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CONSEIL
DE L’EUROPE
COUNCIL
OF EUROPE
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
CINQUIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 31508/07
présentée par Bernard VERITER
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section),
siégeant le 25 septembre 2008 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Karel Jungwiert,
Volodymyr Butkevych,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 7 juillet 2007,
Vu la décision de la Cour d’examiner conjointement la recevabilité et le
fond de l’affaire, comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Bernard Veriter, est né en 1946 et réside à
Champigneulles. Il possède la double nationalité française et belge.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent
se résumer comme suit.
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DÉCISION VERITER c. FRANCE
1. Genèse de l’affaire
Depuis le 1er juillet 1980, le requérant est attaché principal en service à la
préfecture de Meurthe et Moselle. Avant son entrée dans la fonction
publique française, il effectua son service national dans les forces armées
belges du 2 octobre 1967 au 31 octobre 1968.
Se prévalant des dispositions du Traité instituant la Communauté
européenne (ci-après « TCE ») relatives à l’égalité de traitement des salariés
quelle que soit leur nationalité et au droit communautaire dérivé, le
requérant sollicita à plusieurs reprises, en vain, la prise en compte, dans le
calcul de son ancienneté ainsi qu’au titre de ses droits à avancement et de
ses droits à pension, de la période de service militaire effectuée en Belgique.
2. Procédures relatives à la prise en compte, dans le calcul de
l’ancienneté du requérant ainsi qu’au titre de ses droits à
avancement et de ses droits à pension, de la période de service
militaire effectuée en Belgique
Le 11 juillet 1988, le requérant déposa auprès du ministre de l’Intérieur
une demande en ce sens.
Par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de
Strasbourg le 18 novembre 1988, le requérant demanda l’annulation de la
décision implicite de rejet du ministre de l’Intérieur. Par un jugement du
5 septembre 1991, sa requête fut rejetée au motif que les règlements
communautaires invoqués par le requérant ne concernaient que les
ressortissants d’un Etat membre travaillant dans un autre Etat membre. Le
23 septembre 1991, le requérant recourut devant le Conseil d’Etat. Le
15 juin 1994, le Conseil d’Etat rejeta sa requête au motif que la demande
adressée au ministre de l’Intérieur n’indiquait pas quelle décision précise il
entendait contester ou obtenir.
Parallèlement, le requérant saisit la Commission des Communautés
européennes d’une pétition relative à ce litige. Par une lettre du
18 novembre 1991, la Commission adressa au gouvernement français une
demande d’information dans laquelle elle estimait que « le refus de
validation des services rompt manifestement l’égalité de traitement devant
exister entre les travailleurs des différents Etats membres ». Dans leur
réponse en date du 19 février 1992, les autorités françaises admirent la
nécessité de compléter les dispositions actuelles du droit national de façon à
pouvoir prendre en compte, dans l’ancienneté des fonctionnaires
ressortissants d’un autre Etat membre de la communauté, la période de
service national obligatoire accomplie dans leur pays d’origine.
Cette modification résulta de la loi no 96-1093 du 16 décembre 1996
relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre
statutaire. Désormais, le nouvel article 5 ter de la loi n o 83-634 du
13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit,
DÉCISION VERITER c. FRANCE
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s’agissant du temps de services militaires accompli dans un autre Etat
membre, que « ce temps est retenu pour le calcul de l’ancienneté de service
exigé pour l’avancement dans les fonctions publiques de l’Etat, territoriale
et hospitalière ».
Le 15 janvier 1997, le requérant, se prévalant de ces nouvelles
dispositions législatives, réitéra sa demande auprès du ministre de
l’Intérieur. Celui-ci refusa d’y faire droit, par une décision du 20 mai 1997,
au motif que ce texte de loi n’était pas en vigueur au moment du
recrutement de l’intéressé.
Le 16 juillet 1997, le requérant saisit le tribunal administratif de
Strasbourg d’une demande tendant à l’annulation de cette décision. Les
28 août 1997, 4 mars 1998, 2 mars et 2 avril 2001, le requérant fit parvenir
au greffe du tribunal des mémoires complémentaires.
