Le système des autonomies régionales en Italie

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Le système des autonomies régionales en Italie
Le système des autonomies
régionales en Italie
Paolo Stella-Richter
Le problème des autonomies, en Italie, est ancien. Les
limites naturelles (la mer et le massif alpin) donnent une
image géographiquement unitaire qui n'existe plus
depuis l'époque de l'Empire romain, sur le plan politique,
et qui se concrétise sur ce plan seulement depuis 1861 (il
faudra attendre 1870 pour l'annexion de Rome).
L'histoire italienne est constituée de dominations qui ont
fragmenté le territoire en une myriade d'Etats, dont les
limites changeaient continuellement (il suffit de penser
aux conflits internes et aux incursions étrangères qui
dévastèrent le territoire aux XVIe et XVIIe siècles). A ceci
s'ajoute l'influence directe ou indirecte des grands Etats
de l'Europe centrale qui considérèrent toujours l'Italie
comme un territoire de conquête. L'unité nationale est
donc un récente acquisition.
D
epuis toujours le gouvernement central a du se confronter
aux diverses traditions culturelles et, au niveau local, à de
fortes poussées en faveur de l'autonomie. Pour avoir une
idée de la diversité des cultures appelées à coexister, il suffit de penser
que la zone du Nord-Est a subi pendant des siècles la domination
autrichienne, caractérisée par une organisation administrative fortement décentralisée qui laissait d'amples espaces à l'autonomie locale,
tandis que toute la partie centrale de la péninsule a été assujettie
jusqu'à la moitié du XIXe siècle à une monarchie de type théocratique
(Etat Pontifical). L'Italie méridionale et la Sicile étaient soumises à la
domination des Bourbons, qui maintenaient une gestion quasi féodale
du pouvoir, tandis que la Sardaigne faisait partie de l'Etat savoyard
dirigé par une monarchie fortement centralisatrice.
Pour avoir un panorama complet de la situation, il faut également
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considérer les nombreuses ethnies demeurant sur le territoire (dans le
Nord-Est celles de langues allemandes et latines ; dans le Nord-Ouest
la minorité française ; dans la partie méridionale la minorité albanaise). Il faut également tenir compte de la disparité, vraiment remarquable, des conditions économiques existant entre les régions septentrionales (dynamiques et industrialisées) et les régions méridionales
(à l'économie traditionnellement agricole).
Avec de telles conditions de départ, le choix consista, au moment de
l'Unité de l'Italie, à organiser l'Etat selon un mode rigoureusement
centralisé, celui du modèle piémontais.
En ce qui concernait les intérêts locaux, un modèle d'inspiration
napoléonienne, appelé système préfectoral, fut adopté. Il consistait en
un ensemble d'organes périphériques de l'administration étatique (les
préfets), hiérarchiquement subordonnés au ministre de l'Intérieur. Ils
disposaient d'attributions d'administration active et de contrôle sur
les organismes locaux. Pour faire face aux multiples problèmes venant
du territoire, de nombreux autres organes périphériques à l'administration étatique furent institués aux côtés du préfet. Les organismes
locaux, soumis à l'autorité préfectorale, subirent une superposition
souvent irrationnelle de compétences étatiques par rapport à leurs
compétences propres.
Deux motivations principales poussèrent le constituant républicain
(1947) à intervenir : pour modifier la loi et rendre l'action des pouvoirs
publics efficace. Sur le plan idéologique, l'exigence de réaliser une
ample décentralisation des structures de la communauté étatique
avait fait surface. Pour la réalisation du principe de démocratie, il était
nécessaire d'instituer un autre centre de manifestation de la volonté
populaire dans le but de garantir les libertés de façon plus ample, en
respectant la tutelle offerte par le système précédent. D'un point de
vue strictement utilitaire, les organismes locaux traditionnels provinces et communes - se montraient aptes à satisfaire toute la
gamme des intérêts émanant des structures sociales d'une communauté moderne, grâce à la dimension territoriale restreinte, des attributions limitées et les types de contrôle étatique auxquels ils étaient
soumis.
