L`Afrique, nouvelle frontière pour les PME françaises

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L`Afrique, nouvelle frontière pour les PME françaises
L’Afrique, nouvelle frontière pour les
PME françaises
Ousmane Seck
L
Le changement de cap engagé depuis 2000 par l’Afrique donne
lieu à des perspectives optimistes en faveur du développement,
les chiffres en témoignent et contrastent avec les perspectives
établies dans les années 1990. 4,8 % de croissance attendue pour
2013 ; 857 nouveaux projets d’investissements en 2011 ; un milliard
de consommateurs et 130 millions de ménages appartenant à la classe
moyenne d’ici 2020 contre 90 millions à l’heure actuelle : l’Afrique est désormais un véritable partenaire mais aussi un
client qu’il faut savoir satisfaire. Ignorer cette réalité ou la négliger c’est assurément se priver de formidables opportunités de marché. Pour les PME qui veulent se développer dans ces économies émergentes, le bref panorama suivant de
ce que l’Afrique est et, surtout, de ce qu’elle deviendra, peut les aider à mieux appréhender les enjeux en cours, à prendre les meilleures décisions pour relever avec succès les défis et gagner des parts de marchés.
Le continent africain est aussi vaste qu’une grande
partie des économies développées rassemblées
(Cf.Graphique 1). C’est pourquoi, à une traditionnelle
Afrique balkanisée avec des marchés nationaux de
petite taille, il faut substituer une stratégie régionale
voire sous régionale.
PANORAMA DES MARCHÉS AFRICAINS EN
CROISSANCE
Accumulation de richesses
Depuis longtemps, on assurait que la stagnation ou le
recul de certains indicateurs ne permettraient pas à
l’Afrique de rattraper les économies développées ou
même de « décoller ». Or, depuis le début des années
2000, on observe des taux de croissance élevés
(autour de 6 %), traduisant une production de richesses
supérieure d’année en année.
Cette accumulation de richesses a résisté aux nombreux ralentissements de l’activité mondiale, comme
en 2008, puisqu’elle est restée positive. Elle a égale-
ment résisté aux évènements du Printemps Arabe, qui
ont induit un ralentissement de la croissance dans les
économies du Maghreb.
De plus, les projections du produit intérieur brut (PIB) de
l’Afrique, en parité de pouvoir d’achat (PPA), à l’horizon
2030 et 2050, montrent un net fléchissement de
l’activité. Selon les estimations de Coe-Rexecode, le PIB
africain dépasserait le PIB des pays de l’Est en 2033,
puis celui des pays latino-américains en 2039 1.
Certes, avec 8 800 dollars en 2050, le PIB par tête en
PPA reste faible, mais il faut noter la progression
dynamique dont fait preuve le continent, qui est la
plus forte derrière l’Asie émergente. D’ailleurs, sept
pays africains sont parmi les dix économies qui croissent le plus vite au monde.
Certes, la croissance n’est pas synonyme de développement car l’approche reste quantitative. Alors, il faut se
pencher sur les aspects qualitatifs qui peuvent être
humains, culturels ou environnementaux.
(1) Coe-Rexecode (2011), « Perspectives pour le continent africain », Document de travail n° 25, juin.
En pratique
Ousmane Seck est Responsable du Service Afrique, Proche
et Moyen-Orient à la Direction internationale de la
Chambre de commerce et d'industrie de région Paris Ile-deFrance (CCI Paris Ile-de-France). S’appuyant sur une
équipe de quatre conseillers et sur les bureaux de la CCI
Paris Ile-de-France à l’étranger, il accompagne les entreprises dans leur développement sur cette zone et, plus
particulièrement, sur les marchés principaux en Afrique de
l’Ouest et du Sud, au Maghreb ainsi qu’aux Émirats
Arabes Unis, en Arabie Saoudite et au Qatar.
L’interview !
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es projections macroéconomiques de l’Afrique à l’horizon
2050 révèlent des perspectives encourageantes de
développement et un tableau où se mêlent attentes et opportunités pour un continent caractérisé par une mosaïque de
mutations.