Dans une lettre datée du 19 février 1998, le ministre de l’Intérieur, en
cours d’instance, revint partiellement sur sa décision, et décida de faire droit
à la demande du requérant en prenant en considération la période de service
militaire effectuée dans l’armée belge, mais uniquement à compter de sa
prochaine promotion. Le 20 février 1998, le ministre de l’Intérieur, estimant
que le litige était devenu sans objet, demanda au tribunal administratif saisi
de dire qu’il n’y avait plus lieu à statuer. Par un arrêté du ministre de
l’Intérieur du 16 mars 2001, les treize mois de service militaire de
l’intéressé furent reconnus au titre de l’ancienneté lors de sa promotion au
sixième échelon du corps des attachés principaux de préfecture intervenue le
6 novembre 2000.
Par un jugement du 6 juillet 2001, le tribunal administratif de Strasbourg
considéra que l’absence de prise en compte du service national du requérant
au seul motif qu’il l’avait effectué en Belgique constituait une
discrimination contraire aux prescriptions de l’article 48 du TCE et du
règlement communautaire no 1612/68 du 15 octobre 1968, lesquelles
prescriptions étaient déjà en vigueur à la date d’intégration du requérant
dans la fonction publique française et étaient directement applicable en
France. Le tribunal annula en conséquence la décision contestée du 20 mai
1997 ainsi que l’arrêté du 16 mars 2001 en tant qu’il ne prenait en compte la
période de service national du requérant qu’à compter de l’intervention de
sa prochaine promotion et non dès le début de sa carrière de fonctionnaire.
Le tribunal enjoignit au ministre de l’Intérieur de procéder à la
reconstitution de carrière du requérant dans les conditions ainsi définies.
Le 19 octobre 2001, le ministre de l’Intérieur rendit un arrêté portant
reconstitution de la carrière du requérant.
A une date indéterminée, le requérant demanda au ministre de l’Intérieur
de lui octroyer réparation du préjudice causé pour discrimination en raison
de sa nationalité.
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DÉCISION VERITER c. FRANCE
Par une requête enregistrée au tribunal administratif de Strasbourg le
27 novembre 2001, le requérant demanda l’annulation de la décision
implicite de rejet du ministre de l’Intérieur.
Le 6 novembre 2003, le tribunal administratif releva que l’administration
avait commis une faute en reconnaissant trop tardivement les droits du
requérant et condamna l’Etat à lui verser une indemnité de 1 500 euros.
Par une lettre du 27 avril 2004, le préfet de la Moselle transmit au
requérant une note rédigée le 9 mars 2004 par le service des pensions des
ministères de l’Economie et de la Défense, indiquant que la période de
service national accomplie par un binational dans une armée étrangère ne
pouvait pas être prise en compte ni pour la constitution du droit à pension ni
pour le calcul de la pension.
Par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de
Strasbourg le 10 mai 2004, le requérant demanda l’annulation de la décision
du préfet.
Le 24 mai 2006, le tribunal administratif de Strasbourg rejeta la requête,
relevant que les conclusions de l’intéressé étaient prématurées, le requérant
étant recevable à faire valoir ses droits qu’à l’occasion de la liquidation de
sa pension.
3. Procédure disciplinaire
Le requérant fit l’objet d’une procédure disciplinaire en raison de son
comportement considéré peu compatible avec la nature et le degré des
responsabilités ainsi que le devoir de réserve attendus d’un agent du cadre
national des préfectures appartenant à un tel grade.
Le 7 octobre 2005, un arrêté ministériel portant sanction disciplinaire fut
pris et notifié à l’intéressé le 14 octobre 2005.
Dans le prolongement de la sanction de déplacement d’office, un arrêté
portant mutation de l’intéressé à la préfecture de Charleville-Mézières dans
le département des Ardennes intervint le 11 juillet 2006.