La dimension régionale de la Constitution de 1947
La Constitution républicaine a en fait choisi de créer des organismes, dénommés régions, dans le but de rapprocher le gouverneCONFLUENCES Méditerranée - N° 36 HIVER 2000-2001
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ment des citoyens. L'organisme régional représente l'institution qui
développa une fonction radicalement novatrice afin de réunir dans
son cadre les divers organismes locaux, éventuellement de concilier
leurs intérêts discordants, et de les représenter au niveau de l'Etat.
L'article 5 de la Constitution déclare que : "La République une et indivisible reconnaît et organise les autonomies locales; réalise, dans les services qui
dépendent de l'Etat, une décentralisation administrative plus ample; adapte
les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l'autonomie et
de la décentralisation".
Les fondements organisés du système tracés par la Charte constitutionnelle établissent a) que la République se répartit en Régions,
Provinces et Communes ; b) que les régions sont constituées en organismes autonomes avec leurs propres pouvoirs et fonctions, selon les
principes fixés dans la Charte constitutionnelle ; c) que sont attribuées
à la Sicile, la Sardaigne, la Vallée d'Aoste, le Trentin-Haut-Adige et
Frioul-Vénétie julienne des formes particulières d'autonomie selon
des statuts spéciaux adoptés par des lois constitutionnelles (c'est
pourquoi de telles régions sont dites à statut spécial).
L'existence d'une catégorie spécifique de régions à statut spécial
prévue par la Constitution trouve son fondement dans les conditions
particulières de situation économique et sociale de zones déterminées
dans le territoire étatique (Sicile et Sardaigne), mais aussi dans l'opportunité de donner une tutelle spécifique aux minorités ethniques
ou, quoi qu'il en soit, à des régions dont la disposition géographique
est frontalière (Trentin-Haut-Adige, Vallée d'Aoste, Frioul-Vénétie
julienne).
La Constitution établit que le Statut des cinq régions précitées doit
être adopté, pour être garanti, par des lois constitutionnelles et non,
comme cela l'était pour les régions de droit commun, approuvé par
des lois ordinaires du Parlement. Un type particulier de pouvoir législatif est attribué à ces régions, en vertu des particularités préétablies.
Ce pouvoir est dit exclusif, car son exercice, dans les matières indiquées dans chacun des statuts, est seulement subordonné à l'observation "de la Constitution et des principes généraux de l'organisation de l'Etat,
mais aussi aux normes de réforme économico-sociale". Il s'agit donc d'un
pouvoir législatif de caractère primaire, pour l'exercice duquel il n'est
pas nécessaire d'attendre l'intervention d'une loi étatique pour établir
les principes issus de la norme. Le devoir de vigilance sur l'observation desdites limites, tant de la part des régions que de l'Etat, appartient à la Cour Constitutionnelle. Pour les autres régions, les liens sont
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plus étroits on ne leur reconnaît qu'un pouvoir législatif (concurrent),
qui doit être exercé de façon conforme aux principes imposés par les
lois étatiques, et ce toujours pour les matières expressément indiquées
par la Constitution. Dans ces matières, le pouvoir législatif étatique ne
peut être pleinement exercé qu'en cas de carence des Régions. Dans un
tel cas, la loi étatique définit légitimement cette matière, tant que la
Région n'a pas pourvu à l'établissement des lois nécessaires.
La considération que la Constitution réserve aux organismes locaux
est différente : communes et provinces sont qualifiées d'organismes
autonomes dans les limites des principes fixés par les lois générales de
la République, qui en déterminent les fonctions. Il y a donc une différence notable de traitement d'ordre constitutionnel entre les régions,
d'un côté, et les provinces et communes, de l'autre. Pour les régions,
organisations et pouvoirs sont garantis par la Constitution. Pour les
communes et les provinces, cette thèse ne tient pas ; seule leur existence est garantie par la Charte. Tandis que pour les aspects essentiels
des organisations et fonctions des régions, une loi de révision constitutionnelle est nécessaire, pour ce qui est de la modification des attributions des provinces et communes, une loi ordinaire est suffisante.
