Madrid, s’ouvre la séance plénière de la Conférence de paix au Proche-Orient. La date et le lieu ont été annoncés par les chefs des diplomaties américaine et soviétique le 18, à Jérusalem, où M. James Baker achevait sa huitième tournée dans la région depuis la fin de la guerre du Golfe. Le 20 décembre 1990, Les États-Unis avaient marqué leur irritation à l’égard de l’attitude « négative » d’Israël en signant une déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU favorable à l’organisation d’une conférence internationale au Proche-Orient. Le 6 mars 1991, le président américain déclarait : « Le temps est venu de mettre fin au conflit israéloarabe ». Le lendemain, M. Baker entamait la première de ses tournées, au cours desquelles il parvenait à rassembler les parties intéressées non pas autour d’un plan de paix, mais grâce à la méthode strictement diplomatique de la recherche du plus grand dénominateur commun. Les Arabes et les Palestiniens obtenaient la réunion internationale qu’ils réclamaient. En contrepartie, l’État hébreu imposait qu’elle ne se déroule pas sous l’égide de l’ONU ni sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, que l’OLP n’y participe pas en tant que telle, et que la séance plénière d’ouverture soit suivie de négociations bilatérales. Aucun ordre du jour n’était défini. Le 31 juillet, à Moscou, MM. George Bush et Mikhaïl Gorbatchev annonçaient unilatéralement la convocation de la conférence pour le mois d’octobre. Les intéressés finissaient tous par donner leur accord. La préparation de la Conférence donne lieu à des retrouvailles. Le 18, l’URSS et Israël rétablissent leurs relations rompues le 10 juin 1967, lors de la guerre des Six jours. Le 19, M. Yasser Arafat est reçu en grande pompe à Damas par le président Hafez el-Assad. À Madrid, MM. Bush et Gorbatchev, qui se refusent à « imposer un règlement », les représentants égyptiens et ceux de la CEE accueillent les délégations israélienne et palestinienne, menées respectivement par MM. Itzhak Shamir et Haïder Abdel Chafi, ainsi que les représentants jordaniens, syriens et libanais. Les participants exposent tour à tour, durant trois jours, leurs positions apparemment inconciliables. L’ONU, le Conseil de coopération du Golfe et l’Union du Maghreb arabe disposent de postes d’observateurs. Des querelles surgissent bientôt au sujet du lieu d’accueil des discussions bilatérales. Les Arabes désirent rester le plus longtemps possible dans un environnement « international », tandis que les Israéliens préfèrent négocier au Proche-Orient. Jeudi 31 EUROPE Immigration Réunis à Berlin, les ministres de la Justice ou de l’Intérieur de 27 pays européens décident de collaborer dans la lutte contre l’afdownloadModeText.vue.download 133 sur 490 CHRONOLOGIE 131 flux clandestin de populations originaires d’Europe centrale et orientale. MADAGASCAR Vie politique Après six mois de crise, le pouvoir et l’opposition parviennent à un accord. M. Didier Ratsiraka reste président et chef des armées ; M. Albert Zafy, chef de l’opposition, devient président de la Haute Autorité de l’État pour la transition vers la IIIe République, qui remplace le Conseil suprême de la Révolution et l’Assemblée nationale pour une période de 18 mois. ZAMBIE Élections générales Au pouvoir depuis l’indépendance (octobre 1964), M. Kenneth Kaunda perd l’élection présidentielle au profit du chef de l’opposition, M. Frederick Chiluba, qui recueille 65 % des voix. La formation de ce dernier, le Parti pour la démocratie et le multipartisme, obtient 116 des 150 sièges du Parlement au cours du premier scrutin multipartite depuis décembre 1972. ARGENTINE Politique économique Le président Carlos Menem annonce un plan de déréglementation de l’économie adopté par décret, qui met fin au modèle péroniste mis en place dans les années trente. Le mois de James Mauvillain Après les révélations faites par la presse en avril sur les conditions dans lesquelles se sont produites les contaminations par le VIH, notamment dans les années 83, 84 et 85, la vérité est apparue dans sa terrible réalité. Ce que les transfusés informés pensaient être un accident thérapeutique, ce que les hémophiles croyaient être une fatalité, un nouveau coup du sort, était en fait la conséquence d’une suite de décisions réfléchies – peut-être devrait-on dire de non-décisions – étayées sur des études et sur des rapports, exposées au cours de réunions par des médecins, par des scientifiques, à la fois conseillers de nos responsables de la Santé et gestionnaires intéressés de leur service public ou privé. Des décisions trop souvent influencées par des considérations économiques ou par un souci déplacé de protectionnisme national ou corporatiste. Les responsables de la Santé publique ont-ils été trompés comme les hémophiles ? Ou auraient-ils été complices du système ? Et jusqu’à quel niveau de la hiérarchie ? La justice devra répondre à cette terrible question ! La contamination des hémophiles et des transfusés a bouleversé les Français au point – à deux reprises – de porter ce drame en tête des sondages d’opinion. Cette médiatisation, l’analyse du rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales publié en septembre et les documents qui sortent régulièrement amènent « l’affaire » à son point culminant. La longue liste des morts s’allonge toujours... Sur les 1 200 hémophiles contaminés, 210 sont déjà partis... Chez les transfusés, le chiffre de 6 000 à 7 000 contaminés est avancé. La plupart d’entre eux ignorent leur séropositivité au VIH ! Personne ne les a réellement et convenablement alertés ; aucune campagne d’information n’a été faite. Ils contaminent leurs partenaires, en toute bonne foi, en pleine campagne de prévention du Sida !... En octobre, tous les éléments sont réunis et l’instruction arrive à son terme. Le lundi 21, le juge en charge des plaintes déposées par quelques dizaines d’hémophiles prononce trois inculpations, celle du directeur général du Centre national de transfusion sanguine, le Dr Michel Garretta, celle de l’exdirecteur général de la Santé, le Dr Jacques Roux, et celle de l’ex-directeur du Laboratoire national de la Santé, le Dr Robert Netter. Ultérieurement, l’ancien responsable du secteur hémophiles au CNTS, le Dr Jean-Pierre Allain, sera également inculpé ! Deux médecins du CNTS, deux représentants de l’État, également médecins, dont les décisions ne semblent pas avoir été inspirées par le Code d’éthique et de déontologie médicale. Dans le même temps, la Commission européenne des droits de l’homme contraint la France à rendre justice à un hémophile contaminé. La Commission estime que le gouvernement et les tribunaux administratifs français tardent trop à répondre à la demande du patient, dont l’état de santé s’est récemment aggravé. Elle s’appuie sur le « non-resdownloadModeText.vue.download 134 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 132 pect des délais raisonnables de procédure », invoquant l’article 6 de la Convention européenne. Le vote est massif : 13 voix sur 15. L’avis est transmis au Conseil de l’Europe et à la Cour européenne des droits de l’homme. La décision finale tombera en janvier… Une transfusion, source de vie, qui se voulait un exemple dans le monde, devenue génératrice de drames collectifs ; une protection de la Santé publique défaillante au pays de Médecins sans frontière et de Médecins du monde, portant haut le flambeau de l’action humanitaire ; un État français, le pays des droits de l’homme, jugé par la Cour européenne de ces mêmes Droits ! Voilà bien notre grande honte, en ce mois d’octobre. N’oublions pas. Le geste du donneur, acte d’amour pour l’autre, reste indispensable ; il faut le faire respecter en s’assurant qu’il est utilisé de la façon la plus sûre pour le malade. Puisse ce geste généreux effacer notre honte. JAMES MAUVILLAIN Président d’honneur de l’Association française des hémophiles downloadModeText.vue.download 135 sur 490 CHRONOLOGIE 133 Novembre Vendredi 1 ALGÉRIE Islam À Alger, le Front islamique du salut (FIS) rassemble des dizaines de milliers de manifestants à l’occasion du 37e anniversaire de l’insurrection contre la colonisation française. Il se présente comme le seul héritier du mouvement révolutionnaire de 1954. Samedi 2 SPORT Rugby Au stade l’équipe Coupe du l’équipe londonien de Twickenham, d’Australie remporte la deuxième monde en battant en finale d’Angleterre (12 à 6). Dimanche 3 FRANCE Crimes Les corps de deux fillettes de dix ans, Muriel et Ingrid, disparues le 19 octobre à Elne (Pyrénées-Orientales) sont retrouvés dans l’Hérault sur les indications de l’assassin présumé, Christian Van Geloven, cadre au chômage, passé aux aveux la veille. Des élus de l’opposition rouvrent à cette occasion le débat sur la peine de mort. NIGER Institutions Réunie à Niamey depuis le 29 juillet, la conférence nationale réduit les pouvoirs du président Ali Saïbou. Elle nomme M. André Salifou président du Haut Conseil de la République qui doit remplacer l’Assemblée durant une période transitoire de quinze mois. Des élections pluralistes sont prévues. M. Amadou Cheffou est chargé de diriger le gouvernement provisoire. SPORT Automobile À Adélaïde, à l’issue du Grand Prix de formule 1 d’Australie, dernière épreuve de la saison, le Brésilien Ayrton Senna confirme son titre de champion du monde des conducteurs et permet ainsi à McLarenHonda de remporter le titre mondial des constructeurs devant Williams-Renault. Tennis Le Français Guy Forget bat l’Américain Pete Sampras en finale de l’Open de Paris-Bercy (7-6,4-6, 5-7, 6-4, 6-4). Lundi 4 FRANCE Sans-logis Les 101 familles qui campaient depuis le 13 juillet sur un terrain du quai de la Gare, dans le XIIIe arrondissement de Paris, acceptent les propositions de relogement provisoire faites par le préfet d’Île-de-France. Littérature Le prix Goncourt est attribué à Pierre Combescot pour les Filles du Calvaire (Grasset). Le prix Renaudot récompense Dan Franck pour la Séparation (Seuil). downloadModeText.vue.download 136 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 134 PHILIPPINES Vie politique La veuve de l’ancien dictateur, Mme Imelda Marcos, revient à Manille après cinq ans d’exil. Elle y est inculpée de fraude fiscale, corruption et exportation illégale de capitaux. Mardi 5 FRANCE Sidérurgie Le groupe Usinor-Sacilor annonce la suppression de 6 700 emplois d’ici à la fin de 1994. RUSSIE Monarchie Considéré comme l’héritier du trône impérial en tant que petit-cousin de Nicolas II, le grand-duc Vladimir Kirillovitch Romanov, qui a toujours vécu en exil, effectue une visite privée à Saint-Pétersbourg à l’invitation du maire Anatoli Sobtchak. Le 7, il assiste aux fêtes qui marquent le changement de nom de la ville. PHILIPPINES Catastrophe naturelle Le centre de l’archipel – notamment l’île de Leyte – est dévasté par la tempête tropicale « Thelma » dont le bilan s’élève à plus de 5 000 morts et à 120 000 sans-abri. É TAT S ! U N I S Vie politique La victoire du candidat démocrate à l’élection sénatoriale de Pennsylvanie, où les républicains détenaient le siège depuis 1962, apparaît comme un avertissement pour le président George Bush auquel les Américains reprochent de négliger la politique intérieure. Renseignement Le Sénat confirme la nomination de M. Robert Gates au poste de directeur de la CIA. Les débats ont soulevé la question de la surestimation systématique du danger soviétique de la part de l’agence dont M. Gates a été le numéro deux entre 1986 et 1988. Grande-Bretagne Fortune de mer Britannique d’origine ruthène, extraverti et secret, milliardaire et socialiste, Jan Ludvick Hoch, alias Robert Maxwell, ne pouvait avoir une mort ordinaire. Le 5 novembre, « Captain Bob » disparaît de son yacht, au large des Canaries. Son corps est retrouvé en mer. Les premiers examens concluent à un accident cardiaque qui aurait entraîné sa chute, mais les imprécisions de l’enquête font naître des rumeurs de suicide, voire d’assassinat. Vivant, Robert Maxwell était déjà un sujet de légendes. Il le demeure dans la mort. D’autant que le milliardaire est apparu surendetté et que le grand brasseur d’affaires s’est révélé un escroc. Né en 1923, ce fils d’un maquignon juif des Carpates fait la guerre dans les rangs de l’armée britannique, puis se marie avec une Française avant de s’installer à Berlin. Après avoir plusieurs fois changé d’identité, il adopte le nom de Robert Maxwell. En 1946, il obtient l’exclusivité de la distribution mondiale des éditions scientifiques Springer, tout en se livrant à quelques trafics. En 1951, il achète ce qui deviendra les éditions Pergamon Press. Élu député travailliste en 1964, il quitte les Communes en 1970. En 1971, il est déclaré inapte à gérer une société cotée. Il achète alors nombre d’imprimeries, de maisons d’édition et de journaux. En 1984, il acquiert le groupe de presse du Daily Mirror. En France, il investit notamment dans TF1 en 1987, dont il se retirera, comme de l’ACP. En 1990, il fonde l’hebdomadaire The European. Ses prises de parti surprenantes, ses volte-face inattendues, son caractère à la fois généreux et impitoyable lui forgent un personnage de magnat mégalomane qu’il entretient. On le prétend à la fois agent du KGB, du Mossad et de la CIA. Il en rit. Son carnet de chèques et sa renommée lui ouvrent la porte des grands de ce monde. Les banquiers lui prêtent des milliards. La découverte progressive, après sa mort, de la situation véritable de l’empire Maxwell suscite une surprise grandissante. On savait l’homme aux downloadModeText.vue.download 137 sur 490 CHRONOLOGIE 135 abois. On ignorait l’existence de montages financiers frauduleux entre ses innombrables sociétés familiales et ses sociétés publiques cotées, principalement Maxwell Communication Corporation (MCC) et Mirror Group Newspaper (MGN). Les créanciers imprudents et les illustres parrains bernés ne s’expliquent pas leur aveuglement. Le 5 décembre, la nomination d’un administrateur judiciaire à la tête du groupe consacre son effondrement. L’empire est à vendre. Le montant de ses dettes dépasserait 30 milliards de francs. Mercredi 6 FINANCES MONDIALES La Réserve fédérale américaine La Réserve fédérale américaine baisse son taux d’escompte de 5 % à 4,5 % afin de stimuler la reprise économique. C’est la quatrième baisse de l’année. Le 14, la Banque du Japon fait de même, en réduisant son taux de 5,5 % à 5 %. Le 18, en revanche, la Banque de France doit remonter son taux directeur de 8,75 % à 9,25 % pour défendre le franc. FRANCE Justice La cour d’assises des Alpes-Maritimes condamne à 18 ans de réclusion criminelle Nicolas Gouge, principal responsable des attentats anticommunistes ou anti-immigrés, commis entre 1985 et 1988 dans le département. Ses trois complices sont condamnés à des peines de 8 à 14 ans de prison. Un cinquième inculpé est acquitté (éd. 1990). URSS Union L’Ukraine et la Moldavie se rallient au traité économique signé le 18 octobre par huit autres républiques. Vie politique M. Boris Eltsine décrète la dissolution du Parti communiste sur le territoire de la Fédération de Russie. KOWEÏT Pétrole Avec de l’avance sur le calendrier, le dernier des 732 puits incendiés par les Irakiens au moment de leur retrait, en février, est éteint en présence de l’émir. Les dégâts écologiques sont moindres que prévu. Jeudi 7 FRANCE Délocalisation Le Comité interministériel d’aménagement du territoire décide de transférer en province ou en banlieue vingt organismes publics parisiens. L’École nationale d’administration (ENA) doit ainsi s’installer à Strasbourg et la SEITA, à Angoulême. Affaires Le magistrat chargé du dossier de l’achat de American National Can par Pechiney, en décembre 1988, inculpe M. Alain Boublil, ancien directeur de cabinet du ministre des Finances, de délit d’initié. Ventes Lors de la dispersion des biens de Roberto Polo à l’hôtel George-V, à Paris, un coffret à bijoux qui aurait appartenu à Marie-Antoinette atteint le prix record de 23 millions de francs. URSS Cérémonies officielles Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, aucun défilé officiel sur la place Rouge, à Moscou, ne célèbre downloadModeText.vue.download 138 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 136 l’anniversaire de la Révolution d’octobre, fête nationale soviétique. Nationalités Confronté à la rébellion indépendantiste de la communauté musulmane tchétchène, M. Boris Eltsine décrète l’état d’urgence dans la République autonome russe de Tchétchéno-Ingouchie. Le 11, le Parlement de Russie refuse d’entériner le décret et appelle à résoudre le conflit par des « moyens politiques ». CHINE/VIÊT!NAM Relations La signature de deux accords économiques couronne la première visite à Pékin, depuis la rupture de 1978, du secrétaire général du PC vietnamien, M. Do Muoi, et du chef du gouvernement de Hanoï, M. Vo Van Kiet. É TAT S ! U N I S Société Le basketteur vedette de l’équipe des Lakers de Los Angeles, Erwin « Magic » Johnson, provoque une vive émotion dans l’opinion en annonçant lors d’une conférence de presse qu’il est séropositif et qu’il arrête la compétition. Vendredi 8 OTA N Le sommet Le sommet de l’Alliance atlantique organisé depuis la veille à Rome confirme le rôle de l’Europe en matière de défense et convient d’établir des relations avec les pays de l’Est. CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères adoptent des sanctions économiques à l’encontre de la Yougoslavie, après le troisième refus par la Serbie, le 5, du plan de paix proposé par les Douze le 18 octobre. Toutefois, la conférence de paix de La Haye poursuit ses travaux (27). FRANCE Conflits sociaux Après l’évacuation des piquets de grève par les CRS, le 5, et la signature d’un protocole salarial avec la direction, les syndicats appellent à la reprise du travail à l’usine Renault de Cléon (Seine-Maritime). Entamée le 17 octobre, la grève paralysait l’ensemble du groupe. BULGARIE Vie politique À la suite des élections du 13 octobre, le Parlement investit le gouvernement de M. Filip Dimitrov, président de l’Union des forces démocratiques, principale formation de l’opposition. Pour la première fois depuis 1944, aucun ministre n’est communiste (13 octobre). Samedi 9 HONGKONG Réfugiés Des manifestations éclatent dans les camps lors du commencement des opérations de rapatriement forcé des « boat-people » vietnamiens, en application de l’accord passé le 29 octobre entre la Grande-Bretagne et le Viêt-nam (29 octobre). Europe Du soleil en boîte Depuis les années 1950, les chercheurs tentent de domestiquer le feu des étoiles, qui est aussi celui de la bombe H. L’objectif est de disposer, aprèsdemain, d’une énergie quasi illimitée, peu chère et non polluante. Le 9 novembre, les scientifiques européens du Joint European Torus (JET) de Culham, en Grande-Bretagne, parviennent à produire une quantité significative d’énergie par downloadModeText.vue.download 139 sur 490 CHRONOLOGIE 137 fusion thermonucléaire. Pour la première fois, l’homme a réussi à mettre le soleil en boîte. Le principe de la fusion est simple : la soudure de deux noyaux d’hydrogène produit de l’hélium et libère des neutrons chargés d’une importante quantité d’énergie. Sa mise en application est plus difficile : électriquement chargés du même signe, les noyaux d’hydrogène se repoussent. La force de gravitation qui règne au centre des étoiles provoque un échauffement de la matière qui détruit la barrière électrique nucléaire. Les noyaux d’hydrogène fusionnent à 200 millions de degrés. Sur la Terre, il n’existe nulle force ni température de cet ordre. Pour « allumer » une bombe H, on se sert de l’énergie d’une bombe A : difficile à utiliser dans une centrale électrique. Aucun matériau ne résiste à la température nécessaire pour activer la réaction de fusion. Aussi les chercheurs ont-ils inventé un récipient immatériel, constitué d’un espace délimité par de puissants champs magnétiques. Ceux-ci sont créés à l’intérieur d’un tore dans lequel règne un vide quasi absolu. Un mélange de deutérium et de tritium – deux isotopes de l’hydrogène – est chauffé dans le tore sous l’action des champs magnétiques. Les neutrons libérés au moment de la fusion vont frapper la paroi du tore constituée de lithium, qui se transforme en tritium et s’échauffe. L’appareil a été mis au point en 1968 par des Soviétiques, qui l’ont baptisé « tokamak ». En plus de l’URSS, les États-Unis, le Japon, la France et l’Europe en possèdent aujourd’hui. Un programme international est en cours. Première « machine mondiale » de production d’énergie, l’ITER (International Thermonuclear Experiment Reactor) sera opérationnel vers l’an 2000. Il a fallu introduire une énergie de 15 mégawatts dans le JET pour obtenir, durant 2 secondes, une énergie de 2 mégawatts. Le seuil de rentabilité énergétique est loin d’être atteint. Il s’agissait pour les chercheurs européens de marquer leur avance afin de justifier leur place dans le projet ITER et d’obtenir que le budget du JET ne soit pas diminué en 1992, comme prévu. France Dernier rôle Ses coups de coeur, ses coups de gueule étaient un peu les nôtres. Ses chansons, ses films ont ponctué la vie de chacun. Avec Yves Montand, mort le 9 novembre à Senlis (Oise), c’est un demi-siècle de son talent que la France pleure. Né en 1921 à Monsumano-Alto, en Toscane, Ivo Livi quitte bientôt l’Italie fasciste avec sa famille pour Marseille. À 11 ans, il travaille en usine avant de passer son CAP de coiffeur. Ses héros s’appellent Fernandel, Maurice Chevalier, Charles Trenet, Fred Astaire et Gary Cooper. En 1939, il monte sur la scène de l’Alcazar de Marseille. Dans les plaines du Far West est la seule chanson de son répertoire. Pour échapper au STO, il va se réfugier sous les sunlights parisiens. Au Moulin-Rouge, il passe en première partie d’Édith Piaf. C’est elle qui en fait un artiste de music-hall. En 1945, elle l’impose dans Étoile sans lumière, de Marcel Blistène. Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot, qui obtient le grand prix du festival de Cannes 1953, le révèle. La même année, Simone Signoret est dans la salle du music-hall de l’Étoile, où il passe en vedette. Édith l’a fait naître. Simone l’éduque. Cette fille de Neuilly canalise les révoltes du fils de prolo. C’est l’époque du voyage en URSS, où le couple part « sermonner » Krouchtchev – les chars soviétiques sont à Budapest. Le compagnon de route du PCF prend ses distances. Et traverse l’Atlantique. En 1960, à Hollywood, Montand tourne le Milliardaire de George Cukor, avec Marilyn Monroe. Elle est la fée du conte auquel il croit le temps d’une idylle. En 1965, Montand rencontre Costa-Gavras pour Compartiment tueurs. Il lui vaut quelques-uns de ses meilleurs rôles, dont ceux de Z (1968) et de l’Aveu (1969). Cette fois, les chars soviétiques sont à Prague. La rupture avec le communisme est consommée. Le chanteur continue à se produire sur scène, à enregistrer, et conquiert le monde entier. Les Feuilles mortes et les Grands Boulevards (Jacques Prévert et Francis Lemarque), sont toujours à son répertoire. D’autres cinéastes deviennent des fidèles, comme Claude Sautet ou Alain Corneau. Après l’arrivée de la gauche au pouvoir – et la mort de Simone –, Montand devient le porte-parole des désillusionnés. Mais il ne sera pas le Ronald Reagan français. Ce sont sa compagne Carole et downloadModeText.vue.download 140 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 138 Claude Berri qui lui donnent ses derniers grands rôles : devenir papa et incarner le papé de Jean de Florette et Manon des sources (1985). Dimanche 10 FRANCE Vie politique Lors d’un entretien télévisé sur La Cinq, le président François Mitterrand annonce qu’il soumettra au Parlement et aux Français, au second semestre de 1992, diverses propositions de modification de la Constitution. Lundi 11 G 24 La troisième réunion La troisième réunion, à Bruxelles, des pays de l’OCDE – plus la Turquie – et des organisations financières internationales est consacrée à l’aide aux pays de l’Est, qui s’est élevée à 32 milliards de dollars en 1991, dont 8 milliards de dons. Les pays de la CEE et de l’AELE, qui contribuent pour 81 % du total, reprochent aux États-Unis, qui en versent 7,7 %, de consentir un effort insuffisant. La part du Japon est de 8,6 % SUÈDE Politique économique Le Premier ministre libéral Cari Bildt annonce un programme de privatisation qui doit toucher 35 entreprises publiques appartenant au secteur concurrentiel. Mardi 12 FRANCE Histoire Établi par la police du régime de Vichy, le fichier des juifs qui servit aux rafles de 1941 et 1942, et que l’on croyait égaré ou détruit, est retrouvé dans les archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants. TIMOR Répression À Dili, capitale du territoire portugais annexé de force par l’Indonésie en 1976, l’armée tire sur une foule de jeunes militants indépendantistes désarmés et tue plusieurs dizaines de personnes. Mercredi 13 DJIBOUTI Troubles Le gouvernement décrète la mobilisation générale à la suite d’accrochages, dans le nord du pays, entre l’armée et des rebelles afars réunis au sein du Front révolutionnaire pour l’unité et la démocratie (27). HAÏTI Coup d’État Entamée le 10 en vue de négocier le retour à l’ordre constitutionnel après le putsch du 30 septembre, la mission de l’OEA aboutit à un échec. Il en est de même de la rencontre organisée le 22 à Carthagène, en Colombie, entre le président Jean-Bertrand Aristide et une délégation de parlementaires haïtiens (19). Jeudi 14 CAMBODGE Conflit Après 13 années d’exil, le prince Norodom Sihanouk, président du Conseil national suprême, revient à Phnom Penh et s’installe au palais royal. Le 20, le régime en place le reconnaît comme chef de l’État. Rompant avec ses anciens alliés Khmers rouges et nationalistes, le prince se rapproche du downloadModeText.vue.download 141 sur 490 CHRONOLOGIE 139 Premier ministre Hun Sen, qu’il confirme à son poste (22). É TAT S ! U N I S / É CO S S E Terrorisme Les autorités judiciaires des deux pays annoncent la délivrance de mandats d’arrêt internationaux contre deux agents libyens inculpés pour leur participation à l’attentat de Lockerbie. Le 22 décembre 1988, l’explosion en vol d’un Boeing-747 de la compagnie PanAm au-dessus de la ville écossaise avait fait 270 morts (30 octobre). Vendredi 15 URSS Relations internationales À Moscou, la rencontre avec une délégation représentant les factions modérées de la résistance afghane aboutit à de nombreuses concessions de la part des autorités soviétiques et russes. YOUGOSLAVIE Guerre civile Les représentants du « bloc serbe » au Parlement décident le limogeage du Premier ministre fédéral Ante Markovic, croate, qui était partisan du dialogue. Samedi 16 FRANCE Vie politique À Marseille, M. Bruno Mégret, candidat du Front national aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, présente 50 mesures qui constituent une « contribution au règlement du problème de l’immigration. Ce programme radical suscite l’indignation dans la classe politique. JORDANIE Vie politique Confronté à l’hostilité du Parlement, M. Taher Masri, Premier ministre depuis le 18 juin, présente la démission de son gouvernement. Il est remplacé par le maréchal Zeid Ben Chaker, qui a déjà occupé ce poste après les émeutes d’avril 1989. Dimanche 17 FRANCE Manifestations Plus de cent mille membres des professions de santé défilent dans les rues de Paris pour protester contre le projet de réforme du système d’assurance maladie. SOMALIE Troubles De violents combats opposent les deux clans qui composent le Congrès de la Somalie unifiée au pouvoir à Mogadiscio depuis la chute du président Siyad Barre en janvier. Les partisans du président Ali Mahdi Mohamed et ceux du général Mohamed Farah Aïdid s’affrontent durant tout le mois (encadré Somalie, l’enfer). Lundi 18 FRANCE Justice La cour d’assises de Paris déclare le prince Victor-Emmanuel de Savoie non coupable de la mort d’un jeune Allemand atteint par une balle perdue, le 18 août 1978, dans l’île de Cavallo, en Corse-du-Sud. Elle le condamne à six mois de prison avec sursis pour port d’arme prohibée. downloadModeText.vue.download 142 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 140 YOUGOSLAVIE Guerre civile Après trois mois de siège et de bombardements, les combattants croates qui défendaient Vukovar offrent leur reddition. Le 19, l’armée fédérale prend le contrôle total de la ville et organise l’évacuation des habitants et des blessés. LIBAN Otages Le Djihad islamique libère le Britannique Terry Waite, émissaire de l’archevêque de Cantorbéry, enlevé le 20 janvier 1987, et le professeur américain Thomas Sutherland, détenu depuis le 9 juin 1985 (2 décembre). Mardi 19 FRANCOPHONIE Le IVe sommet Le IVe sommet des pays ayant en commun l’usage du français réunit 50 délégations à Paris jusqu’au 21. Dans son discours d’ou- verture, le président François Mitterrand module le principe de la « prime à la démocratisation » énoncé lors de la conférence de La Baule en juin 1990 et admet que chaque État fixe en la matière « les modalités et le rythme qui lui conviennent ». FRANCE Politique extérieure Le Quai d’Orsay rappelle « pour consultation » son ambassadeur à Haïti, M. JeanRaphaël Dufour, dont les autorités issues du coup d’État du 30 septembre avaient, le 15, demandé le départ dans les 48 heures. Littérature Le prix Interallié est attribué à Sébastien Japrisot pour Un long dimanche de fiançailles (Denoël). URSS Vie politique M. Mikhaïl Gorbatchev nomme M. Édouard Chevardnadze ministre des Affaires étrangères, fonction qu’il avait occupée de juillet 1985 jusqu’à sa démission en décembre 1990. Il remplace M. Boris Pankine, nommé après le putsch du mois d’août. Mercredi 20 FRANCE Relations internationales Le président François Mitterrand et M. Ion Iliescu, président de la Roumanie, qui participe à Paris au sommet de la francophonie, signent un traité d’entente et de coopération. TURQUIE Vie politique À la suite des élections du 20 octobre, M. Suleyman Demirel, chef du Parti de la juste voie (conservateur), forme un gouvernement de coalition avec le Parti populiste social-démocrate (gauche). Ancien Premier ministre, il avait été renversé par les militaires en septembre 1980. Il s’engage à promouvoir les droits de l’homme dans le pays. Jeudi 21 ONU Le Conseil de sécurité élit M. Boutros Boutros-Ghali, vice-Premier ministre égyptien et négociateur des accords de Camp David, au poste de secrétaire général. Il doit remplacer M. Javier Perez de Cuellar, dont downloadModeText.vue.download 143 sur 490 CHRONOLOGIE 141 le mandat prend fin le 31 décembre et qui ne se représentait pas. G7 URSS FRANCE Partis politiques Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le financement des formations politiques constate que « les pratiques occultes n’ont pas disparu ». Il préconise le renforcement des lois de 1988 et 1990 sur le financement public des partis et des campagnes électorales (éd. 1991). URSS Finances Les représentants de huit des douze républiques et ceux des sept pays les plus industrialisés (G7) parviennent à un accord qui prévoit le rééchelonnement partiel de la dette extérieure de l’URSS, dont le remboursement de novembre n’a pu être honoré. Océan Pacifique La galère « Ce n’est ni pour le plaisir du défi ni pour celui de l’exploit que je fais cela. Ce qui me passionne, c’est de m’attaquer à un grand projet qui me semble irréalisable, d’en évacuer l’irrationnel, d’en trouver la faille, d’inventer les moyens et, enfin, de me conditionner pour aller jusqu’au bout. » Traverser le Pacifique comme on résout une équation dont la principale inconnue demeure l’homme, c’est l’objectif atteint par Gérard d’Aboville le 21 novembre à Ilwaco, petit port américain de l’État de Washington, après 134 jours en mer et quelques millions de coups d’aviron. L’aïeul, Marie-François, est un héros de Fontenoy et des guerres napoléoniennes. Dans cette vieille famille bretonne, le goût de l’aventure se transmet avec la particule. Rompant avec une longue tradition familiale, Gérard d’Aboville n’embrasse pas la carrière militaire. À peine ses études commerciales terminées, il effectue un tour du monde à la voile. En 1980, le public découvre son nom. À bord d’un canot de 5,50 mètres baptisé Captain Cook, qu’il a construit de ses mains, il traverse l’Atlantique à l’aviron en 72 jours. Et jure de ne jamais recommencer. Onze ans plus tard, le 11 juillet 1991, dans le port japonais de Choshi, à 200 kilomètres à l’est de Tokyo, Gérard d’Aboville s’embarque pour une traversée deux fois plus longue : 5 500 milles, soit plus de 10 000 kilomètres. Le canot, qui porte le nom de son sponsor suisse, Sector, a grandi. Ponté, il mesure 8 mètres de long pour 1,80 mètre de large et ne pèse à vide que 150 kilos – 500 en pleine charge – grâce à l’emploi de matériaux composites. Doté de ballasts qui permettent de le retourner en cas de chavirement, il comprend un compartiment à vivres, une cabine de navigateur et un poste de nage équipé d’avirons de 3 mètres de long et d’un siège coulissant qui actionne les pompes d’un désalinisateur d’eau de mer. Le canot traverse deux typhons, chavire 31 fois et résonne souvent des hurlements de douleur physique ou morale du rameur qui se dira « marqué au burin » par ce qu’il a subi. Les doutes et les furoncles, le couchage mouillé et l’immense solitude du 46e anniversaire au milieu de l’océan, tout cela n’appartient qu’à lui. Les médias évoquent son « exploit surhumain », alors que son entreprise, justement, est essentiellement « humaine ». Dans son canot amarré au quai du petit port américain, il mettra de longs instants à ranger ses affaires avant de débarquer, de « se quitter » pour rejoindre les autres, d’entrer dans la fête qui commençait, alors que, pour lui, tout était fini. Vendredi 22 CEE La Commission de Bruxelles La Commission de Bruxelles signe des accords d’association avec la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Ces textes sont une étape sur le chemin de leur adhésion à la Communauté, qui est évoquée comme un « objectif ultime ». downloadModeText.vue.download 144 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 142 FRANCE Relations internationales v. Cambodge Musique À l’Opéra-Comique, dans le cadre du festival d’Automne, le chef d’orchestre hongrois Peter Eötvös dirige Hyperion, suite de pièces musicales composées par Bruno Maderna entre 1963 et 1968 d’après le roman de Friedrich Hölderlin. PROCHE!ORIENT Conflit Les États-Unis invitent unilatéralement Israël, les Palestiniens et les pays arabes à poursuivre à New York, à partir du 4 décembre, les négociations bilatérales entamées à Madrid le 3 novembre. Israël demande en vain le report de la réunion au 9 décembre (10 décembre). CAMBODGE Relations internationales Le ministre français des Affaires étrangères, M. Roland Dumas, est le premier officiel étranger à être reçu par le prince Norodom Sihanouk depuis son retour à Phnom Penh (14 et 27). Samedi 23 MADAGASCAR Vie politique Au terme d’un compromis au sujet de l’accord du 31 octobre entre le régime du président Didier Ratsiraka et l’opposition, la « Haute Autorité de l’État pour le nouveau gouvernement provisoire » dirigée par M. Albert Zafy entre en fonctions. Elle est chargée d’élaborer de nouvelles institutions (encadré Madagascar, forces vives). Dimanche 24 BELGIQUE Élections législatives Au terme d’une campagne dominée par les questions linguistiques et le problème de l’immigration, les résultats du scrutin illustrent le recul des formations traditionnelles au profit de l’extrême droite, qui obtient 12 sièges (+ 10) en Flandre, et des écologistes, qui remportent 10 sièges (+ 7) en Wallonie. La coalition au pouvoir ne conserve que 130 sièges (– 20) sur 212. Le 25, le Premier ministre Wilfried Martens présente la démission de son gouvernement. Lundi 25 FRANCE Société Le groupe Pinault annonce l’achat aux familles suisses Nordmann et Maus de 40,6 % des parts des magasins Au Printemps pour un montant de 3,3 milliards de francs, et le lancement d’une OPA en vue de détenir les deux tiers du capital du groupe. Littérature Le prix Femina est attribué à Paula Jacques pour Deborah et les anges dissipés (Mercure de France). Yves Simon reçoit le prix Médicis pour la Dérive des sentiments (Grasset). URSS Union Les dirigeants de sept républiques réunis autour du président Mikhaïl Gorbatchev décident l’ajournement de la signature du traité accepté le 14, qui doit donner naissance à une Union d’États souverains (8 décembre). JAPON Audiovisuel Le canal Hi Vision est la première chaîne de télévision à lancer un programme régudownloadModeText.vue.download 145 sur 490 CHRONOLOGIE 143 lier de huit heures quotidiennes en haute définition. ZAÏRE Vie politique À la suite de l’accord politique du 22 conclu grâce à la médiation du Sénégal, le président Mobutu Sese Seko nomme Premier ministre M. Nguz Karl I Bond, l’un des dirigeants de l’Union sacrée de l’opposition. L’aile radicale de celle-ci, regroupée autour de M. Étienne Tshisedeki, conteste sa nomination. Ses représentants sont exclus du gouvernement modéré formé le 28 (encadré Zaïre, Mobutu chahuté). Mardi 26 CONSEIL DE L’EUROPE La Pologne La Pologne devient, après la Hongrie et la Tchécoslovaquie, le troisième pays de l’Est à obtenir son adhésion à l’organisation européenne. URSS Nationalités La décision du Parlement d’Azerbaïdjan de supprimer le statut d’autonomie de l’enclave à majorité arménienne du Haut-Karabakh attise la tension dans la région. Mercredi 27 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution 721 qui appuie la mission de M. Cyrus Vance en Yougoslavie. L’envoyé de l’ONU doit examiner la possibilité du déploiement des Casques bleus dans le pays, réclamé par les belligérants. Le 23, un quatorzième cessez-le-feu avait été conclu. Il est resté aussi vain que les précédents. FRANCE Relations internationales Djibouti Santé Le Conseil des ministres approuve le projet de loi d’indemnisation des transfusés contaminés par le virus du Sida. Une partie du financement proviendrait d’une augmentation des contrats d’assurance (4 décembre). CAMBODGE Émeute À son retour à Phnom Penh, le dirigeant khmer rouge Khieu Samphan manque de se faire lyncher par la foule. Il est évacué vers Bangkok en compagnie de l’autre responsable khmer rouge, M. Son Sen. DJIBOUTI Troubles Les indépendantistes afars en rébellion dans le nord du pays depuis deux semaines décrètent un cessez-le-feu et annoncent leur volonté d’engager un dialogue politique avec les autorités. Le président Hassan Gouled promet une consultation populaire. Le 29, la France accepte de déployer des soldats à la frontière avec l’Éthiopie, en application des accords de 1977 (13). Jeudi 28 FRANCE Politique économique Le gouvernement annonce les grandes lignes d’un plan de modernisation des ports qui prévoit la réforme du statut des dockers. downloadModeText.vue.download 146 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 144 Académie française Accueillie sous la Coupole par Michel Déon, Mme Hélène Carrère d’Encausse prononce l’éloge de Jean Mistler. I TA L I E / F R A N C E Sociétés Le groupe Agnelli annonce le lancement d’une OPA d’un montant de 5,2 milliards de francs sur Exor, principal actionnaire de Perrier et propriétaire de Château-Margaux, ainsi que d’un parc immobilier à Paris. Vendredi 29 FRANCE Justice Au terme de douze ans de procédure, la cour d’assises spéciale de Paris rejuge et acquitte le physicien allemand Rolf Dobbertin, condamné le 15 juin 1990 à 12 ans de réclusion criminelle pour espionnage au profit de la RDA. Économie L’introduction en Bourse du Crédit Local de France (CLF) suscite plus d’intérêt de la part des acheteurs étrangers que des français. Les 9,3 millions d’actions offertes au prix de 210 francs représentent 27 % du capital de l’établissement financier. URSS Finances publiques Privée des contributions budgétaires des républiques, la Banque centrale annonce que les salaires des fonctionnaires ne peuvent plus être versés. Le 30, les autorités financières de la Fédération de Russie se substituent au pouvoir central. Samedi 30 FRANCE Expositions Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente plus de 300 oeuvres du peintre et sculpteur Alberto Giacometti. ALGÉRIE Politique économique Le Parlement adopte une loi qui autorise les compagnies étrangères à prendre des participations à hauteur de 49 % dans le secteur des hydrocarbures. Celui-ci avait été nationalisé en février 1971. Le mois de Josyane Savigneau Certes, les grands prix littéraires de novembre (Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis et Interallié) ont toujours été un sujet de polémique. « Ce qui manque au milieu littéraire, écrivait LouisFerdinand Céline en 1960, c’est un prix vraiment superboum ; je proposerais le « Grand Prix du Navet » [...]. Le Goncourt ne viendrait forcément qu’en seconde ligne », tandis que Bernard Grasset – dont la maison a aujourd’hui « ficelé » les prix – disait du Goncourt en 1931 : « Je ne me prêterai plus à un jeu qui, comme tous les jeux de hasard, ne profite qu’à la cagnotte. » Il est vrai que le palmarès du Goncourt, depuis sa création en 1903, est assez navrant : la plupart des écrivains qui comptent au XXe siècle en sont absents. Mais, sur l’ensemble des jurys, le bilan n’est pas aussi négatif, comme en témoignent ces quelques exemples : le Renaudot pour Aragon, Céline et Le Clézio, le Médicis pour Perec et Sollers, le Femina pour Yourcenar. Pourtant, le discrédit grandit et menace de s’installer. On en connaît les raisons : des jurés, pour la plupart écrivains, trop liés aux maisons d’édition et « tenus » de manière plus ou moins subtile (à-valoir excessifs, mensualités peu justifiées par un réel travail, réédition de certains livres dans des collections prestigieuses, etc.) ; des jurés qui ne lisent pas, donc ne se battent pas pour une idée qu’ils se feraient de la littérature, mais se soumettent aux downloadModeText.vue.download 147 sur 490 CHRONOLOGIE 145 marchandages des éditeurs ; des enjeux économiques de plus en plus importants, vitaux parfois pour les maisons d’édition, surtout dans l’actuelle période de crise. L’an dernier, un vent de panique, qu’on aurait pu croire salutaire, avait soufflé sur les jurys. Ainsi le Goncourt était revenu à un inconnu, Jean Rouaud, pour son premier roman paru aux éditions de Minuit, et le Femina à un livre de 800 pages de Pierrette Fleutiaux que Gallimard avait pris le risque de publier alors que l’époque est plutôt au « faites court, sinon c’est trop cher ! ». Cette année, malheureusement, a été celle de la « normalisation ». Grasset a imposé sa loi, non seulement en obtenant le Goncourt et le Médicis, pour Pierre Combescot (les Filles du Calvaire) et Yves Simon (la Dérive des sentiments), mais en jouant de son influence (les jurés liés à Grasset sont en force dans tous les jurys sauf au Femina) sur les autres prix. La politique de conquête des prix littéraires menée par Grasset depuis une vingtaine d’années est un franc succès. Mais sa réussite peut conduire à un échec majeur : la mort d’une institution très française, celle des prix littéraires prestigieux, tous décernés à l’automne. Est-ce souhaitable, pour rétablir le vrai débat sur la littérature ? C’est possible, si aucun changement ne survient, si les jeux continuent de se faire de manière si grossière. JOSYANE SAVIGNEAU downloadModeText.vue.download 148 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 146 Décembre Dimanche 1 URSS Union Les habitants de l’Ukraine se prononcent par référendum, à 90, 32 % des votants, en faveur de l’indépendance de leur république. Le nouveau président, M. Leonid Kravtchouk, annonce que son pays ne signera pas le traité de l’Union (25 novembre). BURKINA FASO Élection présidentielle Boycotté par l’opposition et ponctué de violents incidents, le scrutin est marqué par un taux d’abstention de 72,7 %. Seul candidat, le président Blaise Compaoré obtient 86,4 % des suffrages. PARAGUAY Élections législatives Le parti Colorado, qui soutient le président Andrès Rodriguez, remporte la majorité absolue à l’Assemblée constituante. SPORT Tennis Au palais des Sports de Lyon, pour la première fois depuis la série de victoires des « Mousquetaires », de 1927 à 1932, la France remporte la coupe Davis en battant en finale les États-Unis (3-1). Lundi 2 FRANCE Police Un brigadier d’un commissariat parisien est identifié comme l’auteur de la fuite qui a permis à la police de Beyrouth de connaître la liste des 85 opposants au régime libanais, interpellés le 21 octobre à Paris, lors de la visite du président Elias Hraoui. VANUATU Élections législatives L’Union des partis modérés, qui représente la minorité francophone de l’ancien condominium franco-britannique, remporte 19 des 46 sièges au Parlement. Le parti Vanuaaku (VAP) du Premier ministre Donald Kalpokas ne conserve que 10 sièges. La formation de l’ancien dirigeant Walter Lini, issue du VAP, obtient 9 sièges (6 septembre et 16 décembre). Mardi 3 FRANCE Télévision Les propos tenus par certains invités de l’émission « Mardi soir » consacrée à l’extrême droite incitent le ministre de l’Intérieur à demander, le 5, l’engagement de poursuites pour diffamation raciale et apologie de crime contre l’humanité. Le 9, l’émission est suspendue. SEYCHELLES Institutions Le président France-Albert René propose l’instauration rapide du multipartisme dedownloadModeText.vue.download 149 sur 490 CHRONOLOGIE 147 vant le Congrès du Front progressiste du peuple seychellois, parti unique au pouvoir. TOGO Coup d’État En rébellion depuis le 28 novembre contre le régime civil de transition, des militaires qui se réclament du président Gnassingbé Eyadéma arrêtent le Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh. Sollicitée par ce dernier, la France n’intervient pas. Après s’être soumis, M. Koffigoh est nommé à la tête d’un nouveau « gouvernement provisoire d’union nationale ». Mercredi 4 FRANCE Santé Devant l’opposition unanime suscitée par le projet de loi d’indemnisation des transfusés contaminés par le virus du Sida, le gouvernement décide de demander une contribution fixe de 1,2 milliard de francs aux compagnies d’assurance, en plus du financement public, plutôt que de taxer les contrats des particuliers (27 novembre et 20 décembre). ALBANIE Vie politique Accusée d’« abus de pouvoir et de corruption », Mme Nedjmije Hodja, veuve de l’ancien dirigeant communiste, est arrêtée (6). URSS Finances Les autorités annoncent la suspension jusqu’en 1993 du remboursement de la dette bancaire contractée auprès des établissements occidentaux (21 novembre). Liban Rubans jaunes Douze ans après l’instauration du pouvoir islamique en Iran, et dix mois après la fin de la guerre du Golfe, la libération des derniers otages américains au Liban marque la fin du terrorisme proche-oriental. Le 4 décembre, le Djihad islamique libère le journaliste Terry Anderson, enlevé le 16 mars 1985 et doyen des otages du Liban. Comme le comptable de l’université de Beyrouth Joseph Cicippio, enlevé le 12 septembre 1986 et libéré l’avant-veille, et le professeur Alann Steen, détenu depuis le 24 janvier 1987 et relâché la veille, il remercie la Syrie et l’Iran pour leur « aide ». Les Américains peuvent à présent dénouer les rubans jaunes, signes d’espoir de retour. L’affaire commence à Téhéran. En novembre 1979, des étudiants islamistes retiennent 52 membres de l’ambassade des États-Unis en otages. Le « Grand Satan » est tenu en échec durant 444 jours. Le président Jimmy Carter révèle son impuissance. Le 19 juillet 1982, le vice-président de l’université américaine de Beyrouth, M. David Dodge, est enlevé dans la capitale libanaise. Dix-huit autres Américains sont victimes des groupes chiites proiraniens qui agissent au sein de l’écheveau libanais. À partir de 1985, dix Français et huit Britanniques, notamment, subissent le même sort. À l’issue de la guerre du Golfe, le président George Bush s’affirme résolu à régler la question procheorientale. C’est l’occasion pour la Syrie et l’Iran de tirer les bénéfices de leur bonne conduite durant le conflit en réalisant leur ouverture vers l’Occident. Parfois plus extrémistes que le président iranien, les ravisseurs se laissent toutefois convaincre de l’« inutilité » des otages, avérée au cours des années. Le 8 août, le Djihad islamique libère le journaliste britannique John McCarthy qu’il charge d’un message pour le secrétaire général de l’ONU. Il lui propose la libération des onze otages occidentaux restants contre celle des quelque 400 combattants chiites prisonniers d’Israël et de la quinzaine de terroristes détenus en Occident. L’État hébreu exige des informations sur ses soldats disparus au Liban. Un dialogue discret s’instaure sous l’égide de M. Javier Perez de Cuellar. Huit otages occidentaux et 91 chiites sont relâchés jusqu’à la fin de l’année, auxquels s’ajoutent les corps restitués de neuf moudjahidine et de deux downloadModeText.vue.download 150 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 148 otages américains. Deux Allemands, Heinrich Struebig et Thomas Kemptner, restent détenus. Leur libération est subordonnée à celle des frères Hamadé emprisonnés en Allemagne. Disparu en 1985, l’Italien Alberto Molinari est présumé décédé. Jeudi 5 G R A N D E ! B R E TA G N E v. encadré Grande-Bretagne, fortune de mer POLOGNE Vie politique À la suite des élections du 27 octobre, le président Lech Walesa nomme l’avocat Jan Olszewski au poste de Premier ministre. Le 23, son gouvernement de centre droit est investi par la Diète. Vendredi 6 FRANCE Éthique À la suite du lancement, en octobre 1989, d’un programme mondial d’identification des gènes de l’homme, le Comité national d’éthique prend position en faveur de la « non-commercialisation du génome humain ». Certains instituts de recherche, notamment américains, ont déjà déposé des brevets sur leurs découvertes. Audiovisuel À l’occasion de sa cinquième édition, le Téléthon fait l’objet de critiques de la part de plusieurs ministres, dont MM. Jean-Louis Bianco et Michel Gillibert, et de certains parrains, tels Jerry Lewis et Alain Delon. La gestion de l’Association française contre la myopathie ainsi que le principe et la finalité de son émission sont mis en cause. ALBANIE Vie politique Après le départ des ministres membres des partis de l’opposition anticommuniste, le Premier ministre Ylli Bufi présente la démission de son gouvernement. Le 10, il est remplacé par M. Vilson Ahmeti, qui, le 14, forme un gouvernement composé de personnalités sans étiquette. Samedi 7 THAÏLANDE Institutions Le Parlement adopte la Constitution que les militaires, au pouvoir depuis février, s’étaient engagés à élaborer. Elle instaure une « démocratie guidée » et garantit le contrôle du pouvoir par l’armée durant la première législature au moins. Dimanche 8 URSS Dissolution Réunis depuis la veille à Minsk, les présidents de la Fédération de Russie et des républiques de Biélorussie et d’Ukraine constatent que « l’URSS cesse d’exister en tant que sujet de droit international et en tant que réalité géopolitique ». Ils décident de créer une « Communauté d’États indépendants » (CEI) ouverte à d’autres républiques. Le 9, le président Mikhaïl Gorbatchev appelle au respect de la Constitution et demande que l’accord de Minsk soit soumis au peuple ou à ses représentants (17). downloadModeText.vue.download 151 sur 490 CHRONOLOGIE 149 Lundi 9 ISLAM L’Organisation de la conférence islamique L’Organisation de la conférence islamique, réunie jusqu’au 11 à Dakar, est dominée par les divisions du monde musulman au sein duquel l’Iran tente de se poser en rassembleur. ALGÉRIE Terrorisme Le commando de maquisards islamistes qui, le 28 novembre, avait attaqué le poste frontière de Guemar pour y voler des armes, est anéanti par l’armée lancée à sa poursuite. Vingt-cinq islamistes et une dizaine de militaires sont tués. CEE Au forceps 1991 restera certainement comme la date de l’accouchement, au forceps, de l’Europe du XXIe siècle. Réuni à Maastricht, aux Pays-Bas, les 9 et 10 décembre, le 46e Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement adopte, au terme de nombreux compromis, un nouveau traité sur l’Union économique et monétaire (UEM) et sur l’union politique, qui élargit le champ d’action de la CEE. L’Union européenne est née. La percée la plus significative concerne la mise en route du programme d’UEM. Complément indispensable à l’Acte unique, ce dernier est entré dans sa première phase le 1er juillet 1990 avec la libération complète des mouvements de capitaux. Au cours de sa deuxième phase, à partir du 1er janvier 1994, les politiques de « convergence » économique des Douze s’intensifieront tandis que se préparera l’instauration d’une Banque centrale européenne et d’une monnaie unique. À Maastricht, les Douze établissent un processus irréversible en vue d’atteindre cette troisième phase. Celle-ci débutera entre le 1er janvier 1997 et le 1er janvier 1999. Si la majorité qualifiée des Douze répond aux critères de convergence, ces États engageront l’UEM. Sinon, ceux des États qui remplissent ces conditions – même minoritaires – le feront de façon automatique avant la date butoir. Toutefois, en fidèle successeur de Mme Margaret Thatcher, M. John Major obtient le privilège d’une clause d’exemption qui permettra au Parlement britannique de confirmer ou non, le moment venu, l’adoption de la monnaie unique. Actualité oblige – guerre du Golfe, négociations de paix au Proche-Orient, guerre civile en Yougoslavie, effondrement de l’URSS –, l’union politique signifie principalement politique étrangère et politique de défense communes. Là encore, des réticences surgissent face à l’aliénation de la souveraineté nationale. Aujourd’hui consensuelle, la politique étrangère commune ne fera l’objet de décision à la majorité qualifiée que dans des domaines précis définis… à l’unanimité. En revanche, le développement du rôle opérationnel de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) fournira aux Européens la base juridique pour effectuer, à terme, des interventions communes. En raison de l’hostilité de la Grande-Bretagne à la politique sociale commune, ses partenaires sont amenés à conclure un protocole étranger à l’esprit et au droit européens, qui les autorise à appliquer à onze les règles communautaires dans ce domaine. L’Europe, enfin, prend un peu plus de corps en étendant ses compétences. Elle s’impose en autorisant les ressortissants des Douze à voter aux élections locales et européennes dans le pays où ils résident. Mardi 10 YOUGOSLAVIE Conflit Les forces croates enregistrent leur premier succès sur le terrain en chassant l’armée fédérale de la ville de Lipik, en Slavonie. K E N YA Institutions Le Parlement rétablit le multipartisme aboli en 1982. downloadModeText.vue.download 152 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 150 É TAT S ! U N I S Diplomatie À Washington, la reprise des négociations bilatérales sur la paix au Proche-Orient achoppe sur le problème de l’organisation du dialogue israélo-jordano-palestinien en deux forums, voulue par les Palestiniens et rejetée par Israël. Le 18, les discussions sont renvoyées en janvier. Mercredi 11 RUSSIE Vie politique Menacé par les autorités d’être refoulé en Allemagne, où il est inculpé, l’ancien dirigeant est-allemand Erich Honecker se réfugie à l’ambassade du Chili à Moscou. INDE Relations internationales M. Li Peng effectue jusqu’au 16 la première visite d’un chef du gouvernement chinois à New Delhi depuis 1960. Les deux autres pays signent des accords de coopération, mais le règlement de leur contentieux frontalier ne progresse pas. É TAT S ! U N I S Justice Au terme d’un procès télévisé en direct, le jeune William Kennedy Smith bénéficie d’un acquittement. Le neveu du sénateur Ted Kennedy était accusé du viol d’une jeune femme dans la propriété familiale de Palm Beach (Floride), le 30 mars. Jeudi 12 ROUMANIE Vie politique Les 16 dignitaires du Parti communiste condamnés le 24 mars pour leur rôle dans la répression de l’insurrection de décembre 1989 sont acquittés en appel. LIBAN Relations internationales La visite à Beyrouth du ministre français des Affaires étrangères, M. Roland Dumas, scelle la normalisation des relations entre les deux pays. É TAT S ! U N I S Politique étrangère Les autorités prennent acte de la « dissolution » du pouvoir central de l’URSS, mais lient l’assistance et la reconnaissance américaines au maintien d’un centre unique de contrôle des armements nucléaires soviétiques et au respect du principe de nonprolifération (16). Vendredi 13 CORÉES Relations À Séoul, les Premiers ministres des deux pays signent un « accord historique » de « réconciliation, non-agression, échange et coopération » qui constitue un premier pas vers la conclusion d’un traité de paix et met fin à 46 ans de confrontation dans la péninsule (31). Samedi 14 É G L I S E C AT H O L I Q U E Le premier synode européen Le premier synode européen, qui regroupe depuis le 2 à Rome 140 évêques de l’Ouest et de l’Est, souligne la part prise par les croyants dans l’effondrement du communisme. Il illustre aussi les avis divergeants des représentants des deux Europes sur le rôle de l’Église dans la société moderne. Les downloadModeText.vue.download 153 sur 490 CHRONOLOGIE 151 principales Églises orthodoxes ont refusé d’y participer. FRANCE Cérémonie Allumée le 13 à Olympie, en Grèce, la flamme olympique arrive à Paris à bord d’un Concorde. Portée par 5 500 relayeurs, elle doit parcourir toutes les provinces avant de parvenir à Albertville, le 8 février, pour l’ouverture des 16e jeux Olympiques d’hiver. ÉGYPTE Catastrophe maritime Au large de Safaga, en mer Rouge, le naufrage du Salem-Express, un ferry qui transportait des pèlerins de La Mecque, fait 473 morts. Dimanche 15 ONU Le Conseil de sécurité Le Conseil de sécurité adopte la résolution 724 qui prévoit l’envoi en Yougoslavie d’observateurs militaires chargés de préparer le déploiement d’une force de maintien de la paix après l’arrêt des combats. FRANCE Vie politique Lors de l’émission télévisée « 7/7 », sur TF1, le président François Mitterrand déclare que la réforme constitutionnelle qu’implique la ratification du traité de Maastricht pourrait faire l’objet d’un référendum. Lundi 16 ONU L’Assemblée générale L’Assemblée générale abroge la résolution du 10 novembre 1975 qui assimilait le sionisme à « une forme de racisme et de discrimination raciale ». CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères des Douze s’accordent sur le principe de la reconnaissance sous condition des républiques yougoslaves qui souhaitent leur indépendance. Ils reportent leur décision au 15 janvier 1992. FRANCE Justice Le tribunal correctionnel de Grasse condamne à quatre ans de prison, dont trois avec sursis, le pilote britannique de l’offshore qui avait pris la fuite après avoir heurté, au large d’Antibes, le 17 août 1988, une embarcation dont un passager était mort à la suite de cet accident. G R A N D E ! B R E TA G N E Terrorisme L’explosion d’une bombe à Clapham Junction, qui ne fait pas de victime, entraîne la fermeture des 15 gares de Londres. Cette action s’inscrit dans la campagne d’attentats que l’Armée républicaine irlandaise (IRA) mène tous les ans à la période de Noël. URSS Relations internationales À Moscou, le secrétaire d’État américain James Baker rencontre M. Boris Eltsine et le maréchal Evgueni Chapochnikov, ministre soviétique de la Défense, qui apporte au président russe la caution de l’Armée rouge. Il se rend ensuite dans les autres républiques sur le territoire desquelles sont basées des armes nucléaires – Ukraine, Biélorussie et Kazakhstan – et au Kirghizstan (12). Union Le Parlement du Kazakhstan proclame l’indépendance de la république. downloadModeText.vue.download 154 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 152 VANUATU Vie politique À l’issue des élections du 2, l’Union des partis modérés, francophone, et le National United Party de l’ancien président Walter Lini forment un gouvernement de coalition dirigé par M. Maxime Carlot. CANADA Territoire Le gouvernement et les Inuit concluent un accord qui prévoit la création d’un nouveau territoire dans l’Arctique, le Nunavut. Il sera administré par les Inuit, qui obtiennent des droits exclusifs de pêche, de chasse et d’exploitation du sous-sol. TRINITÉ!ET!TOBAGO Élections législatives Le Mouvement national du peuple (socialdémocrate), qui avait cédé le pouvoir à l’Alliance nationale pour la reconstruction (centriste) de M. Arthur Ray Robinson en 1986, remporte 21 des 36 sièges au Parlement. Le 17, son chef, M. Patrick Manning, est nommé Premier ministre. Mardi 17 FRANCE Justice Reconnus coupables d’escroquerie, d’abus de confiance, de banqueroute et d’exercice illégal de la profession de banquier, les frères Jacques et Pierre Chaumet, anciens dirigeants de la joaillerie de la place Vendôme, sont condamnés respectivement à cinq ans de prison dont trois avec sursis, et quatre ans dont 30 mois avec sursis, ainsi qu’à 500 000 francs d’amende chacun. Ils font appel. URSS Dissolution MM. Boris Eltsine et Mikhaïl Gorbatchev décident que l’Union des républiques socialistes soviétiques cessera d’exister avant la fin de l’année (19). NOUVELLE!ZÉLANDE Relations internationales Les autorités déclarent qu’elles ne demanderont pas l’extradition de l’agent français Gérald Andries, impliqué dans l’attentat contre le Rainbow Warrior à Auckland en 1985, et arrêté fortuitement en Suisse le 23 novembre. Mercredi 18 FRANCE Politique industrielle Le Premier ministre Édith Cresson annonce au Conseil des ministres la fusion des activités industrielles du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et du secteur de l’électronique civile de Thomson. ThomsonCEA-Industrie a l’ambition d’être un pôle industriel mondial dans le domaine des technologies de pointe. DJIBOUTI Troubles Les forces de l’ordre perquisitionnent à Arhiba, quartier afar de la capitale où près de 40 personnes sont tuées. Ces représailles font suite aux revers militaires subis par l’armée dans le Nord face aux rebelles du FRUD, après la rupture du cessez-le-feu (13 novembre). É TAT S ! U N I S Industrie Premier constructeur mondial d’automobiles, General Motors annonce 74 000 suppressions d’emplois en quatre ans, soit 19 % de ses effectifs nord-américains. downloadModeText.vue.download 155 sur 490 CHRONOLOGIE 153 Jeudi 19 FINANCES MONDIALES La Banque fédérale d’Allemagne La Banque fédérale d’Allemagne accroît son taux d’escompte de 7,5 % à 8 %, sans consulter ses partenaires européens, afin de lutter contre l’inflation. Le 20, la Réserve fédérale américaine abaisse le sien de 4,5 % à 3,5 %. Il atteint son plus bas niveau depuis 1964. Le 23, la Banque de France relève son taux directeur de 9,25 % à 9,60 % afin de maintenir la stabilité du franc dans le SME. Le 30, la Banque du Japon abaisse le sien de 5 % à 4,5 % pour soutenir l’activité économique. CEE Audiovisuel Les Douze parviennent à un compromis au sujet de la télévision haute définition. La norme européenne D2 Mac n’est imposée qu’aux nouvelles chaînes, et le financement de son développement n’est pas prévu. FRANCE Service national Le Parlement adopte le projet de loi qui réduit à dix mois la durée des obligations militaires. Budget Après l’engagement de la responsabilité du gouvernement au titre de l’article 49-3 de la Constitution, le 15, le projet de loi de finances pour 1992 est définitivement adopté. URSS Dissolution Par décret de M. Boris Eltsine, la Russie s’approprie les palais du Kremlin, les locaux du ministère des Affaires étrangères et ceux des ambassades soviétiques à l’étranger. Le président russe crée un vaste ministère de la Sécurité, qui, comme durant les années 1930, regroupe les services des ex-KGB soviétique et russe, et les organes du ministère de l’Intérieur (21). AUSTRALIE Vie politique Destitué de la direction du Parti travailliste, M. Bob Hawke cède son poste de Premier ministre à son remplaçant, M. Paul Keating. MADAGASCAR Vie politique Le Premier ministre Guy Razanamasy forme un gouvernement « de consensus » avec les formations d’opposition du Comité des Forces vives. L’ancien parti unique du président Didier Ratsiraka n’y participe pas. Vendredi 20 OTAN Le Conseil de coopération nord-atlantique Le Conseil de coopération nord-atlantique, qui réunit les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance et des pays de l’Est, inaugure à Bruxelles ses « consultations périodiques ». FRANCE Communication La session parlementaire d’automne s’achève avec l’adoption, notamment, du projet de loi qui légalise la publicité comparative et de celui qui abaisse de 50 % à 40 % les quotas audiovisuels d’oeuvres françaises. Santé Le tribunal administratif de Paris condamne le ministère des Affaires sociales à verser une indemnité de 2 millions de francs à un hémophile contaminé par le virus du Sida en 1985. C’est la première fois que la responsabilité de l’État, et non celle downloadModeText.vue.download 156 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 154 du Centre national de transfusion sanguine, est reconnue. Justice La cour d’appel de Paris estime que la loi d’amnistie du 18 juin 1966 ne permet pas d’instruire la plainte pour « crime contre l’humanité » déposée contre M. Georges Boudard (encadré France, l’affaire Boudarel). Justice La cour d’assises de Paris condamne JeanThierry Mathurin à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 18 ans. Arrêté en 1987, ce complice de Thierry Paulin, mort du Sida en détention en 1989, est reconnu coupable de sept assassinats de vieilles dames et d’une tentative, en octobre et novembre 1984. Samedi 21 URSS Dissolution Réunis à Alma-Ata, au Kazakhstan, les dirigeants de huit républiques se joignent à la Communauté des États indépendants (CEI), créée le 8 par les trois républiques slaves. Ses structures institutionnelles sont précisées. Seule la Géorgie demeure à l’écart de la CEI (25). CAMBODGE Troubles À Phnom Penh, l’assassinat d’un étudiant par un policier provoque pendant deux jours des manifestations violentes réprimées par l’armée. TAIWAN Élections législatives Destiné à désigner l’Assemblée nationale qui sera appelée à réviser la Constitution, le scrutin est marqué par la nette victoire du Kuomintang, au pouvoir depuis 1989, qui recueille 71 % des voix. AFRIQUE DU SUD Institutions La plupart des participants à la Conférence pour une Afrique du Sud démocratique (CODESA), dont les travaux ont commencé la veille près de Johannesburg, adoptent les principes de la future Constitution. Le chef zoulou Mangosuthu Buthelezi, ainsi que les représentants de l’extrême gauche noire et de l’extrême droite blanche, sont absents. Dimanche 22 GÉORGIE Troubles À Tbilissi, des combats meurtriers opposent durant tout le mois les opposants épaulés par la garde nationale aux partisans du président Zviad Gamsakhourdia, qui s’est retranché dans les locaux du Parlement. LIBAN Otages Le corps de Richard William Higgins est découvert à Beyrouth. Enlevé le 17 février 1988 par l’organisation chiite des Opprimés dans le monde, le colonel américain membre des forces de l’ONU avait été pendu le 31 juillet 1989. Lundi 23 CEE Les ministres des Affaires étrangères Les ministres des Affaires étrangères des Douze prennent acte de la naissance de la CEI, reconnaissent la Fédération de Russie et la considèrent comme l’héritière de l’URSS sur le plan international. Le 25, les downloadModeText.vue.download 157 sur 490 CHRONOLOGIE 155 États-Unis font de même, suivis de nombreux autres pays (24). ALLEMAGNE Politique étrangère Prenant le contre-pied de la décision communautaire du 16, le gouvernement reconnaît les républiques yougoslaves de la Slovénie et de la Croatie. Mardi 24 ONU La Fédération de Russie La Fédération de Russie informe le secrétariat général qu’elle remplace l’URSS comme membre permanent du Conseil de sécurité, avec l’accord des autres membres de la CEI. Mercredi 25 URSS Dissolution Secrétaire général du PCUS depuis le 11 mars 1985, élu président de l’Union le 1er octobre 1988, M. Mikhaïl Gorbatchev annonce sa démission. Il déplore le « démembrement » d’un « grand État ». Son rôle historique est salué par les dirigeants des grands pays, sauf la Chine (30). Défense Le président Boris Eltsine annonce le retrait des troupes ex-soviétiques stationnées en Géorgie, ainsi que de celles qui étaient interposées entre les forces azéries et arméniennes dans l’enclave du Haut-Karabakh, en Azerbaïdjan, où de violents affrontements reprennent aussitôt (29). TURQUIE Terrorisme Après divers affrontements meurtriers avec l’armée dans le sud-est, des indépendantistes kurdes commettent un attentat contre un grand magasin de la banlieue d’Istanbul, qui fait onze morts. Jeudi 26 INDE Massacre Un commando sikh assassine une cinquantaine de passagers d’un train près de Ludhiana, au Pendjab. Près de 9 000 personnes sont mortes en 1991 du fait du terrorisme sikh. Algérie L’enjeu L’année 1991 n’aura été pour l’Algérie qu’une suite de problèmes non résolus, aux rebondissements lourds de prochaines explosions. Commencée dans le fracas de la guerre du Golfe, durant laquelle l’Algérie aura sans doute été le plus enflammé de tous les pays arabes, elle se termine sous le signe d’élections législatives remportées haut la main par les islamistes. À l’horizon pointe le spectre d’un coup d’État et, de toute façon, la certitude de douloureux déchirements. L’Algérie accouche de son futur avec difficultés. Dans un contexte où le délabrement des infrastructures économiques le dispute à une formidable crise identitaire donnant au Front islamique du salut (FIS), lors des élections municipales de juin 1990, sa première victoire politique, le gouvernement FLN de M. Mouloud Hamrouche fixe la date des premières élections législatives pluralistes au 27 juin 1991. En mai, le FIS, opposé au redécoupage de la carte électorale, qu’il qualifie, non sans raison, de trucage, entre en action. Il investit la rue, occupe les places de la capitale, défile en exigeant une élection présidentielle. Rapidement, le mouvement dérape : le gouvernement, qui tente de reprendre par la force le contrôle de la rue, s’oppose durement aux manifestants islamistes. Les morts se comptent par dizaines, l’état de siège est proclamé, et les élections reportées sine die. Le gouvernement de M. Hamrouche n’y survit pas : downloadModeText.vue.download 158 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 156 le 5 juin, le Premier ministre démissionne, remplacé quelques heures plus tard par le ministre des Affaires étrangères, M. Sid Ahmed Ghozali. Le nouveau chef du gouvernement donne satisfaction au FIS en promettant avant la fin de l’année des élections législatives et, surtout, présidentielles anticipées. Mais, sous la pression du président de la République, M. Chadli Bendjedid, il devra renoncer à la présidentielle, qui aurait été la seule façon de dénouer la crise. Dès lors, l’avenir du gouvernement Ghozali est quasiment scellé. Le FIS qui, malgré l’emprisonnement de ses principaux dirigeants, a gardé l’essentiel de ses forces, entre à nouveau en dissidence contre un gouvernement qui se heurte, par ailleurs, à l’opposition du FLN repris en main par M. Hamrouche. Le 26 décembre, le premier tour des élections législatives attribue au FIS 188 députés sur les 430 sièges à pourvoir. Il leur donne en prime bon espoir de remporter, à l’issue du deuxième tour prévu le 16 janvier 1992, les deux tiers des sièges. La perspective de l’instauration d’un État islamique laisse ouvertes toutes les possibilités : l’entrée de l’Algérie dans un univers radicalement différent, ou un coup d’État qui ne ferait que reporter à plus tard les problèmes qu’il faudra bien résoudre un jour. Samedi 28 FRANCE Musique À Paris, le Théâtre des Champs-Élysées présente Alceste, opéra de Jean-Baptiste Lully, dirigé par Jean-Claude Malgoire à la tête de l’orchestre de la Grande Écurie et la Chambre du Roy, et mis en scène par JeanLouis Martinoty. Dimanche 29 FRANCE/IRAN Relations À Téhéran, le secrétaire général du Quai d’Orsay signe avec le vice-ministre iranien des Affaires étrangères l’« accord global » qui règle le contentieux financier entre les deux pays relatif au programme Eurodif. Ses dispositions restent secrètes. RUSSIE/ARMÉNIE Relations À Moscou, le président russe Boris Eltsine signe avec son homologue arménien, M. Levon Ter-Petrossian, le premier « accord d’amitié, de coopération et de sécurité commune » entre deux membres de la nouvelle CEI. Lundi 30 CEI Défense Réunis à Minsk, en Biélorussie, les présidents des onze républiques décident le démembrement de l’armée soviétique. Ils définissent un commandement unique pour les forces stratégiques, dont l’utilisation est soumise à l’accord des quatre républiques détentrices de l’arme atomique. Mais six républiques confirment bientôt leur intention de créer leur propre armée. LIBAN Attentat Dans le secteur musulman de Beyrouth, l’explosion d’une voiture piégée fait une vingtaine de morts et une centaine de blessés. MAROC Répression Détenus sans inculpation ni jugement depuis le 8 juillet 1973 pour espionnage au profit de la France et d’Israël, les trois frères Bouréquat, de nationalité française, sont libérés par grâce royale. É TAT S ! U N I S Justice Le Crédit Lyonnais l’emporte sur M. Giancarlo Parretti dans le procès qui les opposait au sujet de la gestion de la Metro Goldwyn downloadModeText.vue.download 159 sur 490 CHRONOLOGIE 157 Mayer, achetée par le financier italien en 1990 avec l’aide de la filiale néerlandaise de la banque française. M. Parretti a été arrêté en Italie le 27 et inculpé de fraude fiscale et d’association de malfaiteurs. Mardi 31 France La Cinq à zéro On savait la chaîne en mauvaise santé. On évoquait une nécessaire opération de « reformatage » susceptible d’attirer de nouveaux partenaires financiers. Le 17 décembre, M. Yves Sabouret, P-DG de La Cinq, annonce le licenciement de 576 personnes sur un total de 820, dont 85 journalistes sur 112. Reformatage ou sabordage ? En janvier 1986, avant les élections, le pouvoir so- cialiste accorde à MM. Jérôme Seydoux et Sergio Berlusconi la concession de La Cinq. Le gouvernement de M. Jacques Chirac privatise bientôt TF1, qui est attribuée en avril 1987 à Bouygues plutôt qu’à Hachette. À cette même date, M. Robert Hersant profite d’un environnement politique favorable pour devenir l’opérateur de La Cinq. Celle-ci part alors à l’assaut de TF1. Appâtées, les stars de la Une désertent en nombre. La Cinq acquiert des droits d’exclusivité prestigieux. Mais l’audience ne suit pas. Et les grandes ambitions se dégonflent. Les programmes se chercheront pendant deux ans –souvent en violation du cahier des charges –, tandis que les relations entre les actionnaires se dégradent. Point positif de cette période, l’« info » se renforce. Mais elle ne remporte qu’un succès d’estime. Au début de 1990, les caisses sont vides. En mai, Hachette fait son entrée dans le capital de la chaîne. En octobre, le groupe de M. Jean-Luc Lagardère remplace celui de M. Hersant comme opérateur. Le P-DG d’Hachette entonne à son tour le grand air de « la chaîne généraliste, familiale et haut de gamme » en lorgnant du côté de TF1. Il promet au CSA la diffusion de quatre journaux quotidiens et de deux magazines hebdomadaires d’information, l’amélioration des émissions destinées à la jeunesse et l’affectation de plus de 1 milliard de francs par an aux programmes à partir de 1992. Il trouve dans les placards des séries américaines et des dessins animés japonais... La récession du marché publicitaire en 1991 fait paraître plus lourde la réglementation publique. Et l’audimat ne bouge pas – 10 % en moyenne, 5 % pour l’information. Le déficit avoué de La Cinq pour 1991 est de 1,12 milliard de francs. La conjoncture n’explique pas tout. Mais elle a empêché l’intégration de la chaîne au sein de l’empire multimédias, qui se serait faite plus probablement au profit d’Hachette qu’à celui des journalistes de La Cinq. D’autre part, Hachette a connu d’autres déconvenues durant l’année. Ses dettes s’élèvent à 10 milliards de francs. Le 24 décembre, ses administrateurs rejettent toute dépense supplémentaire en faveur de la chaîne. Le 27, le CSA exige le respect des engagements. Tout est dit. Le 31, La Cinq annonce son dépôt de bilan. CORÉES Désarmement Les deux États concluent un accord de principe sur la dénucléarisation de la péninsule. Ils s’engagent à laisser les experts de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) inspecter leurs installa- tions (13). S A LVA D O R Conflit À New York, les représentants du gouvernement et de la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) signent un « accord définitif » en vue de l’instauration d’un cessez-le-feu le 1er février 1992. Le bilan de la guerre civile qui ravage le pays depuis 1980 est de près de 80 000 morts. Le mois d’Annie Fratellini Pourquoi le cirque est-il plus souvent associé aux fêtes de Noël ? N’est-ce pas simplement parce qu’il est synonyme de fête, de rêve, de récompense aussi ? Depuis qu’il est né, ce spectacle – cet art – est destiné au public universel. Non pas en particulier aux enfants, mais à tous ceux qui ont gardé cette fraîcheur liée à l’enfance. À ceux qui ont la chance downloadModeText.vue.download 160 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 158 de croire aux contes de fées, aux pères Noël, aux clowns, au cirque. Au début du siècle, les trois Fratellini – petits frères d’Italie – firent ce miracle. À Noël, entre deux séances du cirque Médrano, à Montmartre, ils partaient vers ceux qui ne pouvaient se déplacer. Dignes pères Noël : là où il y avait de la tristesse, ils essayaient de consoler, de faire oublier. Êtres mystérieux, venus d’ailleurs, on les regardait émus, émerveillés et effrayés. Peut-être aurait-on même pu les toucher ? et se souvenir à jamais… Cela devint alors une coutume d’aller au cirque pour Noël. Pourtant, au fil des années, les clowns s’en furent vers d’autres planètes. Le monde changeait. Le cirque, heureusement, transcende le temps et les modes parce qu’il est vrai. Aujourd’hui encore, à Noël, le public réclame en priorité du cirque, espace-spectacle pur. Et des clowns. Car il y aura toujours un clown, un cirque, un père Noël dans le coeur de ceux qui aiment la fête. Chaque année, de novembre à fin décembre et pour les fêtes de Noël, plus d’une dizaine de cirques s’installent dans ou autour de Paris et dans les villes de province où ils accueillent plus d’un million de spectateurs. ANNIE FRATELLINI Météo : l’Automne La période comprise entre l’équinoxe d’automne et le 30 septembre est marquée par la diminution sensible des températures (de 1 à 2 °C inférieures aux normales), des précipitations abondantes et des vents forts. Du 24 au 30, des pluies remarquables ont été relevées sur tout le pays : 42 mm en 3 h à Biarritz, 60 mm en 14 h à Agen, 71 mm en 6 h à Montbeugny le 25 ; 29 mm en 6 h à Cannes le 26, 74 mm à Mirambeau en 24 h le 27 ou 67 mm en 3 h 30 à Borrèze le 28... Ces précipitations globalement excédentaires ont contribué à l’amélioration de l’état hydrique des sols ; dans les Landes, en Franche-Comté et sur la Côte d’Azur, le rapport R/RU est supérieur à 90 %. Des vents violents de sud ou de sud-ouest soufflant en rafales sont enregistrés au moment du passage des perturbations : 104 km/h à Luxeuil le 22 ; 136 km/h au cap Corse le 27 ; 113 km/h à Mimizan et 133 km/h à 1’Île d’Yeu le 28. Le 27, deux trombes sont observées à l’ouest de Boulogne. Octobre Mois plutôt frais et pluvieux. L’évolution des températures est caractérisée par l’alternance de périodes normales (du 1er au 6 et du 26 au 31), de périodes fraîches ou froides (du 6 au 8 et du 18 au 25) et d’une période de douceur (du 9 au 18). Elle s’explique par l’origine et la nature des masses d’air qui se sont manifestées sur le territoire ou par les variations des éléments du champ de pression tant au sol qu’en altitude. Les températures les plus basses ont été mesurées du 5 au 7 ainsi que les 23 et 24 octobre. Les températures minimales ont atteint des valeurs record ; le 7 : 2,7 °C à Montauban, le 23 : – 3,2 °C à Auch, – 1,7 °C à Montauban, – 4,5 °C à Nevers et, le 24 : – 4,3 °C à Saint-Étienne. À l’exception du Nord, toutes les autres régions ont connu des excédents pluviométriques plus ou moins importants : Sud-Ouest 11 %, Nord-Est et Centre-Est 17 %, Ouest 19 %, Sud-Est et Corse 24 %. Il a neigé dans les Préalpes et les Alpes au-dessus de 1 200 mm du 5 au 7 octobre et sur les sommets du Cantal le 19. Des pluies abondantes et intenses ont été enregistrées pendant les principaux épisodes pluvieux (le Ier et le 2, du 5 au 7, du 8 au 16 et du 26 au 28) et, en particulier : 41 mm en 2 h à Lubersac le 11 ; 42 mm en 14 h à Brest le 14 ; 101 mm à Cissac en 24 h, entre 6 h UTC le 15 et 6 h UTC le 16 ; 102 mm en 16 h à Bastia et 153 mm à San Giuliano le 27... Signalons aussi les pluies mêlées de poussières d’origine saharienne observées à Hyères, Toulouse, Mende, Bourges, Romorantin et Dijon le 11. Au 31 octobre, le rapport R/RU de la réserve d’eau disponible à la réserve utile est compris entre 20 et 50 % en Lorraine, Champagne, Orléanais, Val de Loire, Périgord, région toulousaine et seuil du Lauragais. Il est supérieur à 95 % en Bretagne, en Vendée, dans les Landes et à l’est de la ligne Nîmes-Châtillon-sur-Seine-Épinal-Mulhouse. Novembre Les températures sont voisines des normales. En réalité, les valeurs moyennes masquent des écarts plus ou moins importants. Ainsi, du 1er au 4, les températures sont-elles de 4 à 6 °C supérieures aux normales 1951 – 1980 selon les régions, alors qu’elles leur sont inférieures de 3 à 4 °C entre le 9 et le 12. Rares sont les records battus : – 0,6 °C est la température maximale la plus basse jamais relevée à Aurillac le 24. Les précipitations cumulées sont normales dans l’Ouest, déficitaires dans le Centre-Est et le Sud-Est, et excédentaires ailleurs. L’essentiel des abats pluviométriques a été réalisé pendant la 2e décade et plus précisément du 11 au 15. downloadModeText.vue.download 161 sur 490 CHRONOLOGIE 159 Parmi les pluies les plus remarquables, on peut citer : 38 mm en 1 h à Gâtines, 21 mm en 6 h aux Sables-d’Olonne, 50,7 mm en 24 h à Cambo le 13 ou encore 67,6 mm à Banca, 45 mm à Pau, 42,4 mm à Tarbes en 24 h le 15. Sous orage, les vents ont atteint localement des vitesses instantanées élevées : 122 km/h au cap Sagro le 5, 108 km/h à Saint-Quentin le 12 ou 122 km/h au cap Corse le 14. Les conditions anticycloniques qui ont prévalu pendant la dernière décade de novembre expliquent la persistance des nuages bas et des brouillards dans l’Ouest, le Nord, le Nord-Est et le Centre-Est. Au 30 novembre, le bilan hydrique des sols est globalement satisfaisant. Le rapport R/RU n’est inférieur à 60 % qu’en Île-de-France, en Champagne, en Lorraine, dans la Limagne et dans le Languedoc-Roussillon ; il atteint même downloadModeText.vue.download 162 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 160 100 % en Nord. Le Thelma a faisant, Bretagne, dans le Cotentin et dans le 5 novembre, aux Philippines, le typhon dévasté les îles de Leyte, Negros et Cebu outre des dégâts considérables, plus de 3 000 morts. Décembre Jusqu’au 16, les pressions élevées qui se maintiennent sur l’Europe de l’Ouest déterminent, au nord de la ligne Saintes-Montauban-Alès-Castellane, des types de temps hivernaux : froid sec et gelées matinales fortes (– 10 °C à Nevers le 10, – 14 C à Colmar et 12 °C à Dijon le 12...), brouillards localement givrants, ciel couvert ou dégagé et vent faible. Au sud de cette ligne, les températures sont plus clémentes, l’ensoleillement satisfaisant et les pluies faibles. Du 17 au solstice d’hiver, le passage de perturbations plus ou moins actives se traduit par une hausse générale des températures et le renforcement des vents. Les 20 et 21, tandis que le vent souffle en tempête sur la Manche, l’exceptionnel enneigement des Préalpes, des Alpes et du Jura accroît le risque avalancheux et fait craindre des inondations. À la veille des vacances de Noël, le tapis neigeux est de qualité dans l’ensemble du domaine skiable. PHILIPPE C. CHAMARD downloadModeText.vue.download 163 sur 490 161 L’A N N É E D A N S LE MONDE downloadModeText.vue.download 164 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 162 L’année dans le monde Écrasement de l’Irak, désintégration de l’Union soviétique : les deux événements majeurs de 1991 ne constituent en un sens que le dénouement – provisoire – des deux grandes crises de 1990, celle de l’Est et celle du Golfe. Mais leur addition a eu un résultat sans précédent : il n’y a plus qu’une superpuissance et il n’est d’autre paix concevable, pour le moment, que sous sa direction. Une vieille tradition pousse les Américains à se considérer, selon un mot de George Washington, comme « les législateurs de toutes les nationalités ». Loin pourtant de se rengorger, les voilà, une fois passé le moment d’exaltation patriotique engendré par la défaite de Saddam Hussein, en pleine morosité. C’est que la fin de la crise du Golfe n’a entraîné aucune reprise de l’économie. Au moment où l’on tenait pour assuré le triomphe du libéralisme et du marché, la pompe de la prospérité s’est désamorcée. L’endettement des États-Unis est à son comble, et il en va de même du déficit budgétaire. Les équipements sont à l’abandon. Le chômage engendre, comme partout, l’insécurité, la corruption, le racisme. La peur de perdre son emploi ou de contracter le sida a remplacé celle de la guerre. L’aggravation de la répression est impuissante à empêcher les diverses mafias, et notamment celle de la drogue, d’étendre rapidement leur empire. Des coups d’épée dans l’eau Au pinacle de sa popularité au lendemain de la victoire de la coalition anti-irakienne, le président Bush se voit