Par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de
Strasbourg le 21 juillet 2006, le requérant forma un référé suspension de la
décision du 11 juillet 2006. La suite donnée à ce recours n’est pas connue.
4. Procédure en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement
défectueux du service public de la justice
Le 19 novembre 2003, le requérant saisit le ministre de la Justice d’une
demande tendant à la réparation des préjudices subis du fait, d’une part, de
la méconnaissance de son droit à une durée raisonnable de procédure, par
les juridictions statuant sur le litige relatif à la non-prise en compte de la
période de service militaire accomplie dans l’armée belge et, d’autre part, de
ce que les juridictions administratives auraient rendu des décisions
DÉCISION VERITER c. FRANCE
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contradictoires, au regard de l’application du droit communautaire, et dans
des conditions irrégulières.
Le 16 mars 2004, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris
d’une requête tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet de cette
demande. Après l’intervention d’une décision expresse du 27 mai 2004
portant rejet de sa réclamation, il saisit, le 21 juin 2004, le tribunal
administratif de Strasbourg d’une requête tendant aux mêmes fins.
Par une ordonnance du 9 avril 2004, la requête enregistrée devant le
tribunal administratif de Paris fut transmise au Conseil d’Etat.
Par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil
d’Etat du 9 juin 2004, le jugement de cette requête fut attribué au tribunal
administratif de Dijon.
Par une ordonnance du 25 juin 2004, la requête enregistrée devant le
tribunal administratif de Strasbourg fut transmise au Conseil d’Etat.
Par une ordonnance du 19 août 2004, le jugement de cette requête fut
attribué au tribunal administratif de Dijon.
Après l’entrée en vigueur du décret no 2005-911 du 28 juillet 2005, dont
l’article 6 § 2 a modifié l’article R. 311-1 du code de justice administrative
pour donner compétence au Conseil d’Etat en premier et dernier ressort
pour connaître des actions en responsabilité dirigées contre l’Etat pour durée
excessive de la procédure devant la juridiction administrative, et dont
l’article 10 a prévu que ces dispositions étaient applicables aux requêtes
n’ayant pas encore été inscrites, à la date de sa publication, au rôle d’une
audience d’un tribunal administratif, les requêtes précitées, enregistrées au
greffe du tribunal administratif de Dijon, ont été transmises au président de
la section du contentieux du Conseil d’Etat par deux ordonnances du
13 septembre 2005.
Devant la Haute juridiction administrative, le requérant fut représenté par
un avocat aux Conseils.
Dans un arrêt du 25 mai 2007, le Conseil d’Etat décida, à titre liminaire,
qu’il y avait lieu de joindre les requêtes, ces dernières présentant à juger la
même question. Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice
résultant des délais excessifs de jugement, il rejeta la requête pour les motifs
suivants :
« Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que [le requérant] a saisi
le tribunal administratif de Strasbourg, le 18 novembre 1988, d’un recours tendant à
l’annulation de la décision implicite de rejet du ministre de l’intérieur de sa demande
du 11 juillet 1988 (...) ; que sa demande a été rejetée par un jugement du 5 septembre
1991 ; qu’il a fait appel de ce jugement par une requête enregistrée au greffe du
secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 23 septembre 1991 et qui a été rejetée
le 15 juin 1994 ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, la durée de cinq ans et sept
mois mise, au total, par la juridiction administrative pour statuer sur cette affaire n’est
pas excessive ;
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DÉCISION VERITER c. FRANCE
Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que [le requérant] a saisi le
tribunal administratif de Strasbourg, le 16 juillet 1997, d’un recours tendant à
l’annulation de la décision du 20 mai 1997 par laquelle le ministre de l’intérieur a
rejeté sa demande du 15 janvier 1997, identique à celle formulée le 11 juillet 1988 ;
que la circonstance que cette demande ait le même objet que celle formulée à
l’occasion de la première instance ne saurait rendre ces deux instances identiques, dès
lors que la première instance avait été close par l’arrêt du Conseil d’Etat le 15 juin
1994, devenu définitif ; que M. VERITER a produit, au cours de cette instance, cinq
mémoires datés des 16 juillet et 28 août 1997, du 4 mars 1998, du 2 mars et du 2 avril
2001 ; que le ministre de l’intérieur a pris, le 16 mars 2001, un arrêté faisant
partiellement droit à ses conclusions ; que cet arrêté a conduit le tribunal administratif
de Strasbourg à se prononcer sur la question du non lieu à statuer ; qu’il a été fait droit
à sa demande par un jugement du 6 juillet 2001 ;
Considérant que la durée de quatre ans mise par le tribunal administratif de
Strasbourg pour statuer sur la demande de [le requérant] s’explique notamment par les
nombreuses productions effectuées par celui-ci ; qu’ainsi, dans les circonstances de
l’espèce, cette durée n’est pas excessive. »
Sur les autres conclusions de la requête, le Conseil d’Etat releva que les
jugements du 6 juillet 2001 et du 6 novembre 2003 avaient intégralement
réparé les préjudices subis par l’intéressé, ce dernier ne justifiant en outre
d’aucun autre préjudice.