Analyses
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Accomex n° 105-106 - L’Afrique en mutation
Carte 1
Un autre regard sur l’Afrique
Source : OCDE
Capital physique
Entre 2007 et 2011, 857 projets d’investissement ont
vu le jour en Afrique, soit une hausse de 20 %. Les
investissements directs étrangers (IDE) continuent
d’augmenter depuis lors, comme le démontre l’enquête
du cabinet Ernst & Young 2, qui s’est penché sur l’attractivité du continent auprès de dirigeants et
d’investisseurs. Les résultats font preuve d’un optimisme assumé, car il faut « un esprit positif pour réussir
en Afrique […] maintenant il est temps de construire
des ponts ».
Désormais, un cercle vertueux de croissance se met
en place : une grande partie des investissements
est réalisée dans les infrastructures (38 % sur la période 2003-2011), dans le secteur manufacturier
(29,6 %), ainsi que dans l’industrie minière (27,6 %).
L’amélioration des infrastructures permet à moyen
terme le réinvestissement des capitaux dans de nouveaux projets. De même, on remarque une tendance
similaire avec la composition de la croissance du PIB
africain qui est à 2/3 tirée par les secteurs des
télécommunications, du transport, du commerce et
du tourisme et non, comme on pourrait le croire, par
les ressources naturelles.
Le rapport révèle aussi qu’une proportion importante
(50,9 % sur la période 2003-2010) des flux d’IDE pour
de nouveaux projets concernait les services.
Désormais, l’Afrique est le deuxième marché mondial
des télécommunications après l’Asie, avec 735 mil-
lions d’usagers. Chaque année, environ 5 milliards de
dollars d’investissement engendrent 39 milliards de
dollars de revenu, ainsi que près de 4 millions d’emplois. La Révolution à large bande y est en cours, avec
la mise en place de câbles sous-marins, reliant
l’Afrique pas seulement à l’Europe mais aussi, dès
2013, au continent américain et en 2014 à l’Asie.
Ceci provoque des innovations techniques, une couverture de pays entiers par la fibre optique et le
développement de meilleures couvertures réseaux
(téléphonie, Internet, etc.).
De nouveaux outils et pratiques apparaissent comme
le m-paiement, très répandu au Kenya, qui consiste à
régler ses achats à l’aide de son téléphone, ou encore
l’e-learning, moyen idéal pour le transfert des connaissances. Dans le domaine médical, l’e-santé est un
précieux moyen de rester informer, recevoir un diagnostic ou traitement, étant donné la distance souvent
importante par rapport au centre de soins.
Environnement des affaires
Selon les analystes, « la perception négative du continent n’incombe qu’à ceux qui n’ont pas encore fait
d’affaires en Afrique 3 » . De fait, l’environnement des
affaires est en constante amélioration. Selon le classement Doing Business 2013 de la Banque mondiale,
14 pays africains se placent devant la Russie pour le
point « Facilité de faire des affaires », 16 devant le Brésil
et 17 devant l’Inde.
(2 et 3) Ernst & Young (2012), Building Bridges - Ernst & Young’s 2012 attractiveness survey, Africa.
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Ces progrès n’auraient pas été accomplis sans une
amélioration des indicateurs socio-culturels. Selon la
Banque mondiale, les taux d’alphabétisation sont
meilleurs et on observe une part toujours croissante
d’enfants ayant achevé le cycle primaire (57 % en
2003 et 70 % en 2010) pour l’Afrique Subsaharienne.
Les besoins des entreprises qui recherchent une
main-d’œuvre de plus en plus qualifiée sont de plus
en plus satisfaits. Avec l’emploi, le niveau de vie augmente ainsi que le pouvoir d’achat, qui financera la
consommation de biens et services produits par les
firmes. Ainsi une nouvelle dynamique s’est
enclenchée. En effet, le développement simultané de
plusieurs secteurs répond à l’augmentation du « goût
pour la variété » des produits manifesté par le ménage
africain car, nous le savons, plus une économie se
développe et plus ses ménages ont de nouveaux
besoins à satisfaire. De fait, cela irrigue l’ensemble de
l’économie et contribue à son développement.