reprocher de tous côtés de négliger les problèmes intérieurs et ce n’est pas la campagne pour l’élection présidentielle de 1992 qui a beaucoup de chances de désarmer les critiques. Aussi bien ne met-il plus la même conviction à défendre ce « nouvel ordre mondial » dont, après Wilson et Roosevelt, il s’était fait le champion, allant jusqu’à assurer qu’à la différence de ce qui s’était passé en 1918 et en 1945 l’espoir de bâtir la paix sur les ruines laissées par la guerre ne serait pas cette fois déçu. Après avoir mentionné quarante-deux fois le « nouvel ordre » en question, il a soudain cessé d’en parler pour n’y revenir que brièvement, dans son discours de septembre à l’Assemblée des Nations unies. Encore en a-t-il fortement réduit la portée : à côté de voeux pieux sur les droits de l’homme et le règlement pacifique des conflits, il a cru nécessaire de préciser qu’il ne serait pas « touché à un iota » de la souveraineté des États. Le propos est pour le moins surprenant dans la bouche d’un homme qui n’avait pas hésité à faire enlever manu militari le dictateur panaméen Noriega. Qui, cédant à l’indignation de l’opinion internationale devant le calvaire des Kurdes, a envoyé des soldats en Irak pour y mettre fin. Qui a accepté, à la demande pressante de la France et de la Grande-Bretagne, de reconnaître un droit d’ingérence dans les affaires d’États trop indifférents aux droits de l’homme. Des contradictions internes Au début de l’été encore, George Bush n’a pas hésité à se rendre à Kiev pour dire aux députés ukrainiens qu’une proclamation d’indépen- dance serait de leur part « suicidaire », et à envoyer son secrétaire d’État à Belgrade pour y défendre le maintien de l’unité yougoslave. Dans les deux cas, ces ingérences manifestes se sont résumées à un coup d’épée dans l’eau. En mettant hors-la-loi le parti qui faisait tenir ensemble les cent-vingt-huit nationalités dont l’URSS reconnaissait officiellement l’existence, l’échec du putsch de Moscou a donné un coup d’accélérateur décisif à l’éclatement de l’empire. Les États baltes ont enfin obtenu la reconnaissance internationale qu’ils réclamaient en vain. Les douze autres républiques soviétiques ont tour à tour proclamé leur indépendance, y compris l’Ukraine. À peine celleci s’y était-elle décidée, au lendemain d’un référendum au résultat sans équivoque, qu’on apprenait la constitution entre elle, la Russie, et la Biélorussie, d’une « Communauté d’États souverains » à laquelle allaient bientôt se rallier l’Arménie et les républiques musulmanes d’Asie centrale. C’était à bien des égards l’objectif que s’était fixé Gorbatchev avec son « traité de l’Union », dont l’imminence de la signature n’avait pas peu contribué au déclenchement du putsch. À cette nuance près que, dans sa version à lui, l’Union aurait conservé un « centre », compédownloadModeText.vue.download 165 sur 490 L’ANNÉE DANS LE MONDE 163 tent notamment en matière de politique étrangère et de défense, et qu’il en aurait exercé la présidence. Pour porter aux yeux du peuple la responsabilité du naufrage économique du pays, et à ceux de l’armée celle de l’évacuation, dans des conditions éprouvantes, de l’Europe de l’Est, il n’avait guère de chances d’y parvenir. Sa démission n’était donc qu’une question de temps. La nouvelle Communauté peut-elle cependant se passer d’un ultime recours, alors qu’à lui seul le contrôle des armes nucléaires pose tant d’épineux problèmes ? Alors que ses dimensions mêmes exposent la Russie à la tentation de perpétuer une hégémonie séculaire ? L’avenir se chargera de répondre à ces questions, étant entendu que la plus grave, dans l’immédiat, vise l’étendue de la désorganisation économique, la montée en flèche des prix, de l’inflation, de l’endettement, les queues devant les rayons vides, le développement de la criminalité et le poids de mafias où se retrouvent bien des aparatchiks d’hier. L’éclatement de l’autre fédération communiste, la Yougoslavie, a entraîné des conséquences plus dramatiques encore. Aussi longtemps que durait la guerre froide, il était impensable, compte tenu de l’incidence qu’il aurait eu sur les relations entre les superpuissances. Mais la répétition de 1989 dans toute l’Europe de l’Est ne pouvait pas ne pas gagner le pays de Tito, durement affecté par la crise économique et trop prisonnier de son passé pour ne pas exposer au grand jour, une fois que l’occasion lui serait donnée, ses contradictions ethniques, religieuses, idéologiques. C’est par milliers que se comptent désormais les victimes de ce que l’on n’ose plus appeler une guerre civile. De timides progrès Les États-Unis ne sont pas seuls à s’y être cassé les dents. Ni la CSCE, ni la CEE, ni les Nations unies ne sont parvenues à séparer les combattants, et l’impuissance du sommet des Douze à Maastricht, en fin d’année, à arrêter une position commune face à ce drame n’a pas manqué de donner un caractère un peu dérisoire aux résolutions prises sur la nécessité d’une politique étrangère commune. Même si ce sommet, grâce notamment à l’accord réalisé sur l’adoption, en 1999 au plus tard, avec ou sans la Grande-Bretagne, d’une monnaie commune, a indiscutablement marqué un progrès de l’intégration européenne, la poursuite de celle-ci contraste par trop avec la désintégration à l’oeuvre dans l’est du continent, comme en Afrique et dans plusieurs autres pays du tiers monde. Au vu de ce tableau, on est porté à se dire que l’année qui aurait dû être celle du « nouvel ordre mondial » est d’abord celle du désordre et de la confusion. Il n’empêche que, grâce en grande partie au ralliement de l’URSS aux « valeurs communes de l’humanité », des conflits interminables ont trouvé en 1991 une conclusion ou au moins l’amorce d’une conclusion. Sihanouk est rentré au Cambodge à la tête d’un gouvernement de réconciliation nationale. Les deux Corées se sont officiellement raccommodées. Le « négus rouge » d’Éthiopie a pris la fuite. L’Afrique du Sud a abjuré l’apartheid et le Congrès national africain de Nelson Mandela a renoncé du coup à la lutte armée. La démocratie fait quelques timides progrès sur le continent noir. Il n’y a plus de dictateurs en Amérique du Sud, et celle du Centre se pacifie progressivement. Enfin et surtout, James Baker a réussi à engager le dialogue entre les Israéliens et les représentants à peine voilés de l’OLP. De là à la paix, le chemin est encore long et l’on ne saurait oublier que cette même année 1991 est celle où la Syrie a vu consacrer sa mainmise sur le malheureux Liban. Il n’empêche que se sont mis à parler ensemble des hommes dont l’antagonisme avait longtemps paru insurmontable. C’est assez pour qu’on n’ait pas le droit de s’abandonner, malgré tous les nuages qui s’accumulent à l’horizon, à un excessif pessimisme. ANDRÉ FONTAINE downloadModeText.vue.download 166 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 164 POLITIQUE Une année triomphale pour la démocratie, c’est du moins ce que, avec un brin d’angélisme, on pouvait espérer de 1991. La disparition accélérée des régimes marxistes-léninistes en Europe de l’Est et en URSS allait laisser la place à des institutions représentatives que les peuples appelaient, semble-t-il, de leurs voeux. Dans le monde entier, d’ailleurs, exception faite de la Chine, de Cuba et de la Corée du Nord, les dictatures reculaient. La réalité, comme trop souvent, a été moins brillante. L’année a commencé dans le fracas de la guerre et s’est achevée dans une crainte diffuse de l’avenir qui n’a épargné aucun des pays où l’opinion publique peut se manifester sans entrave. La guerre du Golfe s’est terminée par un succès militaire écrasant et des fanfares triomphales. Les chefs d’État en ont tiré, en France comme aux ÉtatsUnis, un prestige qui s’est vite effrité. Le conflit a accéléré la crise économique déjà commencée et provoqué une crise psychologique qui en a largement accru les effets. Le mot seul de « guerre » a réveillé les souvenirs des uns et fait surgir les images de restriction et de repli frileux dont les autres ont été depuis cinquante ans abreuvés par les médias. L’Occident a eu les jambes coupées par le stress. Il est brusquement tombé dans la morosité. En France, pour faire fructifier le capital de popularité que lui avait valu l’affaire du Koweït, le président de la République a tenté de muscler son gouvernement en faisant appel à Mme Édith Cresson, réputée femme de caractère. La glissade de la majorité et celle de sa cote personnelle en ont, en fait, été accélérées. Aux États-Unis, M. George Bush est dans une situation identique, faute de pouvoir maîtriser les difficultés économiques intérieures. En Grande-Bretagne, le successeur de Mme Thatcher, M. John Major, a grand peine à maintenir hors de l’eau le parti conservateur, qui risque fort d’être écarté du pouvoir à la prochaine consultation électorale. L’Allemagne elle-même, qui doit digérer la défunte RDA, conserve difficilement son équilibre économique et financier. L’étiquette politique compte peu lorsque les situations ont tendance à se ressembler. De l’internationalisme au nationalisme Si les gouvernements occidentaux marquent quelque usure, à l’Est, les nouveaux pouvoirs, dans la mesure où ils sont assurés, paient lourdement le prix de la succession : ils sont rendus comptables de la catastrophe économique qui, en grande partie, a amené la chute des régimes communistes. Ils sont sous la menace d’un fondamentalisme politique et du nationalisme qui, dans une moindre mesure, n’épargne pas l’Ouest. Les nationalismes débridés, nourris d’anciennes haines et d’anciens massacres, ont entretenu l’incendie en Yougoslavie ; ils font craindre à tout instant, en cette fin d’année, des explosions parmi les restes épars de ce qui fut l’URSS, maintiennent downloadModeText.vue.download 167 sur 490 POLITIQUE 165 la tension en Tchécoslovaquie et les pulsions racistes et xénophobes même dans les pays où la démocratie paraît très solidement établie. En Chine même, où un capitalisme très particulier se cache sous le manteau d’un communisme qui se dit pur et dur, des ferments de dissociation se manifestent non seulement au Tibet, annexé naguère par la force, mais aussi dans des provinces traditionnellement encastrées dans le vieil empire. Le Japon, qui, malgré ses intérêts dans le Golfe, n’a pris part que financièrement au conflit, prend conscience progressivement de la soumission de sa classe politique et particulièrement de ses gouvernants aux grands intérêts, et d’une concussion qui dépasse de loin les scandales français. Le modèle paternaliste qui régit ses entreprises commence à être contesté. Une crise politique et une crise de société se profilent à long terme. En Amérique latine, l’amélioration économique se poursuit dans certains pays et un grand espoir de paix est apparu au Salvador Cependant, la situation des chefs d’État hors nonnes, comme M. Menem en Argentine et M. Color au Brésil, est de plus en plus fragile. Cuba, privée de l’aide soviétique, s’enfonce dans la régression industrielle et économique. L’Afrique, elle, oscille entre le meilleur et le pire. En Algérie, le mécontentement et la misère ont donné au Front islamique du salut (FIS), malgré ou à cause d’une abstention massive, un si net succès au premier tour des élections législatives que l’ancien parti unique, le FLN, l’opposition démocratique et l’armée se préparent à réagir. Au sud du Sahara, le bilan est mitigé. Si, dans des pays comme le Zaïre, l’évolution vers la démocratie subit de lourds revers, elle paraît en bonne voie dans d’autres où l’existence d’élites locales, comme au Bénin, facilite la transition. Tandis que se disloquaient les ensembles soviétique et yougoslave que le communisme, même s’il ne les avait pas créés, maintenait rudement en place, l’Europe poursuivait sa marche difficile et toujours cahotante vers l’unité. De la conférence de Maastricht, à la fin de l’année, et des décisions prises, on n’avait, fin 1991, que des échos assez flous. Les premiers mois de 1992 apporteront des précisions sur le contenu d’accords qui restent à rédiger. Les campagnes prévues dans les pays de la communauté sur la ratification montreront l’importance exacte du réflexe de rétraction que l’on a commencé à constater dans des opinions publiques qui hésitent à franchir un pas décisif. Là aussi, la revendication d’identité nationale agite les consciences. downloadModeText.vue.download 168 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 166 LE POINT SUR... RELATIONS INTERNATIONALES Non sans difficultés, les États-Unis, auxquels l’effondrement de l’empire communiste a permis d’accéder au statut incontesté de seule superpuissance mondiale, ont essayé d’imposer un nouvel ordre international. Pour ce faire, ils ont eu tout de même besoin de s’appuyer sur l’ONU et d’obtenir l’accord des dirigeants de l’ancienne Union soviétique. Il leur a également fallu le soutien financier – essentiel durant la guerre du Golfe – du Japon et de l’Allemagne. L’année a d’abord été marquée par la guerre contre l’Irak, qui s’est déroulée entre le 17 janvier et le 28 février et qui a eu de graves conséquences dans le monde arabe et dans l’ensemble du Moyen-Orient. En janvier, de multiples démonstrations de solidarité avec Saddam Hussein ont été organisées dans les pays du Maghreb, et particulièrement dans les rues d’Alger, où, le 18, plusieurs dizaines de milliers d’islamistes ont défilé. Le 3 février, à Rabat, des manifestants aussi nombreux ont demandé le retrait des 1 200 soldats marocains envoyés en Arabie Saoudite. Enfin, l’OLP ayant affirmé son soutien à Saddam Hussein qui lançait des missiles Scud sur Israël, la population jordanienne, où les Palestiniens sont majoritaires, s’est alignée sur les thèses du maître de Bagdad. Le 6 mars, les six États arabes du Golfe, l’Égypte et la Syrie ont créé une force de maintien de la paix dans le Golfe afin que la sécurité y soit assurée après le départ des Américains. Resté neutre durant le conflit, l’Iran a rétabli ses relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite le 20 mars. Enfin, la Turquie, d’où partaient des avions qui allaient bombarder l’Irak, a fini par accepter en avril que 200 000 Kurdes puissent se réfugier sur son territoire avant de regagner l’Irak le 20 mai. Le secrétaire d’État américain James Baker, qui avait promis aux alliés arabes de la coalition anti-irakienne de relancer le processus de paix au Proche-Orient, s’est rendu dans la région dès le 8 mars pour entamer ses innombrables tournées diplomatiques qui ont fini par aboutir le 18 octobre. Il a pu alors annoncer, de Jérusalem, l’ouverture à Madrid le 30 octobre d’une conférence de paix sur le Proche-Orient à laquelle les Palestiniens seraient représentés au sein d’une délégation commune avec la Jordanie. En ce même 18 octobre, l’URSS et l’État hébreu ont rétabli leurs relations diplomatiques, qui avaient été rompues par le Kremlin en 1967. Le 20 octobre, cédant aux pressions du président Bush, qui menaçait de refuser une garantie financière américaine au gouvernement israélien, celui-ci a fini par accepter de participer à la conférence de Madrid. Le jour précédent, l’OLP s’était réconciliée avec la Syrie. Guerre et paix Afin d’assurer la paix et de préparer des élections libres pour 1993, l’accord du 23 octobre a donné une autorité considérable à l’ONU dont les représentants auront pour mission d’empêcher le retour au pouvoir des Khmers rouges, responsables de la mort de plus d’un million de personnes. Un véritable génocide. downloadModeText.vue.download 169 sur 490 POLITIQUE 167 Dans le domaine du désarmement, des progrès considérables ont été réalisés. Lors de leur rencontre du 31 juillet, MM. Bush et Gorbatchev ont signé le traité START, qui était en négociation depuis neuf ans. Cet accord prévoit une réduction de 28 % des armements nucléaires stratégiques des deux pays. Le président américain, le 27 septembre, et le soviétique, le 5 octobre, ont ensuite annoncé l’élimination prochaine de leurs armes nucléaires à courte portée. Enfin, le 17 octobre, les ministres de la Défense de l’OTAN ont décidé de diminuer de 80 % les stocks de ce même type d’armes entreposés en Europe. L’entente entre Moscou et Washington a eu des répercussions capitales dans le reste du monde. Le 16 mai, lors du séjour de M. Jiang Zemin en URSS, le premier d’un secrétaire général du PC chinois depuis 1957, un accord sur le tracé de la frontière sino-soviétique orientale a été signé. En Afrique, la détente a aussi progressé. Le 31 mai, le président Dos Santos et M. Savimbi, chef des rebelles de l’UNITA, ont signé à Lisbonne un accord de cessezle-feu en Angola. Le 6 septembre, sous l’égide de l’ONU, les hostilités ont cessé au Sahara occidental, où un référendum d’autodétermination doit être organisé au début de 1992. Enfin, le 17 septembre, les deux Corées ont été admises à l’ONU. Concrétisé par la dissolution du Comecon (28 juin), puis du pacte de Varsovie (1er juillet), et par l’indépendance des États baltes (20 et 21 août), l’effondrement de l’empire soviétique a entraîné la réapparition des nationalismes en Europe orientale. Malgré ses efforts, la Communauté européenne, trop divisée, n’a pu empêcher la guerre civile yougoslave. Gêné par les revendications de sa droite nationaliste sur l’Istrie, qui était italienne avant 1947, le gouvernement de Rome craignait l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. De son côté, l’Allemagne, qui a renoué des relations historiques avec cette partie de l’Europe, défendait l’autodétermination des deux républiques. Et la France a longtemps souhaité le maintien de la fédération yougoslave qu’elle avait tant contribué à créer en 1918. Utile, l’initiative franco-allemande du 14 octobre, visant à doter les Douze d’une politique étrangère et de sécurité commune, a été jugée une fois de plus très cavalière par les petites nations de la CEE. Mais l’essentiel était d’aboutir avant la réunion du Conseil européen de Maastricht des 9 et 10 décembre. LAURENT LEBLOND downloadModeText.vue.download 170 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 168 L’ANNÉE POLITIQUE EN FRANCE En 1991, le « choc », provoqué par la nomination d’Édith Cresson et les nouvelles orientations politiques n’ont pas paru suffisants aux Français pour leur faire oublier les « affaires » et leur redonner confiance en leur avenir immédiat. Pour restaurer l’unité du Parti socialiste et pour rétablir son crédit dans l’opinion, Michel Rocard misait à la fin de 1990 sur un long terme limité à 1993 par l’échéance législative. La guerre du Golfe et la volonté du président de la République ne lui en laissèrent pas le loisir. La participation militaire victorieuse de la France à la libération du Koweït avait été pourtant un moment de quasiunanimité nationale. Assuré du soutien massif du Parlement dont les membres (523 députés et 290 sénateurs) avaient approuvé le 16 janvier l’engagement des forces françaises aux côtés de leurs alliés anglo-saxons et arabes, le chef de l’État avait vu sa cote de popularité s’envoler en février jusqu’à un sommet de 65 % qu’il ne devait plus jamais retrouver après la signature du cessez-le-feu du 28 février. L’effet « Golfe » Pour le pouvoir, ce triomphe se révélera rapidement riche en effets pervers. Sensibilisée par les aspects médiatiques de la guerre du Golfe, l’opinion publique laissa l’entreprise des trois « cavaliers » de la rénovation, Michel Noir, Jean-Michel Dubernard et Michèle Barzach, sombrer dans l’indifférence de l’abstention. À l’issue des législatives partielles des 27 janvier et 3 février, qui coûtaient son siège à Mme Barzach, l’opposition apparaissait ressoudée et, au sein de l’UPF, Jacques Chirac semblait être le mieux placé dans la course à l’Élysée, tandis qu’Édouard Balladur prenait à mi-parcours une option sur Matignon dans l’hypothèse où François Mitterrand serait contraint d’accepter la constitution d’un deuxième gouvernement de cohabitation en 1993. Cette éventualité était renforcée par la conjonction, au sein du PS, d’une double opposition à la politique du chef de l’État : celle de la Nouvelle École socialiste animée par des élus de l’Essonne, Julien Dray, Marie-Noëlle Lienemann, Jean-Luc Mélenchon, hostiles par principe à tout engagement militaire de la France qui ne serait pas compris des jeunes « beurs » ; celle de Socialisme et République, courant issu de l’ancien CERES, qui refusait de subordonner « la politique arabe de la France » à la défense des intérêts américains. En opposant leurs voix au message présidentiel du 16 janvier, sept députés et trois sénateurs socialistes n’hésitaient pas à officialiser publiquement cette crise interne au PS, crise qui aboutit logiquement, le 29, à la démission du ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement, dont les options politiques se trouvaient ainsi curieusement alignées sur celles de son adversaire le plus déterminé, JeanMarie Le Pen, en apparence indifférent, en la matière, aux réactions de son électorat, porté naturellement à adhérer au consensus dont la guerre du Golfe était l’objet. downloadModeText.vue.download 171 sur 490 POLITIQUE 169 Celui-ci dura d’autant moins que la rapidité de la victoire avait entretenu, à tort, chez les Français, l’illusion que leur pays était encore une grande puissance militaire et que la reprise économique était au coin de la rue. Contraint pendant les hostilités au « devoir de grisaille » par le président de la République qui occupait le devant de la scène politique en tant que « chef des années », Michel Rocard souhaitait reprendre l’initiative sur le terrain social afin de combattre la croissance du chômage : 0,4 % en janvier et 1,8 % en février. Pour stimuler la production et assurer la reprise de l’embauche, il empruntait alors à Jean Poperen l’idée d’une indexation des salaires, non plus sur les prix - dont l’élévation officielle apparaissait d’ailleurs faible (+ 0,4 % en jan- vier et + 0,2 % en février) – mais sur la croissance économique. Conforté par des sondages qui révélaient que 74 % des Français souhaitaient son maintien à Matignon, le chef du gouvernement bénéficiait de deux atouts pour assurer la mise en oeuvre de sa politique : l’octroi par le Koweït, le 25 février, d’une aide financière d’un milliard de dollars, aide qui écartait le spectre d’un « impôt spécial Golfe » ; l’effacement d’un syndicalisme de contestation au profit d’un syndicalisme de concertation au lendemain des élections du 12 février, qui faisait perdre à la CGT, pour la première fois depuis la Libération, la majorité absolue au sein du comité central d’entreprise de la Régie Renault ! La persistance du déficit du commerce extérieur (5,8 milliards de F en janvier ; 3,6 milliards de F en février ; 4,7 milliards en mars ; 2,1 milliards en avril) ne faisait que traduire le manque de compétitivité des entreprises françaises sur le marché international, ainsi que les incidences économiques de la guerre du Golfe qui ont mis un terme à la lucrative course aux armements au Proche-Orient. Leur part dans les exportations nationales diminuait donc dramatiquement à l’heure où s’imposait la restructuration destructive d’emplois de plusieurs industries clefs : celle de la flotte de pêche, selon le plan rendu public le 13 mars par le ministre de la Mer, Jacques Mellick ; celle de l’électronique, qui nécessitait, le 3 avril, une intervention directe de l’État au profit des entreprises Thomson et Bull, bénéficiaires de dotations en capital d’un montant de 1,8 milliard de F pour la première et de 2 milliards pour la seconde, qui avait dû, dès le 27 mars, annoncer 8 500 suppressions d’emplois en 1991 et en 1992 pour éponger le seul déficit de l’exercice 1990 : 6,8 milliards de F ; celle de la télévision publique à laquelle il fallut accorder, également le 3 avril, une somme d’un milliard de F pour assurer le renflouement d’Antenne 2 et de FR3. Et cette liste n’est malheureusement pas limitative. Pour assurer le financement de telles mesures, le gouvernement dut alors autoriser les entreprises nationalisées à accepter une participation minoritaire de capitaux privés à leur capital social à concurrence, au maximum, de 49,99 %. C’était ce que souhaitait ouvertement le Premier ministre depuis 1982. Mais c’était revenir sur le dogme du « ni-ni » (ni nouvelles nationalisations ni nouvelles privatisations) tel que l’avait proclamé le chef de l’État en 1988. downloadModeText.vue.download 172 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 170 Le choix du Président Publié au Journal officiel du 5 avril, le décret d’application pouvait alors apparaître comme une apparente revanche de Michel Rocard sur François Mitterrand. Mais être obligé de se soumettre à la logique du capital pour assurer le « nouvel élan » de l’économie ne dut guère plaire à ce dernier, qui nourrissait sans doute d’autres griefs à l’encontre de son Premier ministre. Les réformes en cours passaient mal. Imposant de ce fait aux villes une coopération intercommunale sous la présidence, pas toujours souhaitée, du préfet, le projet de loi sur l’administration territoriale n’était adopté, le 9 avril, qu’à une voix de majorité, celle du député centriste Edmond Gerrer, son vote approbatif lui ayant été imposé par un député socialiste, Bernard Dérosier, plus rapide à « tourner sa clef » que Bernadette Isaac-Sibille, sa collègue de l’UDC dont le groupe se trouvait dès lors rejeté dans une opposition pure et dure. Assurant la mise en place des instruments de planification de la carte sanitaire et soumettant les établissements de soins publics ou privés au système d’autorisation à durée déterminée et au régime d’évaluation périodique, le projet de loi sur la réforme hospitalière ne pouvait être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale que grâce à la procédure du « 49-3 », qui épargne au gouvernement le risque d’être désavoué par la majorité parlementaire. Et, quand cette dernière adopta définitivement, le 12 avril, le nouveau statut de la Corse par 276 voix contre 262 et 38 abstentions, le Conseil constitutionnel n’hésita pas à sanctionner le gouvernement en annulant, le 9 mai, l’article 1er de la loi qui reconnaissait l’existence d’un « peuple corse composante du peuple français » ! Contraint par ailleurs de renoncer dès le 17 avril à modifier le mode de scrutin pour les élections régionales de 1992, faute de majorité parlementaire positive pour ratifier cette réforme, critiqué sans doute implicitement par le chef de l’État pour n’avoir pas su prévenir les émeutes qui avaient fait onze morts à Saint-Denis-de-la-Réunion du 23 au 25 février, Michel Rocard ne survécut pas à la relance des « affaires » ; mort accidentelle de Michel d’Ornano, le 8 mars, curieusement restée inexpliquée ; révocation, le 18, de l’inspecteur Antoine Gaudino, de la police nationale, pour avoir dénoncé, en 1990, l’affaire des fausses factures de la SORMAE, société chargée de financer les campagnes électorales du PS ; dessaisissement, le 7 avril, confirmé malgré l’avis contraire de la cour d’appel d’Angers, du juge d’instruction Thierry Jean-Pierre pour perquisition estimée abusive par le parquet au siège parisien d’Urbatechnic, bureau d’études chargé du financement de ce même parti. Il n’en fallait pas plus pour ressusciter l’opposition. Celle-ci témoigna alors de sa cohésion en déposant, le 9 avril, une motion de censure qui recueillit, le 11, 261 voix pour défendre l’indépendance de la justice. Et le bureau politique de l’Union pour la France (UPF) la confirma le 10 par la signature d’un accord par lequel le RPR et l’UDF s’engageaient à organiser des primaires pour l’élection présidentielle et à présenter des candidats communs aux élections régionales de 1992 et législatives de 1993. downloadModeText.vue.download 173 sur 490 POLITIQUE 171 Après mûre réflexion et au vu du résultat des élections partielles qui attestaient le discrédit croissant du PS, François Mitterrand se résolut, le 15 mai, à demander sa démission au chef du gouvernement pour confier ses responsabilités à Mme Édith Cresson. En choisissant une femme comme downloadModeText.vue.download 174 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 172 Premier ministre, pour la première fois en France, le chef de l’État pouvait espérer créer le choc psychologique nécessaire pour donner « un nouvel élan » à sa politique et pour préparer la mise en place du « marché unique européen » le 1er janvier 1993. Il n’en fut rien, malgré l’accueil favorable réservé, courtoisie aidant, au nouveau Premier ministre. Les raisons de cet échec sont multiples. Pour donner plus de cohérence à son équipe gouvernementale et pour faciliter le rapprochement entre le PS et le PCF en vue des échéances électorales de 1992 et de 1993, rapprochement que concrétisa l’entretien au sommet du 6 juin entre Pierre Mauroy et Georges Marchais, Édith Cresson, à quelques exceptions près (Jean-Pierre Soisson, JeanMarie Rausch), n’avait pas renouvelé dans leurs fonctions les ministres de la France unie. C’était renouer avec la politique d’union de la gauche telle qu’elle avait été pratiquée au début du premier septennat de François Mitterrand. Mais c’était aussi signer l’arrêt de mort de la politique d’ouverture au centre, inaugurée à l’aube du second. Le gouvernement pâtit également de l’inexpérience de son chef. Sa déclaration de politique générale fut mal accueillie par l’opinion et par la presse qui relevèrent avec complaisance ses maladresses de débutante. Le 21, on se gaussa de sa réponse au Journal du Dimanche qui lui aliéna les habitués du palais Brongniart : « La Bourse, je n’en ai rien à cirer » (sic). On se divertit fort du refrain qu’entonnèrent les membres du groupe « rap » d’Orly qu’elle avait invités le 27 juin à la « garden party » de l’Hôtel Matignon : « Un gouvernement qui investit dans les armements, c’est dégoûtant », affirmation qui n’eut pas l’heur de plaire aux représentants présents de l’armée ! Ce n’étaient là que détails comparés aux trois problèmes majeurs qu’Édith Cresson s’était donné pour mission de résoudre le 22 mai : « Muscler davantage notre appareil productif, renforcer notre cohésion sociale, lutter contre les inégalités et les exclusions, et d’abord contre le chômage ». En charge d’un superministère de l’Économie et des Finances, Pierre Bérégovoy ne put épargner à la France les contrecoups de la récession internationale ni améliorer la compétitivité des entreprises françaises à l’heure même où le déficit prévu de la Sécurité sociale (23 milliards pour 1991 ; 26,4 milliards pour 1992) nécessitait une augmentation « des prélèvements tant fiscaux que sociaux » contre lesquels l’opposition déposa une motion de censure qui ne recueillit, le 17 juin, que 265 des 289 voix nécessaires pour renverser le gouvernement. La République en péril Fleuron de l’industrie française, la firme Dassault ne pouvait vendre ses Mirages 2000-5 à la Suisse qui leur préférait, le 26, les F18 américains. Pour sauver Bull, il fallut accepter, le 9 juillet, l’entrée de la société informatique japonaise NEC dans son capital à hauteur de 4,9 % ; pour assurer un nouveau souffle à deux autres entreprises publiques, Usinor-Sacilor et Air France, le Crédit Lyonnais le 15 et la BNP le 17 durent apporter à la première 2,5 milliards de F et à la seconde 1 milliard de F d’argent frais ; enfin, le 18, le troisième groupe textile français downloadModeText.vue.download 175 sur 490 POLITIQUE 173 VEV - Prouvost, n’évitait le dépôt de bilan que grâce à un plan de reprise mis au point par ses banques créancières. Moins chanceux, l’ultime groupe informatique français était mis en liquidation financière le 11 juillet et le groupe marseillais Sud-Marine subissait un sort analogue le 29 avant d’être repris le 13 août par le groupe Brisard, numéro un français de la machine-outil. Malgré l’adoption définitive le 3 juillet, par l’Assemblée nationale, de la loi sur la réforme hospitalière et de la loi d’orientation sur la ville dite « loi antighetto », le tissu social se déchirait. Le 11 juin, puis le 17 novembre, près de 100 000 professionnels de la santé manifestèrent à Paris contre les projets ministériels de maîtrise des dépenses d’assurance maladie. Les pouvoirs publics leur répondirent par l’indifférence et entamèrent, impavides, le 25, la mise en oeuvre de leur plan, qui aboutit à l’augmentation des cotisations sociales le 1er juillet et à l’adoption, en première lecture, par l’Assemblée nationale le 5 octobre, du projet de loi portant création d’une « agence du médicament ». Avec une égale indifférence, ils refusèrent d’améliorer les conditions de travail et de salaires des infirmières, dont le recrutement se tarit. Et quand celles-ci osèrent défiler en masse dans les rues de la capitale, ils n’hésitèrent pas à recourir au canon à eau et au tir de grenades lacrymogènes pour les disperser, quitte à blesser quelques-unes d’entre-elles. C’est par la violence également qu’ils répondirent le 23 et le 24 juin, à Narbonne, à la revendication d’intégration sociale des fils de « harkis », revendication qui ne fut satisfaite que partiellement le 12 juillet. Victimes de la chute des cours de la viande, inquiets des projets de réforme de la politique communautaire, 200 000 agriculteurs affluèrent à leur tour à Paris le 29 septembre pour y clamer leur colère, prélude à une série de manifestations qui empêchèrent les ministres de se déplacer en province, au grand mécontentement du chef de l’État qui dénonça, le 22 octobre, « certaines bandes qui... mettent en péril d’une certaine façon la République ». Où l’on parle de charters... Inexorablement, la courbe du chômage progressait vers la crête des 3 millions de chômeurs, chaque opération de restructuration industrielle s’accompagnant d’une annonce de suppression d’emplois : 25 % des effectifs à Antenne 2 et à FR3 le 12 juin ; 3 000 annoncées par Air France le 25 septembre pour l’année 1992 ; 6 700 étalées sur trois ans selon un communiqué d’Usinor-Sacilor en date du 5 novembre, etc. Devant l’ampleur de ce désastre humain, le Premier ministre n’a pas hésité, dès le 26 mai, à « sortir du cadre idéologique de la gauche » pour préconiser le développement de l’apprentissage dans le cadre d’une alternance école-entreprise qui permettrait de former les jeunes en fonction des besoins du marché, au risque d’entrer en conflit avec le ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, préoccupé avant tout d’amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. Couplée aux mesures à court terme proposées dès le 3 juillet par le nouveau ministre du Travail, Martine Aubry, cette nouvelle politique de formation des jeunes devrait favoriser une reprise prodownloadModeText.vue.download 176 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 174 gressive de leur embauche, à condition qu’aux courants migratoires en provenance d’Afrique ne viennent pas s’ajouter des candidats à des emplois originaires, cette fois, de l’Europe de l’Est et dont l’arrivée serait facilitée dès 1993 par les accords de Schengen, qui ont prévu la création d’un espace sans frontière entre huit pays de la CEE à partir du 1er janvier 1993. Aggravé par la participation trop fréquente d’étrangers en provenance d’outre-mer à des manifestations de violence parfois sanglantes, telles celles qui se déroulèrent du 9 au 12 juin à proximité du quartier du Val-Fourré à Mantes-laJolie, le problème de l’immigration est désormais considéré comme la clef de celui de l’emploi par un nombre croissant d’électeurs qui apportent leurs suffrages au Front national de Jean-Marie Le Pen, ainsi qu’en témoignent, par exemple, les premiers tours des cantonales qui eurent lieu le 15 septembre à Marseille (44,4 %) et à Seynod, en Haute-Savoie (14,1 %). L’ampleur de ce phénomène incita les dirigeants de tous les partis politiques « traditionnels » à modifier leur discours en cette matière. Sans approuver la déclaration de Michel Poniatowski, publiée dans le Figaro du 20 juin, selon lequel « la population immigrée est hautement criminogène », Jacques Chirac constata, le 19, l’existence d’une « overdose d’étrangers » dont « le bruit et l’odeur » perturberaient la vie quotidienne des habitants des HLM, avant même que Valéry Giscard d’Estaing ne dénonce, le 21 septembre, dans un article du Figaro-Magazine, le risque d’« invasion » que représenteraient pour la France une immigration non contrôlée et une politique de naturalisations reposant sur le droit du sol, et non sur celui du sang. Contrainte de se saisir de ce problème qui sapait sa base électorale, Édith Cresson n’hésita pas à envisager, le 8 juillet, devant les caméras de TF1, le recours à des vols spéciaux pour expulser les étrangers en situation irrégulière. Elle dut y renoncer dans le dispositif de maîtrise de l’immigration qu’elle présenta le 10 au Conseil des ministres, car l’utilisation de « charters » à cette fin révulsait de nombreux socialistes. La montée de l’abstentionnisme, qui se situait presque toujours entre 40 % et 50 % du corps électoral, la difficile réélection à la députation des anciens ministres Jean-Pierre Chevènement et Claude Évin, les nombreuses victoires remportées par le RPR, l’UDF où l’UDC lors des élections communales ou cantonales partielles témoignèrent que le pouvoir n’était pas parvenu à rendre crédible sa politique. Changer le scrutin ? Enfin, de trop nombreux scandales achevèrent d’ébranler la confiance des Français : assassinat de Chapour Bakhtiar le 6 août par des Iraniens, malgré la protection dont il bénéficiait ; suicide le 13 septembre d’Yves Laurent, maire socialiste de Saint-Sébastien-sur-Loire lié à une affaire de fausses factures ; condamnation le 26 du préfet de l’Élysée, Christian Prouteau, pour « complicité de subornation de témoins » ; inculpation le 7 décembre d’Alain Boublil, ancien directeur du cabinet de Pierre Bérégovoy, pour délit d’initié dans l’affaire Pechiney, et pire encore, inculpation le 21 novembre downloadModeText.vue.download 177 sur 490 POLITIQUE 175 de trois anciens responsables de la Santé pour contamination d’hémophiles par le virus du Sida lors de transfusions sanguines en 1984 et en 1985 ! Dans ces conditions, on comprend la chute de popularité du chef du gouvernement, qui ne satisfaisait plus que 27 % des électeurs sondés à la fin de décembre. On comprend aussi celle du chef de l’État, qui s’est abaissée de 65 % en février à 31 % en décembre, l’opposition et les médias lui ayant reproché son hésitation à dénoncer les auteurs du putsch de Moscou contre Mikhaïl Gorbatchev le 19 août. On comprend enfin que, pour éviter d’être accusés de fausser le résultat des élections, les responsables du pouvoir aient renoncé à réformer la loi électorale pour les régionales de 1992 et soient – semble-t-il – en passe d’abandonner leur projet de réforme du mode de scrutin pour les législatives de 1993. Au soir du 31 décembre 1991, l’avenir n’était pas « rose » pour les hommes de la majorité présidentielle. Sera-t-il « vert », « bleu blanc rouge », ou « blanc », ou bien restaurera-t-il au pouvoir les représentants du RPR et de l’UDF, ressourcés par une longue cure d’opposition ? PIERRE THIBAULT downloadModeText.vue.download 178 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 176 LE POINT SUR... POLITIQUE ÉTRANGÈRE Alors qu’ils tentaient de trouver les moyens d’intervenir pour mettre un terme aux tragédies vécues par certains peuples européens et surtout extra-européens, le président de la République et les responsables de la politique étrangère française ont été surpris par l’effondrement du monde communiste. Qu’il s’agisse de l’unification de l’Allemagne ou de l’indépendance des nations qui formaient l’ancien empire soviétique ou la Yougoslavie, M. François Mitterrand a d’abord essayé de retarder les évolutions, et, à l’instar de Metternich, de conserver le statu quo international ; ensuite, le chef de l’État a cherché à rattraper les erreurs commises. L’année des initiatives Si elles ont diversement abouti, les initiatives françaises au moment de la crise du Golfe ont eu le mérite de l’originalité : le 5 janvier, M. Michel Vauzelle, président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, est allé rencontrer le président Saddam Hussein à Bagdad ; le 14, la France a proposé un ultime plan de paix au Conseil de sécurité de l’ONU, que les États-Unis et le Royaume-Uni n’ont cependant pas voulu soutenir. Le 5 avril, le Conseil de sécurité a voté une résolution française en faveur des Kurdes à nouveau pourchassés par Saddam Hussein ; puis l’insistance de Paris ainsi qu’une campagne de presse américaine ont conduit le président Bush à accepter le 16 l’envoi dans le nord de l’Irak d’une force de protection à laquelle militaires français et britanniques se sont ensuite joints. Coprésidente, avec l’Indonésie, de la conférence sur le Cambodge, la France a joué un rôle déterminant dans le processus qui a abouti à l’accord de paix signé à Paris le 23 octobre. Le Quai d’Orsay a trouvé un compromis qui a permis la conclusion du cessez-le-feu. Sur le Vieux Continent, les démarches françaises ont été pour le moins intempestives. L’idée de Confédération européenne avancée par M. François Mitterrand a subi un demi-échec lors des assises tenues à Prague du 12 au 14 juin. Le président de la République avait déclaré que les nouvelles nations indépendantes d’Europe orientale devraient « attendre des dizaines d’années » avant de pouvoir adhérer à la Communauté européenne. Le président a dû plus tard nuancer quelque peu ses propos. Également malencontreuse a été l’intervention télévisée du chef de l’État du 19 août à propos du putsch qui venait d’avoir lieu à Moscou. En parlant des « dirigeants » soviétiques actuels qui seraient « jugés sur leurs actes », en ne condamnant pas nettement leur action et en s’abstenant d’apporter son soutien à Mikhaïl Gorbatchev, le président français a donné l’impression de les accepter immédiatement comme ses nouveaux et légitimes interlocuteurs, même si, quelques heures plus tôt, il leur avait demandé de garantir la vie et la liberté de MM. Gorbatchev et Eltsine. Lors de son voyage en Allemagne orientale, du 18 au 20 septembre, M. François Mitterrand a dissipé en partie le malaise qui régnait entre Paris et downloadModeText.vue.download 179 sur 490 POLITIQUE 177 Bonn. Cette crise était due à la fois à la méfiance du chef de l’État français vis-àvis de l’unification allemande et à l’attitude des responsables d’outre-Rhin, plus préoccupés de leurs problèmes nationaux que de l’union européenne. Depuis lors, l’initiative prise le 14 octobre par MM. François Mitterrand et Helmut Kohl en faveur d’une politique étrangère et de sécurité commune aux Douze a montré que la coopération franco-allemande se portait relativement bien. Les deux dirigeants ont proposé la création d’un corps franco-allemand, qui serait le noyau d’une future armée européenne. LAURENT LEBLOND DÉFENSE En 1991, l’actualité de la défense a été placée sous le double signe de la détente Est-Ouest et de la tension Nord-Sud. La réunification allemande se traduira, comme l’a annoncé Pierre Joxe, ministre de la Défense, par la dissolution en deux ans de deux divisions blindées et de quatre régiments d’artillerie, dans le cadre du retrait des Forces françaises en Allemagne (FFA). Parallèlement, Français et Allemands ont présenté en octobre un projet de politique étrangère et de défense communes. Essentiellement politique, celui-ci prévoit la création d’un corps d’armée franco-allemand de 30 000 à 40 000 hommes avec un état-major basé à Strasbourg. Selon Paris, il s’agira du « noyau d’un corps européen pouvant inclure les forces d’autres États membres de l’UEO » (Union de l’Europe occidentale : les douze de la CEE moins l’Irlande, la Grèce et le Danemark). L’initiative franco-allemande ne pouvait que susciter la méfiance des États-Unis et de leurs alliés dans l’OTAN, voire l’hostilité de certains membres de l’Alliance comme l’Italie et la Grande-Bretagne dont le chef de la diplomatie, Douglas Hurd, déclarait « inutile et dangereux de dédoubler ce que fait l’OTAN en Europe ». La guerre du Golfe, qui a démontré l’importance majeure des systèmes de renseignement et de communication dans la conduite des opérations, a souligné combien Paris était dépendant de Washington dans le cadre d’un conflit armé. Aussi la France a-t-elle décidé de se doter d’une infrastructure autonome de communication, comprenant radars aéroportés et satellites de renseignement et d’alerte avancée. Dernier effet induit, la guerre du Golfe a relancé le débat sur le bien-fondé de la conscription. Finalement, la France s’est gardée de trancher, en préférant ramener la durée du service national de douze à dix mois. PHILIPPE FAVERJON LÉGISLATION En 1991, le droit français aura connu l’aboutissement de quelques grandes réformes attendues. Deux lois du 10 juillet 1991 sont dignes de la plus grande attention. La première (no 91-646), relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, comble un vide légal en organisant les fameuses « écoutes » aussi bien judiciaires qu’administratives : ces dernières, dites « interceptions de sécurité », ne peuvent plus être ordonnées que par décision écrite et motivée du Premier ministre ; une commission nationale de contrôle en vérifie la downloadModeText.vue.download 180 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 178 légalité si son président le juge nécessaire. La seconde loi (no 91-647) substitue l’aide juridique à l’aide judiciaire, dont l’insuffisance était reconnue de tous ; elle associe à l’assistance juridictionnelle, bien amplifiée, une aide à l’accès au droit. Les nécessités de l’harmonisation Une loi du 9 juillet (no 91-650), qui réforme globalement les procédures civiles d’exécution avec le dessein d’en accroître l’efficacité, confie au Ministère public la recherche de l’information sur les débiteurs défaillants. La loi no 91-491 du 15 mai confère aux juridictions de fond la faculté de saisir la Cour de cassation pour avis quand un problème de droit non résolu se pose à elles. Par la loi no 91-593 du 25 juin, le législateur redéfinit les rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants. Tenu par les nécessités de l’harmonisation, il transpose la directive communautaire « travaux » du 18 juillet 1989 à des concessions et à des contrats de droit privé non soumis au Code des Marchés publics ; il ajoute à la loi no 91-3 du 3 janvier un volet éminemment politique – compte tenu des « affaires » – avec un titre Ier qui crée une institution et un délit nouveaux afin d’améliorer la transparence et la régularité de la passation et de l’exécution des marchés publics. Six mois seulement après sa création, le ministre de la Ville obtient l’adoption par le Parlement d’une ambitieuse loi d’orientation (no 91-662, du 13 juillet). Ce texte tente de répondre aux problèmes cruciaux posés par les cités en crise en dotant l’administration de nouveaux moyens juridiques et financiers de préparer ou d’inciter l’action d’opérateurs publics et surtout privés. Il marque un net retour de l’État dans la politique foncière locale. Les lois « portant diverses dispositions » – textes fourre-tout dissimulant à l’occasion des réformes essentielles – se multiplient et gonflent fâcheusement. Il convient de le regretter et d’incriminer la façon dont le gouvernement conduit le travail législatif. Ainsi, la loi du 26 juillet (no 91-716) portant diverses dispositions d’ordre économique et financier réécrit quelques articles du Code des assurances, harmonise avec le droit communautaire la législation sur la TVA, modifie la loi du 17 juin 1987 sur l’épargne avant d’apporter de multiples aménagements au Code général des impôts. Un texte du 31 juillet (no 91-738) portant diverses mesures d’ordre social s’intéresse autant aux laboratoires privés d’analyses médicales, à la politique sociale dans les départements d’outre-mer, à la protection sociale des détenus qu’à l’inéligibilité aux chambres de commerce et à celles des métiers. Le législateur a également reconsidéré la politique de la santé. Âprement discutée, très controversée dans ses principes et ses modalités, la réforme hospitalière est décidée par la loi no 91-748 du 31 juillet. On y retiendra renonciation des droits du malade accueilli dans un établissement de santé et les modes d’élaboration de la carte sanitaire et du schéma d’organisation sanitaire. La lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme est intensifiée par la loi no 91-32 du 10 janvier : désormais, la publicité pour les cigarettes et les produits spiritueux est drastiquement limitée. Les réformes judiciaires sont loin downloadModeText.vue.download 181 sur 490 POLITIQUE 179 d’être négligeables, notamment la loi no 91-1264 du 19 décembre qui autorise désormais, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, les officiers de police judiciaire et les agents des douanes à acquérir, détenir et livrer des produits stupéfiants ; elle amnistie les agents trop diligents qui n’avaient pas attendu cette réforme pour se livrer à de telles activités. Une seconde loi portant diverses dispositions d’ordre social (no 91 -1406 du 31 décembre) institue (art. 47) les modes d’indemnisation des « victimes des préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ». HERVÉ ROBERT VIE SOCIALE Avec le ralentissement de l’activité économique, la crise du Golfe et l’incertitude sur la reprise, la « sinistrose » s’est emparée des Français en 1991. Confrontées à la baisse de leurs résultats, les entreprises se sont lancées dans la course à la productivité en ayant recours à nouveau aux restructurations et aux « plans sociaux » synonymes de licenciements, à quoi est venue s’ajouter la multiplication des défaillances d’entreprises. Les chefs d’entreprise étaient moroses et inquiets, et le président du CNPF, François Périgot, a durci le ton à l’encontre du gouvernement. Il a plaidé pour le renforcement des fonds propres des entreprises par le développement de l’épargne longue, pour le redéploiement des charges, pour un allégement des prélèvements fiscaux et sociaux et pour une amélioration du système de formation. En revanche, il a dénoncé l’excessif souci redistributeur des pouvoirs publics. La France est calme La montée constante du chômage depuis l’automne 1990, la moindre progression du pouvoir d’achat, la dégradation de la situation financière des ménages, la persistance des inégalités et les difficultés de la vie quotidienne pour une partie croissante de la population (les chômeurs de longue durée, les RMIstes, dont l’espoir de réinsertion n’est pas toujours satisfait, les ménages surendettés et les plus démunis confrontés au problème du logement) ont eu raison du moral d’une grande partie des Français. À cela est venue s’ajouter une crise psychologique qui a réveillé de vieilles craintes (peur du chômage, peur de l’immigration, peur de l’insécurité urbaine que la violence dans quelques banlieues a renforcée) accroissant alors la méfiance envers la classe politique. Pourtant, le malaise était diffus et, globalement, la France est restée calme sur le plan social, le niveau des grèves, qui décroît depuis dix ans, n’ayant jamais été aussi faible depuis 1946. Surtout, les conflits sont restés localisés et les revendications ont été de plus en plus catégorielles. Le climat social s’est tout de même dégradé à l’automne avec la multiplication des grèves et des manifestations (agriculteurs, infirmières, agents des transports, professionnels de la santé, travailleurs sociaux, ouvriers de l’usine Cléon de Renault...), en particulier dans le secteur public. Dans ce contexte de troubles sociaux, FO (Marc Blondel), soutenue par la CGT, a lancé le 24 octobre une grève générale interprofessionnelle qui n’a pas remporté downloadModeText.vue.download 182 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 180 le succès espéré et qui a reflété la baisse de crédibilité des syndicats. Confrontées à une perte d’audience, les organisations sont restées en effet divisées, même si les rencontres bilatérales se sont multipliées. Même si Jean Kaspar, à la tête de la CFDT, tentait depuis deux ans de favoriser les convergences intersyndicales, par leur comportement, on pouvait toujours distinguer les syndicats réformistes (CFDT, CFE-CGC de Paul Marchelli, CFTC d’Alain Deleu et FEN de Guy Le Néouammic), qui privilégient la négociation et la recherche de compromis, des syndicats contestataires (CGT, FO). Plus grave, les dissensions au sein des organisations (FEN, CGT, FO) sont apparues au grand jour : ainsi, Henry Krasucki, avant d’abandonner son poste de secrétaire général de la CGT à Louis Viannet, lors du prochain Congrès de janvier 1992, n’a pas hésité à critiquer les pratiques de la centrale en dénonçant son « monolithisme », qui l’appauvrit. La chasse aux « faux chômeurs » Toutefois, mettant en sourdine leurs querelles habituelles, les syndicats réformistes ont entrepris une démarche globale et se sont retrouvés pour critiquer la politique budgétaire et exiger un changement de politique économique en proposant une « relance graduée, sélective et sectorielle » de l’économie susceptible d’atténuer la dégradation de l’emploi. À leur demande, ils ont rencontré le Premier ministre, Mme Édith Cresson, le 11 octobre, pour obtenir l’ouverture de discussions dans certains secteurs (automobile, électrique, textile). De même, les syndicats ont cherché à développer et à enrichir la négociation, qui se portait bien, en dépit d’un certain attentisme, face à une conjoncture incertaine. Les accords se sont multipliés, en particulier au niveau des entreprises, et portaient surtout sur les salaires (les négociations de branches sur les bas salaires, décidées en 1990, et qui doivent aboutir d’ici à la fin de 1992, ont été bien avancées, mais celles sur les grilles de classification et les déroulements de carrière, beaucoup moins), mais concernaient également le temps de travail, la formation et la gestion prévisionnelle pour l’emploi. Au niveau interprofessionnel, la négociation sur la formation professionnelle commencée en février s’est achevée le 3 juillet sur un accord. Le texte a été repris dans un projet de loi qui a réformé la loi de 1971. Depuis le 23 septembre, les partenaires sociaux se sont rencontrés pour trouver les moyens de pallier le déficit croissant de l’UNEDIC à la suite de l’aggravation du chômage. À cette occasion, le patronat s’en est pris aux « faux chômeurs » (les salariés intermittents du spectacle). De même, la négociation sur l’apprentissage s’est ouverte le 31 octobre. Enfin, le 25 octobre, l’État et les partenaires sociaux ont signé un accord en vue de maîtriser les dépenses de santé. Des mesures pour l’emploi En revanche, dans la fonction publique, la négociation s’est révélée plus difficile étant donné que la politique contractuelle était en panne depuis avril 1990, mais le gouvernement a tenté de renouer le dialogue avec les syndicats et un compromis a été finalement trouvé le 22 octobre. Les fonctionnaires ont obtenu une hausse générale de leurs rémunérations de 6,5 % d’ici au 1er février 1993. downloadModeText.vue.download 183 sur 490 POLITIQUE 181 Dans ce climat social pesant, le gouvernement, toujours accroché à sa politique de maintien des grands équilibres et de désinflation compétitive, mais limité dans sa marge de manoeuvre par le ralentissement économique, a demandé une mobilisation générale des entreprises. Le ministre du Travail, Mme Martine Aubry, n’a pas hésité à critiquer certains mauvais plans sociaux (trop de préretraites ou de chèques de départ). Dans le même temps, les mesures en faveur de l’emploi se sont multipliées : développement du chômage partiel, revalorisation du SMIC, plan emploi privilégiant l’accès au travail au détriment des mesures d’assistance et lutte contre le travail clandestin. Parallèlement, un plan en faveur des petites et moyennes entreprises a été annoncé. DOMINIQUE COLSON BUDGET Dans un contexte de croissance ralentie et donc de moindres rentrées fiscales, MM. Bérégovoy et Charasse, en présentant un budget 1992 pour « la compétitivité et l’emploi » n’ont pas voulu céder aux pressions en faveur de la relance et ont préféré maintenir le cap de la rigueur en freinant les dépenses pour éviter un dérapage du déficit. À la différence des années précédentes, les dépenses stagnent pratiquement, puisqu’elles ne progressent que de 3,1 %, soit à peine plus que l’inflation prévue (2,8 %). Surtout, elles s’accompagnent pour la première fois d’une suppression globale de 2 732 emplois. Compte tenu de certaines dépenses incompressibles (traitement des fonctionnaires, charge de la dette), la marge de manoeuvre est faible et les dépenses supplémentaires sont, dans leur intégralité, accordées à cinq grandes priorités qui relèvent, pour la plupart, de choix antérieurs : éducation et formation (+ 5,9 % et 5 700 créations d’emplois), industrie et recherche (+ 5,9 %, et, pour la recherche industrielle, + 13 %), solidarité (+ 5,9 milliards de F, en particulier pour le RMI), justice (+ 4,8 % et 477 créations d’emplois) et Aide publique au développement (+ 2,2 milliards de F). En dehors de quelques autres traitements préférentiels (culture, politique de la ville, jeunesse et sports, sauvegarde de l’environnement, logement social), tous les autres postes font l’objet d’économies et de suppressions d’effectifs. Les objectifs déclarés sont « le renforcement de la cohésion et de l’appareil productif à l’approche du grand marché européen et l’affirmation de la place de la France dans le monde ». Des transferts entre contribuables Les recettes n’augmenteront que de 2,6 %, soit plus faiblement que les dépenses, pour atteindre 1 240,82 milliards de F. Si, après cinq à six ans de baisse ininterrompue, la relance par la réduction des impôts est exclue, il n’est pas question, en revanche, et malgré les contraintes budgétaires, d’aggravation globale de la pression fiscale, mais plutôt de transferts entre contribuables. Ainsi, pour renforcer le tissu des PME, des allégements fiscaux leur sont accordés : baisse de l’impôt sur les bénéfices distribués de 42 à 34 % (soit, dorénavant, le même taux que pour les bénéfices non distribués) ; crédit d’impôt lors d’une augmentation de capital ; uniformisation à 18 % des impôts sur les plus-values autres que financières ; réduction des droits de mutadownloadModeText.vue.download 184 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 182 tion... En compensation, l’impôt sur les plus-values financières est passé de 25 à 34 % le 1er juillet. Les particuliers, quant à eux, ne sont pas concernés, hormis par quelques mesures en faveur du logement neuf locatif. Le déficit passera de 80,7 milliards de F prévus (mais non réalisés) en 1991 à 89,54 milliards de F. Mais le gouvernement exclut de le laisser filer davantage, car il aggrave l’endettement public dont la charge annuelle de remboursement des intérêts pèse sur les dépenses de l’État. La plupart des spécialistes estiment plus que probable le dérapage des dépenses compte tenu de la multiplication des mesures (plan PME, plan emploi, crédits à l’agriculture...) annoncées à l’automne, et par conséquent prévoient que le déficit sera beaucoup plus élevé que prévu (à l’exemple de celui de 1991 qui approche les 100 milliards de F). D’où l’annonce par le gouvernement de la cession d’actifs d’entreprises publiques (privatisations partielles) pour financer l’appareil productif... DOMINIQUE COLSON POLITIQUE ÉCONOMIQUE La situation économique se dégradant, les pressions extérieures en faveur de la relance n’ont cessé de se multiplier. Pourtant, le gouvernement Rocard puis le gouvernement Cresson ont maintenu le cap. La rigueur fondée sur le respect des grands équilibres et le credo monétariste a donc été maintenue dans le cadre de la politique de désinflation compétitive (inflation faible et monnaie solide) menée depuis 1983. Tout en justifiant la continuité, le nouveau Premier ministre, Mme Édith Cresson, a également cherché, en présentant son programme au mois de septembre, à mettre l’accent sur le dynamisme industriel, la lutte pour l’emploi et le renforcement de la cohésion sociale. Dynamiser l’appareil productif La volonté de maîtrise des finances publiques a conduit à adopter à deux reprises un plan d’économies budgétaires afin d’éviter le dérapage du déficit 1991 (qui sera pourtant plus élevé que prévu), puis à présenter un budget 1992 qui tend à contenir le déficit budgétaire sans accroître les impôts – d’où un coup de frein aux dépenses. Le plan vise enfin à limiter le déficit de la Sécurité sociale en augmentant la cotisation d’assurance maladie et en signant avec les partenaires sociaux un accord sur la maîtrise des dépenses de santé. Du côté de la politique monétaire, le contrôle des agrégats intérieurs et la consolidation du franc restent les priorités qui rendent impossible la baisse des taux d’intérêts pourtant recherchée (les deux baisses de mars et d’octobre ont été annulées en novembre). Pour dynamiser l’appareil productif, un plan PME-PMI présenté le 16 septembre a cherché à augmenter les fonds propres et à favoriser la transmission et le développement des PME par dixneuf mesures composées essentiellement d’allégements fiscaux contrebalancés par la hausse des impôts sur les plus-values financières des entreprises. De même, tout en réaffirmant que la lutte contre le chômage passe par la maîtrise des revenus salariaux, le gouvernement a accepté de donner un coup downloadModeText.vue.download 185 sur 490 POLITIQUE 183 de pouce de 0,6 % au SMIC au-delà des 1,7 % réglementaires du 1er juillet, et d’accorder aux fonctionnaires une hausse générale de 6,5 % de leurs traitements d’ici au 1er février 1993. Surtout, il a multiplié les mesures en faveur de l’emploi. Après avoir encouragé le chômage partiel et réprimé davantage le travail clandestin, il a annoncé en octobre un plan emploi de 7,5 milliards de francs pour favoriser l’accès au travail des jeunes sans qualification (exonération des charges sociales pour les entreprises concernées) et pour développer les emplois de proximité (les services aux personnes) au moyen de crédits d’impôts. Pour financer la politique industrielle et la défense de l’emploi, le gouvernement a décidé la cession de parts minoritaires du capital de certaines entreprises publiques au secteur privé (appelée improprement privatisation partielle). Le Crédit Local de France a ouvert le chemin, suivi par Elf Aquitaine et par les assurances. Enfin, des mesures plus ciblées ont concerné l’agriculture, la sauvegarde de l’environnement et les populations démunies. DOMINIQUE COLSON downloadModeText.vue.download 186 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 184 LA POLITIQUE RÉGIONALE Rapprocher la politique de la ville et celle de l’aménagement du territoire et délocaliser l’administration tout en gardant les yeux fixés sur l’horizon européen sans oublier ses autres engagements et sans négliger les risques d’explosion du système, tels ont été les soucis du gouvernement en 1991. L’aménagement du territoire Logique et relance. Voilà les deux mots clés qui marquent la politique d’aménagement du territoire en 1991. Une politique, au demeurant, qui, au fur et à mesure que se rapprochait l’échéance des élections régionales et cantonales de mars 1992, semblait susciter un intérêt et même des revendications de plus en plus soutenus chez tous les élus locaux et par- lementaires, à droite comme à gauche. La logique concerne le rapprochement, sous une même autorité ministérielle dans le gouvernement formé par Mme Édith Cresson, des politiques de la ville et de l’aménagement du territoire. Comment ne pas voir en effet que les villes – métropoles ou villes moyennes – sont devenues des points d’ancrage ou des noeuds autour desquels s’ordonne désormais le développement économique ? Qu’une ville connaisse une vive expansion, et tous les cantons des environs en bénéficieront indirectement. À l’inverse, le déclin démographique ou économique de tel centre urbain entraîne quasiment ipso facto la dégénérescence des zones rurales voisines. C’est d’ailleurs l’un des enseignements du recensement de 1990 (éd. 1991). De même, la politique de la ville, qui était née dans les années 1989-1990 à partir des flambées de violence dans certaines banlieues déshéritées, ne pouvait se cantonner dans une conception restrictive, voire négative ou marginale, consistant à soigner les façades des grands ensembles, prendre en charge les jeunes désoeuvrés, réinventer un urbanisme moderne et une architecture plus conviviale. Associer à cette démarche sociale une politique de « réseaux de villes » à base de solidarité géographique entre Brest, Rennes, Nantes et Angers, par exemple, ou entre Reims, Châlons-sur-Marne et Troyes ouvre des perspectives intéressantes de stratégie de développement. Un horizon européen Qu’elles soient regardées de l’intérieur, avec leurs problèmes de quartiers, de transports, d’immigration, de lieux de culture, de reconquête des centres urbains historiques, ou que l’on considère leur ouverture vers les autres, c’està-dire en prenant en compte la dimension de l’agglomération ou les relations avec les autres cités de la région, les villes sont donc des références obligées dans toute politique d’aménagement du territoire. La mise sur pied des schémas d’autoroutes ou de TGV et le plan Université 2000 ont été conçus eux aussi en fonction de la carte des villes françaises, de leur poids démographique et de l’arrière-pays qu’elles desservent. C’est à Michel Delebarre, maire de Dunkerque, qu’a été confié l’ensemble downloadModeText.vue.download 187 sur 490 POLITIQUE 185 du « paquet » Ville et Aménagement du territoire et, pour montrer l’importance qu’ils attachaient aux enjeux, M. Mitterrand et Mme Cresson lui ont donné le titre de ministre d’État. Il est assisté dans sa tâche par M. André Laignel, élu de l’Indre, qui a plus particulièrement en charge les secteurs de l’aménagement rural, du littoral, de la montagne et du développement local. La relance, quant à elle, s’est manifestée le 3 octobre et le 7 novembre, à l’occasion des deux comités interministériels d’aménagement du territoire (CIAT) qui ont arrêté plusieurs mesures de « délocalisation administrative ». Mme Cresson et son chef d’état-major sur ce dossier (Michel Delebarre) ne se sont pas fait que des amis parmi les membres du gouvernement en décidant d’envoyer la SEITA à Angoulême, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) à Lille, l’Office national des forêts à Bourges et, surtout, l’ENA à Strasbourg. Ce que certains ont appelé l’« exil » d’une des plus prestigieuses grandes écoles a provoqué une formidable levée de boucliers à la fois dans la « nomenklatura » des anciens élèves de l’ENA et dans la haute fonction publique. Couper le cordon ombilical entre la pépinière des grands corps de l’État, les administrations centrales, toujours sous l’emprise du démon du jacobinisme, et les ministères parisiens était aussi sacrilège que dangereux. Autant supprimer l’ENA, disaient certains ! Pourtant, que l’on sache, ni HEC, ni Polytechnique, ni l’École de la magistrature, ni l’École des impôts, ni celle de la santé publique, sises à Jouy-enJosas, Palaiseau, Bordeaux, ClermontFerrand ou Rennes, ne peuvent être qualifiées de « sous-grandes écoles »... Et Strasbourg, ville à vocation internationale, n’est-elle pas un choix judicieux si l’on veut, précisément, donner aux futurs hauts fonctionnaires un enseignement et un horizon européens ? Pourquoi la France ne serait-elle pas pionnière dans la mise en place d’une haute fonction publique communautaire ? Cette volonté gouvernementale d’alléger l’Île-de-France en transférant des organismes administratifs qui n’y sont pas indispensables est allée de pair avec de nouvelles instructions données pour l’aménagement du territoire francilien. Provinciale, Mme Cresson a voulu infléchir les choix qu’avait déjà faits son prédécesseur, Michel Rocard. Il s’agit aussi de mieux associer, dans le cadre du futur schéma d’aménagement, le développement de l’Îlede-France et celui des Régions périphériques comme la Picardie ou Champagne-Ardennes. Dans le secteur de la recherche, il faudra là aussi trouver un meilleur équilibre géographique. La Région capitale détient actuellement 52 % du potentiel national : il faudra que cette part descende à 48 %. Un Livre blanc et une charte du Bassin parisien, à la rédaction desquels seront associés les conseils régionaux concernés, devaient être publiés au début de 1992. Politique de la ville : 6 milliards bout à bout À l’occasion du débat parlementaire consacré au budget du ministère de la Ville et de l’Aménagement du territoire, Michel Delebarre a diffusé aux parlementaires l’état récapitulatif de l’effort financier consacré à la politique des villes et du downloadModeText.vue.download 188 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 186 développement social urbain sous forme d’un document intitulé « Jaune budgétaire ». Ce document, établi pour la première fois, regroupe, en sus des crédits spécifiques qui s’élèvent à 1,048 milliard de francs, des crédits relevant de plusieurs ministères, crédits contractualisés dans des « contrats » et des « conventions » de développement social urbain. Ils représentaient 1,6 milliard en 1990 et 2 milliards en 1991 ; ils s’élèveront à 2,2 milliards en 1992. Mais d’autres crédits sont encore affectés à la politique du développement social urbain : zones d’éducation prioritaire (ZEP), îlotage, maisons de justice, pour citer quelques exemples. Ces sommes s’élevaient à 1,1 milliard en 1990 ; elles sont passées à 1,8 milliard en 1991 et atteindront 2,1 milliards en 1992. Enfin, les moyens consacrés à la politique de la ville sont confortés par la mise en oeuvre des dispositions découlant de la loi du 13 mai 1991 instituant une « dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité d’Île-de-France. » La dotation de solidarité urbaine, le fonds de solidarité des communes de l’Île-de-France et la dotation particulière de solidarité urbaine représenteront au total 1,35 milliard en 1992. Même s’il ne s’agit pas de crédits budgétaires, les moyens viennent utilement renforcer la mise en oeuvre de la politique du gouvernement. « Au total, avec la DSU, l’effort financier peut s’évaluer à un montant de 6 milliards 258 millions de F en 1992 contre 5 milliards 70 millions en 1991 et 2 milliards 998 millions en 1990 » a déclaré Michel Delebarre. Respecter les engagements Dans ses relations avec la Commission européenne, la France est parvenue à tirer assez bien son épingle du jeu, et d’abord en déjouant une menace brandie par le commissaire européen chargé de la concurrence, Sir Leon Brittan. Celui-ci avait demandé au début de 1991 à la France de réduire le périmètre des zones où peut être attribuée la prime d’aménagement du territoire (PAT), autrement dit les zones prioritaires. Il aurait fallu rayer de la carte une dizaine de départements et, par exemple, la Vienne, département ultrasensible, puisque Mme Cresson en est l’un des élus les plus influents. En définitive, la réforme de la carte des aides a été gelée jusqu’à la mise en oeuvre de la nouvelle procédure d’utilisation des fonds européens. Une procédure qui a fait l’objet d’une réunion ministérielle exploratoire des Douze le 18 novembre à La Haye. D’autre part, dans le cadre du programme lancé par la Commission et connu sous le nom de programme « Leader », la France a pu proposer une quarantaine de dossiers régionaux spécifiquement axés sur des expériences de développement local en zones rurales. On mentionnera par exemple le plateau de Millevaches, dans le Limousin, le Centre-Bretagne, le Cantal (très affecté par la chute démographique), le SudCharentes, l’ouest de la Guyane, et l’île de Marie-Galante, à quelques encâblures de la Guadeloupe. Au chapitre des ombres, on notera toutefois le ralentissement du programme autoroutier – pour cause de difficultés budgétaires de l’État –, alors que les grands équipements de ce type concourent puissamment à l’aménagement du territoire. En 1991, à peine 160 km auront été lancés sur divers chantiers, alors qu’il aurait fallu atteindre un rythme de 250 à 300 km pour respecter les engagements et le schéma directeur. Ce ralentissement a provoqué de vives réactions de la part de M. Philippe Levaux, président de la Fédération nationale des travaux publics, qui a prodownloadModeText.vue.download 189 sur 490 POLITIQUE 187 posé l’instauration d’une taxe sur l’éner- Bercy n’a pas donné son feu vert à cette gie destinée à alimenter des fonds régio- proposition, de crainte de voir déraper naux d’infrastructures. Mais le quai de l’indice des prix. downloadModeText.vue.download 190 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 188 Vingt mesures pour le monde rural Très attendues depuis plusieurs mois, les premières mesures en faveur de l’aménagement rural ont été prises le 28 novembre à l’issue d’un comité interministériel. Elles sont au nombre d’une vingtaine et représentent, à partir de lignes budgétaires de plusieurs ministères, un « tir groupé » d’un milliard de francs environ pour 1992. Bien qu’assez éparpillées et pas toujours novatrices, ces mesures ont été en général plutôt bien accueillies par les agriculteurs et les représentants du monde rural malgré la tension qui régnait dans ces milieux, d’autant qu’elles étaient couplées avec un dispositif spécifique concernant la paysannerie, allant des préretraites pour les exploitants âgés de 55 ans à la détaxation du « carburant vert » (diester de colza, éthanol). downloadModeText.vue.download 191 sur 490 POLITIQUE 189 Préparé par Michel Delebarre et André Laignel et arbitré par Édith Cresson, ce plan part d’un constat tiré du recensement de 1990 : en huit ans, 781 cantons ruraux ont perdu 190 000 habitants, et, parmi eux, 635 (qui couvrent presque le quart du pays) ne manifestent aucun signe de reprise, car ils sont enclavés et leur économie est très insuffisamment diversifiée. Le gouvernement a demandé aux 25 préfets des départements les plus déshérités (Corse, zones de montagne, Bretagne, Normandie, Bourgogne...) de mettre au point d’ici à 1992 des « schémas d’organisation des services publics ». D’ici là, un moratoire suspendra toute fermeture de bureau de poste, perception, et autres services administratifs. Il faudra aussi développer la polyvalence des fonctionnaires et, par exemple, ici ou là, permettre que les gendarmes distribuent le courrier. Des aides spécifiques seront attribuées aux petites entreprises qui créent au moins dix emplois. On prévoit même d’exonérer de charges patronales une PME ou un artisan qui, ayant déjà un salarié, en embaucherait un second, voire un troisième. Dans cinquante circonscriptions particulièrement touchées par l’exode rural, des sous-préfets vont être désignés pour encourager des initiatives et des projets de mise en valeur économique ou touristique. Chaque circonscription disposera pour ce faire d’une enveloppe de 400 000 F. Au chapitre de l’environnement, on retiendra notamment un effort financier consenti pour hâter l’enfouissement des lignes électriques qui, sous leur forme aérienne, défigurent trop souvent les villages et les campagnes. Enfin, le Parlement a voté en fin d’année une disposition législative qui s’inspire de la dotation de solidarité urbaine (DSU) créée par la loi du 13 mai 1991. Il s’agit d’une dotation de développement rural qui sera attribuée aux petites villes-centres, tels que les chefs-lieux de canton, et aux communes qui acceptent de se regrouper (35 000 habitants au maximum) selon un schéma de coopération intercommunale et qui se partagent déjà leurs recettes fiscales selon des modalités de péréquation de la taxe professionnelle. Trois cents millions de francs sont prévus au budget 1992 au titre de cette dotation, cette somme devant atteindre 1 milliard en 1994. La décentralisation Au chapitre des collectivités locales, l’année 1991 aura été marquée par deux débats essentiels. Le premier a eu pour cadre le Parlement, avec le long cheminement du projet de loi relatif à l’administration territoriale de la République. Ce texte fondamental – le plus important sans doute depuis la loi Defferre du 2 mars 1982 sur la décentralisation – avait été adopté par le Conseil des ministres en août 1990 sous l’appellation « projet Joxe-Baylet ». Fin 1991, il a terminé ses navettes entre l’Assemblée et le Sénat, au terme d’un an et demi de travaux, sous le titre « loi Joxe-Baylet-Marchand-Sueur », des noms des ministres et secrétaires d’État successifs qui ont eu à le défendre. Le second débat, qui a mis en scène non seulement les parlementaires, mais de nombreux ministres, des élus locaux, la Cour des comptes et l’opinion publique, est de nature financière et fiscale, le poids des collectivités locales étant de plus en plus lourd dans l’économie nationale. Avec en arrière-plan, naturellement, les échéances de mars 1992, à savoir les élections cantonales et régionales. Si les 36 763 communes peuvent être considérées comme une richesse démocratique et une partie intégrante du patrimoine historique, politique et institutionnel, à l’évidence cet éparpillement se concilie mal avec l’efficacité économique, l’ouverture de services élémentaires à la population, la concurrence internationale. C’est pourquoi la loi « Joxe... Marchand » cherche, tout en ne revenant pas downloadModeText.vue.download 192 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 190 downloadModeText.vue.download 193 sur 490 POLITIQUE 191 sur les principes de base de la décentralisation, à inciter les petites entités rurales à créer des communautés de communes et, en milieu urbain, à mettre en place des communautés de villes. Faire jouer la concurrence Parallèlement, plusieurs dispositions sont prises pour mieux répartir entre les communes associées les ressources des taxes professionnelles, le principal impôt direct perçu par les collectivités locales. Qu’il s’agisse des villes, départements ou régions, leur importance dans la vie nationale s’accroît chaque année. Le ministre de l’Éducation nationale, M. Lionel Jospin, a négocié avec chaque conseil régional un schéma de développement universitaire. Dix contrats régionaux ont été conclus le 3 octobre et dix autres le 28 novembre. Seuls, les schémas de Corse et d’Île-de-France n’avaient pas été signés à Noël. Au total, sur 22 milliards de F qui seront investis – pour 20 régions – d’ici à 1995 en faveur de l’enseignement supérieur, plus de 12 proviendront des conseils régionaux. Pour tous les élus locaux, la présence d’établissements de recherche, d’IUT et d’universités est un atout capital en ce qui concerne l’aménagement du territoire. La Haute-Normandie, le Poitou-Charentes ou Midi-Pyrénées font, sur leurs propres budgets, des efforts particulièrement sensibles. Même implication de plus en plus marquée des régions dans la construction et l’entretien des lycées. Elles y consacrent 19,2 milliards de F en 1991, sur une dépense totale de 54,7 milliards, soit une progression de 23,5 % par rapport à 1990, la Picardie, la Haute-Normandie et l’Île-de-France étant en tête de l’effort par tête d’habitant. On pourrait multiplier les exemples – collèges, routes, lignes de TGV, équipements culturels ou sportifs, aide sociale, subventions aux petites entreprises qui investissent dans le monde rural – dans lesquels l’État fait jouer la concurrence, voire la surenchère entre villes ou entre régions. Des risques d’explosion Trois événements auront, en outre, marqué l’année 1991 : – Le « scandale » d’Angoulême, puisque le nouveau maire, le centriste Georges Cha- vanes, a trouvé en 1989 une ville que son prédécesseur socialiste Jean-Michel Boucheron avait laissée en quasi-faillite. Il lui a fallu mener des négociations ardues avec le gouvernement, les principaux créanciers (avec en tête le Crédit Local de France), les magistrats de la Chambre régionale des comptes et, bien sûr, le personnel municipal. Un accord sur les remises de dettes, assorti d’un plan d’austérité municipal et d’une aide de l’État, a pu être finalement trouvé. Et, comme s’il avait une dette à payer à Angoulême, le gouvernement a décidé de décentraliser dans cette ville la SEITA, avec, à la clé, plusieurs centaines d’emplois. – La privatisation partielle et la mise en Bourse – portant sur 27 % du capital – du Crédit Local de France, l’action étant vendue 210 F. – La remise au président de la République le 25 novembre par Pierre Arpaillange, premier président de la Cour des comptes, d’un rapport très sévère sur « la gestion de la trésorerie et de la dette des collectivités territoriales ». Derrière ce titre fort technique, les magistrats dénoncent l’extraordinaire complexité downloadModeText.vue.download 194 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 192 des procédures financières entre l’État et les collectivités, l’empilement des dispositions successives, et le verdict des juges est aussi sévère pour l’État, notamment pour la direction du Trésor, que pour les collectivités. En dépit de la décentralisation, les concours et transferts que l’État reverse aux collectivités croissent chaque année à un rythme rapide pour atteindre, en 1991, 233 milliards de francs. L’État est le caissier, le contribuable, le prêteur, le fermier, le censeur, le collecteur d’impôts des villes, départements et régions à travers son propre réseau d’agents du fisc et comptables du Trésor. Les collectivités ne sont pas libres de fixer et de lever les impôts qu’elles veulent, et elles ont l’obligation de placer toutes leurs disponibilités au Trésor, avec un intérêt servi de ...0 %. Leur liberté est, en revanche, quasi totale pour faire lever des emprunts, ce qui a provoqué ici ou là des maladresses, des erreurs, voire des illégalités que la Cour – qui a enquêté auprès de 246 collectivités – se plaît à dénoncer : sont ainsi dans le collimateur, par exemple, le département des Hauts-de-Seine, celui de l’Hérault, la Région Bretagne, les villes de Luxeuil-lesBains, Sarcelles ou Boulogne-sur-Mer. « Quand on constate toutes ces malfaçons et cette opacité, a pu dire Pierre Arpaillange, on ne peut que redouter des risques d’explosion du système. » Le poids financier que prennent les collectivités dans l’économie continue de s’alourdir. Les prélèvements obligatoires constitués par les impôts locaux représentent dorénavant 5,9 % du produit intérieur brut (PIB), au lieu de 4,6 % en 1980. Le volume des dépenses est passé de 260 milliards de F en 1980 à 700 milliards dix ans plus tard. Les budgets primitifs votés en 1991 sont en hausse de 8 % par rapport à 1990. Comme l’an passé, cette croissance toujours forte est deux fois supérieure à celle du PIB national. Parmi les différentes catégories de collectivités, ce sont les régions qui, en 1991, progressent le plus (+ 16 %), alors que les départements (+ 8,5 %) et les communes (+ 6,7 %) sont beaucoup plus raisonnables. Le poids des impôts locaux directs progresse aussi à un rythme toujours élevé : + 9,3 % en 1991 au lieu de 10 % l’année précédente. Là encore, les régions sont en flèche : + 13,4 %. Mais l’objectivité exige de dire que, si les collectivités locales sont ainsi amenées à mettre les bouchées doubles, ce downloadModeText.vue.download 195 sur 490 POLITIQUE 193 n’est pas seulement le résultat de la décentralisation et d’une plus grande latitude des élus pour s’impliquer dans une multitude de domaines nouveaux. C’est aussi parce que l’État se désengage de plus en plus systématiquement de secteurs qui étaient traditionnellement les siens en transférant vers les collectivités compétences, charges, responsabilités, poids des impôts... et donc impopularité. Des indemnités mieux encadrées Au début de l’automne, le gouvernement a adopté en Conseil des ministres un projet de loi qui poursuit deux objectifs principaux : – ouvrir le plus largement possible l’accès des citoyens aux mandats locaux ; – établir sur des bases transparentes les modalités d’indemnisation de ces mandats. Sur ce dernier point, il s’agit essentiellement de moraliser les conditions de rémunération des élus qui, dans un certain nombre de cas, dépassent des sommes raisonnables. Dans d’autres cas, les indemnisations sont à ce point dérisoires que plus personne n’ose abandonner son emploi pour se mettre au service de ses concitoyens, car le bénévolat a des limites... Ce projet de loi subira évidemment des modifications lorsqu’il passera devant les députés et les sénateurs, mais tel qu’il a été adopté par le Conseil des ministres, il retient les dispositions suivantes : – le maire d’une commune de moins de 500 habitants (dont le traitement sera substantiellement relevé) ne pourra toutefois toucher plus de 2 364 F d’indemnités de fonction par mois, et celui d’une ville de 50 000 à 99 000 habitants plus de 12 806 F ; – les maires de Paris, Lyon et Marseille sont plafonnés à 22 657 F ; – des limitations comparables seront instituées pour les conseillers régionaux et généraux. Ainsi dans une région de plus de 3 millions d’habitants, les conseillers ne pourront percevoir plus de 13 650 F. Le projet prévoit aussi un plafond pour les cumuls de mandats et d’indemnités (42 300 F par mois), une fiscalisation des indemnités de fonction, un encadrement des « voyages d’études », l’instauration d’un droit à la formation des élus et l’amélioration des régimes de retraite. FRANÇOIS GROSRICHARD Grand reporter économique au Monde, François Grosrichard a en charge, notamment, les rubriques de l’aménagement du territoire et de la politique économique régionale. downloadModeText.vue.download 196 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 194 À TRAVERS LES RÉGIONS Alsace Située au coeur de l’Europe rhénane, l’Alsace dispose d’atouts de poids pour affronter l’ouverture du grand marché à l’heure où les frontières de l’Europe sont repoussées loin vers l’est. Exportatrice de tradition, elle occupe le premier rang parmi les Régions françaises pour le montant des exportations par habitant, mais aussi pour la croissance du produit intérieur brut (PIB). Depuis longtemps, l’Alsace a appris à travailler avec les pays voisins, dont elle comprend la langue. Dans l’arrondissement de Wissembourg, 30 % des salariés travaillent en Allemagne. Au début de 1991, 56 000 Alsaciens, dont 31 000 venus du Haut-Rhin, franchissaient quotidiennement la frontière pour se rendre dans des entreprises helvétiques ou allemandes, où les salaires sont supérieurs downloadModeText.vue.download 197 sur 490 POLITIQUE 195 de 30 à 50 % à ceux pratiqués en France. Résultat : le taux de chômage est le plus faible de France : 5,1 % de la population active. Mais la médaille a un revers : la main-d’oeuvre qualifiée commence à faire défaut, surtout pour les PME, qui ne peuvent soutenir la concurrence salariale avec les employeurs allemands. Boudée par les investisseurs français, l’Alsace accueille les capitaux étrangers : en dix ans, plus de onze mille emplois ont été créés par des étrangers. Aujourd’hui, sur dix emplois industriels créés, six le sont par des capitaux extérieurs. 