Chimiothérapie orale et cancer du sein métastatique

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Chimiothérapie orale et cancer du sein métastatique
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D ossier
Chimiothérapie orale et cancer du sein métastatique
Oral chemotherapy and metastatic breast cancer
IP P. Rivera*
D
epuis plusieurs années, nous assistons à une évolution
progressive de la cancérologie. Outre les innovations
thérapeutiques successives et les améliorations en termes de soins de support, les prises en charge ambulatoires se
multiplient. Dans ce domaine, le développement de l’administration orale des chimiothérapies constitue une avancée intéressante, notamment en termes de confort pour le patient, de
simplicité d’administration et de gain économique, même si
une des principales limites reste la compliance du malade.
Pharmacologie
Les problèmes de biodisponibilité constituent un frein majeur
au développement des molécules administrées par voie orale.
Ce facteur représente la fraction de quantité administrée qui
sera mise à disposition pour l’effet pharmacodynamique. L’objectif n’est pas d’obtenir une biodisponibilité élevée, mais il
est, en revanche, indispensable que celle-ci soit reproductible
d’une cure à l’autre chez un même patient (faible variabilité
intra-individuelle) et à dose égale chez des patients différents
(faible variabilité inter-individuelle) [1]. Or, la biodisponibilité
peut varier en fonction de plusieurs facteurs, parmi lesquels
les propriétés physicochimiques de la molécule administrée,
le pH, l’état de réplétion ou vacuité gastrique et les réactions
chimiques au sein du tube digestif (2). Les innovations récentes en termes de galénique ont permis d’améliorer les problèmes de biodisponibilité permettant ainsi l’administration de
chimiothérapie par voie orale.
Les molécules disponibles
À l’heure actuelle, deux molécules chimiothérapiques administrées par voie orale disposent d’une AMM dans la prise en
charge du cancer du sein métastatique : la capécitabine (Xéloda®) et la vinorelbine (Navelbine®).
La capécitabine est un carbamate de fluoropyrimidine, administré par voie orale, activé en 5-fluoro-uracile (5-FU) cytotoxique après trois étapes de transformation enzymatique. Ce
médicament est administré en deux prises quotidiennes deux
semaines sur trois. Cette molécule mime donc le 5-FU continu tout en permettant une modalité d’exposition prolongée au
5-FU simple et pratique.
Deux études de phase II ont testé ce médicament en monothérapie chez des patientes atteintes de cancer du sein métastatique prétraitées par anthracyclines et taxanes (3, 4). Les taux
* Institut Claudius-Regaud, Toulouse.
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de réponse objective sont compris entre 20 et 25 % et la survie
médiane est évaluée à environ 13 mois. Les principales toxicités non hématologiques sont représentées par le syndrome
main-pied, la stomatite et la diarrhée.
Une autre voie de développement de la capécitabine a été
l’association à un agent susceptible de stimuler la thymidine
phosphorylase, enzyme jouant un rôle important dans son activation en 5-FU et dont la concentration est plus élevée dans
le tissu tumoral que dans les tissus sains. Ainsi, la capécitabine
a été associée au docétaxel dans le cadre d’une étude de phase
III chez des patientes atteintes de cancer du sein localement
avancé ou métastatique après échec aux anthracyclines (5).
Cette association a permis l’obtention d’un gain significatif en
termes de réponse objective, de temps jusqu’à progression, de
survie globale comparativement à la monothérapie par docétaxel, mais au prix d’une toxicité majorée (notamment pour le
syndrome main-pied).
Plus récemment, deux études ont été effectuées en première
ligne. Une analyse rétrospective sur la capécitabine en monothérapie a mis en évidence un taux de réponse de 62 %,
indépendamment de l’âge, de l’administration d’une chimiothérapie adjuvante et de son type, de l’administration préalable d’une hormonothérapie et de l’existence d’une atteinte
viscérale (6). Une étude de phase II en association au paclitaxel hebdomadaire en première ligne métastatique chez 55
patientes a permis l’obtention d’un taux de réponse objective
de 55 % et d’un bénéfice clinique chez 65 % des patientes avec
une durée moyenne de réponse de 10 mois (7).
La vinorelbine, seul vinca-alcaloïde pouvant être administré
par voie orale sous forme de capsules, permet une biodisponibilité reproductible de 40 % environ avec une faible variabilité
intra- et inter-individuelle, indépendamment de l’âge, avec un
profil pharmacocinétique linéaire (8-10).
Deux études de phase II en première ligne métastatique ont
témoigné d’une réponse objective d’environ 30 % avec 62 % de
bénéfice clinique et une survie médiane de 21 à 24 mois (11,
12). Les toxicités restent modérées avec une toxicité digestive
à type de nausées-vomissements (3,1 à 4,7 %) et de diarrhée
(4,7 %) et 4,7 % de neutropénies fébriles.
En monothérapie, par voie orale, cette molécule est administrée à la dose de 60 mg/m2 une fois par semaine pour les trois
premières prises puis la dose est majorée selon la tolérance
clinique et hématologique à 80 mg/m2 par semaine (11).
Par ailleurs, l’efficacité de l’association de vinorelbine intraveineuse (IV) et 5-FU étant bien connue dans cette indication
du cancer du sein métastatique, il paraissait donc logique de
tester ce protocole sous la forme d’un “tout oral” avec la caLa Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007
pécitabine et la vinorelbine orales. Deux études de phase II
(13, 14) ont été menées en première ou deuxième ligne. Elles
ont permis une réponse objective dans 41 à 61 % des cas. La
toxicité clinique et hématologique reste faible.
Verma (15) a testé également ces deux molécules, mais selon
un schéma séquentiel, obtenant ainsi une survie à un an de
46 % chez des patientes métastatiques réfractaires aux anthracyclines et aux taxanes.