Durant la décennie 2000, d’autres indicateurs ont
montré des signes encourageants comme la baisse
de la part de ménages sous le seuil de pauvreté
absolue (elle est passée de 66 à 60 %) et l’augmentation des personnes ayant accès aux biens de base
de 29 à 32 %. L’élargissement de la classe moyenne
- 120 millions de ménages en 2020, soit une hausse
de 30 millions depuis 2012 -, associé à la progression
de la productivité du continent de 2,7 %, renvoie à une
meilleure efficacité de la force de travail dans le
secteur industriel principalement.
De plus, grâce à une meilleure gouvernance, les
réformes structurelles en cours permettent un
assainissement des finances publiques (dette, déficits).
Une métamorphose rapide
La population du continent va doubler d’ici 2040,
engendrant un nombre d’actifs beaucoup plus élevé
qu’en Europe. Cette main-d’œuvre de plus en plus
qualifiée constitue un critère favorisant l’installation
des entreprises étrangères car elle peut absorber une
partie de l’offre de travail.
Cette dynamique démographique va se doubler d’un
processus d’urbanisation accéléré jusqu’en 2050, qui
donnera naissance à plusieurs grandes villes et
élargira les mégapoles économiques et urbaines déjà
existantes. On passerait de 52 villes de plus d’un
Source : McKinsey&Company
million d’habitants 2011 à 84 villes de plus d’un
million d’habitants en 2030 4.
De nombreux défis seront alors à relever. Il faudra
combler les besoins en infrastructures, en
équipement et systèmes de traitement des eaux et
déchets. Les secteurs du bâtiment, des transports,
des services seront en premières lignes pour saisir les
opportunités. Ils s’adosseront aux équipementiers et
aux professionnels de gestion des ressources.
LES DÉFIS À VENIR
Un des défis majeurs pour l’Afrique reste l’autosuffisance alimentaire. En effet, plus de 50 millions
de tonnes de céréales sont importées chaque année.
Alors que la production agricole doublait en Asie entre
les années 1960 et le milieu des années 2000, celle
de l’Afrique s’est à peine améliorée durant la même
période. L’amélioration de la productivité agricole
passe par une plus large utilisation des engrais ainsi
que de machines, à travers des programmes de subventions étatiques. Cela permettrait à des ménages
vivant dans les zones rurales de franchir le seuil de
pauvreté en produisant des surplus qui seraient
supérieurs à leur consommation propre.
Quelques changements se font sentir depuis peu sous
l’impulsion des gouvernements et des organisations
internationales au niveau de la transformation de
l’agriculture africaine. Sous leur impulsion, le Rwanda
et le Malawi ont affiché des taux de croissance de
l’agriculture élevés. Ce dernier est passé d’un statut
de pays à déficit vivrier en pays exportateur de denrées alimentaires. Les entreprises possédant la
technologie et la capacité de production pour répon-
(4) McKinsey&Company (2010), « Lions on the move: The progress and potential of African economies », juin.
En pratique
Capital humain
L’interview !
Analyses
Carte 2
Plus de 20 centres économiques et urbains majeurs
Zoom sur...
Quant à l’indice de la perception de la corruption (IPC)
établi par Transparency International, 35 pays africains
sont classés devant la Russie, et quatre obtiennent de
meilleures notes que l’Italie.
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Accomex n° 105-106 - L’Afrique en mutation
dre aux besoins naissants de ce nouveau marché
trouveront là de véritables débouchés.
conquête de marchés et de s’imprégner des pratiques et
codes culturels en vigueur pour réussir. La Chambre de
commerce et d'industrie de région Paris Ile-de-France
(CCI Paris Ile-de-France) a créé des outils pour accompagner efficacement les PME dans ces marchés.