Mais cette loi doit émaner de l'Etat et non des régions.
Le schéma constitutionnel ci-dessus décrit a tardé à se réaliser : alors
que les régions à statut spécial ont été rapidement instituées,
certaines, avant même l'entrée en vigueur de la Charte
Constitutionnelle, les régions à statut ordinaire, ne se sont établies que
dans les années soixante. Ceci s'explique par les fortes résistances
politiques et bureaucratiques à la réalisation d'une réforme, comme la
réforme régionale, impliquant une profonde transformation de l'organisation de l'Etat.
Ces résistances, mises en évidence à plusieurs reprises au cours des
années suivantes, se sont traduites par une réappropriation progressive, de la part de l'Etat, de nombreuses fonctions qui avaient été déléguées ou transférées. Ceci a entraîné une diminution du rôle de ces
institutions par rapport à celui prévu par la Constitution, jusqu'à faire
disparaître les distinctions entre régions à statut spécial et régions
ordinaires.
L'Etat s'est réservé une fonction propre : la fonction fiscale, bien que
la Constitution ait prévu que les régions auraient dû jouir d'impôts
propres et de cotisations étatiques. Les finances régionales ont
toujours été en majorité des finances provenant de la répartition des
impôts perçus au niveau central, avec le fait qu'une gestion autonome
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de la part d'un organisme seul est impossible, tant sur le plan fiscal
que sur le plan financier. Les régions ont donc subi un fort conditionnement dans toutes les décisions de dépenses, c'est-à-dire dans toutes
les décisions, où se pose la question de la centralisation du rôle de la
gestion des ressources dans la conduite politique d'un organisme
quelconque.
Il n’est donc pas étonnant que la crise du modèle régional actuel et
la discussion sur la réforme voient parmi leurs arguments centraux le
système fiscal, au-delà de la distribution des compétences tant administratives que législatives entre les organismes locaux.
La nécessité d’une nouvelle réforme
A partir du début des années 80, il est devenu évident que les
rapides transformations de l'environnement économique international et la croissante différenciation (en positif et en négatif) des
systèmes sociaux régionaux rendaient nécessaires un changement
radical des modalités de l'administration publique et une nouvelle
articulation des pouvoirs entre "centre" et "périphérie".
Au cours des années 80 et de la première moitié des années 90, la
culture et les attentes des citoyens, en ce qui concerne la politique et
l'administration de la chose publique, ont profondément changé. A la
même époque, des réformes particulièrement nettes ont suivi ce changement culturel dans divers pays européens. Certaines réformes ont
délégué compétence et pouvoirs aux autorités régionales et locales et
ceci également dans des pays avec un Etat traditionnellement centralisé. Pour répondre à ce défi, l'Italie a dû attendre la crise de son précédent système de partis, la menace de mouvements de protestation
locaux et la pression des tendances communautaristes.
L'urgence imposée par les nouvelles conditions politiques internes
et internationales a finalement conduit à s'acheminer vers une
première innovation institutionnelle significative. Le changement
notable qui a eu lieu dans la conception du rôle des institutions politiques, de leur organisation, du rapport et de l'idée même de "public"
et de "privé", d'"Etat" et de "marché" ne peut pas être caché. Par conséquent, la décentralisation ne peut pas être détachée d'une simplification des procédures administratives, d'un assouplissement d’ensemble des appareils publics et de l'ouverture de la concurrence dans
la gestion des services publics locaux.