35 % des chefs d’entreprise alsaciens travaillent, peu ou prou, avec des capitaux non français. Les deux comités d’expansion, l’ADIRA (Association pour le développement industriel de la Région Alsace), dans le Bas-Rhin, et le CAHR (Comité d’action du Haut-Rhin), voient leurs efforts récompensés, d’autant plus qu’il y a concurrence d’intérêts avec les industries allemandes (responsables de la moitié des créations d’emplois d’origine étrangère) et helvétiques – soucieuses de prendre pied sur le marché européen. Les 24 000 frontaliers alsaciens se rendant en Allemagne sont dans une situation relativement fragile. Ils sont à la merci de la préférence que les employeurs du Bade-Wurtemberg peuvent accorder aux travailleurs venus de l’Allemagne de l’Est. Par ailleurs, l’Alsace risque de souffrir de la fin de la guerre froide : avec la réduction des Forces françaises en Allemagne (FFA), ce sont des milliers d’emplois civils qui vont disparaître. Enfin, l’Alsace n’est pas certaine de pouvoir accueillir sur son sol les régiments rapatriés d’outre-Rhin. En attendant d’être reliée à Paris par un TGV qui n’en finit pas de ne pas arriver, l’Alsace a inauguré en septembre 91 une liaison ferroviaire rapide, le V-200, née d’un accord conclu en 1989 entre la SNCF et la Région. Les 110 kilomètres séparant Strasbourg de Mulhouse sont parcourus en 48 minutes. Il s’agit de relier les deux capitales alsaciennes, d’alléger le trafic routier sur l’axe nord-sud alsacien, mais surtout de préparer la Région à l’arrivée des futures rames de TGV. Le tronçon Mulhouse-Bâle devrait entrer en service en 1994. Les vins d’Alsace reviennent à la mode : 150 millions de bouteilles ont été vendues en 1990, soit 1 116 000 hectolitres (+ 8 % par rapport à l’année précédente), et les exportations ont atteint le record de 46 millions de bouteilles (+ 6 %). Le voisin allemand demeure le principal marché à l’exportation (plus de la moitié des ventes à l’étranger), mais les plus fortes progressions ont été enregistrées en Finlande (+ 140 %), en Norvège (+ 42 %), aux États-Unis (+ 41 %). Le marché nippon n’arrive qu’en dixième position : Gewurztraminer est imprononçable en japonais. downloadModeText.vue.download 198 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 196 Aquitaine À Noguères (Pyrénées-Atlantiques), Pechiney a tenu, et au-delà, le pari de la reconversion. L’usine d’aluminium, construite en 1959, obsolète et inadaptée au nouveau coût de l’énergie, a fermé ses portes. L’engagement pris en 1989 de créer 500 emplois et de reclasser l’ensemble du personnel est dépassé : 874 emplois seront créés d’ici à la fin de 1992 sur le site même de l’usine (fonderie Pechiney-Rhenalu, carrelage Spea) ou à proximité immédiate (emballage d’aluminium à Mont). Les propriétaires de la forêt de Gascogne se sont regroupés dans des associations communales pour investir dans la prévention : rénovation des pistes forestières, création de nouveaux points d’eau, entretien des sous-bois. Une partie des travaux est prise en charge par les propriétaires, qui s’auto-taxent à raison de 13 F l’hectare. La forêt de Gascogne emploie plus de 30 000 personnes et rapporte plus de 14 milliards de F, soit plus que le vin de Bordeaux. Après dix ans de boulimie de construction, Bordeaux connaît une offre pléthorique en matière d’immobilier d’affaires. La plupart des grands projets sont gelés ou retardés. Seule la cité mondiale du vin, dans le quartier des Chartrons, sort de terre : en décembre 1991, elle offre des bureaux, des boutiques et « un marché permanent des vins et spiritueux », le tout sur 8 000 m 2. Auvergne Michelin en est à son cinquième plan social, qui prévoit la suspension de 4 900 emplois dans ses usines françaises, dont 2 432 dans la capitale auvergnate. Les quatre premiers avaient vu la suppression de plus de 8 800 postes. En 1980, Michelin employait 30 000 personnes à Clermont ; elles ne seront guère plus de la moitié fin 1992. La direction avait jusqu’à présent réussi à éviter les licenciedownloadModeText.vue.download 199 sur 490 POLITIQUE 197 ments secs, mais le couperet est tombé en octobre : 189 licenciements à Clermont. Le plan régional productique (19911993) vise à épauler les PME qui se modernisent. Elles disposent d’une enveloppe de 105 millions de F accordés par moitié sous forme d’avance remboursable sans intérêt et pour moitié sous forme de subvention. Le financement est assuré à parts égales par la Région Auvergne, l’État et la CEE. Sainte-Ségolène (Haute-Loire) a abandonné son rang de capitale du foulard de soie et du ruban pour devenir la capitale du film plastique. Le tiers de la production nationale de film polyéthylène vient de cette région. Le gouvernement a rendu son arbitrage sur la question qui opposait l’Établissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), dirigé par Jean Royer, aux associations de défense de l’environnement : les barrages de Serre-de-la-Fare, sur la Loire, et de Chambonchard, sur le Cher, ne seront pas construits. Bourgogne Pour contrer la chute des exportations, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) a lancé une campagne publicitaire. Ni la vente de charité organisée aux Hospices de Beaune ni la soirée parisienne destinée aux prescripteurs ne suffisent désormais à assurer la promotion d’un secteur économique qui pesait 4,5 milliards de F en 1990, qui faisait vivre 5 000 viticulteurs et 130 négociantséleveurs et qui produisait 1,2 milliard d’hectolitres. Le slogan « Bourgogne, vins bénis des dieux » de la campagne de promotion suffira-t-il à relancer des exportations qui ont chuté de 10 % en 1990 ? Le Grand Prix de France de formule 1 a pu être organisé le 7 juillet sur le circuit de Magny-Cours (Nièvre), grâce aux largesses du conseil général, à l’influence du président de la République et à celle de Pierre Bérégovoy, maire de Nevers. Plus du quart de la population industrielle acdownloadModeText.vue.download 200 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 198 tive du département est orienté vers l’automobile grâce à Valeo, Peugeot Équipement, Kléber et Guy Ligier, et M. Pierre Bérégovoy estime à un millier le nombre d’emplois induits concernés par la remise en état du circuit. Comme les autres producteurs français, les éleveurs de charolais sont touchés de plein fouet par la baisse des cours. Le broutard de 300 kg (veau né au printemps et vendu à l’automne) valait 6 500 F en 1989 et moins de 5 000 F au début de 1991. Bretagne L’opération intégrée de développement (OID), qui, en 1988-1991, a permis à la Bretagne centrale de toucher un milliard de F, essentiellement en provenance de Bruxelles, touche à sa fin. Un autre programme, le Plan de développement des zones rurales (PDZR), ou plan Morgane, prend le relais, financé cette fois, à parts égales, par la CEE, l’État et les collectivités locales. C’est plus qu’un symbole : 300 millions de F, soit la moitié de l’enveloppe, doivent venir aider l’agriculture. Il s’agit de favoriser la modernisation des exploitations, l’installation des jeunes agriculteurs et la diversification des productions. La part consacrée aux entreprises (135 millions de F) ne sera allouée qu’aux seules PME. La récession du marché automobile, notamment de haut de gamme, touche les ventes de XM Citroën fabriquées à Rennes. La direction de l’usine a annoncé un plan de 1 800 suppressions d’emplois, qui devrait s’accompagner d’un programme de soutien du Fonds national pour l’emploi (FNE) et concerner les salariés de plus de 56 ans. Combien la Bretagne compte-t-elle de bretonnants ? Un sondage vient d’être effectué qui révèle que 55 % des Bretons de plus de quinze ans comprennent le breton et que 20 % le parlent. C’est une population plutôt âgée, d’origine agricole et peu diplômée. Le breton est plus utilisé dans les Côtes-d’Armor que dans le Finistère ; davantage dans les communes de moins de 10 000 habitants (où 25 % le parlent) que dans celles de plus de 50 000 habitants (où 10 % de locuteurs sont recensés). downloadModeText.vue.download 201 sur 490 POLITIQUE 199 Centre L’époque où l’implantation de firmes multinationales constituait une assurance contre le chômage appartient vraiment au passé. La Région Centre en fait la cruelle expérience. En quelques semaines, trois gros employeurs ont annoncé des réductions d’effectifs, voire des fermetures d’établissement : Michelin (à La Chapelle-Saint-Mesmin, près d’Orléans, à Saint-Doulchard, près de Bourges, et à Joué-lès-Tours), Bull et Baxter (tous les deux à Joué-lès-Tours). Sous l’impulsion de son président Maurice Dousset, le conseil régional a mis en place un dispositif d’aide aux entreprises de moins de 500 salariés : le Programme d’aide régionale à la création et à l’investissement (PARS) permet au créateur d’entreprise de s’affirmer face aux banques ; le Prêt participatif régional (PPR) est accordé au vu d’un programme d’investissement significatif ; le Fonds économique régional d’intervention (FERI) doit s’adresser prioritairement aux entreprises étrangères à la Région. Mais le conseil régional est à la recherche d’un nouveau nom : la notion de centre est trop nébuleuse et induit des confusions fréquentes avec le Massif central. 50 % des habitants de la Région ignorent son nom et celui de leur capitale régionale. Champagne-Ardenne Le centre de stockage des déchets faiblement et moyennement radioactifs situé près de Soulaines-Dhuys (Aube) a reçu ses premiers chargements en 1991. Jusqu’en 2020, de 20 000 à 30 000 m3 de déchets (outils, filtres, gants contaminés...) pourront y être traités chaque année, sous le contrôle de l’Agence natio- downloadModeText.vue.download 202 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 200 nale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Les ventes de Champagne ont enregistré une chute de près de 20 % par rapport à 1990, surtout en raison de l’effondrement des achats britanniques et américains. La hausse du prix des bouteilles (10 %), la crise du Golfe et la conjoncture économique morose ont déprimé le marché, qui n’avait pas connu pareil repli depuis 1981. Les ventes de 1991 se situent autour de 200 millions de bouteilles, ce qui traduit un retour aux chiffres de 1985-1987. La récolte 1991 est estimée à 270 millions de bouteilles, le gel ayant épargné les grands crus. Moët et Chandon, fleuron du groupe LVMH, a vendu à lui seul 31,7 millions de bouteilles, soit 13,5 % des expéditions totales et 25 % des exportations. Ici, on reparle de l’élargissement de la zone délimitée. Le vignoble, qui s’étend sur 250 km 2, ne produit plus que 10 % des vins pétillants du monde, contre 20 % en 1970. Le Syndicat général des vignerons (SGV), seul maître de la décision d’ouvrir l’appellation, s’y est opposé jusqu’à présent. Corse Alors qu’il n’y avait plus de militant « nationaliste » en prison depuis 1988, l’été 1991 a marqué la fin de la trêve. Pendant ces trois années, le gouvernement a préparé le nouveau statut de l’île, tandis que les composantes du mouvement indépendantiste cherchaient à surmonter leurs querelles intestines, sources de « surenchère explosive ». Ce qui a poussé les autorités à multiplier les perquisitions, les interpellations et les arrestations. Le nouveau statut de la Corse, mis au point par Pierre Joxe et défendu devant le Parlement par Philippe Marchand, a été validé par le Conseil constitutionnel à l’exception de son article premier, qui reconnaissait l’existence d’un « peuple corse, composante du peuple français ». La Déclaration des droits de 1789, le pré- ambule de la Constitution de 1946 et celui de la Constitution de 1958 ont toujours fait référence au peuple français. Au singulier. En conséquence, les membres du Conseil constitutionnel ont estimé que la mention du « peuple corse, composante downloadModeText.vue.download 203 sur 490 POLITIQUE 201 du peuple français » était contraire à la Constitution. Au début de l’année, le dispositif de maintien de l’ordre en Corse comprenait 2 423 fonctionnaires de police et de gendarmerie pour une population de 240 000 habitants, ce qui fait un policier ou un gendarme pour 100 personnes contre un pour 290 dans le reste de la France. Sur ces 2 423 policiers et gendarmes, 1 660 représentent l’effectif permanent habituel et 763 hommes constituent les escadrons envoyés en renfort. Franche-Comté Morosité et inquiétude à l’usine Bull de Belfort. Sur les 1 450 salariés que comptait l’entreprise au début de 1991, il n’en reste que 430 à la fin de l’année. Les dirigeants de Bull se sont engagés à maintenir deux filiales à Belfort et à conserver 700 emplois. La Société de développement industriel (SDI), créée pendant l’été avec le soutien de M. Jean-Pierre Chevènement, est financée à parts égales par Bull, l’État et les collectivités locales. Sa vocation est d’attirer de nouvelles entreprises, de créer des emplois et de s’affranchir autant que possible de la domination des mastodontes industriels de la Région que sont, outre Bull, CGEE-Alsthom et Peugeot. L’industrie horlogère franc-comtoise traverse une nouvelle crise, qui menace les 8 000 salariés de ce secteur. La Compagnie générale horlogère (CGH), qui appartient au groupe japonais HattoriSeiko, a annoncé en juin la suppression de 150 emplois. France-Ébauches, premier fabricant européen de mouvements, a licencié 118 salariés sur 700. Aux jeux Olympiques d’Albertville, le chronométrage sera assuré par une firme suisse, Oméga Longines, filiale de la Société de microélectronique et d’horlogerie (SMH), et non par une maison française. Quant aux terrains de Palente libérés par Lip, ils ont été récupérés par la CGH. La Franche-Comté arrive en tête des Régions françaises pour la création d’emplois durables lors des rachats d’entreprises : sur 280 000 emplois créés en 1985, à l’occasion de 56 000 reprises, 180 000 subsistaient en 1990. downloadModeText.vue.download 204 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 202 Île-de-France D’un recensement (1982) à l’autre (1990), la Région Île-de-France a pris un coup de vieux : les moins de vingt ans représentent 26,1 % des Franciliens, soit 1 % de moins qu’en 1982 et 2 % de moins qu’en 1975, et le nombre des plus de 60 ans a augmenté plus vite que l’ensemble de la population de la Région, note l’INSEE. Paris, en revanche, se donne un petit air de jeunesse : 18,7 % de moins de 20 ans contre 18,5 % en 1982 ; et, surtout, si la capitale continue de perdre de la population, c’est dans les tranches d’âge les plus élevées (les plus de 60 ans) que la perte est la plus forte. Si Paris veut organiser le « Mundial » 1998 (la Coupe du monde de football), il lui faut un grand stade de 70 000 à 80 000 places. Le choix s’est porté sur Melun-Sénart, à une trentaine de km au sudest de Paris. Il en coûtera au minimum un milliard et demi de F (peut-être trois...), que l’État, les fédérations sportives et le secteur privé apporteront à parts égales. Déjà, Bouygues, Dumez et SGE sont sur les rangs. L’espace disponible, la qualité des dessertes routières et ferroviaires ont été déterminants dans le choix du site. Il s’agit aussi de donner à la dernière des villes nouvelles de la Région parisienne les moyens d’un véritable décollage. Près de Marne-la-Vallée, EuroDisneyland achève un chantier pharaonique qui, ouvert en 1989, a employé jusqu’à 5 000 personnes et fait appel à 180 entreprises. L’ensemble couvrira à terme (en 2017 !) 2 000 hectares, soit le cinquième de Paris intra-muros. Disney table sur 11 millions d’entrées par an, dont la moitié seulement de Français. Le consensus est général chez les élus, locaux ou nationaux, de la majorité ou de l’opposition, pour soutenir un projet qui promet 12 000 emplois. Alors que le financement privé a été de 22 milliards de F pour la première phase, la collectivité n’aura déboursé que 3 milliards pour l’aménagement des infrastructures. L’opération devrait rapporter 4 milliards en devises par an. Vingt-six ans après la publication du Schéma directeur de Paul Delouvrier (1965), le ministre de l’Équipement Paul Quilès et le préfet de Région Christian Sautter ont présenté l’avant-projet du nouveau Schéma d’aménagement de l’Île-de-France, qui contient « vingt-cinq propositions pour vingt-cinq ans ». Son projet est de tracer l’évolution de la Région jusqu’en 2015. Pour éviter l’asphyxie, la population sera plafonnée à 12,3 millions d’habitants en 2015, alors que le rythme de l’accroissement naturel actuel – 100 000 personnes par an – ferait passer downloadModeText.vue.download 205 sur 490 POLITIQUE 203 le nombre de Franciliens à 13,1 millions. Pour abriter ces nouveaux résidents, il faudra néanmoins construire chaque année 65 000 logements (contre 45 000 actuellement) ; mais il n’est pas question de construire d’autres villes nouvelles. Le futur Schéma valorise des villes moyennes qui seraient autant de traits d’union vers les Régions voisines : Mantes vers la Normandie, Rambouillet et Étampes vers le Centre, Melun vers la Bourgogne, Meaux vers ChampagneArdenne. Pour établir une « harmonie » entre habitat et emplois, ces derniers (il en faudrait 30 000 de plus par an) devront être mieux répartis. Paris intra-muros devra perdre 8 000 emplois tertiaires par an, mais construire des logements ; la petite couronne devra augmenter le nombre des logements et des emplois ; la grande couronne devra ralentir la construction et accélérer la création d’emplois. La priorité aux transports en commun est à nouveau réaffirmée. Le Schéma tirera parti des projets existants : outre Orbitale (rocade ferroviaire autour de la capitale), le plan ICARE (Infrastructures concédées d’autoroutes régionales enterrées) refait surface. Mais le problème de son financement n’est pas résolu. Languedoc-Roussillon L’or ne paie plus. La mine de Salsigne (Aude), la principale mine aurifère d’Europe (2 000 kg d’or par an) et le premier employeur du département (424 employés), est en état de cessation de paiement. Les investissements nécessaires au traitement d’un minerai dont la teneur s’abaisse et la chute des cours du métal précieux ont confronté l’entreprise à un déficit de 50 millions de F. En revanche, la mine de bauxite de Villeveyrac (Hérault) est remise en activité grâce à l’emploi de personnes handicapées. La municipalité et des institutions spécialisées ont accepté d’apporter leur concours pour adapter les postes de travail aux possibilités des handicapés. Vingt-deuxième ville de France en 1962, Montpellier se situe aujourd’hui au neuvième rang et accueille 60 000 étudiants. Depuis 5 ans, les emplois ont augmenté de 3,4 % par an. Avec l’aide des médias, le maire Georges Frèche vient de lancer une nouvelle opération qui vise à redéployer la ville vers l’est et downloadModeText.vue.download 206 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 204 la mer, seules possibilités d’extension de la cité. Port-Marianne – puisque tel est le nom de ce nouveau quartier – s’étendra à l’horizon 2010 (!) sur 600 ha, disposera de 5 500 logements, de centaines de bureaux et de commerces et d’un port de plaisance de 300 ou 400 anneaux. Montpellier et Nîmes font la paix sous l’impulsion de leurs maires, MM. Georges Frèche et Jean Bousquet. Les accords de coopération se multiplient : création d’une liaison rapide entre les deux aéro- ports et d’un réseau commun de prospection d’entreprises. Limousin La COGEMA (Compagnie générale des matières premières), filiale du Commissariat à l’énergie atomique, a annoncé sa décision de mettre fin à l’exploitation des mines d’uranium de la Crouzille, à Razès (Haute-Vienne), d’ici à la fin de 1995. Outre les 479 salariés du site minier, la mesure touche 200 personnes travaillant dans l’usine de traitement du minerai à Bessines et 200 salariés des services de sondage de Limoges. Au total, 1 000 emplois directs et 3 000 emplois induits sont concernés. L’effondrement des prix de l’uranium et la mauvaise rentabilité des mines sont les causes de ces mesures. La forêt limousine couvre 500 000 ha, soit plus du tiers de la superficie de la Région. Les 138 000 propriétaires qui se partagent le « gisement » ne possèdent en moyenne que 3,5 ha chacun. L’extension de la superficie boisée doit plus à l’exode rural (donc au développement des friches) qu’à une action volontaire. La filière bois, de la sylviculture à la commercialisation, fait pourtant vivre 10 000 personnes : trois fois plus que la porcelaine de Limoges. Les porcelainiers n’échappent pas à la restructuration. Il reste à Limoges une trentaine de manufactures, qui emploient 3 000 personnes contre 10 000 au début du siècle. Dominée par Bernardaud et DLP (Decoster-Limoges-Prestige), l’activité réalise un chiffre d’affaires de 650 millions de F, dont la moitié à l’exportation. downloadModeText.vue.download 207 sur 490 POLITIQUE 205 Lorraine La conjoncture économique pousse les Lorrains à chercher du travail au-delà de la frontière : ils étaient 18 500 frontaliers en 1982 ; ils sont aujourd’hui 31 000. La recherche d’un emploi, et l’attrait de salaires de 20 à 40 % supérieurs à ceux pratiqués en France, d’une couverture so- ciale aussi favorable et d’un taux d’imposition moins élevé expliquent cette ruée vers le Luxembourg et la Sarre. Dépôts de bilan et licenciements se succèdent dans les vallées textiles vosgiennes, qui assurent encore 38 % de la filature et 42 % du tissage du coton en France, avec 120 000 salariés. Les Héritiers de Georges Perrin (HGP) – 650 salariés – ont déposé leur bilan en avril. Boussac, qui avait 17 000 salariés à la fin des années 60, n’en a plus que 373 dans l’unité de Nomexy, dont la survie dépend du plan de sauvegarde de VEV (Vitos Établissements Vitoux). La vulnérabilité du textile vosgien tient à sa spécialisation dans les fils et tissus de coton écru – produit semi-fini à faible valeur ajoutée –, qui représentent 70 % d’une activité concurrencée par les pays à bas salaires. À l’heure où la sidérurgie mondiale marque le pas, Usinor-Sacilor ferme les deux hauts-fourneaux d’Uckange (330 emplois) en Moselle et la mine de fer de Mairy-Mainville (280 emplois) en Meurthe-et-Moselle. Midi-Pyrénées La Découverte de Carmaux produit le charbon le plus cher de France. La tonne extraite revenant à 730 F est vendue 300 F, tandis que le charbon importé arrive au port de Bordeaux à 250 F. Ce qui n’empêche pas la mobilisation des Carmaussins contre la mise en place par les Charbonnages de France du plan de downloadModeText.vue.download 208 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 206 restructuration et du plan social qui l’accompagne. L’exploitation devrait se poursuivre, à partir de 1992, avec 289 salariés (au lieu de 629) pour une production annuelle maintenue à 140 000 tonnes, contre 400 000 tonnes selon les plans initialement prévus. Albi accueillera la sixième école des Mines et l’État augmentera de 50 % pendant trois ans le soutien financier qu’il accorde à la reconversion du site. Paris ne fait plus la pluie et le beau temps : depuis le 10 septembre 1991, le service central de l’exploitation de la météorologie, c’est-à-dire le coeur de MétéoFrance, s’est décentralisé sur le Météopole du Mirail à Toulouse, auprès de l’École nationale de la météorologie et du Centre national de la recherche météorologique. Un nouveau Capitole pour Toulouse : le projet d’urbanisme de la Porte Marengo, confié à l’architecte Jean-Pierre Buffi, doit être achevé en 1995. Le nouveau quartier sera occupé par des logements, par l’ensemble des services municipaux et par des sièges sociaux et des services en provenance du centre-ville, voire de Paris. Nord-Pas-de-Calais De restructurations en ajustements, l’industrie textile de la Région n’en finit pas de craindre pour ses emplois. Troisième Région textile derrière l’Île-deFrance et les Pays de la Loire, le NordPas-de-Calais concentre à lui seul 100 % de la filature du lin, 95 % du peignage de la laine, 85 % des filatures de coton, mais seulement 35 % des tissages et 10 % de la confection. Les gains de productivité ont été nets. Résultat : le nombre d’employés de la filière textile-habillement est passé de 200 000 à la fin des années 1950 à 60 000 aujourd’hui. Le groupe VEV (Vitos Établissements Vitoux), qui a récupéré les dépouilles des empires Prouvost et Boussac, est au bord de la faillite. Toutes les sociétés du groupe sont concernées par des compressions d’effectifs : Intexal à Cambrai (1 200 salariés), La Lainière de Roubaix (1 250), Customagic à Commines et Halluin (250). downloadModeText.vue.download 209 sur 490 POLITIQUE 207 Dans les états-majors, on se refuse à croire que tout est perdu. Trois orientations apparaissent encore possibles : la spécialisation vers les activités d’amont (filature et tissage), qui peuvent être fortement automatisées (les salaires n’entrant que pour 15 % dans le prix du fil, les faibles rémunérations versées dans les pays du tiers-monde se font moins sentir) ; d’autre part, l’orientation vers les textiles à usage technique (médecine, aménagements routiers, protection thermique ou nettoyage industriel) peut permettre aux entreprises de ce secteur de tirer leur épingle du jeu ; enfin, la solution du « circuit court » consisterait à rapprocher distributeurs et industriels. Les chaînes spécialisées (Promod, Camaïeu) ne travaillent plus sur collections saisonnières, mais à la semaine ; elles passent commande au jour le jour. Cette stratégie pourrait permettre une relocalisation du textile dans le nord de la France après vingt ans de fuite dans les pays à bas salaires. Le développement harmonieux d’une métropole ou d’une ville moyenne passe par celui de l’enseignement supérieur. Dans cette perspective, les effectifs des étudiants de la Région doivent passer d’ici à 1995 de 90 000 à 112 500. Quatre ensembles universitaires devront faire face à cette poussée. Deux d’entre eux existent déjà : celui de la métropole lilloise (avec les sites de Lille, Villeneuve-d’Ascq, Roubaix et Tourcoing) et celui du Hainaut-Cambraisis (Valenciennes, Cambrai, Maubeuge). Deux sont en cours de réalisation : celui de l’Artois (Lens, Béthune, Arras, Douai) et celui du littoral (Calais, Boulogne, Dunkerque et Saint-Omer). En matière de création d’entreprises, le Nord-Pas-de-Calais occupe l’avantdernière place en France, juste devant le Limousin : en 1990, il n’y avait eu que 11 000 créations, soit une baisse de 7,8 % par rapport à l’année précédente. L’arrêt de l’essaimage, qui consiste, pour une société, à confier sa sous-traitance à de petites firmes créées par ses propres salariés, et celui des grandes restructurations industrielles expliquent ces médiocres résultats. Créée en avril 1991, la SACOMI (Société d’aménagement des communes minières) associe les collectivités territoriales de la Région et les Charbonnages de France au sein d’une société d’économie mixte. Sa mission est de gérer le patrimoine immobilier des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), estimé à 7 milliards de F. Mais les logements continuent d’appartenir à une filiale des Houillères, la SOGINORPA. Sur 84 600 logements, 33 000 doivent être réhabilités et 19 000 détruits. La moitié des friches industrielles du territoire national se trouve dans la Région, ce qui représente 10 000 hectares, dont 5 000 relèvent des sites des Houillères. L’Établissement public foncier du Nord, qui a reçu mission de les faire disparaître, devient ainsi un véritable organisme d’aménagement du territoire régional. downloadModeText.vue.download 210 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 208 Normandie Basse-Normandie La conjoncture est devenue difficile pour la sidérurgie et l’usine de la Société métallurgique de Normandie (SMN) risque d’être la première touchée par le réexamen stratégique d’Usinor-Sacilor. Implantée à Caen, elle avait été intégrée au groupe sidérurgique en 1987. En 1991, les pertes financières se montent à 200 millions de F pour un chiffre d’affaires de 1,5 milliard. L’acier électrique, qui aurait pu sauver 500 emplois, a été installé à Neuves-Maisons (Meurthe-etMoselle). La fermeture de l’usine devrait intervenir en 1994. Le grand chantier de l’usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague touche à sa fin. 8 000 salariés y travaillaient en 1988 ; ils n’étaient plus que 2 400 au début de 1990. La fin des travaux de terrassement et de génie civil correspondant avec le début d’autres chantiers (tunnel sous la Manche, TGV Nord), de nombreux employés ont pu retrouver un poste, mais leur départ a déstabilisé l’activité économique de la Région. À chacun son bicentenaire : en 1791, dans le village de Camembert, Marie Harel avait trouvé le secret de l’affinage d’un nouveau produit, devenu depuis le plus célèbre des fromages et qui, aujourd’hui, est en train de faire la conquête du Japon. Haute-Normandie Les assises géologiques ont réservé de mauvaises surprises à l’entreprise allemande Bilfinger-Berger, chargée des fondations qui doivent supporter les deux piles, hautes de 214 m, du pont de Normandie. Le prix de revient de l’ouvrage atteindra finalement 1,6 milliard de F. La construction est garantie par les collectivités locales : les départements de SeineMaritime (40 %), du Calvados (25 %), de l’Eure (10 %) et la Région de HauteNormandie (25 %). À cause des retards, la chambre de commerce du Havre devra rembourser ses emprunts avant la mise en service du pont, prévue pour 1994. Le port de Rouen a connu en 1991 le trafic le plus élevé de son histoire : 23,7 millions de tonnes, soit 13,5 % de plus qu’en 1989. C’est le plus fort taux de progression enregistré dans les grands ports français. downloadModeText.vue.download 211 sur 490 POLITIQUE 209 Deux cents personnes de toutes professions et de toutes sensibilités, réunies au sein du Comité d’expansion du grand Rouen, ont planché pendant neuf mois sur une « Charte pour une Eurocité ». La métropole normande est en effet en mauvaise posture à la veille de l’échéance européenne. La crise des industries traditionnelles puis de la pétrochimie laisse des traces. La Région connaît un taux de chômage (10,8 %) supérieur de deux points au taux national. Les idées-forces de la charte sont la révision du schéma directeur Rouen-Elbeuf, le développement des pôles « moteur, combustion » et « chimie fine, pharmacie », le développement de grands projets urbains d’envergure européenne (un centre d’affaires, un pôle d’enseignement supérieur...), la valorisation de l’image et du rôle de la Seine. Dans un autre registre, le Groupe des trois grandes villes normandes (Rouen, Le Havre, Caen), créé sur l’initiative de leurs maires, MM. Lecanuet, Duromea et Girault, espère constituer un réseau efficace. À défaut d’un Comité d’expansion unique, des mesures concrètes sont prises dans le domaine de la communication, de la formation et de la culture. Mais il n’est toujours pas question de faire de la Nor- mandie une seule Région administrative. Pays de la Loire La conjoncture est à nouveau favorable pour les Chantiers de l’Atlantique (groupe CGEE-Alsthom). Le retour au consensus social aidant, ils viennent de remporter une commande de 7 milliards de F pour la construction de cinq navires méthaniers d’une capacité de 130 000 m 3, à livrer entre 1994 et 1997 à la compagnie d’État de Malaisie Petronas. Le contrat donne le signal du redémarrage du commerce international du gaz naturel liquéfié, en sommeil depuis 1980. Bénéteau (1 500 salariés) à SaintGilles-Croix-de-Vie, Jeanneau (1 530 salariés) aux Herbiers, Jeantot Marine et Kirié Construction aux Sables-d’Olonne, mais aussi Alubat, Eider Marine, etc., l’industrie de plaisance, « porte-drapeau » de la Vendée, est la première du monde. C’est aussi, avec ses 3 000 salariés – sans compter les 2 700 personnes qui vivent de la sous-traitance –, le quatrième employeur industriel du département. Sur la « route des Estuaires », gigantesque rocade à quatre voies entre le tunnel sous la Manche et la frontière downloadModeText.vue.download 212 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 210 espagnole, le pont de Cheviré, en aval de Nantes, a été ouvert à la circulation le 2 mai. La mise en place de cet ouvrage – ultime maillon d’un périphérique de 42 km de long qui franchit la Loire à 50 m de hauteur – fait disparaître un des derniers obstacles au développement de l’agglomération nantaise. Le dernier grand marais salant artisanal de la côte atlantique, celui de Guérande, est en voie de classement national. Les deux tiers des marais sont encore utilisés par 200 paludiers. Picardie Créée en 1985 par le conseil régional, Picardie Investissement s’est donné pour mission d’attirer les entreprises dans la Région et de conforter celles qui existent déjà. Le capital était de 25 millions de F à l’origine, lorsque le conseil régional profitait de la loi de décentralisation qui lui permettait de gérer des fonds propres ; il atteint aujourd’hui 70 millions. Il est détenu à 80 % par la Région Picardie ; le reste appartient à la Banque de Picardie, au groupe CIC, à la Caisse d’épargne, au Crédit agricole, à la Caisse des dépôts et à deux industriels. Le souhait est de voir la part du conseil régional descendre à 50 % et de trouver de nouveaux partenaires. Depuis six ans, la société de capital-risque a ainsi instruit une centaine de dossiers et en a retenu plus de cinquante. Parallèlement, le conseil régional a créé en 1990 Picardie-Avenir, une autre société de capital-risque, destinée cette fois à aider la création d’entreprises. Le capital (2,5 millions de F) est détenu par la Région à 80 % et par les chambres consulaires pour le reste. À l’échelon inférieur, celui du département, l’Agence pour le développement de l’Oise (ADO), créée en 1986 par le conseil général, a permis en 1990 la création immédiate de 1 700 emplois et de plus de 2 600 à terme, à travers 82 opérations concernant des extensions, des implantations ou des créations d’entreprises, soit un apport de près de 1 milliard de F à l’économie du département. downloadModeText.vue.download 213 sur 490 POLITIQUE 211 Poitou-Charentes Les éleveurs de Poitou-Charentes sont confrontés aux excédents de lait de chèvre, dont la Région est le premier producteur européen (180 millions de litres, ce qui représente les deux tiers de la production française), et à une progression de 15 % par an, alors que le marché ne se développe qu’au rythme de 2 %. Résultats : un surplus de 35 millions de litres et une chute des cours. Le prix du lait a baissé de 18 % depuis 1980, alors que les coûts de production augmentaient de 40 %. Un Programme régional de maîtrise et d’organisation de la filière caprine préparé par l’interprofession caprine poitou-charentaise prévoit pour chaque producteur (ils sont 7 000) une baisse volontaire de 10 % des quantités mises sur le marché. Le reste servira à la production de lait en poudre. Le cognac représente un chiffre d’affaires de 9,6 milliards de F, dont 95 % à l’exportation. Le Japon est devenu le premier importateur : 27 millions de bouteilles achetées durant la campagne 1990-1991, contre 25 millions par les Américains, 14 par les Anglais et... 8 par les Français. Opposé au tracé de l’autoroute Nantes-Niort à travers le parc régional du Marais poitevin, aux limites de la Venise verte, partie la plus fragile du Marais, le ministre de l’Environnement, M. Brice Lalonde, a retiré son label... et a coupé les crédits de l’État. Provence-Alpes-Côte d’Azur À La Ciotat, le feuilleton à rebondissements des chantiers navals s’est terminé avec la fin de l’épisode Lexmar. Le 11 février 1991, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation judiciaire de Lexmar-France, qui n’avait jamais réussi à acquérir l’outillage indispensable à la survie des chantiers et avait downloadModeText.vue.download 214 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 212 déposé son bilan le 6 décembre précédent. Le maire de La Ciotat a alors immédiatement demandé l’extension de la zone d’entreprises, sur laquelle 58 firmes ont déjà crée 760 emplois. À Marseille, c’est Sud-Marine, entreprise spécialisée dans la réparation navale et la construction offshore qui disparaît. 954 salariés sont directement touchés, mais aussi 120 PME sous-traitantes qui emploient 2 500 personnes, alors que le département des Bouches-du-Rhône a déjà un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale (13 % de la population active, contre 9,4 %). Pour enrayer l’hémorragie de sa population (près de 80 000 habitants perdus entre les deux derniers recensements), Marseille corrige son plan d’occupation des sols : mille hectares supplémentaires sont réservés à la construction et mille autres consacrés à l’accueil d’entreprises ou d’activités. Selon la DATAR, la Région a absorbé en 1990 29 % des nouvelles implantations américaines en France, 20 % des italiennes, 17 % des anglaises et 6,25 % des allemandes. Sophia-Antipolis demeure le point de chute privilégié des nouveaux arrivants. À la fin de 1990, la technopole abritait 834 raisons sociales et 14 300 emplois. La réussite enregistrée sur le plateau de Valbonne et la crise de la construction navale donnent des idées aux Varois, qui veulent transformer le plateau de Signes en technopole : plusieurs dizaines d’implantations industrielles ont eu lieu : Coca-Cola, Daniel Jouvance, les laboratoires pharmaceutiques Merk et l’écurie de formule 1 de Gérard Larrousse. Tout cela est coordonné par Toulon Var Technologies. L’Agroparc de Montfavet-Avignon est devenu une réalité : sur 200 hectares, c’est à la fois le plus grand centre de recherches de l’INRA (2 000 personnes employées), un IUT agroalimentaire et une pépinière d’entreprises. Outre Sophia-Antipolis, Montfavet et Toulon, il y a aussi Château-Gombert, Aix Europole et Manosque-Cadarache. « La Route des hautes technologies », qui relie ces six pôles, est formée par des infrastructures de communication (liaisons autoroutières, TGV Méditerranée, extension des aéroports), mais aussi de télécommunications. C’est aussi un outil financier (1 750 millions de F pour la période 1989-1993), car ces groupes de travail participent au choix des opérations, et un moyen de promotion auprès d’investisseurs métropolitains ou étrangers. Par ailleurs, en dotant la Région d’un système de communication à haut débit, d’un centre régional de calcul formé de trois ordinateurs hyperpuissants, la Route des hautes technologies permet à chaque PMI d’accéder à des outils réservés jusqu’alors aux grands groupes. Le port autonome de Marseille (PAM) a bien supporté la première phase de la crise du Golfe : le trafic s’est stabilisé en 1991. Certes, avec 91,6 millions de tonnes, l’écart s’est creusé avec Anvers (102 millions de tonnes), mais le port phocéen avait tout à craindre de la politique d’embargo imposée par l’ONU à l’Irak et au Koweït. Alors que les autres ports français (Nantes excepté) enregistrent un repli de leur trafic marchandises, le PAM maintient ses positions autour de 10,6 millions de tonnes et bat même son record en ce qui concerne le trafic de conteneurs. downloadModeText.vue.download 215 sur 490 POLITIQUE 213 Rhône-Alpes Tous les équipements et toutes les infrastructures nécessaires aux jeux Olympiques étaient prêts un an avant l’ouverture. Grâce à l’appui de l’État et de la Région, la Savoie a investi 5 milliards de F pour s’équiper. Au total, investissements privés et publics confondus, le département aura reçu plus de 10 milliards d’investissements en moins de six ans. Les entreprises ont bénéficié de cet élan olympique. Plus de mille emplois ont été créés depuis 1986 et le taux de chômage de la Savoie est tombé à moins de 7 %. Mais les grands groupes français (Spie, GTM, Razel) ont racheté bon nombre d’entreprises de BTP de la Région. Quinze ans de travaux auraient été nécessaires, en temps normal, pour faire ce qui vient d’être réalisé en cinq ans. Cependant, l’ère de l’après-JO a commencé bien avant leur ouverture. Si la Savoie est désenclavée, les Jeux n’ont pas créé d’implantations économiques durables. Certaines des treize communes d’accueil ont concentré de lourds investissements sur une trop courte période et souffrent de surendettement. Bridesles-Bains (600 habitants), dont le budget de fonctionnement est de 15 millions de F, connaît un « trou » de près de 70 millions. Et les Savoyards de méditer sur l’expérience de Grenoble qui, vingttrois ans après les JO de 1968, supporte encore le poids écrasant des installations olympiques. DOM-TOM Les émeutes qui ont ensanglanté la Réunion en février-mars 1991 ont mis en lumière les problèmes économiques et sociaux persistant dans les départements d’outre-mer (DOM). Cinq ans après le vote de la loi Pons (1986) introduisant des mesures de défiscalisation, le ministre des DOM-TOM, M. Louis Le Pensec, espérait pouvoir y apporter les retouches nécessaires, à la lumière du rapport Ripert publié en juin 1990. En fait, c’est tout le système d’aide économique et social qui est à repenser. Depuis la loi de départementalisation de 1946, conçue pour faire sortir les anciennes colonies de leur passé esclavagiste, les départements d’outre-mer se sont transformés. Mais est-il possible de concilier leur appartenance à la communauté nationale et le respect de leur spécificité ? Les décalages avec la métropole se résorbent-ils ou s’aggravent-ils ? La scolarisation révèle les progrès accomplis : de 1958 à 1988, les élèves de l’enseignement secondaire sont passés de 5 200 à 52 000 en Guadeloupe, de 830 downloadModeText.vue.download 216 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 214 à plus de 10 000 en Guyane, de 3 800 à 46 700 en Martinique, de 2 100 à 72 500 à la Réunion. Les DOM sont, en même temps, entrés dans l’ère de la consommation de masse : le parc automobile a été multiplié par 13 en Guyane, par 7 en Martinique et par 19 à la Réunion. Parallèlement, la population a plus que doublé et s’accroît au rythme de 2 % l’an. 37 % des habitants ont moins de 20 ans et seule l’émigration vers la métropole maintient la croissance démographique dans des limites raisonnables. La désorganisation de la société de plantations accompagne la départementalisation ; les secteurs productifs disparaissent ; les importations sont dix fois plus fortes que les exportations ; les enfants quittent la terre et deviennent fonctionnaires ; le secteur tertiaire est hypertrophié. Les taux de chômage oscillent entre 20 % (aux Antilles) et 35 % (à la Réu- nion), tandis que la facture nette se monte, pour la métropole, à 20 milliards de F. Le SMIC réunionnais est inférieur de 20 % à celui de la métropole, mais il est dix fois plus élevé que les salaires versés aux Comores et à Madagascar, tout proches. Les DOM rêvent du Grand Marché unique de 1993 et des capitaux qui viendront de Bruxelles ; mais l’intégration européenne suppose aussi la remise en cause de l’« octroi de mer », qui taxe les produits entrant dans les DOM et qui rapporte 2,5 milliards de F par an aux collectivités locales. La Martinique survit à 75 % grâce au budget français, qui lui assure un niveau de vie et des prestations sociales sans commune mesure avec ce qui est pratiqué dans les Caraïbes. En revanche, le haut niveau des salaires fait perdre sa compétitivité à l’île, qui voit son agriculture mourir lentement et connaît un taux de chômage proche de 30 % malgré le grand nombre de fonctionnaires. Lancée sur l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie martiniquaise (CCIM), l’opération « Confluences 91 » devait amener les Martiniquais à élaborer eux-mêmes un véritable livre blanc pour sortir l’île du marasme économique. La volonté de fabriquer sur place tout ce qui peut l’être (alors que les exportations ne couvrent que 15 % des importations), le constat des insuffisances quantitatives et qualitatives de l’infrastructure hôtelière (prix élevés, prestations médiocres) sont souvent évoqués. Et l’on reparle du « Marché commun des Caraïbes », associant Martinique, Guadeloupe et Guyane... Kourou, « port spatial de l’Europe », n’est pas toute la Guyane et les succès d’Ariane symbolisant le renouveau du département français d’Amérique du Sud ne sont qu’une vitrine : en arrière, les bidonvilles insalubres, où s’entassent plus de six mille personnes (les « villages » haïtiens, Saramacca...), sont régulièrement alimentés par une forte immigration. De 1982 à 1990, les étrangers sont passés de 16 848 à 34 087, soit une augmentation de 102 %, et représentent maintenant 29,70 % de la population totale. Le Front national, dont le potentiel électoral approche les 25 %, tente de tirer parti de la situation, mais une délégation de la formation de J.-M. Le Pen a été refoulée par des manifestants à Saint-Georges-de- l’Oyapock. Au-delà du fait divers, l’apparition des Amérindiens sur la scène politique guyanaise est un fait majeur de la nouvelle donne du département. Le nickel, dont près de 30 % des downloadModeText.vue.download 217 sur 490 POLITIQUE 215 réserves mondiales se trouvent sur le « caillou néo-calédonien », n’est pas seulement une matière première. Le partage équitable de cette ressource est la clé d’une réconciliation durable entre les communautés. La Société minière du Sud Pacifique (SMSP), dont le capital a été racheté à Jacques Lafleur par la Province Nord, contrôlée par le FLNKS, réussit, grâce à une imbrication de capitaux locaux et étrangers, à s’assurer un débouché : plus de 700 000 tonnes de minerai ont été livrées au Japon en 1991, soit 40 % du total des exportations calédoniennes. En ce qui concerne la métallurgie, la Société Le Nickel (SLN) consacre 1,2 milliard de F à l’augmentation de la capacité de l’usine de Doniambo, à Nouméa. À cette fin, l’exploitation du centre minier de Thio a été prolongée, tandis qu’un nouveau site minier sera ouvert dans le massif de Kopeto, sur la côte ouest. Il sera complètement intégré dans l’environnement autochtone et tribal. Mais la SLN se heurte encore au protectionnisme japonais, qui continue de taxer les ferronickels importés, malgré les exhortations que M. Michel Rocard, alors Premier ministre, avait adressées au Japon en 1990 lors de ses deux voyages. Le 10 août, le FLNKS a tenu une convention indépendantiste consacrée principalement aux litiges frontaliers et au développement économique. Son président, Paul Néaoutyne, a souligné à cette occasion que l’attribution prévue de plus de 80 000 hectares à ses partisans n’avait pas encore été définitivement établie par des actes de propriété. Pour le cent cinquantième anniversaire de son rattachement à la France, Mayotte voudrait bien accéder à la départementalisation, considérée comme la solution à tous ses problèmes. Mais les spécificités de cet îlot de l’océan Indien sont telles que Paris n’est pas près d’accéder à la demande. Avec 38 000 habitants en 1974, 85 000 en 1990, un des taux de natalité les plus forts du monde (50 ‰), 10 000 étrangers venus des îles voisines plus pauvres et installés plus ou moins clandestinement, 60 % de la population âgée de moins de 20 ans, la situation démographique risque de devenir explosive sur cette île à faible surface habitable. Par ailleurs, la vie de cette population, musulmane sunnite à 90 %, est réglée par le droit privé coranique que le cadi (chef religieux) fait appliquer pardessus les lois de la République. Et cela n’est pas près de changer. CLAUDE MALASSIGNÉ downloadModeText.vue.download 218 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 216 EUROPE ! 1 De Rome à Maastricht, la Communauté européenne a franchi en un an deux étapes capitales. Elle a jeté les bases d’une Union économique et monétaire et, plus modestement, amorcé un processus de définition de politiques communes en matière de relations extérieures et de défense. Le grand dessein de l’année consistait à jeter les bases d’une Union économique et monétaire (UEM) et d’une Union politique. Tel était l’objet des deux conférences intergouvernementales lancées en décembre 1990 à Rome et conclues un an plus tard à Maastricht. L’objectif a été atteint lors de ce Conseil européen des 9 et 10 décembre, qui, malgré ses insuffisances un peu trop occultées, figurera parmi les dates marquantes de la construction européenne. Les chefs d’État et de gouvernement ont pris les décisions nécessaires pour doter la Communauté, au plus tard au 1er janvier 1999, d’une monnaie commune, l’écu. En termes économiques, mais aussi politiques, c’est là une percée considérable qui vient compléter la politique de relance de la construction européenne engagée à partir de 1985-1986 avec la mise en oeuvre du Marché unique. Celuici continue à se bâtir à un rythme satisfai- sant, si bien que l’échéance du 1er janvier 1993 pourra être respectée. À Maastricht, les Douze ont aussi décidé de se doter progressivement d’une politique étrangère et de sécurité commune ; mais, en raison principalement de l’obstruction britannique, la tentative reste timide. De même que demeure modeste l’effort accompli pour renforcer les pouvoirs du Parlement européen, ou encore pour élargir le champ de compétences de la CEE. Le « lifting » de la PAC Au-delà de ce bilan globalement satisfaisant engrangé à Maastricht, les résultats de 1991 sont cependant pour le moins ambivalents : le climat communautaire, euphorique l’année précédente, a été assombri par une conjoncture maussade et, en particulier, par un retour en force du chômage. L’opinion a soudainement pris conscience que la construction européenne, présentée depuis cinq ans comme la panacée, ne pouvait être considérée comme une assurance tous risques. À cette mauvaise situation économique sont venus s’ajouter, pour déconcerter les esprits, des troubles extérieurs graves – conflit du Golfe et crise yougoslave – d’autant plus préoccupants que la Communauté s’est révélée impuissante à avoir sur eux une quelconque influence. En termes de rapports de force, de prestige, les États-Unis, capables de déployer 500 000 hommes dans le désert d’Arabie, puis de s’y battre, ont marqué des points ; l’Europe en a perdu. La « Tempête du désert » et le général Schwarzkopf ont réussi à faire oublier l’endettement de l’Amérique et son lent déclin industriel. Les canons sont ainsi revenus au premier rang des attributs de la puissance. C’est pour remédier à une telle situation que la Communauté cherche à bâtir une politique étrangère et à accroître son autonomie en matière de défense. En attendant que cette tentative porte éventuellement downloadModeText.vue.download 219 sur 490 POLITIQUE 217 ses fruits, elle est sortie amoindrie des turbulences de l’année écoulée, même si, dans plusieurs cas (assistance en faveur des Kurdes, médiation dans la crise yougoslave), ses interventions ont été jugées plus sévèrement qu’elles ne le méritaient. Cependant, hors le programme de Maastricht, la Communauté n’a pas fait que subir des échecs. Son concours au redressement économique des pays de l’Est, puis de l’ex-URSS est sensiblement plus important que celui accordé par les États-Unis, même si ceux-ci, dont le modèle social et culturel fascine les nouvelles démocraties, se montrent plus habiles qu’elle à en tirer un profit politique. En dépit des polémiques qui naissent à propos de l’architecture de la nouvelle Europe et du rôle – le moins frileux possible – qu’elle devrait y jouer, elle paraît déterminée à envisager de manière constructive, mais avec sang-froid et sans précipitation, ses relations avec ses voisins du Vieux Continent. Sur le plan interne, elle s’est montrée décidée à réformer en profondeur la politique agricole commune (PAC) qui fête cette année ses trente ans et éprouvait effectivement le besoin d’un sérieux « lifting ». Pour ne pas compromettre cette réforme, ambitieuse mais difficile à mettre en oeuvre en raison du désarroi du monde paysan, elle n’a pas hésité à s’opposer aux Américains ainsi qu’aux autres grands producteurs qui, dans le cadre de l’Uruguay Round, se montraient très exigeants sans être prêts eux-mêmes à faire les concessions qu’impliquerait un accord équilibré. Du fait de cette querelle agricole, ces négociations commerciales multilatérales lancées en 1986 à Punta del Este (Uruguay) risquent de s’achever sur une rupture et d’empoisonner les relations économiques internationales, déjà affectées par la crise qui persiste aux États-Unis. C’est là une hypothèque sérieuse qui pèse sur 1992. La percée de l’UEM Le traité instaurant une Union économique et monétaire qui a été conclu à Maastricht, et que les Parlements des Douze doivent encore ratifier, représente assurément un succès méritoire pour la diplomatie européenne de la France, qui l’avait placé de manière presque excessive, comme on a pu parfois le penser, au premier rang de ses objectifs. L’opération, lancée au Conseil européen de Hanovre en juin 1988, n’a pu être menée à bien que moyennant beaucoup d’énergie et de persévérance, tant en raison de l’obstruction du RoyaumeUni que des réticences, d’une tout autre nature mais néanmoins dévastatrices, de l’Allemagne. Les unes et les autres ont été surmontées. Le Comité d’experts présidé par M. Jacques Delors avait présenté son projet d’UEM en trois étapes en avril 1989. Ensuite, Mme Margaret Thatcher s’était efforcée d’empêcher, ou du moins de retarder, la réunion de la Conférence intergouvernementale chargée de rédiger le nouveau traité. Le harcèlement ainsi pratiqué fut vain. Jugé excessif, même au RoyaumeUni, il n’a pas peu contribué à l’éviction de la « dame de fer » à l’automne 90. La Conférence intergouvernementale fut lancée en décembre et les Britanniques y participèrent pleinement, mais de manière très critique, rêvant à l’évidence de voir le plan Delors et sa monnaie unique downloadModeText.vue.download 220 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 218 – atteinte jugée insupportable à la souveraineté nationale par une partie des conservateurs – remisés aux oubliettes. La détermination de la majorité des États membres et l’arbitrage rendu en Allemagne par le chancelier Helmut Kohl en faveur de l’UEM eurent raison de cette opposition qui, bien souvent, même une fois M. John Major promu Premier ministre, s’apparentait à un pur et simple sabotage. Faute de pouvoir torpiller l’entreprise, Londres s’y rallia, mais en se faisant reconnaître une clause d’exemption (« opting-out ») : le moment venu, lors du passage à la troisième étape, entre 1997 et 1999, le Parlement de Westminster devra confirmer son premier vote de ratification (celui-ci devant intervenir, comme dans le reste de la CEE, en 1992) et dire s’il est prêt à franchir le seuil de la monnaie unique. Les Allemands, qui vénèrent le Mark comme l’un des premiers symboles de la nation, étaient prêts à sauter très vite le pas de la monnaie unique, mais à condition que ce fût en compagnie d’un nombre limité de partenaires sûrs : les trois du Benelux, qui appartiennent dès aujourd’hui à la zone Mark, la France assagie, peut-être le Danemark... C’était l’idée d’une Union monétaire à deux vitesses caressée en particulier par la Bundesbank. Une idée qui fut jugée politiquement intolérable lorsqu’en septembre dernier les Pays-Bas, qui assurèrent de façon quelque peu heurtée la présidence des travaux des Douze au cours du second semestre 1992, s’aventurèrent à la proposer. M. Win Kok, le ministre néerlandais des Finances, fit rapidement et habilement marche arrière : le passage à la troisième étape, expliqua-t-il, devra être approuvé par l’ensemble de « la famille communautaire », quitte à ce que des délais soient accordés à l’un ou à l’autre pour se hisser au niveau des performances économiques des meilleurs. À Maastricht, M. François Mitterrand, soucieux que soit souligné le caractère irréversible du processus, a obtenu qu’une date limite – le 1er janvier 1999 – soit fixée dans le traité pour le passage à la troisième étape. Cependant, les préoccupations de l’Allemagne furent largement prises en compte : l’objectif prioritaire de l’UEM, inscrit dans le traité, sera la stabilité de la monnaie ; la Banque centrale européenne, qui ne sera créée qu’une fois décidé le passage à la troisième étape, restera à l’image de la Bundesbank, indépendante des gouvernements, avec, comme principale mission, celle précisément d’assurer cette stabilité monétaire. Seuls les États membres répondant à une série de critères qui garantiraient leur bonne santé économique (inflation, déficit public, endettement, taux d’intérêt) pourront accéder à la troisième étape et à la monnaie unique. Afin de faire en sorte que le plus grand nombre se trouve dans cette situation enviable, les gouvernements s’engagent à présenter aux pays partenaires et à mettre en oeuvre dès la première étape des « programmes de convergence ». L’Italie, la Grèce et le Portugal l’ont déjà fait. L’Europe à la carte L’accord de Maastricht sur l’UEM, fruit de deux ans et demi d’une intense préparation à partir du rapport Delors, downloadModeText.vue.download 221 sur 490 POLITIQUE 219 apparaît comme un compromis équilibré, reflétant la volonté politique des États membres et dont les chances d’être mené à terme ne paraissent pas, en vérité, devoir être mises en doute. La force d’attraction de la Communauté, espace de liberté et de stabilité, devrait s’en trouver très vite renforcée, notamment auprès des investisseurs américains et japonais. Ainsi se trouverait répété, du moins peuton l’espérer, l’« effet marché unique » qui, à partir de 1986, a amplifié la croissance dans la CEE. Cependant, l’année 1991 a permis de mieux percevoir les faiblesses et les insuffisances de l’opération « grand marché ». Supprimer des barrières ne peut suffire pour « muscler » les entreprises, pour susciter les regroupements et les coopérations transfrontalières, nécessaires pour retrouver une compétitivité bien souvent perdue, notamment face aux Japonais. Une action volontariste est nécessaire pour organiser l’espace communautaire. L’Acte unique, en dépit d’une conception d’ensemble d’inspiration très libérale, prévoyait de telles politiques d’accompagnement. Elles n’ont été entreprises qu’avec beaucoup de timidité. 1991 a été aussi l’année de l’affaire De Havilland, c’est-à-dire du veto, très contestable, opposé, au nom de la concurrence, par la Commission de Bruxelles au rachat de cet avionneur canadien par l’Aérospatiale (France) et Alenia (Italie). Dans le même temps, les efforts, il est vrai tardifs, consentis en matière industrielle par l’exécutif bruxellois échouaient assez piteusement, qu’il s’agisse de créer un pôle électronique communautaire ou encore d’assurer de manière efficace la promotion d’une norme européenne de télévision à haute définition (TVDH). Faute d’une stratégie collective, l’industrie électronique communautaire – semiconducteurs, électronique grand public, informatique – est mal partie, au point qu’inverser la tendance pourrait se révéler hors de portée. Malheureusement, à Maastricht, les chefs d’État et de gouvernement des Douze n’ont pas pris les orientations qui auraient pu permettre de corriger les lacunes d’une Communauté trop libérale. Certes, le champ des compétences de la Communauté a été élargi. Dans certains domaines, tel l’environnement, les décisions pourront, plus facilement que dans le passé, être prises à la majorité qualifiée. Mais ce ne sera pas le cas, les Anglais et les Allemands, allergiques à l’intervention des pouvoirs publics, y ont veillé en matière de politique industrielle. Les Français, à juste titre, l’ont regretté. Comment, par ailleurs, se montrer satisfait de ce qui a été décidé en matière sociale ? La Charte européenne des droits sociaux fondamentaux, adoptée voici deux ans – il est vrai à onze – n’a pas reçu le moindre début d’application pratique en raison de l’hostilité du RoyaumeUni. Ces mêmes onze États membres entendent qu’une réglementation minimale soit arrêtée au niveau européen. La présidence néerlandaise, soucieuse de faciliter la tâche aux Anglais, avait strictement limité les domaines où devrait jouer la majorité qualifiée : conditions de travail, information des travailleurs, égalité de traitement hommes-femmes. Cette modération n’a pas été payée de retour : M. Major n’a pas cru devoir faire le moindre geste et c’est donc à onze, sans la Grande-Bretagne, que ce « socle social downloadModeText.vue.download 222 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 220 minimum » sera progressivement mis en place. Politique monétaire, politique sociale, le gouvernement britannique joue l’Europe à la carte. Personne ne croit qu’il y gagnera en influence. L’amorce d’un processus Ce sont encore les Anglais qui ont bataillé pour limiter la portée des « actions communes » susceptibles d’être entreprises en matière de politique étrangère et de sécurité. La règle d’or concernant ces actions restera l’unanimité ; seules des modalités d’application accessoires pourront, à condition que le Conseil en décide ainsi, être adoptées à la majorité qualifiée. « C’est l’amorce d’un processus », fait-on valoir du côté français. Il reste que les Britanniques, réfractaires au concept de politique étrangère commune parce que, encore une fois, il s’agirait, à leurs yeux, d’un regrettable abandon de souveraineté, pourront, s’ils le souhaitent, bloquer toute initiative. L’orientation approuvée en matière de défense, compromis entre ceux qui plaident pour une défense commune (la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne) et ceux qui souhaitent ne rien faire de sérieux en dehors de l’OTAN (le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark), donne au moins la possibilité de préparer l’avenir en renforçant les liens entre la Communauté et l’Union de l’Europe occidentale (UEO), une organisation qui, pour devenir « le bras armé » de l’union politique, devra commencer par être quelque peu revitalisée. Maastricht marque un tournant. Non pas bien sûr que les Douze s’apprêtent à se désintéresser de l’UEM, de l’achèvement du « grand marché » ou des premiers pas de la politique étrangère commune ; mais parce que, comme prévu, plusieurs chantiers d’une grande importance vont être ouverts et se trouveront bientôt au coeur de l’actualité : celui des finances de la CEE, au cours de la période 1993-1997, en incluant le dossier explosif de la cohésion économique et sociale, c’est-à-dire de l’effort de solidarité en faveur des pays les moins nantis de la CEE ; celui aussi de l’élargissement de la Communauté, de son calendrier, de ses modalités et des réformes institutionnelles qu’il suppose. PHILIPPE LEMAITRE Philippe Lemaitre est correspondant du Monde auprès de la Communauté européenne. downloadModeText.vue.download 223 sur 490 POLITIQUE 221 LE POINT SUR... EUROPE OCCIDENTALE En 1991, les urnes ont partagé l’Europe en deux : au sud se sont retrouvés les pays dont les dirigeants ont su se maintenir au pouvoir ; au nord, les nations où ces derniers ont été contraints de céder la place. La continuité a ainsi largement triomphé au Portugal, où le président de la République et le Premier ministre sortants ont été reconduits dans leurs fonctions. Le 13 janvier, lors de l’élection présidentielle, le socialiste Mario Soares, chef de l’État depuis 1986, a obtenu 70,4 % des voix et, le 6 octobre, à l’issue des législatives, le Parti social-démocrate (centre droit) du chef du gouvernement, M. Anibal Cavaco Silva, a conservé la majorité absolue. Son principal concurrent, le Parti socialiste, avec 29,25 % des suffrages, a pourtant bien progressé, mais, pour la première fois, les communistes n’ont pas réussi à recueillir 10 % des voix. Leur dirigeant, M. Alvaro Cunhal, qui est l’un des derniers staliniens à l’Ouest, a sans doute payé son soutien aux auteurs du putsch du 19 août en Union soviétique. Malgré certains progrès économiques, l’agriculture reste à moderniser et l’inflation, qui atteint 13,7 %, est donc bien au-dessus de la moyenne communautaire. En Espagne, lors des élections locales du 26 mai, le Parti socialiste, qui était au pouvoir depuis neuf ans, a maintenu ses positions en obtenant 36 % des voix. De leur côté, le Parti populaire (droite) et la gauche unie ont amélioré leurs résultats au détriment du Centre démocratique et social (CDS). Le dirigeant centriste Adolfo Suarez, qui avait présidé à l’évolution du régime après la disparition de Franco, s’est retiré de la vie politique. Auparavant, le 11 mars, le chef du gouvernement, Felipe Gonzalez, avait largement renouvelé son équipe, qui est devenue beaucoup plus autonome vis-à-vis du Parti socialiste. Plusieurs responsables politiques catalans en font maintenant partie. Les efforts consentis par l’Espagne dans la perspective du grand marché européen de 1993 ne lui ont encore permis de maîtriser ni son inflation (6,9 %) ni son chômage, qui frappait 16 % de sa population active. Continuité encore en Italie. Même si le Parti communiste, réuni pour son XXe congrès, est devenu le Parti démocratique de la gauche (PDS) le 3 février, son évolution ne se fait pas sans mal sous l’impulsion de M. Achille Occhetto, ancien secrétaire général du PCI, qui a été difficilement élu à la tête de la nouvelle formation. En même temps, les cinq partis qui composent la coalition gouvernementale (démocrates-chrétiens, socialistes, sociaux-démocrates, libéraux et républicains) poursuivaient leur petit jeu politique. Le 19 avril, vingt jours après sa démission, M. Giulio Andreotti était déjà redevenu président du Conseil, mais les républicains ne faisaient plus partie de la majorité. Avec 42,3 % des suffrages, la Démocratie chrétienne, qui domine la Sicile depuis des décennies, a obtenu son meilleur résultat aux élections qui se sont déroulées dans l’île le 19 juin et à l’occasion desquelles les anciens communistes ont perdu du terrain. Confrontées à l’arrivée de milliers d’Albanais sur les côtes des Pouilles, les autorités italiennes ont été rapidement dépassées par les évédownloadModeText.vue.download 224 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 222 nements. Avec une inflation de 6,9 % et un déficit budgétaire considérable, l’Italie aura du mal à s’intégrer dans l’union monétaire européenne. La fin du modèle suédois Dans deux pays nordiques – la Finlande et la Suède –, les sociaux-démocrates se sont fait battre lors des élections législatives. Le 17 mars, à Helsinki, l’événement a même été historique : le Parti social-démocrate, principale formation politique finlandaise depuis 1906, a perdu 8 sièges, alors que le Parti du centre en gagnait 15. Le 26 avril, le centriste Esko Aho pouvait alors former un gouvernement de coalition avec des membres de son parti, des conservateurs, des libéraux-suédois et des chrétiens. En vingtcinq ans, c’était la première fois que le ministère ne comprenait aucun représentant des partis de gauche. Les difficultés économiques expliquent le résultat du scrutin. En une décennie, le commerce avec l’URSS a beaucoup diminué : en 1991, il représentait seulement 5,5 % des exportations, contre 20 % en 1980. Lors des élections législatives sué- doises du 15 septembre, le Parti social-démocrate, au pouvoir entre 1932 et 1976 et à nouveau depuis 1982, a perdu 18 sièges. Les conservateurs en ont gagné 13 ; les libéraux et les centristes ont reculé, tandis que les populistes de la Nouvelle Démocratie ont réussi à faire élire 24 des leurs. Après la démission de M. Ingvar Carlsson, chef du gouvernement depuis 1986, M. Carl Bildt, président du Parti conservateur, a été nommé Premier ministre le 3 octobre. Il dirige une coalition comprenant les conservateurs, les libéraux, les centristes et les chrétiens-démocrates. Ces quatre formations détiennent seulement 170 des 349 sièges du Riksdag, mais ce gouvernement minoritaire est dans la tradition suédoise et devrait fonctionner. Même si l’équipe sortante avait mené une politique partiellement conservatrice, le scrutin du 15 septembre traduit un déclin certain du modèle suédois. En effet, après avoir levé le contrôle des changes en juillet 1989, l’équipe d’Ingvar Carlsson avait procédé en 1990 à une réforme fiscale radicale en réduisant le taux moyen de l’impôt sur le revenu de 65 à 50 %. Elle avait également diminué les subventions à l’agriculture, réformé un système d’assurance-maladie beaucoup trop laxiste et déposé une demande d’adhésion de la Suède à la Communauté européenne le 1er juillet. Mais les résultats économiques ont été mauvais : en 1991, la production industrielle a chuté de 6 %, le produit national brut a diminué de 1 %, l’inflation a dépassé 9 % et, surtout, le chômage a fini par toucher 3,2 % de la population active, un chiffre considéré en Suède comme un véritable cataclysme. Dans les pays nordiques, l’Islande est le seul où les sociaux-démocrates ont pu conserver le même nombre de sièges (10) au Parlement. Ce résultat a été obtenu à l’issue des élections législatives du 21 avril qui ont permis au Parti de l’indépendance (conservateur) de M. David Oddson de gagner 8 sièges. Le 29 avril, ce dernier a constitué un gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates, qui gouvernaient depuis septembre 1988 avec les agrariens et les socialistes de gauche. Malgré ce succès des conservateurs, l’échiquier politique n’a pas été bouleversé, car le ministère précédent était parvenu à dominer l’inflation en downloadModeText.vue.download 225 sur 490 POLITIQUE 223 diminuant le pouvoir d’achat. C’est aux Pays-Bas que la gauche a subi sa plus grande défaite. Lors des élections provinciales du 8 mars, les candidats du Parti du travail ont connu non seulement leur plus grave revers depuis 1945, mais aussi leur cinquième échec électoral consécutif. Intervenu après la présentation d’un plan d’austérité draconien, ce très mauvais résultat des travaillistes n’a cependant pas remis en cause leur alliance gouvernementale avec les chrétiens-démocrates du Premier ministre Ruud Lubbers. En Grande-Bretagne, depuis la démission de Mme Margaret Thatcher le 22 novembre 1990, les conservateurs ont quelque peu infléchi leur politique. Devant l’impopularité de la « poll tax », impôt local par capitation, le nouveau Premier ministre, M. John Major, a annoncé sa forte réduction pour l’année fiscale en cours et sa suppression en 1993. Malgré cette décision, les conservateurs ont subi une défaite aux élections locales qui ont eu lieu le 2 mai en Angleterre et au pays de Galles. À cette occasion, ils ont perdu plus de 6 % des sièges au profit des travaillistes et des démocrates-libéraux. La crise économique que traverse le Royaume-Uni s’est seulement ralentie, et le chômage a continué à augmenter. En Irlande du Nord, la situation n’a guère évolué. L’Armée républicaine irlandaise (IRA) a encore frappé : le 7 février, elle a bombardé au mortier la résidence du Premier ministre, et, le 18 février, des attentats ont été commis dans deux gares londoniennes. Depuis 1983, c’était la première fois que l’IRA visait des lieux publics en Angleterre. Les premiers pourparlers entre catholiques et protestants depuis 1973, qui se sont tenus ensuite à Belfast du 17 juin au 3 juillet, n’ont pas abouti. Du 27 août au 12 septembre, des jeunes des banlieues d’Oxford, de Cardiff, de Birmingham et de Newcastle se sont livrés au vandalisme et ont affronté violemment les forces de l’ordre. CEE + AELE = EEE Depuis son unification, le 3 octobre 1990, l’Allemagne constitue un cas particulier. Elle a connu une année très tendue, surtout dans les territoires de l’ancienne RDA, où un chômage massif est apparu au cours des six premiers mois : en mars, on comptait ainsi 2 808 000 personnes sans emploi, dont 2 millions de chômeurs à temps partiel. La politique de privatisation hâtive menée par la Treuhand et l’exclusion du service public des anciens collaborateurs de la STASI ont contribué à renforcer le malaise dans les Länder orientaux ; mais la principale raison de cette dégradation du climat était le mépris trop souvent montré par les Allemands de l’Ouest (les Wessis) à l’encontre de leurs compatriotes de l’Est (les Ossis), auxquels ils voulaient imposer brutalement leur système économique et social. La tension a culminé le 1er avril avec l’assassinat à Düsseldorf de Detlev Rohwedder, président de la Treuhand, par des membres de la Fraction armée rouge. Peu après, le 12 avril, la Treuhand, la Confédération des syndicats (le DGB), l’opposition social-démocrate et le gouvernement ont décidé de coopérer pour résorber la crise. Depuis, la croissance atteinte sur l’ensemble de l’année (2,75 %) et les multiples efforts du gouvernement pour créer des emplois ont entraîné un léger recul du downloadModeText.vue.download 226 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 224 chômage à l’Est ; mais, le 16 mai, considérant l’union économique et monétaire interallemande comme un désastre, M. Karl Otto Poehl, président de la Bundesbank, a démissionné. Le 1er août, il a été remplacé par M. Helmut Schlesinger. Le 20 juin, les députés allemands ont décidé par 336 voix contre 321 le transfert du gouvernement et du Bundestag de Bonn à Berlin. La CDU, le parti du chancelier Kohi, qui ne pouvait tenir ses promesses électorales – élever très vite le niveau de vie dans l’ex-RDA et ne pas augmenter les impôts – a perdu presque toutes les élec- tions régionales au profit du SPD. Après la Hesse le 20 janvier, les chrétiens-démocrates n’ont pu sauver la Rhénanie-Palatinat le 21 avril, un Land qu’ils dirigeaient depuis 1946. Le SPD a même obtenu la majorité absolue à Hambourg le 1er juin, mais l’a perdue à Brème le 29 septembre. Dans cette dernière ville, la DVU, formation d’extrême droite, a obtenu 6,5 % des voix en demandant l’arrêt total de l’immigration. Les nombreuses violences commises, surtout à l’Est, contre les demandeurs d’asile et les immigrés à l’automne ont été principalement dues à de jeunes chômeurs désorientés par la disparition de l’univers totalitaire stalinien. Elles s’expliquent en partie par le nombre considérable de demandeurs d’asile (environ 250 000 en 1991) que le caractère très libéral de la loi fondamentale de 1949 attire en Allemagne. Dans cette Europe occidentale confrontée aux difficultés économiques et bouleversée par la chute des régimes communistes, même « la tranquille Suisse » n’a pas été épargnée. Au premier semestre, son économie a connu une « croissance négative ». Toutefois, la composition du Conseil fédéral est restée identique, même après les élections générales du 20 octobre à l’occasion desquelles des formations populistes ont réussi une percée. La Confédération, qui a fêté son 700e anniversaire le 1er août, veut adhérer rapidement à la Communauté européenne. En attendant, comme les six autres nations membres de l’Association européenne de libre échange (AELE), elle a signé le 21 octobre à Luxembourg un accord avec les Douze prévoyant la mise en place d’un espace économique européen (EEE). LAURENT LEBLOND downloadModeText.vue.download 227 sur 490 POLITIQUE 225 ALLEMAGNE : APRÈS L’UNIFICATION Comme les Européens avaient fini par trouver normale la dichotomie de leur continent, les Allemands s’étaient habitués à la division de leur nation. Il ne faut donc pas s’étonner si la réunification de l’Allemagne, réalisée le 3 octobre 1990, n’a cessé, au cours de l’année 1991, de poser des problèmes à tout le monde. Même si, dès sa naissance et la promulgation de sa loi fondamentale, le 23 mai 1949, la République fédérale s’était fixé pour objectif la réunification, elle fut très vite amenée à admettre que ce but ne serait atteint qu’à long terme. De son côté, le monde occidental se convainquait – certains s’en réjouissaient – que la division de l’Allemagne et de l’Europe allait durer. D’une part, parce que la volonté soviétique de conserver ses acquis de la Seconde Guerre mondiale paraissait immuable ; d’autre part – et en dépit du découpage arbitraire et provisoire des zones d’occupation sur lequel se fondait la partition –, parce qu’on se laissait prendre à l’idée que, par sa vie séparée et ses objectifs divergents, la RDA était en train de développer une personnalité propre qui, malgré la présence des forces soviétiques, lui donnerait peu à peu une vie autonome. Certes, aussi longtemps que la circulation avait été libre à Berlin (1950-1961), plusieurs millions d’Allemands de l’Est avaient pu choisir l’unité ; mais, depuis la mise en place du Mur, le 13 août 1961, la population de la RDA, sous ce régime de contraintes, n’exprimait plus guère ses aspirations en termes de réunification, mais plutôt de liberté, et émigrait chaque soir à l’Ouest grâce à la magie de la télévision. De surcroît, pour ne pas faire de peine à la RDA, la RFA avait décidé de prendre pour argent comptant les données statistiques fournies par Berlin-Est et surestimait de ce fait considérablement la situation économique de l’Allemagne communiste. En 1987, on indiquait ainsi par exemple que le PNB par habitant de cette dernière équivalait à 73 % de celui de la première..., alors que, dans la réalité, il n’atteignait que le tiers. Ces erreurs – volontaires ou non – du ministère fédéral des Affaires interallemandes expliquent alors les déboires du gouvernement Kohl au cours des premiers mois de 1991. Un état lamentable Dans les nouveaux Länder, la situation économique était vraiment dramatique, ainsi que l’avait indiqué, dès 1987, un certain nombre de rapports. Les économies socialistes – celle de la RDA comme celle des autres États du COMECON – donnaient des signes de faiblesse que souligne l’indice (base : 100 en 1973) du produit intérieur brut en 1987 : Japon, 128 ; RFA, 123 ; France, 121 ; E.-U., 119 ; RDA, 108 ; URSS, 102. (Source : OCDE.) Cette défaillance aggravait l’écart déjà considérable entre les deux Allemagnes qui se développait au moment même où, selon la RDA, se constituait une « nouvelle classe moyenne salariée », ainsi qu’en témoignent les chiffres suivants : downloadModeText.vue.download 228 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 226 Aussi comprend-on mieux les réactions de ces milieux qui refusaient les analyses néomarxiennes des Églises protestantes ou celles de l’intellectuel R. Bahro, qui, dans l’Alternative, avait préconisé en 1977 une économie socialiste de type néomarxiste autogestionnaire. Ce que cette population attendait de l’unification pour laquelle elle votait, c’était l’entrée dans la société de consommation. Elle fut déçue. La situation économique de la RDA était telle qu’il fallait d’abord reconstruire les nouveaux Länder où les infrastructures (voies de communication, télécommunications, habitat, environnement...) étaient dans un état catastrophique. La RFA et les Allemands ont donc été contraints de prendre en compte le coût de la remise à flot de la RDA. Si la Bundesbank faisait varier ses évaluations entre 250 et 400 milliards de DM sur dix ans avant les élections, on sait maintenant que la réalité est toute différente et qu’elle obérera largement la situation économique et financière de la RFA. Aujourd’hui, le réaménagement des nouveaux Länder est estimé entre 850 et 900 milliards de DM (500 milliards de $). Le paiement de leur pension aux retraités de l’Est coûtera environ 2 milliards par mois, la reconstruction des réseaux de communication (voies ferrées, télécommunications, routes) 150 à 200 milliards, et la restructuration de l’industrie et de l’agriculture à peu près autant. À cela s’ajoute tout ce qu’il faudra faire pour les villes (canalisations, logements) et pour l’environnement, qui se trouvent dans un état lamentable. Un nouveau miracle économique ? Tout cela explique les difficultés rencontrées par les nouveaux Länder dès la fin de l’année 1990 : le chômage progresse et atteint très rapidement un taux de l’ordre de 12 % de la population active en touchant plus particulièrement les jeunes, mal formés et peu habitués à ce genre de situation, qui s’accompagne de la montée d’un courant xénophobe antipolonais ou antiroumain exploité et trop souvent exagéré par les médias. À cela s’ajoute enfin un nombre encore plus important de chômeurs partiels qui ne devraient pas disparaître avant que l’organisme chargé de l’adaptation des entreprises à l’économie de marché – la Treuhandanstalt – dont l’action, souvent discutée, est pourtant efficace, n’ait pu accomplir sa mission. Pourtant, si l’on en croit un article de Christa Luft publié dans Économie prospective internationale, « parmi tous les pays d’Europe de l’Est en voie de réforme, c’est la RDA qui offre le cadre réglementaire le plus adapté à l’introduction d’une économie sociale de marché ». L’auteur, cependant, insiste sur le fait que les entreprises industrielles et agricoles se trouvent dans un état alarmant. Selon les estimations du ministère de l’Économie de l’ancienne RDA, l’introduction du DM a placé les quelque 2 200 entreprises industrielles autrefois soumises au dirigisme dans la situation downloadModeText.vue.download 229 sur 490 POLITIQUE 227 suivante : 31 % d’entre elles fonctionnent probablement de manière rentable, et, à relativement court terme, devraient résister à la concurrence internationale sans avoir besoin de subventions ; 42 % travaillent à perte, mais sont susceptibles de s’assainir ; 27 % n’ont aucune chance d’échapper à la faillite. « Les sociétés en faillite seront pour la plupart les entreprises polluantes, l’industrie des biens de consommation, l’industrie de la confection et celle de la chaussure. Dans le secteur agricole – poursuit l’article –, il faut s’attendre qu’un cinquième des coopératives de productions agricoles ne soient pas de taille à affronter les dures conditions concurrentielles prévalant dans la CEE. Cela signifie que la moitié des agriculteurs devront se convertir dans une nouvelle activité. » Une fois son assainissement économique opéré, l’ex-RDA connaîtra des taux de croissance élevés lui permettant d’atteindre le niveau de vie de l’Ouest. Selon certains experts, il lui faudra attendre de 10 à 20 ans pour en jouir pleinement. Toutefois, d’après d’autres analystes, il est possible que l’on assiste très rapidement à un nouveau miracle économique. Le PIB allemand évoluerait alors de la manière suivante (en milliards de DM) : Dans ces conditions, les chiffres du PIB par habitant seraient ceux-ci (en DM) : Même si ces dernières données peuvent nous sembler très optimistes – les statistiques de 1990 pour la RDA sont fortement surévaluées, le PIB global des Länder orientaux étant vraisemblablement de l’ordre de 160 milliards de DM, soit un PIB par habitant d’environ 10 000 DM –, elles soulignent une possibilité non négligeable de redressement rapide, qui, toutefois, se manifesterait sur 15 ans, et non pas sur 10. De toute manière, d’importantes distorsions en matière de salaires (la moyenne mensuelle se situe à 2 150 DM en RFA, contre 950 à 1 000 DM dans les nouveaux Länder) et d’horaires de travail subsisteront encore quelques années. En effet, si ce dernier point peut être corrigé rapidement, il n’en est pas de même du premier étant donné la sous-qualification et la faible productivité de la population est-allemande. À terme, le nouvel État allemand en sortira indubitablement renforcé ; mais, pendant plusieurs années, tout cela va coûter très cher et freiner sensiblement d’autres investissements, en Allemagne même ou à l’étranger – en particulier le développement des technologies de pointe pourrait en être affecté – et risque, à moins d’efforts considérables, de limiter l’essor allemand. downloadModeText.vue.download 230 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 228 Renforcer l’Europe Cette situation explique les difficultés rencontrées dans les anciens Länder par le chancelier Kohl, accusé d’avoir menti à son peuple. Même si, dans la réalité, il a été trompé par ses experts qui fondaient trop souvent leurs analyses sur les statistiques fournies par la RDA et corroborées par les publications de... la CIA, le peuple allemand, confronté à des augmentations sensibles de toutes sortes et à des contributions inattendues, marque son mécontentement. Que la CDU perde les élections régionales de Hesse ou de Hambourg n’était pas extraordinaire, encore que le recul de la CDU à Hambourg ait été fort important, mais qu’elle perde la majorité en Rhénanie-Palatinat, un Land dont Helmut Kohl fut ministre-président et dont la tradition CDU remontait à 1947, est significatif de la baisse de popularité du principal parti gouvernemental et de son chancelier, pourtant palatin de Ludwigsbourg. Et les élections de Brême à la rentrée, qui traduisent un renforcement de l’extrême droite dans cette ville hanséatique, montrent combien le mécontentement est grand. La montée généralisée de l’abstentionnisme souligne, plus encore que le désintérêt de l’opinion, le refus de choisir entre divers partis qui ne satisfont nullement le citoyen moyen. On pourrait ajouter que, si la CDU est le grand perdant, le FDP ne se porte guère mieux. S’il est présent à Mayence dans un gouvernement de coalition avec le SPD, il a failli être éliminé du « parlement » de la villeÉtat de Hambourg. Enfin, le SPD luimême, bien qu’ayant remporté la plupart des dernières élections régionales, n’est pas dans une forme tellement meilleure. Le manque de charisme et d’autorité du chef du parti, M. Björn Engholm, et les difficultés que présente la succession de H. J. Vogel à la tête du groupe parlementaire SPD au Bundestag le soulignent. Il suffit de songer aux conflits qui ont éclaté entre ce même groupe et les ministresprésidents SPD qui siègent au Bundesrat (où ils sont majoritaires) à propos de la politique fiscale du gouvernement fédéral pour s’en convaincre. La crise du Golfe avait révélé l’effacement diplomatique de l’Allemagne. Depuis, la situation ne s’est guère améliorée, même si un terrain nouveau s’offre à la RFA : l’Europe de l’Est. Les entreprises allemandes recueillent ici les fruits d’une politique de longue haleine grâce à la formation de toutes sortes de spécialistes des pays et des langues slaves, ainsi qu’à une habile stratégie d’investissements. En tout cas, l’Allemagne unie renforce l’Europe occidentale. Elle contribue à faciliter l’intégration future de l’Europe orientale (Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie) à la Communauté, rejetant sur le Boug la frontière européenne de l’ancienne URSS. Mais, si l’Allemagne a besoin de la CEE, elle n’acceptera pas de la renforcer à n’importe quel prix. Pour l’instant, et malgré les charges que représente l’intégration des nouveaux Länder, elle reste incontestablement très attachée à la construction communautaire ; mais on peut se demander si cela persistera. Le couple franco-allemand En effet, la crise yougoslave, qui voit la RFA chercher, à juste titre, à soutenir downloadModeText.vue.download 231 sur 490 POLITIQUE 229 Slovènes et Croates, souligne non seulement la division des Européens, mais plus encore l’isolement du gouvernement allemand. Au nom des principes de Versailles (de 1920), Français et Britanniques se sont trop longtemps accrochés au mythe yougoslave, et il a fallu toute la diplomatie d’Helmut Kohl pour amener le président Mitterrand à modifier – un peu – sa manière de voir. Si le chancelier et ses amis chrétiens-démocrates semblent actuellement attachés à la progression de l’unification européenne et, malgré les maladresses françaises qui se renouvellent depuis l’hiver 89-90, au maintien et à la consolidation du couple franco-allemand, cette attitude ne durera peut-être pas indéfiniment. Le renforcement des liens militaires que laissent prévoir les déclarations conjointes sur l’UEO et la création d’un corps européen d’intervention implique une coordination infiniment meilleure des politiques extérieures des deux nations. Or, visiblement, la RFA privilégie les rapports avec l’Europe de l’Est et la Russie nouvelle, alors que le sommet de Paris sur la francophonie souligne l’importance que la France accorde au Sud. Au reste, le gouvernement français ne semble pas avoir prêté une réelle attention à la proposition des autorités saxonnes d’une participation active de la France à la reconstruction économique du triangle Dresde-Breslau-Prague. Et, pourtant, c’est incontestablement grâce à la présence de la France dans la remise en état des nouveaux Länder que la croissance industrielle de notre pays a pu être maintenue cette année. Mais, ne l’oublions pas, en 1991, l’augmentation du PIB allemand a été estimée à 3,5 % et celle du PIB français à 1,5 % seulement. Or, la croissance allemande s’explique essentiellement par l’impact des transferts vers l’ex-RDA et par la politique budgétaire expansionniste du gouvernement fédéral. Berlin capitale Jeudi 20 juin 1991. Après douze heures de débats ininterrompus, et après avoir écouté le plaidoyer énergique du chancelier Kohl en faveur de Berlin, les députés allemands décident, par 336 voix contre 321, de transférer le gouvernement et le Bundestag dans l’ancienne capitale du Reich. L’Assemblée s’installera dans les bâtiments du Reichstag dans un délai de quatre ans ; mais le Bundesrat, la deuxième chambre du Parlement qui représente les États fédérés, devrait rester à Bonn. Avec 3 400 000 habitants, Berlin est moins peuplée qu’avant la guerre, mais reste la plus grande ville du pays (883 km2), devançant Hambourg et Munich. Située « au milieu de l’Europe », elle a l’espoir et l’ambition de devenir une plaque tournante entre l’est et l’ouest du continent. Les députés favorables à sa candidature déclarent s’être décidés dans ce sens afin de parachever le processus engagé le 9 novembre 1989 avec la chute du mur. Mais si Berlin a fini par l’emporter, c’est surtout parce qu’il semblait évident que l’Allemagne unie se devait d’assumer une continuité historique qui ne se limitait pas aux quarantedeux ans d’existence de la République fédérale. Le transfert des institutions concernées devrait s’effectuer sur une dizaine d’années. LM FRANÇOIS-GEORGES DREYFUS F.