GRIEFS
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la
durée excessive des procédures engagées devant les juridictions
administratives ayant abouti aux arrêts du Conseil d’Etat des 15 juin 1994 et
25 mai 2007 ainsi qu’au jugement du tribunal administratif de Strasbourg du
6 juillet 2001.
Invoquant l’article 6 § 1, le requérant, alléguant des erreurs de droit,
conteste l’issue des procédures ayant mené aux arrêts du Conseil d’Etat des
15 juin 1994 et 25 mai 2007. Sur le même fondement, il dénonce en outre la
partialité du rapporteur ayant participé à la formation de jugement du
Conseil d’Etat ayant rendu son arrêt le 15 juin 1994.
Invoquant les articles 13 et 14 de la Convention, le requérant allègue une
discrimination fondée sur sa nationalité eu égard au refus des autorités
françaises de prendre en compte, dans le calcul de son ancienneté ainsi
qu’au titre de ses droits à avancement et à pension, la période de service
militaire accomplie dans l’armée belge. Le requérant conteste enfin l’arrêté
portant mutation pris à son encontre et allègue qu’il s’agit d’une mesure
discriminatoire fondée sur ses origines.
DÉCISION VERITER c. FRANCE
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EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d’abord de la durée excessive des
procédures engagées devant les juridictions administratives sus évoquées. Il
invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai
raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...) »
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se
prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer
cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à
l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Sur le même fondement, le requérant, alléguant des erreurs de droit,
se plaint ensuite de l’issue des procédures ayant mené aux arrêts du Conseil
d’Etat des 15 juin 1994 et 25 mai 2007. Il dénonce en outre la partialité du
rapporteur ayant participé à la formation de jugement du Conseil d’Etat
ayant rendu son arrêt le 15 juin 1994.
Le requérant estime également être victime d’une discrimination fondée
sur sa nationalité, eu égard au refus des autorités françaises de prendre en
compte la période de service militaire accomplie dans les forces armées
belge dans le calcul, d’une part, de son ancienneté et de ses droits à
avancement et, d’autre part, de ses droits à pension de retraite. Sur ce
dernier point, il se plaint de ce que le tribunal administratif de Strasbourg,
dans son jugement du 24 mai 2006, a rejeté sa requête après avoir estimé
que ses conclusions étaient prématurées ; il y voit une violation de son droit
à un recours effectif. Enfin, le requérant conteste l’arrêté portant mutation
pris à son encontre et allègue qu’il s’agit là encore d’une mesure
discriminatoire. Il invoque les articles 13 et 14 de la Convention combinés
en substance avec l’article 1 du Protocole no 1.
Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la
mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la
Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis
par la Convention ou ses Protocoles.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, en
tout état de cause, et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4
de la Convention.
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DÉCISION VERITER c. FRANCE
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen du grief tiré de la durée de la procédure ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Claudia Westerdiek
Greffière
Peer Lorenzen
Président