Le processus de réforme a suivi deux voies parallèles : avant tout,
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une décentralisation avec une Constitution inchangée, du fait d'une
série de lois, réservées au Gouvernement, puis un début de réforme
constitutionnelle (beaucoup plus complexe, puisque la Constitution
italienne a un caractère rigide et ne peut donc être modifiée par une
loi ordinaire). La décentralisation déjà accomplie met, tant l'Etat
central que les institutions territoriales, face à une épreuve de vérité.
L'administration centrale et périphérique de l'Etat est appelée à
démontrer sa capacité à se libérer des tâches indues, à alléger ses
propres appareils et à déférer d'amples fonctions aux gouvernements
autonomes des systèmes régionaux. Les institutions territoriales,
régions et organismes locaux, doivent à leur tour démontrer concrètement que déplacer les pouvoirs et fonctions du centre vers la périphérie permet de donner aux citoyens des services plus efficaces, en
d'autres termes, permet de mieux gouverner.
Dans le but d'élaborer un système normatif qui tienne compte des
exigences régionales et locales, il a été proposé aux régions qu'elles
élaborent elles-mêmes des projets de réformes ayant pour objet la
réorganisation des appareils bureaucratiques et la définition de la
question fiscale. Eventuellement, elles pourraient proposer des innovations de l'organisation sur ce qui a trait au système politico-administratif régional et local, en profitant d'une grande et systématique
comparaison avec les organismes locaux et avec les sujets représentatifs de la société régionale. Ponctuellement, ont donc été présentés, de
la part des organismes régionaux, des projets très articulés qui ont
ensuite été exposés ensemble aux représentants étatiques en vue de
l'élaboration du texte définitif des décrets.
Maintenant, il est opportun de se pencher plus précisément sur les
innovations contenues dans ces réformes. Lors des trois dernières
années, elles ont redessiné les rapports entre les sujets institutionnels,
en attirant l'attention sur la méthode de la concertation. En cas d'urgence, les pouvoirs substitutifs de l'appareil étatique doivent être délimités. Une réorganisation du système fiscal est également prévue, par
l'intermédiaire de transferts liés à la compétence à administrer un
secteur déterminé, en faveur non seulement des régions, mais aussi
des organismes locaux auxquels ces fonctions sont attribuées. La réorganisation, la suppression ou réduction des structures étatiques qui
étaient précédemment chargées des tâches destinées à être transférées
sont également prévues. Ces opérations doivent être effectuées par
l'adoption de Décrets du Président du Conseil des Ministres.
Chose importante, il n'est plus possible d'accomplir le processus qui
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avait auparavant caractérisé le transfert des fonctions étatiques aux
régions, c'est-à-dire qu'il n'est plus possible de confisquer à nouveau
au pouvoir central les pouvoirs déjà décentralisés.
En particulier, quatre secteurs ont été fixés, dans l'exécution des
principes exposés, pour organiser leur mise en oeuvre. Le premier
concerne le développement économique et les activités productives et
vise à libérer de liens bureaucratiques inutiles le déroulement de
toutes les activités. Ceci s'opère en transférant les compétences administratives relatives à un niveau plus apte à les exécuter, et en utilisant
la délégation des fonctions dans les limites maximales concédées par
la Constitution, en attente d'une réforme du texte actuellement en
discussion. Le second secteur, appelé "Territoire, milieux et infrastructures", redéfinit les limites de certaines matières, en réunissant des
questions traditionnellement traitées dans des domaines différents, de
l'urbanisation jusqu'aux finances. En outre, le secteur des services s'individualise : il comprend la tutelle de la santé, l'instruction etc... Tout
est organisé en vue d’une ample délégation de fonctions aux régions
et de la création d’un large espace pour opérer des ententes entre
l'Etat, les régions et les organismes locaux en vue d'une meilleure
distribution des compétences. Certaines compétences relatives à la
police administrative locale et régionale, à l'ordre public et à la sécurité publique ont véritablement fait l'objet de délégation. Globalement
le système relevant des nouvelles normes laisse des doutes puisque
dans certains secteurs s'accomplit un pas en avant vers la décentralisation ou au moins vers la réalisation des principes de régionalisme et
d'autonomie, tandis que dans d'autres secteurs ne s'enregistrent que
de faibles progrès. Les décrets prévoient que les régions, avec leurs
propres dispositions, organisent dans leur système local la répartition
appropriée des fonctions administratives qui leur sont confiées.