Les préférences des patients
L’efficacité de ces molécules par voie orale étant maintenant
établie, interrogeons-nous sur les préférences des patients.
Liu, en 1997 (16), a évalué 103 patients atteints de cancer dont
89 % ont affirmé avoir une préférence pour la chimiothérapie
orale, si celle-ci présente une efficacité équivalente à la voie
intraveineuse (i.v.). Parmi les principales raisons de ce choix,
sont évoqués la maniabilité (57 %), les problèmes liés à la tubulure de perfusion (55 %) et le fait que la chimiothérapie puisse
être administrée à domicile (33 %). En revanche, 70 % des patients n’acceptent pas de prendre une chimiothérapie orale
ayant un taux de réponse plus faible que la voie i.v. et 74 % des
patients s’orientent vers la voie intraveineuse si celle-ci offre
une durée de réponse plus longue.
Borner, en 2002 (17), a évalué dans le cancer colorectal avancé, l’administration croisée randomisée de chimiothérapie par
voie orale (UFT) et par voie veineuse (5-FU). Les patients ont
donc testé les deux formes d’administration et 84 % d’entre eux
préfèrent la voie orale avec, pour critère le plus marquant, le
fait que la chimiothérapie puisse être administrée à domicile.
Les avantages
L’histoire naturelle des cancers métastatiques se modifie peu à
peu et cette maladie se transforme progressivement en une pathologie chronique. Il faut donc tenter de conjuguer les traitements avec la vie professionnelle et familiale. Différentes études
et enquêtes de perception des effets secondaires redoutés par les
patients vis-à-vis des chimiothérapies intraveineuses ont été réalisées. On constate que la voie orale peut améliorer un certain
nombre de ces critères : la ponction veineuse et les morbidités
induites par les voies veineuses centrales, le risque d’extravasation, le fait de subir un traitement, le temps passé à l’hôpital pour
la perfusion, l’alopécie et les conséquences familiales du temps
passé à l’hôpital (18-20). L’absence d’alopécie induite par ce type
de chimiothérapie permet aux patientes de partir en vacances, de
faire leurs courses et de travailler sans signe extérieur de maladie.
Le traitement oral a un impact également sur l’entourage familial, car il est moins anxiogène. Le geste de chimiothérapie est
dédramatisé. Les patientes assument mieux leur prise en charge
et éprouvent un sentiment de plus grande liberté.
Par ailleurs, en termes de coût, on peut penser que les traitements oraux permettent un gain non négligeable. Aucune
étude n’a réellement évalué les différences de coût entre les
traitements i.v. et oraux dans le domaine du cancer du sein
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métastatique. En revanche, on peut citer l’étude réalisée dans
le cancer du poumon non à petites cellules comparant les
coûts de diverses chimiothérapies (vinorelbine i.v., vinorelbine orale, gemcitabine i.v., docétaxel i.v., paclitaxel i.v.) (21) :
la vinorelbine orale apparaît, à efficacité équivalente, comme
la molécule la moins onéreuse et la plus efficiente. Elle permet
une réduction des coûts hospitaliers et pour la société.
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Les limites
Les avantages des traitements par voie orale sont bien sûr séduisants. Rappelons toutefois qu’il s’agit de chimiothérapies,
ces médicaments n’étant pas dénués d’effets indésirables. L’administration par voie orale implique une autonomie du patient et une bonne compliance (22, 23). Sa prescription engage
la responsabilité médicolégale de l’oncologue et l’implication
plus importante du patient dans sa prise en charge n’épargne
pas le cancérologue prescripteur d’un suivi relationnel et médical étroit. En effet, il a été démontré que la compliance peut
être améliorée de manière significative par des programmes
de formation et un support psychologique (24).
En pratique
La chimiothérapie à domicile ne doit donc pas être imposée.
Elle s’adresse principalement à des patientes valides, volontaires, informées, compliantes et entourées sur le plan familial.
Liu (16) cite un certain nombre de facteurs de mauvaise compliance : personnes seules ou isolées, dépendantes ou handicapées, présentant des troubles mnésiques ou comportementaux ou sans entourage social ou familial.
Toute prescription de traitement chimiothérapique oral impose une temps d’éducation thérapeutique par l’oncologue.
Outre les explications sur les effets secondaires potentiels, le
médecin prescripteur doit apporter l’information sur les modalités de prise du traitement à domicile et sur la conduite à
tenir en cas d’oubli. Une étude récente publiée en janvier 2007
(25) témoigne d’un manque important de rigueur médicale et
d’exigence des pharmaciens dans la prescription et la délivrance
de ces traitements oraux alors qu’ils ont aussi un coût et une
toxicité non négligeable. Afin de faciliter cette prescription,
l’ANAES a énoncé des critères d’éligibilité des patients à une
chimiothérapie anticancéreuse à domicile (26). Cependant, on
ne peut faire l’économie, dans ce domaine notamment, d’une
bonne coopération entre professionnels par l’intermédiaire de
réseaux et de la formation de tous les intervenants (27).
Conclusion
Bien que la maladie mammaire métastatique soit le plus souvent incurable, elle peut être longtemps compatible avec une
vie proche de la normale. La chimiothérapie orale constitue
un gain non négligeable dans ce domaine où elle va permettre
d’améliorer l’autonomie, le confort et la qualité de vie des patientes. La prescription de ces molécules nécessite une bonne
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sélection des patientes, une communication adéquate entre le
médecin et la patiente au moment de la prescription et une
bonne coordination entre tous les acteurs de soins afin de
gérer de façon optimale la délivrance, l’administration et les
effets secondaires potentiels.
n
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