Microbiote et syndrome de l`intestin irritable

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Microbiote et syndrome de l`intestin irritable
DOSSIER THÉMATIQUE
Flore intestinale
et probiotiques
Microbiote et syndrome
de l’intestin irritable
Microbiota and irritable bowel syndrome
Philippe Ducrotté*
L
e syndrome de l’intestin irritable (SII) est une
maladie multifactorielle dont la physiopathologie est encore incomplètement appréhendée.
Parmi les pistes physiopathologiques possibles, des
données de plus en plus nombreuses soulignent le
rôle joué par des anomalies du microbiote dans le
déclenchement des symptômes et la survenue d’une
hypersensibilité viscérale ou d’une infiltration de la
muqueuse intestinale par des cellules immunocompétentes comme les mastocytes ou les lymphocytes T
ou B, qui sont d’autres éléments physiopathologiques
observés au cours du SII. Cette responsabilité du
microbiote amène à tester actuellement l’administration de probiotiques et/ou de prébiotiques ou
d’antibiotiques comme solution thérapeutique.
Quels sont les arguments
pour un rôle du microbiote ?
Les arguments en faveur d’un rôle du microbiote au
cours du SII sont à la fois indirects et directs.
Les arguments directs sont la démonstration d’authentiques anomalies quantitatives et/ou qualitatives du microbiote au cours du SII.
Les anomalies de la composition
du microbiote
* Département d’hépato-gastroentérologie et de nutrition, ADEN EA 4311/
IFRMP 23 CHRU, hôpital CharlesNicolle, Rouen.
Ces conclusions ont d’abord été tirées de travaux
basés sur la seule culture de la flore bactérienne
fécale. Ces études faisaient état d’une diminution
des lactobacilles et des bifidobactéries contrastant
avec une augmentation des entérobactéries et des
Bacteroides (1). Cependant, des réserves importantes
ont été émises vis-à-vis de ces résultats du fait d’une
des caractéristiques du microbiote intestinal : plus de
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50 % des espèces bactériennes vivant dans le côlon
ne sont pas cultivables dans les conditions classiques
d’anaérobiose. Les résultats obtenus à partir des
cultures de fèces ne concernent qu’une fraction du
microbiote, les bactéries cultivables dont la niche
écologique peut être reproduite en laboratoire. Le
développement de nouvelles techniques d’étude
basées sur l’analyse moléculaire des ADN et des
ARN 16S ribosomiques, en combinaison avec des
études électrophorétiques en gradient dénaturant de
l’ARN, autorise désormais une analyse beaucoup plus
exhaustive et fiable de la composition du microbiote.
Ces techniques précisent et quantifient les grands
groupes de la flore dominante et permettent même
l’inventaire des espèces dominantes. Ces évolutions
technologiques ont permis, grâce à plusieurs travaux,
finlandais pour la plupart, de démontrer l’existence
au cours du SII de modifications de la composition
de la flore endoluminale et de la flore de contact,
présente dans le biofilm au contact de la muqueuse,
par rapport à des témoins sains.
L’une des principales études reposant sur ces
nouvelles techniques a comparé la flore bactérienne
fécale de 24 patients SII répondant aux critères de
Rome II et n’ayant pas pris d’antibiotiques et de
23 témoins sains (2). Ce travail considérable a abouti
à plusieurs conclusions notables :
➤ le microbiote retrouvé dans les selles des patients
atteints de SII contenait beaucoup plus de lactobacilles et de Collinsella que celui des témoins ;
➤ il y avait des différences significatives dans
la composition de la flore fécale entre les sousgroupes des patients atteints de SII, avec une plus
grande proportion de Bacteroides et d’Allisonella
chez les patients décrivant une alternance de diarrhée et de constipation et un plus faible nombre
de bifidobactéries dans le sous-groupe des patients
qui ne souffraient que de diarrhée ;
Points forts
» De plus en plus d’arguments plaident en faveur d’un rôle du microbiote dans la survenue du SII.
» La composition du microbiote est différente selon que les personnes souffrent d’un SII ou non.
» Le rôle délétère du microbiote paraît la conséquence de son activité métabolique (production de gaz)
mais aussi de l’induction ou de l’entretien d’une inflammation intestinale de bas grade et d’une hypersensibilité viscérale.