L'établissement de ces dispositions est un préalable pour la réalisation
du système de transfert des ressources aux différents niveaux institutionnels par des Décrets du Président du Conseil des Ministres. Cette
attribution est exercée dans des limites de temps plutôt restreintes, et
une intervention de substitution étatique, dont le fondement constitutionnel est âprement contesté par les régions, a du mal à se mettre en
place. Malheureusement, il manque encore une définition précise des
fonctions à réorganiser, sachant que les choix les plus importants d'organisation des appareils et des structures ministérielles étatiques
(corps forestier de l'Etat, pompiers, inspections des travaux publics,
autorités compétentes en matière d'eau, d’agriculture, etc.) sont en
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général renvoyés à des dispositions futures. Le problème des structures reste donc irrésolu, les organismes territoriaux ne pouvant gérer
les nouveaux pouvoirs que par leur intermédiaire.
A travers la décentralisation des fonctions étatiques, les organismes
territoriaux risquent d'être chargés de tâches pour lesquelles n'existera pas une attribution adéquate des ressources. En aggravant un
problème déjà existant dans la distribution de capitaux, ils seront
encore plus dépendants dans l'exercice des politiques budgétaires. A
ce propos, selon l’Avis des Régions, Communes, Provinces du 5 mars
1998, "une fois désignés, au niveau régional, les modèles de répartition des
pouvoirs, il sera nécessaire de définir, pour chaque niveau de gouvernement
territorial, un instrument fiscal général pour faire face aux nouvelles fonctions. En même temps il faudra prévoir pour les régions la coparticipation au
rendement d'un grand impôt du Trésor".
La volonté originelle de décentralisation régionale a été mise en
place, en utilisant tous les moyens prévus par la Constitution, au
moyen de délégations et transferts de pouvoirs.
D'ailleurs ces normes trouveraient peut-être des agencements efficaces et une exécution plus facile à l'intérieur d'un état de type fédéral,
réforme sur laquelle on discute depuis longtemps et qui a soulevé une
multitude de polémiques.
L’hypothèse fédérale
Transformer l'Etat italien en un Etat fédéral signifierait, d'un point
de vue formel, modifier tout le titre cinq de la Constitution, d'un point
de vue substantiel, réaliser un processus inversé. En effet, traditionnellement on assiste à l'union de simples Etats (de petites dimensions,
comme dans le cas de la Suisse) qui se dépouillent d'une partie de leur
propre souveraineté en faveur d'un organisme supranational, qui
demande la charge de certaines matières de particulière importance,
qui sont donc traitées de façon unitaire, ce qui apparaît plus profitable. De cet organisme font évidemment partie les représentants de
tous les Etats membres de la fédération. Il s'agit d'une abdication
(partielle) de la souveraineté en faveur d'un organisme de plus grande
dimension.
En Italie on a assisté au processus inverse : l'Etat s'est progressivement dépouillé de ses attributions originelles en faveur des régions.
L'évolution a commencé avec la délégation des fonctions administratives précitées. Mais comme en témoignent les débats sur la réforme
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de la Constitution, l'objectif est d'avoir une incidence sur l'assiette
politique du pays, par un transfert de tous les pouvoirs, même législatifs, aux régions et le maintien de certaines matières seulement, au
profit du pouvoir central. La réforme tend donc à l'affirmation du
principe inverse; tout ce qui est expressément attribué à l'Etat sera
automatiquement déféré à la compétence de la région.
