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184 Chroniques I Cinéma I Le film tourne ainsi à la fable accusatrice et édifiante. et se mouvant dans une sorte de raideur conventionnelle On n’a rien contre, et les séquences émouvantes devraient et académique qui renforce l’impression de fable policée dignement susciter le débat. Mais rigueur morale et recherche et prévisible – diminuant l’impact du propos et brisant esthétique suffisent-elles pour emporter la conviction et beaucoup d’émotions à la source. secouer efficacement les consciences ? N’en demeure pas moins que le film met beaucoup Ajoutons enfin que le décalage entre le réalisme de bonne volonté à éveiller les consciences (des jeunes et sa représentation nous semble aggravé par le choix spectateurs, notamment), ce dont l’avenir a un besoin de comédiens s’exprimant dans un français châtié crucial. A. V. Golden Door Film italien de Emanuele Crialese (2007). Lion d’argent au dernier festival de Venise Cette autre “Porte dorée” fait accéder, au bout de diverses Après le dénuement de la terre ancestrale, qui a néanmoins péripéties, au paradis des migrants. Après le succès forgé l’identité première, la traversée en bateau, rude de l’admirable Respiro (2002), le jeune réalisateur italien épreuve qui ballotte affreusement les passagers dans une nous offre… l’Amérique. promiscuité inouïe qui fait basculer les rêves, vaciller les Si les augures se montrent favorables, au terme d’une marche espoirs. Enfin, l’arrivée au port, en l’occurrence Ellis Island. exténuante, pieds nus dans la caillasse et une pierre dans Terre d’accueil, terminus, mais surtout centre de tri, où la la bouche, Salvatore et Angelo, le père et le fils Mancuso horde des migrants est soumise à des tests médicaux, (Vincenzo Amato et Francesco Casisa), décideront de partir, physiques et autres mesures vexatoires qui serviront à les à leurs risques et périls. Sur cette terre du bout du monde, différencier, une Sicile plus aride qu’agraire, où les superstitions guident à les extraire un à un de leur communauté pour leur donner l’action, ils sont venus consulter un crucifix comme un oracle. – ou leur refuser – un viatique pour le travail, l’individualisme, Surgit alors Pietro, le cadet (Filippo Puccillo), muet et voué la fortune. Pour l’instant une simple croix à la craie au revers à la garde des moutons. Il est porteur d’une carte postale. de la vareuse. Passage éprouvant, à la fois attractif et Elle vient de loin. Elle décrit naïvement la Terre promise, répulsif, que certains, démoralisés, n’arriveront pas à franchir. signée par des parents qui ont osé la grande traversée. Le récit n’est pas guidé par des préoccupations strictement Des pactoles à portée de la main. Des carottes et des historiques, mais il communique des vérités directement oignons géants. Des arbres couverts de pièces d’argent qui palpables. Il faut ici noter les éblouissants mérites des se détachent comme des feuilles. L’appel est déterminant. mouvements de foule, ou les échappées oniriques, tel ce Les quatre membres de la famille partiront, malgré les fleuve de lait – métaphore biblique – charriant les espérances réticences de la mère, Donna Fortunata (Aurora Quattrocchi), des heureux élus ravis, ou encore les débordements une veuve opiniâtrement accrochée à sa misère. d’un réalisme fantastique qui font penser à tout un courant C’est le premier volet de ce conte lyrique et humaniste qui méditerranéen allant de Fellini à Angelopoulos. en comptera trois. S’inscrivant en contraste avec cet Exodus sicilien à visée économique, Charlotte Gainsbourg est Lucy, silhouette longiligne, élégante et mystérieuse. Refoulée une première fois, cette jeune Anglaise sans attaches retente sa chance en se mêlant aux plus deshérités. Prête à simuler un mariage avec un robuste paysan pour contourner les autorités. Apportant une touche de plus au complexe problème de l’identité qui sous-tend toute l’aventure et préoccupe en priorité le réalisateur. On l’imagine aisément, ce film est d’une beauté constante, avec notamment ces plans vastes et massifs qui nous happent pour nous plonger au cœur des foules et nous convier à un coup de chance qui a son prix à payer. Après avoir abandonné sa terre, il faut abandonner une partie de soi-même pour devenir autre et enfin se retrouver. © Memento Films Le film n’est pas un sésame pour l’Amérique du début du