» Les probiotiques en cas de SII paraissent une piste thérapeutique intéressante dont le bénéfice demande
à être confirmé par des essais méthodologiquement convaincants. Les souches utiles, leur dose quotidienne,
leurs modalités d’administration doivent être définies.
» La rifaximine est une alternative qui ne peut actuellement être recommandée que dans le cadre d’un
essai clinique.
➤ certaines espèces identifiées chez les malades
SII n’étaient qu’exceptionnellement observées chez
des témoins sains (2). La comparaison des analyses
publiées montre que, si des différences existent dans
toutes les études entre les patients SII (quel que soit
le sous-type) et les populations témoins, elles ne
sont pas reproductibles (tableau I) [3-5]. Ainsi, les
populations de lactobacilles ou de clostridies sont
tantôt diminuées, tantôt augmentées. Un dernier
travail récemment publié a adopté une méthodologie différente en se focalisant sur la recherche
de l’ADN de 12 espèces bactériennes pathogènes
dans les selles des malades. Cette étude a montré la
prévalence anormalement élevée de Staphylococcus
aureus chez 96 malades SII par rapport à un groupe
de 23 témoins (6).
Seules 2 études jusqu’à présent fournissent des
informations sur la flore de contact via l’analyse de
biopsies muqueuses intestinales. Elles ont abouti
à des résultats contradictoires. Le travail de Swidsinski et al. va dans le même sens que les études
fondées sur une analyse de la flore fécale : la flore
de contact n’est pas identique chez les témoins
sains et chez les patients SII. Il y a chez ces derniers
un plus grand nombre d’anaérobies, d’Escherichia
coli et de Bacteroides (7). Mais, dans une étude
plus récente, aucune différence n’a pu être mise
en évidence sur la flore isolée à partir de biopsies
muqueuses coliques (5).
Existe-t-il des modifications
quantitatives ?
Les populations bactériennes sont-elles présentes
en excès, notamment au niveau du grêle ? Cette
hypothèse d’une pullulation bactérienne grêlique
pourrait, au moins théoriquement, expliquer certains
symptômes puisqu’une colonisation bactérienne
chronique du grêle aboutit à une production accrue
d’hydrogène et de méthane dans la mesure où la
fermentation des résidus glucidiques n’est plus
limitée au côlon mais se produit aussi dans l’iléon
et même le jéjunum distal. La pullulation est
également un facteur favorisant l’apparition d’une
inflammation intestinale et de troubles moteurs
grêliques. L’hypothèse de la pullulation s’est trouvée
indirectement renforcée par la démonstration d’une
amélioration symptomatique des malades après
traitement antibiotique, notamment par la rifaximine (lire ci-dessous). Cette théorie de la pullulation
bactérienne endoluminale demeure très débattue. La
discussion porte essentiellement sur la sensibilité,
la spécificité et les valeurs prédictives négative et
positive du test respiratoire à l’hydrogène (après
ingestion de glucose ou de lactulose) pour affirmer
l’existence d’une pullulation bactérienne dans le
grêle. Plusieurs auteurs considèrent que ce test est
à l’origine de nombreux faux positifs, et que les
nombreuses et importantes différences entre les
Tableau I. Résultats de l’analyse du microbiote fécal chez les malades souffrant d’un SII [d’après 3].
Référence
Méthodes d’étude
Résultats chez les malades SII
par rapport à une population témoin
Si (2004)
Culture
Baisse des bifidobactéries
Augmentation des entérobactéries
Matto (2005)
Culture PCR
Augmentation des coliformes
Électrophorèse en milieu dénaturant
Augmentation des aérobies
Augmentation des clostridies
Malinen (2005)
PCR quantitative
Diminution des lactobacilles
Augmentation des Veillonella
Maukonen (2006)
PCR quantitative
Diminution des clostridies
Électrophorèse en milieu dénaturant
Kassinen ( 2007)
PCR quantitative
Diminution des Colinsella
Diminution des lactobacilles
Diminution des clostridies
Diminution des coprocoques
Kerckhoffs (2009)
Hybridation in situ en fluorescence (FISH)
Diminution des bifidobactéries
Tara (2010)
Culture PCR
Augmentation des lactobacilles
Augmentation des Veillonella
Caroll (2011)
PCR quantitative
Augmentation des lactobacilles
Mots-clés
Microbiote
Intestin irritable
Ballonnement
Antibiotiques
Probiotiques
Highlights
» An increasing amount of
data emphasize the pathophysiological role of the gut
microbiota in IBS.