Selon le texte encore en discussion auprès des Chambres, sont exclusivement attribués à l'Etat : la tutelle de l'ordre public, l'administration
de la justice, la politique extérieure, la défense, l'environnement et les
autres matières expressément énumérées. Il y aurait, au contraire,
concurrence entre l'Etat et les régions puisqu’il appartiendrait au
premier de déterminer les principes fondamentaux, et aux autres de
les réaliser au moyen de leurs propres lois. La nouvelle règle signifierait que : "le pouvoir législatif de toutes les matières qui ne sont pas expressément réservées à la compétence de l'Etat appartient aux régions".
En vue d'une meilleure utilisation des pouvoirs attribués à chaque
organisme, le texte constitutionnel en discussion prévoit l'introduction de nouvelles formes de collaboration entre organismes locaux,
tant au niveau régional que provincial et communal. Elles prennent la
forme d'ententes à ratifier par des lois régionales, ou carrément de
structures stables, comme la zone métropolitaine, figure déjà introduite il y a des années par diverses lois étatiques, et aujourd'hui insérées dans la Constitution comme le résultat de l'union de communes,
dans le but de réaliser une intégration territoriale utile (par exemple
entre un grand chef-lieu et de petites communes satellites). L'action
entreprise apparaît tournée vers la rationalisation des structures de
l'autonomie locale pour garantir en même temps le rapprochement du
niveau de gestion du pouvoir législatif et administratif avec les
citoyens, et l'assouplissement de l'appareil étatique existant. Pour la
coordination de l'action des divers organismes à différents niveaux,
un rôle important est également donné à la Conférence permanente
pour les rapports entre l'Etat, les Régions, les Provinces, les Villes
métropolitaines et les Communes. Bien que l'attribution des pouvoirs
de cet organe soit déférée à l'adoption de lois étatiques, sa composition témoigne de sa nature d'organe avec des pouvoirs de coordination de l'action de gouvernement, depuis le centre jusqu'aux
communes.
Pour ce qui a trait aux rapports de droit international, la possibilité
de conclure des accords avec des Etats et des ententes avec des organismes territoriaux est reconnue à la région. Pour autant, la sauveCONFLUENCES Méditerranée - N° 36 HIVER 2000-2001
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garde de l'uniformité de l'action centrale avec des Etats étrangers reste
de la compétence de l'Etat, qui doit entre autres garantir l'accomplissement des obligations provenant de l'appartenance de l'Italie à
l'Union Européenne.
Dans le texte constitutionnel en discussion, l'autonomie financière
de tous les organismes locaux est garantie. Ils pourront délibérer des
impôts propres et donc disposer de revenus autonomes, avant de
bénéficier, dans des circonstances particulières et dans certaines
limites, de transferts étatiques qui ne semblent pas destinés à jouer un
rôle prépondérant. Cette disposition est cohérente avec ce qui a été
observé en termes de difficultés dans la gestion régionale de
nouveaux devoirs pour lesquels manque encore une autonomie financière, et du conditionnement qui jusqu'à maintenant a représenté l'absence substantielle d'un pouvoir fiscal autonome régional pour un
bon développement du système.
Enfin est prévu un pouvoir général de substitution de l'Etat en cas
de manque de respect des normes de la part des organismes territoriaux, ou bien de danger pour la sécurité publique, ou encore pour la
tutelle de l'unité juridique et économique ou pour les conditions de
vie. Il est établi que des lois appropriées devront assurer que le dit
pouvoir soit exécuté dans le respect du principe de subsidiarité et du
principe de loyale collaboration, de façon à ne pas rendre vain le
dispositif autonome jusqu'ici décrit. Exercé de façon prudente, ledit
pouvoir devrait être en mesure de remédier aux carences relevant
d'une apparente fragmentation en régions. On pense à l'absence des
pouvoirs nécessaires pour intervenir dans des situations extrêmes, qui
peuvent se révéler à l'intérieur du territoire susceptibles d'avoir une
influence sur toute la communauté nationale (calamités naturelles,
crises économiques de secteur, etc.). D'autre part, l'ampleur de la définition normative, dans l'effort d'attribuer une nette capacité d'intervention à l'Etat, risque de "faire rentrer par la fenêtre ce qui est sorti
par la porte", c'est-à-dire d'offrir un instrument pour la réduction des
autonomies qui s'est déjà vérifiée dans le système régional.
