NOTE D`INTENTION ET TRAITEMENT VISUEL

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NOTE D`INTENTION ET TRAITEMENT VISUEL
NOTE D’INTENTION ET TRAITEMENT VISUEL
J’ai toujours considéré que le fond d’un film était indissociable de la forme. Cela ne
m’empêchait toutefois pas de construire les dossiers de mes précédentes réalisations
en séparant « note d’intention » et « traitement ».
Mais l’exercice habituellement réclamé est, ici, je pense, inenvisageable, tant les deux
choses sont imbriquées.
Une modernité vouée à la consommation, à la vitesse et à la destruction
du monde.
« (…) ces modèles sont ceux voulus par la nouvelle industrialisation, qui ne se contente plus de
« l’homme-consommateur », mais qui prétend que les idéologies différentes de l’idéologie hédoniste
de la consommation ne sont plus concevables. Un hédonisme néo-laïc, aveugle et oublieux de toutes
les valeurs humanistes, aveugle et étranger aux sciences humaines. »
P. P. Pasolini, « Écrits corsaires »
Cette citation, pourtant vieille de 30 ans, est à la base de tout le questionnement
d’« Ichtus ». De manière plus contemporaine, G. Lipovetsky, P. Muray ou P. Virilio
auraient pu tout autant être mentionnés, dans la mesure où ils dressent eux aussi
l’état d’un monde où le pouvoir de la consommation et son idéologie hédoniste sont
devenus tout puissants, paroxystiques (que la crise financière actuelle résoudra… ou
ne résoudra pas…) ; et dans la mesure où ils montrent la modernité que nous vivons
comme une course à la vitesse (j’utilise volontairement cette redondance).
Dans ce matérialisme que nous vivons, cette « ère » de consommation, nous
assistons à la perte de repères spirituels et humanistes, au désenchantement du
monde et des gens… L’homme moderne a oublié ce qu’était la contemplation ne
jurant que par l’immédiateté, la possession, ou encore manifestant un goût certain
pour le nihilisme.
Tout cela nous entraîne dans la destruction de la planète, de la civilisation et de
ses cultures, pour une seule chose : le profit immédiat, le court terme, sans aucune
conscience ou morale de ce que « nous » laisserons derrière nous.
Poser la question la vitesse, de la consommation et de la destruction de notre
environnement, c’est poser la question de la contemplation.
Si bien que contempler est, me semble-t-il, aujourd’hui devenu un acte de
résistance…
Et l’art (et le cinéma en particulier par sa nature ontologique) est cette MATIÈRE
ORGANIQUE À RÉSISTANCE.
Alors, comment le cinéma – donc la forme – peut être réponse à ces « dérives »
modernes ?
Réponse du cinéma aux dérives modernes.
A) Un plan-séquence à la grue sur rails.
L’idée dans « Ichtus », selon le fait que le cinéma, par son mécanisme même,
enferme, emprisonne, « scelle » le temps (comme l’écrivait Tarkovski), est de
penser la question de cette course à la vitesse, en posant, l’exact inverse : le planséquence (juste un 2ième et unique plan fixe à la fin venant constater notre
« promenade » cinématographique).
Il s’agira donc capturer l’ensemble de notre réflexion en un seul mouvement
temporel. Pour PRENDRE LE TEMPS de laisser entrer dans le cadre la vie du
monde.
Cette capture du monde sera renforcée par un mouvement spatial
ininterrompu (grue + rails + zoom léger), par la fluidité totale de notre planséquence, afin d’embraser pleinement les éléments. Seulement ainsi le film répondra
peut-être à notre quête temporelle.
B) La « convocation des éléments ».
C’est la seconde idée d’« Ichtus » : convoquer les éléments : la terre (rochers, la vase),
l’air (bourrasque de vent), l’eau bien évidemment (mer, « ruisseau » de la pompe), et
la lumière (avec le soleil couchant, le lampadaire, la bougie et surtout la lampe
tempête).
Ces éléments seront d’abord isolés les uns des autres, pour, sur le dernier cadre
du plan-séquence, être tous les 4 ensembles dans l’image.
Il s’agira de « capter du vivant », « capter l’excédent de réel » que cette convocation
amènera, dans un non montage total.
Je veux donner au film cette douce impression que la vie est venue, l’espace d’un
instant, s’immiscer furtivement sur la pellicule.
A travers cela, je cherche à imposer l’idée de l’Homme dressant le monde,
refusant sa propre mort, accomplissant quelque chose de surhumain, de façon toute
romantique : imposer une éternité face à la mort (c’est aussi pour cela que tous
les âges (personnages) sont représentés).
Et ceci est tout autant vrai pour l’Homme dans le film (c’est-à-dire Jean, l’enfant) que
pour les Hommes extérieurs au film (tous les techniciens qui feront cet exploit de
rendre ce film plan-séquence possible).
Quel type d’image ?
Je compte filmer « Ichtus » dans une lumière entre chien et loup, après le coucher
du soleil, la nuit n’étant pas encore installée quand les couleurs sont désaturées,
les ombres absentes (avec toutes les symboliques que cela comprend).
Je pense bien sûr à Turner, d’autant que certains cadres seront totalement flous.
A l’inverse, sur le dernier cadre, dû à la lampe tempête en plongée sur le poisson
asphyxiant, l’image sera assez dure, contrastée, avec de vrais noirs ; je pense ici à
Caravage.
Un caractère universel.
Je tiens à ce que ce film ait un impact universel. Pour cela, j’ai veillé dans le scénario
à ce que les quelques mots prononcés dans le film soient futiles, ne soient que des
sons ; leur traduction devient alors dispensable. Ainsi, j’espère « Ictus » capable de
donner à contempler dans un mouvement trans-générationnel, trans-culturel et
trans-cultuel.
TRAITEMENT SONORE
Point de vue sonore.
Sur tout le film, il n’y a aucun point de vue sonore matérialisable : il n’y aura pas de
cohérence entre le son et leur cause dans le plan.
Ainsi, les transitions sonores se feront par contraste (isoler ou exagérer un son). On
peut aussi perdre un élément visuel, mais le conserver sous sa forme sonore (cf.
notamment le ruisseau).
Ainsi, c’est le son qui sera principalement le passage entre les éléments, entre les
scénettes, entre les personnages. Nous espérons ainsi gagner en poésie.
Sons directs et montage son.
J’accorderai une grande part au montage son, que je trouve très complémentaire de
du plan unique que je veux installer, alternant sons pris sur le plateau1 et sons
disponibles en banques.
Je crois en la poésie qui mêle irréalité du son et réel de l’image ; pointillisme richesse
sonore et unicité d’un plan séquence.
D’où un vrai moment pour l’ingénieur du son pour prélever de la matière sur place. Mais cette prise
de son se fera bien évidemment en dehors de la prise d’images, puisque le travail de machinerie sera
tellement important qu’il me semble impossible d’avoir un son direct.
1
PLAN (VUE DE DESSUS) DU DÉCOUPAGE DU FILM
OCÉAN
Pompe
Position caméra
début du film
J
S
vieux cancéreux
et son chien
Jean
scène funèbre
la mère
Le père
PORT
J
PLAGE &
ROCHERS
Filet d’eau
Marin 1
BATEAU
« DIDYME »
Marin 3
Marin 2
J
position
caméra
fin du film
JETÉE
TÊTE DE LA
PROCESSION