Un autre défi est de satisfaire les besoins grandissants en infrastructures. Ainsi l’Africa Infrastructure
Country Diagnostic (AICD) prévoit qu’il faudrait investir
La Direction générale adjointe chargée des actions
93 milliards de dollars par an pendant la décennie
internationales et européennes (DGA AIE) de la CCI
2010, soit 15 % du PIB africain, pour effacer l’écart au
Paris Ile-de-France accompagne les PME dans leurs
niveau des infrastructures qui existe par rapport aux
stratégies de développement à travers le monde et
autres régions en développement. Cependant, bien
notamment en Afrique. Les conseillers du Service
que cet objectif puisse paraître utopique, il n’est pas
Proche & Moyen-Orient
insurmontable quand on sait, par
L’Afrique est confrontée à Afrique
assistent les entreprises dans la
exemple, que la Chine a dépensé
des progrès générateurs mise en œuvre de leur stratégie
environ 14 % de son PIB, durant les
années 2000 en investissement
d’opportunités qu’il faut d’internationalisation sur les pays
de la zone, les aident à y détecter
dans les infrastructures et que le
savoir saisir ”.
des opportunités d’affaires, tout en
Brésil a débloqué, en 2007, un plan
les informant des contraintes législatives, réglemende 400 milliards sur quatre ans pour moderniser ses
taires mais également interculturelles.
ponts, ports et centrales.
“
Les gouvernements africains aussi ont bien compris
que diminuer cette fracture au niveau des infrastructures permettrait une diminution des coûts de
transports, une amélioration des échanges et une
baisse des prix des denrées alimentaires et autres
biens. Ainsi de nombreux plans et budgets sont
alloués chaque année afin de combler ce retard.
La logistique, le transport, les ports et les routes sont
les facteurs qui vont permettre au continent d’échanger plus avec plus de partenaires. Des chantiers sont
en cours pour l’agrandissement et l’aménagement de
routes et ports. En Afrique du Nord, on peut retenir le
hub autour du port de Tanger. En Côte d’Ivoire, le port
d’Abidjan effectue des travaux d’agrandissement de
sa capacité et de diversification de sa flotte. Au
Sénégal, le « Port du Futur » est l’un des projets
majeurs du Port Autonome de Dakar justifié par la
« croissance exponentielle qu'a connu le trafic conteneur et la tendance à la conteneurisation dans le
transport maritime 5 ». Et, bien sûr, il y a les sept ports
d’Afrique du Sud, dont quatre datant de l’époque coloniale et qui sont à l’origine du développement des
grandes agglomérations actuelles, ainsi que trois
ports datant des années 1970 en eau profonde pour
répondre à la saturation à laquelle faisait face les
anciens ports.
CONCLUSION
En effet, pour un retour gagnant des PME en Afrique,
il faut au préalable les sensibiliser au management
interculturel pour développer leur leadership et
compétences dans ce domaine qui irrigue tous les
aspects du management (communication, organisation, gestion d’équipe, gestion des conflits etc.). Cette
sensibilisation/découverte du management interculturel spécifique à l’Afrique (prise de conscience des
différences et similitudes, réflexion sur la culture et
son impact dans le management) permet d’aller en
amont des comportements pour les expliquer et
tenter de comprendre les raisons profondes de
certaines représentations, de certains échecs ou de
certains conflits.
L’accompagnement proposé aux entreprises se décline
en plusieurs outils : diagnostic de l’entreprise en fonction de ses opportunités/faiblesses sur les pays de la
zone, organisation de séminaires techniques, d’entretiens individuels avec des experts, de missions
collectives et individuelles, appui post-mission, aide à
l’implantation, recherche de financements, etc.
Enfin pour favoriser l’effet réseau, la CCI Paris Ile-deFrance a créé le Comité d’Échange Afrique-France
(CEAF) 6 en lien avec HEC et ses HEC Executive Club
Afrique, qui regroupent des dirigeants et chefs d’entreprises africains et français avec l’objectif de révéler et
accroître les opportunités d’affaires du continent
africain.
L’Afrique est confrontée à des progrès générateurs d’opportunités qu’il faut savoir saisir et exploiter. Cependant
dans cet environnement en pleine transformation,
marqué, il faut le souligner, par une concurrence féroce,
il est important de ne pas se lancer seul dans la
(5) Port Autonome de Dakar, http://www.portdakar.sn
(6) Pour plus d’informations sur le Comité d’Échanges Afrique-France, consultez la contribution d’Alain Taïeb dans ce même numéro d’Accomex.