Le législateur, pour la réalisation du nouvel objectif constitutionnel,
sera donc appelé à résoudre de nombreux problèmes. Cependant, le
texte constitutionnel expliqué au vu des normes sur la décentralisation administrative déjà approuvées offre une indication bien précise
dans le sens d'une augmentation maximale des attributions régionales, en interprétant restrictivement celles qui sont laissées au
pouvoir central et en valorisant de même la participation de tous les
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organismes locaux à la gestion de la chose publique.
L’origine du fédéralisme
A partir de la Deuxième Guerre mondiale, l’exigence d’une autonomie plus ou moins marquée s’est exprimée à différents moments et
avec des motivations très variées. La demande la plus ancienne avec
comme objet simplement la revendication d’une indépendance
absolue a été celle de la Sicile qui la première exprima des intentions
sécessionnistes. Ce mouvement tirait son origine de la crainte des latifundistes qu’après la guerre se réalise une réforme agraire.
Immédiatement après explosa la protestation du Haut-Adige qui a
des racines ethniques et linguistiques. Elle a donné lieu à une longue
négociation entre Etats qui s’est conclue le 5 septembre 1946 avec la
signature de l’accord De Gasperi-Gruber garantissant des conditions
particulières d’autonomie aux deux provinces du Trentin et de
Bolzano et instaurant un régime de bilinguisme parfait.
Comme le montrent ces brèves indications, les poussées autonomistes sont soutenues par des motivations de type économique et pas
seulement ethnique et linguistique et elles ont souvent trouvé une
expression au niveau politique même si normalement aucun mouvement séparatiste n’a jamais pris une dimension nationale.
Dans les dernières années, en fait, nous avons assisté à une coalition
de consensus pour un mouvement de type sécessionniste qui a pris
des dimensions effectivement appréciables. Les racines de ce succès
doivent être recherchées d’un côté dans la fragmentation du contexte
politique qui a libéré des cultures autonomistes soutenues par la
défense d’intérêts sectoriels et territoriaux ; et de l’autre côté dans le
mécontentement déterminé par l’échec de toutes les lois de réforme
des autonomies qui sont restées, pour l’essentiel, non appliquées.
C’est unies par une inspiration fortement anti-centraliste que naissent en effet la Ligue vénitienne, la Ligue lombarde et enfin la Ligue
Nord. Le mot d’ordre de ces courants a été plutôt le “fédéralisme” que
l’“autonomie”. Or le mot fédéralisme a été utilisé improprement dans
la mesure où il signifie la tendance d’organismes étatiques autonomes
à se fédérer tandis que dans les milieux des “ligues” il est employé
surtout pour exprimer la tendance à l’autonomie vis-à-vis des
pouvoirs centraux qui s’est progressivement affirmée dans les zones
du “Nord” qui, par tradition, supportaient mal l’ingérence de l’Etat
mais qui, moins que d’autres, avaient été capables, comme les régions
de l’Italie centrale, de donner vie à des formes politiques stables à l’inCONFLUENCES Méditerranée - N° 36 HIVER 2000-2001
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térieur desquelles on aurait expérimenté des modèles d’autonomie.
L’effet de ces mouvements a d’évidence entraîné une déstabilisation
du système politique traditionnel mais il n’a pas produit des réformes
institutionnelles significatives, même lorsqu’en 1993 la Ligue Nord a
acquis une certaine force parlementaire puisque l’unique proposition
a été un projet de loi constitutionnelle communiqué au Sénat en
janvier 1995 et proposant une fédération en 9 Etats avec 21 régions,
avec les provinces et les communes constituées en organes autonomes.