» Significant differences in the
microbiota composition have
been observed between IBS
patients and controls.
» Microbiota can promote
IBS symptoms via the bacterial metabolic activity (luminal
production of gas) but also via
its role in the onset of a visceral
hypersensitivity and a mucosal
low-grade inflammation.
» Probiotics appear a possible
therapeutic option. However,
more high-quality randomized trials demonstrating the
symptomatic benefit of strains
are needed while the dose and
the optimal duration of such
a treatment need to be determined.
» Antibiotics are also a
possible therapeutic option
and promising results have
been reported with rifaximin.
However, the option of an
antibiotic treatment cannot
be routinely recommended and
the treatment of IBS symptoms
with antibiotics has to be done
only during a clinical trial.
Keywords
Microbiota
Irritable bowel syndrome
Bloating
Antibiotics
Probiotics
SII : syndrome de l’intestin irritable ; PCR : Polymérase Chain Reaction.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Flore intestinale
et probiotiques
Microbiote et syndrome de l’intestin irritable
études dans la prévalence de la pullulation plaident
contre l’hypothèse infectieuse du SII, tout comme
l’effet bénéfique symptomatique très inconstant
des antibiotiques (NNT = 11 avec la rifaximine)
[8]. Néanmoins, tout en soulignant les divergences
importantes entre les résultats des études publiées,
une méta-analyse récente aboutit à la conclusion que
la probabilité d’observer une pullulation bactérienne
endoluminale est environ 3 fois plus élevée en cas de
SII que chez des témoins sains (9). Il paraît raisonnable de conclure qu’une pullulation microbienne
endoluminale est sans doute présente chez quelques
malades, notamment chez ceux qui souffrent de
troubles de la motricité du grêle, et qu’elle peut
contribuer au ballonnement abdominal dont se
plaignent les patients atteints de SII.
Les arguments indirects pour
une implication du microbiote
À côté de ces données directes sur la flore, certains
arguments, indirects, plaident en faveur d’une implication du microbiote dans le SII. Ils sont de 3 ordres :
➤ l’activité métabolique du microbiote paraît anormale au cours du SII ;
➤ certains SII succèdent à une infection intestinale
initiale ;
➤ des éléments pharmacologiques ou nutritionnels
actifs sur la flore peuvent avoir un effet bénéfique
sur les symptômes.
L’activité métabolique anormale
La flore colique transforme les résidus glucidiques
en produisant des acides gras à chaînes courtes et
des gaz, hydrogène (H2) et méthane (CH4). Dans des
conditions usuelles d’alimentation, des épreuves de
calorimétrie corps entier ont révélé qu’au cours du
SII, par comparaison à une population témoin, la
production d’H2 et de CH4 était à la fois plus importante sur la totalité du nycthémère et plus rapide
et intense en période postprandiale. L’intensité des
symptômes de SII était d’autant plus marquée que
la vitesse de production d’H2 était rapide (10). Un
régime excluant à la fois les céréales autres que le
riz et les produits laitiers permettait de normaliser la
production d’H2 et d’amender les symptômes (10).
Dans un autre travail, la réduction de la production
d’H2 par administration de métronidazole (400 mg
× 3/j pendant 15 jours) a obtenu des résultats équivalents avec la démonstration du même parallélisme
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entre réduction des processus de fermentation et
amélioration symptomatique (11). Par quels mécanismes l’activité métabolique de la flore peut-elle
agir ? L’H2 et/ou le CH4, ainsi que les acides gras à
chaînes courtes, affectent la motricité digestive,
notamment au niveau de la région iléocolique, ainsi
que le fonctionnement des cellules épithéliales et
immunitaires intestinales. Ces gaz peuvent même
provoquer l’apparition d’une hypersensibilité (12). De
plus, l’activité catabolique de la flore paraît susceptible de provoquer l’expression accrue d’enzymes
impliquées dans la synthèse de neuromodulateurs
(tels que l’acide γ-aminobutyrique) et de protéines
musculaires spécifiques. Enfin, le gaz majoritairement produit influencerait le profil symptomatique
des malades, car une production accrue de méthane
est souvent observée chez les patients décrivant un
SII avec constipation, et la quantité de méthane
produite est correlée à la sévérité du ralentissement
du transit.