-G. Dreyfus est professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne (Paris-IV) et directeur de l’Institut des hautes études européennes de Strasbourg. Bibliographie DREYFUS (F.-G.), l’Allemagne contemporaine, PUF, 1991. FRITSCH-BOURNAZEL (R.), l’Allemagne unie dans la nouvelle Europe, Complexe, 1991. LE GLOANNEC (A.-M.), la Nation orpheline. Pluriel, 1990. RAMSÈS 1992, IFRI-Dunod, 1991. « FRANCE-ALLEMAGNE », no spécial d’Économie et Société, INSEE, 1991. downloadModeText.vue.download 232 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 230 LE POINT SUR... EUROPE ORIENTALE Même si les communistes ont perdu le pouvoir dans un pays de plus, la Bulgarie, et s’ils ont été contraints de le partager avec l’opposition dans un autre, l’Albanie, la libéralisation est restée bien timide en Europe orientale, et notamment dans l’ancienne Union soviétique, qui s’est disloquée depuis l’échec du putsch conservateur du 19 août. Les communistes gouvernaient encore la Bulgarie après les élections libres du 10 juin 1990. Le succès de l’Union des forces démocratiques (UFD) aux législatives du 13 octobre 1991 a donc surpris. Ce jour-là, le rassemblement de l’opposition a obtenu 34,38 % des voix, le Parti socialiste (ex-communiste), 33,11 %, et le parti de la minorité turque, ou Mouvement pour les droits et libertés (MLD), 7,56 %. Étant donné sa courte victoire, l’UFD devra s’allier au MLD pour gouverner. M. Felip Dimitrov, le jeune avocat qui préside l’UFD, devrait devenir Premier ministre. En Albanie, plusieurs vagues d’émigration sauvage ont gravement ébranlé le dernier régime stalinien d’Europe : après celle de juillet 1990, où 4 500 personnes avaient pu partir, 10 000 habitants de souche grecque ont rejoint la Grèce en janvier 1991. Le 20 février, à Tirana, des dizaines de milliers de manifestants ont renversé la statue d’Enver Hodja, le fondateur du régime communiste. Début mars, 20 000 Albanais se sont rués sur des bateaux pour se rendre en Italie ; mais, dès le 10, 2 000 d’entre eux ont dû revenir après avoir reçu un mauvais accueil à Brindisi. La victoire du Parti du travail (communiste) aux élections législatives des 31 mars et 7 avril, où il a remporté 168 des 250 sièges du parlement grâce aux votes des campagnes, contre 75 aux opposants du Parti démocratique, a découragé la population. Après trois semaines de grève générale, un nouveau Premier ministre, M. Ylli Bufi, a été nommé le 5 juin pour former un gouvernement de coalition avec l’opposition. Mais, du 7 au 10 août, 20 000 Albanais ont encore débarqué sur la côte des Pouilles, à Bari, avant d’être tous rapatriés. Depuis le succès remporté par les anciens communistes aux élections législatives et présidentielles du 20 mai 1990, la Roumanie vit sous un régime très autoritaire. Comme ils l’avaient fait en juin 1990, les mineurs de la vallée du Jiu ont envahi Bucarest le 25 septembre, cette fois pour manifester contre la politique de rigueur des autorités. Après trois jours de violences au cours desquels cinq personnes ont trouvé la mort, le président Ion Iliescu a accepté la démission de M. Petre Roman, qui était Premier ministre depuis décembre 1989. À la suite de longues tractations, dues à une sourde lutte pour le pouvoir menée entre le clan de M. Roman et celui du chef de l’État, un nouveau gouvernement a été formé le 15 octobre. Dirigé par M. Theodor Stolojan, un député non inscrit, il comprend de nombreux membres du Front de salut national, toujours contrôlé par d’anciens communistes, et quelques représentants du parti libéral, seule formation de l’opposition ayant accepté d’y participer. downloadModeText.vue.download 233 sur 490 POLITIQUE 231 Les difficultés de la transition Dans trois autres pays d’Europe orientale, où les communistes ont perdu le pouvoir en 1989 ou en 1990, le pluripartisme se heurte à de nombreux obstacles : ainsi, en Hongrie, moins du quart des électeurs ont voté lors des élections partielles de mars et d’avril. En Tchécoslovaquie, la peur, composante essentielle du régime communiste, est toujours présente, l’opposition entre Tchèques et Slovaques perdure, et l’extrême droite s’affirme. En outre, les vainqueurs des élections législatives de juin 1990 – le Forum civique tchèque et le Public contre la violence en Slovaquie – se sont désagrégés en avril. Le premier mouvement s’est divisé entre une aile gauche assez faible – le Mouvement civique, proche de M. Vaclav Havel – et une aile droite ultralibérale. Cette dernière – le Parti démocratique civique – est de plus en plus influente ; elle est dirigée par M. Vaclav Klaus, ministre des Finances. Après avoir approuvé le 1er janvier la nomination du Premier ministre désigné par M. Lech Walesa, M. Jan Krzysztof Bielecki, la Diète polonaise a voté le 12 l’investiture de son gouvernement ; mais, dans ce Parlement issu des élections de juin 1989, les communistes, qui détenaient les deux tiers des sièges, ont mené la vie dure à M. Bielecki en s’alliant au Parti paysan. Le 31 août, après le dépôt par les opposants d’une motion de censure contre la politique de rigueur du Premier ministre, les députés ont cependant refusé à une large majorité la démission du gouvernement. Entamée le 12 septembre 1989 avec la nomination de M. Tadeusz Mazowiecki au poste de Premier ministre, la période transitoire s’est achevée le 27 octobre 1991, date des premières élections législatives entièrement libres, mais dont les résultats laissent présager un Parlement fragmenté à l’extrême, et menacé de paralysie. En proie à la guerre civile depuis le mois de mai, la fédération yougoslave, où les communistes ont seulement conservé le pouvoir en Serbie et au Monténégro, a pratiquement cessé d’exister. Gouvernées par des opposants nationalistes depuis les élections libres du printemps 1990, la Slovénie et la Croatie s’opposent depuis aux dirigeants de Belgrade, qui veulent construire une Grande Serbie. L’armée yougoslave est intervenue en Slovénie le 27 juin, deux jours seulement après les proclamations d’indépendance de ces deux républiques. Depuis, les violences se sont aggravées en Croatie, principalement en Slavonie, et sur la côte dalmate, près de Dubrovnik. L’agressivité de la Serbie a poussé les autres républiques à proclamer leur indépendance : après la Macédoine le 15 septembre, la Croatie et la Slovénie le 8 octobre, la BosnieHerzégovine s’est déclarée souveraine le 16 octobre. Les pays Baltes ont profité de l’éclatement de l’empire soviétique pour échapper à son oppression. L’Estonie et la Lettonie ont proclamé leur indépendance respectivement les 20 et 21 août, à l’occasion du putsch manqué, la Lituanie l’ayant déjà fait le 11 mars 1990. Le 6 septembre, le Conseil d’État, nouvelle institution fédérale créée à Moscou, a reconnu l’indépendance de ces trois États. Confrontés aux difficultés de la transition entre l’économie socialiste et l’économie de marché, les pays d’Europe orientale ont vécu une année très rude. Depuis downloadModeText.vue.download 234 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 232 le 1er janvier, les devises convertibles ayant remplacé « le rouble transférable » à l’intérieur du CAEM, les échanges entre les États membres ont chuté en moyenne de 50 %. Dès le 28 juin, cette organisation a donc été dissoute. Aussi tous les pays de l’Est ont-ils commencé à réorienter leur commerce vers la Communauté européenne, qui leur a apporté une aide financière substantielle et négocie avec eux des accords d’association. Quatre pays connaissent une situation particulièrement pénible. D’abord l’Albanie, où la privatisation partielle de l’agriculture a été décidée, et qui ne nourrit une grande partie de sa population qu’avec du pain ; la Bulgarie, ensuite, qui a cessé de rembourser sa dette extérieure (11 milliards de dollars) ; la Roumanie, où les prix ont beaucoup augmenté, et où le chômage touchait 15 % des actifs ; et enfin la Yougoslavie, dont l’économie a souffert de la guerre civile qui a contribué à relancer l’inflation (au premier semestre, son taux a atteint 11,5 %). En Pologne, la fermeture presque totale du marché soviétique a aggravé la récession et, en conséquence, le chômage, qui touchait 11 % des actifs. En Tchécoslovaquie, où la maîtrise de l’inflation s’est accompagnée d’une baisse du pouvoir d’achat proche de 30 %, la libéralisation de l’économie a fait surtout souffrir l’est du pays. En Hongrie, où la concurrence a été introduite dès 1968, et où l’on a fait de grands pas vers l’économie de marché, les inégalités sociales se sont accrues. Les pays de l’Est ont obtenu de grandes satisfactions dans le domaine militaire. Le pacte de Varsovie, qui avait été signé le 14 mai 1955, a été dissous le 1er juillet. Quelques jours plus tôt, le 19 juin, les derniers soldats soviétiques avaient quitté la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Le 7 octobre, Varsovie et Moscou ont signé un accord qui prévoit le départ des troupes russes de Pologne d’ici la fin de 1992. Mais, en vertu du traité de Moscou du 13 septembre 1990, les soldats soviétiques doivent rester en Allemagne orientale jusqu’à l’automne 1994. LAURENT LEBLOND downloadModeText.vue.download 235 sur 490 POLITIQUE 233 URSS : L’ANNÉE DE LA DÉCOMPOSITION L’année 1991 aura vu s’évanouir un rêve – ou un cauchemar – auquel le monde avait presque fini par croire : l’expansion irréversible du communisme. La « patrie » des bolcheviques a implosé, le Parti s’est liquéfié, et les nationalités ont fait une vigoureuse réapparition sur les ruines d’un empire qu’un Gorbatchev tentait de sauver, tandis qu’un Eltsine réussissait à s’en approprier le coeur. Un putsch raté a suffi pour faire tomber le fruit. Le communisme institutionnalisé, sorti du cadre peu contraignant du débat idéologique, prit naissance en 1917 en Russie où, au vieil empire en ruines, il substitua l’URSS, base d’expansion, pour ses fondateurs, de la révolution mondiale et du communisme généralisé. 1991 aura vu disparaître ce rêve. Les étapes de ce changement historique, auquel peu croyaient tant la thèse de l’irréversibilité du communisme était bien ancrée, éclairent au stade final les raisons de l’échec de l’utopie de Marx, développée en système politique par les bolcheviques et leurs épigones. Élections, montée du mouvement social, décomposition de l’armée, renaissance de la nation russe, tels auront été en dernier ressort les éléments décisifs de l’effondrement rapide de l’URSS. Une double opposition Élections d’abord, ou plutôt, expression de la volonté populaire en trois étapes. À la fin de 1990, l’URSS était déjà soumise à des courants politiques contraires qui convergeaient en manifestations de différences nationales. Les quinze républiques de l’Union définissaient toutes leur statut en ignorant superbement la volonté du pouvoir central animé par Mikhaïl Gorbatchev de maintenir l’équilibre centrerépubliques plus ou moins inchangé. Toutes, sous l’impulsion de leurs dirigeants élus en 1990 aux élections régionales, proclamaient leur souveraineté, et quatre d’entre elles, les trois républiques Baltes et l’Arménie, décidaient ensuite de devenir indépendantes. La Russie ellemême, pivot de l’URSS – et l’on reviendra sur son cas – proclamait son indépendance le 11 juin 1990. Au sein de la Russie, dix des républiques autonomes qu’elle intégrait étaient elles aussi gagnées par l’esprit de rébellion et proclamaient que leur statut politique était dépassé. S’érigeant, comme la Russie, en républiques de plein droit, elles affirmaient ne plus relever que du pouvoir central. Confronté à ces volontés dispersées, dirigées les unes contre le centre, les autres contre la Russie, et anxieux de préserver le système, Mikhaïl Gorbatchev organisait alors un référendum sur le maintien de la fédération et s’engageait en échange à mieux équilibrer, dans une nouvelle construction, les pouvoirs centraux et républicains. Ce référendum du 17 mars 1991 eut des résultats ambigus et des conséquences imprévues. Dans l’ensemble, la société se prononça pour le maintien de l’Union à plus de 70 %. Résultats trompeurs, cependant. Plusieurs républiques – pays Baltes et Géorgie – refusèrent de l’organiser ; d’autres enrichirent la quesdownloadModeText.vue.download 236 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 234 tion posée de leurs propres questions, ou la modifièrent. En définitive, la réponse apportée varia dans son contenu. (En Ukraine, si la majorité votait pour l’Union, l’Ukraine occidentale choisissait massivement l’indépendance.) Si Gorbatchev tira la conclusion simple que, partant des résultats acquis, il pouvait faire avancer un projet d’union fédérale, il se heurta aussitôt à une double opposition. Celle des républiques qui refusaient ce système qu’elles jugeaient dépassé ; celle d’un homme qui, dès ce moment, se posait en rival : Boris Eltsine. Ce dernier défendait, contre Gorbatchev, la thèse d’une confédération soviétique qui, plaidait-il, correspondrait réellement aux divergences de vues que le référendum, honnêtement analysé, traduisait et permettrait de sauver un semblant de vie commune. Deux politiques, dès ce moment, allaient donc se heurter, et conduire à l’affrontement final. La nouvelle légitimité D’un côté, Gorbatchev s’acharnait à mettre l’Union sur pied et, de projet amendé en projet amendé, présentait à la société soviétique des variantes diverses, mais toujours fédérales et favorables au poids privilégié du centre, c’est-à-dire de la future Union. Le compromis élaboré à Novo-Ogarievo le 23 avril 1991 sembla lui donner la victoire, puisque neuf républiques l’acceptèrent. Pourtant, ce compromis annonçait déjà la fin de l’Union et celle de Gorbatchev. Ses partenaires, Eltsine au nom de la Russie en premier, y adhérèrent en soulignant que cette adhésion les autorisait à poser leurs conditions, qui tournaient toutes autour de l’abaissement du centre. Pour sauver l’apparence de l’Union, Gorbatchev dut, dès ce moment, accepter, d’un projet l’autre, des concessions limitant toujours plus le pouvoir central. La politique de Boris Eltsine s’opposait à la sienne. Dès le printemps, ce dernier se présenta non en rival, mais en porteur de l’alternative au pouvoir soviétique tel qu’il existait depuis 1917. Alternative démocratique, puisque Boris Eltsine demandait à ses compatriotes russes s’ils voulaient pour leur république un président élu au suffrage universel. Ce qu’il obtint par un oui massif, ce fut la possibilité d’opposer à la légitimité du tenant du pouvoir en URSS – Gorbatchev –, une nouvelle légitimité. Celle que confère le suffrage universel, mais aussi celle que la Russie pourrait, après avoir élu un président, opposer à l’URSS dont le président non élu était contesté par un nombre croissant de républiques. Légitimité personnelle et légitimité nationale contre légitimité conférée par un Parti communiste dont la société se détachait toujours plus et que des dirigeants prestigieux – Eltsine, Sobtchak, Popov, etc. – avaient abandonné avec éclat au lendemain du XXVIIIe congrès. En dépit de l’opposition de Gorbatchev et du PC à un tel mode d’élection d’un président de République, Boris Eltsine fut élu le 12 juin à la présidence de la Russie. Avec plus de 57 % des voix, il triomphait des candidats que le Parti lui avaient opposés et des pressions que ce dernier avait exercées sur les électeurs partout où il le pouvait. En même temps que lui triomphèrent deux candidats au suffrage universel dans les deux capitales russes, Sobtchak à Leningrad, Popov à downloadModeText.vue.download 237 sur 490 POLITIQUE 235 Moscou ; enfin Iouri Afanassiev, candidat dans un district de Moscou, partisan infatigable de la démocratie intégrale et de la liquidation de l’Union. Une double URSS Le 12 juin marque ainsi une rupture radicale de l’histoire commencée en 1917. La Russie n’est plus identifiée à l’URSS, elle en devient le principal adversaire, le porte-parole d’une nouvelle version des rapports entre républiques. La Russie devient aussi le modèle de la démocratie en marche, qui rejette dans le passé soviétique les efforts de réforme politique de Mikhaïl Gorbatchev. L’idée de lier choix national et élection présidentielle au suffrage universel gagne au demeurant du terrain. La Géorgie, qui élit Zviad Gamsakhourdia, un ancien dissident, avec 87 % des voix à la magistrature suprême, se prononce par là-même pour son programme d’indépendance totale, qu’il proclame dans la foulée de l’élection. Dès lors, presque toutes les républiques annoncent des élections présidentielles. La plus importante, après l’élection de Boris Eltsine, se tient dans un tout autre contexte, le 1er décembre, en Ukraine où, à l’instar de ce qui se passa à Tbilissi, l’élection du président Leonid Kravtchouck a pour conséquence immédiate l’indépendance sur laquelle les électeurs se prononçaient le même jour. De cet usage nouveau – imprévu – fait par Mikhaïl Gorbatchev des élections (puisqu’elles modifient ou rejettent le système soviétique au lieu de le rénover) sort dès l’été 1991 une URSS double. D’un côté le centre, le Kremlin, encore dominé par Mikhaïl Gorbatchev, et le PC ; de l’autre, un monde encore confus de républiques et de mouvements politiques où le souverain est clairement l’électeur, appelé à se prononcer sur le système et sur son cadre géographique. La désorganisation généralisée Cette évolution rapide de la situation de l’URSS fut accélérée par les changements survenus dans le pouvoir central. Confronté à la montée des mécontentements nationaux et sociaux (les mouvements de grève s’amplifiaient et les comités de grève semblaient répéter le modèle mis à l’honneur par Solidarnosc en Pologne), Mikhaïl Gorbatchev s’engagea dans une série de démarches destinées à renforcer le pouvoir central et le sien propre. En mars 1990, il obtint la création d’une présidence soviétique, en théorie soumise au suffrage universel, mais qu’il exclut pour un premier mandat, en raison, plaidait-il, de circonstances encore défavorables à un tel changement des procédures politiques. Élu président par le Parlement mal élu de 1989 (1/3 des députés relevaient des listes « réservées » des organisations sociales), il n’en revendiquait pas moins des pouvoirs toujours accrus, et même les pleins pouvoirs, qui lui furent refusés. Mais, pour élargir les pouvoirs présidentiels, il lui fallut aussi plaider pour une politique plus autoritaire, où le renforcement du poids de l’État prenait toujours plus le pas sur les projets de réforme qui l’affaiblissaient. En d’autres termes, l’économie, qui devait être régénérée par une plus grande indépendance nécessaire au développement du marché, fut sacrifiée à downloadModeText.vue.download 238 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 236 cette volonté autoritaire. L’arrivée au pouvoir, autour de Gorbatchev, d’une équipe peu imaginative, peu portée à réformer, dont les deux grandes figures étaient le Premier ministre Valentin Pavlov et le président du Parlement Anatoli Loukianov, consacra un changement ouvert de cap. Préserver ce qui existait était le maître mot de cette équipe, sur qui Gorbatchev se reposait. Dans tous les domaines, le tournant fut visible. En politique extérieure, et alors que les progrès accomplis par les accords de désarmement conféraient un grand prestige à la direction soviétique, les armements furent sournoisement transférés derrière l’Oural pour tourner les accords signés. En matière de sécurité interne, l’armée reçut des pouvoirs de police et les dispositions répressives se multiplièrent. L’impudence du KGB se manifesta jusqu’au meurtre organisé. L’assassinat du père Alexandre Men, un prêtre dont l’autorité morale rayonnait alors dans tous les milieux démocrates, signala clairement la rupture entre ces derniers et un pouvoir qui semblait retourner à vive allure vers ses pratiques autoritaires. La démission d’Édouard Chevardnadze, ministre des Affaires étrangères si proche jusqu’alors de Gorbatchev, à la fin de 1990, souligna que le pouvoir central ne représentait plus la volonté de changement aux yeux de ceux qui s’en réclamaient. Dans le même temps, le désordre augmentait dans tout le pays sur fond de difficulté économique, d’insécurité des personnes et des biens, de montée de l’illégalité et de bandes organisées – les mafias – qui mettaient l’URSS en coupe réglée. Plus le pouvoir s’enfermait dans sa volonté d’autorité restaurée, plus la réalité lui échappait, et plus se dégradait la vie quotidienne, victime de la désorganisation généralisée. Le révélateur En juin 1991, contesté par les démocrates pour son virage autoritaire, Gorbatchev l’est soudain par ceux dont il s’est entouré pour avoir manqué d’autorité. Son Premier ministre Pavlov tente un véritable putsch parlementaire en réclamant pour lui-même les pleins pouvoirs au Parlement, ces mêmes pleins pouvoirs que l’on avait refusés à Gorbatchev quelques mois auparavant. Il se pose en recours contre Gorbatchev dont il souligne les atermoiements néfastes à l’ordre social. Pavlov est alors soutenu par les ministres de la Défense et de l’Intérieur. Et l’on assiste ainsi, sans bien le comprendre, à une répétition du putsch du 19 août. L’échec subi par Pavlov et ses amis ne semble pas conduire Gorbatchev à en tirer les leçons. Il reste sourd aux appels de Chevardnadze qui tente de l’alerter, de le convaincre que l’essai manqué devant le Parlement sera répété à l’échelle du pays et conduira à une reprise en main par l’armée et le KGB. Le 19 août, le putsch témoigne de la perspicacité de Chevardnadze, de l’aveuglement de Gorbatchev mais, par-dessus tout, de l’effritement du système. Que l’armée et le KGB, dont les chefs sont parmi les conjurés, décident presque d’emblée de ne pas soutenir le putsch ; que toute la direction russe derrière Boris Eltsine se dresse contre les conjurés et attire autour d’elle une part de la population urbaine, autant d’innovations dans un pays où les downloadModeText.vue.download 239 sur 490 POLITIQUE 237 changements au sommet ont toujours été tenus pour inéluctables, et impossibles à combattre. Ce qui est significatif du putsch, ce n’est pas qu’il ait eu lieu, mais c’est qu’il ait suscité l’opposition et que chaque groupe, unités de l’armée, habitants de quartier, etc..., se soit prononcé à son gré. Ce qui est significatif aussi, c’est que les responsables russes aient opposé au putsch non la force, dont ils ne disposaient pas au départ, mais leur légitimité due à leurs électeurs. Ce n’est pas le putsch qui a mis fin au système soviétique : il a été simplement le révélateur de son état de décomposition. Rompre avec le Parti À son retour de Crimée, Mikhaïl Gorbatchev va découvrir en quelques jours une réalité que les pouvoirs théoriques qu’il avait accumulés et son prestige international lui avaient dissimulée. Il découvre tout à la fois que la légitimité élective est tenue par ses administrés pour la seule légitimité réelle. En d’autres termes, que les Soviétiques entendent choisir qui les gouvernera. Il constate aussi que l’autorité du Parti communiste et de son idéologie n’existent plus. Il remarque enfin que la dimension nationale, et russe en premier lieu, est plus significative pour ses admi- nistrés que la dimension communiste. Boris Eltsine avait gagné l’élection du 12 juin en brandissant un drapeau russe et en parlant à ses électeurs de l’intérêt national russe. Il s’est imposé comme chef de la résistance au putsch en brandissant une fois encore le drapeau russe. La mise à l’index du Parti dans l’armée et dans les entreprises au lendemain du putsch, contre laquelle Gorbatchev proteste en vain, marque bien la voie qu’Eltsine entend suivre. Le système soviétique existe encore en apparence, mais ceux qui détiennent une autorité réelle, tous ceux qui participent au gouvernement de Russie, se réclament de la démocratie et en son nom affirment déjà qu’elle est incompatible avec le maintien d’un rôle particulier pour le Parti communiste. Et au-delà, l’idée progresse que démocratie et Parti communiste sont inconciliables. Gorbatchev encore président de l’URSS, qui tente d’affirmer sa foi communiste, doit, en quelques semaines, se renier totalement pour sauver un pouvoir qui n’est plus que d’apparence. Il doit alors abandonner le secrétariat général du Parti, dont il tient en dernier ressort son poste de président, puis rompre à son tour avec le Parti. Un arrangement à trois Ce reniement tardif et forcé ne suffira pas à le sauver. Car il est président d’un État fantôme, la fédération soviétique, dont le cadre géographique ne cesse de rétrécir et les contours politiques d’évoluer. Lénine décrivait le système soviétique comme la combinaison de l’électrification avec le pouvoir des soviets. En 1991, le système soviétique se définit par la combinaison du Parti communiste, qui en est l’âme et le ciment, avec le fédéralisme qui coordonne l’espace si divers. Le Parti mis à l’écart avant d’être pratiquement mis hors la loi, reste le fédéralisme, que Gorbatchev s’acharne encore à sauver dans les dernières variantes de son traité d’Union et auquel l’indépendance ukrainienne va porter un coup fatal. downloadModeText.vue.download 240 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 238 Le 18 octobre 1991, huit républiques et Mikhaïl Gorbatchev au nom de l’URSS signent à Alma-Ata l’accord donnant naissance à la Communauté économique des États de ce qui n’est plus tout à fait l’URSS, mais un ensemble en transition que nul ne sait définir encore. Cet accord est la dernière étape de la mort de l’URSS. La Communauté économique, dont le contenu est imprécis, les acteurs réduits (8 + 1 au lieu de 9 + 1 quelques mois plus tôt à Novo-Ogarievo), apparaît comme un substitut à l’Union politique dont nul, sans Gorbatchev, ne veut plus même débattre. Tous les regards sont déjà tournés vers l’étape suivante, le vote ukrainien. Il apparaît clairement aux acteurs principaux de cette scène soviétique qui se défait – Boris Eltsine, et le puissant président du Kazakhstan Nursultan Nazerbaev – que l’Ukraine marche à l’indépendance. Et si l’Ukraine se sépare de l’URSS, comment la Russie pourrait-elle y rester ? Déjà, Boris Eltsine plaide pour la suppression totale de l’URSS et pour que soit reconnu l’État russe, successeur de l’État soviétique au niveau international et militaire. Quand, le 1er décembre, l’Ukraine vote pour l’indépendance et élit Kravtchouk (vote significatif car Kravtchouk, haut dignitaire du PC dont il s’est séparé tardivement, a été fort hésitant à l’heure du putsch avant de se rallier à ceux qui s’y opposaient ; mais il défend la thèse de l’indépendance de la République et ses électeurs décident qu’homme d’organisation et d’ordre, il est probablement le plus à même de mener à bien, sans soubresauts, l’entreprise d’émancipation nationale), la Biélorussie décide de suivre la même voie, et pour la Russie, il n’est d’autre solution que de substituer à l’URSS un arrangement à trois. Le 8 décembre, à Minsk, les trois présidents slaves décrètent donc que l’URSS a cessé d’exister, qu’une Communauté des États slaves est mise sur pied. Mikhaïl Gorbatchev hésite, envisage de faire appel à la volonté populaire contre les chefs d’États séparatistes, mais se convainc rapidement que la cause est perdue. Le 17 décembre, il doit capituler, constater avec Boris Eltsine que l’heure est venue d’accepter la fin de l’Union, prévue pour le 31 décembre. Il espère encore être l’arbitre des négo- ciations à venir pour mettre sur pied la nouvelle structure, la Communauté des États indépendants (CEI) que ceux qui voudront viendront rejoindre. Mais sa capacité à arbitrer est récusée. Président de l’Union à laquelle il s’est désespérément accroché, il ne peut, pensent ses interlocuteurs, participer de manière impartiale à sa mise à l’écart. Il lui reste à négocier les conditions de son départ. L’année 1991 s’achève sur la mort de l’URSS et la démission de son président. Et toutes les républiques musulmanes, ainsi que l’Arménie, viennent peu à peu rejoindre la nouvelle communauté. Estce là une nouvelle variante de l’ex-URSS ? L’hypothèque ukrainienne La mort de l’URSS, la naissance de la communauté nouvelle s’opèrent d’abord dans les pires conditions économiques. L’immobilisme gorbatchévien des années 1988-1991 a eu pour effet d’achever de briser tous les ressorts économiques d’un pays déjà engagé sur la voie du sous-développement. Le chômage caché, l’inflation sournoise, la pénurie galopante, tel downloadModeText.vue.download 241 sur 490 POLITIQUE 239 est le legs des années 80. Quelle politique neuve fonder sur un tel désastre ? C’est le défi auquel l’équipe Eltsine doit faire face. Les difficultés à harmoniser les intérêts nationaux dans la nouvelle communauté apparaissent ensuite. Trois réalités dominent cette construction. En premier lieu, l’émergence de l’État russe et du sentiment national russe. La Russie a le sentiment d’avoir payé un prix très lourd à l’Union, de l’avoir portée à bout de bras. D’où le rêve assez majoritaire d’un État russe qui serait le pilier d’une communauté d’États slaves. Rêve en partie réalisé puisque la Russie, reconnue presque d’emblée par la communauté internationale, hérite le rôle international de l’URSS, notamment au Conseil de sécurité, ainsi que sa puissance (80 % du potentiel stratégique). Mais, ici, elle se heurte à l’Ukraine dont elle ne veut pas accepter d’être séparée. L’Ukraine, où le sentiment national est encore plus vif, veut bien faire partie d’un ensemble avec la Russie, à condition d’avoir son armée, de battre monnaie, de conserver une partie de la flotte de la mer Noire et du nucléaire ; en bref, d’être un État totalement indépendant. Pour éviter la séparation, la Russie est prête à bien des concessions et, en même temps, reste intraitable sur le fond. Pour les dirigeants russes, aussi libéraux soient-ils, l’Ukraine et la Russie ne doivent faire qu’un. L’avedownloadModeText.vue.download 242 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 240 nir seul dira ce qui, des solidarités forgées par l’histoire ou des volontés de séparation, peut l’emporter. La Russie et l’Ukraine sont aussi confrontées au problème de la Communauté élargie aux États musulmans, peu développés, avides d’aide économique, et dont l’adhésion à la CEI présente le double inconvénient d’obérer leurs propres capacités de reconstruction et leur orientation strictement européenne. Les difficultés de la prospective Comment convaincre ces républiques qu’elles devraient se situer dans un cercle « extérieur », associées de très loin à la CEI, contraintes de ne compter que sur leurs propres moyens ? Est-il possible d’y parvenir sans développer aux abords des deux grands États slaves un vaste mouvement d’États islamiques, où Islam intégriste et misère lanceraient vers Kiev et Moscou des émigrants en masse et exerceraient une pression politique et économique intolérable ? La Russie rencontre aussi ce problème à l’intérieur même de ses frontières, où Tatars, Bachkirs et autres groupes ethnoculturels disent leur solidarité avec le monde musulman et leur volonté d’être aidés tout en gardant le contrôle complet de leurs ressources. Certes, la Russie n’est pas la Yougoslavie ; elle a avec ses peuples enclavés une longue habitude de la cohabitation ; mais l’exemple de la guerre civile voisine suffit à hanter les esprits. En 1991, l’URSS a été balayée par la combinaison des aspirations nationales et démocratiques. Mais tout atteste – et le cas de la Géorgie illustre cela – que la démocratie est difficile à développer dès lors que la contestation minoritaire pèse sur le pouvoir et sur ses choix. Si l’on y ajoute l’impossibilité d’améliorer les conditions de vie économique à court terme, et même leur inéluctable aggravation dans un premier temps pour prix des réformes radicales engagées et qui ne pouvaient être davantage repoussées, on conçoit quels périls pèsent sur la fragile entreprise de démocratisation, russe surtout. Si 1991 fut l’année où s’est achevé le processus de décomposition soviétique commencé de longue date, 1992 ouvre la période d’une tentative de construction démocratique inédite, ce qui en rend difficile toute vision prospective. HÉLÈNE CARRÈRE D’ENCAUSSE de l’Académie française downloadModeText.vue.download 243 sur 490 POLITIQUE 241 LA YOUGOSLAVIE DÉCHIRÉE Dans cet État récent, tout a été fait pour que le conflit éclate entre deux peuples entremêlés que tout oppose. Victimes de leur passé, Serbes et Croates sauront-ils construire leur avenir en oubliant la tragique année 1991 ? Guerre « inutile », « insensée », « sale », « d’un autre siècle »..., les qualificatifs n’ont pas manqué pour caractériser le conflit qui a ensanglanté la Croatie pendant les six derniers mois de 1991 et qui, quelles qu’en soient l’issue et la durée, marquera toute une génération de Yougoslaves. On voit mal comment, après les terribles batailles qui se sont déroulées en Slavonie, en Krajina, et le long de la côté dalmate – avec sans doute des atrocités de part et d’autre –, Serbes et Croates pourraient vivre encore ensemble dans les nombreux villages à population mixte de ces provinces de la Croatie. Et il est difficile d’exclure une extension des affrontements à d’autres républiques et régions : la Bosnie-Herzégovine, où cohabitent Serbes, Croates et musulmans (des Slaves islamisés), est une véritable poudrière qui peut exploser à tout moment. Le Kosovo, sous tutelle serbe mais peuplé à plus de 90 % d’Albanais de souche, est une autre bombe à retardement. Les causes de la guerre Dans les Balkans, l’Histoire est en permanence dans les esprits. Certes, elle est souvent présentée d’une façon simpliste et caricaturale – les « fascistes » et « oustachis » croates (du nom de la dictature installée à Zagreb par Ante Pavelić en 1941 avec le soutien d’Hitler) contre les « tchetniks » (royalistes serbes) –, mais elle permet aux nationalistes des deux bords de mobiliser les foules et d’attiser les haines. C’est après la mort de Tito, en 1980, que les courants indépendantistes, sécessionnistes et autonomistes ont commencé à se manifester librement dans le pays. À partir de 1987 surtout, chacune des six républiques – à l’exception de la Serbie, résolument attachée à l’idée de la « fédération yougoslave » – a cherché à s’émanciper, politiquement et économiquement. À Ljubljana comme à Zagreb, les dirigeants estimaient que cette fédération était devenue obsolète et que la cohabitation avec les Serbes, toujours soupçonnés d’expansionnisme et d’hégémonisme, devait cesser. En Croatie et en Slovénie (les deux pièces les plus riches du puzzle yougoslave), la démocratie a peu à peu gagné du terrain, souvent à l’instigation des communistes « rénovés ». Mais ceux-ci ont été rapidement débordés par les nationalistes, qui réclamaient avant tout l’indépendance. D’une autre façon, Belgrade avait, dès 1987, déclenché le mouvement, avec l’arrivée au pouvoir de Slobodan Milosević, un homme fermement décidé à rendre à la Serbie sa « dignité », bafouée par Tito, et à défendre la cause de tous les Serbes vivant en dehors de la Serbie – à savoir au Kosovo et en Voïvodine (provinces qui jouissaient alors d’un statut d’autonomie presque totale au sein de la fédération), en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro downloadModeText.vue.download 244 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 242 et en Croatie, où ils sont environ 600 000, soit 12 % de la population. C’est le 25 juin que les parlements de Ljubljana et de Zagreb proclament simultanément l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Les multiples négociations menées au cours du printemps au sein de la présidence collégiale de la Yougoslavie, puis directement entre les présidents, sur la transformation de la « fédération » en une « confédération » ou en une « Alliance » souple d’États souverains se sont soldées par un échec. La Serbie restant inflexible, la Croatie et la Slovénie ont donc décidé de se « dissocier » et d’appliquer les résultats des référendums qui avaient été organisés dans les deux républiques : en décembre 1990, 88 % des Slovènes s’étaient prononcés en faveur de l’indépendance ; en mai 1991, environ 90 % des électeurs de Croatie avaient fait le même choix. Quarante-huit heures à peine après ces déclarations d’indépendance, commence la « guerre de Slovénie ». Des blindés de l’armée yougoslave s’approchent de Ljubljana. Plusieurs aéroports sont bombardés. Le président slovène, Milan Kucan, appelle à la résistance. Pendant environ deux semaines, des combats se déroulent entre les unités fédérales et la défense territoriale slovène. Bilan : une centaine de morts et de nombreuses destructions de matériel militaire. L’armée, qui subit un échec inattendu, finit par accepter de regagner ses casernes. Remodeler les frontières Pour la première fois depuis le début de la crise yougoslave, la Communauté européenne intervient. À Brioni, le 7 juillet, les ministres des Affaires étrangères luxembourgeois, italien et néerlandais obtiennent notamment des parties en conflit l’engagement de respecter le cessez-le-feu, l’envoi d’observateurs chargés de surveiller son application, le retrait des militaires des frontières de la Slovénie, et la reprise des négociations politiques sur l’avenir de la Yougoslavie, qui se révèlent toutefois infructueuses. Autre point important : les deux républiques indépendantistes (Slovénie et Croatie) acceptent de reporter de trois mois les effets de leurs proclamations d’indépendance. L’erreur des médiateurs est sans doute de penser que l’armée fédérale et la Serbie consentiraient les mêmes compromis en Croatie, où vit une forte minorité serbe. En effet, depuis le début de l’année, des affrontements, localisés mais souvent meurtriers, ont déjà opposé des policiers croates à des autonomistes serbes. La déclaration d’indépendance de Zagreb ne fait qu’accentuer les tensions et conduire à la guerre réelle après l’expiration du moratoire, début octobre. Pour Slobodan Milosević, les choses sont claires : la Serbie n’est pas en guerre, mais elle soutient les revendications des quelque 600 000 Serbes de Croatie, qui ont le droit de ne pas vouloir vivre dans un État croate indépendant. D’autant plus que cet État veut, selon la thèse officielle, les priver de leurs droits politiques, économiques et culturels. La Serbie ne s’oppose pas, en principe, à l’indépendance de la Croatie, mais il convient préalablement de réviser et de remodeler les frontières. Selon la plupart des observateurs, il est clair que les groupes serbes de Croatie qui ont proclamé des « régions autonomes » en Krajina, puis en Banija et downloadModeText.vue.download 245 sur 490 POLITIQUE 243 en Slavonie sont « téléguidés » par l’étatmajor de Milosević à Belgrade, l’objectif étant de faciliter l’intervention « légale », à grande échelle, de l’armée fédérale. Face à ce qu’il considère, non sans raison, comme une agression en règle contre sa république, le président croate, Franjo Tudjman, s’efforce alors d’« internationaliser » la crise et tente d’obtenir la reconnaissance internationale de l’indépendance de la Croatie, qui a démocratiquement élu ses députés et son président. Cette offensive diplomatique consacre la désunion des Douze. Si l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et le Danemark sont favo- rables à une telle reconnaissance, ainsi qu’à celle de la Slovénie, d’autres pays, comme la Grande-Bretagne et la France – relayés d’ailleurs par le secrétaire général des Nations unies, Javier Perez de Cuellar –, hésitent à prendre cette décision, de peur de jeter de l’huile sur le feu. downloadModeText.vue.download 246 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 244 La Grande Serbie La Conférence de La Haye sur la Yougoslavie, mise en place par la CEE et dirigée par lord Carrington, ne parvient pas à rapprocher Serbes, Croates et militaires qui concluent (très officiellement) quatorze cessez-le-feu, allègrement violés quelques heures seulement après leur signature... Les observateurs européens ne peuvent jamais exercer correctement leur mission. Début décembre, les Douze prennent des sanctions économiques, d’abord contre l’ensemble de la Yougoslavie, puis seulement contre la Serbie et ses alliés (Monténégro, Voïvodine, Kosovo). Certes, ils ont bien, durant l’été, songé à envoyer une force d’interposition militaire en Croatie, mais l’unanimité ne s’est pas faite et les Serbes, de leur côté, ont mis en garde contre l’arrivée de troupes européennes qui seraient considérées, dans le conflit, comme des troupes « étrangères », donc ennemies... Les ultimatums et les avertissements adressés aux dirigeants de la Serbie restent sans effet et les États-Unis ne veulent pas s’engager diplomatiquement dans un conflit sans enjeu majeur pour eux. Alors que la CEE ne peut que rappeler les principes de la démocratie, de l’autodétermination des peuples et des droits des minorités, alors qu’elle clame que les frontières « ne peuvent être modifiées par la force », la Serbie procède à un nouveau coup de force politique à Belgrade. Après avoir tenté d’empêcher, le 15 mai, l’élection du Croate Stipe Mesić à la tête de la présidence collégiale de la fédération, elle s’empare, le 3 octobre, de certains pouvoirs fédéraux. À partir de cette date, la présidence de la Yougoslavie est réduite à son « bloc serbe » (Serbie, Monténégro, Voïvodine et Kosovo) ; les autres répu- bliques (Croatie, Slovénie, Macédoine, Bosnie-Herzégovine) n’y siégeant plus, l’éclatement de la Yougoslavie est consacré. Slobodan Milosević s’emploie néanmoins à dire qu’elle existe toujours et que les peuples qui souhaitent continuer à vivre dans un État fédéral peuvent le faire dans le cadre d’une « mini-Yougoslavie ». Dans son esprit, ces « peuples » sont, hormis ceux du « bloc serbe », ceux des régions serbes qui se sont autoproclamées « autonomes », principalement en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. L’impossible cessez-le-feu Au cours de l’automne, l’offensive de l’armée fédérale et serbe – puisqu’elle a été désertée par la plupart de ses recrues et officiers croates et slovènes – se poursuit sur plusieurs fronts de Croatie. Les fédéraux, solidement équipés de blindés et dotés d’une aviation qui n’a pas à craindre de DCA adverse, sont appuyés par des milices de volontaires et d’irréguliers venus de Serbie. Les Croates ne peuvent leur opposer qu’une garde nationale nettement inférieure en armement et également quelques unités paramilitaires que les dirigeants de Zagreb ont du mal à contrôler. De l’avis des observateurs européens, c’est une « sale guerre » qui se déroule en Croatie. Chaque camp fait état de massacres de civils dans les villages et d’exécutions sommaires de prisonniers, sans qu’il soit possible de vérifier les informations. Les combats font rage d’abord en Krajina, puis en Slavonie occidentale et orientale, dans la Banija (au sud de downloadModeText.vue.download 247 sur 490 POLITIQUE 245 Zagreb) et le long de la côte dalmate où les six principaux ports, dont Zadar, sont soumis à un blocus de la marine yougoslave. En novembre, une mission humanitaire, conduite par Bernard Kouchner et son homologue italien sous la bannière de l’UNICEF, permet d’évacuer plusieurs centaines de femmes et d’enfants de Dubrovnik. Après un siège de 87 jours, Vukovar, dans l’est de la Croatie, tombe le 18 novembre aux mains de l’armée fédérale et des autonomistes serbes. Cette ville de 50 000 habitants, qui était le symbole de la résistance croate, n’est plus que ruines. Selon le bilan de Zagreb, la bataille a fait un millier de morts. Après la chute de Vukovar, les fédéraux poursuivent leur avancée vers Osijek, le cheflieu de la Slavonie. Il apparaît de plus en plus clairement qu’ils n’interviennent pas pour « mettre fin à des conflits interethniques ou pour les empêcher » mais qu’ils mènent une guerre de conquête ou de contrôle des régions de Croatie où vivent des Serbes. Début décembre, on estime que la république indépendantiste a été amputée du quart de son territoire. En novembre, les Nations unies se sont saisies du dossier sur l’initiative des membres européens du Conseil de sécurité, dont la France. Cyrus Vance, l’envoyé spécial du secrétaire général, effectue plusieurs missions à Belgrade et Zagreb pour examiner la possibilité d’un envoi de casques bleus sur le terrain. L’opération est d’autant plus risquée sur le plan militaire que Croates et Serbes ne sont pas d’accord sur les lieux de déploiement éventuel des soldats de l’ONU : le long de la frontière qui prévalait avant le déclenchement des hostilités, ou dans les zones de conflit actuelles ? Une chose est claire en tout cas pour l’ancien secrétaire d’État américain : il n’est pas question d’envoyer des troupes internationales dans la région avant l’entrée en vigueur d’un véritable cessez-le-feu. Dans un premier temps, l’ONU se contentera donc d’y dépêcher des observateurs militaires qui viendraient renforcer leurs collègues européens. À la fin de l’année, en Croatie, le bilan de cinq mois d’une guerre qui n’est pas terminée est déjà lourd : entre 10 000 et 20 000 morts selon des estimations (certes impossibles à contrôler) en provenance de Zagreb et de la presse de Belgrade et plus de 450 000 personnes déplacées en raison des combats. ALAIN DEBOVE Alain Debove est chef-adjoint du service étranger du Monde, où il est chargé de l’Europe. downloadModeText.vue.download 248 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 246 LE POINT SUR... CHINE ET CORÉES Encore une année de normalisation en Chine, deux ans après la répression du mouvement démocratique du second Printemps de Pékin, en 1989. L’immobilisme politique n’aura guère été remis en cause, en dépit de la guerre du Golfe et de l’effondrement de l’empire soviétique, marqué, en août, par l’échec de la tentative, à Moscou, d’un putsch dont les dirigeants de Pékin s’étaient réjouis un peu vite. Au contraire, la disparition de pans entiers du bloc communiste, réduits à ses quatre membres asiatiques et à Cuba, aura plutôt renforcé leur intransigeance. Alors que s’accentuait le décalage entre les progrès économiques et la stagnation politique, les arrestations et les condamnations de dissidents, la dénonciation des « ingérences » occidentales dans les affaires des droits de l’homme se sont multipliées dans un pays qui se dit l’ultime bastion du communisme, depuis la « grande muraille de fer » idéologique jusqu’au « dernier rempart » de la pensée de Mao Zedong pour protéger la Chine contre les « complots impérialistes occidentaux ». La forteresse assiégée La question des droits de l’homme a continué d’empoisonner les relations sino-occidentales. La série de procès de dissidents du Printemps de Pékin au début de l’année – les peines s’étalant de quatre ans pour le dirigeant étudiant Wang Dan à treize pour Wang Juntao et Chen Ziming –, la grève de la faim de ces derniers pour protester contre d’exécrables conditions de détention, les protestations étrangères et l’envoi de missions d’enquête se sont succédé. Tout comme les dénonciations, par les ÉtatsUnis, de l’utilisation de détenus dans des usines produisant pour l’exportation. Deux autres sources de conflit se sont ajoutées à celui sur les droits de l’homme : les différends commerciaux, en parti- culier avec les États-Unis, et les libertés prises par la Chine avec la non-prolifération nucléaire et balistique. Après avoir longtemps défendu le maintien de relations quasi normales avec Pékin, le président Bush a été contraint de tenir compte du ressentiment du Congrès devant l’accroissement considérable de l’excédent commercial chinois. Dépassement des quotas textiles, refus d’ouverture du marché chinois aux produits américains sont les principaux reproches de Washington, bien entendu démentis par Pékin. En août, recevant son homologue japonais de l’époque, M. Toshiki Kaifu, le Premier ministre Li Peng avait annoncé que la Chine avait décidé de ratifier le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). En octobre, le comité permanent du Parlement repoussait sa décision sous prétexte de demander des éclaircissements au gouvernement. Finalement, la ratification devrait intervenir en 1992. Toutefois, cette valse-hésitation n’a pas rassuré ceux qui s’inquiètent des ventes de centrales nucléaires à des pays comme l’Iran, l’Algérie ou la Syrie, et des exportations de missiles vers le Pakistan ou des pays du Proche-Orient. Volonté de s’affirmer contre les pays occidentaux d’un régime frappé du complexe de la forteresse assiégée depuis qu’il downloadModeText.vue.download 249 sur 490 POLITIQUE 247 a mis fin à sa politique de libéralisation politique avec l’écrasement du Printemps de Pékin ? Mais, sans doute, et surtout, désir de se tailler une niche dans un marché fructueux pour accroître les rentrées de devises, et incapacité du pouvoir central à contrôler ses fabricants d’armes, liés à la « nomenklatura » et à l’armée. Malgré cela, 1991 aura vu le retour de la Chine dans l’arène internationale avec les premières visites de responsables politiques occidentaux à Pékin. Ce fut d’abord, en avril, le chef de la diplomatie britannique, Douglas Hurd, venu discuter l’avenir de Hongkong, puis son homologue français Roland Dumas. Après la visite, en août, de M. Kaifu, James Baker s’est rendu en novembre en Chine, où il a eu des discussions difficiles avec ses interlocuteurs, en particulier sur les droits de l’homme et les différends commerciaux. Enfin, 1991 aura marqué le quarantième anniversaire de la « libération pacifique » du Tibet par l’armée chinoise. Un anniversaire qui n’aura pas empêché le dalaï-lama de poursuivre sa croisade internationale pour l’autodétermination pacifique du Toit du monde. La Corée au singulier ? Quatre décennies après la guerre de Corée, les deux États qui se partagent la péninsule sont parvenus, le vendredi 13 décembre 1991, à un accord « historique » mettant officiellement fin à une longue période de tension qui faisait peser sur la péninsule un risque d’explosion permanent. Réunis à Séoul, les Premiers ministres des régimes rivaux – le Nord communiste et le Sud pro-occidental – ont signé un « accord de réconciliation, non-agression, échange et coopération ». Il ne s’agit certes pas d’une normalisation, mais du début d’un nouveau processus, qui risque néanmoins d’être long et délicat. Auparavant, le Nord et le Sud avaient été admis aux Nations unies le 17 septembre. Séoul et Pyongyang étaient depuis longtemps en désaccord sur la représentation du pays, le Nord réclamant une délégation unique, dans le cadre du projet de confédération présenté par le président Kim Il-sung. Confronté à la détermination de Séoul et au lâchage de ses alliés soviétique et chinois, Pyongyang avait été contraint de faire marche arrière, laissant une fois de plus l’initiative à son rival du Sud. Dans sa lutte d’influence avec le Nord, Séoul avait auparavant remporté un autre succès symbolique, avec la courte visite, le 20 avril, de Mikhaïl Gorbatchev, qui avait toujours refusé de se rendre à Pyongyang. D’autant que le numéro un soviétique de l’époque avait réitéré le souhait que Pyongyang soumette ses installations nucléaires – soupçonnées de chercher à produire la bombe atomique – à l’inspection de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Ce que le Nord a continué de refuser tout au long de l’année. Toutefois, à l’issue de l’accord du 13 décembre, les Coréens paraissaient sur le point de trouver un compromis sur cette épineuse question, qui permettrait une inspection simultanée de part et d’autre du 38e parallèle. PATRICE DE BEER ASIE DU SUD ET DU SUD!EST Dans cette région du monde fort mouvementée, l’année aura été dominée par downloadModeText.vue.download 250 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 248 quatre événements fondamentaux : l’assassinat, le 21 mai, de Rajiv Gandhi en Inde ; l’annonce de la fermeture – dans les trois ans – des bases américaines aux Philippines après le refus du Sénat philippin, le 16 septembre, de ratifier un accord entre Manille et Washington ; l’attribution, le 14 octobre, du prix Nobel de la paix à la dissidente birmane Aung San Suu Kyi ; la signature à Paris, le 23 octobre, d’un accord de paix sur le Cambodge. Il ne faudrait cependant pas oublier d’autres faits d’importance dans plusieurs autres pays, tels que le coup d’État militaire du 23 février qui, en Thaïlande, a causé la chute du gouvernement élu de M. Chatichai Choonhavan ; le retour de la démocratie au Bangladesh avec la chute du régime du général Ershad et l’élection, le 27 février, de la bégum Khaleda Zia comme Premier ministre ; la poursuite de la guerre civile au Sri Lanka entre les forces gouvernementales et les rebelles séparatistes tamouls du LTTE (Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul), qui a fait plus de 11 000 morts depuis juillet 1990 ; la normalisation, début novembre, des relations entre les deux frères ennemis communistes, le Viêt-nam et la Chine ; enfin, le massacre par l’armée indonésienne, le 12 novembre, de plus d’une centaine de manifestants indépendantistes dans l’ancien territoire portugais de Timor oriental. L’assassinat de Rajiv Gandhi, quelques années après celui de sa mère Indira, apparemment par des terroristes du LTTE, alors qu’il faisait campagne pour les élections législatives, a bouleversé l’opinion. La violence reste malheureusement au rendez-vous de la vie politique indienne, comme le montrent également les attentats des séparatistes sikhs au Pendjab ou le sanglant cycle infernal de la violence et de la répression au Cachemire. Dans le cas de Rajiv, la dynastie des Nehru-Gandhi, qui a dominé l’Inde depuis l’indépendance, s’en est trouvée décapitée. Sa veuve Sonia et son fils n’ont pas voulu reprendre le flambeau que sa fille, trop jeune encore, brûle de ranimer. Les limites de la réconciliation La surprise est venue du nouveau Premier ministre Narasimha Rao. À la tête d’un gouvernement minoritaire dominé par le parti du Congrès, cet homme peu connu, dans lequel beaucoup ne voyaient qu’un Premier ministre de transition, a brutalement modifié les données de la vie politique. Confronté aux contrecoups de la guerre du Golfe, à l’effondrement de l’allié et principal partenaire commercial soviétique et à la crise économique, il a annoncé une libéralisation de l’économie dont on parlait depuis des années mais qui, jamais, n’avait commencé à entrer dans les faits. Jadis étatisée, contrôlée et hyperprotégée du monde extérieur, l’économie est désormais ouverte à la concurrence, tandis que les investissements étrangers sont enfin les bienvenus. Le processus sera long, mais il remet en cause plus de quatre décennies de « socialisme à l’indienne ». Aux Philippines, le gouvernement de Corazón « Cory » Aquino, confronté aux insurrections extrémistes de gauche (communistes maoïstes) et de droite (putschistes militaires) ainsi qu’à une situation économique et sociale dramatique, a vu fondre sur lui des calamités naturelles. La plus spectaculaire aura été downloadModeText.vue.download 251 sur 490 POLITIQUE 249 l’explosion du volcan Pinatubo, dont les coulées de boue et les cendres ont tué des milliers de gens, ravagé la région avoisinante et rendu inutilisable l’une des deux bases américaines au moment même où se poursuivaient de difficiles négocia- tions sur leur maintien. Maladresses et intransigeances de part et d’autre auront fait échouer ces négociations après que le Sénat philippin eut bloqué la ratification d’un accord prévoyant le maintien de l’autre base, celle de Subic. À moins de changements à l’issue des élections du printemps 1992, les derniers soldats américains auront quitté l’archipel dans les trois ans. Le 14 octobre, les jurés d’Oslo décernaient à l’opposante birmane Aung San Suu Kyi, en résidence surveillée depuis deux ans, le prix Nobel de la paix. Ils récompensaient ainsi le courage de celle qui symbolise la résistance de tout un peuple contre une junte militaire qui a pris le pouvoir dans le sang et refusé de le rendre après avoir subi une défaite sanglante aux élections. Butés dans leur obstination, les généraux – qui la maintiennent au secret – ont dénoncé l’attribution de ce prix et refusé un visa aux diplomates chargés d’annoncer la nouvelle à la fille du « père de l’indépendance » birmane. Enfin, 1991 aura été marqué par la signature, après de longues et difficiles négociations, d’un accord de paix sur le Cambodge. Le lâchage du Viêt-nam par l’URSS, les changements dans le monde communiste, l’assouplissement de la position d’une Chine qui a longtemps soutenu les Khmers rouges contre Hanoi, mais aussi la subtile diplomatie du prince Sihanouk ont rendu possible cet accord, en vertu duquel les Nations unies doivent surveiller le processus qui conduira ce pays déchiré vers des élections démocratiques au début de 1993. La mission de l’ONU – la plus « massive » de son histoire – consiste à superviser le cessez-le-feu, à assurer le désarmement à 70 % des forces en présence et le contrôle de l’administration en place, tandis que s’organisera le retour des réfugiés. Tâche difficile en raison des haines accumulées et surtout de la présence des Khmers rouges, imposée par le réalisme et le rapport des forces. Le retour à Phnom-Penh, le 14 novembre, du prince Sihanouk et sa spectaculaire réconciliation avec Hun Sen, le Premier ministre de Phnom-Penh qui a officiellement abandonné le communisme, sur le dos des Khmers rouges et des nationalistes de Son Sann, auront marqué le début d’une nouvelle ère. Mais l’accueil réservé aux dirigeants khmers rouges, contraints de fuir la colère populaire, a montré les limites de la réconciliation. PATRICE DE BEER JAPON Sur le plan diplomatique, l’année 1991 n’aura guère été pour le Japon l’une des plus mémorables, sinon par la valse-hésitation à laquelle se sont livrés ses gouvernants. Mis en place l’année précédente comme palliatif à la crise du parti conservateur, secoué par des scandales, le gouvernement Kaifu s’est montré dans l’incapacité de faire face à la situation engendrée par la guerre du Golfe. Confronté à une opinion publique divisée sur le principe même d’une participation japonaise au conflit et paralysé par les dispositions de la Constitution, il a eu recours une nouvelle fois à la « diplodownloadModeText.vue.download 252 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 250 matie des chèques » ; mais il a ainsi perdu aussi bien sur le front de la guerre (sa contribution, substantielle – 9 milliards de dollars –, arrivant tard) que sur celui de la paix. Tokyo, en effet, a laissé passer la chance de muer son pacifisme constitutionnel en une politique active, son seul souci ayant été de ne pas déplaire à Washington. Des signes d’essoufflement C’est une autre déconvenue qu’allait apporter, en mars, la visite « historique » de Mikhaïl Gorbatchev à Tokyo. Peu de choses furent obtenues au fil de laborieuses négociations dont, au départ, Tokyo attendait beaucoup : le point central de la déclaration commune se ramenant à la simple mention du contentieux territorial entre les deux pays sur la question des îles Kouriles. Signe assurément de la faiblesse des protagonistes (MM. Kaifu et Gorbatchev étaient confrontés à de graves problèmes intérieurs), mais aussi, du côté japonais, des difficultés du pays à se dégager de la guerre froide, le Japon restant plus hostile à l’URSS que la plupart de ses partenaires occidentaux. C’est avec les mêmes hésitations qu’au cours de l’été le Japon a réagi au putsch de Moscou. En revanche, il entend faire sentir davantage son poids dans les négociations de paix au Cambodge : en devenant le plus gros bailleur de fonds de la reconstruction, le Japon s’apprête en effet à effectuer son retour politique en Indochine et dans toute la région. En décembre, le débat parlementaire sur le projet de loi relatif à l’envoi de contingents japonais à l’étranger dans le cadre de missions de paix sous l’égide des Nations unies (dont la première application a été précisément le Cambodge) avait pour objectif de modifier de manière substantielle la position du Japon sur la scène internationale et de lui permettre de jouer un rôle plus actif dans le maintien de la sécurité mondiale. Cette loi a suscité une vive opposition de la part des partis de gauche qui la jugent contraire à la Constitution et qui ont tout fait pour bloquer son adoption. Sur le plan intérieur, l’année 1991 aura été marquée par le départ de Mme Takako Doï, charismatique présidente du parti socialiste, mais affaiblie par les revers électoraux de son parti et par l’éviction de M. Toshiki Kaifu dont on pensait encore, quelques semaines avant le terme de son mandat, qu’il serait maintenu dans ses fonctions. Ses mentors au sein du Parti conservateur en ont décidé autrement. Il a été remplacé, fin octobre, par M. Kiichi Miyazawa, l’un des hommes forts du Parti conservateur, qui devrait être en meilleure position que son prédécesseur pour gouverner. En tout cas, sa nomination clôt une période anormale de fonctionnement du pouvoir au cours de laquelle les « caciques » conservateurs avaient été paralysés par des scandales. L’une des préoccupations majeures du nouveau Premier ministre est la situation économique. Après cinq ans de croissance ininterrompue, qui s’est traduite par une augmentation annuelle moyenne de 6 % du produit national brut, des signes d’essoufflement ont commencé à se faire sentir : l’économie souffre notamment d’une politique de restriction du crédit qui vise à dégonfler la « bulle financière » alimentée par les spéculations immobilières et boursières de ces dernières années. Le monde des affaires japonais aura downloadModeText.vue.download 253 sur 490 POLITIQUE 251 surtout été secoué par les scandales financiers qui ont défrayé la chronique pendant l’été. Ces affaires ont abouti à des sanctions prononcées à l’encontre des grandes maisons de titres coupables d’avoir dédommagé leurs gros clients des pertes qu’ils avaient subies à la Bourse. En outre, certaines de ces sociétés, comme d’ailleurs quelques banques prestigieuses, ont été mêlées à de sombres tractations avec la mafia. Le ministre des Finances du cabinet Kaifu, M. Hashimoto, dont le ministère avait fait pour le moins preuve de laxisme à l’égard des maisons de titres, a donc présenté sa démission en octobre. PHILIPPE PONS OCÉANIE/PACIFIQUE Consécutive à l’évolution de l’Union soviétique, la détente a produit ses effets dans le Pacifique comme dans le reste du monde. Le dispositif stratégique des deux supergrands a été sensiblement réduit, notamment en Asie du Sud-Est, où l’évacuation prévue des forces américaines des Philippines a répondu au repli des nombreux « conseillers » soviétiques du Viêt-nam. Cependant, face à une Corée du Nord soupçonnée de vouloir se doter de l’arme nucléaire, les Américains ont maintenu l’essentiel de leur dispositif militaire en Asie du Nord-Est. Une certaine détente Pour le Japon, s’est par ailleurs posé, à l’occasion de la guerre du Golfe, le problème de l’accroissement d’une puissance militaire susceptible d’être déployée hors de l’Archipel. La Constitution imposée par les Américains après la défaite nippone interdisant toute forme de remilitarisation, une telle évolution ne peut être que prudente, d’autant plus qu’elle soulève l’opposition d’une partie de l’opinion intérieure, ainsi que celle des pays qui furent, naguère, les victimes du milita- risme japonais, la Chine et la Corée principalement. Cependant, et très habilement, M. Toshiki Kaifu, Premier ministre jusqu’à son remplacement par M. Kiichi Miyazawa en octobre, a réussi à faire envoyer des dragueurs de mines dans le Golfe pour y protéger les intérêts japonais, étroitement dépendants de la sûreté de leurs approvisionnements pétroliers. Le Japon semble ainsi s’orienter vers une diplomatie discrète mais indépendante grâce à sa puissance économique et financière face à un monde en difficulté, et notamment au monde socialiste. C’est ainsi que M. Mikhaïl Gorbatchev s’est rendu à Tokyo au mois d’avril pour proposer à la Diète japonaise l’idée d’un système de sécurité régionale en Asie et dans le Pacifique, mais aussi et surtout pour solliciter une aide économique dont l’URSS a le plus grand besoin. En retour, le Japon espérait obtenir la rétrocession des îles Kouriles du Sud, occupées par les troupes soviétiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le but de Tokyo est d’étendre ainsi sa zone de pêche dans le Pacifique et de préparer des revendications ultérieures sur les Kouriles du Nord. Cette volonté se heurte toutefois aux intérêts des flottes soviétiques, qui ont besoin de cette voie de pénétration dans le Pacifique. Les entretiens entre MM. Mikhaïl Gorbatchev et Toshiki Kaifu n’ont permis aucun progrès sur le contentieux territorial, mais il faut signaler tout de même downloadModeText.vue.download 254 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 252 que les milieux d’affaires de la Province (russe) d’Extrême-Orient, dont le cheflieu est Vladivostok, entendent faire de cette région une zone économique ouverte aux investissements capitalistes, et notamment japonais. Une sorte de coopération économique régionale est ainsi en voie de formation sous l’influence prépondérante du Japon ; elle comprendra également la Chine et les deux Corées. La situation des États insulaires du Pacifique, grands ou petits, n’est guère brillante. En Nouvelle-Zélande, la poli- tique sociale des conservateurs, revenus au pouvoir en 1990, se heurte à une forte opposition. Même si la rigueur commence à porter ses fruits, la crise économique continue à sévir, comme en Australie, où le nouveau ministre de l’Économie a annoncé au mois d’août une reprise volontairement lente. En Polynésie française, les élections territoriales du mois de mars ont permis le retour de Gaston Flosse à la tête du gouvernement, en remplacement d’Alexandre Léontieff, devenu minoritaire, mais, en juillet, les violentes manifestations qui ont éclaté à Papeete ont déstabilisé quelque peu la présidence. En Nouvelle-Calédonie, l’application des accords de Matignon suscite quelques inquiétudes. L’avenir reste également incertain dans des pays aussi divers que le Vanuatu, où le Premier ministre Walter Lini, au pouvoir depuis 1979, a été renversé par le Parlement en septembre, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où l’armée est intervenue en avril dans l’île de Bougainville contre les rebelles de l’Armée révolutionnaire (BRA), ou les Philippines, qui ont connu une nouvelle vague de violence au début de l’année et au commencement de l’automne, ainsi qu’une crise politique en septembre, due au désaccord entre la présidente Cory Aquino et le Sénat de Manille sur le maintien des bases américaines, sans oublier, en juin, le réveil du volcan Pinatubo, qui a fait de nombreuses victimes et quelque 300 000 sinistrés. Malgré cela, et en dépit des troubles ethniques et de l’agitation sociale, qui perdurent de manière endémique dans les petits archipels, la zone du Pacifique jouit d’une certaine détente, sinon d’une détente certaine. JEAN-PIERRE GOMANE downloadModeText.vue.download 255 sur 490 POLITIQUE 253 LA GUERRE DU GOLFE Le conflit pouvait-il être évité ? Sûrement pas, car les Américains ne voulaient pas une solution diplomatique qui aurait permis à Saddam Hussein et au complexe militaro-industriel de l’Irak de sortir indemnes de l’aventure koweïtienne. Mais s’agissait-il pour autant d’une guerre programmée destinée à assurer la mainmise des ÉtatsUnis sur le Proche-Orient ? Au commencement de l’année, la guerre dans le Golfe paraît inéluctable. Quinze jours avant l’expiration de l’ultimatum adressé par le Conseil de sécurité de l’ONU à l’Irak, rares sont ceux qui, à l’instar du président Mitterrand, croient encore « aux chances de la paix ». Dans ses voeux de nouvel an, ce dernier affirme que la fermeté peut encore amener Saddam Hussein à céder sur le Koweït comme il l’a fait sur les otages. Mais ni le voyage « exploratoire » de Michel Vauzelle, président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à Bagdad, le 2 janvier, ni la rencontre de Genève entre Tarek Aziz et James Baker, le 9 janvier, pas plus que la mission entreprise par le secrétaire général de l’ONU dans la capitale irakienne, le 13 janvier, « en tant que porte-parole de la communauté internationale », ne pourront éviter l’épreuve de force, qui se précise de plus en plus. Les dés sont jetés Les deux camps se préparent donc à la guerre. Le 11 janvier, James Baker annonce devant les soldats américains déployés en Arabie Saoudite : « Nous franchirons le Rubicon à minuit le 15 janvier », tandis que le président Saddam Hussein promet la victoire de la « guerre sainte » en cas d’attaque américaine contre Bagdad. Les diplomates occidentaux restés encore en poste dans la capitale irakienne quittent le pays, à l’exception des Français, qui seront les derniers à abandonner le navire menacé de destruction. Le Congrès américain donne le feu vert au président Bush pour entrer en guerre, tandis que Saddam Hussein, imperturbable, fait approuver par son parlement sa politique suicidaire, qui exclut « toute concession sur le Koweït ». Seule la France s’obstine dans sa quête pour une solution pacifique de la crise. Mais le plan de paix qu’elle présente le 14 janvier au Conseil de sécurité est rejeté par les États-Unis avant même d’être for- mellement discuté, sous le prétexte qu’il établit « un lien artificiel » entre l’évacuation du Koweït par l’Irak et la tenue d’une conférence internationale sur le problème israélo-arabe. Du coup, Roland Dumas, le chef de la diplomatie française, renonce à une mission de la dernière chance qu’il comptait effectuer à Bagdad. Le président Mitterrand s’incline devant l’inévitable et déclare devant le Parlement réuni en session extraordinaire que « le recours à la force armée pour contraindre l’Irak à évacuer le Koweït est désormais légitime ». Il ajoute cependant, apparemment dans le but de préserver l’avenir, que la « France n’est pas l’ennemie de l’Irak », downloadModeText.vue.download 256 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 254 ce qui ne l’empêche pas de déclarer, après le début de l’offensive aérienne du 17 janvier, qu’il « faut naturellement détruire le potentiel militaro-industriel de l’Irak ». Le rôle de médiation, que la France abandonne à contrecoeur, est repris vers la mi-février par l’URSS au cours d’une mission d’exploration entreprise à Bagdad par Evgueni Primakov, l’émissaire personnel de Mikhaïl Gorbatchev, pour vérifier « le fond de la pensée » de Saddam Hussein, tout en lui expliquant qu’il n’a aucune chance de résister à la coalition anti-irakienne et que l’Irak court au désastre. L’objectif de la mission de M. Primakov est d’obtenir de Bagdad l’assurance que l’Irak est prêt à retirer « sans conditions et sans réserves » ses troupes du Koweït, afin de pouvoir proposer un cessez-le-feu aux États-Unis. Le président Saddam Hussein semble céder et, le 15 février, rend publique une déclaration affirmant que l’Irak accepte la résolution 660. Cependant, le prix de la paix que propose le chef de l’État irakien est jugé prohibitif par les États-Unis. Avec leurs alliés de la coalition, ils estiment que son offre est assortie d’un si grand nombre de conditions qu’elle contrevient aux termes mêmes de la résolution 660 du Conseil de sécurité, qu’il se dit pourtant prêt à appliquer. Le président Saddam Hussein demande en effet, outre l’annulation des onze résolutions de l’ONU sur le Golfe, le départ des forces étrangères de la région, le retrait d’Israël des territoires occupés et la participation des « agresseurs » à la reconstruction du pays. Il n’empêche que MM. Bush et Mitterrand décèlent dans ces propositions un « élément nouveau », c’est-à-dire l’acceptation par le président irakien que le Koweït ne soit plus, « pour toujours, la dix-neuvième province » de l’Irak. Sans conditions Le plan de paix que Vitali Ignatenko, porte-parole du président Gorbatchev, soumet le 18 février au ministre irakien des Affaires étrangères, Tarek Aziz, embarrasse et irrite Washington, qui voit déjà, en cas d’acceptation des propositions soviétiques par Bagdad, lui échapper le fruit de sa victoire, c’est-à-dire la liquidation du régime de Saddam Hussein et la destruction du potentiel militaroindustriel irakien, qui, plus que la libération du Koweït, semblent être l’objectif véritable des États-Unis. Bagdad tarde cependant à faire connaître sa réponse, évitant surtout de fournir les assurances que les États-Unis exigent en ce qui concerne les modalités de son retrait de l’émirat, que Washington voudrait humiliantes. Ce n’est que tard dans la nuit du 21 au 22 que M. Ignatenko annonce à la presse que les entretiens entre MM. Gorbatchev et Tarek Aziz ont abouti à un succès, l’Irak ayant donné une réponse positive au plan du chef de l’État soviétique dont le premier point prévoit « le retrait complet et inconditionnel » des troupes irakiennes du Koweït. Les Soviétiques n’ignorent pas que l’acceptation irakienne est toujours jugée incomplète à Washington et, en conséquence, ils s’engagent à peaufiner le plan de retrait avant de le soumettre au Conseil de sécurité. Trop tard : le vendredi 23, à 16 heures, le président Bush enterre le plan soviéto-irakien en quelques phrases lapidaires en donnant à Saddam Hussein jusqu’au samedi 24 à midi (heure de downloadModeText.vue.download 257 sur 490 POLITIQUE 255 Washington) pour « entamer son retrait immédiat et inconditionnel du Koweït ». Toutes les requêtes de Mikhaïl Gorbat- chev suppliant George Bush de suspendre « pour un jour ou deux » l’ultimatum demeurent vaines. Baptisée « phase finale de la libération du Koweït », l’offensive est déclenchée le 24 à 4 heures, heure de Paris, exactement à la date prévue depuis quinze jours. Elle ne dure que cent heures, Bagdad acceptant le 28, et sans conditions, l’ensemble des résolutions des Nations unies. Le pot de fer contre le pot de terre Commencée le 17 janvier vers minuit par la plus gigantesque opération aérienne depuis les raids de l’aviation américaine sur le Viêt-nam, la guerre du Golfe, menée conjointement par une coalition de forces hétéroclites groupant vingtneuf pays et conduite par les États-Unis, s’est terminée quarante-six jours plus tard, à l’aube du 28 février, par la reddition inconditionnelle de l’armée irakienne, que les Américains avaient un peu hâtivement qualifiée de « quatrième armée du monde ». On ne connaîtra probablement jamais le bilan exact des pertes irakiennes civiles et militaires, car les autorités de Bagdad ont observé sur le sujet la plus grande discrétion. Le chiffre de 200 000 tués généralement avancé par les estimations les plus modérées donne une idée de la sévère correction infligée aux Irakiens par les forces coalisées. Un autre chiffre est plus précis : 283 soldats alliés ont trouvé la mort, dont 2 soldats français. Il souligne mieux que toute démonstration savante l’énorme différence qualitative qui existait au début du conflit entre les deux forces en présence. Du côté des alliés : une panoplie d’assaut diversifiée comprenant les armements les plus modernes et les plus sophistiqués, servie par une technologie de pointe, une protection électronique sans failles et des appareils dotés de moyens de navigation et de visée tout-temps. Du côté irakien : un armement qui a fait son temps, même s’il a été performant dans la première « guerre du Golfe » contre les Pasdarans iraniens sous-armés et dépourvus de toute couverture aérienne. Que pouvaient faire les quelque 5 000 chars de combat contre une aviation ultramoderne utilisant des bombes à effet de souffle, particulièrement dévastatrices, surtout contre des concentrations de forces en terrain plat, notamment dans le désert ? La supériorité aérienne fut telle que, pas une fois, les avions irakiens, qui avaient fait la preuve de leur efficacité contre l’Iran, n’ont pu prendre l’air pour tenter de s’opposer à l’aviation alliée. De jour et de nuit, et en quarante-deux jours, cette dernière a effectué près de 106 000 sorties au cours desquelles ont été larguées des centaines de milliers de tonnes de bombes. La quatrième armée du monde ? Certainement pas. Mais peut-être la première du monde arabe, en raison précisément de l’aide qui, pendant sa guerre contre l’Iran, lui a été fournie par l’URSS et par les pays occidentaux. De toute manière, la lutte était par trop inégale – le combat du pot de fer contre le pot de terre – : les dernières cent heures qui précédèrent la reddition des forces irakiennes furent plus une sanglante opération de nettoyage qu’une guerre dans le sens propre du terme, puisqu’il n’y eut pratiquement pas de combats véritables. Le 24 février, lorsque les coalisés lancèrent l’assaut terrestre, l’armée irakienne était déjà battue, laminée par quarante-deux jours de pilonnage aérien. Démoralisés, isolés et à court de vivres et de munitions, les soldats de la garde républicaine, que l’on disait motivés et prêts à combattre jusqu’à la mort, pris dans la nasse, ont préféré se rendre plutôt que de se battre à armes inégales. Le secrétaire américain à la Défense, Dick Cheney, a-t-il tenu sa promesse de réduire au minimum « le coût humain de la guerre » ? Oui en ce qui concerne les coalisés ; mais non en ce qui concerne les Irakiens : les dernières quarantehuit heures de la guerre ont fait de véritables carnages dans leurs troupes prises au piège au Koweït et sur l’autoroute de Bassorah empruntée par des civils et les militaires de Bagdad qui tentaient de fuir dans des milliers de véhicules civils ou militaires. Des morts aussi inutiles que celles qui survinrent aux quatre coins de l’Irak au cours du pilonnage aérien de quarante-deux jours, downloadModeText.vue.download 258 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 256 dont l’utilité est aujourd’hui mise en doute par certains commentateurs militaires. L’Irak a-t-il servi de champ d’expérimentation pour les armes de destruction les plus modernes, ainsi que se le demande le général israélien Peled ? Ou a-t-on voulu, comme certains l’affirment, détruire entièrement l’infrastructure économique et industrielle de l’Irak pour le ramener plusieurs siècles en arrière ? L’offensive alliée des 24/27 février La manoeuvre générale des coalisés consistait à faire croire aux Irakiens à une importante opération de débarquement au Koweït, puis à une offensive frontale au Koweït même, le tout devant logiquement être complété par un débordement d’ampleur limitée. En réalité, le débarquement n’a pas eu lieu, tandis que la manoeuvre de débordement s’est avérée nettement plus large. Cette opération, dite de « déception », allait fonctionner parfaitement. Sans réponse de Bagdad à l’ultimatum (fixé au 23 février à 18 h, heure de Paris) sommant les forces irakiennes d’évacuer le Koweït, les Alliés déclenchaient l’offensive aéro-terrestre le 24 février à 4 h (heure de Riyad). Précédés par des avions et par des hélicoptères d’assaut qui leur apportaient l’appui feu indispensable, les colonnes alliées quittaient leurs bases d’Arabie Saoudite et s’enfonçaient en territoire irakien sans rencontrer de grande résistance. Bagdad préférait continuer à lancer des Scud sur Israël et sur l’Arabie Saoudite. Sur le terrain, la division française Daguet (elle comprenait 10 000 hommes des forces terrestres, dotés de 2 500 véhicules, dont 500 blindés, et de 120 hélicoptères, et 800 hommes des forces aériennes disposant de 40 appareils de combat), placée en tête du dispositif allié et épaulée sur sa droite par le 18e corps d’armée aéroportée américain, faisait porter son effort sur l’Ouest et s’emparait d’Al Salman en moins de 48 h. De la rapidité de cette opération dépendait l’ensemble des plans des coalisés. Garantis sur leur flanc gauche par les forces françaises, le 7e corps d’armée mécanisée américain et la 1re division blindée britannique pouvaient se lancer à l’assaut de la Garde républicaine irakienne déployée devant Bassorah. Dès lors, les soldats irakiens allaient chercher à fuir vers le nord pour échapper à la manoeuvre d’encerclement confiée aux troupes du général Schwarzkopf. Au cours de ce mouvement qui tournait très rapidement à la débandade, les forces alliées infligeaient des dégâts considérables et de très lourdes pertes aux troupes irakiennes. En bordant l’Euphrate au sud et en coupant la retraite aux divisions de la Garde républicaine, le 18e corps favorisait l’action du 7e corps, des divisions de Marines et des forces arabo-islamistes au Koweït. À partir du 27 février, la proche victoire des Alliés ne faisait plus de doute. Alors que les forces terrestres irakiennes se dispersaient ou se rendaient sans opposer de résistance, les forces amphibies constituées de 20 000 marines se dirigeaient vers Koweït-Ville à partir du golfe. En quelques