Il faut cependant reconnaître à ces mouvements le mérite d’avoir
donné une impulsion à une série de réflexions (y compris au niveau
politique) qui ont produit des orientations de réformes constitutionnelles actuellement soumises à l’évaluation des Chambres. A partir
d’approches diverses et avec des accentuations différentes, celles-ci
visent à permettre une application de l’article 5 de la Constitution
dans un sens nouveau qui, dans quelques cas, a une dimension effectivement fédéraliste ou à tout le moins “néo-régionaliste”.
Il est difficile de se prononcer sur le rôle actuel des ligues : pour
l’instant, la seule ligue dotée d’un poids politique au niveau national
est la Ligue Nord. Elle est restée l’expression des instances d’une
partie des régions du Nord et se voit donc contrainte de s’allier avec
d’autres formations politiques pour permettre de maintenir la position acquise. Agissant comme axe de la balance des équilibres parlementaires, elle pourrait réussir à orienter les décisions politiques vers
l’objectif fédéraliste qui constitue la raison même de son existence.
Il est nécessaire de souligner une différence qui distingue les positions de la Ligue Nord de celles des autres formations d’inspiration
analogue mais d’importance seulement locale. Alors que la première
implique dans le projet fédéraliste le territoire national tout entier, les
autres se préoccupent seulement de l’avenir d’une zone limitée : la
Ligue vénitienne pour la séparation de la Vénétie et de la région
Frioul-Vénétie julienne du reste du territoire national, comme le Parti
sarde d’action pour la Sardaigne. Par conséquent il est difficile pour
ces formations d’imaginer un développement politique qui dépasse
les limites régionales.
Centralisme et égoïsme régionaux
Même si les projets de réforme actuellement en discussion vont
précisément dans la direction fédéraliste, on peut s’interroger sur
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l’avenir des régions les plus pauvres ou les plus arriérées.
Récemment dans un quotidien est paru un article dans lequel l’auteur exprimait l’opinion (très répandue) selon laquelle les régions du
Sud constitueraient un frein au décollage du Nord, une source de
gâchis inutiles. Même si, par beaucoup d’aspects, la critique ne peut
être considérée comme privée de fondement, cette vision manque de
lucidité : développer aussi les zones peu développées peut être un
investissement utile. De grands bénéfices en termes de productivité
pourraient dériver d’une formation adéquate du capital humain,
tandis qu’une hausse du niveau de vie signifierait élargir considérablement le marché intérieur qui, comme l’on sait, joue un rôle stratégique dans l’équilibre et la stabilité de la balance des paiements,
actuellement et traditionnellement soutenue dans notre pays par les
exportations.
D’un autre côté, beaucoup de zones du Sud subissent les effets
d’une politique qui, jusqu’à maintenant, a pris la forme de l’assistance
plus que de l’investissement finalisé au développement pour lequel,
indiscutablement, existent des obstacles notables qui ne sont pas
seulement économiques (que l’on pense au phénomène de la criminalité organisée). Les entreprises sont alors attirées par les potentialités
offertes par l’Europe de l’Est où les obstacles, y compris de type
bureaucratique, sont moindres et, par conséquent, elles se sentent de
moins en moins encouragées à investir sur le territoire.
Pour faire face à cette situation, on est en train de chercher à élaborer
un système qui, bien que se situant dans le cadre d’une réforme de
type fédéraliste, n’abandonne pas les zones moins développées à leur
destin et, dans le même temps, opère un transfert de ressources “intelligent” qui permette leur développement.
Paolo Stella-Richter est professeur de droit de l’urbanisme à l’université de
Rome, “La Sapienza”.
Traduit de l’italien par Agnès Godineau et Bernard Ravenel.
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