Il existe chez certains malades
un lien entre une infection initiale
et l’apparition secondaire d’un SII
L’anamnèse peut souligner un lien chronologique
clair entre une infection intestinale initiale et
l’apparition ultérieure de symptômes du SII. On
parle alors de SII postinfectieux (SII-PI). Le SII-PI se
caractérise plutôt par un SII à forme diarrhéique au
cours duquel la date de déclenchement des symptômes est bien identifiée par le patient. Comme
chez tous les patients souffrant d’un SII selon les
critères diagnostiques habituels, les explorations
biologiques et morphologiques de routine sont
normales en cas de SII-PI.
L’analyse des séries publiées dans la littérature
permet de conclure que 10 à 15 % des SII définis
selon les critères de Rome II seraient des SII-PI et
que le risque relatif de développer un SII est multiplié
par 5 (IC95 : 3,6-9,4) durant les 6 à 12 mois suivant
l’épisode aigu (13).
Plusieurs facteurs influencent ce risque. La durée de
l’infection initiale semble déterminante, puisqu’il
existe une corrélation entre l’augmentation de
ce risque et la durée de l’infection : la probabilité
de voir apparaître un SII au décours de l’infection
est multipliée par 11 lorsque l’infection initiale
dure plus de 3 semaines, alors qu’elle n’est pas
différente de celle d’une population témoin pour
une infection de moins de 7 jours. Les autres
DOSSIER THÉMATIQUE
facteurs de risque de SII-PI sont liés au terrain :
âge inférieur à 60 ans lors de l’infection et terrain
anxieux ou dépressif sous-jacent. En revanche, les
diverses études n’ont pas réussi à démontrer de
différence d’incidence entre les cas où un germe
avait été identifié lors de l’épisode aigu et ceux
chez qui l’identification n’avait pas été possible.
Les agents infectieux qui peuvent déclencher un
SII-PI sont essentiellement bactériens : Salmonella,
Shigella, Campylobacter jejuni, Escherichia coli. Le
rôle déclenchant d’une parasitose ne doit pas être
méconnu. Un travail épidémiologique norvégien
effectué à la suite de la survenue de 2 500 cas de
gastroentérite aiguë (dont 1 250 étaient liés à une
giardiose du fait de la contamination des réservoirs
d’eau d’une ville norvégienne de 50 000 habitants)
a montré que, 3 ans après l’infection aiguë, le
risque de SII était multiplié par 3 chez les sujets
infectés. La giardiose multipliait également le
risque de voir le sujet souffrir d’une dyspepsie
fonctionnelle (risque multiplié par 3 à 4) [14].
Un SII-PI succédant à une infection virale est une
éventualité mais est plus rare. Ce type de SII-PI
semble avoir une évolution brève.
La physiopathologie d’un tel SII-PI n’est pas complètement comprise. Comme au cours des autres
formes de SII, des anomalies non spécifiques de la
motricité digestive et une hypersensibilité viscérale
à la distension ont été observées. Mais la particularité physiopathologique du SII-PI réside dans
la démonstration d’un discret infiltrat inflammatoire et d’une activation immunitaire muqueuse
persistante impliquant plusieurs types cellulaires
à distance de l’épisode aigu initial. Des biopsies
rectales ont permis à l’équipe de Nottingham de
mettre en évidence une infiltration par des cellules
inflammatoires et entérochromaffines jusqu’à
52 semaines après l’infection. Le SII-PI pourrait
être favorisé ou entretenu par une perméabilité
intestinale accrue. La perméabilité paracellulaire
intestinale aux petites molécules augmente en
même temps que survient l’infection aiguë chez
la plupart des malades lors d’une gastroentérite
avant de se normaliser. Une perméabilité intestinale accrue a été rapportée chez des malades
SII-PI plus de 4 ans après l’infection initiale. Cette
perméabilité anormale favorise le contact entre les
antigènes luminaux, bactériens ou alimentaires,
les cellules immunocompétentes et les terminaisons sensitives des neurones afférents primaires.