heures, l’île stratégique de Failaka était prise. À l’aube du 27 février, dans la capitale, les soldats américains des forces spéciales repoussaient rue après rue les derniers combattants irakiens. Au sud de Bassorah, un dernier combat de chars opposait les blindés américains et britanniques aux chars de la Garde républicaine. Le lendemain, à 8 heures, le président Bush pouvait annoncer : « La guerre est finie ». L’après-guerre La guerre du Golfe aurait-elle pu être évitée ? Probablement pas. Tout d’abord à cause du comportement quasi suicidaire et de l’orgueilleux entêtement de Saddam Hussein, qui, tout au long de la crise qui a précédé la guerre et au cours des premières semaines de bombardements aériens, a agi comme s’il ne craignait rien et comme si toutes les mises en garde du président Bush n’étaient que de simples gesticulations sans portée réelle. Vraisemblablement mal informé des intentions profondes des Américains – qui avaient été parmi ses meilleurs alliés au cours de la guerre contre l’Iran – par les rapports optimistes de son ambassadeur à Washington, Mohamed Mashat, downloadModeText.vue.download 259 sur 490 POLITIQUE 257 le président Saddam Hussein ne pensait pas, jusqu’à la dernière minute, que les Américains iraient jusqu’à déclencher des opérations militaires terrestres. Il semblait ignorer que les États-Unis avaient décidé, depuis un certain temps, d’en finir une fois pour toutes avec un régime qui représentait une menace sérieuse pour leurs intérêts et pour ceux de la communauté internationale dans la région. Les Américains ont fait d’ailleurs tout ce qu’ils pouvaient pour rendre downloadModeText.vue.download 260 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 258 difficile, voire impossible, la solution diplomatique qui aurait permis à Saddam Hussein ainsi qu’au complexe militaroindustriel de l’Irak de sortir indemnes de l’aventure koweïtienne. L’une des raisons de l’acharnement de Saddam Hussein à mener une lutte sans issue a sans doute été jusqu’au dernier moment son fol espoir de parvenir à diviser la coalition anti-irakienne en imprimant au conflit une coloration anti-israélienne qui aurait embarrassé les alliés arabes modérés de Washington en les plaçant dans une situation intenable. Les tirs de missiles Scud sur Tel-Aviv et Haïfa, qui commencèrent le 18 janvier, au lendemain même du début des bombardements alliés sur l’Irak, avaient surtout pour objectif d’impliquer Jérusalem dans le conflit. Sur les quelque 80 missiles lancés par Bagdad, 40 furent dirigés contre Israël, les autres visant des objectifs en Arabie Saoudite et à Bahreïn. Le président Saddam Hussein ne se faisait aucune illusion sur l’impact militaire de ces tirs, mais espérait qu’ils contraindraient les Israéliens, qui n’ont jamais laissé impunie une quelconque attaque contre leur territoire, à riposter. Soumis à une forte pression américaine, ces derniers ont fait preuve de suffisamment de sagesse pour ne pas tomber dans le piège tendu par Bagdad. Du côté arabe, l’effet politique escompté par les Irakiens – qui était de soulever les masses arabes contre les ÉtatsUnis et leurs dirigeants – a été fort limité. Il y a bien eu, au niveau populaire, des réactions passionnelles « enthousiastes », notamment dans les territoires occupés et en Jordanie, mais les milieux officiels arabes se sont montrés fort réservés. Damas est même allé jusqu’à désavouer l’opération, en reconnaissant à Israël le droit à la légitime défense et en soulignant qu’en cas de représailles de Jérusalem la Syrie se garderait de réagir. D’une manière générale, les réactions des pays arabes à la guerre menée contre un pays arabe tiers par une alliance à dominante occidentale, et surtout américaine, ont été relativement modérées et se sont limitées à des manifestations de soutien, même parmi ceux qui, dès le début de la crise, s’étaient rangés du côté de l’Irak. En Jordanie, le pays qui a payé le plus cher son alliance avec Bagdad, aussi bien sur le plan politique qu’économique, les mouvements populaires ont été contenus par le double jeu du roi Hussein, qui, soucieux de ménager les États-Unis, a résisté aux pressions de la rue jordanienne et palestinienne en faveur d’un soutien plus net à l’Irak. Au Soudan et au Yémen, les manifestations populaires ont été, en fait, organisées par des dirigeants de toute manière acquis à la cause irakienne. La Libye du colonel Kadhafi n’a pratiquement pas bougé, le guide de la révolution ayant, sous l’influence du Caire, avec lequel il venait de se réconcilier, adopté une attitude prudente à l’égard de Bagdad, coupable, à ses yeux, d’aventurisme. Même Yasser Arafat, malgré son alignement presque inconditionnel sur la politique de Saddam Hussein, a résisté aux injonctions du président irakien, qui lui avait demandé d’ouvrir un second front en s’en prenant aux intérêts occidentaux et américains dans le monde, et a soigneusement évité de déplacer la direction de l’OLP de Tunisie en Irak. Au Maghreb, les manifestations populaires de solidarité à l’égard de la cause downloadModeText.vue.download 261 sur 490 POLITIQUE 259 irakienne ont été autorisées et canalisées par les dirigeants dans un souci évident de ne pas se laisser déborder par les mouvements d’opposition. Paradoxalement, aussi bien en Algérie qu’au Maroc et, dans une moindre mesure, en Tunisie, le ressentiment populaire provoqué par la guerre contre l’Irak a été plus dirigé contre la France, qui a pourtant tout fait pour éviter une épreuve de force sanglante, que contre les États-Unis, qui ont tout mis en oeuvre pour précipiter une guerre dont le but était de détruire l’État irakien. Pourtant les États-Unis n’ont pas aidé les chiites du sud de l’Irak entrés en rébellion contre le pouvoir central à peine trois jours après l’arrêt des hostilités. Tout semblait indiquer que les troupes américaines, qui occupaient une portion du territoire irakien contiguë à la zone où se déroulaient les combats entre rebelles et gouvernementaux, n’étaient guère disposées à intervenir, comme si leurs priorités avaient changé avec la fin des hostilités, Washington se contentant de mettre en garde les dirigeants irakiens contre l’utilisation d’armes chimiques pour venir à bout des populations chiites révoltées, auxquelles, après un moment d’hésitation, s’étaient joints les Kurdes du nord. Dans cette double guerre civile, les Américains ont adopté le rôle de spectateurs presque neutres, n’intervenant que lorsque les Irakiens outrepassaient les règles qu’ils leur avaient imposées et qui interdisaient l’emploi des avions et des hélicoptères contre les insurgés. Fin mars, malgré les appels à l’aide des insurgés et l’accroissement du nombre des victimes civiles, la Maison-Blanche réaffirme sa neutralité dans ce qu’elle qualifie pudiquement de « conflit intérieur irakien ». Après avoir écrasé l’insurrection chiite dans le sud, les unités de la Garde républicaine reprennent le contrôle des villes kurdes. Il se confirme – on le savait déjà – qu’en attendant l’apparition d’un homme providentiel qui aurait pratiquement le même profil politique que le président Saddam Hussein les États-Unis et leurs alliés modérés arabes préfèrent un régime baassiste aux abois, prêt à toutes les concessions pour demeurer au pouvoir, à une coalition de l’opposition irakienne comprenant des Kurdes, des chiites plus ou moins liés à l’Iran, des communistes et des libéraux. La survie des Kurdes Du fait même qu’ils ne sont pas arabes, les Kurdes sont demeurés extrêmement prudents pendant le conflit, afin d’éviter de susciter en Irak un mouvement nationaliste dont ils auraient été les principales victimes. Ils ne sont entrés dans la bataille, à la fin des hostilités, qu’après que les chiites du sud de l’Irak eurent lancé un mouvement insurrectionnel contre le pouvoir central. Fin mars, la révolte kurde, qui s’est propagée comme une traînée de poudre, parvient à libérer l’ensemble des grandes villes du nord-est de l’Irak. Le mouvement de révolte est cependant prématuré : au début d’avril, après avoir écrasé la rébellion chiite, l’armée irakienne réussit à reprendre le contrôle de la plupart des villes kurdes « libérées », poussant sur les routes des centaines de milliers de réfugiés en quête d’un abri au-delà des frontières. Le pitoyable et sanglant exode de plus de deux millions de Kurdes suscite alors une profonde émotion au sein de l’opinion publique interna- tionale, qui était demeurée presque indifférente à la tragédie des chiites irakiens, dont le soulèvement finit noyé dans le sang. Le 5 avril, sous l’impulsion de la France, qui invoque un « droit downloadModeText.vue.download 262 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 260 à l’ingérence », le Conseil de sécurité de l’ONU condamne la répression antikurde et lance l’idée d’un « sanctuaire pour les Kurdes » en territoire irakien. Cinq jours plus tard, cédant aux pressions extérieures et intérieures, les États-Unis, qui s’étaient d’abord montrés hostiles à « toute intervention dans les affaires intérieures de l’Irak », adressent un avertissement à Bagdad, lui demandant instamment de s’abstenir de toute activité militaire dans le large secteur du nord de l’Irak qui comprend la zone où se trouvent les réfugiés kurdes. Washington exige également l’arrêt des opérations aériennes au nord du 36e parallèle, qui traverse le pays et passe à 50 km environ au sud de la ville de Mossoul. Contraint de s’incliner, l’Irak ne réagit pas à l’annonce faite par le président Bush de l’envoi de plusieurs unités dans le nord de l’Irak pour y créer des camps d’accueil. Pour rassurer les populations du nord de l’Irak et prolonger de façon dissuasive l’opération militaro-humanitaire Provide Comfort, une force multinationale est alors installée dans le nord de l’Irak, force qui se déplacera le 15 juillet à Silopi, au sud-est de la Turquie. Le 10 octobre, les troupes terrestres de la coalition occidentale (États-Unis, Grande-Bretagne, PaysBas, France, Italie et Turquie) quittent Silopi. La protection militaire des Kurdes irakiens est désormais assurée par la composante aérienne de la force d’intervention alliée basée à Incirlik. Les troupes irakiennes, qui coexistent avec les combattants kurdes dans la plupart des villes du nord, sont de loin les plus puissantes, mais elles se trouvent pratiquement paralysées par la downloadModeText.vue.download 263 sur 490 POLITIQUE 261 crainte d’une riposte alliée. Sur le plan politique, les négociations entamées en avril à Bagdad entre le président Saddam Hussein et le Front uni du Kurdistan en vue de trouver une nouvelle formule d’autonomie pour les Kurdes piétinent, le projet d’accord proposé par Bagdad ne faisant que des concessions de pure forme aux aspirations nationales des Kurdes, notamment en ce qui concerne le statut de Kirkouk. En se montrant intransigeants, les Irakiens espèrent diviser à la longue le Front uni du Kurdistan, dont les deux principales composantes – le Parti démocratique kurde (PDK), présidé par Massoud Barzani, et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), dirigée par Jallal Talabani – finissent effectivement par adopter des points de vue divergents sur les modalités de règlement du problème kurde. Profondément méfiant à l’égard des États-Unis et de l’Occident, et sceptique sur la volonté de ces derniers de se débarrasser rapidement de l’homme fort de Bagdad, M. Barzani souhaite arriver à un accord – même boiteux – avec le pouvoir central, afin de pouvoir normaliser la situation au Kurdistan avant l’arrivée de l’hiver. M. Talabani, pour sa part, écarte toute idée de compromis avec Bagdad en attendant la chute du régime, qu’il estime proche. L’alibi des États-Unis Mais l’établissement de la démocratie dans le monde arabe n’était pas un des objectifs de l’opération Tempête du désert. Dans l’émirat de Koweït libéré de l’occupation irakienne, les grandes promesses de démocratisation faites en octobre 1990 à Djeddah lors de la réunion de réconciliation qui avait regroupé la famille régnante des Sabah et l’opposition n’ont pas été respectées. Malgré les pressions des Américains, la famille royale continue à régner sans partage, à la grande satisfaction de l’Arabie Saoudite et des autres pétromonarchies du Golfe, qui redoutent plus que tout l’installation à leurs portes d’une monarchie libérale. En Arabie Saoudite même, les vagues promesses de libéralisation faites par le souverain wahhābite au cours de la crise sont oubliées une fois le danger écarté. En fait, malgré leur « victoire » sur l’ennemi irakien, les pétromonarchies, qui ont pour la première fois fait appel à des protecteurs étrangers pour se défendre contre un pays arabe tiers, sont sorties affaiblies de l’épreuve. La crise, qui a mis au jour leur vulnérabilité et leur totale incapacité à se défendre, a encore plus accentué leur dépendance à l’égard du « protecteur américain », sur lequel elles comptent pour assurer leur sécurité et qui s’efforce de conclure avec elles des accords de défense sur le modèle de celui que Washington a signé au début d’octobre avec l’émirat de Koweït. Le président Saddam Hussein, qui, en se lançant dans son aventure koweïtienne, s’était posé en libérateur du monde arabe et en pourfendeur de l’impérialisme américain, n’aura finalement réussi qu’à accentuer singulièrement la dépendance de celui-là à l’égard de l’étranger, c’est-àdire des États-Unis. Depuis la disparition de l’URSS en tant que superpuissance, l’Amérique, architecte du nouvel ordre mondial, a en effet les coudées franches pour imposer sa politique au ProcheOrient, avec ou sans le concours de l’ONU. L’Irak pour sa part, accablé de sanctions contraignantes imposées par les Nations unies mais qui font plus de mal au peuple qu’à ses dirigeants, isolé sur le plan arabe et international et constamment menacé d’une intervention militaire de la part des États-Unis, a ainsi été pratiquement placé sous la tutelle de la communauté internationale présidée par Washington. Cette situation durera downloadModeText.vue.download 264 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 262 « aussi longtemps que M. Saddam Hussein sera au pouvoir », ainsi que l’a proclamé à différentes reprises le président Bush. Comble de l’ironie, le maintien de l’homme fort de Bagdad, devenu désormais docile, à la tête de l’Irak, sert en définitive d’alibi aux États-Unis pour consolider leur mainmise sur le Proche-Orient. JEAN GUEYRAS Jean Gueyras est rédacteur au service de politique étrangère du Monde, où il est chargé du Moyen-Orient. downloadModeText.vue.download 265 sur 490 POLITIQUE 263 LE POINT SUR... AFRIQUE DU NORD Au début de l’année 1991, la guerre du Golfe domine l’actualité internationale. Le Maghreb n’est naturellement pas à l’abri des secousses politiques et économiques engendrées par l’attaque, le 17 janvier, de l’Irak par les forces armées occidentales. De Nouakchott à Tripoli, la rue plébiscite le président irakien, qui incarne le héros de l’arabisme et de l’islamisme. Partout, l’engagement de la France suscite la colère des populations. Au Maroc, où la présence en Arabie Saoudite de 1 200 soldats soulève de vives critiques, des dizaines de milliers de personnes se mobilisent à Rabat autour des partis d’opposition (3 février). En Algérie, les manifestations presque quotidiennes sont conduites par le FIS. Le gouvernement algérien, qui avait d’abord composé avec les islamistes – la loi controversée sur l’arabisation est promulguée le 16 janvier –, se trouve peu à peu engagé avec eux dans une épreuve de force. Le 25 mai, soit un mois avant les élections législatives, le FIS appelle à la grève générale illimitée. Les manifestations et la montée de la violence à Alger provoquent des affrontements mortels avec les forces de l’ordre (4 juin), le report des élections au 26 décembre, l’instauration de l’état de siège (5 juin) et la formation par Sid Ahmed Ghozali d’un gouvernement moins marqué par le FLN (18 juin). Alors que les émeutes se poursuivent, l’arrestation, le 30 juin, de centaines de cadres du FIS, dont Abassi Madani et Ali Benhadj, ramène le calme dans la capitale. Contrairement à son voisin, la Tunisie n’a jamais accepté de légaliser le mouvement islamique al-Nahda. Dès la fin de 1990, une centaine de ses cadres ont été arrêtés. Mais, répondant à l’appel du leader exilé Rached Ghannouchi, les jeunes militants entretiennent un climat de tension, notamment à l’université de Tunis, où des affrontements avec les forces de l’ordre font officiellement deux morts le 8 mai. Le 18 mai, 300 à 400 personnes, dont 100 officiers, sont arrêtées sous accusation de complot islamique. Pour le Maroc, 1991 est l’année du trentième anniversaire de l’accession au trône de Hassan II et aussi celle de la préparation, sous les auspices de l’ONU, du référendum d’autodétermination du Sahara occidental, prévu pour le début de 1992, et dont l’enjeu mobilise la vie politique et sociale. Sur le plan diplomatique, les relations avec la France sont encore difficiles. Au contentieux créé par l’affaire Perrault (septembre 1990) s’ajoute l’expulsion manquée hors de France de l’opposant Abdel Moumen Diouri (20 juin). Le souverain adopte cependant une série de mesures spectaculaires avec l’élargissement d’anciens prisonniers politiques. La libération de la famille Oufkir (3 mars) est suivie de celle de l’opposant communiste Abraham Serfaty (15 août). Après treize années de régime militaire, la Mauritanie s’ouvre au pluralisme politique pour s’acheminer vers un régime parlementaire et présidentiel, adopté le 12 juillet par un référendum constitutionnel. Le Maghreb est une région économiquement et politiquement fragile. La downloadModeText.vue.download 266 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 264 guerre du Golfe, avec la baisse des revenus touristiques qu’elle a entraînée, a pesé lourdement sur les économies. Mais les résultats sont particulièrement alarmants en Algérie : 23 % de chômeurs, près de 50 % d’inflation et surtout une dette extérieure évaluée à 25 milliards de dollars, dont les remboursements absorbent les trois quarts des recettes de l’État. Le nouveau gouvernement en appelle à l’aide internationale et envisage de vendre une partie des champs pétroliers d’Hassi Messaoud. Cependant, le pays est en train de se doter d’une puissance nucléaire avec l’achèvement prochain de la construction d’un réacteur en coopération avec la Chine. Dans ce contexte, l’avenir de la région passe probablement par celui de l’Union du Maghreb arabe et un renforcement des relations entre ses membres et l’Europe, méditerranéenne principalement. MARIE-ODILE SCHALLER AFRIQUE NOIRE Ouvert le 3 juin à Abuja, capitale fédé- rale du Nigeria, le 27e sommet de l’OUA a été marqué par la naissance d’une Communauté économique africaine, encore bien fictive, et surtout par la montée de l’inquiétude devant la remise en cause de l’unité territoriale en Somalie et en Éthiopie. Mais ce sont la fin des régimes à parti unique et la transition démocratique qui ont été au coeur des enjeux politiques de l’année. Transitions douces, pénibles accouchements La république des îles du Cap-Vert et celle de São Tomé et Príncipe ont donné, au premier trimestre, une leçon à tout le continent : les oppositions et leurs chefs ont remporté les élections pluralistes organisées par les ex-partis uniques au pouvoir depuis 1975. En Zambie, le 31 octobre, en choisissant Frederick Chilubé lors d’une compétition ouverte – nouveauté depuis 1972 –, les électeurs ont mis fin au règne de Kenneth Kaunda, qui durait depuis 1964. Au Bénin, où avait été mise en place une « Conférence nationale » dès 1990, Nicéphore Soglo a largement distancé l’ex-président Mathieu Kérékou lors des présidentielles de mars. Des élections ont également été organisées au Gabon, tandis que des substitutions « en douceur » étaient effectuées au Congo et au Niger. Les Conférences nationales – réunions des forces vives, politiques et sociales – ont fonctionné comme des assemblées souveraines dépossédant les chefs d’État du pouvoir, en attendant la tenue d’élections libres. En GuinéeBissau, en Guinée, en Sierra-Leone, en Centrafrique, le principe du multipartisme a été adopté, alors qu’au Sénégal le principal opposant au régime, Abdoulaye Wade, est entré au gouvernement. Mais à ces transitions « douces » s’opposent des accouchements douloureux. Il a fallu un coup d’État militaire au Mali en mars pour mettre fin aux sanglantes exactions du régime de Moussa Traoré, général-président cramponné à son trône. Toujours en mars, des manifestations ont été durement réprimées à Lomé (Togo) avant l’ouverture de la Conférence nationale (en juillet) qui a dépouillé le général Eyadema de ses prérogatives, mais, en octobre, une rébellion militaire a gravement menacé la démocratisation. À Madagascar, le rêve d’une révolution downloadModeText.vue.download 267 sur 490 POLITIQUE 265 tranquille s’est brisé, le 10 août, lorsque le président Ratsiraka a choisi de faire couler le sang, et la plus grande incertitude demeure, encouragée par l’ambiguïté de la diplomatie française. Le pire est survenu au Zaïre : engagé depuis avril 1990, le bras de fer entre le maréchal Mobutu et l’opposition s’est terminé en drame. Après une lueur d’espoir suscitée par la création d’un gouvernement d’union, le pays a basculé dans le chaos en septembre : émeutes, pillages de Kinshasa, Lumumbashi, Mbuji-Mayi, épanouissement d’une économie du racket, tout concourait à rendre la situation explosive et contraignait les Européens installés dans le pays à quitter les provinces dangereuses sous la protection des parachutistes français et belges. Les conditions se détériorent Dans la corne de l’Afrique, la Somalie a implosé et l’Éthiopie est au bord de la dislocation. Après la victoire militaire des rebelles somaliens et la fuite de Siyad Barre, qui dirigeait le pays depuis 1969 (janvier), les affrontements entre factions maquisardes n’ont pas cessé. Alors que la Somalie est menacée par la famine, les « nordistes » du MNS (Mouvement national somalien) ont fait sécession le 18 mai et proclamé la république du Somaliland. En Éthiopie, le colonel Mengistu, « négus rouge » régnant depuis 1974, est tombé en mai, victime de l’offensive des guérilleros érythréens et tigréens. Mêles Zenawi, chef du FDRPE (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien), a été élu président, pour deux ans par un Conseil national. Mais la question de l’unité nationale demeure posée : en autorisant un référendum d’autodétermination en Érythrée, les dirigeants ouvrent des perspectives aux autres périphéries de l’ancien empire, dont l’intégrité territoriale risque d’être réduite à l’état de souvenir. Alors que les conflits déchirent toujours le Soudan et le Liberia, les accords d’Estoril conclus le 1er mai, puis le cessez-le-feu en vigueur depuis le 15 mai, ont ramené la paix en Angola, où des présidentielles sont prévues en 1992. Au Mozambique, autre point chaud ancien, les négociations entre le gouvernement et la RENAMO se sont poursuivies. En Afrique du Sud, la loi sur les classifications raciales, dernier pilier juridique de l’apartheid, a été abrogée le 17 juin. L’accord de Genève du 16 août sur le rapatriement de 40 000 exilés, la décision des dirigeants du Commonwealth de lever partiellement les sanctions contre Pretoria, l’attribution du prix Nobel de littérature à Nadine Gordimer, chantre de l’antiracisme sont autant de signes encourageants. Mais le scandale de « l’Inkathagate » (financement du parti Inkatha, à dominante zouloue, par le pouvoir) et la poursuite des affrontements fratricides dans les townships montrent à quel point le chemin de la démocratie est difficile. Il l’est d’autant plus que les conditions économiques et sociales se détériorent : au terme d’une décennie perdue pour le développement, l’Afrique a été marginalisée dans les échanges internationaux (moins de 1 % du commerce mondial). Le continent est confronté à de graves problèmes sanitaires : choléra, paludisme et sida (40 millions d’adultes et d’enfants pourraient être séropositifs à l’horizon de l’an 2000) frappent durement les populations, et la mortalité infantile bat des downloadModeText.vue.download 268 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 266 records (300 ‰ au Mali ou au Mozambique). Aussi inquiétante est son accession au rang de plaque tournante du trafic de l’héroïne asiatique. Devenus des hauts lieux du blanchiment de l’argent de la drogue, certains pays (le Sénégal, la Côte-d’Ivoire, le Cameroun, le Gabon, le Nigeria, l’Égypte, le Kenya) sont intégrés dans des réseaux de narcotrafiquants. ALAIN DUBRESSON AMÉRIQUE DU NORD 1991 ne restera sans doute pas comme une grande année d’enthousiasme collectif pour le Canada. Avec une économie morose, un gouvernement en sérieuse baisse de popularité, le pays tout entier continue de se poser la lancinante question de son identité. La famille canadienne En juin 1990, lorsqu’avait été consommé l’échec de l’accord du lac Meech, passé entre les autorités fédérales et les autorités québécoises, le Premier ministre canadien, M. Brian Mulroney, avait créé une commission chargée de sonder la population sur sa vision de l’avenir de la nation. Un an plus tard, son président, M. Keith Spicer, a donné un avis mitigé. Il estime qu’il faut bel et bien « réinventer le Canada » et que cela passe par une réévaluation du statut du Québec. Ces propos ont pu sembler optimistes : en effet, quelques semaines auparavant, la Commission avait fait savoir que « les anglophones préféreraient se séparer du Québec plutôt que de lui accorder un statut spécial ». La politique du bilinguisme leur semblerait « coûteuse et inutile » ; ils rejetteraient même la notion de « deux peuples fondateurs » – les anglophones et les francophones –, puisqu’elle nierait l’existence antérieure des Amérindiens, qui représentent 700 000 personnes sur un total de 26 millions. Les autorités et la population québécoises pensent exactement le contraire. Pour reprendre l’initiative, le Premier ministre de la Belle Province a annoncé en mai l’organisation d’un référendum sur la souveraineté politique du Québec d’ici au 26 octobre 1992. Cette annonce a pour objet de placer le gouvernement fédéral face à un choix inévitable : soit la souveraineté du Québec, soit son maintien dans l’ensemble fédéral, mais à la condition que celui-ci soit profondément renouvelé et décentralisé. M. Mulroney a donc reconnu en septembre le « caractère distinct » du Québec, qu’il entend cependant « ramener dans la famille canadienne ». Mais le Premier ministre a d’autres soucis : en tout premier lieu, une récession économique jugée la plus grave depuis la crise de 1929. Pour ne rien arranger, les organisations internationales ont critiqué la politique monétaire du gouvernement, jugée trop restrictive et responsable de la montée du chômage. La langueur américaine Pour George Bush, l’année 1991 ressemble à un toboggan. Elle a commencé par un triomphe extérieur et une popularité au zénith ; elle se termine dans le doute et sur un sérieux repli autour des problèmes internes du pays. Après les succès dans le Golfe, le président pouvait déclarer « Nous nous downloadModeText.vue.download 269 sur 490 POLITIQUE 267 sommes débarrassés du syndrome vietnamien une fois pour toutes », et engranger à son propre crédit cette victoire collective sur les années noires. Les incessantes tournées de James Baker au Proche-Orient et la décision des ÉtatsUnis de procéder à un désarmement nucléaire unilatéral confirmaient la grande capacité diplomatique de l’administration républicaine. Vu de l’étranger, George Bush commençait à prendre ses galons de grand président. Mais, à l’intérieur, les choses se gâtaient. Les difficultés économiques et sociales, jusque-là largement occultées, refaisaient surface. Avec ce « retour du refoulé », les premières critiques sérieuses se faisaient entendre à rencontre de ce président toujours en voyage. « Come home, George » est un slogan démocrate qui fait mouche. De fait, l’économie américaine connaît une langueur durable ; on enregistre même un recul de 0,5 % de l’activité au deuxième trimestre. Les pays européens, qui escomptaient une reprise sérieuse des affaires aux États-Unis, sont préoccupés, mais l’opinion américaine aussi, qui compare ce bilan de l’administration Bush avec celui de l’ère Reagan, quand l’expansion dépassait régulièrement les 5 % annuels. Le chômage et la pauvreté sont les conséquences directes de la stagnation économique. L’un et l’autre progressent, et l’on ne compte pas moins de 33 millions de pauvres aux États-Unis, soit 13,5 % de la population. On a certes connu des chiffres équivalents quelques années auparavant, mais, aujourd’hui, ce sont les classes moyennes qui sont touchées. Trop aisées pour bénéficier des aides sociales, elles subissent de plein fouet le renchérissement des coûts, et notamment des coûts médicaux. La violence est une des autres plaies de la société américaine. Cette année, on a beaucoup parlé des « serial killers », ces assassins en série qui défraient la chronique par leur sadisme et par ce qu’ils révèlent de passion et de folie au plus profond de l’inconscient américain. Plus concrètement, on a également beaucoup évoqué la violence de la police, notamment à l’encontre des minorités ethniques. Un film réalisé par un amateur à Los Angeles et montrant le passage à tabac d’un automobiliste noir par une patrouille de policiers déchaînés a mis le feu aux poudres. À l’automne, les clignotants sont passés au rouge : baisse sensible de popularité du président, élection d’un sénateur démocrate en Pennsylvanie (un État qui votait républicain depuis près de trente ans...) et psychodrame collectif lié à la nomination du juge Clarence Thomas à la Cour suprême. Ce candidat, présenté par George Bush, avait le double avantage d’être noir et conservateur, mais, peu de temps avant sa nomination officielle, l’une de ses anciennes collaboratrices l’a accusé publiquement de harcèlement sexuel au travail. Suivit alors une série, largement diffusée, de séances publiques où ont été déballées de sordides affaires de moeurs au bureau. George Bush s’est battu pour son candidat qu’il a fini par imposer, mais il a perdu le soutien des organisations féministes. L’Amérique n’avait pas besoin de cette perte supplémentaire de confiance dans sa classe politique au moment même où deux livres faisaient l’effet d’une bombe downloadModeText.vue.download 270 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 268 en démontant le mythe de John Kennedy, accusé non seulement d’être un obsédé sexuel, mais, autrement plus grave, d’avoir été lié à la mafia. JULES CHANCEL AMÉRIQUE LATINE Entre la peste, la vieille peste brune des coups d’État militaires, et le choléra qui resurgit lui aussi du passé, l’Amérique latine semble régresser d’autant plus brutalement que l’élan progressiste de la décennie antérieure laissait au contraire présager une rupture définitive avec les échecs de l’Histoire. Une rupture qui paraissait solennellement proclamée par la Conférence de Guadalajara (Mexique) : pour la première fois dans l’histoire de l’Amérique latine, tous les chefs d’État présents devaient leur mandat à des élections libres..., le cas de Fidel Castro paraissant relever de l’exception propre à confirmer la règle. Une route étroite et menacée Le coup d’État militaire d’automne en Haïti, qui portait au pouvoir le général Cedras et contraignait à l’exil le président régulièrement élu à peine quelques mois plus tôt, remettait tout en question. L’ambiguïté de la réponse américaine, après une condamnation initiale, et l’inefficacité des réactions de l’OEA confirmaient l’échec de la démocratie. Accident de parcours, lié à la jeunesse de l’expérience démocratique haïtienne ou aux erreurs du père Aristide ? Simple parenthèse dans l’évolution générale ? Mais l’évolution vers la guerre civile est aussi plausible dans l’impasse actuelle, entre le refus d’une intervention extérieure et la force des militaires. Face aux avancées liées aux négociations proches d’aboutir entre les belligérants salvadoriens, mettant fin à plus de dix années de guerre civile, et face à l’apaisement de la « guerre de la drogue » en Colombie, après la reddition négociée – sans extradition – du principal parrain du cartel de Medellín, d’autres événements soulignent par ailleurs la fragilité de la paix et l’instabilité des tendances. La dégradation de la situation au Guatemala est inquiétante ; et bien davantage au Pérou, avec le contrôle de plus en plus total de la Sierra et la pénétration des guérillas dans les bidonvilles de Lima, Le conflit a déjà coûté 23 000 morts et 18 milliards de dollars. Entre une armée de 120 000 soldats et 5 000 guérilleros, le pays semble pris en otage. Quelle issue existe-t-il entre la dictature rouge promise par les extrémistes maoïstes du « Sentier lumineux » et l’état de guerre qu’engendrerait un retour au pouvoir des militaires ? Quelle est la marge de manoeuvre du président Fujimori, aux prises par ailleurs avec une économie en plein délabrement et avec le choléra ? Débarquée dans le port de Chimbote, en janvier, l’épidémie s’est rapidement répandue dans tout le Pérou, touchant 200 000 personnes et provoquant 1 200 décès. Franchissant les cordons sanitaires, elle s’étend aux États frontaliers, menaçant aujourd’hui l’ensemble de l’Amérique latine. Et, pourtant, médicalement, le fléau n’est pas mortel et n’a rien d’invincible. C’est la pauvreté qui tue. C’est l’absence d’hygiène qui fait le lit de la contagion. downloadModeText.vue.download 271 sur 490 POLITIQUE 269 Ce sont le dénuement, l’insuffisance ou l’incompétence des pouvoirs publics qui privent les victimes des quelques informations d’hygiène élémentaire, des quelques médicaments et de la simple réhydratation qui suffiraient à les sauver. Le choléra et la drogue suivent les mêmes routes et la même logique de misère. La violence, la corruption, le racisme, la guérilla s’interpénètrent de même, dans le cercle vicieux de l’échec économique et social dont l’Amérique latine n’arrive pas à sortir. La voie socialiste n’apparaît plus comme une solution : Cuba, privée des subventions soviétiques, s’enfonce dans le marasme et se trouve réduite au rationnement des produits de base. Seuls, quelques États émergent de la décennie perdue, bénéficiant, de manière parfois cumulative, comme le Mexique, de trois facteurs favorables au renouveau économique. Le pétrole, en premier lieu, grâce à ses cours raffermis par les événements du Golfe, apporte un regain de devises au Mexique, en Équateur, au Venezuela ; grâce aux ressources de la privatisation, en Argentine, et grâce aux nouvelles découvertes ou exploitations, en Colombie et au Venezuela. Les politiques libérales, en deuxième lieu, dont les résultats sont encore hésitants au Brésil, mais déjà en phase de réussite au Chili, au Mexique et même en Argentine, où le président Menem, revigoré par son bon choix dans le Golfe, fait remporter au parti péroniste d’importantes élections. Les intégrations enfin, qui, en se réactivant partout, dessinent de nouveaux marchés potentiels dans les Andes, le cône sud, les Caraïbes, l’Amérique centrale, et surtout le Nord, où les accords de Monterrey scellent l’engagement du Mexique sur la voie de l’intégration économique avec le Canada et les États-Unis. ALAIN VANNEPH downloadModeText.vue.download 272 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 270 SOCIÉTÉ Si l’on a pu dire en avril 1968 que la France « s’ennuyait », on ne sait quel euphémisme utiliser pour décrire le malaise actuel des Français. Car nul ne peut ignorer qu’ils se sentent de plus en plus mal dans une société qui engendre des inégalités, qui s’inquiète de son avenir et de son identité, qui s’interroge sur sa capacité (ou sa détermination) à trouver sa place dans une Europe aux contours encore flous et aux conséquences incertaines. Les manifestations de ce mécontentement sont apparues tout au long de cette année 1991. Dans la rue, où défilèrent tour à tour paysans, infirmières, médecins et autres catégories socioprofessionnelles moins revendicatrices comme les fonctionnaires, jusqu’aux policiers euxmêmes. Dans les médias, qui se sont fait l’écho (parfois sans doute le détonateur) des inquiétudes et des angoisses des banlieues ou des villes moyennes. Dans les conversations, où perçaient un malaise et une frustration réels, une rancune croissante tour à tour dirigée contre les hommes politiques, les casseurs, les faiseurs de grève, les médias ou les immigrés. Cette année aura été marquée dès les premiers jours par la guerre. Une expérience nouvelle et singulière d’un conflit à la fois éloigné et très proche, puisque présent sur tous les écrans et raconté minute après minute. Pour les Français, le choc a été considérable et l’on peut s’attendre qu’il dure longtemps. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les indicateurs économiques et sociologiques. La consommation a connu un ralentissement qui s’est prolongé bien au-delà de la fin de la guerre. Les produits dits « de luxe », qui avaient bénéficié d’une très forte croissance au cours des dernières années, ont subi de plein fouet ce changement brutal de comportement. Les marchés de l’immobilier, de l’art ou des actions se sont « dégonflés », entraînant des révisions sans doute nécessaires, mais parfois déchirantes. L’État en accusation Le sentiment de vide et de crainte laissé par la guerre a renforcé le pessimisme qui prévalait avant son déclenchement. L’image des institutions a connu une nouvelle dégradation, alimentée par un climat politique désastreux, à droite comme à gauche, un changement raté de gouvernement et le nouvel accroissement des ponctions sur le pouvoir d’achat. La multiplication des « affaires » a évidemment largement contribué à cette dévaluation de l’ensemble de la classe politique, à l’exception des écologistes et des extrémistes de droite, devenus les deux pôles de l’idéologie contemporaine. Il sera bien difficile aux partis de se remettre du scandale des transfusions sanguines car il est d’une autre nature que les affaires habituelles : il n’est plus ici question de gaspillage de l’argent public, mais de la vie de milliers de personnes, victimes de ce que l’on est tenté de qualifier d’homicide perpétré par l’État. Le divorce est donc patent entre les citoyens et leurs élus ; il est prononcé pour faute grave. Les conséquences en seront visibles lors des prochaines consultations électorales. downloadModeText.vue.download 273 sur 490 SOCIÉTÉ 271 Les médias décrédibilisés La « drôle de guerre » du Golfe aura aussi agi comme un révélateur de certains dysfonctionnements. Les Français ont pu en particulier juger de l’importance des médias, qui ont joué un rôle sans doute aussi déterminant que celui des avions furtifs ou des missiles Patriot. Ils ont pu en même temps comprendre que les médias ne rendaient pas compte de la « réalité ». D’abord parce que celle-ci leur était délibérément cachée par les états-majors ; mais, aussi, d’une manière plus générale, parce que la nature du système médiatique (férocement concurrentiel) impose de privilégier certains aspects de la réalité plutôt que d’autres et de les « mettre en scène », qu’il s’agisse de couvrir les événements de Roumanie ou de faire couler l’émotion à flots dans les émissions de variétés et autres Téléthon. Le degré de confiance envers la télévision ou la presse a donc connu un mouvement de baisse comparable à celui que connaissent toutes les institutions publiques ou privées (à l’exception, notable, de l’entreprise). Sport et nationalisme Il aura fallu attendre la fin de l’année pour retrouver quelques raisons d’espérer. C’est avec un enthousiasme d’autant plus fort qu’il avait été longtemps refoulé que les Français ont salué les exploits de quelques sportifs : d’Aboville le solitaire, mais aussi Platini et son équipe invaincue à l’issue des éliminatoires de l’Euro 92. Et, surtout, Noah et sa bande, qui offraient la Coupe Davis à la France après plus d’un demi-siècle d’une attente toujours déçue. Il faut cependant reconnaître que le triomphe fait aux protagonistes de cette belle victoire ne se situait pas seulement (pas tellement) au plan sportif. Il récompensait le message d’espoir reçu par des Français malheureux et frustrés de l’insupportable absence de la France dans le monde. La fin de l’« exception française », qu’elle s’applique au domaine économique, politique, sportif ou culturel, est en effet ressentie par le citoyen de base comme un échec plutôt que comme une opportunité. L’épisode de la Coupe Davis, s’il traduit un retour en grâce de l’équipe par rapport à l’individu-roi des années 80, présente aussi un aspect moins sympathique, celui d’un risque de dérive nationaliste, attesté par l’attitude du public pendant les matches et les commentaires qui ont suivi. À un an de l’échéance du Marché unique et des perspectives d’une Europe monétaire et politique, ce risque est évidemment à prendre au sérieux. Un nombre croissant de Français semble en effet confondre solidarité nationale et nationalisme lorsqu’il s’agit de répondre aux grands défis de l’entrée dans le troisième millénaire, oubliant que le nationalisme justifie le populisme, sur lequel s’appuie toute l’extrême droite européenne. Changement de société Même si les indices ne manquaient pas depuis quelques années pour prédire un retournement des attitudes, c’est incontestablement en 1991 que celui-ci s’est produit avec le plus d’évidence. Beaucoup ont commencé à sentir, plus ou moins confusément, ce changement de downloadModeText.vue.download 274 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 272 cap. Certains magazines ont parlé de « la fin de la société de consommation » (l’Express, 6 novembre) ou de « la fin des années-frime » (le Point, 16 novembre). Il est clair que cette année peut être considérée comme la fin d’une époque, bien que le mouvement ait débuté depuis plus de vingt ans, au milieu des années 60, lorsque les Français ont pris conscience du piège matérialiste qui leur était tendu par la société industrielle. Même si bien peu en sont aujourd’hui conscients, la société est toujours portée par cette lame de fond. Les années 70 et la première moitié des années 80 n’auront été en fait qu’une parenthèse, provoquée par la crise pétrolière. Mais les revendications essentielles n’ont pas changé ; elles se sont même renforcées au fil des années. On peut les résumer simplement en disant que les Français souhaitent un « supplément d’âme », tant dans leur vie individuelle que collective. C’est le sens qu’il faut donner aux attentes de plus en plus nettes d’humanisme, d’authenticité, de fidélité, de spiritualité, que l’on voit s’exprimer aujourd’hui. Bien sûr, l’expression de ces besoins est encore imprécise, souvent maladroite, parfois dangereuse lorsqu’elle prend les formes de l’intégrisme. En tout cas, le temps du consensus mou et de la « softidéologie » apparaît révolu. Chacun devra se déterminer sur les grandes questions qui concernent son avenir et celui de la collectivité : l’Europe, l’immigration, la politique, le partage et la solidarité. Ces choix sont rendus nécessaires par l’absence ou l’incapacité croissante des institutions. Ils seront difficiles et donneront lieu à des débats d’autant plus douloureux qu’ils ont été tardivement ouverts. Il faut savoir que le retournement en cours n’est rien de moins qu’un changement d’état de la société, de ses valeurs et de sa vision du monde. Ses effets se feront encore sentir pendant quelques années et ce n’est pas le retour, tant attendu, de la croissance économique en provenance des États-Unis qui pourra éviter aux Français de le suivre et, parfois, de le subir. Car l’économie n’est plus aujourd’hui une cause mais une conséquence de l’état de la psychologie collective. L’ère moderne, parfois drôlement baptisée « postmoderne », était née avec l’abondance économique et le développement technique. Elle était caractérisée par la recherche du plaisir immédiat et la conviction que la vie pouvait (devait) être une fête, rendue possible par l’intelligence des hommes. Elle était centrée sur l’argent, devenu le seul étalon de mesure de la valeur des objets et des individus. Les dernières années ont fait voler le rêve matérialiste en éclats. L’abondance économique engendre l’inégalité, entre les pays et à l’intérieur de chacun d’eux. Le progrès technique est à l’origine des menaces qui pèsent sur la survie du monde et la nature humaine n’a pas progressé. La leçon a été comprise en 1991. C’est pourquoi elle restera comme l’année du retournement. GÉRARD MERMET downloadModeText.vue.download 275 sur 490 SOCIÉTÉ 273 BANLIEUES : L’INTIFADA ? Pour les Français, 1991 n’aura pas été l’année du Golfe ou de la fin de l’URSS, mais celle des banlieues, qui se sont enflammées dès le mois de janvier. Le feu ainsi déclaré pourra-t-il être éteint rapidement, ou doiton redouter des explosions de plus en plus fréquentes et violentes ? Huit janvier 1991. Vaulx-en-Velin. Une cinquantaine de jeunes gens harcèlent les forces de l’ordre jusque tard dans la nuit. Ce sont les premiers incidents depuis les émeutes qui, au mois d’octobre précédent, ont suivi la mort de Thomas Claudio, un jeune motocycliste heurté par un véhicule de police. Les premiers d’une longue série. Car le feu couve toujours au Mas-du-Taureau, ce quartier de la région lyonnaise devenu contre son gré le symbole du malaise des banlieues. Un nouveau genre de rodéo – l’art de semer le désordre à bord de voitures volées – y a fait son apparition : les chauffards prennent en chasse des véhicules de police, forcent des barrages, percutent des vitrines de magasin en marche arrière. Les rodéos de Vaulxen-Velin rythment ainsi le tempo d’une jeunesse sans avenir sur laquelle se penchent, avec une curiosité d’entomologiste, les médias, les sociologues et les pouvoirs publics. La cage à fauves Trente ans après leur naissance, les grands ensembles sont désormais un repoussoir. Et leur mal de vivre, l’un des problèmes majeurs de la société française. Quatre cents quartiers à « risques » ont été officiellement recensés par l’administration. Construites à la hâte, ces cités bétonnées « se sont juxtaposées au tissu ancien des centres-villes et des zones pavillonnaires sans que la greffe n’ait jamais pris », note une étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région Île-de-France (IAURIF). Un tiers des grands ensembles concernés se situe à plus de deux kilomètres du centre-ville ; la plupart sont entourés de terrains vagues ou de zones industrielles et coupés du reste de la commune par des voies ferrées ou des noeuds routiers. Moins de la moitié bénéficient d’une desserte d’autobus en soirée, alors qu’ils se trouvent à des kilomètres des gares. Principales caractéristiques sociales des quartiers en difficulté : un taux de chômage souvent supérieur à 20 %, une forte proportion d’immigrés, l’extrême jeunesse des habitants dont près de 40 % ont moins de vingt ans. Ces derniers sont pour la plupart en situation d’échec scolaire : un jeune sur deux quitte l’école sans un diplôme en poche. Lorsque les maux s’accumulent, la cité se referme peu à peu sur elle-même et menace de basculer dans l’antimodèle : les ghettos à l’américaine. Interdits de séjour, les policiers n’y pénètrent qu’avec réticence. Car une petite étincelle suffit à mettre le feu aux poudres. La Cité des Indes – sept tours où s’entassent 6 600 personnes –, à Sartrouville (Yvelines), s’est enflammée le 26 mars après la mort de Djemel Chettouh, un Maghrébin de dix-huit ans, abattu d’un coup de fusil à pompe par le downloadModeText.vue.download 276 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 274 vigile d’un centre commercial à la suite d’une altercation. Dès l’annonce de sa mort, des centaines de jeunes affrontent les policiers aux abords des lieux du meurtre. Des voitures sont incendiées. Quarante-huit heures plus tard, une nouvelle émeute éclate, cette fois dans le centre de la localité. Les cocktails Molotov pleuvent sur la mairie. Un magasin de meubles est réduit en cendres. Les CRS sont débordés par des groupes in- contrôlés. Pris à partie par des jeunes en colère, le maire, Laurent Wetzel, est difficilement dégagé par les forces de l’ordre. Bilan de cette nuit de violence : sept blessés, dont cinq CRS et deux manifestants. Le lendemain, une marche silencieuse à la mémoire du jeune beur assassiné rassemble plus d’un millier de personnes. Soudés par le désir de vengeance, les jeunes n’ont, disent-ils, supporté ni la réouverture rapide du centre Euromarché qui employait le vigile ni les propos du maire qui réclamait une intervention plus musclée des policiers. Mais c’est aussi le sentiment unanimement partagé d’impasse sociale qui exacerbe leur révolte. La tension persiste durant près d’un mois, malgré les tentatives de concertation engagées par Michel Delebarre, le ministre de la Ville et de l’Aménagement du territoire. Ce dernier s’engage à réhabiliter trois cents logements de la Cité des Indes au cours de l’année, à accentuer le soutien scolaire, à construire une salle destinée aux jeunes et à supprimer… le passage grillagé qui conduit de la cité au centre commercial et qui ressemble, assure le ministre, à « une entrée de cage à fauves ». L’engrenage Principal lieu de vie des cités, les centres commerciaux attirent comme un aimant les jeunes qui viennent y traîner leur ennui. C’est également le point de convergence des bandes. Selon une enquête de la Direction centrale des polices urbaines (DCPU), une moyenne de trois incidents graves se produit chaque semaine dans les banlieues aux alentours de ces temples de la consommation. Le rapport recense trois types d’agressions : les razzias, les combats entre bandes rivales et les affrontements entre les vigiles et les jeunes des cités proches des commerces. Les razzias visent en priorité les magasins de disques et les boutiques de prêtà-porter avec une prédilection pour les marques prestigieuses. Le visage masqué par des foulards, les membres des commandos passent à l’action munis de battes de base-ball. Lorsque deux bandes se croisent, les parvis des centres commerciaux se transforment parfois en arènes sanglantes. Les tensions entre les agents de sécurité des sociétés de gardiennage et les désoeuvrés dégénèrent, elles aussi, de plus en plus fréquemment. Mal formés, souvent armés sans autorisation, les vigiles éprouvent des difficultés à maîtriser leurs nerfs soumis à rude épreuve. Aux Ulis (Essonne), trois d’entre eux sont blessés au cours d’affrontements le 8 mai. « La ville est morte le soir. Seul le centre commercial reste ouvert jusqu’à 22 heures. Alors on vient y traîner », explique, après les heurts, Abdel, vingt ans, le visage camouflé par un foulard palestinien. Pressé de questions, il compare Euromarché aux territoires occupés et les vigiles à l’occupant israélien. downloadModeText.vue.download 277 sur 490 SOCIÉTÉ 275 « Les prisons sont remplies de jeunes des cités alors que les tueurs de beurs sont remis en liberté », peste-t-il en rêvant à haute voix à l’intifada, à cette guerre des pierres menée là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée. Confrontés à cette montée de la violence, les commissaires de police tirent le signal d’alarme dès le mois d’avril. « La loi républicaine ne s’applique plus dans les banlieues avec la même rigueur que dans le reste du territoire national », déplore leur syndicat. Les commissaires dressent un constat d’échec d’autant plus sévère que dans les quartiers difficiles les « keufs » jouent le rôle de boucs émissaires. Incapable de prévenir les maladies, le corps social s’en remet aux policiers, l’une des dernières institutions avec l’Éducation nationale à fonctionner tant bien que mal dans les cités à la dérive. Mais que peuvent-ils faire ? Dans la couronne parisienne, leurs effectifs diminuent comme une peau de chagrin par le jeu des congés, des récupérations, des horaires réduits et du travail administratif. Pour sept policiers sur le papier, on n’en trouve qu’un sur le terrain. De plus, leur nombre n’a pas suivi la courbe démographique ascendante de la banlieue : si le 1er arrondissement de Paris compte 460 policiers pour 18 000 habitants, La Courneuve (Seine-Saint-Denis) n’en a que 98 pour 55 000 habitants. L’engrenage de violence tant redouté se produit à Mantes-la-Jolie, où, en trois semaines, trois personnes trouvent la mort. Tout commence le 24 mai par le pillage du centre commercial du ValFourré, un quartier considéré comme la plus grande ZUP de France. Les CRS interviennent et procèdent à des interpellations. Parmi les jeunes ainsi emmenés se trouve Aïssa Ihich, dix-huit ans, qui décède quarante-huit heures plus tard des suites d’une crise d’asthme à l’issue de sa garde à vue. La polémique s’engage sur la responsabilité des fonctionnaires du commissariat local. La cité est en ébullition. Et une annexe de la mairie est attaquée par de jeunes manifestants : l’entrée du bâtiment municipal est défoncée par une voiture. Dans la nuit du 8 au 9 juin, une coursepoursuite entre policiers et voyous tourne au bain de sang. Une femme gardien de la paix, Marie-Christine Baillet, est écrasée par un véhicule ayant délibérément foncé sur elle. Et une jeune Algérien, Youssef Khaïf, est abattu par un membre des forces de l’ordre. Les syndicats de policiers dénoncent alors l’absence de « consignes claires » pour maintenir l’ordre dans les quartiers difficiles. La police est à son tour prise d’un accès de fièvre. Plusieurs milliers de « képis » défilent en silence dans les rues du vieux bourg, aux côtés de la population locale. Philippe Marchand, le ministre de l’Intérieur, est catégorique sur les origines du drame : « C’est un acte de grande délinquance. » « Si l’on veut éviter la formation de mini-Bronx, il faut séparer les voyous de la grande masse des jeunes qui relèvent simplement d’autres institutions », martèle Jean-Pierre Havrin, le secrétaire général du Syndicat des commissaires. Après avoir penché pendant de longues années dans le sens de la prévention, le balancier des policiers semble désormais aller vers une répression « intelligente », qui leur paraît plus appropriée à la situation. downloadModeText.vue.download 278 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 276 Le fossé se creuse Les événements de Mantes ont, il est vrai, désarçonné les pouvoirs publics. Ausculté, passé au crible d’un audit, le quartier faisait l’objet d’une attention municipale soutenue. Des sociologues avaient même classé les jeunes en deux catégories : « les révoltés doux qui évacuent leur agressivité dans le rap et le tag » et « les révoltés violents nourris à la culture de l’intifada que le moindre incident met en rage ». Depuis dix ans, d’importants programmes de réhabilitation des logements du Val-Fourré avaient été entrepris. Ils étaient complétés par l’arsenal classique des mesures d’insertion en faveur des étrangers, des actions sociales et des animations culturelles. Et si le problème se situait ailleurs ? s’interroge pour sa part Christian Jelen dans un livre intitulé Ils feront de bons Français. Selon lui, les événements de Mantes-la-Jolie ou de Vaulx-en-Velin sont liés aux soubresauts de l’intégration en voie de réussite d’une vague d’immigrés qui produit inévitablement une downloadModeText.vue.download 279 sur 490 SOCIÉTÉ 277 frange de ratés. Ces ratés, ce sont les casseurs. Presque tous, on le sait, sont des adolescents en rupture scolaire. « Nous assistons en fait à une crise de l’autorité parentale. De là découlent la scolarisation insuffisante, le chômage, la délinquance, la drogue et l’exclusion. Au vrai sens du terme », conclut Jelen. Confronté à la montée des violences, le gouvernement annonce le 12 juin un Plan d’urgence pour les banlieues. Il promet de construire des équipements sportifs et culturels et propose aux jeunes des cités des séjours de vacances à la campagne. La loi d’orientation pour la Ville est adoptée dans la foulée par l’Assemblée nationale. Son objectif : briser la logique de formation des concentrations urbaines excessives. Les futurs logements seront répartis sur l’ensemble des communes où le besoin existe afin d’assurer par ce saupoudrage un métissage social. Les municipalités devront se grouper pour élaborer des programmes locaux d’habitat. Les ZUP, zones d’urbanisme prioritaire, sont supprimées. Et un dispositif contraint les constructeurs privés à participer à la diversité de l’habitat. Parallèlement, le ministère de la Ville poursuit sa politique de réhabilitation des quatre cents cités difficiles où sont relégués les exclus du développement économique. On s’interroge également sur les raisons de l’échec de la politique menée au cours des dernières années. Pourquoi les efforts de ceux qui combattent sur le terrain le mal des grands ensembles n’ontils pas abouti ? Quelles réformes mettre en oeuvre ? Commandé par le ministre de la Ville, le rapport Delarue relève qu’une « foule de gens s’occupent des banlieues, mais dans un enchevêtrement de compétences », d’où « une perte d’efficacité importante ». Il propose l’élection au suffrage universel de Conseils de cité. Mais de nouveaux nuages s’annoncent à l’horizon. Les clignotants passent en effet au rouge dans d’autres quartiers jusque-là épargnés, où les familles souvent étrangères se sont endettées pour accéder à la propriété et n’arrivent plus à entretenir les locaux. Les espaces verts sont à l’abandon et les services sociaux submergés de demandes d’aide qui proviennent de toutes parts. Des communautés portugaises, turques ou africaines, toutes repliées sur elles-mêmes, se forment. Bref, un nouveau front apparaît dans la bataille des banlieues comme si le fossé séparant exclus et nantis, immigrés et nationaux s’était encore creusé, traduisant ainsi à l’échelle de l’Hexagone le fameux clivage Nord-Sud. THIERRY OBERLÉ Attaché au service Société du Figaro, Thierry Oberlé est spécialisé dans les questions de banlieues. downloadModeText.vue.download 280 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 278 LE POINT SUR... POPULATION Stabilité de la natalité et de la fécondité ; baisse continue de la mortalité, avec maintien de la différence élevée en faveur des femmes ; poursuite de la légère re- montée du nombre de mariages, amorcée en 1987, et due à des « régularisations » de couples déjà constitués : telles sont les conclusions que l’on peut tirer de la « santé » de la population en 1991. Le mariage n’est plus l’acte fondateur des unions, mais tend à être célébré en cours de vie commune, souvent pour des besoins administratifs ou bancaires. Ce retard, lié au chômage, du « calendrier » de la constitution et de l’agrandissement des familles, pèse sur la natalité. Si la confiance en l’avenir se rétablit, on verra rajeunir à nouveau les âges de la mise en couple, du mariage et de la naissance de deux ou trois enfants successifs. On enregistrerait alors, sans augmentation de la « descendance finale », une hausse de la fécondité du moment, qui pourrait retrouver le niveau symbolique de deux enfants par femme, comme en Suède et aux États-Unis. Cela ne suffirait certes pas à supprimer l’écart de fécondité avec les pays pauvres, qui tend cependant à diminuer sérieusement, du fait de la baisse constatée un peu partout, dans le Sud-Est asiatique comme en Amérique latine, et même dans le monde arabe et musulman. La fécondité moyenne du monde développé et du monde en développement, respectivement de 2,0 et de 4,4 enfants par femme en 1980, est actuellement estimée à 1,9 et 3,9. Seule l’Afrique noire, accablée par une situation alimentaire et sanitaire désastreuse, reste à l’écart de ce mouvement planétaire. La pression migratoire, souvent reliée aux écarts de fécondité, l’est en fait aux conditions économiques et sociopolitiques des pays de départ et d’accueil. Un pays du Nord, l’Union soviétique, a ainsi perdu plusieurs centaines de milliers d’émigrants partis vers un pays du Sud, Israël, pour d’autres raisons que des différences inexistantes de fécondité. La possibilité de mouvements analogues, de l’Est vers l’Ouest de l’Europe, examinée par le Congrès européen de démographie de Paris (23-27 octobre), et rendue crédible par les boat-people albanais expulsés d’Italie, est devenue, bon gré mal gré, un élément du marchandage économicopolitique sur les formes, l’importance et la répartition de l’aide occidentale, sollicitée de tous côtés, Est et Sud. En France, toute idée d’ouverture des frontières aux marchandises et aux hommes se heurte à un protectionnisme frileux qui trouve argument dans le niveau très élevé du chômage. Les résultats du recensement de 1990, publiés en juin, ont fait état de 2 733 000 chômeurs, 31 % de plus qu’en 1982. Les départements frontaliers d’industries mécaniques, de la Savoie à la Franche-Comté et à l’Alsace, ont mieux tiré leur épingle du jeu que ceux du Nord et de la Lorraine, en cours de reconversion, et que le Midi viticole, désorienté entre les activités de matière grise et le « boom » du béton. Mais le chômage et l’emploi n’ont pas forcément des évolutions opposées : là où se créent des emplois se crée aussi de la demande d’emploi, qui peut excéder l’offre. En Seine-etdownloadModeText.vue.download 281 sur 490 SOCIÉTÉ 279 Marne, les chantiers d’Euro-Disneyland et de l’Est parisien ont attiré du monde, créé des emplois... et du chômage. Une profonde réforme fiscale, qui abaisserait à la fois le seuil de l’imposition directe et le niveau des cotisations sur salaire, pourrait relancer l’embauche de personnel peu qualifié, et, à terme, la nuptialité et la natalité. Michel Rocard l’avait engagée, avec le « déplafonnement » de la cotisation d’allocations familiales et la création de la CSG (cotisation sociale généralisée). Mais il a été remercié, après trois ans de contraintes intérieures et extérieures, sans avoir pu la mener à bien ni su l’expliquer aux Français. Une grande politique de la population impliquerait redéploiement du prélèvement fiscal et social, adaptation de la laïcité républicaine au cas musulman, et aménagement du territoire grâce aux moyens modernes de communication. MICHEL LOUIS LÉVY RELIGIONS Église catholique Au cours de L’année, le pape rend publiques deux encycliques. Avec Redemp- toris missio (22 janvier), Jean-Paul II attire l’attention des catholiques sur « la valeur permanente du précepte missionnaire » dans l’Église, celle-ci étant non seulement le « sacrement de salut pour toute l’humanité », mais l’institution chargée, en priorité, de lutter contre « la tentation de réduire le christianisme à une sagesse purement humaine, en quelque sorte une science pour bien vivre ». L’encyclique Centesimus annus (15 mai) est publiée cent ans, jour pour jour, après Rerum novarum de Léon XIII sur la condition des ouvriers. Dépassant cette question, Jean-Paul II se livre à une synthèse du problème social tel qu’il se pose aujourd’hui, dans sa diversité complexe et sa dimension internationale. Tout en se félicitant de l’échec du « socialisme réel » (le marxisme-léninisme), notamment en Europe orientale et centrale, le pape désigne les tares du capitalisme libéral, qui a constamment tendance à déraper aux dépens des principes éthiques qui sauvegardent la vocation transcendante de l’homme. Quant à l’Église, elle n’a pas de modèle à proposer à la société bouleversée de la fin du XXe siècle, mais une orientation intellectuelle indispensable qui permette aux hommes responsables de construire des systèmes efficaces adaptés aux situations géographiques et historiques. Cet enseignement, Jean-Paul II le dispense au cours de quatre nouveaux voyages. Le 10 mai, il entame à Lisbonne sa seconde visite au Portugal. La principale étape de ce périple – qui le conduit aux Açores et à Madère – est Fatima, centre de pèlerinage marial de rayonnement international où, en mai 1917, trois enfants reçurent de la Vierge, qui leur apparut, trois secrets relatifs au sort du monde contemporain. Du 1er au 9 juin, Jean-Paul II rencontre chez eux, pour la quatrième fois, ses compatriotes polonais. C’est la Pologne de Lech Walesa, du postcommunisme, en proie aux difficultés nouvelles d’une formidable mutation politique, économique, sociale et culturelle. Dans ses interventions publiques, le pape met l’accent sur la nécessité d’une régénération morale non seulement de la Pologne, mais de toute l’Europe, menacée downloadModeText.vue.download 282 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 280 par les effets pervers du libéralisme et de l’hédonisme. Cet appel général à la reconstruction d’une Europe chrétienne – en fait catholique –, le souverain pontife le lance le 15 août d’une manière plus solennelle et plus médiatique à un million déjeunes venus de partout – y compris d’URSS – rassemblés à Czestochova, haut lieu du culte marial et du catholicisme polonais. De là, le pape gagne la Hongrie où, du 16 au 20 août, il parcourt un pays désorienté par quarante ans de communisme. Tout en se portant garant de la liberté, le pape demande aux Hongrois de considérer l’Église comme un centre non de pouvoir, mais de service. Dans le même temps, il appelle les hommes au respect des minorités, et plaide pour l’indépendance de la Croatie. Lorsque, le 14 octobre, Jean-Paul II amorce un nouveau séjour au Brésil – il durera dix jours –, il sait qu’il va trouver une Église déchirée entre les éléments conservateurs et un clergé engagé aux côtés d’une population sur qui pèsent toujours aussi lourdement la pauvreté et le joug des oligarchies. Après le décès, le 25 mars, à Martigny, près d’Écône (Suisse), de Mgr Marcel Lefebvre, principale personnalité du plus fort courant traditionaliste – dit « intégriste » –, qui ne s’était pas réconcilié avec Rome, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, qu’il a fondée, et qui a pour supérieur général l’abbé Franz Schmidberger, revendique 4 (puis 5) évêques, 239 prêtres et 230 séminaristes. OEcuménisme Depuis l’effondrement du communisme en URSS et le vote, dans ce pays, de la loi sur la liberté religieuse, le dialogue entre catholiques et orthodoxes est paralysé par la résurgence de la question des uniates, intégrés malgré eux à l’orthodoxie, et par le réveil de la très ancienne crainte d’une reconquête, par l’Église catholique, des territoires chrétiens qui, au cours de l’histoire, ont échappé à l’autorité de Rome. Les obstacles au développement de l’oecuménisme se manifestent également lors de la 7e Assemblée oecuménique mondiale du Conseil des Églises chrétiennes qui, du 7 au 20 février, à Canberra, réunit 826 délégués représentant 317 Églises orthodoxes et protestantes. C’est que, au sein des Églises du tiersmonde, se fortifie un courant favorable à une théologie « contextuelle » qui leur permettrait d’interpréter l’Évangile à travers leurs habitudes culturelles. Islam Contrairement aux prévisions pessimistes, la guerre du Golfe, loin de rompre les liens entre les trois grandes religions monothéistes, aide à renforcer le dialogue interreligieux. En de multiples endroits – à commencer par Rome, où l’on craint que la « Pax americana » ne provoque une cassure Occident-Orient –, des cérémonies de prières rassemblent chrétiens, juifs et musulmans. Judaïsme Les premières assises nationales du judaïsme laïque et humaniste se tiennent à Paris les 6 et 7 avril. Les congressistes entendent réagir contre le repli religieux qu’ils perçoivent au sein de la communauté juive. Le 5 mai, Jean Kahn est élu à la tête du Congrès juif européen, créé downloadModeText.vue.download 283 sur 490 SOCIÉTÉ 281 en 1986 et affilié au Congrès juif mondial. PIERRE PIERRARD JUSTICE « 1991, année de la justice » avait promis M. Michel Rocard en février 1990. Les faits auront bien démenti les propos du Premier ministre du moment. La chancellerie n’a pas échappé aux conséquences budgétaires de la « guerre du Golfe » : sa dotation, qui ne répondait déjà pas aux attentes des professionnels, a renoué avec une vieille tradition de pénurie. Au sur- plus, au 30 juin, on attendait encore le déblocage par le ministère du Budget des crédits d’investissements préservés. Avec 19 milliards de francs (60 % du budget des Anciens Combattants), le budget de la Justice ne progressera en 1992 que de 4,8 %. D’évidence, cette augmentation ne permettra pas de restaurer l’autorité judiciaire compte tenu de son état de délabrement. D’ores et déjà, avec seulement dix nouveaux emplois de magistrats et cent de greffiers, soit un demiposte par juridiction..., l’objectif du programme pluriannuel d’équipement n’est pas respecté. Comment ainsi « réduire les délais de jugement » et « améliorer l’accueil du justiciable », comme l’avait annoncé le gouvernement ? De la timidité… Le rapport de la commission de contrôle du Sénat, rendu public le 11 juin, dénonce clairement « l’abandon » de l’institution judiciaire par le pouvoir exécutif. Diagnostic impartial d’un organisme asphyxié, il propose un ensemble cohérent de solutions : accroissement des moyens, réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), redéfinition du champ d’intervention du magistrat, rattachement de la police judiciaire à la Chancellerie... Le garde des Sceaux, Henri Nallet, et son ministre délégué, Michel Sapin, en retiennent une réforme particulière, la départementalisation. Ils en font le support d’un « ambitieux plan de modernisation de l’institution judiciaire » adopté le 12 juin par le Conseil des ministres. Sans réformer la carte judiciaire française, le projet entend créer un tribunal départemental avec trois objectifs : renforcer l’autorité de l’institution judiciaire vis-à-vis de ses interlocuteurs – élus locaux et administrations d’État ou décentralisées – ; permettre aux parquets d’exercer l’action publique dans de meilleures conditions ; enfin, fournir « un cadre efficace à la gestion déconcentrée des moyens de la justice. » Les trois organisations professionnelles de magistrats (APM, USM et SM) s’inquiètent alors unanimement de la « préfectoralisation » de la Justice. À leurs yeux, la réforme renforcera d’autant moins l’autorité judiciaire face au repré- sentant du gouvernement dans le département qu’au même moment, la départementalisation de la police viendra faciliter l’emprise de l’administration sur les services de la police judiciaire. La journée de concertation organisée le 25 octobre par la Chancellerie se heurte donc au boycottage de ces trois organisations. Si M. Nallet a rencontré un accueil favorable de la part des professionnels avec sa réforme de l’aide légale – devenue la loi du 10 juillet 1991 –, qui élargit notablement le nombre de foyers fiscaux auxquels l’aide sera accessible, il n’a guère convaincu avec ses projets réformateurs downloadModeText.vue.download 284 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 282 présentés en Conseil des ministres le 10 avril. Leur timidité ayant déçu de nombreux magistrats, l’Association professionnelle et le Syndicat de la magistrature se sont entendus pour appeler à une journée d’action le 16 mai. La rénovation du statut des magistrats porte sur le recrutement, voulu plus large, par le biais d’un troisième concours d’accès à l’ENM et le développement des « passerelles » entre le corps judiciaire et la fonction publique. Quant à l’organisation de la carrière, le projet supprime partiellement la liaison entre le grade et la fonction et remplace la notation des magistrats par une « évaluation ». Il remet la désignation de leurs représentants à la commission d’avancement aux magistrats eux-mêmes. Le second avant-projet de loi organique porte sur le Conseil supérieur de la magistrature. Sa composition reste inchangée ; ses pouvoirs en matière de nomination sont modifiés par l’octroi de l’avis conforme, au lieu et place de l’avis simple, et par quelques mesures accessoires. Lors de ses états généraux consacrés le 22 mai à la Justice, l’opposition réplique en présentant un programme ambitieux de réformes constitutionnelles pour assurer à l’autorité judiciaire une indépendance « complète et effective ». ...à la morosité C’est aussi la volonté proclamée par M. Nallet, alors ministre du cabinet Rocard, en annonçant ses projets en avril. Mais l’opinion ne retient que les vives turbulences politiques déclenchées à ce moment par l’ « affaire Jean-Pierre » et qui malmènent en premier lieu le garde des Sceaux. Le dessaisissement de ce juge d’instruction manceau du dossier Urbatechnic, opéré à la demande de la Chancellerie par le président de son tribunal dans des conditions inhabituelles, ravive le malaise de l’institution judiciaire et confirme fâcheusement le sentiment public d’une intrusion du politique dans la sphère du judiciaire. M. Nicot, président du SM, commente : « On ne veut pas que cette instruction continue dans cette direction. On essaie de tout étouffer ». Son organisation, rejointe par l’APM et mollement soutenue par l’USM, se décide aussitôt à organiser le 16 mai une nouvelle démonstration de mécontentement, la quatrième en moins d’un an. Sans le recours à la grève ou aux manifestations, cette « journée de débats » avec les justiciables lancée par les seuls magistrats révèle la morosité et le découragement qui règnent dans les palais de justice après la forte mobilisation de l’automne 1990. M. Joubrel, président de l’USM, déclare : « Après un an et demi de promesses, il ne nous reste que nos yeux pour pleurer ». Les Français s’émeuvent de l’état de leur justice. Pour 60 % d’entre eux, l’institution judiciaire doit être réformée en priorité. 