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Chroniques
I
Cinéma I
Le film tourne ainsi à la fable accusatrice et édifiante.
et se mouvant dans une sorte de raideur conventionnelle
On n’a rien contre, et les séquences émouvantes devraient
et académique qui renforce l’impression de fable policée
dignement susciter le débat. Mais rigueur morale et recherche
et prévisible – diminuant l’impact du propos et brisant
esthétique suffisent-elles pour emporter la conviction et
beaucoup d’émotions à la source.
secouer efficacement les consciences ?
N’en demeure pas moins que le film met beaucoup
Ajoutons enfin que le décalage entre le réalisme
de bonne volonté à éveiller les consciences (des jeunes
et sa représentation nous semble aggravé par le choix
spectateurs, notamment), ce dont l’avenir a un besoin
de comédiens s’exprimant dans un français châtié
crucial. A. V.
Golden Door
Film italien de Emanuele Crialese (2007). Lion d’argent au dernier festival de Venise
Cette autre “Porte dorée” fait accéder, au bout de diverses
Après le dénuement de la terre ancestrale, qui a néanmoins
péripéties, au paradis des migrants. Après le succès
forgé l’identité première, la traversée en bateau, rude
de l’admirable Respiro (2002), le jeune réalisateur italien
épreuve qui ballotte affreusement les passagers dans une
nous offre… l’Amérique.
promiscuité inouïe qui fait basculer les rêves, vaciller les
Si les augures se montrent favorables, au terme d’une marche
espoirs. Enfin, l’arrivée au port, en l’occurrence Ellis Island.
exténuante, pieds nus dans la caillasse et une pierre dans
Terre d’accueil, terminus, mais surtout centre de tri, où la
la bouche, Salvatore et Angelo, le père et le fils Mancuso
horde des migrants est soumise à des tests médicaux,
(Vincenzo Amato et Francesco Casisa), décideront de partir,
physiques et autres mesures vexatoires qui serviront à les
à leurs risques et périls. Sur cette terre du bout du monde,
différencier,
une Sicile plus aride qu’agraire, où les superstitions guident
à les extraire un à un de leur communauté pour leur donner
l’action, ils sont venus consulter un crucifix comme un oracle.
– ou leur refuser – un viatique pour le travail, l’individualisme,
Surgit alors Pietro, le cadet (Filippo Puccillo), muet et voué
la fortune. Pour l’instant une simple croix à la craie au revers
à la garde des moutons. Il est porteur d’une carte postale.
de la vareuse. Passage éprouvant, à la fois attractif et
Elle vient de loin. Elle décrit naïvement la Terre promise,
répulsif, que certains, démoralisés, n’arriveront pas à franchir.
signée par des parents qui ont osé la grande traversée.
Le récit n’est pas guidé par des préoccupations strictement
Des pactoles à portée de la main. Des carottes et des
historiques, mais il communique des vérités directement
oignons géants. Des arbres couverts de pièces d’argent qui
palpables. Il faut ici noter les éblouissants mérites des
se détachent comme des feuilles. L’appel est déterminant.
mouvements de foule, ou les échappées oniriques, tel ce
Les quatre membres de la famille partiront, malgré les
fleuve de lait – métaphore biblique – charriant les espérances
réticences de la mère, Donna Fortunata (Aurora Quattrocchi),
des heureux élus ravis, ou encore les débordements
une veuve opiniâtrement accrochée à sa misère.
d’un réalisme fantastique qui font penser à tout un courant
C’est le premier volet de ce conte lyrique et humaniste qui
méditerranéen allant de Fellini à Angelopoulos.
en comptera trois.
S’inscrivant en contraste avec cet Exodus sicilien à visée
économique, Charlotte Gainsbourg est Lucy, silhouette
longiligne, élégante et mystérieuse. Refoulée une première
fois, cette jeune Anglaise sans attaches retente sa chance
en se mêlant aux plus deshérités. Prête à simuler un mariage
avec un robuste paysan pour contourner les autorités.
Apportant une touche de plus au complexe problème
de l’identité qui sous-tend toute l’aventure et préoccupe en
priorité le réalisateur.
On l’imagine aisément, ce film est d’une beauté constante,
avec notamment ces plans vastes et massifs qui nous
happent pour nous plonger au cœur des foules et
nous convier à un coup de chance qui a son prix à payer.
Après avoir abandonné sa terre, il faut abandonner une partie
de soi-même pour devenir autre et enfin se retrouver.
© Memento Films
Le film n’est pas un sésame pour l’Amérique du début du

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