Le développement du SII-PI pourrait être facilité
par une prédisposition génétique, une faible prévalence du génotype assurant une forte production
de cytokines anti-inflammatoires IL10 et de TGFβ
a été démontrée ; plus récemment, d’autres variations génomiques concernant le TLR9 (facteur
de reconnaissance bactérienne), l’IL6 (facteur
d’inflammation) et le CDH1 (facteur impliqué dans
la perméabilité intestinale) ont été observées avec
une fréquence particulière en cas de SII-PI (13).
Argument supplémentaire
et piste thérapeutique nouvelle :
les antibiotiques, les probiotiques
et peut-être les prébiotiques
pourraient être actifs
pour améliorer les symptômes du SII
◆ Les antibiotiques
Le métronidazole est susceptible de réduire significativement la production quotidienne d’hydrogène
et de méthane (11). Dans une étude contrôlée, la
néomycine a fait mieux que le placebo (15). Les
résultats les plus intéressants ont été obtenus avec
la rifaximine, qui est un antibiotique à large spectre,
à action endoluminale quasi exclusive après prise
orale. Plusieurs essais ont permis de montrer qu’à
une dose quotidienne de 800 mg (400 mg × 2) ou
1 200 mg (400 mg × 3) pendant 10 jours chez des
malades indemnes de pullulation bactérienne endoluminale, l’antibiotique a obtenu des résultats symptomatiques notables. Dans l’essai libanais, l’effet
significatif sur le ballonnement abdominal était
corrélé à une réduction significative de la production d’hydrogène après charge en lactulose (16).
Dans leur publication la plus récente, qui collige les
résultats des études TARGET 1 et 2, Pimentel et al.
ont pu montrer que le gain thérapeutique de plus
de 10 % obtenu avec 550 mg × 3/j de rifaximine
par rapport au placebo après 14 jours de traitement
se maintenait dans les 2,5 mois suivant l’arrêt de
l’antibiotique (17).
◆ Les probiotiques
Les probiotiques correspondent à des micro-organismes (bactéries ou levures) qui, après avoir été
ingérés vivants en quantité suffisante, exercent un
effet bénéfique sur la santé de l’hôte. L’administration de probiotiques permet de véhiculer des
principes actifs (enzymes, substances antibactériennes, peptides immunomodulateurs) vers différents sites du tube digestif. Sur leur site d’action,
les probiotiques ont des effets directs : synthèse
de substances antibactériennes, réduction du pH
intracolique, inhibition de l’adhérence des bactéries
pathogènes, effet immunomodulateur avec, au
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DOSSIER THÉMATIQUE
Flore intestinale
et probiotiques
Microbiote et syndrome de l’intestin irritable
moins expérimentalement, restauration d’un
équilibre dans la production de cytokines pro- et
anti-inflammatoires, réduction de la perméabilité
intestinale, suppression (par certaines souches) de
l’hypercontractilité musculaire intestinale secondaire
à une infection intestinale (18). Les probiotiques
ont également des effets indirects secondaires aux
modifications de l’écosystème colique (18). Il est
important de souligner que ces effets varient selon
les souches.
L’utilité thérapeutique des probiotiques est une
question très actuelle et les essais se multiplient
avec différents probiotiques (19-22). Il faut souligner
que la plupart des études souffrent de faiblesses
méthodologiques qui sont principalement un défaut
de puissance lié à un effectif trop faible, l’absence
de confirmation de la survie dans le tube digestif
du malade de la souche administrée, des critères
de jugement d’efficacité parfois contestables. Les
études sont aussi difficilement comparables car les
souches testées ainsi que les doses administrées
(105 à 1013 FU) étaient différentes. Enfin, le recours
dans certains essais à une combinaison de probiotiques ne permet pas d’identifier la souche potentiellement active. Enfin, de nombreuses souches n’ont
vu leur utilité démontrée que par 1 étude. Cette
efficacité demande donc à être confirmée par au
moins un second essai.
Malgré ces limites méthodologiques, les résultats
sont encourageants dans la majorité des essais.