97 % la jugent trop lente, 85 % difficile d’accès et 84 % trop chère. Pourtant, jamais ils n’ont tant apprécié le « spectacle judiciaire » à la télévision. TF1 programme quotidiennement Tribunal, Antenne 2 Défendez-vous ; les séries américaines comme La loi de Los Angeles font recette. La série documentaire de D. Karlin : Justice en France débute par une grande première : le suivi télévisé d’une affaire criminelle, de la garde à vue à la sentence de condamnation. HERVÉ ROBERT downloadModeText.vue.download 285 sur 490 SOCIÉTÉ 283 VIE JUDICIAIRE Deux femmes dominent l’année judiciaire, deux tempéraments opposés, deux attitudes contraires dans le prétoire, deux histoires, mais un même avocat, Me Garaud. La cour d’assises de Meurthe-et-Moselle connaît pendant six semaines de l’affaire Simone Weber, accusée de l’empoisonnement de son mari Marcel Fixard et de l’assassinat de son amant Bernard Hettier. L’instruction, poursuivie pendant cinq ans, n’a pas permis de rassembler de réelles preuves matérielles, mais un puissant faisceau de présomptions. La « bonne dame de Nancy » pour les uns, « la diabolique » pour les autres a donné bien du mal à l’opiniâtre juge Thiel. Devant les assises, elle trouble, amuse, parfois horrifie par son langage, son aplomb et son énergie. La cour la condamne à 20 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Bernard Hettier commis le 22 juin 1985, et l’acquitte pour l’empoisonnement de Marcel Fixard. Bécassine ou Thénardier ? Joëlle Pesnel n’est pas douée du tempérament de Mme Weber. Tout au long de son procès devant les assises du Var, accusée de la séquestration de Suzanne de Canson, elle demeure dans une réserve gauche, semblant acquiescer aux griefs qu’on lui oppose. Durant les trois semaines d’audience, on oublie presque les coaccusés pour reprendre point par point l’examen des conditions de la vente aux Musées nationaux du Gentilhomme sévillan de Murillo. Le magistrat instructeur Bernard voit dans cette affaire un « scandale culturel » ; la presse le suit. Inculpés à grand bruit, Me Lombard et Pierre Rosenberg, conservateur au Louvre, bénéficient rapidement d’un non-lieu. Entendus à la barre, ils justifient leur rôle dans l’acquisition par l’État du chef d’oeuvre de l’école espagnole. Me Garaud s’appuie sur l’artificielle importance donnée à l’affaire pour réclamer qu’on voie en sa cliente « plutôt une Bécassine mythomane et rêveuse qu’une Thénardier ». À l’issue d’un délibéré de 12 heures, la Cour condamne Joëlle Pesnel à 13 ans de réclusion et Robert Boissonnet, son conseil, à 4 ans d’emprisonnement pour non-assistance à personne en danger et faux en écriture privée. Dominique Lafarge, un comparse, est acquitté. Le procès de Pascale Turin, ancienne amie de Max Frérot, devant la cour d’assises spéciales du Rhône, met un terme judiciaire au démantèlement de la branche lyonnaise d’Action directe. Une trop récente maternité lui avait interdit de comparaître avec ses 19 coïnculpés en mai-juin 1989. Le verdict du 18 février (24 mois d’emprisonnement dont 18 avec sursis) sanctionne modérément une comparse qui, depuis, fuit son passé. Après cassation d’un premier arrêt de condamnation, Pascal Le Gac est rejugé par la cour d’assises de l’Isère. Le dossier est exemplaire des limites judiciaires de l’analyse de la personnalité. Rien – ni les interrogatoires ni les expertises psychiatriques – n’a pu percer l’enchaînement criminel qui conduit un homme sans histoire à une délinquance d’habitude de plus en plus violente, jusqu’à l’assassinat. À Toulouse, le procès des quatre jeunes parachutistes engagés, violeurs et downloadModeText.vue.download 286 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 284 meurtriers de leurs trois victimes, est le théâtre d’une passionnante analyse de la dynamique criminelle du groupuscule qui déchaîne les passions destructrices d’individualités frustes, lisses, passives. La seule explication donnée par les coaccusés mérite réflexion : « On a disjoncté. » HERVÉ ROBERT ENSEIGNEMENT Le gouvernement et sa majorité ont de l’enseignement une conception quantitative. Porter 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat en l’an 2000 reste leur objectif principal, objectif qu’ils pensent atteindre en instituant le corps unique d’enseignants de la maternelle à l’université dont avaient rêvé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les auteurs du plan Lange-vin-Wallon de 1947. En bondissant de plus de 51 % en 1990 à plus de 60 % en 1991, le nombre des candidats (571 039) au premier grade de l’enseignement supérieur semble conforter leurs espérances. En 1991, les heureux élus ne représentent pourtant que 48,1 % d’une classe d’âge et, de l’aveu des examinateurs, ne doivent leurs succès qu’à l’indulgence des jurys dont les exigences qualitatives sont tempérées par les instructions ministérielles et administratives. Les organisations de parents d’élèves n’échappent pas à la crise, à commencer par la plus importante d’entre elles, la Fédération des conseils de parents d’élèves, dont la perte d’audience (un million d’adhérents en 1981 ; 400 000 environ en 1991) a contribué à l’échec de son plan d’assurance scolaire. Une extrême politisation Proche du parti socialiste et, comme lui, victime de la désaffection de ses militants, dont le nombre (351 637) est en baisse constante depuis 1978 (550 000), la FEN est, à cette date, en plein marasme. Cette situation a été engendrée par la décision de son bureau exécutif de démissionner le 10 juin son secrétaire général, Yannick Simbron, contre lequel celui du SNI-PEGC, Jean-Claude Barbarant, formulait de nombreux griefs. Ces querelles ne font que traduire la politisation extrême des organisations censées défendre les intérêts des enseignants face au pouvoir d’État et face à ces consommateurs de savoir que sont les élèves et... leurs parents, dans l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire tout au moins. Bridés dans leur liberté d’expression et d’action par des instructions ministérielles particulièrement contraignantes sur le plan pédagogique, privés de leur pouvoir d’orientation au profit du chef d’établissement, des parents d’élèves et des lycéens présents au conseil de classe, obligés d’accepter le passage dans la classe supérieure d’analphabètes, trop souvent insultés, parfois même agressés physiquement par de jeunes marginaux inscrits dans leur classe ou venus de l’extérieur de l’établissement, contraints pendant de nombreuses années à l’errance généralement solitaire des titulaires académiques, méprisés par une société qui juge leur valeur à la minceur de leur chéquier, les enseignants s’épuisent à mettre en application chaque année un nouveau programme ou une nouvelle réforme. Travail de Sisyphe qui explique les démissions, les dépressions nerveuses, l’absentéisme... downloadModeText.vue.download 287 sur 490 SOCIÉTÉ 285 Ainsi s’aggrave la crise du recrutement en ce début de décennie où se conjuguent les effets de l’arrivée massive de nouveaux lycéens et la mise à la retraite des promotions magistrales des années cinquante. Susciter dans ces conditions 130 000 vocations d’instituteurs et 160 000 de professeurs avant l’an 2000 paraît une gageure. À court terme, l’appel à 40 000 maîtres auxiliaires embauchés sans condition de diplôme ni même de nationalité ne peut être qu’un palliatif. À plus long terme, le ministère croit trouver la solution miracle dans la mise en place des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres) le 1er septembre 1991, malgré l’échec patent des établissements dits expérimentaux ouverts à Lille, à Reims et à Grenoble durant l’année scolaire 90-91. Inquiets et mécontents Visant à détendre les rapports entre enseignants et enseignés en transformant les premiers en animateurs chargés de guider les seconds dans la construction de leur savoir, la pédagogie des spécialistes des « sciences de l’éducation » ne parvient même pas à apaiser les tensions entre futurs instituteurs et futurs professeurs. La puérilité de certains jeux éducatifs fait sourire les stagiaires, quand elle ne les scandalise pas. La qualité discutable des nombreux intervenants les inquiète. La faible importance accordée au contenu scientifique de l’enseignement les déconcerte, tout en mécontentant les professeurs de l’enseignement supérieur par-delà les clivages politiques et syndicaux. La réforme de l’enseignement primaire mise en pratique à la même date ne suscite guère l’adhésion des nouveaux professeurs d’école, d’autant plus que la possibilité d’allonger ou de réduire d’un an la durée de l’un des trois cycles mis en place en fonction du niveau des élèves, ne peut qu’accroître l’hétérogénéité des classes et alourdir la tâche des enseignants. Les méfaits de l’idéologie Il est vrai que l’hétérogénéité des élèves, conçue comme antidote de l’élitisme traditionnel de l’enseignement français, est la pierre angulaire de la réforme des lycées annoncée par Lionel Jospin dans sa conférence de presse du 25 juin 1991. Brisant le monopole de la série « C » pour répartir les élèves dans trois séries très larges (L : littérature ; ES : économique et social ; STI : sciences et techniques), la réforme regroupe les disciplines scolaires en trois enseignements distincts : celui des « matières communes », celui des « matières à modules » choisies parmi les disciplines dominantes, celui des « matières optionnelles ». En lui donnant comme finalité de répondre aux « exigences sociales et économiques » du pays, Lionel Jospin assigne à la réforme des lycées une mission socio-économique qui ne peut être parfaite que par la mise en oeuvre consécutive d’une réforme également antiélitiste des collèges. En demandant le 13 novembre au corps enseignant de ces derniers de mettre en conformité « leurs pratiques quotidiennes... avec le projet de société » auquel renvoient les finalités du système éducatif, le Conseil national des programmes (CNP) cèle mal le caractère ambigu d’une réforme du premier cycle du second degré dont le manteau pédadownloadModeText.vue.download 288 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 286 gogique recouvre pour certains un contenu politique. En fait, toutes ces réformes s’insèrent dans « le cadre idéologique de la gauche », comme le soulignent les critiques, à peine voilées, du ministre de l’Éducation nationale contre le pragmatisme dont, fait preuve le Premier ministre, Édith Cresson, en constatant le 26 mai que tous les jeunes d’une classe d’âge n’ont pas voca- tion à suivre des études secondaires et tireraient sans doute davantage de profits d’un apprentissage réalisé au sein des entreprises. Et il en est de même des critiques que formule la FEN contre la décision de Lionel Jospin d’insérer dans la loi de finances rectificative de 1991 un crédit de 300 millions de francs à valoir sur une somme forfaitaire de 1,8 milliard de francs en remplacement des 5 milliards dus depuis 1982 à l’enseignement libre, qui trouve ce prétendu « cadeau » naturellement insuffisant. Avec de tels rebonds politiques, la crise de l’Éducation nationale en France ne semble pas près d’être résolue et l’avenir des enseignants et des enseignés loin d’être assuré. PIERRE THIBAULT PRESSE En France, la presse a traversé l’année et la guerre du Golfe avec beaucoup de difficultés. Elle a dû faire face en même temps à une crise morale et à une crise financière. Comme à l’étranger, la crise morale a revêtu une triple dimension : elle a été à la fois déontologique, philosophique et structurelle. Du point de vue de l’exercice de la fonction journalistique, l’encadrement très strict auquel la presse a été soumise de la part des armées alliées opérant dans le Golfe a été durement ressenti. Au cours des conflits précédents, jamais les militaires n’avaient contrôlé aussi étroitement les journalistes, qui ont eu souvent le sentiment d’être réduits au rôle de simple auxiliaires de leur propagande. Une impression qui a été renforcée, notamment pour les gens de la presse écrite, par l’omniprésence de la télévision, et tout particulièrement par celle de la chaîne américaine CNN. L’impact permanent des images, souvent mises en scène, sinon manipulées, a été si puissant que les responsables politiques comme les journalistes ont été parfois inconsciemment amenés à confirmer, sans enquête sur le terrain, ce que montrait le petit écran. De sérieux problèmes De nombreux analystes se sont alors penchés sur le devenir de l’information. Les plus optimistes ont cru apercevoir le commencement d’une période salutaire d’« auto-interrogation » de la presse. D’autres ont observé que, jusqu’à présent, on avait seulement cherché à diminuer le temps écoulé entre la survenance de l’événement et la délivrance de l’information, et qu’il importait désormais que les journalistes – de la presse écrite surtout – apprennent à réintroduire de la distanciation entre les faits et leur traitement par les médias. Comme les autres secteurs d’activité, et peut-être encore davantage, la presse a subi de plein fouet les effets des langueurs de l’économie. D’une année à l’autre, la diffusion de la presse nationale se tasse (– 1,9 % en 1990) ; mais celle des magazines, jusqu’alors plus solide, également. downloadModeText.vue.download 289 sur 490 SOCIÉTÉ 287 Ces difficultés sont aggravées par la décrue des ressources publicitaires qui, globalement, ont baissé de près de 5 %. Cette crise est d’autant plus vivement ressentie qu’en cinq ans la part de la diffusion dans les revenus des journaux est passée de 57 % à 51 % pour la presse nationale et de 60 % à 55 % pour la presse régionale. La mort, pour le moins mystérieuse, de Robert Maxwell est à cet égard exemplaire des sérieux problèmes que la presse écrite rencontre dans le monde entier. Noyé, accidentellement ou non, au large des Canaries, le 5 novembre, le magnat britannique laisse en effet un endettement global d’une trentaine de milliards de francs. JULES CHANCEL AUDIOVISUEL L’organisation du paysage audiovisuel français, tel qu’il a été mis en place par l’ensemble des textes législatifs et réglementaires promulgués depuis 1986 (loi du 30 septembre 1986 modifiée le 27 décembre 1986 ; lois du 17 janvier 1989 et du 4 août 1989), continue de faire l’objet de critiques et de polémiques, en particulier de la part des responsables des chaînes privées. Deux points sont au coeur des débats : cinq chaînes hertziennes généralistes peuvent-elles cohabiter sur le marché français ? Quel est l’avenir du secteur public de l’audiovisuel, et en particulier de deux sociétés de programmes A2 et FR3 ? Les opérateurs privés contestent vigoureusement la réglementation actuelle sur deux points : les quotas de diffusion (décret de janvier 1990) qui les obligent à diffuser un certain pourcentage d’oeuvres originales françaises et européennes aux heures de grande écoute (à ce sujet, la mise en conformité de la réglementation française avec la directive européenne sur la télévision sans frontières aboutira à une diminution des quotas imposés et à un assouplissement des définitions des diverses catégories d’oeuvres concernées en 1992) ; l’impossibilité dans laquelle ils sont d’introduire une seconde coupure publicitaire lors de la diffusion de longs métrages. En point d’orgue, ils attaquent violemment le Conseil supérieur de l’audiovisuel en contestant sa neutralité politique et, s’offusquent de la manière dont l’État subventionne les télévisions publiques. Sur le plan économique, en effet, la situation des chaînes est précaire. Seule Canal +, la chaîne cryptée à péage, a des résultats positifs et connaît une expansion régulière : avec plus de 3 millions d’abonnés, un taux de réabonnement supérieur à 90 % (160 francs l’abonnement mensuel), une part d’audience proche de 5 %, elle a réalisé, en 1990, un chiffre d’affaires de 6 milliards de francs et un bénéfice net de 910 millions de francs. TF1 est la première chaîne en part d’audience (41,9 %), précédant successivement A2 (22,1 %), La Cinq (11,7 %), FR3 (11 %) et M6 (7,3 %). Si elle réalise un chiffre d’affaires de 5,7 milliards, son bénéfice net (280 millions de francs) ne lui permet pas un provisionnement suffisant pour diminuer son endettement. Quant aux quatre autres chaînes, elles enregistrent des pertes importantes, en particulier A2 et La Cinq. Cette dernière, reprise par le groupe Hachette en octobre 1990, avait stabilisé sa troisième place mais, très éloignée downloadModeText.vue.download 290 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 288 d’une perspective d’équilibre budgétaire à court terme (plus de 1,1 milliard de francs de pertes prévues pour 1991), a finalement dû présenter son dépôt de bilan le 31 décembre après avoir déjà annoncé le 17 près de 600 licenciements sur un total de 820 employés. Une grave crise de crédibilité La position des chaînes publiques est également dramatique : presque 800 millions de pertes pour A2 et plus de 100 pour FR3. Une gestion erratique, l’absence d’une politique claire pour le secteur public, l’accroissement des coûts de production des programmes et l’essoufflement du marché publicitaire expliquent la situation catastrophique d’A2 et de FR3, régulièrement décrite et dénoncée par le sénateur Jean Cluzel dans ses deux rapports annuels. Le nouveau « superprésident », Hervé Bourges, nommé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel le 19 décembre 1990 en remplacement de Philippe Guilhaume, démissionnaire, doit faire face à une situation très tendue dans les deux sociétés : découragement des personnels, rumeurs contradictoires, grèves... Il propose un plan de restructuration qui prévoit quelque 900 suppressions d’emplois dans l’ensemble des deux sociétés, mais obtient également du gouvernement une « rallonge » budgétaire pour éponger une partie du déficit et financer de nouvelles productions. L’augmentation de la redevance (qui n’assure que 40 % des recettes d’A2 mais 80 % de celles de FR3) ne serait qu’un pis-aller, car, comme nous l’avons déjà indiqué, le marché publicitaire français connaît une stagnation depuis deux ans, et la guerre du Golfe, au printemps 1991, a encore ralenti l’activité de ce secteur. Enfin, la télévision dans son ensemble a subi une grave crise de crédibilité dans la manière dont elle a, toutes chaînes confondues, rendu compte du conflit américano-irakien. Les journalistes ont très mal vécu les conditions faites aux professionnels de l’information sur le terrain par les autorités militaires et, en même temps, l’opinion publique et certains journalistes, en particulier de presse écrite et de radio, ont été sensibles à certains dérapages liés à une « spectacularisation » parfois indécente de l’information sur la guerre. Intervenant après des dysfonctionnements identiques révélés à l’occasion de la « révolution » roumaine de la fin de l’année 1990, ces événements relancent, au-delà de la question de la crédibilité de l’information télévisée, celle de la réflexion sur l’éthique professionnelle et le respect d’une déontologie clairement énoncée. CHRISTINE LETEINTURIER downloadModeText.vue.download 291 sur 490 SOCIÉTÉ 289 SERVICE PUBLIC : LES AVATARS DE LA CRISE La crise actuelle du service public est à la fois structurelle, institutionnelle, culturelle, sociale et économique ; mais elle traduit également les difficultés que rencontre la société française pour évoluer dans une perspective européenne. Dans le secteur public, le désarroi est profond. Sentiment de paupérisation, diminution de la valorisation sociale tirée du travail effectué, récurrence du discours antiétatique, accusations d’immobilisme, de paresse, voire d’incompétence, difficultés de plus en plus grandes à assumer cette fonction de repoussoir, extension à l’administration de la contestation des institutions : depuis la longue grève de l’automne 1989, qui avait été suivie par les fonctionnaires des impôts, la déprime s’est installée chez de nombreux agents de la fonction publique. Aujourd’hui, le malaise dépasse les revendications purement corporatistes des catégories les plus « remuantes » : infirmières, assistantes sociales, enseignants, personnels des transports publics, etc. Des méthodes archaïques L’accentuation du décalage entre le public et le privé est sans doute l’un des premiers facteurs explicatifs de la crise. Salaires, déroulement des carrières, mobilité, poids de la hiérarchie, rigidité des structures, résistance à l’innovation sont régulièrement dénoncés, moins par les syndicats que par les « coordinations » qui se multiplient, car les premiers ne semblent plus capables d’avancer des propositions qui tiennent réellement compte des aspirations des personnels qu’ils représentent. Position fonctionnelle et hiérarchique et salaires correspondent de moins en moins aux aspirations ou au niveau de compétence et de responsabilité des salariés, cela étant particulièrement vrai pour les catégories intermédiaires (catégorie B : instituteurs, infirmières, assistantes sociales, mais également majorité des agents des services fiscaux et des personnels des administrations centrales). Dans le débat sur la revalorisation des salaires (rappelons que le salaire minimum de la fonction publique est inférieur au SMIC), il s’agit moins de discuter du montant du salaire de base que de sa progressivité : en effet, dans la fonction publique, le système de l’avancement, qui repose sur des structures paritaires (administrations, représentants syndicaux des personnels), n’aboutit, le plus souvent, à valoriser que la seule ancienneté, sans tenir compte ni des mérites personnels de l’agent, ni de la valeur de son activité, ni de l’accroissement de sa compétence lié à l’expérience acquise, aux formations suivies ou aux diplômes obtenus depuis l’entrée en fonction, ni de l’augmentation de la charge de travail liée à la mise en place de nouvelles structures. Le secteur public regroupe des actifs plus diplômés que le privé, mais nettement moins bien payés (revenu annuel par ménage : 160 953 F pour les cadres du public contre 210 171 F pour les cadres downloadModeText.vue.download 292 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 290 du privé en 1984), plus jeunes et majo- ritairement féminins. Mais la fonction publique souffre également de l’absence d’intégration – dans son fonctionnement comme dans les grilles d’évaluation de ses salariés ou de ses structures mêmes – d’outils largement utilisés dans le privé (politique de communication interne, formation professionnelle continue, cercles de qualité) qui permettent l’expression et l’information des salariés, et suscitent leur participation. Bref, les outils modernes de gestion et d’incitation n’ont pas encore pénétré dans l’administration. Ainsi l’enseignement a-t-il été victime d’une absence de prévision pertinente de la croissance des besoins : une mauvaise appréhension des conséquences de la politique de massification qui, après avoir atteint les lycées (crises de 1987 et de 1989), pourrait bientôt toucher les universités, dont les effectifs, déjà pléthoriques il y a cinq ans, poursuivent leur croissance. Le moral et la morale Cette prégnance inconsciente et largement médiatisée de la valeur du privé comme modèle organisationnel de référence pour la société dans son ensemble trouble la vision que les agents de la fonction publique ont d’eux-mêmes. Ils ont progressivement perdu le sentiment de la valeur de leur mission (« Servir l’État, servir l’intérêt général ») ; ils n’ont plus le sens du service public. De plus en plus souvent, la fonction publique est considérée comme un moyen d’échapper au chômage : plutôt un poste sûr, même peu valorisant et mal payé, que le chômage. De toute évidence, cette situation ne peut pas contribuer à améliorer l’image des fonctionnaires. L’incapacité de s’assouplir et de donner sa place à l’individu dont l’administration a fait preuve jusqu’à présent n’est pas sans conséquence sur le moral de ses agents qui, par un effet pervers, entretiennent la critique à l’encontre du service public dont ils tirent encore leurs ressources ainsi qu’une certaine reconnaissance sociale, alors qu’ils se révèlent souvent incapables – à quelque échelon qu’ils se situent – de porter un jugement clair et cohérent sur leurs propres insuffisances. Le discours « économiste » tenu par le gouvernement socialiste depuis 1983 et les « privatisations » qui ont marqué la cohabitation ont favorisé, avec l’aide des médias, la création dans l’opinion publique d’un courant anti-État, antipublic, au profit de l’entreprise privée, de l’entreprise individuelle, de la valorisation individuelle du travail, de la reconnaissance sociale reposant sur la valeur marchande de l’activité et non plus sur sa valeur sociale. Tout en tenant des discours ultralibéraux ou en soutenant des courants politiques favorables à ce système économique, certaines catégories professionnelles (les artisans, les commerçants, les médecins) réclament néanmoins l’intervention de l’État sous forme de subventions (les agriculteurs, les artisans routiers), d’allégements de charges (les artisans), de défiscalisation, de renflouement de caisses d’assurance-vieillesse (les médecins), tout en étant par ailleurs les premières à dénoncer la lourdeur et l’inefficacité de l’administration... Dans ce contexte difficile, certains suggèrent une solution extrême, inscrite downloadModeText.vue.download 293 sur 490 SOCIÉTÉ 291 dans une perspective de stricte orthodoxie économique libérale : supprimer le secteur public. C’est le débat auquel on assiste dans l’audiovisuel ou dans certains secteurs industriels où les sociétés publiques sont en position difficile : l’informatique, l’électronique ou la chimie. Le débat sur les privatisations est alors le corollaire de cette domination de l’économique sur le politique et le social. Un décret du 5 avril 1991 a autorisé l’ouverture du capital des entreprises publiques à des partenaires français ou étrangers, l’État restant actionnaire à hauteur de 51 %. Il s’agit d’un changement radical d’orientation pour le président de la République, qui avait affirmé dans sa Lettre aux Français de 1988 qu’il n’y aurait plus ni privatisation ni nationalisation (le nini). Dans un environnement économique de plus en plus concurrentiel, il apparaissait nécessaire d’offrir aux entreprises une souplesse plus grande dans leur stratégie de partenariat. C’est ainsi que 2,7 % du capital de la société Elf-Aquitaine ont été mis sur le marché en novembre : cette mesure va également concerner certaines banques (notamment le Crédit local de France) et des compagnies d’assurances. Et c’est au nom du même réalisme industriel et financier que l’accord Bull-NEC a finalement pu être signé en octobre. Pour préserver le secteur public, mais en même temps moderniser l’État, il faut donc rendre l’administration plus flexible et plus rationnelle. Moderniser et délocaliser Certaines mesures ont été prises pour y parvenir. L’une des plus notables d’entre elles a été la création, par un décret du 6 novembre, d’une Commission du renouveau du service public auprès du Conseil supérieur de la fonction publique. Cette commission, qui devra s’intéresser à la modernisation de l’ensemble des services publics, a surtout pour mission d’examiner « les questions relatives à l’élaboration, à la mise en oeuvre et au bilan des actions liées au renouveau du service public, et notamment les actions de rénovation des services publics menées dans le cadre de la politique de la ville ». Elle est composée de 19 membres nommés par le ministre chargé de la Fonction publique : huit d’entre eux représentent l’administration – cinq sont des personnalités choisies en raison de leurs compétences – et onze sont délégués par les organisations syndicales. Autre mesure importante : la délocalisation en province de certains services des administrations centrales installées à Paris va peut-être permettre de redistribuer des emplois, mais également, en répartissant mieux la fonction publique centrale à travers le territoire, de rapprocher l’administration de ses administrés et de permettre une meilleure compréhension mutuelle. Il s’agit également de rompre avec la logique centraliste préexistante, de dénoncer le jacobinisme de l’administration, ainsi que la surévaluation de l’importance de la capitale. Dans sa séance du 7 novembre, le Comité interministériel d’Aménagement du territoire a décidé pour cette année le transfert en province de quelque 2 500 fonctionnaires et salariés du service public, et notamment des personnels et des élèves de l’ENA. Ce mouvement doit également concerner les enseignants (instituteurs et professeurs certifiés du downloadModeText.vue.download 294 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 292 secondaire) dont la gestion pourrait être transférée aux académies avec la participation des institutions régionales. D’autres délocalisations devraient suivre. Enfin, l’ouverture européenne de 1993 va considérablement modifier le contexte dans lequel certaines administrations déploient leurs activités. C’est pourquoi, dès le mois d’août, le Conseil des ministres a examiné les conditions de l’adaptation de l’administration française à la construction européenne, et en particulier, la nécessaire redéfinition des champs de compétence des services français... CHRISTINE LETEINTURIER Christine Leteinturier est assistante en information et communication à l’université de Paris ll-lnstitut français de presse, dont elle a créé et dirigé le centre de documentation. downloadModeText.vue.download 295 sur 490 SOCIÉTÉ 293 SANG CONTAMINÉ : DU DRAME AU SCANDALE La contamination par le virus du sida à la suite d’une transfusion sanguine passait jusqu’alors pour une cruelle fatalité. Entre 1980 et 1985, 5 000 personnes dont 1 200 hémophiles en ont été victimes. Mais la multiplication des plaintes déposées par des hémophiles contaminés a fini par attirer l’attention des médias sur le fonctionnement du système transfusionnel français. Le 1er juin, à la suite d’une campagne de presse lancée par l’Événement du jeudi, le docteur Michel Garretta, directeur du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), démissionne. Dans son numéro du 25 avril 1991, l’hebdomadaire accusait les autorités transfusionnelles d’avoir continué, en 1985, à distribuer des produits sanguins qu’elles savaient contaminés par le virus du sida. « C’est aux autorités de tutelle de prendre leurs responsabilités sur ce grave problème et d’éventuellement nous interdire de céder les produits, avec les conséquences financières que cela représente », affirmait en mai 1985 le docteur Garretta, cité par le magazine. Le 5 juin, le ministre délégué à la Santé, M. Bruno Durieux, dénonce « une grave erreur collective d’appréciation » et commande un rapport à l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Rendu public le 10 septembre et transmis à la justice, ce texte montre que les connaissances incomplètes que l’on avait du sida en 1985 n’expliquent qu’en partie les erreurs de décisions des autorités sanitaires et politiques. La responsabilité de Mme Georgina Dufoix, ancien ministre des Affaires sociales, et de M. Edmond Hervé, son secrétaire d’État à la Santé, ainsi que du Premier ministre de l’époque, M. Laurent Fabius, est alors évoquée, pour être aussitôt niée par les intéressés, Mme Dufoix déclarant notamment, le 3 novembre, qu’elle se sent « responsable », mais pas « coupable ». Le projet de loi d’indemnisation reposera sur ce même principe de « réparation sans cause » qui assimile les transfusés contaminés à des victimes de catastrophes naturelles. Si les hommes politiques ne sont pas inquiétés, en revanche, le 21 octobre, le professeur Jacques Roux, ancien directeur général de la Santé, et les docteurs Robert Netter, ancien directeur du Laboratoire national de la santé, et Michel Garretta sont inculpés. Le 4 novembre, c’est au tour du docteur Jean-Pierre Allain, ancien responsable du département des recherches au CNTS, de subir une mesure identique. L’État n’échappe toutefois pas totalement à la justice. Le 20 décembre, sur la plainte d’un hémophile contaminé, le tribunal administratif de Paris reconnaît coupable le ministère des Affaires sociales, et non plus seulement le CNTS. Une grave erreur collective En 1984, un an après la découverte du virus du sida, les chercheurs s’interrogeaient encore sur le processus de contamination, sur l’ampleur de l’épidémie et sur les moyens de la prévenir. Toutefois, downloadModeText.vue.download 296 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 294 dès juin 1983, une circulaire de la direction générale de la Santé (DGS) posait le problème de la contamination des hémophiles et indiquait les mesures à prendre pour écarter du don du sang les sujets à risque. Mais ces propositions heurtaient les principes de générosité et de solidarité sur lesquels repose le système transfusionnel français, dont la sécurité se veut garantie par le bénévolat, l’anonymat et la gratuité des dons. D’autre part, dès novembre 1984, un spécialiste de la DGS déclarait que « l’inactivation du virus après un chauffage des dérivés sanguins (68 degrés pendant 24 heures) est prouvée ». Il fallut pourtant attendre août 1985 pour que le dépistage du virus chez les donneurs de sang soit rendu obligatoire. Outre que son intérêt ne faisait pas l’unanimité, les autorités ne voulaient pas abandonner le marché au seul test américain disponible avant que celui de l’Institut Pasteur ne soit opérationnel – sans parler des problèmes de la prise en charge du coût du test et de la diminution consécutive des dons. La décision de ne rembourser que le test Pasteur dans les laboratoires privés, qui ne l’utilisaient pas tous, incitait alors les sujets à risque à se faire dépister, gratuitement et anonymement, par les centres de transfusion, ce qui augmentait le risque de collecte de sang contaminé non identifié. Cette situation aberrante dura jusqu’en février 1987. De même, les collectes effectuées en milieu carcéral, dans une population réputée à risque, ne cessèrent qu’en octobre 1985. Le chauffage des dérivés sanguins fut systématisé en août 1985 et la distribution de produits non traités interdite à partir d’octobre. Entre ces deux dates, les concentrés non chauffés n’auraient été injectés qu’à des hémophiles déjà séropositifs. En 1989, le ministre de la Santé Claude Évin avait créé une caisse nationale de solidarité dotée de fonds publics et privés, afin d’indemniser les hémophiles contaminés. Le 30 octobre, M. Jean-Louis Bianco annonce un accord entre l’État et les compagnies d’assurances au sujet du partage de l’indemnisation de tous les transfusés contaminés avant le 1er janvier 1990, indemnisation dont le montant est estimé à 12 milliards de francs. Le premier projet de loi, qui prévoit de taxer les contrats d’assurance, est rejeté par tous les parlementaires, y compris les socialistes. Le second, définitivement adopté le 21 décembre, instaure une participation forfaitaire des compagnies d’assurance pour un montant de 1,2 milliard de francs pour 1992, non imputables sur les contrats. Le ministre des Affaires sociales annonce également une réforme du système transfusionnel, qui vise à garantir la sécurité de ses missions tout en maintenant ses principes éthiques. Ces objectifs sont-ils compatibles avec la rentabilité d’un système que son processus de collecte rend fragile ? Les erreurs de 1985 auraient-elles été commises si des priorités économiques ne l’avaient emporté sur des considérations sanitaires ? Ne faut-il pas admettre que le sang et l’argent ne font pas bon ménage ? CHRISTOPHE PÉRY downloadModeText.vue.download 297 sur 490 SOCIÉTÉ 295 LE POINT SUR... MODE Année 91, année de toutes les références et des créateurs sous de multiples influences. L’essentiel, c’est d’être soi-même en cultivant l’art de la différence dans ce festival de tendances et de courants déroutants, où tout se confronte et se mélange pour mieux se réinventer. Signe d’époque, les exercices de style se multiplient et chacun façonne le sien. Jamais la mode, qui autorise la diversité et le mixage des genres, n’a été aussi éclatée. « Les styles ne sont plus cloisonnés, tout est libre, personne n’est emprisonné », dit Karl Lagerfeld. On récupère et on se souvient beaucoup, en ces débuts de nouvelle décennie qui vivent le présent en se penchant sans cesse dans le passé. Les vieux albums de photos se feuillettent, les émissions de télévision se revoient, les flashback renvoient aux débuts de la société de consommation. La tendance écolo Des « fifties », on se souvient de l’oeil de biche, des bigoudis et des choucroutes à la Bardot, mais aussi des toiles de vichy, des grandes jupes, des tailles étranglées et des bustes pigeonnants. Des années 60, on retrouve avec émotion l’allure trapèze, la ligne en A, car elles évoquent l’exquise silhouette rendue célèbre par Audrey Hepburn et Hubert de Givenchy, l’une étant liée à jamais à la renommée de l’autre. Cela nous rappelle aussi Jackie Kennedy, invitée à un bal au château de Versailles par le général de Gaulle. Le courant 70 s’inscrit à cet inventaire de références peu ordinaires qui remettent à l’honneur skaï et vinyle, cuissardes et mini, imprimés géométriques et dessins psychédéliques nés de l’Op’Art et de la Figuration libre. Pierre Cardin, André Courrèges et Paco Rabanne sont les idoles de la nouvelle génération et leurs vêtements-sculptures descendent des musées dans les rues. Leurs héritiers, de Thierry Mugler à Lionel Cros, armurent les corps de latex, moulent les seins dans des coques de polyuréthanne et donnent à leurs égéries l’allure d’héroïnes de bandes dessinées futuristes. Jean-Paul Gaultier fait du plastique son nouveau canevas à broder des fils d’or. Autre thème en vigueur, qui dénonce les années fric et la silhouette chic – oui, elle existe encore – : le « look destroy ». Déchirée, rapiécée, la mode paupériste nous est venue des brumes anglaises, belges et hollandaises. À chacun son mauvais goût. La dentelle fait la belle et l’allure de guêpe sous le coup de ciseaux d’Yves Saint-Laurent. Le genre lingerie enflamme les regards. Les effets de transparence donnent l’illusion du nu. Dans cette déferlante de courants, la tendance écologique s’impose, réunissant de plus en plus d’adeptes. Cotons bruts, teintures végétales, boutons en verre reconstitué ou en bois exotique, emballage en carton recyclé en sont les éclatants symboles. Il y a aussi, cristalline et pure, la mode inspirée par la vague du New Age américain, qui fait du bien-être spirituel une valeur sacrée. Le Lycra se faufile partout Les valeurs changent et on n’a besoin de personne pour se faire dicter son aldownloadModeText.vue.download 298 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 296 lure, et on a encore moins l’envie de se donner un style pour la vie. Cette grande liberté de choix commence par la liberté des ourlets. Court ou long, là n’est pas la question. L’un et l’autre illustrent l’alliance des contrastes. La bonne combine ? Une jupe à la cheville ouverte sur un short, un fourreau audacieux de face, sage vu de dos. Signe des temps, ce métissage d’images qui bouscule conventions et traditions fait la part belle aux détournements dans le droit fil de la récupération. « Une veste brodée sur un simple collant donne à la nuit un nouvel élan », affirme Karl Lagerfeld. Le soir, il impose une tenue de surfeur en paillettes bordée de gros grains noirs sur cycliste de Lycra. Claude Montana et Christian Lacroix réinventent le parka et le trench, lui donnant de nouvelles lettres de noblesse découpées dans le taffetas, le satin, l’organza ou le gazar. Azzédine Alaïa offre du tulle à ses imperméables et une maille Lycra étonnante à ses combi-caleçons (venues du vestiaire des cyclistes). Aux motards, Karl Lagerfeld emprunte le cuir clouté. « Sous les pavés la plage ! » Le slogan d’une génération trouve un nouvel écho. Du sable au macadam, c’est l’hymne au corps sublimé avec des effets loin d’être collet-monté. Les peaux se dénudent, les épaules se montrent, les dos se dévoilent et les ventres se mettent à nu. La mode brille avec humour. Bustiers très découpés, soutiens-gorge très élaborés se rebrodent de paillettes, strass et cabochons de fausses pierres précieuses multicolores. Il y a des clins d’oeil à l’art orientaliste, à la peinture optique, aux totems africains. La couleur étincelle et flamboie. Visions retrouvées de jaune, turquoise et orange qui imposent leurs gammes. Les imprimés font bonne impression. Incrusté de dentelle, marié au Lurex et au strass, le tweed devient précieux. Omniprésent, le Lycra se faufile partout. Paillettes, raphia, coton, lin et dentelle : tout est Stretch. La mode prône la liberté dans le confort absolu. LAURENCE BEURDELEY VIE PRATIQUE Pour conjuguer l’utile et l’agréable, la RATP personnalise ses services à l’intention des usagers. Dans certaines stations, ce sont les agents du métro qui vont au-devant des voyageurs, prêts à les accueillir et les renseigner. Ils assurent en même temps une meilleure surveillance, une meilleure sécurité. Si l’expérience est couronnée de succès, elle sera étendue à l’ensemble du réseau. À la SNCF, on simplifie et optimise les produits et les services. La carte Joker, qui offre des tarifs privilégiés (de – 30 à – 40 %) en direction des grandes villes, permet d’acquérir des billets désormais remboursables en cas de désistement. À noter, deux nouveaux TGV interrégionaux, Rennes-Lyon et Nantes-Lyon, et la mise en service de trains d’affaires (première classe). Le premier « Euraffair » dessert Strasbourg depuis Paris-Est. Deux fois par jour, les hommes d’affaires qui l’utilisent trouvent à bord un équipement spécial bureau, avec fax, téléphone, secrétariat, système de réservation de taxis, restauration à la place et salles équipées. La carte bancaire à puce fait un bond impressionnant. 10 millions d’exemplaires sont désormais en circulation. Ce downloadModeText.vue.download 299 sur 490 SOCIÉTÉ 297 système, qui évite falsifications et contrefaçons, est une sécurité de plus pour l’utilisateur, qui ne signe plus mais compose son code sur les terminaux électroniques mis en place chez les commerçants. Sous la pression des consommateurs, les appareils ménagers (de plus en plus étroits) font silence sur toute la ligne. Autres avantages : les températures de froid modulables sur les réfrigérateurs, les alarmes sonores signalant les anomalies, le contrôle électronique du fonctionnement et la vitesse de chauffe accélérée sur les fours à micro-ondes. En cuisine triomphent la cuisson par champ magnétique et la coupure automatique du gaz en cas d’extinction de la flamme du brûleur. Côté lave-linge, on remarque l’amélioration du coefficient de lavage à basse température et l’augmentation de la vitesse d’essorage. LAURENCE BEURDELEY GASTRONOMIE À l’époque des somptueuses décapotables du début du siècle ou lors des premières migrations de vacances collectives, la Nationale 7 était jalonnée de relais gastronomiques désormais entrés dans l’histoire. L’autoroute, avait-on dit, annonçait la ruine de cette tradition. Or, sur un parcours où l’on peut aujourd’hui visiter à petites étapes Lorain à Joigny, Meneau au pied de la butte de Vézelay, Lameloise à Chagny, Georges Blanc à Vonnas et l’empereur Bocuse à Collonges-au-Mont-d’Or, voici que Michelin a couronné un nouveau trois étoiles, très attendu à vrai dire : Loiseau à Saulieu. Osant prôner en Bourgogne les sauces à l’eau et réaménager de fond en comble le vieil hôtel de la Côte-d’Or, illustré autrefois par Alexandre Dumaine, Bernard Loiseau ne s’était pas tracé une voie facile. Mais, depuis plusieurs années, ses compositions, le sandre rôti sur sa sauce au côtes-du-rhône rouge ou le panaché d’abats de veau et leur purée de truffes, épurées mais ancrées dans le terroir, atteignaient la perfection dans la simplicité. En outre, cette année même, le confort raffiné des lieux assure la détente nécessaire avant et après un repas d’anthologie. Toujours mieux représentés aux abords de la route du Soleil, les arts de la table résistent bien à la propagation du désert français : les cuisiniers de l’année, désignés par Gault et Millau, officient à Tours et à Reims, dans ces villes de la grande couronne que l’on considère volontiers comme stérilisées par la proximité de Paris. Charentais installé à Châteauroux, Jean Bardet s’est contenté de « monter » à Tours, où son restaurant reste à portée d’un potager à l’ancienne. Issu d’une lignée d’Auvergnats fixés à Vincennes, Gérard Boyer a restauré le château des Crayères, à Reims, au milieu d’un parc de sept hectares dont on rêve à Paris. Que ce soit Bardet, avec le turbot rôti à l’ache de montagne et le parmentier de pintadeau truffé, ou Boyer, avec l’escalope de morue fraîche à l’essence de champignons des bois et la viennoise de ris de veau au sésame, les cuisiniers de l’année magnifient des produits de ménagères par la juste cuisson et par des accompagnements subtils qui jouent sur la complémentarité ou le contraste. La relève de ces artistes paraît si indispensable que les initiatives se multiplient pour conserver le patrimoine gastronomique et éduquer les jeunes générations : downloadModeText.vue.download 300 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 298 Jean-Robert Pitte vient de publier Gastronomie française, histoire d’une passion (Fayard) et, avec Alain Huetz de Lemps, les Restaurants dans le monde à travers les âges (Glénat). Le 14 octobre, au cours de la Journée du goût, cinq cents chefs de cuisine et artisans des métiers de bouche ont initié à leur art vingt mille écoliers parisiens. L’Institut français du goût, fondé par Jacques Puisais, et le Conseil national des arts culinaires, présidé par Michel Guérard puis par Alain Senderens, ont entrepris une action éducative programmée sur dix séances dans les écoles primaires. Mieux préparées, ces jeunes générations sauront peut-être très tôt apprécier les saveurs et méditer la maxime de Gérard Boyer : « L’art, c’est ce qui reste quand on a enlevé le superflu. » GEORGES GRELOU TOURISME La fragilité et l’instabilité des flux touristiques ont été parfaitement illustrées au cours de l’année. Le premier semestre a été catastrophique par suite de la guerre du Golfe : en Égypte, les visiteurs ont diminué de moitié ; en Turquie et au Maghreb, l’hôtellerie a travaillé à perte. La récession a d’ailleurs atteint toutes les destinations méditerranéennes, la Yougoslavie pour des raisons d’insécurité, la Grèce, trop proche de l’Orient musulman, et même l’Espagne, qui a été pénalisée par une inflation proche de 8 % et par la désaffection de ses visiteurs. En France, les inquiétudes initiales se sont finalement apaisées : à l’issue du premier semestre, l’excédent touristique s’est élevé à trente milliards de francs, soit 10 % de plus qu’en 1990. Retenus chez eux par la conjoncture internationale, les Américains et les Japonais ont été remplacés par un flot renforcé d’Européens, d’abord les Allemands, puis les Britanniques, les Belges et les Italiens. De plus, les Français ont moins voyagé à l’étranger : malgré le succès de l’année Mozart et des tours d’Europe en autocars, le chiffre d’affaires des tour-opérateurs a diminué de 15 % par rapport à 1990. Au-delà de ce repli, peut-être provisoire, sur le territoire national, de nouveaux choix s’affirment pour les vacances prises en France. Le tourisme vert a progressé nettement : les gîtes ruraux et les chambres d’hôtes ont même atteint la saturation dans le Limousin, l’Auvergne et les Vosges. Le taux d’occupation des villages de vacances a dépassé 70 %. Au contraire, l’hôtellerie et la restauration ont perdu des clients, dans une proportion évaluée souvent à 20 %. La crise n’est pas générale L’amenuisement de la demande sur de nombreuses directions et le changement d’habitudes que l’on croyait solidement ancrées ont grevé les résultats des entreprises de tourisme : au cours du premier semestre, le déficit du Club Méditerranée, qui perdait jusqu’à deux millions de francs par jour pendant la guerre du Golfe, a atteint 87 millions de francs, et les bénéfices de Hilton International ont baissé de 38 %. American Express a dû restructurer son département Voyages pour diminuer ses charges. Néanmoins, la crise n’est pas générale : en inaugurant à Tozeur, en Tunisie, son douzième hôtel, Jacques Maillot a annoncé que 1991 serait la meilleure downloadModeText.vue.download 301 sur 490 SOCIÉTÉ 299 année pour Nouvelles Frontières depuis sa création, il y a vingt-cinq ans ; par rapport à 1990, le bénéfice au augmenté de 40 % et dépasse cent millions de francs. Accor a pu amorcer le « pôle touristique français », conforme aux voeux de la Caisse des dépôts, en lançant une OPA sur la Compagnie internationale des wagons-lits. Le système mondial de réservations et de prestations touristiques reste toujours aussi divisé : le 15 octobre, le projet d’association du système Sabre, filiale d’American Airlines, qui dessert 18 200 agences de voyages dans 48 États, et du réseau Amadeus, son homologue, créé par Air France, Iberia et Lufthansa, qui atteint 10 500 abonnés, a été définitivement abandonné. Une concentration des réseaux de communication au service du tourisme aurait pourtant marqué de manière symbolique le progrès des échanges touristiques cent ans après l’émission du premier Traveller’s chèque d’American Express et cent cinquante ans après la fondation de Thomas Cook et la publication du premier Guide bleu. GEORGES GRELOU ÉCHECS Les années passent et les tournois deviennent de plus en plus forts. Il y a moins de cinq ans, lorsqu’une compétition atteignait la catégorie 15 (moyenne ELO comprise entre 2 600 et 2 625 points), il s’agissait du tournoi de l’année. En 1991, il y a eu deux « catégorie 17 » (moyenne ELO comprise entre 2 650 et 2 675) et on parle déjà d’une catégorie 18 (plus de 2 675) pour 1992. Lorsque les dix meilleurs joueurs seront réunis, il sera impossible de faire mieux. Karpov n’a pas été démoralisé par le championnat du monde qu’il avait perdu fin décembre 1990 à Lyon face à Kasparov. Quelques jours plus tard, à Reggio Emilia, il a remporté un « catégorie 16 », devançant Polougajevsky et Ehlvest. Fin janvier-début février ont eu lieu les matches destinés à désigner le prochain adversaire de Kasparov : Ivantchouk-Youdasin (4,5-0,5), Anand-Dreev (4,5-1,5), Timman-Hübner (4,5-2,5), Gelfand-P. Nikolic (4-4 et 1,5-0,5 au départage), Short-Speelman (4-4 et 1,5-0,5 au départage), Kortchnoï-Sax (4-4 et 1,50,5 au départage) et Youssoupov-Dolmatov (4-4 et 2,5-1,5 au départage). Karpov, finaliste du championnat du monde, se joindra à ces sept joueurs pour les quarts de finale. Ivantchouk a créé la sensation en février à Linarès. Non seulement il a remporté le premier « catégorie 17 » de l’année avant celui de Tilburg, mais il a aussi battu Kasparov et Karpov. Beliavsky a terminé troisième, devançant Youssoupov et Speelman. En mai, à Amsterdam, Salov et Short ont gagné un « catégorie 16 » devant Karpov et Kasparov, troisièmes ex aequo. Traditionnellement, le classement ELO est publié le 1er juillet. Avec 2 770 et malgré une perte de 30 points, Kasparov a conservé la première place. Ivantchouk (2 735) a soufflé la deuxième à Karpov, troisième avec 2 730. Bareiev (2 680) est arrivé quatrième, Salov et Gelfand cinquièmes avec 2 665. Le meilleur Français, Joël Lautier, est arrivé soixante-seizième, avec 2 560. downloadModeText.vue.download 302 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 300 En août, à Bruxelles, se sont joués les quarts de finale des candidats : KarpovAnand (4,5-3,5), Short-Gelfand (5-3), Timman-Kortchnoï (4,5-2,5) et Youssoupov-Ivantchouk (4-4 et 1,5-0,5 au départage). Les demi-finales opposeront en 1992 Timman à Youssoupov et Karpov à Short. À Montpellier, à la même époque, Marc Santo Roman a conservé son titre de champion de France. Il a gagné le tournoi ex aequo avec Olivier Renet, mais il a battu ce dernier lors d’un match de départage. Kouatly a été troisième. La Chinoise Win Xie Jun a créé la sensation en novembre en s’imposant à Manille lors du championnat du monde féminin. Elle a battu (8,5 à 6,5) Maya Tchibourdanidze qui était tenante du titre depuis 13 ans. À Tilburg (Pays-Bas), en octobre-novembre, Kasparov a remporté le plus fort tournoi de tous les temps (un « catégorie 17 » d’un plus haut niveau que celui de Linarès de février). Il a devancé Short, Anand et Karpov. L’apothéose de l’année échiquéenne a eu lieu fin novembre à Paris avec le trophée Immopar. Les meilleurs joueurs du monde, à l’exception d’Ivantchouk, avaient été réunis pour un tournoi à élimination directe. En finale, Timman a battu Kasparov (1,5 à 0,5). ALAIN FAYARD BRIDGE 1991 a donné quelques satisfactions à la France : les titres européens par paires Open et par paires Dames, remportés par nos représentants (Jean-Christophe Quantin et Michel Abecassis, d’une part, Ginette Chevalley et Danièle Avon, d’autre part), lui ont assuré le grand chelem dans les épreuves européennes par paires. En outre, la France a remporté le Trophée du Marché commun disputé à Athènes par une douzaine de pays. En revanche, lors des championnats d’Europe par équipes Open (victoire de la Grande-Bretagne devant la Suède et la Pologne), la France a terminé à la huitième place. Dans la catégorie Dames (1. Autriche, 2. Allemagne, 3. Pays-Bas), nos joueuses ont dû se contenter de la 6e place. C’est là notre plus mauvais résultat d’ensemble depuis 30 ans ! Du même coup, nous nous sommes trouvés écartés des championnats du monde. Disputés au Japon, ils ont été gagnés, chez les hommes, par les surprenants Islandais (2 % de la population active membres de la Fédération de bridge dans ce pays de 240 000 âmes) – vainqueurs des Polonais, devant la Suède. Dans l’épreuve féminine, la victoire est revenue aux Américaines, qui l’ont emporté sur les Autrichiennes. La médaille de bronze, gagnée par les Chinoises, a été un événement. C’est la première récompense obtenue par les représentants de ce pays, où le bridge devient un jeu dont l’avenir s’annonce très brillant. Pour revenir à la France, le classement est resté inchangé chez les hommes (1. Hervé Mouiel, 2. Paul Chemla, 3. JeanChristophe Quantin), comme chez les dames (1. Sylvie Willard, 2. Danielle Allouche, 3. Ginette Chevalley). L’échelon le plus élevé du classement, la première série nationale, regroupe 81 joueurs et 22 joueuses. Après la démission de l’Autrichien Denis Howard, un Brésilien, Ernesto d’Orsi, est devenu président de la FédéradownloadModeText.vue.download 303 sur 490 SOCIÉTÉ 301 tion mondiale, qui regroupe maintenant 88 pays après l’adhésion du Liechtenstein et le retour de la Roumanie. JEAN-PAUL MEYER PHILATÉLIE La Poste et la Bundespost ont commémoré conjointement le centenaire de Max Ernst par deux timbres mis en page par J.-P. Véret-Lemarinier. Dans la série artistique, le Noeud noir de Seurat et la Balançoire de Renoir se sont distingués par le magnifique travail de gravure de Claude Durrens (cf. ci-dessus). Pour saluer Gaston Fébus, comte de Foix et vicomte de Béarn, mort en 1391, on a reproduit une enluminure de son Livre de la chasse, célèbre à juste titre. La mémoire de six poètes contemporains – Éluard, Breton, Aragon, Ponge, Prévert et Char – a été évoquée le 25 février par la mise en vente de six timbres à surtaxe (2,50 F + 0,50 F). L’hommage à Marcel Cerdan a réutilisé un cliché de l’agence Keystone pris lors de son combat contre Tong Zale, qui lui permit de devenir champion du monde des poids moyens. Cinq émissions postales ont annoncé les jeux Olympiques d’Albertville. Le timbre « Parcours de la flamme » a rappelé que leur comité d’organisation a chargé La Poste d’illustrer cette manifestation ; quatre autres ont été dédiés à des disciplines olympiques. Raymond Moretti a signé une superbe création avec le timbre émis à l’occasion du 350e anniversaire de l’Imprimerie nationale : dans sa composition aux multiples caractères alphabétiques du monde entier se cache l’effigie de Gutenberg (cf. ci-dessus). La série « Nature de France » s’est enrichie de quatre vignettes consacrées à des espèces animales protégées (ours des Pyrénées, castor, martin-pêcheur – cf. cidessus – et tortue terrestre). En 1991, les provinces de France sont demeurées un thème philatélique majeur : Perpignan et la vallée de Munster, le pont de Cheviré à Nantes et le château de Carennac dans le Lot ont été à l’honneur. Les grandes ventes philatéliques de l’année furent italiennes. À Lugano, un groupe japonais s’est porté acquéreur pour 13 600 000 F d’un rare exemplaire sur lettre du célèbre « one penny » de 1840. Lors de la vente Bolaffi du 2 mars à Turin, une lettre du 7 janvier 1860, revêtue du « 3 lires Farouk » du gouvernement provisoire de Toscane, a été enlevée grâce à une enchère record de plus de 3,5 millions de nos francs. HERVÉ ROBERT HIPPISME Prix de l’Arc de Triomphe On attendait une course d’une qualité exceptionnelle en raison de la confrontation entre le meilleur poulain anglais, Generous, présenté comme étant le « cheval du siècle » (il y en a un tous les trois ou quatre ans !), et le meilleur poulain français, Suave Dancer (que Generous avait battu de plusieurs longueurs dans le Derby irlandais). Mais Generous courut en imposteur. Dès l’entrée de la ligne droite, il disparut au sein du peloton, et la victoire revint très facilement à Suave Dancer, permettant ainsi à Cash Asmussen de remporter son premier prix de l’Arc de Triomphe (la seule fois où ce cheval avait été battu, downloadModeText.vue.download 304 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 302 ce n’était pas lui qui le montait). Suave Dancer avait été acheté aux États-Unis par Cash Asmussen pour le compte du propriétaire libano-canadien Henri Chalhoub. La deuxième place revenait à l’excellente pouliche Magic Night, de très modeste origine, qui venait de remporter le prix Vermeille, et la troisième place à Pistolet bleu, rival de Suave Dancer. Les quatre premières places étaient occupées par des chevaux français de trois ans, confirmant ainsi la déroute des chevaux britanniques, au désespoir de la colonie anglaise très nombreuse sur l’hippodrome de Longchamp, mais à la grande downloadModeText.vue.download 305 sur 490 SOCIÉTÉ 303 satisfaction des bookmakers anglais qui avaient enregistré des paris considérables sur les chances de Generous. Élevage À Deauville, les ventes du mois d’août n’ont pas échappé à la baisse internationale qui affecte les ventes de yearlings, notamment aux États-Unis à Keenland, en juillet. À Deauville, le total des enchères a été de 101 695 000 F, inférieur de 7 % par rapport à l’année dernière (où les chiffres n’étaient déjà pas brillants). La moyenne par cheval vendu a été de 265 522 F, contre 290 571 F en 1990, soit une baisse de 8,6 % (en 1985, le prix moyen était de 335 000 F). Les clients arabes qui, en raison de la guerre du Golfe, n’étaient pas intervenus l’année dernière se sont manifestés à nouveau et leurs achats ont représenté 22 % du total des enchères des deux premiers jours, au cours desquels sont proposés les meilleurs sujets. Les investisseurs japonais ont remporté 12 % des enchères. Seize yearlings ont été vendus audessus du million de francs, le prix le plus élevé ayant été atteint par un fils de Nureyev et de River Rose, adjugé à Alec Head pour quatre millions de francs. Mais les yearlings du « milieu de gamme », destinés surtout à une clientèle de propriétaires français, ont trouvé difficilement preneurs, souvent à des prix inférieurs à leur prix de revient. Pour mettre fin à des rumeurs déplaisantes, il a été décidé que les yearlings présentés subiraient, à partir de l’année prochaine, des contrôles biologiques visant à déceler d’éventuels « traitements » aux anabolisants stéroïdiens destinés à gonfler artificiellement leur musculature et à améliorer leur « look ». Jockeys Cash Asmussen, qui a été victime en début de saison d’un accident ayant interrompu sa carrière pendant plusieurs mois, n’occupe cette année que la troisième place dans la compétition pour la cravache d’or. Il est devancé par deux jeunes jockeys de grand talent, Dominique Boeuf et Thierry Jarnet. En obstacle, la lutte pour la première place est circonscrite entre le vainqueur, sur Nile Prince, du prix du Président de la République, le parisien Philippe Chevalier, premier jockey de l’entraînement Gallorini, et le provincial Christophe Pieux, habitué de la cravache d’or. GEORGES DE CORGANOFF downloadModeText.vue.download 306 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 304 OBSÉDANTE IMMIGRATION L’immigration est devenue l’une des principales préoccupations des Français. Mais, derrière ce mot, ce sont des sujets divers qui agitent les esprits. La guerre du Golfe allait-elle raviver en France des tensions communautaires, dresser les Arabes contre les juifs, provoquer une sorte d’intifada ? C’était la grande crainte des pouvoirs publics au début de 1991. Il n’en a rien été : les jeunes d’origine maghrébine, en particulier, ont fait preuve d’un calme exemplaire, ne se distinguant guère du reste de la population. On y a vu le signe d’une « intégration » – concept nouveau, défendu désormais par tous les partis politiques, à l’exception du Front national. « L’intégration » avait déjà un secrétariat général et un Haut Conseil. Édith Cresson lui a donné une place au gouvernement en créant un ministère des Affaires sociales et de l’Intégration. Ce portefeuille a été confié à Jean-Louis Bianco, tandis qu’un ingénieur d’origine togolaise, Kofi Yamgnane, était nommé secrétaire d’État. Français, immigrés et étrangers Les dirigeants de l’INED (Institut national d’études démographiques), de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et du Haut Conseil à l’intégration ont publié en septembre 1991 une mise au point commune au sujet de l’immigration, accompagnée du tableau ci-dessous : Sont comptées comme étrangers les personnes qui ont leur résidence permanente en France métropolitaine et qui déclarent n’avoir pas la nationalité française. Leur nombre n’a guère varié entre les recensements de 1982 et 1990. Sont classées comme immigrés les personnes nées hors de France et qui sont soit étrangères, soit devenues françaises au cours de leur vie. Les étrangers nés en France ne sont pas considérés comme des immigrés. Avec cette définition, le nombre des immigrés aurait augmenté d’une centaine de mille entre les deux recensements. Cette population s’est renouvelée par décès, naturalisations et mouvements migratoires : ainsi downloadModeText.vue.download 307 sur 490 SOCIÉTÉ 305 seraient entrés en France depuis 1982 environ 450 000 étrangers de plus qu’il n’en est parti. La hantise de « l’été chaud » Édith Cresson a présenté l’intégration comme l’une des priorités de son gouvernement : une politique concernant tous les exclus, qu’ils soient français ou étrangers. Cela dit, le concept s’applique particulièrement aux immigrés et à leurs enfants, comme cela est apparu dans le premier rapport annuel du Haut Conseil, publié en février. « L’intégration, précisaient les neuf sages, est un processus spécifique par lequel il s’agit de susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles et morales ». Les immigrés, ajoutait le Haut Conseil, doivent « accepter les règles » de la société française, adhérer à « un minimum de valeurs communes » pour que leur « fusion dans la communauté nationale » continue à enrichir celle-ci et à contribuer à son rayonnement. Les « sages » mettaient cependant en garde contre une sorte d’intégration à l’envers, naissant de la cohabitation explosive, en certains quartiers, d’immigrés récents et de Français en voie de marginalisation. Certains de ces quartiers ont fait les gros titres des journaux au printemps. À Sartrouville, dans les Yvelines, la mort d’un « beur » de dix-huit ans, tué par un vigile, a provoqué de violents affrontements entre des jeunes et les forces de l’ordre. À Mantes-la-Jolie, dans le même département, un « beur » du même âge est mort d’une attaque cardiaque après sa garde à vue. Le gouvernement devait tenir compte, à la fois, du désespoir de certains jeunes, de l’exaspération de la police et de l’inquiétude de l’opinion. Un projet de loi sur la ville, baptisé « anti-ghettos », a été adopté en juillet pour favoriser la mixité des divers types d’habitat dans les agglomérations urbaines. Parallèlement, il a été décidé que les fonctionnaires remplissant des missions « difficiles » dans certains quartiers (enseignants, policiers, etc.) verraient leur carrière accélérée. D’autres mesures ont été prises d’urgence pour éviter un « été chaud ». Ainsi, le nombre des policiers a été augmenté ; plus d’une centaine de terrains de sports scolaires et universitaires ont été ouverts en juillet et août, tandis que des jeunes défavorisés étaient reçus par des familles à la campagne… L’été a été calme, au grand soulagement des pouvoirs publics, mais rien n’était réglé pour autant : une explosion pouvait survenir n’importe où, à tout moment. Bien que s’étant fixé comme objectif l’intégration, le gouvernement a surtout été amené en 1991 à s’occuper des flux migratoires. D’abord, en s’efforçant de régler le sort de dizaines de milliers de demandeurs d’asile déboutés, puis en tentant de répondre aux critiques de l’opposition à propos des immigrés clandestins. Le débat sur le droit d’asile a pris une tournure nouvelle depuis que l’examen des demandes a été fortement accéléré. Obtenant une réponse – le plus souvent négative – en moins de trois mois, les candidats au statut de réfugié se sont vu retirer l’autorisation de travailler durant la procédure. Ils ne peuvent plus, comme avant, faire valoir leur intégration en France après deux ou trois ans de séjour, downloadModeText.vue.download 308 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 306 pour s’opposer à une reconduite à la frontière. Au printemps, un certain nombre de demandeurs déboutés, soutenus par des associations, ont organisé des grèves de la faim. Le gouvernement a refusé une régularisation massive, concernant plusieurs dizaines de milliers de personnes : les dossiers controversés devaient être réétudiés cas par cas. Les immigrés clandestins ont focalisé l’attention en 1991. Comme personne n’est en mesure d’évaluer exactement leur nombre, des chiffres fantaisistes n’ont cessé d’être lancés. Le gouvernement se devait d’agir, pour répondre aux critiques de l’opposition et aux inquiétudes de l’opinion, mais aussi pour défendre sa politique d’intégration : il est difficile, en effet, d’insérer des étrangers dans le tissu social si les arrivées se multiplient de manière incontrôlée. (Dans le rapport qu’il a présenté en novembre 1991, le Haut Conseil à l’intégration estime que près de 100 000 personnes de nationalité étran- gère ont été autorisées en 1990 à résider de façon durable en France. Parmi ces immigrants, 46 % étaient originaires du continent africain et 21 % d’Asie. Les Européens (parmi lesquels un tiers de Turcs) ne représentaient que 25 % de l’ensemble. Parmi les 100 000 enregistrements administratifs (qui ne traduisaient pas tous des entrées physiques nouvelles, on comptait environ 22 000 travailleurs permanents, 37 000 membres de leurs familles et 15 000 conjoints de Français. Ne sont comptés dans ce total ni les résidents temporaires (étudiants, travailleurs frontaliers...) ni les clandestins dont le nombre est, par définition, inconnu.) Xénophobie et dérapages Un projet de loi sur la répression du travail clandestin, voté en première lecture par les députés le 15 octobre, a prévu des sanctions sévères pour tous les maillons de la chaîne : des passeurs aux employeurs, sans oublier les logeurs ou les transporteurs. Il a été décidé notamment qu’un employeur de travailleurs clandestins serait interdit d’activité professionnelle pendant la durée maximale de cinq ans et pourrait encourir jusqu’à trois ans de prison. Mais la loi vise aussi « toute personne qui, par aide directe ou indirecte, a facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger ». Ces intermédiaires risquent, en outre, s’ils sont étrangers, d’être interdits de séjour en France pour une durée de dix ans. Un autre projet de loi, adopté le 14 novembre en Conseil des ministres, concerne les transporteurs. Une compagnie aérienne, par exemple, qui aurait débarqué en France un étranger dépourvu de passeport ou de visa, devrait non seulement payer une amende de 10 000 francs mais aussi réembarquer ce passager à ses frais. Aucune des mesures annoncées n’a suffi à retourner une opinion publique qui s’est montrée en 1991 particulièrement xénophobe. Un sondage de la SOFRES, dont les résultats ont été publiés en octobre, indiquait que 38 % des Français (contre 51 %) approuvaient les prises de position de Jean-Marie Le Pen sur l’immigration. Des responsables politiques ont été tentés de suivre le vent. On a entendu successivement Édith Cresson accepter le downloadModeText.vue.download 309 sur 490 SOCIÉTÉ 307 principe de « charters » pour reconduire les étrangers indésirables ; Jacques Chirac évoquer les nuisances – et notamment « l’odeur » – provoquées par certaines familles immigrées ; Valéry Giscard d’Estaing dénoncer « l’invasion » et vanter « le droit du sang » ; Michel Poniatowski crier à « l’occupation », en prônant un rapprochement de la droite « traditionnelle » avec le Front national. Ces dérapages plus ou moins contrôlés avaient pour but d’arracher des électeurs potentiels à Jean-Marie Le Pen. Mais ils ont donné l’impression de légitimer les thèses du dirigeant d’extrême droite et, finalement de le servir. L’intéressé lui-même remarquait, avec ironie, que les Français « préfèrent l’original à la copie ». Le Front national a cependant fait entendre sa différence, à la mi-novembre, en rendant publiques « Cinquante mesures concrètes pour contribuer au règlement du problème de l’immigration ». Dans ce projet de programme, il se proposait, entre autres, d’instaurer « un contrôle sanitaire approfondi » aux frontières, d’expulser les chômeurs étrangers en fin de droits, de « démanteler les ghettos ethniques », de réviser les manuels scolaires pour en bannir « le cosmopolitisme » et de reconsidérer les naturalisations accordées depuis 1974. Ce brûlot a suscité de vives réactions dans la presse et les milieux politiques. Depuis le début des années 80, le parti de M. Le Pen s’était, en quelque sorte, approprié l’immigration. À la fin de 1991, le sujet donnait l’impression de lui échapper, même s’il avait largement marqué le débat de son empreinte. Apparue comme le principal sujet de préoccupation des Français après le chômage, l’immigration intéressait tous les partis et constituait un thème électoral majeur. ROBERT SOLÉ Après avoir été correspondant à Washington et à Rome, Robert Solé dirige actuellement le service Société du Monde. downloadModeText.vue.download 310 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 308 ÉCONOMIE L’économie mondiale s’enfonce-t-elle dans le marasme ou va-t-elle vers la reprise ? Telle est l’interrogation majeure de l’année. Les pays industrialisés enregistrent un ralentissement sensible de leur activité économique et leur croissance, pratiquement nulle au premier semestre, reste faible tout au long de l’année, dépassant à peine 1 %. Non seulement la récession perdure dans les pays anglosaxons (États-Unis, Royaume-Uni) et le ralentissement persiste au-delà des prévisions dans les pays européens, mais les deux locomotives que sont l’Allemagne et le Japon s’essoufflent à leur tour. Pire, la reprise attendue depuis la fin de la guerre du Golfe n’est pas au rendezvous, ou reste bien molle, en dépit de l’assouplissement des politiques monétaires et d’un pétrole au prix devenu à nouveau raisonnable (aux alentours de 18/21 dollars le baril). La dégradation de l’environnement international – et notamment la diminution des échanges commerciaux – aggrave la situation économique et sociale déjà très fragile des pays en voie de développement et accentue l’effondrement économique des pays d’Europe centrale et orientale. La morosité Le ralentissement économique puis le choc de la guerre du Golfe ont ébranlé la confiance des acteurs économiques. Confrontées à la dégradation de leurs résultats, les entreprises préfèrent différer leurs investissements et procéder à des opérations de restructuration et de redressement, synonymes de licenciements, au nom de la compétitivité. Certains secteurs, comme l’électronique mon- diale, actuellement dans la tourmente, sont particulièrement touchés par la concurrence. Alors que le chômage s’élève à nouveau et que le pouvoir d’achat ralentit sa progression, les ménages réduisent leurs dépenses de consommation. Le fléchissement de la demande privée est accentué par l’accumulation excessive de dettes. Non seulement les agents économiques préfèrent rembourser et ne plus emprunter – d’autant que persistent des taux d’intérêt réels élevés –, mais les banques en crise, échaudées par la multiplication des défauts de paiement dus au surendettement, préfèrent assainir leurs comptes et sont plus réticentes à consentir des crédits à l’économie. Cette contraction du crédit (credit crunch), qui affecte la plupart des pays industrialisés, frappe plus particulièrement les États-Unis et explique l’Arlésienne de la reprise, celle-ci étant bloquée en dépit de la baisse réitérée des taux d’intérêt, rendue possible par la maîtrise de l’inflation. Et les perspectives économiques sont d’autant plus préoccupantes que la marge de manoeuvre des gouvernements est faible, les déficits budgétaires étant déjà très élevées dans ce contexte de moindres rentrées fiscales. Dans les pays de l’Est, la transition vers l’économie de marché s’est vite révélée non seulement douloureuse, mais surtout difficile, longue et incertaine. Elle s’est accompagnée d’une forte chute de la production, des revenus, du niveau de vie et d’une poussée de l’infladownloadModeText.vue.download 311 sur 490 ÉCONOMIE 309 tion et du chômage. Les effets négatifs ont été amplifiés par l’effondrement des échanges avec les anciens partenaires du CAEM (Conseil d’assistance économique mutuelle) ou du COMECON dissous en juin, et par le mauvais environnement international. L’assainissement économique bute sur la pénurie d’investissements et l’insuffisance de l’aide. Le sauvetage par les Occidentaux de l’ancienne Union soviétique, qui traverse une très grave crise économique et une profonde crise financière, devient même d’une grande urgence. Les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, BERD, CEE) et les États décident de se mobiliser sous réserve que les pays de l’Est entreprennent les réformes nécessaires au passage à l’économie de marché. De même, l’unification de l’Allemagne se révèle plus coûteuse et plus délicate que prévu à cause de l’écart croissant entre une Allemagne de l’Ouest florissante, en dépit d’un certain ralentissement, et une ex-Allemagne de l’Est en pleine déconfiture, même si certains signes de reprise se manifestent en fin d’année. Les défis et les incertitudes Tous ces changements posent de nouveaux défis à la CEE qui voudrait s’affirmer comme le véritable pilier du nouvel espace européen en recomposition. Alors que se multiplient – et se multiplieront – les candidatures, les divergences restent fortes entre les Douze. Les négociations piétinent donc souvent ; mais la volonté d’accélérer l’intégration et la construction de l’Europe a été renforcée par la conclusion des deux traités sur l’Union politique et l’Union économique et monétaire (UEM) lors du Conseil tenu à Maastricht au mois de décembre. L’avenir des pays du tiers-monde reste également très préoccupant. Le défi du développement repose plus que jamais sur les nouveaux capitaux que l’intégration de ces économies au marché mondial leur apporterait. C’est pourquoi il est urgent de conclure les négociations commerciales multilatérales dans le cadre du GATT pour libéraliser les échanges. Or, l’issue de l’Uruguay Round, prévue pour la fin de l’année, reste incertaine à cause de la difficulté qu’ont les États-Unis et la CEE à trouver un compromis sur la question agricole. Un échec serait d’autant plus grave que la tendance actuelle est au développement du régionalisme et qu’est ravivé le contentieux économique entre les nations occidentales et le Japon, qui voit à nouveau croître ses excédents commerciaux. Une crise de liquidités Les problèmes financiers entravent la croissance. Dans tous les pays, mais à des degrés divers, le poids de la dette, tant publique que privée, le déséquilibre des balances courantes, les déficits des finances publiques, la fragilité du système bancaire ou la crise immobilière reflètent une pénurie d’épargne dans le monde qui, pour les experts, devient d’autant plus préoccupante que l’Allemagne et le Japon, traditionnels bailleurs de fonds, ne sont plus à même de remplir ce rôle efficacement étant donné que la première est accaparée par sa réunification, et voit donc ses excédents commerciaux diminuer, et que le second downloadModeText.vue.download 312 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 310 a tendance à se replier sur son marché national. La situation est d’autant plus problématique que les besoins en financement sont considérables. Aux besoins traditionnels de l’Ouest – notamment des États-Unis avec leur déficit budgétaire et celui de leur balance extérieure – et du Sud, se sont ajoutées des exigences nouvelles dues au financement de l’unification allemande, aux réformes dans les pays de l’Est et à la reconstruction des États du Moyen-Orient touchés par la guerre du Golfe. Le FMI estime la demande supplémentaire en capitaux à 100 milliards de dollars par an. L’épargne mondiale ne paraît pas suffisante pour satisfaire les investissements que réclame l’accélération de la croissance, et la concurrence, qui s’exerce sur le marché des capitaux, tire les taux d’intérêt vers le haut. La menace d’une crise financière est aujourd’hui bien réelle et avec elle apparaît le spectre d’une crise des liquidités. Dans ce contexte de dégradation de la conjoncture (absence de reprise et fragilité du système financier), le malaise devient croissant sur les marchés financiers et contraste avec l’euphorie des années 80. Les anticipations – qui jouent un rôle aujourd’hui primordial alors que l’incertitude prédomine – expliquent les mouvements de yo-yo que l’on constate sur les marchés boursiers et les marchés des changes. Les places financières connaissent des hauts et des bas, et même un nouveau minikrach le 15 novembre, dû notamment à l’inquiétude que suscite l’absence de reprise aux États-Unis. Elles ont surtout pâti de la faiblesse du volume des transactions et de la désaffection des investisseurs. La croissance espérée La profession boursière est donc morose. Elle est confrontée aux dégraissages et aux défaillances de certaines sociétés de Bourse. De plus, les scandales à répétition contribuent à la perte de confiance et accentuent la fragilité du monde financier, même si certaines sanctions sont prises et si l’on assiste à un retour à la réglementation. Dans ce contexte, les maisons de titres japonaises (Nomura, Nikko, Daiwa et Yamaichi) sont accusées de manipuler les cours et de pratiquer le dédommagement pour pertes de leurs plus gros clients. De même, Salomon Brothers et d’autres firmes de courtage new-yorkaises sont-elles poursuivies pour fraudes et manipulations lors d’adjudications de bons du Trésor américains. Enfin, on se souviendra de la BCCI (Banque de Crédit et de Commerce International), impliquée dans des affaires de drogue, de terrorisme et d’espionnage, et qui voit ses activités suspendues en juillet grâce à une action internationale concertée et coordonnée par la Banque d’Angleterre. Les tensions relevées sur les marchés boursiers se manifestent également sur ceux des changes, victimes des évolutions contrastées du dollar. Après un mouvement « baissier » en début d’année, le billet vert se redresse, en dépit de la baisse des taux d’intérêt, jusqu’à gagner plus de 20 % contre toutes les autres devises : ainsi, au plus bas le 11 février (il est à 4,95 FF et 1,443 DM, son plus bas cours historique), il grimpe jusqu’à 6,20 FF et 1,85 DM fin juillet. Cette escalade est particulièrement préjudiciable au mark allemand ; elle oblige la Bundesbank à relever plusieurs fois ses taux d’intérêt, tant pour downloadModeText.vue.download 313 sur 490 ÉCONOMIE 311 défendre capitaux tion. Au est à la quent, à sa monnaie que pour attirer les étrangers et lutter contre l’inflasecond semestre, la tendance baisse du billet vert et, par conséla hausse de la devise allemande, ce qui provoque des tensions au sein du Système monétaire européen, où le franc et la livre sterling sont particulièrement attaqués, tandis que la peseta espagnole caracole en tête, uniquement en raison de taux d’intérêt élevés. Ainsi, les mouvements de taux de change répondent en partie aux mouvements actuels et anticipés des différentiels d’intérêt entre pays. Ces écarts persistants de taux d’intérêt finissent par inquiéter. Si la coordination des politiques monétaires et budgétaires est difficile, les impératifs intérieurs l’emportant sur les considérations internationales, jamais en revanche les pays industrialisés ne se sont autant consultés pour analyser les nouveaux problèmes et les moyens de les résoudre, conscients qu’ils sont devenus de l’interdépendance et de la globalisation croissantes des activités économiques. Ainsi, les atteintes de plus en plus graves portées à l’environnement amènent la communauté internationale à coopérer dans la recherche des moyens de réussir une croissance soutenable qui concilie progrès économique et protection de l’environnement. Le retour à la croissance est espéré, mais pas à n’importe quelle croissance ! DOMINIQUE COLSON downloadModeText.vue.download 314 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 312 LA CROISSANCE SOUTENABLE Afin que puisse perdurer la croissance, il faut imposer le mariage de raison de l’économie et de l’écologie. La multiplication et l’aggravation des atteintes portées à l’environnement commencent à susciter de grandes inquiétudes. En effet, même si ces agressions ne menacent pas à court terme la survie de la planète, elles peuvent bloquer la croissance de l’économie parce que nous sommes en présence d’une interdépendance totale, la croissance économique étant bien souvent jugée responsable de cette dégradation. L’inquiétude écologique provoque alors une réflexion sur la nécessité d’adopter une nouvelle forme de croissance, plus durable ou plus « soutenable », soucieuse de ménager, pour les générations futures, un capital naturel – renouvelable ou non renouvelable – déjà bien entamé. L’inquiétude écologique Le pessimisme foncier affiché en matière écologique ne se justifie pas tant par les conséquences souvent dramatiques des grandes catastrophes naturelles, chimiques, nucléaires, pétrolières, ou encore « stratégiques » (comme celle qu’a provoquée l’incendie des puits de pétrole au Koweït à l’issue de la guerre du Golfe) que par les effets souvent irréversibles de « la globalisation (ou mondialisation) de la crise écologique ». Par cette expression, on veut attirer l’attention sur le fait qu’à l’heure actuelle aucune ressource, aucun milieu naturel, aucun secteur d’activité, aucun pays même, qu’il soit ou non industrialisé, ne peut éviter de subir une profonde détérioration de son environnement. Si l’inventaire de ces dommages était dressé, l’état de la planète apparaîtrait plutôt désastreux. En effet, entre la multiplication des atteintes déjà anciennes portées à l’environnement et l’apparition de nouvelles agressions, la tendance à la dégradation du capital naturel s’est à la fois aggravée et accélérée. Cette dégradation a été longtemps attribuée à des pollutions chimiques, industrielles ou ménagères à caractère local que l’on pouvait combattre par des moyens techniques. Aujourd’hui, les effets des pollutions se manifestent à l’échelle de la planète entière : émissions de gaz nocifs réchauffant l’atmosphère (« effet de serre »), déforestations modifiant le régime des pluies et fragilisant les sols et les écosystèmes, ou encore détérioration de la couche d’ozone qui protège la vie terrestre... Mais on constate également les méfaits de la déprise de l’espace rural due à l’intensification de la production et ceux de l’emploi de plus en plus intensif d’engrais azotés et de pesticides. Aujourd’hui encore, on a tendance à considérer les pays industrialisés comme les principaux pollueurs. Or les pays pauvres ou les pays en voie d’industrialisation commencent à être sérieusement affectés par la dégradation de leur environnement pour des raisons économiques ou sociales. On remarque ainsi que, entravées par le poids des réglementations antipollutions appliquées dans leur pays d’origine, les industries polluantes se délocalisent downloadModeText.vue.download 315 sur 490 ÉCONOMIE 313 dans des pays qualifiés de « paradis écologiques » à cause de leur réglementation laxiste ou même inexistante, ces derniers favorisant l’installation de telles activités dans un souci de développement économique. Pour les mêmes raisons, des pays en voie de développement adoptent des modèles d’agriculture industrielle dévastateurs pour leur environnement forestier ou surexploitent leurs ressources naturelles jusqu’à leur épuisement total afin de pouvoir faire face aux charges liées à leur dette extérieure. Enfin, le développement économique donne naissance à des agglomérations monstrueuses et inorganisées où les pollutions diverses, sévissant de manière endémique, ne peuvent plus être éliminées. Parce que les effets de la dégradation de l’environnement se manifestent partout, indépendamment du niveau de développement, et que la crise atteint une très grande ampleur, on parle désormais de globalisation (ou de mondialisation) de la crise écologique. Dès lors, on est logiquement amené à se demander quelle est la part de responsabilité de la croissance économique dans ce phénomène. La responsabilité de l’économie En constatant les dommages causés à l’environnement, on serait tout naturellement tenté de les attribuer aux producteurs, accusés de ne pas prendre les mesures qui s’imposent pour empêcher pollutions et nuisances. Cette vision simpliste permet malheureusement de dissimuler la responsabilité d’autres acteurs, comme celle du consommateur, qui, par ses choix, peut également contribuer à la pollution. En réalité, la dégradation de l’environnement résulte surtout de ce que l’on appelle les défaillances du marché et des déficiences ou de l’inefficacité de l’intervention publique. La défaillance du marché provient du fait que les ressources dites « naturelles » présentent une caractéristique qui leur est propre : elles sont disponibles en quantités apparemment illimitées, de sorte qu’elles peuvent être utilisées « gratuitement ». On peut alors avancer que c’est l’absence d’obligation de paiement qui autorise et entraîne le gaspillage, la détérioration ou même la destruction définitive de ces ressources. La gratuité joue sans aucun doute possible contre l’environnement : le pollueur détériore la ressource parce qu’il n’a pas besoin d’intégrer son coût dans son prix de revient. Dans ces conditions, il faudrait lui faire supporter effectivement toutes les charges directes et indirectes induites à la fois par l’utilisation de la ressource et par les choix de production et de consommation. Dans la réalité, cette procédure – qui est connue sous le nom d’internalisation des coûts (externes) et qui est appliquée en France depuis 1964 en matière de gestion de l’eau – se heurte à des difficultés d’évaluation des dommages ou encore à la résistance des producteurs. Ceux-ci font valoir que le versement des redevances (ou des taxes) d’utilisation réduit la marge et donc la compétitivité des entreprises. Ils réussissent alors à obtenir un tel plafonnement de ces charges qu’ils ne sont plus incités à réduire réellement leur pollution. Par rapport à la procédure précédente, le recours à l’instrument réglementaire représente à première vue pour les pouvoirs publics la solution de facilité. downloadModeText.vue.download 316 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 314 Deux voies peuvent être empruntées : l’une consiste à édicter des interdictions ou à fixer des normes techniques ; l’autre fait appel à l’incitation : des allégements fiscaux ou des subventions peuvent ainsi amener les entreprises à investir dans les technologies « propres ». Toutefois, cette action réglementaire ne se révèle pas toujours efficace en raison de sa complexité et surtout de son inadaptation à une évolution technologique très rapide. En définitive, lorsque l’on cherche à dresser un premier bilan des efforts consentis pour éviter la dégradation de l’environnement ou pour le protéger, il faut bien convenir que ni l’internalisation des coûts d’utilisation et de détérioration des ressources, ni l’action réglementaire n’ont incité les producteurs ou les consommateurs à intégrer dans leurs choix (ou dans leurs calculs) le prix des ressources. En outre, il ne semble pas que leur gaspillage ait été freiné, alors même que l’on commençait à prendre conscience du fait qu’elles pourraient se raréfier si leur dégradation n’était pas arrêtée. En d’autres termes, c’est un véritable constat de carence qui est établi. De ce fait, certains estiment que le problème de l’environnement et de sa dégradation doit être abordé d’une manière différente : il doit être traité en profondeur, c’est-à-dire qu’il convient de réexaminer les relations économie-écologie en n’oubliant pas que la dégradation de l’environnement peut bloquer la croissance de l’économie au plan global. En conséquence, il n’est plus possible d’ignorer la nécessité actuelle de concilier durablement deux préoccupations qui semblent encore contradictoires : la poursuite de la croissance économique et la protection de l’environnement. Se trouve alors posé le problème de ce que l’on nomme maintenant le développement soutenable. Un nouveau concept Il a fallu attendre les années 1960 pour que, dans les pays occidentaux, l’on prenne conscience du fait – pourtant déjà relevé au XVIIIe siècle par les physiocrates et rappelé par leurs successeurs, Malthus et Ricardo – que les activités humaines ne pouvaient se développer indéfiniment. En même temps, on découvrit que l’environnement pouvait se dégrader sous les coups de la pollution agricole ou industrielle. En 1971 et en 1974, les travaux du Club de Rome reflétèrent ces inquiétudes pesant sur le devenir de l’environnement et sur l’épuisement des ressources naturelles. En 1972, lors de la Conférence de Stockholm, éclata pour la première fois le conflit opposant les pays du Nord à ceux du Sud. Alors que les premiers préconisaient des mesures globales (c’està-dire applicables à l’échelle de la planète) de protection de l’environnement, les seconds, menés par le Brésil, étaient avant tout soucieux de développement et accusaient le Nord d’inventer des freins à leur croissance. Cette conférence a eu toutefois le mérite de dégager – bien que de façon assez sommaire – la problématique de l’environnement : il ne s’agit pas simplement d’accidents ou de dysfonctionnements des systèmes de production, mais de l’interdépendance complexe qui existe entre la dynamique du développement et les risques planétaires d’atteintes à l’environnement. downloadModeText.vue.download 317 sur 490 ÉCONOMIE 315 Sous la pression des pays pauvres, on découvrit ainsi que la protection de l’environnement ne dépend pas tant des mesures de lutte contre la pollution que de l’adoption d’une politique générale et globale qui tienne compte notamment des relations entre les pays et des interactions entre phénomènes paraissant jusqu’alors totalement indépendants les uns des autres. Le 14 juin 1983, une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies créa la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED). Son rapport : « Our Common Future » (Notre avenir à tous), communément appelé « Rapport Brundtland », du nom du président de la Commission, Mme Gro Harlem Brundtland, fut rendu au début de 1987. D’entrée de jeu, il définissait la nouvelle problématique des relations entre environnement et développement économique : « Il est impossible de dissocier les problèmes de l’environnement de ceux de la croissance économique. Le développement économique, sous n’importe quelle forme, détruit le capital naturel, de telle sorte qu’une réglementation au plan mondial s’impose ; inversement, la dégradation de l’environnement peut arrêter à terme le développement. Par ailleurs, la pauvreté doit être regardée comme étant à la fois la cause première et la principale conséquence de la dégradation de l’environnement et cela aussi sur le plan international. Par conséquent, le traitement des problèmes du milieu naturel ne peut pas ignorer la pauvreté et surtout les inégalités de développement dans le monde. » Si l’on part du fait que la dégradation de l’environnement est provoquée par la croissance économique et qu’inversement la première peut arrêter la seconde, la préoccupation essentielle devient celle de la continuité de la croissance économique sans dommage pour le capital naturel et pour les générations futures. C’est pour répondre à cette préoccupation qu’a été introduit le concept de développement soutenable ou durable : ce qui est recherché, c’est le maintien des systèmes de développement économique sur le long, voire le très long terme. Autrement dit, un développement soutenable est un développement durable, c’est-à-dire un développement où coévoluent systèmes économiques et biosphère, de façon que la production issue des premiers assure la reproduction de la totalité des facteurs de la seconde. Contraints à s’entendre Par conséquent, pour que le développement économique soit véritablement « soutenable », il faut tenir compte de trois sortes de contraintes : en premier lieu, comme le souligne l’OCDE, si l’objectif général consiste à augmenter la production tout en préservant le capital naturel, il ne faut pas non plus oublier qu’il faut « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ». Se trouvent ainsi introduits une notion de responsabilité « éthique » des générations actuelles vis-à-vis des générations futures et le souci d’adopter des stratégies de préservation ou de conservation du patrimoine. En second lieu, les inégalités de répartition des ressources naturelles à travers le monde ne doivent pas être aggravées, notamment downloadModeText.vue.download 318 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 316 en évitant que les pays industrialisés ne transfèrent leurs dommages aux pays beaucoup plus pauvres qu’eux. Enfin, le rapport Brundtland a fait admettre que la réconciliation entre la croissance économique et l’environnement devait intervenir au plan mondial. Depuis sa publication, ce rapport a surtout fait prendre conscience – beaucoup moins vivement toutefois dans les pays industrialisés que dans les autres – de la nécessité d’un traitement négocié des relations environnement-croissance. Ainsi, la défense des intérêts de certaines catégories de producteurs, par exemple agricoles, conduit les gouvernements des pays industrialisés à verser des subventions ou à attribuer des aides fiscales. Les unes et les autres favorisent alors la surproduction qui non seulement dégrade la base des ressources (épuisement et érosion des sols), mais, surtout, ruine les agricultures vivrières des pays en développement. Pour lutter contre ce protectionnisme destructeur de l’environnement, le point de vue « environnemental » est constamment rappelé dans les grandes négociations internationales (CEE, Uruguay Round) où il est avancé, en premier lieu, que le soutien apporté aux productions vivrières doit passer par une amélioration de l’organisation de leurs débouchés et, en second lieu, que, dans les pays industrialisés, la réduction des subventions et surtout des rendements (problème des surplus) doit entraîner à la fois celle de l’utilisation des engrais et des insecticides et celle de l’érosion. Enfin, la mondialisation de la pollution condamne à l’avance le volontarisme de certains pays isolés qui pensent pouvoir résoudre tout seuls les problèmes d’environnement. Les pays sont donc contraints à s’entendre pour résoudre cette question devenue planétaire. La coopération internationale s’impose déjà pour des problèmes tels que ceux de la détérioration de la couche d’ozone, des modifications climatiques liées à l’effet de serre, de la gestion des espaces maritimes (transport du pétrole et immersion des déchets), etc. En définitive, cette discussion sur la croissance soutenable souligne que l’environnement est un bien collectif universel qui ne saurait appartenir ni à un seul pays ni aux seules générations actuelles. Par ailleurs, comme c’est un bien qui se dégrade facilement, la contrainte de gestion doit dominer afin que soient économisées les ressources, évité le gaspillage et limitée la gravité des conséquences de nos activités actuelles qui, dans un avenir plus ou moins proche, peuvent venir affecter l’ensemble de la planète. GILBERT RULLIÈRE Directeur de recherches au CNRS, spécialisé dans l’économie agricole. Gilbert Rullière enseigne la gestion et l’économie du financement des entreprises à l’université de Lyon-I. downloadModeText.vue.download 319 sur 490 ÉCONOMIE 317 LE POINT SUR... FINANCES INTERNATIONALES Tout comme par le passé, les marchés financiers et les places boursières internationales ont fait preuve tout au long de l’année d’une instabilité déconcertante, donnant ainsi l’impression d’une grande fragilité aux chocs extérieurs, à caractère essentiellement psychologique. D’un côté, alors que les évolutions économiques fondamentales, ou « fondamentaux » (notamment les tendances presque permanentes des déficits liés du commerce extérieur et du budget), inciteraient les opérateurs à beaucoup de prudence, voire au pessimisme, les anticipations de ces derniers peuvent orienter les marchés à la baisse, selon qu’ils croient que l’évolution est favorable ou non à l’achat de valeurs mobilières. Ainsi, alors que l’expansion tombait de 3,25 % en 1989 à 2 % en 1990 et à 1,25 % en 1991, reflétant un ralentissement durable dans les pays industrialisés et une chute brutale de l’activité économique dans les pays en voie de développement, en Europe de l’Est et au Moyen-Orient, les opérateurs n’ont jamais cessé de miser sur une reprise de l’activité au cours de l’année 1991, ce qui a fait repartir à la hausse les marchés boursiers. Cependant, celle-ci a été interrompue à deux reprises par des chocs extérieurs (par exemple le putsch manqué en URSS en août). La sinistrose D’un autre côté, au cours de ces dernières années, et comme le soulignent les précédents krachs des 19 octobre 1987 et 13 octobre 1989, les marchés financiers se sont toujours montrés sensibles, sinon vulnérables, aux nouvelles, événements ou rumeurs sans rapport direct avec les performances des entreprises ou de l’économie réelle (la production et les échanges). Dans une telle situation où l’incertitude domine, la bulle financière ne met que quelques heures à éclater, c’est-à-dire que le mouvement de hausse des cours boursiers, qui s’étend sur plusieurs semaines, s’arrête immédiatement et s’accompagne d’une chute plus ou moins brutale. Dans ce cas, le plongeon des actions indique que les investisseurs ont tenu compte des éléments économiques fondamentaux, sans d’ailleurs pour autant que l’économie réelle s’en trouve affectée : à l’hypersensibilité des marchés financiers correspond, à l’opposé, une profonde inertie de l’économie réelle. Dès le début de l’année, ce modèle de fonctionnement des marchés a pu être vérifié. En effet, avec la crise du Golfe ouverte en août 1990, ceux-ci ont traversé une forte dépression. Mais le début de l’offensive alliée, le 17 janvier, a été interprété favorablement ; par conséquent, comme les marchés ont anticipé en même temps un redémarrage économique et une sorte de récession, la hausse des cours boursiers a pu reprendre. Le mercredi 17 avril, l’indice Dow Jones a franchi pour la première fois de son histoire la barre des 3 000 points (soit 15 % de hausse à Wall Street, depuis le début de l’année). Il aura donc fallu attendre neuf mois pour atteindre ce record, entre le 16 juillet 1990 (2 999,75 points) et le 17 avril 1991 (3 004,46 points). Malgré quelques signes décourageants (ralendownloadModeText.vue.download 320 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 318 tissement de l’économie américaine), les cours boursiers ont fluctué autour des 3 000 points jusqu’au mois d’août. Le même scénario s’est produit avec l’échec du putsch soviétique d’août et le krash « mou » de novembre. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont des chocs extérieurs (destitution de M. Gorbatchev, performances médiocres de l’économie américaine) qui ont provoqué une chute brutale des cours. Dans le premier cas, le renversement et la remontée des cours ont été immédiats. Dans le second cas, l’absence de reprise de l’activité économique a entraîné un mouvement durable de baisse des cours : – 11 % en France, – 8,4 % au Japon, – 6,3 % aux États-Unis, – 6,4 % en Grande-Bretagne et – 4,3 % en Allemagne. Une véritable « sinistrose » a gagné les investisseurs, rejoignant les appréciations défavorables portées sur l’évolution économique fondamentale. GILBERT RULLIÈRE COMMERCE INTERNATIONAL En 1990, les échanges mondiaux de marchandises (hors services) avaient augmenté fortement, pour atteindre un record de 6 750 milliards de dollars (40 800 milliards de francs) contre 5 920 milliards en 1989, soit une hausse de 14,7 %. En 1991, selon le rapport annuel de la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), la décélération de la croissance économique dans certains pays industrialisés a entraîné un tassement de la croissance du commerce international de l’ordre de 3 % contre 4,3 % en 1990 ; mais, en dépit de cette décélération, les échanges mondiaux sont toujours restés orientés à la hausse, à un taux un peu moins élevé toutefois. Quant aux causes de ce ralentissement des échanges, il est apparu que la crise du Golfe n’a pas joué un rôle important. C’est plutôt la moindre progression des investissements et des dépenses de consommation dans les pays industrialisés qui pourrait être regardée comme responsable. L’Uruguay Round, toujours Il n’en demeure pas moins que, si l’incidence globale de cette crise sur le commerce mondial a été relativement faible, des pays comme la Jordanie, la Turquie, la Roumanie, l’Inde et la Yougoslavie ont manqué des ventes. Par ailleurs, la baisse des transports maritimes a entraîné des pertes considérables pour des pays comme Djibouti ou l’Égypte, à laquelle le trafic transitoire par le canal de Suez assure le cinquième de ses recettes en devises. La croissance des échanges extérieurs s’est renforcée en Amérique latine (sauf au Brésil), y compris parmi les pays nonexportateurs de pétrole. L’Afrique, et plus particulièrement les pays les moins avancés du continent, ont été très touchés par le ralentissement de l’activité mondiale. Quant aux États asiatiques fortement orientés vers le commerce extérieur, tels que la Corée du Sud et Singapour, ils ont continué à souffrir de la réduction de la demande de leurs produits d’exportation. En revanche, Hongkong a amélioré ses résultats grâce au redressement du commerce en entrepôt avec la Chine. À l’Est, la CNUCED a estimé que, si les échanges commerciaux des pays de l’Est avec les autres pays industriels downloadModeText.vue.download 321 sur 490 ÉCONOMIE 319 pouvaient augmenter rapidement et fortement (l’Allemagne a presque doublé ses exportations entre 1989 et 1990), ils se heurteraient, à terme, à des difficultés tenant à des contraintes internes d’approvisionnement et à des moyens financiers insuffisants. D’autre part, les négociations de l’Uruguay Round, interrompues à la suite de l’échec de la conférence ministérielle du 7 décembre 1990, ont repris le mercredi 20 février à Genève. Visant à consolider et à renforcer le libre-échange international, ces négociations, engagées à l’automne 1986 à Punta del Este, avaient achoppé sur le différend oppo- sant la Communauté européenne aux États-Unis ainsi qu’aux principaux pays producteurs agricoles, à propos des aménagements à apporter aux politiques agricoles. Jusqu’à la fin de novembre, les négociations internationales ont traîné en longueur, car les États-Unis et la CEE sont restés sur leurs positions respectives, ne voulant pas sacrifier les intérêts de certains groupes de producteurs (surtout dans les secteurs de l’aéronautique et de l’agriculture). Les négociateurs européens et américains se sont séparés après avoir constaté que les positions ne pouvaient pas être suffisamment rapprochées pour conclure un accord. GILBERT RULLIÈRE CEE Le ralentissement de l’économie mondiale, particulièrement prononcé aux États-Unis, a entraîné, dans les pays de la Communauté européenne, une diminution très nette de la croissance, dont le taux n’a pu dépasser 1,25 %, alors qu’il avait été de l’ordre de 3 % en 1990. Quelques initiatives... Cette baisse d’activité a principalement touché le Royaume-Uni qui, avec – 1,4 %, s’est enfoncé dans la récession, alors que la France, avec + 1,3 %, se maintenait dans la moyenne communautaire, et que l’Allemagne, malgré la réunification, réussissait à conserver un taux de 3 %. Les promesses que le chancelier Kohl avait faites avant les élections panallemandes du 2 décembre 1990 se sont toutefois révélées sans suite. En effet, la mise en place de l’économie de marché à l’Est n’a pas permis de combler assez vite l’écart entre les deux Allemagnes pour éviter de massives suppressions d’emplois dans l’ex-RDA, où l’on comptait au mois d’août 2,8 millions de chômeurs, dont 2 millions à temps partiel. Même si la situation s’améliorait à l’Ouest, cela n’était pas suffisant, bien entendu, pour empêcher sa dégradation dans l’ensemble de la Communauté, où le chômage frappait 9 % de la population active en août, contre 8,4 % douze mois plus tôt. Le taux annuel de l’inflation est également resté élevé dans la CEE (5 %), en particulier à cause des mauvais résultats de l’Italie (6,3 %), de l’Espagne (6,9 %) et surtout de la Grèce (18 %). Grâce au maintien de la politique de rigueur, la hausse des prix a été limitée en France à 2,6 %, chiffre nettement inférieur à ceux de l’Allemagne unifiée (3,9 %) et du Royaume-Uni (4,1 %). Les Douze ont poursuivi leur aide aux pays de l’Est. Dans le cadre du programme Phare, dont le but est d’appordownloadModeText.vue.download 322 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 320 ter à ces nations un soutien financier et technique qui permettrait qu’y soient créées les conditions de l’économie de marché, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie ont reçu une somme de 5,4 milliards de francs. La Communauté a aussi accordé un crédit de 14 milliards de francs à l’Union soviétique pour lui permettre de nourrir sa population pendant l’hiver. Il faut également signaler l’inauguration à Londres, le 15 mai, de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement). Le but de cet organisme est de promouvoir l’investissement privé en Europe de l’Est. La CEE détient 51 % de son capital, qui est de 10 milliards d’écus (70 milliards de F). Enfin, les Douze ont conclu le 31 juillet un accord avec les Japonais sur leurs exportations de voitures vers la Communauté. Le compromis prévoit l’ouverture progressive du marché européen et la suppression de tous les quotas pour l’an 2000. LAURENT LEBLOND TIERS!MONDE 1991 a été une nouvelle année perdue pour le tiers-monde. La croissance des pays en développement s’est ralentie et le revenu par habitant est resté stationnaire. Cette évolution cache toutefois des disparités croissantes entre pays, voire entre continents : l’Asie, où de plus en plus d’États sont sur la voie du succès, a poursuivi son développement, l’Amérique latine a enregistré certains progrès en dépit d’une inflation galopante et l’Afrique (en particulier l’Afrique subsaharienne) a continué de s’enfoncer dans le chaos. Les mauvaises performances des pays sous-développés s’expliquent essentiellement par la dégradation de l’environnement international : ralentissement de l’activité économique dans les pays riches, décélération du commerce mondial, persistance des taux d’intérêts élevés et effets de la crise du Golfe (perte des revenus des travailleurs émigrés renvoyés chez eux, crise du tourisme, réduction des débouchés, baisse de l’aide, hausse du prix du pétrole, frais de guerre et de reconstruction). La poursuite des politiques d’ajustement et des réformes structurelles qui commençaient à porter leurs fruits dans certains pays, mais qui sont pour la plupart synonymes de récession, de chômage et d’appauvrissement, et la chute persistante des cours des matières premières ont encore accentué la crise. Nombre de pays ont subi la dégradation de leur environnement et de leur système éducatif et sanitaire (choléra au Pérou, sida, drogue), et affrontent la famine, sans compter les problèmes provoqués par l’augmentation des populations de sans-abri, réfugiées ou immigrées, elle-même engendrée par les catastrophes naturelles (Philippines, Bangladesh), par les guerres et par les luttes interethniques. Manque d’argent et erreurs politiques Bien sûr, au centre de la crise du développement se trouve toujours la question de la dette. Même si elle progresse de plus en plus lentement, le pragmatisme l’emportant dans la façon de la gérer, de moins en moins nombreux sont les pays downloadModeText.vue.download 323 sur 490 ÉCONOMIE 321 qui arrivent à assurer leurs remboursements. En outre, le service des intérêts dépasse lui-même encore très souvent le montant des nouveaux prêts. Alors que les rééchelonnements se suivent, l’idée de la réduction de la dette et de son service et la nécessité d’apporter de nouveaux flux de financement ne cessent de se propager (la France et le Royaume-Uni sont particulièrement favorables, les ÉtatsUnis sont plus réticents), mais toujours au cas par cas. Ainsi, après avoir concerné d’abord les plus pauvres, l’allégement touche maintenant d’autres catégories de pays : ceux qui sont bénéficiaires du plan Brady, ceux qui ont poursuivi un effort vigoureux d’ajustement, ceux à qui l’on accorde des conditions exceptionnelles, comme l’Égypte, en mai (après la Pologne en janvier), en contrepartie du rôle joué par cet État lors de la crise du Golfe, ceux enfin qui sont choisis unilatéralement par les pays industrialisés (France, Royaume-Uni, États-Unis) en raison de leur pauvreté. Le Japon, pour sa part, a manifesté sa crainte que ces traitements de faveur fassent tache d’huile, au moment où il apparaît indispensable de ne pas décourager les bons payeurs, d’obtenir le paiement d’arriérés encore importants et d’encourager, par le dialogue avec le FMI, la réinsertion de certains pays (Brésil, Pérou, Zambie) dans la communauté internationale. En dépit de ces efforts d’allégement, le tarissement des ressources d’argent frais dans le tiers-monde pose un problème crucial à son développement : non seulement l’Aide publique au développement est restée insuffisante, mais surtout les capitaux privés se sont raréfiés dans un contexte de pénurie mondiale accentuée par la nouvelle concurrence des pays de l’Est. Pour lever les obstacles au développement, quelques nouvelles propositions ont été avancées. Selon la Banque mondiale, la croissance du tiers-monde devrait passer, par de meilleures relations entre l’État et le marché dans un cadre d’intégration mondiale. D’où l’importance de conclure l’Uruguay Round. Selon l’ONU, la pauvreté tient plus à des erreurs de politique qu’au manque d’argent en raison de certains excès : dépenses militaires tout à fait exagérées, fuite de capitaux, corruption. Pour sa part, le tiers-monde demande que le nouvel ordre international, dont la mise en place avait été évoquée par les pays industrialisés après la guerre du Golfe, lui soit plus favorable. DOMINIQUE COLSON BANQUE Les banques françaises ont enregistré une nouvelle dégradation de leurs résultats. Le produit net bancaire (PNB), composé pour les trois quarts de la marge d’intérêt, a continué de se réduire. Plusieurs raisons l’expliquent : coût croissant des ressources (baisse des dépôts gratuits par rapport aux produits plus alléchants et donc mieux rémunérés) ; diminution de la rentabilité des crédits (guerre des taux due à la concurrence, croissance des impayés) et amenuisement de leur distribution. Le ralentissement de l’activité économique et une plus grande prudence des banques depuis la loi sur le surendownloadModeText.vue.download 324 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 322 dettement sont à l’origine de ce dernier phénomène. Parallèlement, les frais généraux ont continué d’augmenter. Les banques ont donc été amenées à accroître leurs provisions, moins, cette année, pour les risques « pays » au niveau international (tendance au plafonnement) que pour les risques « clients » (entreprises et particuliers) au niveau national. Pour remédier à la baisse de leur rentabilité, les banques, plus ou moins touchées, ont dû céder soit des immeubles, soit des titres de participation. En outre, elles ont cherché à développer la part des commissions dans le PNB en multipliant la facturation des services et n’ont pas hésité à se séparer des clients non rentables. SICAV et surbancarisation Les banques ont surtout entrepris un effort de redressement et de restructuration pour améliorer leur productivité : allégement des effectifs, réduction des frais de siège par une automatisation plus poussée des opérations ; enfin elles ont cherché à se diversifier en se portant sur de nouvelles activités (développement de la bancassurance, politique de croissance externe, etc). Si les banques ont procédé au renforcement de leurs fonds propres pour mieux satisfaire aux règles prudentielles, elles ont été en revanche de plus en plus handicapées par le succès des SICAV monétaires (hors bilan) qui se développent au détriment de leurs produits et des dépôts. Aussi ont-elles réagi en tentant de dissuader une partie de la clientèle par la hausse des droits d’entrée et des frais de gestion, et en obtenant de l’État une réglementation plus stricte. De même, avec la loi sur la sécurité du chèque bancaire, espèrent-elles réduire le coût des chèques sans provision ou volés. Dans le contexte actuel de « surbancarisation », elles ont bien évidemment approuvé le rapport Ullmo qui jugeait « inopportune » la distribution de prêts (sans épargne préalable) par La Poste. L’Association française des banques (AFB), qui avait entamé à l’automne 1990 la réforme de la convention collective datant de 1936, a dû l’ajourner en raison des réticences syndicales. DOMINIQUE COLSON BOURSE 1991 a encore été pour la Bourse une année tourmentée. Fin décembre, la plusvalue, qui était, avant le 14 novembre, de 22 % selon l’indice de référence CAC 40, n’est plus que de 12 % (indice = 1 700,00). Ce qui reste, jugera-t-on, décevant après les chocs de 1990, mais qui est objectivement satisfaisant, puisque, tout compte fait, l’investissement en actions a été meilleur que l’indéfectible placement en SICAV monétaires (autour de 8,85 %) et aussi judicieux que celui fait sur les obligations sensibles (autour de 9,60 %). De fait, après la victoire fulgurante des alliés sur l’Irak, la situation portait de multiples espoirs : corriger les excès que la panique avait engendrés dès l’annonce de l’annexion du Koweït ; lever les réticences des consommateurs et des entrepreneurs engendrées par l’incertitude dans laquelle le sort des armes avait tenu ces agents économiques ; renouer avec la croissance, particulièrement aux ÉtatsUnis, où la récession avait sévi dès avant les événements. downloadModeText.vue.download 325 sur 490 ÉCONOMIE 323 Les politiques d’assainissement, surtout en Allemagne, chez qui la hantise d’un emballement de la machine économique et des prix l’emportait sur toute autre considération, ajoutaient l’espérance que l’inflation serait mieux contrôlée et dominée. L’anticipation était que le taux de l’argent long, puis court, devait baisser presque partout dans le monde. La France, devant la réussite de la rigueur, présentait les chances les plus sérieuses, jusqu’à pouvoir enfin se comparer à l’Allemagne, hier parangon de la vertu financière, aujourd’hui occupée à construire une réunification onéreuse, mais irréversible. Sur ces points, il n’y a pas eu d’erreurs. La désescalade des taux longs a bien eu lieu. Ils sont passés, en France, de 10,40 % en septembre 1990 à 9,40 % en avril 1991, pour se stabiliser ensuite autour de 8,85 %. Avec une inflation de 3,2 %, le rendement net est donc chez nous de 5,60 %. Voilà qui est excessif, surtout si l’on sait que le taux en Allemagne est de 8,40 %, avec une inflation proche de 4 %. Pourquoi n’avons-nous pu faire mieux ? Parce que notre politique monétaire au jour le jour pour garantir la valeur du franc à l’intérieur du SME, nous oblige à nous aligner sur celle de la Bundesbank et nous interdit de baisser, de manière indépendante et volontariste, le prix de l’argent à court terme, qui se situe toujours aux environs de 10 %. La seconde contrainte de la France et de presque tous les autres pays est de jauger leur santé sur l’apathie ou la vigueur de l’économie américaine, mais le frémissement attendu à la fin du conflit du Moyen-Orient ne s’est pas produit. Une telle conjoncture, qui ne devrait pas alarmer, est pourtant vécue dans l’émotion et l’incohérence. La sensibilité des marchés s’accroît d’une semaine à l’autre, d’une heure à l’autre, d’une information à l’autre. Elle est explicable, non par l’économie, science déjà difficile, mais par la psychologie, encore plus incertaine. Les économies semblent ne plus répondre aux stimulations qui d’ordinaire les propulsent : le différé peu à peu apparaît comme impossible. La division de la planète en deux blocs, l’un bon et l’autre mauvais, disparaît, et l’Europe, dont la formation s’accélère, à la fois exalte et inquiète. Les citoyens, d’où qu’ils soient, comptabilisent ce qui est perdu et ne voient pas encore ce qui sera gagné. Cette conjonction aboutit à ce que Paris est, à la fin de 1991, une place sous-estimée, dans l’étroite mesure où elle sous-estime elle-même, de façon irrationnelle, ses capacités d’avenir. Les taux doivent continuer de baisser en 1992, avec des inflations également en baisse ; la reprise économique s’amorcera certes de manière lente mais inévitable, accompagnée d’une progression plus nette des bénéfices des sociétés. Le calendrier, lui, est imprécis. C’est là que le bât blesse. ÉDOUARD MATTEI ÉPARGNE Les français ont recommencé un peu à épargner. En 1991, ils ont mis de côté 12,7 % de leurs revenus, contre 11,7 % seulement en 1987. Les craintes des ménages engendrées par les incertitudes de la crise du Golfe, la moindre progression de leur pouvoir d’achat et les restrictions downloadModeText.vue.download 326 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 324 apportées au crédit ont favorisé la constitution d’une épargne de précaution. Pénurie mondiale Les taux d’intérêt attractifs, les faveurs fiscales et la sécurité restent les trois éléments déterminants de l’orientation de l’épargne. En période d’incertitude, les épargnants préfèrent les placements liquides et sans risque (d’où le succès des SICAV à court terme, principalement monétaires, qui ont dépassé les 1 000 milliards de F – contre 400 milliards en 1987). Ces mêmes épargnants ont également manifesté leur engouement, en raison de ses conditions attractives, pour un produit d’épargne longue, le PEP (Plan d’épargne populaire), créé l’an dernier et dont la collecte a vivement progressé (105 milliards de F en décembre 1990, 150 milliards en mai), davantage pour les PEP bancaires que pour les PEP assurances. Au-delà de ces deux grandes tendances, la reprise des SICAV obligataires s’est confirmée et les SCPI (Sociétés civiles de placements immobiliers) se sont bien développées, la pierre papier ayant ainsi compensé la baisse de l’investissement logement. En revanche, les SICAV actions ont poursuivi leur lente hémorragie, tout comme ont inexorablement décliné les placements sur livrets, qu’ils soient bancaires, « A » ou bleus (pour ces deux produits, le plafond a été relevé de 90 000 à 100 000 F le 1er novembre), et sur les comptes et plans d’épargne logement. Toutefois, l’importance de leurs encours, en dépit d’un rendement médiocre, traduit une certaine inertie de l’épargne, en particulier en ce qui concerne les Français les moins aisés. Le succès des SICAV monétaires va à l’encontre des objectifs recherchés tant par les pouvoirs publics, qui souhaitent favoriser l’épargne longue et stable au détriment de l’épargne liquide et volatile et les placements productifs au détriment des placements spéculatifs, que par les entreprises, qui désirent accroître leurs fonds propres et investir. Cela a été mis en évidence par un certain nombre de rapports publiés au cours de l’année. La faiblesse du taux d’épargne en France, aggravée en 1991 par la tendance du déficit budgétaire à déraper et par la dégradation de la situation financière des entreprises, reflète un problème général propre à de nombreux pays industrialisés et traduit une pénurie d’épargne à l’échelon mondial. DOMINIQUE COLSON INVESTISSEMENTS Pour la première fois depuis 1984, l’investissement productif des entreprises a reculé en moyenne annuelle de 1 % en volume. La baisse a été particulièrement sensible au premier semestre. Cette évolution d’ensemble cache des disparités : recul des investissements dans l’industrie concurrentielle (moins 6 %, après plus de 10 % en 1990), accélération des dépenses pour les grandes entreprises nationales et stabilisation pour les autres secteurs (services, bâtiments et travaux publics). Les entreprises s’orientent toujours plus vers les investissements de productivité et de modernisation plutôt que de capacité. Enfin, phénomène nouveau, les investissements financiers, c’est-à-dire les acquisitions françaises tant en France downloadModeText.vue.download 327 sur 490 ÉCONOMIE 325 qu’à l’étranger, ont baissé d’un tiers au cours de l’année. Choyer les PME L’inflexion de la demande intérieure et étrangère, l’attentisme dû à la crise du Golfe et la dégradation des résultats des entreprises ont fortement contribué à une réduction de l’effort d’investissement d’autant que les conditions de financement (alourdissement de l’endettement, taux d’intérêts élevés) n’étaient guère favorables. Pour combler leur retard en matière d’investissement, les entreprises ont réclamé le ralentissement des prélèvements sociaux et la possibilité de renforcer leurs fonds propres et de développer leur épargne longue, autant de tendances confirmées par le rapport Escande, « Épargne et financement des investissements productifs à l’horizon 1993 », présenté en octobre au Conseil économique et social. Considérant toujours l’investissement comme essentiel pour la compétitivité des sociétés, le gouvernement s’est préoccupé des petites et moyennes entreprises, qu’il voudrait voir augmenter leurs fonds propres, investir et embaucher. Ce but tente d’être atteint par une série d’incitations essentiellement fiscales (crédit d’impôt pour l’augmentation des fonds propres, exonération des plus-values financières réinvesties, extension de la baisse de l’impôt de 42 à 34 % aux bénéfices distribués), par l’allégement des prélèvements sociaux en cas d’embauché d’un jeune sans qualification, et par l’accès au crédit rendu plus facile par la possibilité d’obtenir des taux privilégiés. DOMINIQUE COLSON CONSOMMATION En 1991, la consommation des ménages n’a augmenté que de 1,7 % en volume, contre 2,9 % en 1990. Le rythme de croissance s’est particulièrement ralenti au premier semestre en raison de la baisse des achats de produits manufacturés (– 0,6 %). Le repli a surtout concerné le gros équipement ménager, l’ameublement et l’électronique grand public, et, dans une moindre mesure, les immatriculations de voitures neuves. La consommation des services continue de se développer, mais moins rapidement, tandis que l’agroalimentaire suit la tendance des années précédentes. Les Français ont moins dépensé pour plusieurs raisons. D’abord, la guerre du Golfe et la crainte des attentats (le plan « Vigipirate ») ont réveillé les inquiétudes de certains qui ont alors décidé, à part quelques opérations de stockage de denrées alimentaires, de retarder leurs achats non indispensables. Ensuite, dans un contexte de ralentissement de l’activité économique, les revenus des ménages ont moins progressé sous l’effet de la reprise du chômage, de la modération salariale et de l’alourdissement des prélèvements sociaux. De ce fait, le pouvoir d’achat n’a augmenté que de 1,7 % contre 3,7 % en 1990. Enfin, la contraction du crédit (« credit crunch »), tant à cause de la plus grande prudence observée par les banques après l’entrée en vigueur de la loi Neiertz sur le surendettement (plus de 130 000 dossiers déposés) que de la moindre demande de crédits de la part des particuliers confrontés à la dégradation de leur situation financière, a traduit la fin d’une période. La croissance du cré- downloadModeText.vue.download 328 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 326 dit à la consommation, qui était de 40 % en 1986 et de 36 % en 1987, n’a cessé de ralentir pour atteindre 9,4 % en 1990 et à peine 6 % en 1991. Trois projets de loi Après la disparition, dans le nouveau gouvernement, du secrétariat d’État à la Consommation, Mme Véronique Neiertz est devenue secrétaire d’État aux Droits des femmes et à la Vie quotidienne. Pour sa part, François Doubin, ministre délégué au Commerce, à l’Artisanat et à la Consommation, a été chargé de défendre les lois sur la consommation devant le Parlement où trois projets de loi ont été discutés : le projet Neiertz renforçant la protection des consommateurs les plus vulnérables (élargissement de la notion « d’abus de faiblesses », possibilité d’un accès collectif à la justice, suppression des clauses abusives de certains contrats) et autorisant la publicité comparative, adopté en avril par les députés ; le projet visant à enrayer l’explosion du nombre des chèques impayés (3,7 millions sur 9 pour un coût de 4 milliards de F) en prévoyant leur dépénalisation (pour désengorger les tribunaux) à laquelle est substituée l’interdiction bancaire jusqu’au paiement d’une amende de 120 F par tranche de 1 000 F et de la régularisation de l’opération ; enfin, le projet relatif à l’ouverture des commerces le dimanche qui maintient le statu quo (c’est-à-dire la fermeture), mais qui contient une liste de dérogations et prévoit l’élargissement à six du nombre d’autorisations exceptionnelles d’ouvertures dans l’année. DOMINIQUE COLSON downloadModeText.vue.download 329 sur 490 ÉCONOMIE 327 ÉTATS!UNIS : L’ARLÉSIENNE DE LA REPRISE Si les Américains ont remporté la guerre du Golfe avec facilité, ils restent désespérément ensablés sur le front de leur économie domestique. À moins d’un an des élections présidentielles, ce domaine est le seul talon d’Achille offert par George Bush à ses adversaires politiques. Si près des trois quarts des Américains font encore confiance à leur président pour la façon dont il conduit les Affaires étrangères, ils ne sont plus qu’à peine 30 % à lui accorder un soutien mesuré pour ses initiatives économiques qui, pendant des mois, se sont bornées à implorer les statistiques pour qu’elles veuillent bien confirmer une reprise économique sans cesse reportée. Officiellement, l’économie américaine est entrée en récession en juillet 1990, à la veille de l’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. Une simple coïncidence, puisque depuis longtemps, en fait depuis le début de l’année 1989, l’activité industrielle avait commencé à chuter. Logiquement, et pour respecter la même coïncidence, l’économie aurait dû repartir dès le premier trimestre 1991, après la victoire éclair remportée sur Bagdad, le triomphe de la technologie américaine, la stabilisation des prix du pétrole à moins de 20 dollars le baril et, surtout, la reprise de la consommation, freinée par plusieurs mois d’incertitude avant le déclenchement de l’offensive, à la mijanvier. Mais il n’en a rien été. Une reprise trop timide Les consommateurs qui, traditionnellement, fournissent 70 % de la richesse nationale, mesurée par le produit national brut (PNB), ont continué à bouder non seulement les rayons des magasins, mais aussi les entreprises de construction immobilière et les concessionnaires automobiles (à leur plus bas niveau depuis 1983), deux secteurs clés qui, en fin d’année, n’avaient toujours pas retrouvé leurs niveaux de clientèle antérieurs à la crise. Dans le même temps, les exportations, qui représentent moins de 10 % du PNB et qui ont contribué elles aussi à tirer la croissance vers le haut durant les « années Reagan », grâce à un taux de change favorable, ont amorcé un recul sous le double effet de la remontée du cours du dollar depuis l’été 1991, et de la récession. Celle-ci a ensuite affecté les principaux partenaires commerciaux des ÉtatsUnis (notamment le Canada), puis leurs clients européens, qui ont basculé à leur tour dans la crise, freinant de ce fait les exportations. Au total, le produit national brut américain, qui avait faiblement progressé en 1990 (+ 1 %), s’inscrira en légère baisse en 1991, à condition toutefois que le sursaut enregistré au cours des derniers mois se concrétise. Mais le problème n’est pas tant la durée de cette récession (laquelle aura été finalement inférieure à la durée moyenne de seize mois des principaux ralentissements de l’après-guerre) que la faiblesse du redémarrage constaté. Historiquement – et c’était particulièrement vrai downloadModeText.vue.download 330 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 328 en 1982-1983 –, les précédentes sorties de crise ont débouché sur des envolées du PNB qui pouvaient atteindre 5 à 6 %. Cette fois, les spécialistes, qui hésitent encore entre une « reprise molle » en fin d’année et la crainte suprême d’un « double plongeon » (une rechute dans la récession en raison d’une reprise trop timide de la croissance), anticipent au mieux un taux de 2,5 à 3 % pour le début de 1992, soit la moitié des performances précédentes. Un diagnostic auquel se range la Réserve fédérale américaine. L’impact sur l’emploi Pour l’administration Bush, qui escompte une croissance supérieure en 1992 (de l’ordre de 3,6 %), c’est sans doute là l’un des plus mauvais scénarios. Trop faible pour signifier au reste du monde que les États-Unis sont redevenus la locomotive qu’attendent les autres pays industrialisés, cette reprise anémique ne va pas contribuer à résorber de façon nette le chômage, alors que 1,6 million d’emplois auront été perdus au cours de l’année (contre 2,6 millions lors de la précédente récession de 1979-1982). Ce problème constitue l’une des principales préoccupations de la population, à en juger par un certain nombre de sondages, surtout dans les régions où la crise de l’emploi a été particulièrement aiguë depuis près de deux ans (la côte est, notamment la Nouvelle-Angleterre, autour de Boston, et la Californie, à l’ouest du pays). Encore faut-il remarquer que la récession aurait été plus grave si la bonne tenue des exportations, conduisant à une compression du déficit de la balance commerciale (revenu aux alentours de 80 milliards de dollars contre plus de 100 milliards fin 1990), n’avait apporté une contribution positive de 1,3 % au PNB, alors qu’au cours des dernières périodes de récession le déficit commercial avait été, à l’origine, d’environ 30 % de la baisse de la croissance. À l’automne, période privilégiée des choix budgétaires pour les entreprises et pour l’État, les nombreuses suppressions d’emplois précédemment envisagées, et qui se comptent par dizaines de milliers, se sont concrétisées. Ainsi, IBM, le géant mondial de l’informatique, a supprimé quelque 17 000 postes durant l’année. De leur côté, Pan Am, Union Carbide, Dupont, Pacific Telesis, American Express ou encore First Interstate Bank, pour ne prendre que les exemples récents de sociétés connues, ont annoncé des licenciements concernant à chaque fois 2 000 à 6 000 personnes. Généralement, il s’agit d’entreprises travaillant dans le secteur des services, celui qui avait créé la quasi-totalité des nouveaux emplois (18 millions) au cours des années 80 et qui, aujourd’hui, subit le sort réservé jusque-là à l’industrie. Parmi les secteurs les plus touchés figurent la banque, la finance, l’immobilier, l’assurance, la grande distribution, autant de piliers qui font aujourd’hui défaut à de grandes villes comme New York, étranglée par l’explosion de ses dépenses sociales alors que la collecte des impôts des particuliers et des entreprises a fortement baissé. Le remède miracle Si la reprise de l’activité ne trouve son aliment ni dans la consommation (les revenus des ménages ont reculé en termes downloadModeText.vue.download 331 sur 490 ÉCONOMIE 329 réels tandis que leur épargne se situait à son plus bas niveau : autour de 3,5 % du revenu disponible contre près de 8 % au début des années 80) ni dans les exportations, faut-il espérer beaucoup de l’appareil productif ? Là aussi une grande prudence s’impose au vu des statistiques des commandes de biens durables, lesquelles reflètent la mauvaise performance des biens d’équipement industriel. Une déception qui s’explique par l’hésitation des entreprises à reconstituer leurs stocks que les industries maintiennent à un bas niveau durant la phase de récession tant qu’elles ne sont pas certaines que la reprise est effectivement au rendez-vous. Régulièrement, par la voix de George Bush en personne, de son économiste en chef, Michael Boskin, ou de son secrétaire au Trésor, Nicholas Brady, la Maison-Blanche annonce la bonne nouvelle pour le lendemain, en faisant de son éternel credo (« la baisse des taux d’intérêt ») le remède miracle à une reprise de la croissance que l’inflation, désormais maîtrisée, ne semble plus menacer. De fait, la hausse des prix se maintient dans des limites raisonnables (3,8 % en termes annuels) ; mais cette statistique encourageante ne semble pas inciter la Réserve fédérale à peser lourdement sur ses taux d’intérêt. Son président, Alan Greenspan, reconduit en août dernier pour un deuxième mandat de quatre ans, s’obstine à pratiquer une méthode de détente des taux à dose homéopathique. À raison de 0,5 % à chaque fois, son taux d’escompte se situe maintenant à 5 %, ce qui constitue un net progrès en l’espace d’un an (il était à 7 % en décembre 1990) et le plus bas niveau atteint depuis 1983. Mais, dans le même temps, le taux de base bancaire, qui sert de plancher pour établir toute la hiérarchie des autres taux applicables à la clientèle commerciale et privée d’une banque, reste fixé autour de 8 %, contribuant à renréchir le loyer de l’argent, lequel souffre, de plus, d’une contraction des sommes disponibles depuis que les établissements bancaires, échaudés par les épouvantables pertes subies sur le front immobilier ou sur celui d’une clientèle devenue brusquement insolvable pour cause de récession, se sont mis en tête de fermer le robinet du crédit. Le problème de la masse monétaire Dans ces conditions, justifiées par la remise en ordre généralisée du système bancaire américain, éclaté entre quelque 12 150 banques commerciales et fragilisé par des faillites retentissantes et par d’autres graves crises frappant les grands noms de la profession – qui n’ont dû leur salut que dans le regroupement –, le desserrement de la politique du crédit pratiquée par la Réserve fédérale pourrait se révéler insuffisant pour permettre un rebond significatif de l’activité. Déjà, dans le passé, la FED avait été accusée de ne pas avoir injecté suffisamment de liquidités dans le circuit économique lorsque celui-ci avait commencé à se gripper, dès les premiers mois de 1990, avant le déclenchement officiel du cycle de récession. Cette fois, le même grief lui est adressé, dans la crainte de voir l’amorce de la reprise économique capoter faute de carburant, d’autant que l’investisseur étranger (notamment japonais, très gourmand en bons du Trésor américain), indispensable véhicule pour downloadModeText.vue.download 332 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 330 absorber la dette publique des États-Unis, risque de se tourner vers d’autres pays si les taux d’intérêt américains tombent trop bas. Sur les bases actuelles, avec un taux d’inflation de 3,8 % et un taux de croissance escompté de 2,5 % en 1992, il faudrait une augmentation de 6,3 % de la masse monétaire pour soutenir cette croissance ; or, elle n’atteint pas la moitié de ce pourcentage, ce qui fait dire à certains commentateurs qu’en cette fin d’année, les liquidités dont dispose l’économie américaine ne suffisent même pas à soutenir une croissance zéro. Pourtant, certains conjoncturistes considèrent que la persistance d’un taux de croissance du PNB de 2,5 % à 3 % au cours des quatre prochains trimestres, une fois la reprise confirmée, sera suffisante même en l’absence d’une progression importante des agrégats monétaires. Mégacrise, mégafusions Encore numéro un mondial en 1982, la Citicorp, première banque américaine avec 217 milliards de dollars d’actifs, se situe actuellement au 27e rang, loin derrière les établissements japonais et européens. 150 à 200 faillites bancaires sont attendues en 1991 aux États-Unis, qui s’ajouteront au millier enregistré depuis six ans, dans un secteur surcapacitaire de 12 500 banques commerciales. La lente dégradation de celui-ci tient à la dépréciation des actifs, notamment immobiliers, et aux conséquences de la crise économique. La réglementation héritée de la Grande Dépression constitue un handicap supplémentaire. Après la faillite des caisses d’épargne révélée en 1990, c’est un autre pan du système financier américain qui est menacé. Le projet de réforme bancaire présenté le 5 février par le Trésor vise à abolir les barrières qui limitent les champs d’action territorial et sectoriel des banques, à renforcer les exigences de solidité du capital, à concentrer les pouvoirs de tutelle et à rendre plus rigoureux le système de garantie des dépôts bancaires, aujourd’hui ruiné par sa « générosité ». Le 15 juillet, la Chemical Bank et Manufacturers Hanover fusionnent (135 milliards de dollars d’actifs). Le 22 juillet, c’est au tour de NCNB et de C&S/Sovran (118 milliards de dollars). Le 12 août, enfin, BankAmerica rachète Security Pacific (193 milliards de dollars). Le gigantisme serait le meilleur moyen de réduire les coûts de gestion des banques américaines et de consolider leurs actifs afin d’améliorer leur rentabilité aujourd’hui ridicule – 16 milliards de dollars de profits en downloadModeText.vue.download 333 sur 490 ÉCONOMIE 331 1990 pour 3 400 milliards d’actifs. Le pari est à la hauteur de l’enjeu. CH. P. Dette privée et dette publique À côté de ces problèmes conjoncturels persistent des faiblesses structurelles qui contribuent à freiner la reprise. Il s’agit, bien sûr, de la faible capacité d’épargne des Américains, déjà évoquée, mais surtout de la dette énorme qui pèse sur l’État, les entreprises, les ménages et les collectivités locales, et qui a été accumulée avec une grande insouciance pendant les années d’euphorie financière (années 80). À titre d’exemple, le poids de la dette des ménages par rapport à leur revenu disponible dépasse les 80 à 90 % en moyenne (dont les deux tiers pour les prêts immobiliers et le reste pour les cartes de crédit et les achats à tempérament). De leur côté, les entreprises doivent consacrer plus de 55 % de leurs bénéfices avant impôts à rembourser leurs prêts bancaires, au lieu de les investir dans la recherche et le développement. Quant aux grandes municipalités, plus de 60 % d’entre elles sont en déficit. Les États eux-mêmes ne sont pas mieux lotis, puisqu’une trentaine d’entre eux sont également dans le « rouge » avec des chiffres parfois impressionnants (plus de 12 milliards de dollars de déficit pour la Californie et 6 milliards pour l’État de New York). Enfin, l’État fédéral est naturellement le plus à blâmer, puisqu’en dix ans sa dette est passée de 900 milliards à 3 400 milliards (fin 1990), les estimations les plus prudentes avançant déjà le chiffre de 4 500 à 5 000 milliards à l’horizon 1995. D’ici là, l’administration Bush devra composer avec un déficit budgétaire qui, après avoir été cette année en légère diminution, devrait se creuser encore sensiblement pour avoisiner 380 milliards de dollars au cours de l’année fiscale 1992, sous le double effet de la récession qui tarit les recettes fiscales et des « imprévus », telle la colossale ardoise des caisses d’épargne, qui ajouteront, pour cette seule année, plus de 70 à 80 milliards au déficit budgétaire fédéral arrêté à 280 milliards à fin septembre. Non seulement ces chiffres ne permettent pas le moindre espoir d’une reprise budgétaire de l’économie américaine – la Maison-Blanche étant contrainte, au contraire, de bloquer toutes les velléités de dépenses (le président a opposé son veto à un projet d’enveloppe de quelque 6 milliards de dollars pour les deux à trois millions de chômeurs en fin de droits) –, mais il va lui falloir renégocier avec le Congrès l’accord péniblement élaboré en 1990 à l’issue d’une interminable partie de bras de fer opposant républicains et démocrates, accord qui prévoyait un peu moins de 500 milliards d’économies sur cinq ans. Ce sujet sensible pour le contribuable va permettre aux démocrates, partis en flèche sur quelques grands dossiers sociaux (celui des dépenses de santé, par exemple), d’exiger à nouveau qu’un effort soit accompli au profit des plus défavorisés, sans trop perturber le fragile équilibre de la fiscalité. Si la reprise n’est pas très vite au rendez-vous, l’exercice risque d’être difficile pour le président, qui brigue un second mandat de quatre ans. Heureusement pour lui, le parti démocrate (qui reste downloadModeText.vue.download 334 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 332 majoritaire dans les deux chambres du Congrès) a tellement de mal à trouver un candidat assorti d’un minimum de stature politique et de crédibilité à opposer à George Bush qu’il ne se hasarde pas encore à lui trouver un habillage économique dont il ne sait pas très bien de quoi il pourrait être fait. SERGE MARTI Spécialiste des questions économiques. Serge Marti est correspondant du Monde aux États-Unis. downloadModeText.vue.download 335 sur 490 ÉCONOMIE 333 LE POINT SUR... ENTREPRISES La dégradation de la situation financière et la réduction des marges de profit des entreprises françaises au début de 1991 contrastaient fortement avec la période de haute conjoncture qui avait commencé à la mi-1987 (considérée comme date de sortie de la crise de 1973) et qui a pris fin à la mi-1990 (avec la crise du Golfe). Au cours de cette phase de forte croissance soutenue par la hausse de la consommation des ménages, les entreprises avaient beaucoup investi (32 % en volume) et créé de nombreux emplois (800 000). Dans un premier temps, dès que les dirigeants des entreprises ont observé le ralentissement de la croissance dans la plupart des pays industrialisés (aggravé ensuite par une baisse de la consommation des ménages), ils ont réagi beaucoup plus vite et plus vivement que lors des retournements conjoncturels antérieurs de 1974, 1980 et 1983. Dès le printemps 1990, ils n’ont pas tardé à prendre des dispositions pour limiter la dégradation de leurs marges de profit. L’emploi s’est alors immédiatement contracté par compression des heures supplémentaires, augmentation du chômage technique, diminution du recours au travail intérimaire et non-renouvellement d’un grand nombre de contrats à durée déterminée. Le recul de l’investissement En même temps, les stocks ont été ajustés à la baisse. La réduction brutale et simultanée des investissements physiques et financiers (survenue à l’automne 1990) a entraîné le recul de l’investissement productif (de l’ordre de 2 % en moyennes annuelles) et surtout des prises de participation. Dans un deuxième temps, soumises aux impératifs de la compétitivité (et par conséquent de la productivité), les entreprises n’ont pas cessé d’investir, mais à un rythme beaucoup plus modéré : en trois ans, de 1988 à 1990 (selon le Crédit national), la croissance de l’investissement physique des grands groupes a dépassé 40 % (+ 13 % en 1989 et + 12 % en 1990). En 1991, même si cette croissance est tombée à zéro, il reste que l’investissement s’est maintenu au niveau élevé de l’année précédente, en dépit de l’évolution défavorable de la marge d’autofinance- ment des entreprises (+ 20 % en 1988, + 3 % en 1989, – 10 % en 1990 et – 5 % en 1991, selon une étude de la BNP). En définitive, pour l’immense majorité des entreprises, les résultats financiers sont restés positifs même si un grand nombre d’entre elles ont affiché des baisses de bénéfices supérieures à 50 % : entreprises à activité cyclique comme l’automobile, la chimie ou la métallurgie, secteurs en crise structurelle comme les textiles ou l’informatique (Bull), entreprises surendettées (Michelin). Une telle situation financière n’incite pas les entreprises à investir, ce qui ne facilite pas la reprise de l’activité économique. GILBERT RULLIÈRE DISTRIBUTION Le ralentissement de la consommation suivi d’une baisse d’activité (0,9 % en volume au cours du premier semestre 1991 par rapport aux six premiers mois de 1990), l’accentuation de la concurrence downloadModeText.vue.download 336 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 334 (qui a réduit les marges commerciales), la montée en puissance de grandes surfaces spécialisées dans l’équipement de la maison et les loisirs et de « hard discounters » en même temps que la saturation de l’espace commercial ont renforcé la tendance de la grande distribution à la concentration et à l’internationalisation. Faute de pouvoir disposer d’emplacements bien situés et d’ouvrir dans des conditions rentables de nouvelles grandes surfaces, les chaînes se sont lancées dans des politiques de prises de contrôle, d’absorptions, d’acquisitions ou de rachats sans oublier, sous l’impulsion des financiers, le recentrage sur les métiers d’origine (le Printemps a cédé Euromarché à Carrefour, Casino et Rallye ont mis en vente plusieurs filiales). En dehors du rachat des Nouvelles Galeries par les Galeries Lafayette et du Printemps par le groupe Pinault, c’est Carrefour qui a opéré en 1991 le regroupement majeur le plus spectaculaire, en reprenant successivement deux entre- prises en difficulté, alors que le leader français s’était toujours refusé à croître par acquisition. En changeant ainsi de politique et en rachetant, en mars, la chaîne régionale Montlaur (11 hypermarchés) pour 1 milliard 50 millions et, en juin, Euromarché (31 milliards de F de chiffre d’affaires) à ses principaux actionnaires (banque Lazard et le Printemps), le groupe Carrefour (75 milliards de F de chiffre d’affaires en 1990, dont 61 en France) a accédé au premier rang de la profession, en chiffre d’affaires sinon en puissance d’achat. Il devance désormais Leclerc, Intermarché et Promodes (Continent), loin devant Auchan et Cora. De la sorte, Carrefour a levé l’interdiction de se développer en France due à la loi Royer, qui limite les implantations des grandes surfaces. D’un autre côté, le rapprochement de Conforama et de Pinault obéit à une logique industrielle : il s’agit d’intégrer tous les degrés de la filière (du bois jusqu’au meuble). Sur le plan international, c’est Leclerc qui s’est distingué en ouvrant son premier hypermarché en Espagne (Pampelune) et un autre aux États-Unis, à l’enseigne Leedmark (abréviation de Leclerc Edouard market), de 12 000 m2 de surface de vente et employant 500 personnes. Il se trouve au centre d’un noeud routier qui relie Baltimore à Washington. GILBERT RULLIÈRE TRANSPORTS C’est une crise sans précédent qu’ont affrontée depuis la fin 1990 les 244 compagnies de l’Association du transport aérien international (IATA) : dès avant la crise du Golfe, elles n’avaient pas prêté attention au début de retournement de la conjoncture. Influencées par des taux de croissances très élevés du trafic aérien et par des prévisions toujours plus favorables, elles s’étaient laissé porter par l’euphorie et ne se souciaient pas de maîtriser leurs coûts. Dans un deuxième temps, au moment de l’invasion du Koweït, le doublement du prix au carburéacteur et le surcroît d’assurance pour risque de guerre (200 millions de dollars, soit 1,2 milliard de francs) les ont placées dans une situation financière catastrophique. Dans un troisième temps, le début des hostilités dans le Golfe en janvier a entraîné un ralentissement de l’activité économique et downloadModeText.vue.download 337 sur 490 ÉCONOMIE 335 donc une diminution des déplacements. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre des passagers internationaux, qui avait atteint le record de 262 millions de personnes en 1990, a diminué : en 1991, il a baissé de 2 % environ dans le monde, et même de 7 % en Europe. Concentration et privatisation Globalement, en deux exercices, les transporteurs aériens ont accumulé plus de 60 milliards de francs de pertes pour l’ensemble des vols réguliers tant internationaux qu’intérieurs. Ces difficultés financières ont accéléré les deux tendances du secteur : concentration et privatisation. C’est surtout aux États-Unis que la concentration s’est spectaculairement généralisée, là où la concurrence a été impitoyable. Braniff et Eastern ont disparu dans l’affaire, et la glorieuse Pan Am a été pratiquement absorbée par Delta. TWA survit en se lançant dans le dumping sur certains vols transcontinentaux. Trois géants émergent : Delta, American et United Airlines. En Europe, ce sont les compagnies charters (la moitié des déplacements aériens) qui ont été les plus durement touchées : des firmes comme Air Europe (G-B), Air Holland, TEA (Belgique) et EAS (France) ont dû déposer leur bilan ou se faire racheter. Quant aux privatisations, les financiers hésitent à investir dans un secteur dont la marge bénéficiaire est aussi faible et qui souffre du poids croissant des charges liées à l’endettement. Néanmoins, cette crise sans précédent n’a pas pu faire oublier que les populations tendaient de plus en plus à se déplacer. Les moyens de transport disponibles sont donc de plus en plus sollicités tant pour les déplacements professionnels que pour les voyages touristiques. Une telle explosion de la mobilité des populations, ob- servée depuis 1986, a engendré quelques inconvénients qui ont été très mal supportés par les usagers : encombrement dans les aéroports, embouteillages dans les zones urbaines, difficultés d’accès dans les trains. Pour écarter ces obstacles, qui peuvent freiner la reprise et l’expansion du trafic, professionnels et usagers du transport réclament de lourds investissements en matière d’infrastructures. Par exemple : extension d’aéroports, construction d’autoroutes et d’un réseau TGV, réhabilitation des lignes régionales de chemin de fer pour éviter la marginalisation des villes non desservies par le train à grande vitesse. GILBERT RULLIÈRE ÉNERGIE En dépit des continuelles variations de son cours dans un sens ou dans l’autre, le pétrole est resté bon marché tout au long de l’année 1991. Sur le plan de l’offre, la marge de manoeuvre de l’OPEP, en ce qui concerne la maîtrise de la production, s’est révélée beaucoup plus efficace qu’il n’avait pu être craint au moment du déclenchement du conflit du Golfe. Par exemple, en mars 1990, les capacités de production de l’OPEP, hors Koweït et Irak, étaient estimées à 22 millions de barils par jour. Grâce à l’Arabie Saoudite, dont une partie des capacités de production était inemployée en août 1990, et qui a pu ainsi porter sa production journalière à 8,2 millions de barils, le déficit d’approvisionnement a pu être facilement downloadModeText.vue.download 338 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 336 compensé : le royaume wahhabite a alors assuré plus des deux tiers des exportations mondiales. Une telle flexibilité confère à l’Arabie Saoudite un rôle régulateur irremplaçable : elle corrige les écarts de la demande ; elle comble facilement d’éventuels et inopinés déficits d’offre, et, surtout, elle casse les oscillations répétées du cours du pétrole. Son influence dans le domaine de la désinflation et dans la reprise de l’économie mondiale n’a pas pu être négligée. Pour toutes ces raisons, il est apparu qu’un an après l’invasion du Koweït le prix du brut revenait exactement au même niveau qu’en juillet 1990, soit à 18,5 dollars pour le prix moyen d’importation en France. Cependant, la crise du Golfe a fait prendre conscience aux pays consommateurs, surtout occidentaux, que leur dépendance vis-à-vis du pétrole n’avait pas du tout disparu. Les pays qui, comme la France avec le nucléaire, avaient recherché la diversification énergétique, ont même pu constater que les produits pétroliers étaient toujours irremplaçables pour leurs emplois captifs, à savoir les transports. La crise a donc relancé l’intérêt à l’égard des économies d’énergie et surtout des technologies nouvelles comme la voiture électrique et la cogénération (c’est-àdire la production combinée de chaleur et d’électricité propres à faire face aux pointes hivernales), sans compter qu’au point de vue écologique ces solutions doivent être encouragées. Il est également recommandé de faire appel au charbon, si son utilisation est propre, et surtout au gaz, de plus en plus prisé pour ses avantages. Sa consommation croît désormais de 6 % l’an, trois fois plus que celle des autres énergies. GILBERT RULLIÈRE MATIÈRES PREMIÈRES Dès le premier trimestre 1991, les cours de l’ensemble des matières premières, hors pétrole, baissaient de 20 % par rapport à ceux de la même période en 1990. La crise du Golfe et l’insolvabilité de nombreux pays ont déstabilisé les marchés de produits de base, atteints de plein fouet par le ralentissement de la demande et de la croissance dans les pays industrialisés. Les pays du tiers-monde comme les pays de l’Est – Union soviétique en tête –, grands fournisseurs de matières premières alimentaires et industrielles, ont vu leur situation se détériorer sérieusement. En outre, ce marasme s’est aggravé par l’incapacité des grandes puissances à s’entendre sur l’organisation et le développement des échanges commerciaux dans le cadre du GATT et à garantir ainsi aux produits du tiers-monde un accès satis- faisant au marché. Surplus, excédents et braderies En règle générale, la chute des cours a affecté beaucoup moins les matières premières industrielles que les denrées agricoles (de l’ordre du simple au double). Pour les denrées alimentaires, elle tient soit à la surproduction quasi permanente face à une stagnation de la demande, soit à une accumulation vertigineuse des stocks mondiaux : pour le cacao, le café et le sucre, les cours n’ont jamais été aussi déprimés. Sur les marchés des céréales, les surplus et les difficultés d’écoulement ont pesé sur les prix, ce qui a fait soufdownloadModeText.vue.download 339 sur 490 ÉCONOMIE 337 frir aussi bien les pays riches que les pays pauvres. Une telle baisse des prix des denrées tropicales contraint les producteurs les plus défavorisés à adopter des solutions dangereuses pour la communauté internationale, comme la culture du pavot ou du coca. Les économies du Sud sont non seulement déstabilisées par la crise persistante des matières premières, mais encore ne peuvent espérer se développer, faute de pouvoir compter sur des recettes d’exportation suffisantes parce que trop dépendantes de produits dépréciés et instables. Pour les matières premières industrielles comme le coton ou la laine, les excédents ont entraîné une dégradation des cours pendant l’année (notamment en Australie) sans pour autant relancer la consommation mondiale, en constant recul. De même, la récession de l’industrie automobile, donc du pneumatique, a affecté les cours du caoutchouc naturel. Quant aux métaux non ferreux, la plupart ont perdu du terrain tout au long de l’année (sauf l’étain et le cobalt). L’effondrement de l’économie soviétique a entraîné un sérieux bouleversement de l’échiquier mondial des matières premières, en raison de la mise en oeuvre d’une nouvelle stratégie fondée sur ce qui a été appelé « la vente panique ». Les mar- chés internationaux ne peuvent pas ignorer le rôle joué par l’Union soviétique en tant que numéro un mondial pour la production de minerai de fer, de nickel (le quart de la production) et de zinc, numéro deux pour l’aluminium, le cadmium, le chrome, le cuivre et les métaux précieux (or, platine). Confrontée à des difficultés de trésorerie, l’URSS se trouve contrainte de brader des stocks massifs de matières premières à intervalles irréguliers et imprévisibles, ce qui désorganise complètement les marchés et contribue ainsi à faire chuter les cours. Enfin, insolvable et mauvais payeur, elle manque de devises pour régler ses commandes, ce qui malmène encore plus les cours. GILBERT RULLIÈRE AGRICULTURE En France, comme dans d’autres pays européens, le problème agricole n’a pas perdu de sa gravité, d’une année à l’autre. À travers leurs manifestations, souvent violentes, les agriculteurs ont cherché à attirer l’attention de l’opinion et des pouvoirs publics sur la dégradation de leur situation et sur l’inquiétude relative à leur avenir, menacé par la réforme de la politique agricole commune. La dégradation de la situation économique ressentie douloureusement par les agriculteurs est attribuée par eux à la baisse des revenus, représentative d’une tendance à long terme. Selon l’INSEE, le revenu brut moyen agricole a baissé de 7,3 % environ en 1991. Cette chute a inégalement affecté les divers secteurs d’activité. Ainsi, après deux années très favorables, les viticulteurs ont vu leurs revenus baisser de 23 %, alors que le secteur du maraîchage enregistrait une progression de 6 %. Des sacrifices en prévision Les excédents persistants en matière de céréales (en 1991, la récolte a atteint un record proche du niveau de 1984), de viande de boeuf, de lait et d’oléagineux (colza, tournesol), les accidents climadownloadModeText.vue.download 340 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 338 tiques (sécheresse) et la réduction des soutiens communautaires ont été rendus responsables de cette baisse prolongée. De toutes les productions agricoles, c’est le secteur de l’élevage des gros bovins qui a le plus souffert, car les éleveurs surendettés ont enregistré une chute des cours de la viande de 8,5 %, qui s’est ajoutée à une baisse de 7 % en 1990. Sur le plan du commerce extérieur, après plusieurs années de hausse, l’excédent agroalimentaire a nettement chuté en 1991. Au mois d’août, il n’atteignait que 27 milliards de F, contre 35 milliards en 1990 pour la période correspondante. C’est dans ce contexte d’appauvrissement des agriculteurs qu’est intervenue la discussion du projet de réforme de la Politique agricole commune en relation avec les négociations commerciales internationales entre les États-Unis et l’Europe. La publication du projet de réforme de la PAC en juillet par la Commission de Bruxelles a provoqué une mobilisation syndicale et des manifestations dans l’ensemble des pays de la Communauté., La PAC est considérée par les États-Unis comme un obstacle important à une libéralisation des échanges internationaux dans d’autres secteurs à plus forte valeur ajoutée. D’autre part, elle entraîne des dépenses excessives et insupportables, d’autant plus que les douze pays de la CEE sont confrontés à une crise des finances publiques. Dans ces conditions, Bruxelles propose de revenir sur le soutien des revenus par des prix garantis et d’introduire d’autres méthodes, et suggère de baisser notablement les prix garantis en compensant les pertes de recettes des petits exploitants par des aides directes, en finançant la mise en jachère d’une partie des terres pour réduire la production excédentaire, en prenant en charge le départ à la retraite des agriculteurs les plus âgés, en réduisant les exportations d’excédents pour faire monter les cours mondiaux et baisser d’autant les subventions. De telles dispositions impliquent des sacrifices pour les agriculteurs européens. Mais, à la fin, de l’année, la négociation EuropeÉtats-Unis n’a pas pu avoir lieu. GILBERT RULLIÈRE INDUSTRIE En raison du ralentissement de l’activité mondiale, l’année 1991 a été marquée en France par une baisse de la production pour un peu plus d’une branche industrielle sur deux. Dans l’ensemble de l’industrie, cette baisse se traduira par un recul de 1,4 %. Ce sont les transports qui ont été plus particulièrement atteints, avec des baisses de 9 % pour la construction automobile et de 15 % pour les véhicules utilitaires. Le recul s’annonce également très sévère pour le pneumatique (– 7 %), la sidérurgie (– 4 %) ou encore les différentes branches de la mécanique (– 3 %) et surtout pour le textile-habillement (– 8 %). Dans ce dernier cas, la baisse illustre la crise qui frappe l’ensemble de la filière textile française, placée entre la faiblesse de la consommation intérieure et la concurrence en provenance des pays asiatiques, mais aussi de l’Allemagne et de l’Italie (dans le domaine du prêt-à-porter). Ainsi, si la consommation des Français en vêtements, tissus d’ameublement et autres textiles industriels progresse sur l’année (+ 4,5 %), les importations ont downloadModeText.vue.download 341 sur 490 ÉCONOMIE 339 augmenté presque deux fois plus (+ 8 %), atteignant 88 milliards de francs. Des entreprises ont donc dû fermer leurs portes. Pour la seule année 1990, 380 entreprises ont définitivement cessé leurs activités. Entre 1981 et 1991, les effectifs ont fondu de moitié (375 000 personnes en 1991, contre 665 000 en 1981). L’ensemble de la filière – qui va du négoce à la confection – continue de perdre de 5 à 6 % de ses emplois chaque année. De même, le retournement du marché automobile a atteint une ampleur insoupçonnée ; et la production devrait baisser d’autant plus (– 9 %) que les constructeurs s’efforcent, parallèlement, de réduire leurs stocks. La poursuite de l’internationalisation Dans le flot des baisses qui touchent tout aussi bien les secteurs de la consommation que les produits intermédiaires comme le verre ou la chimie, les secteurs qui résistent bien sont plutôt rares : l’aéronautique peut être citée en premier, encore que les perspectives de début d’année se soient révélées excessivement optimistes (l’activité du secteur n’a progressé que de 3 % en 1991 au lieu de 8 % prévus). Grâce au succès d’Airbus (170 appareils ont été livrés en 1991), la progression du secteur civil a compensé la baisse du secteur militaire (% ci-après). Parmi les autres branches qui ont échappé au marasme ont émergé l’électronique grand public, les plastiques et l’agroalimentaire, le secteur défensif traditionnel en période de crise. Enfin, la distribution a connu une croissance proche de zéro : pour la première fois depuis 14 ans, les hypermarchés ont vu leurs ventes baisser en juin 1991 par rapport à l’année précédente. Une telle évolution n’a pas empêché les entreprises les plus dynamiques de poursuivre leur internationalisation : les firmes françaises possèdent maintenant près de 8 % des capitaux transnationaux originaires des sept grands pays industriels, contre moins de 5 % en 1982. Des entreprises telles que Rhône-Poulenc ou Saint-Gobain, grâce à une très active politique de rachats d’entreprises étrangères et d’accords transnationaux, sont devenues de grandes multinationales dans leurs domaines respectifs. GILBERT RULLIÈRE INDUSTRIE AUTOMOBILE Dès le mois de janvier, la crise du Golfe a provoqué la chute du marché automobile sur le plan mondial, entraînant une baisse totale de plus de 3 % pour toute l’année, la plus forte depuis le second choc pétrolier en 1980. C’est en France que la chute a été la plus brutale (avec un recul des ventes d’environ 12 % en 1991). Même le Japon n’a pas évité la crise, avec un recul de 3,2 % de ses immatriculations par rapport à 1990. Seule l’Allemagne réunie, tirée par ses régions de l’Est, a fait excep- tion, avec un bond de près de 20 % de ses ventes. D’ailleurs, sous l’effet bénéfique de la réunification, Renault (devenue société anonyme pour faciliter son accès au marché financier) et Peugeot SA ont été amenés à vendre de plus en plus de voitures en Allemagne, compensant ainsi en partie les pertes subies. Dans un tel contexte, la concurrence n’a pas manqué de s’aviver entre downloadModeText.vue.download 342 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 340 les constructeurs japonais, américains et européens, sous la forme de marchandages, de rabais, d’essais gratuits, de crédits. Aux États-Unis, avec la concurrence très dure des constructeurs japonais, une firme comme General Motors a dû envisager de nouvelles réductions d’effectifs (15 000 emplois en deux ans). Pour restaurer leur compétitivité fortement entamée par la concurrence globale de l’industrie japonaise, les constructeurs américains ou européens ont engagé une mutation accélérée. Dans cette course de vitesse, l’industrie japonaise a pris l’avantage en contrôlant, avec 95 % de son propre marché, un tiers du marché américain et 11 % du marché européen. Quant aux pays tiers (d’Asie, d’Afrique, d’Océanie ou d’Amérique latine), ils achètent de plus en plus souvent japonais. Par ailleurs, avec la stratégie de l’araignée qu’ils suivent depuis plusieurs années, les Japonais s’implantent dans la plupart des pays européens, multipliant les « transplants » (voitures de marque japonaise fabriquées sur le territoire européen). Nissan, Honda et Toyota se sont ainsi installés en Grande-Bretagne, un pays que certains n’hésitent pas à comparer à un porte-avions nippon. C’est maintenant le tour de l’Espagne (avec Nissan et Suzuki), du Portugal (avec Toyota et Mazda), de la Grèce (avec Toyota). Quant à Mitsubishi, la firme cherche à pénétrer le marché européen par l’intermédiaire de Volvo avec lequel elle a choisi de s’associer. Face à ce maillage du Vieux Continent, l’industrie automobile européenne (1,9 million de personnes) doit mettre à profit le répit de neuf ans donné par l’accord conclu en juillet 1991 entre la Commission de Bruxelles et les constructeurs nippons : limitation à 16 % en l’an 2000 de la part des Japonais sur le marché européen, la fabrication des transplants (comptés comme voitures importées) passant de 269 000 unités en 1991 à 1,2 million en 1999. En prévision d’une concurrence accrue, les constructeurs automobiles européens remettent en cause le fordisme (la production en série avec division du travail) au profit du toyotisme, c’est-à-dire l’adoption de méthodes d’organisation plus légères et plus souples permettant de réagir glus vite aux évolutions du marché. À cet effet, les constructeurs européens cherchent à se recentrer en se séparant des secteurs connexes à l’automobile et à conclure des alliances avec des entreprises qui leur sont techniquement liées. GILBERT RULLIÈRE INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE Les deux secteurs clés sur lesquels les constructeurs aéronautiques ont longtemps assis leur prospérité, le transport aérien et l’équipement militaire, se sont révélés d’une extrême fragilité. La réduction des budgets de défense a affecté les exportations. Ainsi, la société Dassault n’a pas vendu à l’étranger un seul avion depuis 1985 ! Aux États-Unis, le constructeur Northrop et surtout McDonnellDouglas ont traversé une passe difficile en perdant deux importants contrats avec le Pentagone – hélicoptère léger et chasseur tactique – au profit du YF 22 de Lockheed, General Dynamics et Boeing. downloadModeText.vue.download 343 sur 490 ÉCONOMIE 341 Une vieille querelle Dans le domaine de l’aéronautique civile, le ralentissement économique et la crise du Golfe ont inversé une tendance euphorique des années fastes 1988-1990, au cours desquelles ils avaient enregistré des commandes sans précédent. Cependant, ce n’est pas pour autant que les constructeurs ont perdu leur optimisme. Lorsque la tourmente du début de l’année a été surmontée, Boeing s’est montré résolument confiant. La société a annoncé que les compagnies aériennes commanderaient 9 000 nouveaux avions entre 1991 et 2005, représentant un marché global de quelque 617 milliards de dollars, soit plus de 41 milliards de dollars de contrat par an, contre 16 milliards de dollars annuels au cours de ces vingt dernières années. Alors que Boeing n’a vendu que 29 appareils au premier trimestre, il en a placé 84 au cours des trois mois suivants, puis 16 en juillet, soit un total de 129 avions pour un montant proche de 11 milliards. C’est évidemment loin des chiffres fabuleux des deux années précédentes (883 appareils en 1989 et 543 en 1990). Le consortium européen Airbus a également profité de cette reprise avec un carnet équivalant à plus de quatre années de travail (145 avions vendus en 1979 et 404 en 1990 contre 427 en 1989, année record à cet égard). D’ailleurs, avec le dernier-né de la famille, l’A-340, Airbus espère bien élargir sa part de marché. L’envolée de l’aéronautique européenne (face au marasme de l’électronique et à l’effondrement de l’industrie informatique) a suscité les réactions d’inquiétude des États-Unis et a ainsi ravivé une vieille querelle. Les firmes européennes et américaines continuent de s’accuser réciproquement de fausser la concurrence en se faisant aider par les pouvoirs publics. GILBERT RULLIÈRE TÉLÉCOM Avec la modernisation de la réglementation et la réforme de leur statut juridique, tous les opérateurs européens de télécommunications sont progressivement sortis d’une situation de monopole qui les protégeait en les isolant du reste du monde. Cette sortie leur a permis d’acquérir davantage d’autonomie dans la gestion et le financement de nouvelles activités. Dans d’autres pays, comme l’Argentine et le Mexique – où France Télécom a réussi un doublé –, les exploitants de télécommunications sont privatisés afin de pouvoir drainer les capitaux nécessaires à la réno- vation des réseaux. La plupart des grands opérateurs, comme ATT aux États-Unis, NTT au Japon, Telekom en Allemagne – né en 1990 de la séparation de la Deutsche Bundespost en trois titres respectivement chargés des services postaux (Postdienst), des services bancaires (Postbank) et des télécommunications (Telekom) –, France Télécom (séparé des PTT depuis janvier 1991) et British Telecom (privatisé en 1981) se préparent activement à affronter la concurrence extérieure et à saisir par conséquent toutes les occasions offertes par un marché en plein développement et par un flux renouvelé d’innovations technologiques. L’industrie devrait se développer à un rythme rapide à travers les effets conjugués de la croissance économique, de l’ouverture des pays de l’Est downloadModeText.vue.download 344 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 342 et de l’ex-URSS et de l’exploitation de la dernière-née des innovations technologiques évoquées plus haut, à savoir les radiotéléphones mobiles et les téléphones sans fil de la taille d’un paquet de cigarettes. Le radiotéléphone, notamment, devrait attirer 20 millions d’abonnés d’ici à la fin de la décennie, exigeant un investissement estimé à 60 milliards de francs. Pour exploiter toutes ces potentialités et d’autres (comme la fibre optique, les réseaux à large bande), les industriels européens (Alcatel, Philips, Thomson-CSF, Siemens, Ericsson) ont été amenés à envisager des alliances ou des coopérations entre eux ou avec les Américains. GILBERT RULLIÈRE downloadModeText.vue.download 345 sur 490 ÉCONOMIE 343 L’ÉLECTRONIQUE MONDIALE DANS LA TOURMENTE Licenciements massifs, concentrations d’entreprises menées tambour battant : l’électronique mondiale serait-elle en passe de devenir la sidérurgie des années 1990 ? Ce secteur jeune connaît en tout cas un douloureux passage à l’âge adulte. Le leader mondial de l’informatique, IBM, fait les yeux doux à Apple, l’enfant terrible de Silicon Valley, au point de coopérer pour définir ensemble le profil du microordinateur de demain. L’événement, peut-être le plus marquant de l’année, laisse sans voix les observateurs de ce marché de pointe. Les deux géants américains ne se livrent-ils pas depuis une décennie une guerre sans merci pour remporter des parts de marché ? Pis, la culture d’Apple, qui séduit tant les utilisateurs français, s’est précisément construite contre celle de Big Blue. Les petits génies californiens, qui ont bricolé leur première machine dans un garage, voulaient offrir aux cadres, version bluejeans-baskets, un outil convivial et facile à utiliser, bien loin des produits d’IBM, intégrés dans de lourds systèmes informatiques maison. Un univers qui est, lui, plutôt du genre complet bleu trois pièces. Une croissance négative Cette alliance contre nature résume à elle seule la fragilité de l’électronique mondiale aujourd’hui. Si IBM ne peut plus tout faire tout seul – des systèmes d’exploitation, le logiciel de base de l’ordinateur, aux puces qui en constituent le coeur – c’est que la donne a été considérablement modifiée. Des révolutions technologiques viennent conjuguer leurs effets dévastateurs avec le ralentissement de la croissance. Cette nouvelle donne a d’ailleurs infligé à IBM les premières pertes de son histoire au début de l’année, alors que la firme détenait encore il y a cinq ans le record mondial de la rentabilité avec plus de 6 milliards de dollars de bénéfice. Même lorsqu’elle se proclame personnelle, l’informatique reste un investissement relativement lourd. La récession, qui frappe l’ensemble de l’économie occidentale, n’épargne donc pas ce domaine ; mais la chute des commandes y est d’autant plus rapide que ce marché arrive seulement aujourd’hui à maturité. L’informatique et, surtout, la micro-informatique ont connu au début des années 1980 des croissances comprises entre 30 et 50 % par an. Le taux d’aujourd’hui est proche de zéro. Il a même été négatif en 1990 sur le marché américain. IBM, qui prévoyait en 1985 d’atteindre les 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires à l’horizon 1990, a dû se contenter de 69 milliards. Et les analystes s’attendent à un recul de 10 % de ses ventes cette année. Peu d’acteurs avaient prévu cette décélération brutale. Les managers sont bien souvent entrés en affaires avec l’avènement du processeur, il y a moins de trente ans. Embauchant à tour de bras il y a encore trois ans, eux qui ne savaient gérer que les pentes ascendantes sont contraints aujourd’hui de licencier massivement, voire de mettre purement et simplement la clé sous la porte. downloadModeText.vue.download 346 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 344 Nul n’est épargné. Après les plans de réduction d’effectifs chez IBM, portant sur plus de 20 000 personnes, ou chez Unisys, né d’une fusion jamais réalisée entre Burroughs et Sperry en 1986, c’est au tour de DEC, la firme du Massachusetts, de licencier, pour la première fois depuis sa fondation en 1957. En Europe, le groupe français Bull, qui replonge dans le rouge avec près de 7 milliards de pertes en 1990, aura amputé ses effectifs de 8 500 personnes en deux ans à la fin de cette année. La coupe claire touche un emploi sur cinq. L’allemand Nixdorf, expetit génie de l’informatique distribuée, n’a pu résister aux convoitises de son compatriote Siemens, entraînant l’informaticien d’outre-Rhin à déplorer un milliard de Deutsche Mark de pertes pour la deuxième année consécutive. D’une douzaine d’acteurs au début des années 1980, l’Europe ne compte plus que trois informaticiens : Siemens, Bull et Olivetti. La récession aiguise une concurrence devenue acharnée. Mais la situation économique n’explique pas seule cet état de fait. Les systèmes ouverts : une Arlésienne L’informatique vit une profonde mutation qui accélère le laminage des marges des fabricants. Le marché était autrefois captif. Adopter IBM ou Unisys liait le client à son fournisseur pour des années. Car la machine de l’un n’était pas compatible avec celle du voisin. L’utilisateur qui souhaitait disposer d’une nouvelle application, ou améliorer la performance de son système, n’avait pas d’autre choix que celui de demander à son fournisseur les dernières versions de ses logiciels. Faute de quoi tout son parc informatique était bon à mettre au rebut. IBM régnait alors en maître absolu sur un marché où les marges dans les grands systèmes atteignaient 40 %. Au cours des années 1980, ses concurrents n’ont plus eu qu’un seul concept à la bouche : les systèmes ouverts. Il s’agissait de définir des architectures de machines permettant leur compatibilité. Un logiciel de gestion de fiches de paie devait pouvoir tourner indifféremment sur une machine IBM ou sur Apple. Cet impératif a considérablement accru la concurrence entre fournisseurs, libérant des clients captifs. Mais les marges ont fondu de moitié. C’est ce qui a coûté la vie à une foule d’entreprises américaines ou européennes, entraînant un record de fusions. De nouveaux acteurs sont alors venus faire leur marché sur les décombres d’une informatique sinistrée, et le géant des télécoms ATT a pu ainsi prendre le contrôle de son compatriote NCR – l’un des derniers grands informaticiens américains indépendants – à l’issue d’une OPA hostile. Mais la crise est également une aubaine pour les Japonais. Longtemps tenus pour quantité négligeable en informatique, les groupes nippons, limités dans ce domaine par un problème de langage, ne négligent plus la croissance externe pour s’internationaliser. Fujitsu est devenu le numéro deux mondial de l’informatique, détrônant l’américain DEC, en reprenant coup sur coup le leader britannique ICL et la division spécialisée du finlandais Nokia. Ce raz de marée japonais a d’ailleurs sonné le réveil de l’électronique européenne, traumatisée par les pertes colossales du « primus inter pares ». downloadModeText.vue.download 347 sur 490 ÉCONOMIE 345 Le néerlandais Philips a accusé pour la première fois de son histoire centenaire un trou de plus de 12 milliards de francs en 1990. Un programme, baptisé Centurion, a aussitôt été mis en place par son nouveau président, Ian Timmer. 