Parmi les symptômes abdominaux, le ballonnement abdominal était souvent amélioré. Plusieurs
méta-analyses sur l’efficacité des probiotiques sont
désormais disponibles (19-22). Les conclusions de
ces méta-analyses sont résumées dans le tableau II.
◆ Les prébiotiques
Avec les antibiotiques et les probiotiques, les prébiotiques sont une troisième option pour agir sur la
flore. Ces composés alimentaires stimulent la croissance ou l’activité de populations bactériennes déjà
résidentes dans le tube digestif de la personne qui
les consomme. Les prébiotiques comprennent les
fructo-oligosaccharides (FOS), l’inuline, les galactooligosaccharides (GOS) et le lactulose (23). Leur
principal effet est une augmentation des bifidobactéries fécales. L’addition de 10 g de GOS à la ration
alimentaire de témoins sains s’est soldée par une
augmentation de l’activité métabolique de la flore
et une production accrue d’acétate, de propionate
et de lactate (24).
Nous ne disposons que de très peu de données sur
l’efficacité des prébiotiques sur les symptômes du
SII. Un essai randomisé impliquant 105 sujets avec
des symptômes mineurs à modérés (score de douleur
inférieur à 5 sur une EVA de 0 à 10) a démontré
que l’adjonction quotidienne de 5 g de FOS pendant
6 semaines permettait de réduire la fréquence des
symptômes et d’améliorer la qualité de vie des
malades par rapport à un placebo (sucrose + maltodextrines) [25]. Plus récemment, une étude clinique
sur 12 semaines a testé l’effet d’un GOS produit à
partir du lactose par la galactosyltransférase de Bifidobacterium bifidum NCIMB 41171. L’effet symptomatique bénéfique s’associait de façon dose-dépendante
à l’augmentation des bifidobactéries fécales et à la
réduction de Clostridia perfringens histolyticum et des
Bacteroides/Prevotella (23) était correlée à la dose
prescrite. La limite d’utilisation des prébiotiques est
leur médiocre tolérance digestive : en augmentant
la production gazeuse intestinale, ils provoquent
Tableau II. Conclusions des méta-analyses des effets des probiotiques dans le SII.
Référence
Essais analysés
(n)
McFarland
2008 (19)
38
Essais retenus
dans la méta-analyse
(n)
20
Hoveyda
2009 (20)
22
14
Brenner
2009 (21)
16
Moayyedi
2010 (22)
26
16
(11 avaient une méthodologie considérée comme
non optimale)
18
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Critère
de jugement
principal
Amélioration
globale
des symptômes
Amélioration
globale
des symptômes
Amélioration
globale
des symptômes
Amélioration
globale
des symptômes
Résultat global
de la méta-analyse
- en faveur des probiotiques
- réduction du RR de rester
symptomatique :
RR = 0,77 (IC95 : 0,62-0,99)
- en faveur des probiotiques
- RR d’amélioration : 1,6
(IC95 : 1,2-2,2)
- B. infantis 35624 efficace
- efficacité des autres
probiotiques non démontrée
- en faveur des probiotiques
- réduction du RR de demeurer
symptomatique :
RR = 0,71 (IC95 : 0,57-0,88)
et NNT = 4
DOSSIER THÉMATIQUE
souvent une aggravation de la sensation de ballonnement et la survenue de flatulences. Cette fermentation peut expliquer pourquoi, dans certains essais,
les prébiotiques font moins bien que le placebo.
Conclusion
Des données de plus en plus nombreuses soulignent
le rôle probablement important du microbiote dans
le SII. Beaucoup de travaux sont nécessaires pour
mieux comprendre le rôle joué par le microbiote,
non seulement au niveau du tube digestif lui-même
mais également dans les communications bidirectionnelles qui relient le système nerveux entérique
au système nerveux central. Des travaux expérimentaux tout récents suggèrent en effet que le
microbiote intestinal pourrait même intervenir
dans le comportement et l’humeur d’un individu.
Malgré les questions à résoudre, cette évolution
dans la conception physiopathologique du SII ouvre
de nouvelles perspectives thérapeutiques avec le
recours éventuel aux probiotiques, aux prébiotiques
et peut-être aux antibiotiques pour améliorer le
confort digestif et la qualité de vie des individus
souffrant d’un SII.
■
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 |
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