55 000 suppressions d’emplois ont été décidées, tandis que le groupe batave était contraint de se retirer de plusieurs activités. L’informatique a été vendue à l’américain DEC, les activités de défense au français Thomson, sans oublier des abandons dans le domaine des puces, la clé pourtant des technologies électroniques. Philips, faute de moyens, s’est retiré avec fracas du programme de recherche de base sur les semi-conducteurs – Jessi –, ce projet européen censé redonner au Vieux Continent des atouts technologiques face aux grands concurrents japonais. La force du Japon : l’intégration verticale Contrairement à leurs rivaux occidentaux, les groupes nippons sont intégrés verticalement en électronique. Une stratégie qui leur confère une force redoutable. Les mêmes acteurs – NEC, Fujitsu ou Toshiba – sont à la fois des leaders dans le domaine des mémoires (ces composants électroniques qui envahissent de plus en plus les ordinateurs, les téléviseurs, voire les automobiles), mais ils sont aussi présents dans le téléphone, l’informatique ou l’électronique grand public. En quelques années, le Japon est parvenu à s’arroger 85 % du marché mondial des mémoires. Désormais maîtresse des prix, l’industrie japonaise a quasiment rayé de la carte les fabricants occidentaux de ces puces. Et elle tient désormais entre ses mains l’industrie occidentale consommatrice de puces, celle des téléviseurs comme celle des ordinateurs. Le sursaut européen est pourtant laborieux à venir. C’est la bataille de la télévision haute définition (TVHD) qui devait redonner ses chances à l’industrie européenne. Grâce à une coopération nouée dès 1986 au sein d’un programme Eureka, qui réunit principalement Philips, Thomson et Nokia, un standard européen, le HD MAC, a vu le jour. Mais son introduction est un véritable cassetête pour Bruxelles. La Commission entend en effet imposer progressivement cette nouvelle norme de transmission des images qui doit se substituer aux PAL et SECAM actuels. Or elle se heurte à l’hostilité des diffuseurs et de l’industrie des programmes qui n’entendent pas en payer le surcoût. Aubaine pour les fabricants qui voient miroiter un nouvel eldorado, à savoir le renouvellement d’un marché mondial de plus de 700 millions de postes, la TVHD coûte cher. Il faut tourner les images dans un nouveau format, avec une nouvelle qualité technique. Et les diffuseurs n’ont guère les moyens d’investir à si long terme. D’autant qu’une nouvelle révolution technologique, venue d’Amérique cette fois : le saut au « tout numérique », vient jeter le doute sur les performances du standard européen. Là encore s’éprouve la grande force de la verticalité de l’industrie japonaise : au Japon, les profits réalisés grâce à la vente des téléviseurs, des baladeurs et autres magnétoscopes permettent à Matsushita ou à Sony de s’offrir Hollywood. Coup sur coup, l’industrie des programmes d’outre-Atlantique tombe dans l’escarcelle nipponne. En rachetant downloadModeText.vue.download 348 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 346 les studios MCA, Matsushita, premier fabricant mondial d’électronique grand public, se lance sur les pas de son challenger Sony qui s’était offert le premier fabricant mondial de disques CBS avant les studios de Columbia. Un contrôle de l’ensemble de la filière qui permet plus facilement d’imposer mondialement un nouveau standard d’enregistrement pour le son ou de transmission pour l’image. Avec Muse, la NHK, la télévision publique japonaise a, en effet, développé depuis près de 20 ans un standard de TVHD. Un front uni transatlantique Face au raz de marée électronique japonais, Européens et Américains ont décidé de se serrer les coudes. Pour la première fois, une coopération devient possible dans le domaine des puces, la matière première de ce métier, entre Jessi et Sematech, les deux organisations de recherche situées de part et d’autre de l’Atlantique. L’accord définitif de coopération a été signé en septembre. Aucune firme européenne, y com- pris à travers ses filiales américaines, n’avait jamais pu participer à des recherches au sein de Sematech. Des grandes sociétés américaines, qui emploient des milliers de personnes en Europe, ont, il est vrai, beaucoup pesé en ce sens. C’est le cas d’IBM, qui emploie 100 000 personnes sur le Vieux Continent et qui entend pouvoir continuer à trouver localement des sources d’approvisionnement pour ses ordinateurs. L’intérêt du géant américain de l’informatique pour l’existence d’une industrie occidentale des composants l’a conduit à parrainer l’alliance Jessi-Sematech. Big Blue fait parallèlement son entrée dans plusieurs sous-programmes de Jessi, un projet censé initialement rehausser le niveau technologique de l’Europe en matière de semiconducteurs. Mais IBM a également signé un accord de coopération avec l’allemand Siemens, l’un des trois fabricants européens de puces avec Philips et le groupe public franco-italien SGS-Thomson. Le groupe américain est en effet un grand fabricant de puces pour ses besoins internes. Il change aujourd’hui de stratégie en coopérant avec d’autres acteurs occidentaux. La future génération de mémoires dynamiques sera coproduite par les deux groupes, IBM et Siemens. Une alliance que Bruxelles aimerait voir étendue aux deux autres Européens, Philips et SGS-Thomson. Ces coopérations, voulues généralement par les administrations ou le pouvoir politique, contrarient toutefois bien souvent les démarches spontanées des industriels. Tous les géants américains des puces, de Texas Instruments à Motorola, multiplient en effet les accords de partenariats avec leurs concurrents nippons ! Voilà des années que Hitachi et Toshiba sont à la fois les bêtes noires et les partenaires de leurs concurrents américains. Accusés de piller leurs brevets, les fabricants nippons de puces deviennent les partenaires obligés des Américains quand il s’agit, par exemple, de développer les circuits clés de la télévision haute définition japonaise. Le consommateur échaudé Pour l’heure, le Japon, avec 200 adeptes de la TVHD, n’a pas plus que l’Europe réussi à séduire le consommateur avec ces nouveautés aux prix encore prohibitifs. La TVHD japonaise, qui coûte encore la bagatelle de 150 000 F, est hors de portée d’un ménage nippon. La récession économique rend-elle l’utilisateur plus méfiant ? Toujours est-il que les consommateurs semblent plus suspicieux aujourd’hui qu’hier. La lenteur du démarrage de la nouvelle cassette au- dio-numérique – la fameuse DAT – en témoigne dans le domaine du son. Mais l’informatique a, elle aussi, échaudé ses partisans. Les sacro-saints systèmes ouverts existent davantage sur le papier que sur les rayonnages des revendeurs. Une foule d’associations de constructeurs aux sigles barbares (OSI, X-Open, OSF, ACE, etc.) y travaille pourtant d’arrachedownloadModeText.vue.download 349 sur 490 ÉCONOMIE 347 pied depuis des mois, voire des années. Mais cela n’a pas empêché le magazine américain Business Week de faire un malheur au printemps dernier avec une couverture intitulée « Computer confusion ». Jamais il n’a été plus difficile au vulgum pecus de choisir un ordinateur. Faisant hier une confiance aveugle à IBM, il doit aujourd’hui choisir son processeur, son système d’exploitation, ses logiciels, ou encore son « bus », c’est-àdire le mode d’organisation interne à la machine. Des choix qui nécessiteraient, pour bien faire, un diplôme supérieur d’électronique ! L’attentisme du client surprend les fabricants en mal de débouchés. Un véritable boomerang qui risque fort de se transformer en coup de grâce pour les plus fragiles d’entre eux. Une chose est pourtant sûre : la gravité de la situation de l’électronique et son importance stratégique mériteraient une conjugaison des mobilisations publiques et privées que, pour l’instant, l’Europe parvient bien mal à mettre en oeuvre. Moins bien en tout cas que ses rivaux américains et surtout japonais. BLANDINE HENNION Collaboratrice de Libération, du Matin de Paris, du Moniteur des travaux publics, Blandine Hennion est spécialiste de l’électronique à la Vie française, à la Tribune de l’économie et aux Échos. downloadModeText.vue.download 350 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 348 SCIENCES ET TECHNIQUES Alors que le délai séparant les découvertes scientifiques de leurs applications industrielles ne cesse de se raccourcir, l’attribution du prix Nobel de physique 1991 au Français PierreGilles de Gennes prend valeur de symbole. Qualifié d’« Isaac Newton de notre temps » par le jury de l’Académie royale des sciences de Suède, le vingt-quatrième lauréat français du prix Nobel est, en effet, un spécialiste de la physique de la matière condensée qui a toujours pensé la science la plus fondamentale en terme d’applications industrielles. Électronique, furtivité et logique floue On sait quel puissant stimulant les conflits armés ont toujours constitué pour les techniques de pointe. Sous le seul aspect de la technologie militaire, la guerre du Golfe a révélé le rôle de l’électronique, désormais crucial pour la victoire. C’est à elle que les bombardiers, les avions de chasse ou de reconnaissance, les satellites d’observation et les armes « intelligentes » doivent toute leur efficacité. Le conflit du Golfe a marqué aussi le triomphe de la furtivité, c’est-à-dire de la technologie permettant aux avions de combat d’échapper aux radars. Une quarantaine de chasseurs-bombardiers furtifs américains F-117 A ont été employés quotidiennement contre les cibles les mieux défendues de l’Irak sans aucune perte. À lui seul, l’avion furtif a touché, avec une réussite de 95 %, 43 % de l’ensemble des cibles irakiennes atteintes, alors qu’il n’a accompli que 3 % des sorties aériennes. À l’origine de ce succès : la discrétion radar des appareils, qui leur a permis d’arriver près de leurs objectifs sans être détectés et sans être accrochés par les conduites de tir radar des systèmes d’armes antiaériens, ainsi que l’extrême précision de leur armement à guidage terminal. Le concept de furtivité apparaît désormais comme une composante incontournable dans la conception des avions de combat. Autre concept récent, souvent évoqué en 1991, cette fois dans le secteur in- dustriel : la logique floue. Celle-ci vise à introduire la subjectivité humaine dans la technique. Encore peu utilisée aux États-Unis et en Europe, elle se banalise rapidement au Japon, où elle a trouvé ses premières applications dans le domaine de la commande ou du contrôle de systèmes automatiques variés, notamment sur des appareils destinés au grand public (aspirateurs, téléviseurs, lave-linge, Caméscopes, four à microondes...). Un système de commande flou est défini par une collection de règles du type « si..., alors » qui expriment comment doivent varier les paramètres de commande d’un système à piloter en fonction d’observations effectuées en sortie de ce système, afin d’atteindre ou de maintenir un état de fonctionnement désiré. Dans une machine à laver, par exemple, le contrôleur flou intervient pour déterminer la quantité d’eau en fonction du linge et pour choisir la durée du lavage selon le degré de saleté. D’une façon générale, la logique floue peut être mise à contribution dans de nombreux domaines downloadModeText.vue.download 351 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 349 où l’incertitude et l’imprécision des données et des règles reflètent l’aspect flexible de la pensée humaine. Télécommunications : de nouveaux services Pour les entreprises, mais aussi pour le grand public, une autre révolution s’amorce : celle qui accompagnera la multiplication des services de télécommunications. Après la banalisation de la télécopie, le radiotéléphone sort à son tour de la panoplie des gadgets luxueux ou des outils de travail de quelques professionnels. Inauguré à Strasbourg à l’automne 1991, avant d’être lancé à Paris en 1992, le service de radiotéléphonie numérique Pointel permet de passer des appels, en France ou à l’étranger, à l’aide d’un appareil portatif fonctionnant dans un rayon de 200 m autour de bornes radio prévues à cet effet. Dès 1992, le réseau radio-téléphonique cellulaire CSM permettra des communications téléphoniques avec des mobiles dans 17 pays européens. À l’horizon de cinq à dix ans, le développement des communications avec les mobiles et celui de nouveaux services dits « intelligents » (c’est-à-dire à valeur ajoutée) seront les deux évolutions les plus significatives en matière de télécommunications. Dans l’audiovisuel, peut-être sommes-nous aussi à la veille d’une révolution, avec l’avènement de l’édition multimédia. Le mélange de textes, de graphismes, d’images fixes ou animées et de sons stockés électroniquement et leur manipulation appellent de nouveaux concepts d’écriture et de nouveaux supports normalisés. 1991 aura vu l’introduction sur le marché, aux États-Unis (avant son lancement en Europe, en 1992) du disque compact interactif. Celui-ci autorise la création de nouveaux produits éditoriaux combinant toutes les sources écrites ou audiovisuelles. Armé d’une télécommande et d’un lecteur approprié branché sur un téléviseur, un enfant peut ainsi colorier à son gré un dessin animé, un collectionneur construire son parcours dans un musée imaginaire, un étudiant ingurgiter à son rythme son programme de formation : chaque disque peut contenir le texte d’une année entière d’un quotidien ou 7 000 images, ou encore jusqu’à 19 heures de commentaires sonores. Quittons la technique et revenons à la science ; car, elle aussi, en 1991, nous a fait entrevoir de fabuleuses perspectives, pour ce qui concerne la production d’énergie. Le 9 novembre, à Culham, près d’Oxford, dans les laboratoires du Joint European Torus (JET), on est parvenu pour la première fois à obtenir une quantité significative d’énergie à partir de réactions de fusion thermonucléaire. Le « tokamak » du laboratoire – une machine de 10 m de haut et de près de 3 000 tonnes – a permis d’atteindre pendant deux secondes une température proche de 300 millions de degrés, en dégageant une énergie de 1,5 à 2 mégawatts. Les spécialistes espèrent maintenant franchir en 1996 une autre étape décisive : celle où le réacteur produira autant d’énergie qu’il en consommera. Ce qui est encore loin d’être le cas puisque, lors de l’expérience réalisée le 9 novembre 1991, le JET a consommé 15 000 mégawatts ! downloadModeText.vue.download 352 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 350 La Terre sous surveillance Un jour, peut-être dans le courant du siècle prochain, le vieux rêve de la domestication de l’énergie des étoiles deviendra enfin réalité. On disposera alors d’une énergie inépuisable provenant de... l’eau, dont chaque litre recèle 30 milligrammes de deutérium, l’un des combustibles de la fusion : l’équivalent de 300 litres de pétrole. Une énergie qui, de surcroît, sera propre, la fusion ne laissant pas de déchets, et sûre, car la réaction – à la différence de celle de la fission, utilisée dans les réacteurs nucléaires actuels – ne peut pas s’emballer. Mais, avant d’en arriver là, un long chemin reste encore à parcourir. Pour les experts les plus optimistes, il faudra attendre 2030 pour voir le premier réacteur de fusion couplé au réseau ; pour d’autres, ce ne sera pas avant 2100. Les obstacles à surmonter sont énormes. Et cela coûtera très cher. L’Europe a déjà dépensé 10 milliards de francs pour construire le JET et le faire tourner pendant dix ans. La prochaine machine, qui devrait permettre d’obtenir une réaction dégageant suffisamment d’énergie pour s’auto-entretenir, sans apport extérieur autre que le combustible, coûtera plus de 20 milliards. La fusion nucléaire suscite de grands espoirs, mais quel visage aura notre planète le jour où l’homme parviendra enfin à la maîtriser ? L’amélioration de nos connaissances sur l’évolution du climat et de l’environnement constitue l’un des enjeux scientifiques et socio-économiques majeurs des prochaines décennies. Comprendre cette évolution est donc un objectif prioritaire pour les scientifiques afin de permettre d’élaborer des stratégies pertinentes pour la gestion globale de l’environnement. L’effort de recherche doit porter sur la description, la compréhension et la modélisation des processus essentiels qui gouvernent le système atmosphèrehydrosphère-géosphère-biosphère, en tenant compte des facteurs anthropiques à conséquences globales comme la déforestation ou les émissions de gaz à effet de serre. Tandis que se poursuivent les efforts pour surveiller l’évolution de la teneur de l’atmosphère moyenne en ozone, notamment dans l’Arctique grâce à la campagne européenne EASOE (European Arctic Stratospheric Ozone Experiment), lancée en novembre, et mettant en oeuvre conjointement des ballons, des avions et des fusées-sondes, l’océan est, à son tour, placé sous haute surveillance. En particulier, le programme international WOCE (World Ocean Circulation Experiment) a pour objectif d’aboutir à une meilleure compréhension de la circulation océanique globale en tant que composante essentielle du climat général de la planète. Dans le cadre de ce programme, le navire de recherche océanographique français l’Atalante a effectué durant l’été une campagne d’exploration dans la zone de fracture Romanche de la dorsale médioatlantique pour observer la circulation des eaux profondes et froides en provenance des régions polaires et expliquer leur cheminement. On compte aussi beaucoup sur la contribution de satellites comme ERS-1, de l’Agence spatiale européenne, lancé le 17 juillet et placé sur une orbite polaire héliosynchrone à quelque 780 km d’altitude. Muni d’une plate-forme dérivée downloadModeText.vue.download 353 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 351 de celle des satellites français SPOT, il comporte, notamment, un radar à synthèse d’ouverture, un altimètre radar et un radiomètre à balayage destinés à des observations permanentes, par tous les temps, des océans, des terres émergées et des glaces polaires. L’observation de la Terre va constituer, d’ici à la fin du siècle, l’un des axes majeurs de développement des programmes spatiaux. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE downloadModeText.vue.download 354 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 352 MAUX DE TERRE Les forêts disparaissent, la ceinture de feu du Pacifique explose alors que l’eau, ailleurs, envahit des continents. Que peut encore faire l’homme ? Réuni à Paris du 17 au 26 septembre 1991, le 10e congrès forestier mondial a permis à près de 3 000 experts de réfléchir sur « la forêt, patrimoine de l’avenir ». À neuf mois de la conférence des Nations unies sur l’Environnement et le Développement qui tiendra ses assises à Rio de Janeiro, ce congrès était l’occasion de sensibiliser les responsables politiques et les opinions publiques aux problèmes des forêts et de montrer le rôle déterminant de la forêt, espace de vie, dans l’économie comme dans l’équilibre des relations biosphère-atmosphère. Richesse économique pour de nombreux États du Nord : Canada, URSS, Finlande... et du Sud : Brésil, Malaisie, Gabon..., la forêt est l’habitat d’une faune et d’une flore variées ; c’est aussi un patrimoine social qui peut être orienté vers les loisirs, la détente ou le tourisme grâce à la mise en oeuvre de politiques adéquates d’aménagement du territoire. Il s’agit de gérer le plus rationnellement possible les forêts boréales, tempérées et tropicales existantes dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles renouvelables et de la protection de la nature. Pour certains États du Sud, et même du Nord, la déforestation, le dépérissement des forêts risquent de remettre en question les possibilités éventuelles d’un développement durable. À moins d’une décennie de l’an 2000, toutes les forêts sont plus ou moins menacées. Les forêts tropicales, que les PAFT (Plans d’action forestiers tropicaux) ne paraissent pas en mesure de protéger efficacement, représentent 50 % de la forêt mondiale. Précisons qu’elles ne fournissent que 20 % environ de la production totale de bois d’oeuvre et d’industrie et que, sur 1,3 milliard de mètres cubes de bois extraits chaque année, 1,1 milliard de mètres cubes le sont à des fins énergétiques (bois de feu et charbon de bois). Au rythme actuel de la déforestation (17 à 20 millions d’hectares par an), la forêt devrait disparaître de Bornéo, de l’Amazonie et du bassin congolais dans un siècle. Dans les régions tempérées et boréales, l’état, l’exploitation et le statut de la forêt varient considérablement d’un pays à l’autre. En Pologne et en Tchécoslovaquie, les forêts, victimes de la pollution de l’air, de l’eau et des sols, agonisent ; les forêts méditerranéennes sont, chaque année, victimes de feux répétitifs ; les forêts de résineux de Finlande ou du Canada fournissent le bois vital pour l’économie (le Canada est le premier producteur mondial de papier journal, le 2e de pâte à papier, le 3e producteur de bois d’oeuvre). La forêt française hétérogène et très artificialisée que se partagent les propriétaires privés (70 %), les communes (18 %) et l’État (12 %) est une des rares forêts d’Europe dont la superficie augmente régulièrement (8 millions d’hectares en 1800, 12 millions en 1990). L’avenir prévisible de la forêt devrait conduire la communauté internationale à réfléchir sur les voies et les moyens permettant de sauvegarder ce patrimoine de l’avenir : droit de la forêt ? moratoire sur downloadModeText.vue.download 355 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 353 l’abattage des forêts ? convention relative à la gestion des ressources forestières ? Le delta maudit Le Bangladesh s’identifie à un pays-delta, un delta construit tout au long du quaternaire par trois puissants cours d’eau : le Brahmapoutre, le Gange et la Meghna et leurs innombrables défluents, qui forment un lacis inextricable et changeant. Le Gange et le Brahmapoutre prennent leur source dans la chaîne himalayenne et plus précisément dans les monts Kaïlas, au Tibet méridional, et la Meghna, dans le plateau de Shillong, en Assam. Consécutivement à la déforestation systématique, anarchique et suicidaire des contreforts de l’Himalaya dans le Bhoutan, le Sikkim et le Népal, ces cours d’eau charrient des quantités croissantes de sables et de limons. Cette charge solide confère aux eaux fluviales un puissant pouvoir d’érosion : les berges, les levées et les anciennes digues sont sapées, et les lits des rivières ne cessent de se déplacer, menaçant les régions de culture et même les villes : celle de Sirajgang est, ainsi, contrainte de s’adapter aux divagations du Brahmapoutre. Dans les plaines du delta, l’évacuation naturelle des eaux est très lente. Les pluies de mousson, abondantes et souvent diluviennes – au N-E du pays et au pied de la chaîne de Megalaya, la hauteur moyenne des pluies annuelles est de 12 mètres ! – sont à l’origine de fréquentes inondations, catastrophiques et meurtrières, comme celles de 1987 et de 1988. Dans les régions méridionales où les terres sont au niveau des eaux du golfe du Bengale, au risque des inondations s’ajoute celui des cyclones et des ondes de tempête qui leur sont associées. Le cyclone meurtrier qui, le 30 avril 1991, a ravagé le sud et le sud-est du Bangladesh, a détruit le quart des digues destinées à contenir les eaux fluviales. En septembre 1988, la France a proposé à la communauté internationale comme aux autorités bangaleshi un plan d’action contre les inondations comportant l’endiguement des principaux fleuves ; un projet titanesque, puisqu’il s’agit de construire 3 000 km de digues en 10 ou 20 ans pour un coût de 5 à 10 milliards de dollars. Si un tel projet est techniquement réalisable, il implique la parfaite connaissance de l’hydrologie des fleuves et des rivières, qui font du delta un hydrosystème extrêmement complexe. Il faut aussi envisager de mettre en oeuvre, à l’échelle plus vaste des bassins-versants des cours d’eau principaux, des actions de foresterie pour limiter les effets de l’érosion des sols. De telles réalisations, qui permettraient aux pays d’envisager l’autosuffisance alimentaire, ne sont a priori envisageables que dans le cadre de traités permettant aux États de la sous-région d’exploiter, de gérer et d’aménager en synergie les eaux de surface comme les écosystèmes qui en régissent le comportement. L’Antarctique restera blanc Le traité de l’Antarctique, signé par une douzaine d’États le 1er décembre 1959 – aujourd’hui ratifié par 26 nations auxquelles il faut adjoindre 13 autres pays ayant donné leur adhésion – interdit toute activité militaire et nucléaire sur le continent blanc. Sur les 14 millions downloadModeText.vue.download 356 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 354 de kilomètres carrés de l’Antarctique également protégés de toute revendication territoriale, seules les recherches scientifiques peuvent être poursuivies et développées dans les 40 bases édifiées et aménagées à ce jour par 17 pays dont les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne, l’Australie et la France... Ce traité, déjà riche de 14 articles et de 2 conventions, a été complété le 4 octobre 1991, à l’issue de la conférence de Madrid, par un protocole relatif à la protection de l’environnement. Ce protocole signé par 39 pays interdit jusqu’en 2050 l’exploitation des ressources minières. L’Antarctique, Eldorado incertain mais laboratoire exceptionnel pour l’étude des paléoclimats, du climat actuel et futur, ou pour l’observation d’une faune spécifique adaptée à des conditions de vie très contraignantes, est donc protégé pour une durée déterminée de l’action déprédatrice des industriels. Précisons que la France, qui possède en terre Adélie (430 000 km2), principal territoire des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la base Dumont-d’Urville, doit entreprendre la construction d’une nouvelle station au « Dôme C », en territoire australien et à 1000 km de la première. Le « Dôme C », situé sous le célèbre « trou d’ozone », est considéré comme un site remarquable pour l’analyse de la physique et de la chimie de l’atmosphère et pour l’étude systématique de la couche de glace qui, à cet endroit, est épaisse de 3 500 m au moins. Un Institut pour la recherche et la technologie polaire devrait être créé dans les prochains mois. Constitué en groupement d’intérêt public (GIP), cet institut regroupera le CNRS, le ministère des DOM-TOM, celui de la Recherche et de la Technologie, les TAAF, ainsi que les organismes spécialisés dans la recherche, comme le CNES, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, Météo-France et les EPF (Expéditions polaires françaises). La France, qui vient d’être admise dans le Comité scientifique arctique international associant depuis 1990 les huit pays riverains du pôle Nord, sera ainsi en mesure de renforcer son activité scientifique en Arctique. La ceinture de feu L’année 1991 a été marquée par un regain de l’activité volcanique dans la ceinture de feu qui, aux bordures septentrionale et occidentale du Pacifique, s’étire des îles Aléoutiennes aux îles Fidji via les archipels nippon et philippin et la NouvelleGuinée. L’Unzen, situé à proximité de Shimabara dans la province de Nagasaki (île de Kyushu), et le Pinatubo, localisé à 100 km au nord-ouest de Manille (île de Luzon), sont tour à tour entrés en éruption. Le premier, le 26 mai, après 199 ans d’accalmie ; le second, entre le 1er et le 8 juin, après 6 siècles de sommeil. Les éruptions de ces deux volcans, dont l’existence est liée à la subduction (ou à la plongée) de la plaque des Philippines sous la plaque continentale eurasiatique, sont identiques, dangereuses et spectaculaires. Ces appareils volcaniques émettent des produits visqueux qui obstruent la cheminée et empêchent les gaz de s’échapper. Les manifestations les plus remarquables de ces éruptions de type explosif sont les coulées pyroclastiques et les nuées ardentes, avalanches downloadModeText.vue.download 357 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 355 incandescentes de gaz et de cendres qui dévalent les versants du volcan à plus de 200 km/h. Si une partie des cendres, ou tephra, s’accumule à proximité du volcan, l’autre, mêlée de produits chlorés, fluorés et soufrés, est injectée dans la haute troposphère et la stratosphère. De ce point de vue, l’éruption du volcan philippin serait, par le volume des produits émis et par l’importance du panache circumterrestre qu’elle a formé, beaucoup plus importante que celle de l’Unzen, du Saint-Helens (1980) ou du volcan mexicain El Chinchon (1982). L’augmentation de la turbidité de l’atmosphère inférieure et l’atténuation de la radiation solaire pourraient avoir pour conséquences d’affecter la couche d’ozone et d’abaisser de quelques dixièmes de degré – et pendant plusieurs années – les températures moyennes à la surface du globe. D’après les travaux les plus récents de chercheurs de la NASA, la diminution de la quantité d’ozone atmosphérique imputable aux produits chlorés d’origine naturelle comme aux CFC s’observe non seulement au-dessus des pôles, mais aussi aux latitudes moyennes. L’Unzen a fait 41 victimes, dont les volcanologues Maurice et Katia Krafft et le géologue Harry Glicken ; le Pinatubo en a fait 720. Le bilan de ces éruptions est lourd, tant au plan éconolique (villages détruits, cultures anéanties, un million de personnes évacuées...) qu’au plan environnemental. Il est vrai qu’aux dégâts causés par les nuées ardentes et l’abondance des chutes de cendres se sont ajoutés – dans le cas du Pinatubo notamment – ceux occasionnés par les coulées de boue et les inondations consécutives aux pluies diluviennes des premiers typhons de l’année. Deux autres volcans philippins ont montré des signes de réveil : le Didicas dans les îles Babuyan au nord de Luzon le 22 juin et le Sibucal dans l’île de Mindanao le 17 septembre. Les volcans de la ceinture de feu ont été précédés ou accompagnés par des volcans situés à des milliers de kilomètres. Le volcan Hekla situé à 120 km de Reykjavik s’est réveillé le 17 janvier ; la vallée du Soleil en Patagonie chilienne a été transformée en un désert de cendres après les éruptions du volcan Hudson survenues entre les 11 et 15 août. L’Etna a produit, cette année encore, près de 25 millions de tonnes de CO2... PHILIPPE C. CHAMARD Philippe C. Chamard, géographe et quaternariste, est maître de conférences à l’université de Paris-X et consultant d’organismes internationaux. downloadModeText.vue.download 358 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 356 LE POINT SUR... ASTRONOMIE Reverrons-nous la comète de Halley près du Soleil, en 2061 ? La question vaut d’être posée après la découverte, à son emplacement présumé, sur des photographies à longue pose prises le 12 février par les astronomes belges Olivier Hainaut et Alain Smette à l’aide du télescope danois de 1,54 m de diamètre de l’observatoire européen austral au Chili, d’un halo de poussière de plus de 300 000 km de diamètre, quelque 300 fois plus brillant que l’éclat escompté du noyau de la comète. Peut-être ce dernier est-il entré en collision avec un autre petit corps du système solaire, mais cela paraît très improbable. Il n’existe, en fait, aucune explication satisfaisante de ce brutal sursaut d’activité, mais certains pensent que la comète pourrait bel et bien avoir explosé. Une planète hypothétique L’un des autres événements astronomiques majeurs de l’année, tout à fait prévu celui-là, est l’éclipsé totale de Soleil du 11 juillet. Avec une phase de totalité d’une durée maximale de 6 min 53 s, cette éclipse de Soleil s’inscrit parmi les plus longues du siècle, après celles du 20 juin 1955, du 30 juin 1973 et du 8 juin 1937, qui dépassèrent 7 minutes. Il faudra désormais attendre le 13 juin 2132 pour en observer une plus longue. Après avoir commencé, au lever du Soleil, sur l’océan Pacifique, l’éclipsé balaie successivement l’archipel hawaiien, le sud de la Californie, l’Amérique centrale et le nord-ouest de l’Amérique du Sud, pour se terminer au Brésil, au coucher du Soleil. Elle traverse des régions très peuplées, comme la basse Californie et la ville de Mexico, et, pour la première fois, un grand observatoire – celui du Mauna Kea, à Hawaii – se trouve sur la ligne de centralité. C’est une véritable aubaine pour les spécialistes, puisque les éclipses totales de Soleil constituent des instants particulièrement privilégiés pour étudier l’atmosphère solaire et les nombreux phénomènes qui s’y déroulent. L’élite des astronomes solaires du monde entier se rassemble donc au sommet du Mauna Kea, à quelque 4 200 m d’altitude. La hauteur sur l’horizon du Soleil éclipsé n’y est que de 21°, la durée de l’éclipsé totale n’y atteint que 4 min 12 s et les conditions d’observation s’avèrent finalement moins bonnes que prévu en raison de la présence dans l’atmosphère de nombreuses poussières provenant de l’éruption, quelques semaines auparavant, du volcan philippin Pinatubo. Des observations au sol sans précédent sont néanmoins réalisées simultanément à des longueurs d’onde de la lumière visible, de l’infrarouge et du rayonnement radio millimétrique. Plus de 6 000 images à haute résolution sont notamment obtenues à l’aide d’une caméra vidéo CCD installée sur le télescope Canada-France-Hawaii de 3,6 m de diamètre, qui devient ainsi le plus grand télescope optique jamais pointé sur le Soleil. Certaines de ces images montrent, pour la première fois, l’évolution temporelle d’un nuage de gaz coronal partiellement ionisé (ou plasmoïde) de 1 500 km seulement de long. Sur des clichés à grand champ de la couronne downloadModeText.vue.download 359 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 357 sont, d’autre part, mises en évidence de nombreuses structures en boucles, enchevêtrées, et les spécialistes notent l’aspect inhabituel de la couronne : les nombreux jets qui la hérissent, caractéristiques d’une période où l’activité solaire est maximale, ne s’étendent pas dans ses régions équatoriales mais dans ses régions polaires. En astronomie stellaire, trois astronomes britanniques, MM. Balles, A. Lyne et S. Shemar, créent l’événement en annonçant, le 25 juillet, dans la revue Nature, la découverte de la première planète extérieure au système solaire : une planète environ dix fois plus massive que la Terre et vraisemblablement gazeuse, qui tournerait en six mois à 120 millions de kilomètres environ (soit à peu près la distance de Vénus au Soleil) d’une étoile à neutrons, la pulsar PSR 1829-10, située à quelque 30 000 années-lumière de distance, dans la constellation de l’Écu de Sobieski. En fait, l’équipe anglaise a seu- lement mis en évidence, depuis 1988, des fluctuations périodiques de la cadence du pulsar et, faute d’autre interprétation possible, n’a pu les expliquer de façon satisfaisante qu’en avançant l’hypothèse de la présence, autour de l’étoile, d’une planète ayant les caractéristiques sus-indiquées. Il reste maintenant à expliquer comment une telle planète a pu se former autour d’une étoile « effondrée »... et à observer cette planète ! PHILIPPE DE LA COTARDIERE ESPACE Huit vols de la fusée européenne Ariane, les vols V41 à V48, tous réussis, marquent l’année spatiale. Ils autorisent le placement de onze gros satellites et de quatre microsatellites en orbite de transfert géostationnaire. La version Ariane 44 L, la plus puissante, équipée de quatre propulseurs d’appoint à propergols liquides, est utilisée à quatre reprises : le 15 janvier, pour lancer Italsat 1, premier satellite italien de télécommunications, et Eutelsat II-F2, deuxième exemplaire d’une nouvelle génération de satellites de télécommunications de l’organisation européenne Eutelsat ; le 14 août et le 29 octobre, pour lancer chaque fois un exemplaire des satellites de télécommunications Intelsat VI ; enfin, le 16 décembre, pour mettre en orbite les satellites de télécommunications Telecom 2A et Inmarsat 2-F 3. La version Ariane 44 P, dotée de quatre propulseurs auxiliaires à poudre, est employée à deux reprises : le 4 avril et le 27 septembre, pour le lancement des deux premiers exemplaires de la cinquième génération de satellites de télécommunications canadiens Anik. Un exemplaire de la version Ariane 44 LP, munie de deux propulseurs d’appoint à liquides et de deux à poudre, permet de lancer, le 2 mars, Astra 1B, deuxième satellite luxembourgeois de télévision directe, et MOP-2, deuxième satellite météorologique européen Meteosat opérationnel. Enfin, un exemplaire de la version Ariane 40, sans propulseur d’appoint, place sur orbite, le 16 juillet, ERS-1, premier satellite européen de télédétection (équipé notamment d’un radar à synthèse d’ouverture lui permettant d’obtenir, de jour comme de nuit, des images de grande qualité de la surface du globe) et quatre microsatellites scientifiques ou de communication. downloadModeText.vue.download 360 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 358 L’avenir incertain Le 29 mai, le satellite de télécommunications géostationnaire expérimental Olympus (lancé en 1989) est victime d’une panne qui lui vaut de ne plus réagir aux ordres envoyés de la Terre et de tourner sur lui-même en s’écartant de sa position orbitale correcte. Une vaste opération de sauvetage est rapidement déclenchée et, au terme d’une longue série de télécommandes, les techniciens de l’Agence spatiale européenne et de British Aerospace parviennent, le 31 juillet, à reprendre le contrôle de l’engin, qui retrouve le 13 août sa position orbitale correcte, par 19,2° de longitude ouest. Très attendue, la réunion du Conseil de l’Agence spatiale européenne au niveau ministériel, à Munich, du 18 au 20 novembre, déçoit les observateurs. On espérait qu’elle déboucherait sur des décisions majeures pour l’avenir de l’Europe spatiale, avec, en particulier, un engagement financier pluriannuel garanti et un échéancier ferme pour les programmes Columbus (laboratoire orbital), Hermes (avion spatial) et DRS (satellites relais de télécommunications à haut débit). En fait, après d’âpres discussions, les ministres ne parviennent qu’à un accord politique minimal. Tout en réaffirmant l’adhésion des États membres de l’Agence spatiale européenne aux objectifs définis en 1987, lors de la conférence de La Haye, ils reportent à la fin de 1992 la décision d’achever le développement des programmes Columbus, Hermes et DRS, sous la pression de certains États, comme l’Allemagne, soucieux de réduire leur contribution financière. La principale décision positive prise par les ministres réunis à Munich est celle de mener à bien un nouveau programme européen d’observation de la Terre à l’aide de plates-formes en orbite polaire dont la première, POEM1, poursuivra et étendra les observations réalisées par les satellites radar ERS. Aux États-Unis, l’année est marquée par six missions de la navette spatiale. Elles autorisent notamment la mise en orbite du satellite d’astronomie gamma GRO (6 avril), d’un satellite relais de télécommunications TDRS (2 août), du satellite d’aéronomie UARS (14 septembre), d’un satellite militaire d’alerte avancée DSP (25 novembre), et un vol Spacelab emportant des expériences qui intéressent les sciences de la vie (5-14 juin). Après avoir cartographie au radar les trois quarts de la surface de Vénus, la sonde Magellan entame le 16 mai son deuxième cycle de survol de la planète. La sonde Galileo, en route vers Jupiter, passe le 29 octobre à 1 600 km de l’astéroïde Gaspra, dont elle recueille 150 clichés. En URSS, l’exploitation de la station orbitale Mir 1 continue. La station accueille notamment, en mai, la première cosmonaute britannique, Helen Sharman, et en octobre le premier cosmonaute autrichien, Franz Viehböck. Cependant, les bouleversements politiques font planer la plus grande incertitude sur l’avenir des programmes spatiaux. L’une des pages les plus glorieuses de la conquête spatiale soviétique est tournée avec la rentrée dans l’atmosphère et la désintégration, le 7 février, au-dessus de l’Argentine, après un séjour de près de neuf ans dans l’espace, de Saliout 7, la dernière des stations orbitales soviétiques de cette série. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE downloadModeText.vue.download 361 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 359 SCIENCES DE LA TERRE Depuis 1981, les praticiens européens des sciences de la Terre se réunissent tous les deux ans à Strasbourg en vue de confronter leurs résultats et leurs hypothèses. Organisé par les Italiens, le VIe meeting de l’European Union of Geosciences a revêtu un aspect un peu plus solennel, puisqu’il marquait le dixième anniversaire de cette manifestation. Preuves du dynamisme et de l’attrait des laboratoires européens : plus de 1 900 participants, provenant d’Europe mais aussi des autres continents, ont suivi 1 300 communications et examiné 300 posters, regroupés en 33 symposiums et 18 sessions ouvertes. L’année des granites Des sujets médiatiques, comme les changements climatiques à l’échelle du globe et la prédiction des séismes, ont été traités à côté de problèmes fondamentaux comme la déformation des continents, les tendances actuelles en stratigraphie et en paléontologie et le rôle du magmatisme dans l’évolution de la croûte terrestre. Le but de la conférence est de permettre ou de susciter les rencontres entre chercheurs d’horizons différents, en particulier d’Europe de l’Est, dont le nombre tend à augmenter. Le IIe Hutton Symposium sur l’origine des granites, tenu à Canberra en Australie, constitue également un événement international marquant. L’origine magmatique des granites, ou passage à l’état liquide avant cristallisation, avait été défendue en 1787, par Hutton dans sa thèse soutenue à Edimbourg. Le Ier Hutton Symposium avait eu lieu dans cette même ville en 1987 pour célébrer le bicentenaire de cette idée alors révolutionnaire. Le besoin s’est fait sentir d’organiser des réunions tous les quatre ans. Le calendrier retenu pour la fin du XXe siècle est le suivant : 1991, Australie ; 1995, ÉtatsUnis ; 1999, France. Le principe du Hutton Symposium est de rassembler les granitologues sur le terrain, dans des régions bien étudiées, puis en congrès, la séance plénière finale devant permettre de souligner les acquis mais aussi les problèmes en suspens. À Canberra, les discussions animées concernant les sources des magmas granitiques ont clairement montré que le consensus était loin d’être atteint. Deux théories s’opposent : 1/ le granité provient de la fusion de niveaux particuliers de la croûte terrestre (origine purement crustale) ; 2/ le granité est issu de l’évolution de magmas profonds contaminés par la croûte qu’ils traversent (participation du manteau terrestre). Cela montre que la « controverse du granité », qui a commencé avec les travaux de Hutton, n’est pas encore close. Or, source importante d’énergie et de métaux, le granité est également utilisé dans la construction, la voirie et même en horlogerie ! Les granites forment l’essentiel de la croûte continentale (plus de 90 %) et jouent ainsi un rôle fondamental, quoique méconnu, dans notre vie quotidienne. BERNARD BONIN MÉDECINE Le prix Nobel de médecine et de physiologie 1991 a été décerné à deux chercheurs allemands, les professeurs Bert downloadModeText.vue.download 362 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 360 Sakmann et Erwin Neher pour leurs travaux de biologie cellulaire. Bert Sakmann, âgé de 49 ans, professeur à la faculté de médecine de l’université de Heidelberg, et Erwin Neher, âgé de 47 ans, professeur honoraire de l’université de Göttingen, travaillent l’un et l’autre au département de médecine cellulaire de l’Institut Max Planck de Heidelberg. Le prix leur a été attribué pour leurs découvertes concernant « la fonction individuelle de certains canaux ioniques de la cellule ». Différents canaux Les membranes des cellules, surtout des cellules musculaires et nerveuses, présentent des molécules ou des groupements de molécules formant des sortes de canaux appelés ionophores, qui régissent le transfert à travers la membrane d’atomes de différentes charges électriques, ou ions. L’ouverture ou la fermeture de ces canaux ioniques permet ou empêche l’entrée ou la sortie, dans une cellule, de ces ions. Il existe des canaux distincts suivant les cellules et les espèces ioniques : ionophores au sodium (nombreux le long des cellules nerveuses), au potassium, au calcium, au chlore. Leur état d’ouverture est commandé par le champ électrique traversant la membrane et/ou par la fixation de médiateurs chimiques sur une molécule réceptrice accouplée au canal. Le passage des ions au travers de la mem- brane cellulaire par les canaux ioniques modifie les propriétés des cellules, entraînant une contraction ou une dilatation, une excitation ou une inhibition. Le mérite des lauréats du Nobel est d’avoir mis au point une technique extrêmement fine permettant d’étudier un par un les différents canaux ioniques et d’enregistrer l’activité électrique de la cellule consécutive aux changements du milieu intracellulaire. Ces travaux d’électrophysiologie fondamentale, qui donnent la possibilité d’étudier les propriétés et la régulation d’un seul canal pris individuellement et de mettre en évidence les substances qui influent sur son fonctionnement (par exemple, un antibiotique tel que la gramicidine commande l’ouverture des canaux à sodium et à potassium), ont dès maintenant des applications cliniques. Ils permettent de mieux comprendre certains mécanismes pathologiques (la mucoviscidose serait liée à un mauvais fonctionnement des canaux au chlore) et d’expliquer l’action de certains médicaments spécifiques. Les médicaments inhibiteurs calciques, largement utilisés en cardiologie dans la prévention des crises d’angine de poitrine et d’hypertension artérielle, agissent sur les canaux à calcium dont ils assurent la fermeture, empêchant la diffusion des ions calcium dans les cellules du muscle cardiaque et de la musculature lisse vasculaire. Les médicaments anxiolytiques agissent par l’intermédiaire des canaux au chlore dont ils commandent l’ouverture, diminuant ainsi l’excitation des cellules du tissu nerveux. Les médicaments antidiabétiques agissent sur les canaux à potassium des cellules du pancréas, stimulant la libération d’insuline. Il est vraisemblable que de nouveaux médicaments spécifiques pourront être mis au point grâce à ces travaux. L’actualité du Sida La VIIe Conférence internationale sur le Sida a eu lieu à Florence du 16 downloadModeText.vue.download 363 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 361 au 21 juin 1991. Par rapport aux conférences précédentes (San Francisco 1990, Montréal 1989, Stockholm 1988), elle a suscité moins d’intérêt, le nombre des participants étant en net recul, surtout à cause de la faible participation des Américains (qui étaient 2 500 contre 7 400 à San Francisco). Aucune communication d’importance majeure n’a été enregistrée, les intervenants traitant surtout de sujets ponctuels. On doit retenir cependant, sous toutes réserves, la communication de William Haseltine sur le rôle possible de la salive dans la transmission de la maladie. Haseltine et ses collaborateurs ont montré que certaines cellules dites « dendritiques », nombreuses à la surface des muqueuses anale, génitales et aussi buccale, sont très sensibles à l’infection par le virus VIH, et qu’une fois infectées elles sécrètent le virus en grande quantité. Alors qu’il est communément admis que la salive seule (en dehors de toute suffusion hémorragique) ne peut transmettre le virus, les travaux de Haseltine sur les cellules dendritiques de la muqueuse buccale remettent en question, du moins en théorie, cette innocuité. Pour leur auteur, le risque de contamination par la salive, quoique faible, ne doit pas être totalement exclu. En 1986, Luc Montagnier et son équipe de l’Institut Pasteur isolaient et identifiaient un deuxième type de virus VIH, le virus VIH2, responsable du Sida en Afrique de l’Ouest, le premier type – VIH1 – étant présent dans le reste du monde. Les États-Unis semblaient épargnés par ce virus. Or 27 cas de contamination par le VIH2 y ont été récemment observés. Aussi, le dépistage systématique de ce deuxième virus pour les donneurs de sang (déjà obligatoire en France) vient-il d’y être recommandé. Dr GEORGES DE CORGANOFF BIOLOGIE L’année aura mal commencé pour ces grenouilles japonaises, embarquées en décembre 1990 à bord de la station soviétique Mir. Après plusieurs jours en orbite, leurs coeurs et cerveaux, momifiés dans le formol, auront passé le Nouvel An... à l’aéroport de Roissy. Destination : le laboratoire d’endocrinologie de Rouen, où les chercheurs traquent une hormone vitale pour la régulation de la tension artérielle. Ce FNA (facteur natriurétique auriculaire) étant identique chez l’homme et chez la grenouille, les batraciens ont été, tout bonnement, mis à contribution pour étudier certaines des modifications que subit le système cardiovasculaire des astronautes en apesanteur... Décrypter Lincoln ! Retour sur Terre, ou le projet « Génome humain », qui prévoit de décrypter dans la décennie à venir l’intégralité du patrimoine héréditaire de notre espèce, devient plus que jamais le programme Apollo de la biologie. En août dernier, plus de 700 chercheurs se sont ainsi retrouvés à Londres pour y dresser, le temps d’une réunion de travail, la carte de nos 22 chromosomes. Un projet gigantesque auquel les États-Unis ont consacré 130 millions de dollars (près de 800 millions de francs) en 1991, et pour lequel M. Hubert Curien, ministre français de la Recherche et de la Technologie, prévoyait en octobre 1990 une augmentation de downloadModeText.vue.download 364 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 362 dépenses de 100 millions de francs d’ici à 1992. L’enjeu ? En premier lieu, localiser les gènes impliqués dans les quelque 3 000 maladies héréditaires dont souffre l’espèce humaine. Grâce à ces travaux, le mécanisme moléculaire de près de 500 pathologies a déjà été partiellement élucidé, ouvrant pour certaines la voie au diagnostic prénatal, voire au traitement thérapeutique de maladies graves et jusqu’alors mal comprises : la myopathie de Duchenne, la mucoviscidose ou les affections impliquées dans certains cancers, pour n’en citer que quelques exemples. Au-delà de ses implications médicales, la génétique moléculaire se révèle un extraordinaire outil de connaissance des espèces vivantes. Le loup rouge, classé « espèce protégée » depuis 1967, vient ainsi d’être trahi par son ADN (acide désoxyribonucléique, porteur de l’information génétique). Deux chercheurs américains ont comparé ses gènes à ceux du coyote et du loup gris. Conclusion : le loup rouge est un hybride de ces deux espèces, et pourrait bien en perdre toute protection. Plus étonnant encore, les généticiens remontent parfois le fil de notre propre histoire. Plusieurs d’entre eux ne viennent-ils pas de proposer, le plus sérieusement du monde, de décrypter l’ADN... d’Abraham Lincoln ? L’objectif : vérifier à la lumière de la biologie moléculaire, 126 ans après sa mort, si le président des États-Unis était, comme on le suppose, atteint du syndrome héréditaire de Marfan. Tandis que des chercheurs français et italiens, en comparant les gènes des populations actuelles réparties dans nos différentes provinces, retracent les grandes étapes... de l’histoire de la Gaule ! La naissance du cocotier-éprouvette Outil de connaissance médicale ou fondamentale, le décryptage des gènes de l’espèce humaine représente également, et surtout, un formidable enjeu économique. Car il suffit aujourd’hui, pour produire en quantité industrielle une protéine humaine d’intérêt thérapeutique (hormone de croissance, érythropoïétine, facteurs de coagulation), de « greffer » le gène correspondant dans les chromosomes d’une autre espèce vivante. Par exemple, dans ceux d’une vache, d’une chèvre ou d’une brebis, dont le lait, moyennant d’habiles manipulations génétiques, contiendra en grandes quantités la protéine humaine recherchée. Science-fiction ? Il y a 20 ans, sans aucun doute. Désormais, la plupart des spécialistes s’accordent à penser que la production de substances pharmaceutiques par de tels animaux « transgéniques » pourrait passer au stade industriel d’ici à quelques années. À preuve : les travaux publiés en septembre par trois sociétés privées dans la très sérieuse revue britannique Biotechnology, qui rapportent la production de protéines humaines, dans le lait de brebis et de chèvre, « à des taux économiquement viables ». La phase industrielle, certes, est encore loin. Avant l’autorisation de mise sur le marché, les animaux transgéniques devront franchir l’étape, longue et complexe, des essais cliniques. Mais le développement de cette manipulation du vivant, fille des biotechnologies, semble désormais inéluctable. Et les pays indusdownloadModeText.vue.download 365 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 363 trialisés l’ont bien compris, qui, tous, commencent à donner à la brevetabilité du vivant un cadre légal. Après l’Office américain des brevets, qui, pour la première fois au monde, accordait en 1988 le statut de propriété industrielle à une souris transgénique, l’Office européen des brevets vient à son tour de se rallier à la logique économique. Et la CEE, qui prépare de longue date un projet de directive relatif à la protection juridique des découvertes biotechnologiques, se prononce d’ores et déjà en faveur de la brevetabilité de « toutes les catégories biologiques ». Autre domaine favorisé par la compétition internationale : l’ingénierie des protéines. À cette recherche multidisciplinaire, qui vise à fabriquer des protéines « sur mesure » d’usage médical ou industriel, les principaux pays industrialisés consacrent désormais de véritables programmes nationaux. Financé à parité par le CNRS et le CEA et prévu pour accueillir 200 chercheurs en 1992, le futur Institut de biologie structurale de Grenoble lui sera entièrement dédié. Et le programme de recherche industriel « Bioavenir », auquel Rhône-Poulenc et le gouvernement consacreront 1,6 milliard de francs dans les cinq ans à venir, sera lui aussi dirigé en priorité sur ces molécules du vivant, dont le marché mondial est évalué à 300 milliards de francs à l’horizon 1995. C’est donc humblement qu’il faut saluer, en ces temps de haute technologie, la naissance du cocotier-éprouvette. Car le procédé n’est pas neuf : de la fraise à l’hévéa, en passant par le palmier à huile ou le bananier, la reproduction in vitro permet désormais d’obtenir à un rythme accéléré bon nombre de plantes cultivées de haut rendement. Mais le cocotier, jusqu’alors, résistait à toute technique de clônage. Des chercheurs français du CIRAD et de l’ORSTOM viennent de lever l’obstacle. Et d’ouvrir ainsi, à terme, de nouvelles et encourageantes perspectives aux pays producteurs d’huile de copra. CATHERINE VINCENT PHYSIQUE ET CHIMIE L’école supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris n’est pas une école comme les autres. Depuis que Marie Curie y a isolé le radium dans un hangar aménagé de bric et de broc, elle est restée le lieu des grandes découvertes faites dans des conditions précaires. Dotée de moyens modestes, elle a en effet donné cinq prix Nobel à la France, dont son actuel directeur, PierreGilles de Gennes (59 ans), qui a été couronné en octobre dernier. Le communiqué de Stockholm n’était pas d’une clarté exemplaire, et pour cause. M. de Gennes, que le jury Nobel a comparé à Isaac Newton, et qui se verrait mieux dans la peau d’Indiana Jones, a abordé tant de sujets de recherche qu’il n’est pas facile d’en saisir le fil conducteur. Cet incorrigible touche-à-tout est passé des supraconducteurs aux cristaux liquides, et des adhésifs aux membranes biologiques, explorant ainsi le vaste domaine de la « matière molle ». Le triomphe de la matière molle À mi-chemin entre la physique et la chimie, les « colloïdes », ou systèmes moléculaires partiellement ordonnés, downloadModeText.vue.download 366 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 364 sont longtemps restés inaccessibles aux chercheurs. Trop complexes, car constitués de milliards de molécules en interaction, et trop « sensibles », puisqu’ils changent radicalement de comportement à la moindre variation des conditions extérieures : les cristaux liquides des affi- cheurs de montres et de calculettes répondent à d’infimes champs électriques et certains gels, liquides, se solidifient au moindre choc. Ces milieux moléculaires auto-organisés sont d’une diversité surprenante. Les molécules des cristaux liquides peuvent se structurer en couches ou en tubes ; celles des alliages de polymères, les « plastiques du futur », en sphérules ou en étoiles, et à chacune de ces structures correspondent des propriétés mécaniques ou électriques particulières. Le grand apport de Pierre-Gilles de Gennes a été de montrer que, là où les lois de la physique statistique déclaraient forfait, des concepts qualitatifs et intuitifs permettaient cependant de résoudre des problèmes concrets. Il a, par exemple, introduit l’idée de la « reptation », selon laquelle chaque molécule d’un polymère serpente dans une sorte de tube défini par ses voisines, tube qui se déforme lentement et dont les dimensions sont précisément calculables. La reptation permet de lier le comportement d’un polymère à la nature de ses molécules et de résoudre nombre de problèmes industriels. L’originalité de cette recherche tient à ce que ses objets d’étude sont presque tous en vente dans les supermarchés. Plastiques, colles et peintures sont des matières molles d’usage courant qui ont toutes bénéficié de ces nouveaux concepts. La dispersion dans une peinture de microbilles de latex s’auto-organisant spontanément en un cristal « mou » fondant sous de très faibles contraintes, a ainsi mené aux « peintures qui ne coulent pas ». Solides au repos, elles deviennent liquides dès qu’elles sont soumises au cisaillement du pinceau. Les « supercolles », quant à elles, gardent bien des mystères, mais les spécialistes de la matière molle ont compris pourquoi les colles polymères adhéraient mieux que les colles dures, qui forment un réseau de type cristallin. Alors qu’il suffit de casser quelques liaisons chimiques pour briser un cristal, il faut en casser des milliers pour venir à bout d’un polymère, car l’énergie de liaison est stockée tout au long des molécules. Le problème de l’adhésion, dont les répercussions industrielles sont énormes – on parle déjà d’avions entièrement assemblés par collage –, est voisin de celui du « mouillage », c’est-à-dire de la façon dont s’organise l’interface entre un liquide et un solide. Pierre-Gilles de Gennes, là encore, a su faire preuve d’imagination. Alors que personne ne voyait le moindre mystère dans une goutte d’eau posée à la surface d’un solide, il a montré que la goutte était en réalité entourée d’un film d’eau extrêmement mince et se propageant à grande vitesse. Ce curieux phénomène explique, entre autres, pourquoi les gouttes de rosée sur les toiles d’araignée ont tendance à se fondre les unes dans les autres. Deux dernières applications, fort éloignées, montrent les enjeux de la recherche dans ce domaine. L’addition à l’eau d’une lance à incendie de quelques gouttes d’additif polymère suffit à doubler la portée du jet ! Les longues molécules downloadModeText.vue.download 367 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 365 de polymère, en effet, agglomèrent les molécules, d’eau qui n’ont plus tendance à former des gouttelettes et à déstabiliser le jet. Un nouveau type de cristal liquide, d’autre part, vient d’être découvert. Il avait été prévu il y a quelques années par P.-G. de Gennes, sur la base d’études théoriques comparant le comportement des cristaux liquides à celui des matériaux supraconducteurs... Comment peut-on ainsi sauter d’un sujet à un autre ? « C’est un peu comme si vous étiez dans un verger », explique P.-G. de Gennes. « Il y a beaucoup de pommes à cueillir, mais il faut choisir celles qui ne sont ni blettes ni pas assez mûres. Ensuite, il faut construire l’escabeau pour les atteindre, et c’est là que réside toute la difficulté. » Il est vrai que l’on ne passe pas du jour au lendemain de la physique des supraconducteurs à celle des cristaux liquides ou des colles, et que la curiosité d’esprit nécessaire n’est pas commune. À l’époque de la spécialisation à outrance, le seul fait qu’elle existe est en soi rassurant. Le triomphe de la matière molle est aussi celui d’une certaine façon d’aborder la recherche scientifique. NICOLAS WITKOWSKI downloadModeText.vue.download 368 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 366 L’OCÉAN SOUS HAUTE SURVEILLANCE Aujourd’hui, l’océanographie change d’échelle et de stratégie. Pourra-t-elle ainsi répondre aux questions préoccupantes que pose l’avenir de la planète ? Après les années 1980, qui ont été marquées par des découvertes océanographiques majeures (les résurgences hydrothermales ou les oasis abyssales), la mise au point de nouveaux procédés d’investigation (les sondages dits « surfaciques » ou le profilage sismique multitrace) et le lancement de submersibles à vocation scientifique capables d’atteindre des profondeurs réputées inaccessibles (le Nautile, le Shinkai 6500, ou les Mir-I et II), le tournant entre les deux décennies a vu le profond renouvellement des flottilles océanographiques grâce au lancement de quelques grosses unités (de plus de 80 m de longueur et de 3 000 t de déplacement). Les axes majeurs de la recherche Parmi les principaux bâtiments ainsi inaugurés, et qui sont souvent des briseglace ou, au moins, des navires capables de se risquer au milieu de la banquise, on doit citer : le Polarstern (All.), le CharlesDarwin (G.-B.), le Maurice-Ewing (É.U.), l’Hesperides (Esp.) et le Meiyo (Jap.). En 1990, la France a lancé l’Atalante (Ifremer), qui a effectué en 1991 ses premières campagnes en Méditerranée et dans l’Atlantique central. Ce matériel flottant doit être associé aux satellites déjà mis sur orbite (ERS 1) ou attendant de l’être (Topex-Poséidon, CNES-NASA). Ces derniers fournissent en effet des données qui sont devenues le complément obligé des renseignements rassemblés par les navires, qu’il s’agisse du suivi des bouées automatiques, de l’altimétrie de la surface océanique (qui est l’image complexe de reliefs sous-marins ou de structures profondes), ou de l’estimation des transferts air-océan et de la biomasse planctonique, pour ne parler que de quelques axes majeurs de la recherche actuelle. De très hautes performances Par ses dimensions (84,6 m de long, 5 m de tirant d’eau, 3 300 t de déplacement) ; sa vitesse (maximum : 14,5 noeuds ; croisière : 13 noeuds), son habitabilité (25 chercheurs ; de 20 à 30 marins et techniciens), sa conception (250 m2 de laboratoires ; une informatisation totale), l’Atalante préfigure assez bien ce que sera la recherche océanographique du début du XXIe siècle, tout comme la proche transformation de la flotte submersible (en partie automatique), qui sera capable d’atteindre des profondeurs de l’ordre de 10 000 mètres. On devine alors les changements que ces nouveaux venus – et l’Atalante en premier lieu – entraînent ou entraîneront dans les recherches. Pour ce dernier, on peut déjà signaler : l’informatisation complète du navire grâce à une downloadModeText.vue.download 369 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 367 large bande « multiservice » (navigation, propulsion, acquisitions scientifiques) formant le « tronc commun » de l’information du bord (ses divers canaux sont accessibles de tous les postes de travail : passerelle, laboratoires, pont, cabines) ; l’automatisation des opérations (deux hommes – au lieu de neuf – suffisent pour effectuer un carottage) ; la possibilité d’embarquer la quasi-totalité du matériel connu (toutes sortes de bouées et de « poissons » remorqués), ainsi que des engins d’observation inhabités (Raie, Sar, Épaulard) ou encore les submersibles Cyana et Nautile, grâce à un rail de transfert sur la plage arrière. Enfin, un sondeur et un imageur d’avant-garde, l’EM 12 Dual, font de l’Atalante un laboratoire aux très hautes performances. Un analyseur de fonds Qu’elle porte sur la partie du fond levée pendant une campagne ou qu’elle concerne l’ensemble des océans de la planète, l’imagerie acoustique est devenue l’un des fils conducteurs de la compréhension du monde marin. Plane, ou même tridimensionnelle, elle s’applique à des domaines aussi différents que l’intérieur d’une masse d’eau (analysée par la « tomographie »), les structures géophysiques, la nature ou la configuration des fonds marins. Jusqu’à présent, la communauté océanographique dans son ensemble n’avait jamais ressenti à ce point l’urgente nécessité de connaître le détail des reliefs sous-marins traduisant les mouvements de coulissage ou de plongement des plaques lithosphériques et la forme exacte des passages profonds qui sont les voies « stratégiques » empruntées par les grands transferts de masses d’eau, d’énergie ou de faunes. C’est pour répondre à ce nouveau besoin que la pièce maîtresse de l’équipement de l’Atalante est l’EM 12, prototype – actuellement le plus efficace et le plus précis du monde – des analyseurs de fonds de demain. Une double source (émettrice et réceptrice) projette latéralement et simultanément deux faisceaux acoustiques larges (de 80° d’ouverture chacun, dont 10° en commun, soit un angle total de 150°) qui balaient en éventail une bande de terrain large de 20°, disposée perpendiculairement à la route du navire. Une double imagerie Pour la prospection, un tel équipement ouvre une ère d’autant plus prometteuse qu’au capteur de profondeur est associé un lecteur de réflectivité acoustique : le premier donne une imagerie-contour du fond (carte en courbes d’égale profondeur), tandis que le second enregistre l’imagerie-sonar, c’est-à-dire l’intensité de l’écho renvoyé par le sol. Les fluctuations de l’énergie de retour varient en effet selon le coefficient de réflexion (nature du fond et des sédiments) et l’angle d’incidence (la pente du sol) de l’onde sur la surface balayée (dite « insonifiée »). Des tables traçantes et des écrans de visualisation permettent de suivre en léger différé la réception de la double imagerie. La supériorité de l’EM 12 par rapport à l’ancien « rayon marin » tient aussi à ses spectaculaires performances « surfaciques ». Le Seabeam bornait ses ambitions à la lecture d’un couloir large comme les trois quarts de la hauteur d’eau. downloadModeText.vue.download 370 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 368 Le nouveau sondeur multifaisceaux peut examiner une largeur égale – en théorie – à sept fois la profondeur (trois à quatre fois dans la pratique). Par des fonds de l’ordre de 2 000 m, une largeur minimale de 6 à 8 km est balayée, la superficie cartographiée étant six fois plus grande qu’avec le Seabeam. Plus concrètement, 4 000 km 2 de pente continentale sont levés par jour, le double sur le fond des grands bassins, soit une surface presque équivalente à celle de deux départements français. Le rendement de l’EM 12 et plus généralement de l’Atalante fait du nouveau navire une station flottante doublée d’un centre de calcul et de traitement de l’information, et de l’image. Un tel bâtiment est un outil de choix pour aborder les grands programmes internationaux. Des questions préoccupantes À une décennie du nouveau millénaire, la présente génération de l’efficience informaticienne dispose d’ores et déjà de flottes et d’engins (tant abyssaux que spaciaux) propres à maximaliser l’acquisition des données et l’étendue des volumes explorés. L’océanographie change d’échelle et de stratégie à l’heure où les problèmes posés par l’évolution ou même par l’altération de l’environnement « global » – c’est-à-dire planétaire – deviennent de plus en plus aigus. On sait la tournure alarmiste prise, dans certains rapports, par le débat scientifique relatif au réchauffement de l’atmosphère (que l’on estime à plus de 0,5 °C depuis un siècle), et à l’accumulation des gaz dits « à effet de serre » (CO2, méthane, CFC, etc.), sans oublier l’élévation consécutive, et irréversible pour certains, de la surface océanique par « dilatation thermique » et par retour à la mer de la glace stockée dans les calottes polaires. Si des experts n’ont pas écarté la possibilité d’une transgression de 5 à 6 m durant les prochains siècles, des estimations récentes réduisent heureusement la menace à 0,5/0,9 m pour la fin du XXIe siècle. Des questions préoccupantes sont désormais à résoudre par l’océanographie : l’océan, dans sa masse, pourrat-il absorber les excédents croissants de chaleur et de CO2 ? (Trois milliards de tonnes d’oxyde carbonique sont mis annuellement sur le « marché » planétaire par les industries et par les villes.) Par endroits, les eaux froides profondes paraissent manifester déjà un certain tiédissement (entre 1954 et 1990, l’eau profonde de la Méditerranée s’est élevée de 0,12 °C). La respiration des êtres vivants et la précipitation des carbonates, tant néritiques que profonds, peuvent-elles être des « puits » de CO2 ? Dans l’affirmative, l’océan pourra-t-il être longtemps, et sans risques, l’épurateur de notre atmosphère, le remède à l’effet de serre ? Pour répondre à d’aussi graves questions, il manque encore un certain nombre d’analyses fines et de longue durée à effectuer dans l’ensemble des mers du globe. JEAN-RENÉ VANNEY Jean-René Vanney est professeur à l’université de Paris-IV (Paris-Sorbonne), où il enseigne la géographie de l’océan. downloadModeText.vue.download 371 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 369 LE POINT SUR... TÉLÉCOMMUNICATIONS Incontestable réussite, en France, le Minitel a fêté ses dix ans. Lancé et testé en juillet 1981 dans 2 500 foyers de VélizyVillacoublay, il a changé les habitudes de l’usager, qui s’est progressivement familiarisé avec son clavier et a ainsi contribué à l’avènement de l’ordinateur personnel : les 5,8 millions de Minitels en service ont enregistré plus d’un milliard et demi d’appels au cours de l’année écoulée, dont la moitié à usage professionnel. Le Minitel à écran plat est devenu un outil indispensable aux techniciens d’entretien ou d’après-vente qui ont besoin d’avoir accès à des banques de données. Il a franchi aussi les frontières européennes, car les trois principales nonnes européennes de transmission vidéotex – la Télétel française, la Prestel britannique et la BTX allemande – sont maintenant interconnectables. Le visiophone émerge enfin Autre débouché que l’on dit prometteur, France Télécom a conclu en octobre un accord avec la compagnie US West, l’une des trente principales compagnies téléphoniques d’outre-Atlantique, pour implanter le Minitel dans quatorze États américains. Un consortium de dix firmes nippones en étudie aussi une version adaptable aux 51 millions de lignes téléphoniques japonaises. La télécopie connaît parallèlement un développement spectaculaire : 1,3 million de « fax » sont en service en France. Leur « connexion » à des ordinateurs personnels portables à serveurs vidéotex vient bouleverser les habitudes de travail. Il en va de même pour la téléphonie mobile : les voitures, les camions, les trains – et cette année les avions – disposent de radiotéléphones. En France, deux réseaux de communication avec les mobiles (Radiocom 2000 et SFR) comptent près de 300 000 abonnés dont les 600 publiphones des TGV. France Télécom lancera en 1992 le radiotéléphone cellulaire numérique selon la nouvelle norme unique européenne GSM : il associera une carte d’accès et de paiement à puce et bénéficiera de la qualité du son numérique sans bruit de fond. Quant au Pointel, c’est un téléphone « pour piéton » dont le microcombiné de poche Bi-bop s’utilise directement dans la rue à proximité de bornes urbaines publiques. La ville de Strasbourg l’expérimente actuellement avec 750 bornes. Enfin, il y a l’avion : le 12 juin, au Salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, la première liaison PTT française a relié un Falcon 900 à la Terre. Dès l’an prochain, il sera possible de téléphoner (pour 35 F la minute) depuis des appareils survolant l’Europe. Après vingt ans de gestation et de nombreux prototypes de laboratoire, le visiophone, téléphone à écran permettant de voir son correspondant, est enfin au point. En octobre au Salon « Télécom 91 » de Genève, Matra Communication a présenté le premier appareil professionnel pour les entreprises. Français, il coûte 80 000 F, plus le raccordement au réseau Numéris. Un modèle grand public devrait être commercialisé 5 000 F environ en 1995, grâce au protocole d’accord signé entre six pays : l’Allemagne, la France, la downloadModeText.vue.download 372 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 370 Grande-Bretagne, l’Italie, la Norvège et les Pays-Bas. Enfin, le 18 septembre à l’Observatoire de Paris, l’horloge parlante, qui est en service continu depuis 58 ans et qui reçoit 200 000 appels par jour, s’est modernisé : quatre nouvelles horloges atomiques au césium ont été couplées à des machines de traitement numérique de la parole avec stockage sur disque compact. Petite « révolution » : alors que son « speaker » était le même depuis 1965, l’horloge s’est féminisée grâce à Sylvie Behr, jeune comédienne qui lui a prêté sa voix. CLAUDE GELÉ INFORMATIQUE Une page de l’histoire de l’informatique personnelle a été tournée le 2 octobre 1991 : l’accord passé entre Apple et IBM a mis fin à quatorze années de « guerre » entre deux mondes diamétralement opposés. Alors que les systèmes d’exploitation des Macintosh et des nombreux PC (Personal Computer) étaient jusqu’alors incompatibles, les deux firmes vont enfin coopérer pour rendre leurs machines interconnectables dès cette année. Elles développeront ultérieurement leurs futurs microordinateurs à partir d’un nouveau standard Power Open défini en commun et avec de nouveaux processeurs à architecture Risc – à jeu d’instructions réduit – beaucoup plus rapides, mis au point avec Motorola. Le règne des portables Ces micros seront des « stations de travail » utilisant des logiciels multimédias alliant texte, son et image vidéo. De tels « ordinateurs multimédias » – qui préfigurent en fait l’intégration de l’informatique et de la vidéo interactive – sont déjà annoncés par Commodore avec l’appellation « CDTV » (Commodore Dynamic Total Vision). Sous la forme d’un magnétoscope, ils lisent les disques compacts vidéo et sont connectés au téléviseur pour l’image et à la chaîne hi-fi pour le son. Sony et Philips interviendront sur cette nouvelle technologie avec le Mini-Disc et le DCC (disque compact cassette), qui utilisent des minicassettes numériques et combinent la miniaturisation d’un baladeur et la qualité du disque laser. En novembre, Apple a lancé une seconde offensive avec une nouvelle génération de « portables », ces microordinateurs qui représentent 20 % des ventes mondiales de ce type d’appareils. 170 000 portables ont été vendus en France en 1991 ! Le plus petit modèle, le Macintosh 100, au format A4 et de 46 mm d’épaisseur seulement, pèse 2,3 kg et dispose d’une autonomie de 4 heures. Il est construit par Sony, ce qui laisse supposer que le constructeur japonais sera également présent dans ce « mariage » d’Apple et d’IBM. L’année est aussi celle du lancement des « notebooks », ces portables sans clavier qui reconnaissent l’écriture. (Il suffit d’écrire ou de dessiner sur l’écran au format A4.) Ils s’adressent surtout à des travaux particuliers : saisie de bordereaux ou de documents normalisés, exécution de croquis d’architectes ou d’experts... Après le premier Gridpad de Victor Technologies (que le Pentagone et tous les conseillers du président Bush utilisent lors de leurs déplacements), NCR a downloadModeText.vue.download 373 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 371 présenté son Notepad et d’autres modèles sont annoncés. Enfin, les « radio-ordinateurs » ont fait leur apparition : munis d’une antenne, ils dialoguent directement par voie hertzienne comme des téléphones sans fil. But : échanger des données entre plusieurs micros, partager des périphériques ou collecter des mesures. La célèbre « souris » y perd même son fil : le Suisse Logitech utilise une liaison radio multifréquences pour faire cohabiter huit souris autonomes dans un rayon de quelques mètres sans interférences ! CLAUDE GELÉ AÉRONAUTIQUE Tenu au bourget du 13 au 24 juin 1991, le XXXIXe Salon de l’aéronautique a permis de jeter un large coup d’oeil sur les appareils civils et militaires qui sillonneront les cieux pendant les deux premières décennies du XXIe siècle, et sans doute au-delà. Dotés d’un système de pilotage à deux, avec tableau de bord équipé d’écrans plats, de commandes électriques et d’ordinateurs embarqués dont le rôle ira grandissant, les avions de ligne offrent aux passagers un confort toujours amélioré (sièges ergonomiques, écrans de télévision individuels, téléphone, fax, terminaux de micro-informatique, etc.), la classe affaires occupant une place de plus en plus importante au détriment de la classe économique. D’autre part, en raison de l’encombrement de l’espace aérien et de la saturation des aéroports, les compagnies souhaitent accroître le nombre des sièges sur une grande partie de leurs vols. Compléter la gamme En Europe, le groupe franco-germano-anglo-espagnol Airbus Industrie va donc poursuivre la commercialisation de sa gamme A-310, A-300-600 et A-320 de biréacteurs long-, moyen- et court-courriers déjà en service, tout comme celle des A-340, quadriréacteurs très-longcourriers, A-330, biréacteurs moyenlong-courriers, et A-321, biréacteurs moyen-court-courriers, qui entreront en ligne d’ici à 1995, avec pour objectif de s’assurer au moins 30 % du marché. Il en sera de même pour la gamme des biturbopropulseurs franco-italiens ATR-42 et ATR-72, exploités sur les lignes régionales, et pour celle des quadriréacteurs et biréacteurs et des biturbopropulseurs de British Aerospace. Les appareils hollandais Fokker-50 (biturbopropulseurs) et Fokker-100 (biréacteurs), qui commencent leur carrière, seront bien entendu présents, notamment en versions nouvelles, et il faudra y ajouter les biréacteurs F-80 et F-130, prévus pour compléter la gamme. Toujours en Europe, Airbus Industrie met à l’étude un très gros porteur quadriréacteur pouvant transporter 600 à 800 passagers répartis sur deux ponts. Sur l’initiative d’Aérospatiale et de British Aerospace, à présent rejointes pour les études préalables par Boeing et McDonnell-Douglas, Deutsche Airbus, Alenia Aeronautica Aerospace (I) et Society of Japanese Aerospace Compagnies, le projet Alliance, le supersonique de deuxième génération qui doit succéder à Concorde vers 2005/2010, prend corps tout en suscitant également l’intérêt de l’URSS. Le 2 octobre, la Commission de Bruxelles a refusé au couple franco-italien downloadModeText.vue.download 374 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 372 formé par Aérospatiale et Aliéna l’autorisation de racheter à Boeing la firme De Havilland-Canada qui produit les appareils de transport régional Dash-7 (quadriturbopropulseur) et Dash-8 (biturbopropulseur). Pendant ce temps, ces deux constructeurs, en association avec Deutsche Aerospace, maître-d’oeuvre, se préparaient à lancer deux biréacteurs régionaux, les DAA-92 et DAA-122, dans la gamme des 80 à 130 sièges. Toujours en Allemagne, Dornier diffuse le biturbopropulseur DO-228 et développe le DO-328, tous deux voués au transport régional. Hors d’Europe, enfin, la construction des Boeing quadriréacteurs B-747-400 et des biréacteurs B-767, B-757 et B-737 sera poursuivie en même temps que celle du futur biréacteur B-777, gros porteur très-long-courrier, qui doit entrer en ligne dans la deuxième moitié de la décennie. Ce constructeur envisage également de lancer un très gros porteur de 600 à 800 sièges, soit à partir du B-747400, soit entièrement nouveau. Quant au troisième constructeur, McDonnellDouglas, il a commencé la livraison de son nouveau triréacteur long-courrier MD-11 tout en poursuivant celle des biréacteurs de sa gamme moyen-courrier MD-80. Il prévoit, en outre, le lancement d’un nouveau triréacteur très-long-courrier, le MD-12X, et, dans la gamme des biréacteurs moyen-gros-porteurs/courtmoyen-courriers, celui des MD-90 et MD-XX. Au Canada, Bombardier commercialise son biréacteur Canadair-RJ destiné aux liaisons régionales, tandis qu’en Amérique du Sud la firme brésilienne Embraer poursuit la construction du biturbopropulseur régional EMB120 Brasilia, celle du biturbopropulseur CBA-123 Vector, avec la firme argentine FMA, et prépare le lancement du biréacteur régional EMB-145. Dans le domaine de l’aviation générale et de l’aviation d’affaires, le projet en pointe est celui du SSBJ, supersonique pour 8 ou 12 passagers étudié par Grumann (É.-U.), qui poursuit la diffusion du biréacteur intercontinental G-IV, et par Sukhoi (URSS). Du côté des hélicoptères civils, le nouveau groupe franco-allemand Eurocopter (Aerospatiale/MBB) produit ou diffuse désormais en commun les appareils français Écureuil, Dauphin-2 et Super-Puma, ainsi que les appareils allemands BO-105, BK-117, BO-108. En Italie, Agusta construit une gamme civile. Aux États-Unis, la production se répartit entre Bell Helicopter Textron (JetRanger-III, LongRanger-III, etc.), Enstrom, McDonnell-Douglas (avec un appareil à turbine et sans rotor de queue), Robinson et Sikorsky. Bien que plus réduit qu’il y a quelques années, le marché des avions de combat existe toujours, notamment parce que l’obsolescence est plus rapide dans le domaine militaire que dans le civil. Nombre de flottes devront ainsi être bientôt modernisées. Pour ces nouveaux appareils, qui seront dotés d’une plus grande « furtivité » ainsi que d’armements plus sophistiqués, on devra également tenir compte de la nécessité de fournir des moteurs plus puissants, moins gourmands et plus « discrets », en un mot capables de performances accrues. En Europe, les avions d’armes multirôles de Dassault-Aviation de la série Mirage-2000 poursuivront leur carrière, mais seront rejoints à partir de 1996/1998 par les downloadModeText.vue.download 375 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 373 premiers biréacteurs Rafale qui seront alors les plus modernes du monde, ainsi que les seuls disponibles à l’exportation. L’avion multinational EFA (European Fighter Aircraft), prévu pour la fin du siècle, n’a pas encore effectué son premier vol, alors que les États-Unis viennent de choisir leur nouvel ATF (Advanced Tactical Fighter) : l’YF-22, proposé par Lockheed et Boeing et motorisé par General Dynamics, préféré au coûteux YF-23 de Northrop/McDonnell-Douglas. L’une des leçons de la guerre du Golfe a été l’impérieuse nécessité pour les armées de disposer de moyens de transport aérien de grande capacité et à long rayon d’action. Aux États-Unis, McDonnellDouglas a commencé les essais en vol du C-17, cargo quadriréacteur pouvant se poser sur des pistes de fortune. En Europe, Airbus Industrie propose une version militaire de l’A-340 susceptible, notamment, d’emporter des blindés de 43 tonnes. D’autre part, une coopération européenne étudie un projet de FLA (Future Large Aircraft), capable de transporter une charge de 25 tonnes sur 4 500 km et d’utiliser des pistes sommaires. On assiste également à l’apparition de nouveaux hélicoptères. Pour rejoindre l’Apache antichars de McDonnell-Douglas, déjà en service, son cousin européen, le Tigre, construit par l’Aérospatiale et MBB, a commencé ses essais en vol et entrera en service en 1997 dans l’armée française sous deux versions différentes. PHILIPPE DELAUNES AUTOMOBILE Heureusement, la guerre du Golfe n’a provoqué aucun nouveau choc pétrolier. La technique des automobiles n’a donc subi aucune modification notable. Pour le long terme, en revanche, elle reste dans la double ligne « recyclage et voitures électriques », née des volontés exprimées simultanément par l’Allemagne et par la Californie. Le Salon de Détroit, le premier de l’année, s’est ouvert sur deux informations capitales. En premier lieu, certains sénateurs des États-Unis ont demandé le renforcement de la rigueur des lois CAFE qui déterminent la consommation moyenne autorisée des gammes des constructeurs vendant sur le marché américain. Ils veulent la descendre de 1 gallon pour 27,5 miles à 1 gallon pour 40 miles en l’an 2000, soit une baisse de 40 % ! L’adoption de ces règles conduirait à un nouveau « down sizing », c’est-à-dire à une nouvelle diminution de la taille des véhicules dans le but de réduire leur gourmandise. La première opération de ce genre ayant déjà favorisé les Japonais et déstabilisé les constructeurs américains, une seconde pourrait être fatale à ces derniers. D’où l’inquiétude générale régnant à Détroit. En second lieu, l’État de Californie a décidé d’imposer dans un futur proche certains pourcentages de voitures à très basse pollution (ULEV) et même à taux de « zéro pollution » (ZEV), c’est-à-dire électriques : 2 % en 1999, 5 % en 2001, 10 % en 2003. Comme on sait qu’aux États-Unis, douze États suivent la Californie dans ce domaine, plus quelques Européens comme la Suisse, la Suède et l’Autriche, ce « diktat » doit être pris au sérieux. Par chance, il crée en même temps un marché de taille convenable... Comme certaines municipalités eurodownloadModeText.vue.download 376 sur 490 JOURNAL DE L’ANNÉE ! ÉDITION 1992 374 péennes, surtout suisses et allemandes (Zurich, Munich, etc.), veulent bannir les véhicules classiques de leurs centresvilles, il devient urgent de les satisfaire. Voilà pourquoi l’année 1991 a été placée sous le signe de la voiture électrique et de ses dérivées bimodes (carburant ou électricité) et hybrides (carburant et électricité). Avec la IIX3 de GM, voiture hybride où le courant électrique est produit par un générateur entraîné par un moteur deux-temps trois cylindres, Détroit a donc amorcé une année riche en nouveautés. Comme ce prototype est aussi un monospace, toutes les tendances de la recherche moderne y sont réunies. La fée électricité Dans la perspective du « down sizing », les trois grands constructeurs américains ont aussi fait progresser les recherches sur les nouveaux moteurs deux-temps : ces trois cylindres 1 000/1 200 cm 3 fournissent près de 100 ch avec des poids et des encombrements inférieurs de moitié aux 1 600 cm 3 quatre-temps qu’ils remplacent et un niveau de pollution égal à celui des meilleurs quatre-temps. Après avoir repris des brevets australiens d’Orbital, Ford est très avancé, GM également. Chrysler développe son propre trois-cylindres, avec double allumage et injection haute pression, alors que les deux autres constructeurs ont adopté l’injection pneumatique d’Orbital. La Dodge Néon, sorte de 2 CV des années 2 000, montre bien que le deux-temps permet de construire des voitures spacieuses, légères et très aérodynamiques, qui répondront aux préoccupations des futurs consommateurs. En Europe, Fiat a également acheté le brevet Orbital, et les Français sont fort bien placés. En collaboration avec le Moteur moderne et à l’instar de Chrysler, Renault étudie un trois-cylindres à injection Siemens haute pression ; Peugeot et l’IFP (Institut français du pétrole) développent une injection pneumatique très efficace, mais qui a le défaut d’imposer une soupape d’admission, un composant habituellement inconnu sur les deux-temps. Sans doute traumatisés par les Trabant est-allemandes, les Allemands sont, pour une fois, en retard dans cette recherche capitale pour l’avenir des moteurs à combustion. En effet, on ne se contente plus aujourd’hui de recenser les polluants classiques (fort bien épurés par les catalyseurs), mais on prend en compte le CO2 (ou dioxyde de carbone), ce résidu non toxique des combustions que l’on trouve à l’origine de « l’effet de serre ». La réduction des émissions de CO2 passe par celle de la consommation. Tous les constructeurs en sont persuadés et travaillent dans ce sens... C’était encore plus clair au Salon de Francfort : tout le monde exposait sa voiture électrique ! VW, qui pense produire une petite voiture urbaine électrique née en Suisse – la Swatch-mobile, conçue par les inventeurs de la célèbre montre Swatch –, présentait la Chico, de même taille (moins de 3 mètres, 2 places), mais hybride ; BMW, la El, une autre voiture urbaine comparable à la Swatch, mais 100 % électrique ; Opel, son Impuls 2 ; Renault son Elektro Clio ; Ford, une Escort électrique ; Peugeot, une 405 Break hybride diesel-électrique... Bref, la conjonction des programmes « CalifordownloadModeText.vue.download 377 sur 490 SCIENCES ET TECHNIQUES 375 nie » et centres-villes propres fait merveille en Europe ! Un mois après Francfort, la Citela de PSA – encore une voiture urbaine ! – montrait la grande maîtrise du groupe français dans ce domaine. Reste un problème majeur pour tous : celui des batteries. Celles qui sont à base de plomb limitent l’autonomie à 100 km entre deux recharges qui immobilisent le véhicule pendant 6 ou 8 heures et la vitesse à 50 km/h. Les « cadmiumnickel » permettent de rouler 200 km, mais coûtent sept fois plus cher. L’avenir appartiendra peut-être à la « sodiumsoufre », très puissante mais dangereuse (le sodium brûle en présence d’eau !) qui fonctionne à 300 °C, et sur laquelle se sont associés les trois grands constructeurs américains... Chez les Japonais, avec les FEV et les ESV de Toyota ou de Nissan, toutes les solutions sont envisagées en même temps. 1991 aura réellement été l’an I de la voiture électrique ! Dégraisser les voitures Mais c’est aussi celui de la réutilisation des plastiques automobiles. Alors qu’on recyclait jusqu’à présent sans problème les voitures anciennes, l’invasion récente des plastiques a fait augmenter le volume des RBA (ou résidus de broyage automo- bile). Encombrants, difficiles à recycler ou à brûler, ils gênent tout le monde, à commencer par les Allemands, très sensibilisés à cette question et qui veulent la résoudre totalement avant 1994. On commence donc à démonter les épaves pour recycler les plastiques qui peuvent l’être, et pour faciliter leur tri, on les marque dorénavant de façon claire et précise. Les Européens ont manifesté un bien plus grand intérêt pour ces techniques que les Américains ou que les Japonais, pourtant submergés par ces matières encombrantes ! Toutes les « grandes » voitures sorties cette année – la ZX de Citroën, la Golf 3, l’Opel Astra, la Peugeot 106 – utilisent ces nouvelles méthodes. Aujourd’hui, certains constructeurs (VW, Opel) garantissent même le rachat de l’épave. Pour alléger ses futures voitures, Audi a cependant préféré utiliser une autre technique, celle de l’aluminium, et n’emploie qu’un minimum de plastique. C’est une solution élégante mais certains en contestent la rentabilité... Toutefois, les méthodes importent peu : il devient urgent de « dégraisser » des voitures qui ne cessent de s’alourdir pour pe